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- 1915 -

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1 janvier.

Relevés à 5 heures du matin. Cantonnement à Hoéville. La nuit dernière marquée par de nombreux coups de fusil échangés entre sentinelles. De jour, dans un village, sale et bombardé. Année mal commencée.

2 janvier.

Occupation de tranchées pendant une reconnaissance faite à Bezange. 2° vaccination.

3-4 janvier.

Cantonnement à Hoéville.

Je te demande bien pardon de ne pas t’avoir écrit depuis si longtemps, mais nous voila depuis le 29 décembre aux avant-postes, dans des tranchées au milieu des bois. Nos sentinelles sont à 50m des sentinelles allemandes et échangent souvent des coups de feu, mais sans grands résultats. C’est là que j’ai passé le 1° de l’an. J’ai fait des patrouilles toute la nuit et à minuit juste, ai échangé des balles avec une patrouille boche. C’est une façon élégante de se souhaiter une bonne année.

5-8 janvier.

Forêt de Bezange. Tempête épouvantable. Tranchées inondées. Trempés jusqu’aux os. Coups de fusils entre sentinelles et patrouilles.

9-11 janvier.

Cantonnement à Hoéville.

Je viens de recevoir à l’instant ta lettre du 2 janvier, dont je te remercie. Nous voila enfin au repos pour 2 jours. Je viens de passer 4 jours (5-6-7-8) dont je me souviendrai, car ils ont été des plus durs que j’ai jamais passé, non par le danger venant de l’ennemi, mais par le mauvais temps.

Nous occupions les mêmes tranchées, dans la même forêt que le 1° janvier, mais nous avons eu 4 jours de tempête et la pluie et le vent n’ont pas cessé pendant 96 heures.

Nos tranchées étaient à ce point pleines d’eau que nous en avions jusqu’au-dessus des chevilles et que pour s’asseoir, il fallait mettre son sac par terre pour s’asseoir dessus sans être trop mouillé. Tels les forçats rebelles qui sont obligés de pomper de l’eau pour ne pas être submergés, tels nous étions forcés de vider nos tranchées pour pouvoir y rester. Notre pain n’était qu’une bouillie infecte et immangeable. Pour dormir, rien à faire ou presque rien. Nos fusils, comme dans la bataille d’Amance étaient tellement rouillés qu’ils ne pouvaient fonctionner.

Enfin, c’était plutôt pénible. Les chemins, dans la forêt, étaient transformés en véritables petits torrents avec des cascades. La boue sur nos capotes formait une croûte très épaisse.

Enfin, à part cela, me voila toujours en bonne santé, mais plusieurs tombent malades, ce n’est pas étonnant. Tu vois que je n’ai pu t’écrire pendant ces jours-ci. Aujourd’hui il pleut encore, mais nous sommes à Hoéville, dans ce village mal ravitaillé dont je t’ai parlé.

J’ai reçu aujourd’hui ton paquet qui a été le bienvenu. J’ai immédiatement changé de chaussettes, j’en avais besoin et croqué quelques friandises. Merci beaucoup de ces étrennes qui m’ont fait grand plaisir.

Tu me demandes encore si je désire un sac de couchage. Non merci, je t’assure que je suis trop chargé pour cela; cet été, lorsque nous n’aurons plus nos lourdes couvertures, je t’en demanderai peut-être un. Mais pour le moment, j’ai tout ce qu’il faut. Ton caoutchouc m’a beaucoup servi comme tu le penses, mais vraiment il y avait trop d’eau!

Je fais très souvent comme Jean, je sais maintenant abattre des arbres à coups de haches et je suis un terrassier (pelle et pioche) remarquable.

Au revoir, chère Maman, encore une fois ne t’inquiètes pas outre mesure de ce que je t’écris. A la guerre comme à la guerre! Mais pour un petit jeune homme difficile et aimant ses aises comme je l’étais "ça m’en bouche un coin".............

12-14 janvier.

Forêt. Construction de tranchées et de défenses accessoires. Boue et pluie continuelles.

15-17 janvier.

Cantonnement à Hoéville. Ferme Ste-Marie bombardée.

Je voulais t’écrire pendant que nous étions dans les tranchées dans la forêt, mais nous sommes vraiment trop mal installés et j’ai préféré attendre d’être au cantonnement. Il fait moins mauvais cette fois-ci, mais nous sommes encore dans une bouillie épouvantable. On nous a distribué des peaux de mouton comme en 1870, et aussi des sabots. Il faut nous voir dans cet accoutrement. On dirait des hommes préhistoriques.

Avant-hier le Capitaine m’avait chargé de faire un sentier à coup de serpe dans la forêt pour pouvoir communiquer plus aisément d’un petit poste à un autre. Il m’a fallu traverser une clairière, d’où j’étais très bien vu. Or pour pouvoir passer il fallait installer des claies fabriquées en branchages. Naturellement en les installant, les boches nous ont envoyé quelques balles, mais ils sont si maladroits qu’ils ratent toujours.

Nous nous habituons peu à peu à cette vie qui est bien différente des cantonnements à Bouxières, où des avant-postes dans la forêt de Champenoux que nous avions si bien aménagée qu’elle était plus imprenable qu’un fort. Mais à force de travail (terrassement, installation de fils de fer), nous rendons celle-ci pareille à l’autre (Je t’ai dit que celle-ci était tout près de Lunéville).

A propos de fil de fer, comme nous sommes très très près des boches, nous sommes obligés de les installer la nuit. Comme ils nous entendent, ils veulent savoir ce que nous faisons, ils envoient des fusées éclairantes comme au 14 juillet. Aussitôt nous nous aplatissons par terre comme des capucins et nous recommençons après. A la forêt de Champenoux, comme ils étaient à 3km, c’était plus facile de travailler, et puis il faisait moins de boue.

Bouyé n’est pas évacué, il reste à l’infirmerie d’Hoéville, au repos. Il va mieux, je crois. Tourneret, par exemple, est tombé d’une échelle lui aussi et s’est cassé 2 côtes, je crois. Lui est évacué. Ton fils va toujours très bien et s’ennuie un peu moins que l’autre jour, on s’habitue à tout..................... On ne m’oublie pas et c’est si agréable de recevoir des lettres........... Il va y avoir plusieurs nominations de sous-lieutenant. Tout le monde dit que je vais être nommé! Hélas, je suis le plus jeune sergent dans un régiment de réserve et je n’aurai jamais cette satisfaction quoi que faisant le métier de chef de section depuis plus de 2 mois! Enfin, tant pis, que je revienne sain et sauf et vite, c’est tout ce que je demande!.......

19-20 janvier.

Tranchées dans le bois Ste-Marie. Patrouille à Bezange chez le maire.

...........Madeleine m’a écrite de son hôpital.........C’est si bon de recevoir des lettres et si tu voyais comme les mains se tendent lorsque le courrier arrive!

...........Pour l’argent, ne m’en envoie pas pour le moment, nous sommes tout à fait aux avant-postes depuis le 1° janvier, de sorte que je ne dépense pas grand-chose...........

Nous avons en ce moment-ci un temps superbe, mais froid, mais combien préférable à l’infecte boue des premiers jours. Je t’écris de ma tranchée, bien plus éloignée cette fois-ci des avant-postes ennemis (1500m) car nous sommes sur une hauteur et la vallée qui nous sépare des Boches, s’élargit à cet endroit. (voir croquis)

Le Capitaine m’a donné, cette fois-ci, ce poste moins dangereux pour me dédommager d’une reconnaissance dont il m’avait donné l’avant-dernière nuit, le commandement d’après les ordres du Commandant Millet. Je vais d’ailleurs te la raconter en détail, mais surtout, ne t’émotionne pas. Je t’assure que je ne risquais pas grand-chose.

Entre nous et ces horreurs d’Allemands, se trouve un village français qui ne peut être occupé de par sa situation entre deux collines boisées, ni par eux, ni par nous. Les habitants ne veulent pas l’évacuer, car il n’est pas du tout démoli, et ils se trouvent pour la plupart chez eux, mais dans une situation bien ennuyeuse: il est très dangereux pour eux de sortir, il leur est interdit d’avoir de la lumière la nuit.

La nuit, les Allemands qui en sont beaucoup plus près que nous, vont y faire de fréquentes patrouilles. J’avais comme mission d’aller trouver le maire de ce village et de lui donner une lettre du Commandant. Il faisait très froid et le sol résonnait. Les flaques d’eau étaient gelées et, lorsque l’on marchait dessus, faisaient un bruit de vitres cassées.

Après avoir choisi mes poilus, nous partîmes et avec mille précautions; nous nous dirigeâmes vers le village; nous faisions un bruit terrible. Enfin, j’ai fait garder par mes hommes toutes les issues du village et avec un type intelligent, je me suis mis en devoir de trouver le maire. Comme il était 2 heures de matin, ce n’était pas chose facile, mais enfin nous avons réussi après avoir heurté à plus de 6 maisons.

Une fois ma commission faite, nous sommes repartis avec les mêmes précautions et avons regagné nos lignes sans encombres et sans avoir tiré un seul coup de feu.

Le maire était un peu effrayé et me suppliant de ne pas faire de bruit, car les allemands lui avaient promis de le fusiller s’ils surprenaient une seule intelligence avec les français. "Prenez garde, me disait-il, le 257° a eu une patrouille complètement prisonnière le mois passé et depuis nous n’avons plus vu de soldats français!"

Je pense que cette lettre devait parler de l’évacuation du village - mais - je ne sais pas au juste. J’étais bien content d’avoir réussi, surtout sans avoir éveillé les soupçons des Boches.

Je te quitte, chère Maman, en te répétant de ne point t’inquiéter. Ces choses là me plaisent infiniment mieux que de rester des jours entiers, immobiles dans des tranchées.

21-23 janvier.

Cantonnement à Hoéville.

Ma chère Grand-Mère,

Maman vient de m’envoyer les 5F que tu as eu la bonté de me donner pour mes étrennes...........J’espère que ta santé est bonne, ainsi que celle de toute la famille à Penne. Quant à moi, je me porte toujours très bien, quoiqu’étant depuis longtemps dans des tranchées, sous la pluie, la neige et avec du froid. Malgré tout, pas d’attaques ni d’un coté, ni de l’autre. On se surveille et il n’y a, entre les Boches et nous, que des combats de patrouille....................

Ma chère Maman,

...........je ne pressais pas d’argent en ce moment. C’est vrai, car nous ne pouvons que difficilement nous ravitailler ici. Nous n’avons que le strict nécessaire, mais comme tu dis, ce sont des choses que l’on ne refuse pas et qu’on est toujours heureux de recevoir...........Quant à l’envoyer en billets au lieu de mandat, c’est une très bonne idée et je voulais te le dire quand je t’en aurai demandé. Tu as prévenu mes idées. Merci beaucoup.

Nous allons toujours très bien, ce froid sec fait du bien et fouette le sang: il est rudement plus agréable que cette horrible boue qui, dans les bois et les tranchées, vous vient jusqu’à mi-jambe.

Cela me fait bien rire et bien plaisir de recevoir les gribouillages du Muguet, mais le fait-elle seule ou bien lui prends-tu la main pour le faire? Elle doit être, en effet, bien mignonne.

Quel veinard que ce Roger qui est sûr de s’en tirer, c’est une chance qu’il a et que je n’ai pas, pas plus que mes copains. Enfin, on tâchera de passer indemne au milieu de toutes ces embûches et de vous revenir sain et sauf. -Si Dieu le veut!-

24-26 janvier.

Tranchées dans la même forêt. Destruction de ponts sur la Loutre.

27-29 janvier.

Cantonnement à Hoéville.

..........Nous sommes toujours au même endroit, occupés à surveiller les mêmes Boches. Le temps qui avait été à la neige pendant trois jours de suite et qui en avait saupoudré la terre d’une épaisseur de 7 à 8 centimètres, s’est mis maintenant au froid sec, de sorte que tout le pays est blanc. La forêt est magnifique sous cette épaisseur de neige et nous assistons quelquefois, avec des jeux de soleil, à des coups d’oeil féeriques.

Mais, revers de la médaille, nos tranchées sont comblées par la neige et il faut l’enlever. Nous avons les pieds humides dans cette neige mais nous nous réchauffons par des batailles à coups de boules de neige (à la grand-garde). Au petit poste, par exemple, nous avons eu avant-hier deux blessés. Nous étions occupés à installer des réseaux de fil de fer et sur la neige nos silhouettes noires paraissaient trop. Les Allemands ont tiré et en ont touché deux d’entre nous, l’un a la cuisse traversée, l’autre a deux doigts emportés.

Il y avait longtemps que nous n’en avions eu; tu vois bien que, tout près des Boches, nous ne risquons pas grand-chose. Le Capitaine m’a chargé, l’autre nuit, d’aller démolir à coups de haches et de pioches, 2 passerelles qui sont sur le ruisseau qui nous sépare des Boches.

Avec mille précautions, j’y ai été, toujours avec mon équipe de fidèles poilus qui me suivent partout et nous en avons démoli une que le courant a emporté. Mais l’autre est en fer et je n’ai pas pu y toucher avec les outils que j’avais. Je m’attends à ce que le Capitaine ou le Commandant m’envoient le faire sauter à la mélinite. Les ennemis n’ont d’ailleurs tiré qu’un seul coup de fusil.

Comme santé, cela va toujours très bien, sauf un gros rhume et un mal de gorge qui m’ennuient fort en ce moment-ci. Cela n’a rien d’étonnant avec ce froid et passera comme c’est venu. Ne t’inquiète donc pas.

J’ai écrit à Grand-Mère pour le 1° de l’an, je lui ai réécrit pour la remercier des 5 francs qu’elle m’a donnés et j’ai réréécrit pour la remercier d’un colis que j’ai reçu avant-hier, contenant 3 paires de chaussettes, du chocolat et des pastilles de gomme, qui ont été les bienvenues...............

Dans ce village où nous nous reposons, j’ai pu trouver un coin pour manger tranquillement et pour écrire au coin d’un feu. C’est dans une famille très aimable. Le père, la mère, 2 jeunes filles très gentilles qui nous soignent un camarade et moi très aimablement. Le fils est à la guerre. J’oubliais la bru qui vient d’accoucher et que nous soignons tous, ainsi que le petit Roger, avec beaucoup de sollicitude.

Je t’envoie, ci-inclus, un fragment du dernier Bulletin des Armées que j’ai reçu et où j’ai vu la citation de Jean. Comme il est très modeste, il ne vous l’aurait peut-être pas envoyé..............

30 janvier-1 février.

Tranchées. 2 hommes blessés à la compagnie.

J’ai reçu une très aimable lettre de Tante Ellen......., une gentille carte de Tante Alice, toujours pleine d’espoir, mais bien triste, naturellement.

Il neige toujours. Tout est blanc, tout est silencieux, sauf le canon et les obus qui passent au-dessus de nous en sifflant. (Oh! musique bien connue, mais qui vous fait toujours un peu frissonner). Nous y sommes habitués, car voilà 4 mois que pas un obus ne nous a touché, c’est un duel d’artillerie; nous sommes entre les deux adversaires, heureusement que la trajectoire n’est pas trop tendue!

Toujours bien portant; mon rhume suit son cours, la toux n’est pas encore grasse, mais j’espère qu’elle va vite engraisser.

Je profite de cette lettre pour te dire que je pense bien que voilà 24 ans, la nuit prochaine, que je suis né (oh! Quelle phrase!) Mes camarades, à qui je le dis, me disent que j’aurais mieux fait de rester où j’étais. C’est très trivial, mais bien vrai si une balle doit m’attraper, mais combien l’existence paraîtra douce, si l’on s’en tire!

Au revoir, chère Maman, je vais aller piocher un peu pour me réchauffer, car le froid aux doigts me prend.

Mes meilleurs baisers à partager entre toi, Madeleine et le Muguet!! Ne vous disputez pas surtout en prenant une part plus grosse l’un que l’autre. Je vous aime tant toutes les trois!..........

2-4 février.

Cantonnement à Hoéville.

...........2 colis, l’un contenant des chaussons, l’autre des friandises..........J’ai mis immédiatement mes pieds dedans et je t’assure que j’y ai bien chaud. Je mettais bien de la paille, mais combien ces chaussons montants sont plus chauds. J’ai déjà fait des envieux............

J’ai reçu en même temps que ta lettre, une longue lettre de Jean qui me dit, en effet, qu’il est au repos depuis une huitaine de jours et qu’il est en excellente santé. Il me dit aussi qu’il espère se rapprocher de l’endroit où je suis, et, qui sait, peut-être me voir. Quelle chance ce serait et, comme tu dis, avec quelle joie nous nous embrasserions! Ma machine (expression Chagnaudesque) fonctionne comme la sienne admirablement bien. Mon rhume passe peu à peu et se réduit à rien maintenant.

Le temps se maintient, depuis une dizaine de jours, au froid et à la neige. Nous en avons à présent une respectable épaisseur et la campagne est toute blanche. Moi qui ne suis pas habitué, cela me parait bien beau. Mais il fait froid à se laver dehors!

Que fait donc ce flemmard de Cordebart à La Rochelle? Je viens de voir aujourd’hui Basset que je n’avais pas vu depuis plus de 2 mois, car lui aussi est aux avant-postes, mais pas du même coté que moi et il ne vient jamais se reposer pendant que je suis moi-même au repos, de sorte que je suis privé de la compagnie d’un bien gentil garçon. Je t’assure que si nous nous en tirons tous les deux, et si reste à La Rochelle, je m’en ferai un ami. Il va bien, mais est ennuyé par une grosse crise d’eczémas qui le tient depuis longtemps.

Quant aux autres Rochelais, ils vont bien. Le Capitaine Martin commande toujours allègrement sa compagnie; Meyer, sa 1/2 section, de Lignerolles également. Quant à Bouyé, il traîne toujours fortement la patte. Je ne connais pas ce sergent Triaud dont tu me parles.

Je suis touché de l’amitié qu’a pour moi cette gentille Mugette Dis lui que son oncle "Jor" l’aime beaucoup, pense à elle bien souvent et voudrait bien pouvoir l’embrasser.

Dis à Roger qu’il y a eu 2 nominations de sous-lieutenant ici: Boussiron, que tu connais, et Moresmeau. Boussiron est à ma compagnie, tu penses que je suis content: un capitaine très gentil avec moi, mon propre lieutenant qui est presque un copain (très flemmard et me confiant toujours la section, de sorte que je suis mon maître) et Boussiron, un vieux copain d’active. Ajoute un adjudant qui était sergent avec moi à La Rochelle. Voila quels sont mes supérieurs à la compagnie. Je ne suis certes pas ennuyé par eux, tant s’en faut............

5-7 février.

Tranchées. Patrouille à Bezange. Un boche blessé.

8-10 février.

Cantonnement à Hoéville.

.........en excellente santé, mon rhume étant presque complètement terminé mais hélas nous avons eu de la pluie, et du dégel, de sorte que nous sommes dans l’eau et dans la boue jusqu’aux genoux. A part cela nous sommes toujours au même endroit, et, au repos, je suis maintenant bien installé - presque comme à Bouxières-aux-Dames mais malheureusement, au lieu d’aller nous reposer comme d’habitude, en revenant des tranchées, on nous a employés à en faire et fortifier de nouvelles à quelques kilomètres de là, de sorte que je n’ai pu t’écrire plus tôt qu’aujourd’hui; voilà la cause de mon retard à t’écrire.

Comme je t’ai dit, Boussiron vient d’être nommé sous-lieutenant, et en bon copain qu’il est, m’a offert aimablement sa chambre, pour bains, lavages, écritures, etc... excepté naturellement pour coucher, mais, j’ai maintenant l’habitude de coucher sur mon fumier et j’y fais la nuit des rêves merveilleux et dorés comme celui de retourner prochainement à La Rochelle, par exemple.

Les gens chez qui je suis sont toujours très aimables pour moi et la jeune maman va très bien ainsi que son bébé! Je suis épatant maintenant pour bercer un bébé de 35 semaines et aussi pour le porter et l’empêcher de pleurer. Ces dames disent qu’elles n’ont jamais vu un homme manier avec si peu de gêne un gosse si petit, de sorte qu’on me le confie sans aucune peur. (On apprend tout à la guerre) Le sale gosse m’a d’ailleurs pissé dessus hier soir!!!

En échange des bons soins qu’ils me prodiguent, je leur rends quelques petits services: brouillons de lettres, comptes, écritures, (car ce sont de petits épiciers) et puis ce sont d’excellents catholiques. L’autre jour, comme je me débarbouillais, ils ont aperçu mon scapulaire de sorte que je suis maintenant un enfant de la maison et ces demoiselles m’appellent leur frère.

On vient de distribuer le nouvel uniforme que j’avais déjà, à tout le régiment. Nous sommes tous en bleu clair maintenant, et j’ai intrigué pour avoir une capote neuve à laquelle la fille aînée, qui est couturière, me fait des tas de perfectionnements. (poches, col, retouches, etc.etc...)

Le Commandant m’a encore envoyé, l’autre jour, dans ce sale patelin de Bezange; mais cette fois les Boches l’occupent et nous avons été reçus par quelques coups de fusils, mais nous n’avons rien eu, au contraire, nous en avons touché un qui s’est écrié en tombant "Ah! mein Gott!!".

Pour nous punir, ils nous ont envoyés le lendemain des obus dont l’un est tombé à 5 mètres de ma tranchée.......mais je venais d’en partir ¼ d’heure avant parler au lieutenant. Quelle veine!.....

A part cela, pas d’attaque, situation toujours très calme de notre coté. Nous nous fortifions chacun de notre coté. Le Capitaine vient de me proposer pour le grade d’adjudant, me disant que s’il me proposait pour sous-lieutenant, comme j’étais le plus jeune des sous-officiers, je n’aurais rien du tout. Ce n’est pas épatant, mais enfin je n’aurai plus de sac et j’aurai une cantine (si je passe!!!).

Nous retournons aux tranchées demain, après 1 jour de repos seulement et il pleut, il pleut, c’est épouvantable (la pluie est d’ailleurs ce qui nous ennuie le plus. Le vent et le froid ne nous gênent presque pas). Enfin tout ça passera. Le moral est excellent au régiment, ainsi d’ailleurs que la santé...............

11-13 février.

Tranchées au pont de Moncel. Attaque de la ferme du Ranzey et alertes fréquentes. Affaire de Pont-à-Mousson. Bruits fréquents de départ pour se battre là-bas.

14-16 février.

Cantonnement toujours très bon à Hoéville.

En revenant des tranchées, j’ai reçu hier tes deux colis, dont l’un m’a fait grand plaisir à cause de toutes les friandises qu’il contenait et qui, toutes, me sont arrivées en excellent état. Mais je pense que tu m’as gâté et que tout ce que j’aimais le mieux était là, réunis dans cette boîte, je t’en remercie beaucoup, je t’assure et, grâce à toi, je vais passer un Mardi-gas agréable au repos, je pense.

Je dis, je pense, car ces saletés de Boches ont l’air de s’agiter depuis quelques jours dans notre région.........ils ont fait une attaque sur un château qu’ils ont pris, mais que nous avons immédiatement repris à la baïonnette. Je dis nous: ne vas pas croire que c’est moi: ceci se passait à 2 km de nous, de sorte que nous étions sur le qui-vive, mais nous n’avons pas été attaqués. Nous avons fait plusieurs prisonniers dont un jeune officier de 18 ans qui avait 2 balles dans la tête, mais n’en était pas mort pour cela.

Le temps est toujours gris et morose, souvent pluvieux, mais bien peu de froid en ce moment.........Tante Lilia, dont j’ai reçu la lettre l’autre jour, me donne des nouvelles du Muguet qui me reconnaît sur toutes les photos qui sont chez elles! Pauvre gosse, je voudrais bien la revoir ainsi que vous toutes, mais la vie d’un homme est si peu de chose en ce moment que je n’ose espérer avoir cette veine! Enfin qui vivra verra!

J’ai reçu une lettre de 4 pages de Loulou Du Sault avec son dessin fait par Jacques. Egalement reçu une lettre de Tante Marie-Louise Moreau qui m’a laissé bien triste, la pauvre, je le comprends bien facilement et tu peux croire combien je pense souvent à elle. Reçu également une lettre de Simone Martin, toujours aimable pour moi. Elle me fait ses offres de service pour me faire des lainages, mais vraiment j’ai tout ce qu’il me faut et tous les hommes aussi.

Merci de l’alcool solidifié, mais ne m’en envoie plus, j’en ai pour longtemps avec cela, je t’assure, car je ne m’en sers pas très souvent ayant presque toujours du feu à ma disposition.

Au revoir donc, chère Maman, ne t’inquiètes pas surtout de ce que je te dis, je le fais pour vous intéresser et jusqu’à présent nous ne sommes pas en danger. Merci encore une fois de toutes tes gâteries qui m’ont régalé ainsi que l’aimable famille chez qui je suis. Ils n’avaient naturellement jamais mangé de dates de leur vie et les ont trouvés très bonnes.............

17-19 février.

Tranchées. Travaux de terrassement très nombreux. Les boches sont plus calmes.

........D’abord, que je te rassure, car avec toutes ces histoires d’attaques et avec la lecture des journaux, je te vois encore t’ennuyer. Il y a, comme tu le sais, une très forte attaque près de Pont-à-Mousson et le signal de Xon dont on parle tant dans les communiqués est l’endroit où nous nous trouvions quand nous étions de ce coté. Tu vois que le 323° a encore de la veine cette fois-ci.

Maintenant ces attaques partielles faites chez nous, c’est tout simplement une tactique de guerre qui veut que l’on inquiète l’ennemi sur différents points pour percer à un endroit précis et en l’empêchant de déplacer ces forces. C’est pourquoi, malgré ce qui se passe là-bas, nous ne bougeons pas. Mais les régiments au repos ont été transportés immédiatement en automobile à l’endroit attaqué.

Plus de 1.800 blessés viennent d’être dirigés ces jours derniers sur Nancy, par trains, autos et rivière! Sois donc tranquille de mon coté.

J’ai reçu une lettre de Grand-Mère m’envoyant 20 F de la part de Tante Marie, de l’île Maurice. C’est très agréable et m’a fait grand plaisir comme tu penses........ quant à ta boîte, il m’est très difficile de te l’envoyer. Nous sommes dans un patelin trop loin des grandes voies de communication. Chic, pour le Kodac de Jean.

Basset, qui est maintenant avec moi, vient de me photographier aujourd’hui qu’il faisait beau. Il fait développer et faire les photos chez lui. Il m’en donnera et je vous en enverrai. Quel gentil garçon, il est là, à coté de moi et écrit lui aussi. Je fais popote avec lui en ce moment, car je l’ai introduit dans "ma famille".

Enchanté de la nouvelle de l’héritier Tetlow. Préviens-moi lorsque ce sera arrivé, j’enverrai une carte de compliments à l’heureuse et aimable Maman.

Je viens de lire un numéro bien intéressant du "Miroir. C’est celui du 7 février. Il y a 2 vues d’Amance. A propos, as-tu des vues de la guerre? Vois-tu des journaux illustrés? Je voudrais savoir si tu te fais bien une idée de cette guerre qui surprend tout le monde par sa forme nouvelle et sa férocité. Sinon, tâche de voir le plus d’illustrés possibles, car cela est très intéressant. J’en vois un malheureux bout tous les mois et encore.....! et je m’y intéresse énormément.

Je te quitte, chère Maman, car je suis très occupé et ai beaucoup de choses à faire, car on nous supprime de plus en plus les jours de repos.............

20-22 février.

Cantonnement à Hoéville. Toujours chez M. Petitjean, mais avec Basset.

Je viens de recevoir à l’instant ton colis de papier à lettres, et comme tu le vois, je m’en sers. Je te remercie beaucoup. Ces correspondances (cartes de) sont très commodes pour écrire un mot comme aujourd’hui, par exemple.

Toujours au même endroit, demain nous partons pour les tranchées. Comme je te l’ai dit, je crois, je vois beaucoup Basset en ce moment et nous mangeons ensemble. Il vient de recevoir un petit appareil photo et m’a pris dans toutes les positions. La principale: ton fils tout seul, tu la recevras par un domestique de Mme Basset, directement, ce qui prendra moins de temps, les autres, je te les enverrai peu à peu.

Quel charmant camarade, je lui plais aussi, je crois, mais malheureusement, les moments où nous sommes au repos ensemble sont rares, aussi tu penses si nous en profitons.

Tu recevras un de ces jours par la poste un tout petit colis renfermant un porte-plume et un porte-crayon faits avec 2 cartouches allemandes. C’est fait par un de mes soldats et très bien réussi. De plus, en fouillant un peu partout, j’ai trouvé des douilles d’obus de 75. C’est très joli une fois astiqué, comme vase à fleurs. Nous avons eu l’idée avec quelques copains d’en faire une grande caisse adressée à Mme Basset qui t’en fera parvenir deux. Ce n’est que du cuivre et complètement déchargé, absolument inoffensif.

Après la guerre, tu recevras aussi, que j’y sois ou que je n’y sois plus, un colis contenant plusieurs objets allemands "bidons, pattes d’épaule, chargeur, etc. etc", que j’ai ramassés moi-même, sur des morts et que j’ai laissé à Bouxières avec consigne de les envoyer à ton adresse après la guerre. Ce sera un souvenir de ton combattant, mais j’espère qu’il reverra de ses propres yeux, tous ces objets......

23-25 février.

Tranchées de la ferme Ste-Marie

26 février.

Relevés par le 206° et déjeuner à Hoéville. Départ à 11h pour Laneuvelotte. Cantonnement au château de Voirincourt.

27 février.

Cantonnement au château.

Dimanche 28 février.

Cantonnement au château. Construction de fortification dans le bois de Champenoux par un temps épouvantable.

Ma chère Madeleine,

Je réponds à lettre du 22 dernier contenant la photo du Muguet ainsi que le Sacré-Coeur que m’envoie Maman. Permets-moi de te faire tous mes compliments pour ta gosse. Je t’assure que je ne l’aurais presque pas reconnue, tellement elle a changé; il est vrai que je trouve qu’elle te ressemble beaucoup et c’est grâce à cela que je la "remets", mais ce qu’elle a grandi et ce qu’elle s’est fortifiée, c’est étonnant. Elle est gentille à croquer avec son petit chien en laisse et je te remercie beaucoup d’avoir pensé à m’envoyer cette photo qui m’a fait, je te le répète, très grand plaisir.

Nous venons d’être relevés des avant-postes et sommes au repos pour le moment, en arrière du front, pour je ne sais combien de temps. Depuis 2 mois que nous étions sur le front, nous commencions tous à être fatigués et sales. J’ai donc quitté mon bon cantonnement d’Hoéville. Les adieux ont été touchants, comme au départ de Bouxières et toute la famille a tenu à m’embrasser. La pauvre vieille pleurait absolument comme si j’avais été son fils. Quels braves gens!

Nous sommes actuellement dans un château superbe aux environs de Nancy, la compagnie toute seule, de sorte que nous sommes très bien installés (chaque sous-officier a sa chambre). Les meubles n’ont pas été enlevés, bien que les propriétaires aient évacué leur demeure et il y a dans le salon qui est de toute beauté, un piano à queue sur lequel je joue avec délice ce vieux boston de Froidefond que je me suis rappelé en entier.

Le capitaine m’a surpris en train de jouer et a absolument voulu que je continue. Il m’a demandé ce que je savais!!! Tu parles!!! Enfin ce vieux "clair de lune de Werther" et les quelques petites saletés que j’écorche, ont fait ses délices. Il n’est pas difficile n’est-ce pas!?!?

La santé va toujours très bien sauf un gros rhume qui est maintenant à moitié guéri. Si je t’écris au crayon, excuse-moi, mais comme nous venons d’arriver, je n’ai pas encore déniché d’encre et c’est sur ma table, dans ma chambre que je t’écris. Quel luxe!! Mais le pauvre château, depuis 7 mois qu’il y passe des soldats, est bien dans un triste état. Si la "patronne" le voyait, en femme de ménage qu’elle doit être, elle s’arracherait les cheveux à la vue du désordre.

Figures-toi que j’apprends que quelques heures après avoir quitté les tranchées, celles-ci étaient attaquées par les Boches! Quelle veine, encore une fois de plus, si c’est vrai, mais c’est le "piston" qui me le dit et il doit avoir des tuyaux sérieux. Si je suis ainsi protégé jusqu’à la guerre, j’aurais peut-être la veine de vous revoir et de vous embrasser, ce que je souhaite si ardemment!

Et vous! J’espère que vous vous portez bien. Je suis content car, de ce coté, je n’ai pas encore eu une seule mauvaise nouvelle. Ne vous faites pas de bile pour les paquets. Cela ne m’étonnerait pas qu’ils aient du retard, le facteur ayant fait, l’autre jour, des difficultés qui seront surmontées. Quant à l’autre (douille de 75) il n’était pas encore parti le 26 et nous l’envoyons en P.V.

Dis à maman que j’ai cousu son petit "machin" à mon scapulaire que je porte toujours. Dis-lui également que je n’ai rien reçu de Lancier et que je n’ai pas appris à jouer aux cartes dans les tranchées. Par contre, je fume un peu plus que d’habitude, mais pas énormément cependant. (Pas la pipe; Heuh;)

Allons, je te quitte, ma chère soeur, car il faut que je me couche dans mon lit mais sans drap, ça ne fait rien, c’est toujours merveilleux en comparaison des tranchées ou de mon fumier...........

P.S. Dis à Roger que j’attends ses dates avec une impatience fébrile.

1-2 mars.

Cantonnement au château.

Je t’écris un mot à la hâte. Je te dis la vérité une fois de plus mais promets-moi de ne pas t’inquiéter outre mesure: Nous prenons le train demain matin à Nancy pour la Woëvre, mais je ne sais sur quel point exact. Je te dirai cela plus tard. Tu vois que notre repos n’aura pas été bien long, mais enfin nous sommes un peu retapés par 4 bonnes nuits tranquilles et sous un bon toit.

J’ai reçu hier soir le colis de Roger contenant des dattes et des petites sandales. Tu voudras bien le remercier beaucoup de ma part. Dès que j’aurai le temps, dis-lui que je lui promets une longue lettre avec des détails. Mais pour le moment je n’ai rien de nouveau à vous dire, si ce n’est que je vais toujours à merveille et que mon rhume est complètement passé.

Le temps, par exemple, n’est pas beau et nous avons des giboulées terribles de grêle, de neige et de pluie. Mais ton caoutchouc me sert toujours, car nous avons été faire des tranchées et des boyaux dans un bois aux environ du château et nous avons été trempés comme des soupes............

3 mars.

Départ du château à 8h pour Nancy. Embarqués à Nancy-St-Georges à 12h. Débarqués à Toul. Départ de Toul à 2h pour cantonner à Menil-la-Tour où nous couchons.

4 mars.

Cantonnement à Menil-la-Tour.

Comme je te l’ai dit, nous sommes partis pour la Woëvre. Nous sommes entre St-Mihiel et Pont-à-Mousson, au sud de Thiancourt, qui est aux mains des Allemands, par conséquent sur le coté sud-ouest de la pointe que fait l’ennemi sur St-Mihiel. Nous sommes très nombreux comme soldats et cela ne m’étonnerait pas que l’on veuille, le plus tôt possible, chasser les Boches de cette pointe.

Le canon tonne continuellement et ce n’est qu’un grondement ininterrompu dans cette région. Nous sommes encore en arrière de la ligne de feu, mais nous n’allons pas tarder à occuper les tranchées car on vient de donner aux sergents un périscope de tranchées employé dans le nord pour voir par-dessus le tranchée sans sortir la tête.

Différents bruits courent sur ces tranchées; les uns disent qu’elles ne sont pas mauvaises, les autres disent que nous avons énormément de pertes de ce coté. Je n’en sais rien et je te dirai ce que je vois et ce que je sais sûrement, c’est encore cela seul que l’on peut croire. Mais le fait est que la région est garnie de troupes, qu’il y a là un remue ménage de voitures, d’autos, d’autobus, etc.. auquel nous ne sommes pas habitués. C’est en sommes la vraie guerre que nous commençons, n’ayant encore pas vu grand chose là où nous étions.

Mais le moral et le physique sont absolument excellents chez tous! Et cela fait bien plaisir à voir, je t’assure.

..........Basset m’a donné ma photo et m’en fera venir d’autres où je suis dans différentes situations et avec différentes personnes. Je te les enverrai dès que je les aurai. Mais tu dois avoir la mienne, Mme Basset ayant dû te l’envoyer. As-tu reçu le porte-plume? Je suis bien content que tu vois de bonnes photos, cela doit t’intéresser et je serai bien heureux d’en voir aussi. Mais après la guerre, je demanderai à Mme Grouillard de me prêter ses "Illustrations".

Tu m’apprends que Jean du Sault est légèrement blessé et est à Toulon. Le pauvre, à quelle partie du corps est-il touché? Et a-t-il beaucoup souffert? Je vais d’ailleurs lui écrire sitôt que j’aurai le temps............

5 mars.

Départ à 1h du matin pour cantonner à Bernécourt, dans les caves. Le 5° bataillon aux avant-postes. Plusieurs blessés.

6 mars.

Garde-police à Bernécourt (cave).

7 mars.

Départ à minuit ½ pour les avant-postes. Tranchées de 2° ligne. Bois du Jury. Vive canonnade et fusillade continuelle. (1 mort, 2 blessés à la 22°) (1 blessé à la 23°)

(Tranchées)

Je vais te donner aujourd’hui quelques détails sur notre nouveau secteur et sur la nouvelle vie qu’il nous procure. Eh bien! Ce n’est pas drôle! C’est bien la vraie guerre, brutale, horrible, telle que la décrivent les journaux et telle que nous ne l’avions pas encore vu depuis 7 mois que nous sommes en guerre.

Nous occupons des tranchées découvertes variant comme distance avec celles des Allemands de 23 à 60 mètres et en rase campagne, pas dans les bois, de sorte qu’on ne peut lever la tête sans recevoir une grêle de balles. On y vient la nuit par des boyaux de plusieurs kilomètres de long dans lesquels on est dans l’eau jusqu’à la cheville quand on n’y enfonce pas plus. Comme ravitaillement, nous ne touchons que du pain et de la viande froide une fois par 24 heures, la nuit, impossible de faire du feu. Sous la pluie continuellement.

Les obus pleuvent sur nous assez nombreux, mais pas autant cependant que pendant l’attaque d’Amance, au mois d’août et septembre, mais font des blessés et des victimes dans une proportion de 3 ou 4 par jour par bataillon. Nous restons là 3 jours et nous reposons? 3 jours dans un village si souvent bombardé que l’on n’en peut habiter que les caves. D’ailleurs, les maisons sont pour la plupart démolies!

De plus, nous sommes si près que le génie creuse sous terre jusque sous les tranchées ennemies et les fait sauter à la mine. Les Boches en font autant et hier une tranchée d’un régiment, à notre droite, a ainsi sauté.

La nuit nous nous lançons mutuellement des fusées lumineuses et des grenades à mains! Ce qu’il y a de plus horrible c’est de voir entre nos tranchées et celles des ennemis des morts au nombre de 250 à 300 que l’on ne peut aller chercher. Ils sont là depuis le 30 décembre, date à laquelle a eu lieu une attaque de notre coté. Ce spectacle est véritablement repoussant et l’on pense à l’horrible mort de ceux qui, blessés seulement, n’ont pu regagner nos tranchées et sont morts de froid ou de faim à quelques mètres des leurs, incapables de les secourir.

J’ai peut-être tord de te dire tout cela mais ma foi, j’ai pris le parti de tout te dire, car j’ai vu que ce que je ne t’ai pas dit au début de la guerre, tu l’as su par d’autres. Malgré cela, bonne santé, très bon moral chez tous, mais les pieds mouillés continuellement et sales, sales, tu ne peux t’en faire une idée. Nos capotes ne sont plus bleu clair, elles sont jaune terre! Je ne sais si nous resterons longtemps ici, dans ce secteur qui n’est pas le nôtre. Notre division prête des régiments à la division d’ici, c’est ainsi que nous relevions le 257 et le 344 qui d’ailleurs avaient assez souffert, ayant pris part à l’attaque du 30 décembre.

Que je te remercie de m’avoir envoyé ce caoutchouc, quelle excellente idée et combien il me sert, beaucoup de copains s’en sont fait venir de pareils.

A propos d’envoi, tu seras bien aimable de m’envoyer un caleçon de laine, je ne sais comment j’ai fait, mais j’en ai un tout déchiré. Ah! et puis aussi une ceinture de flanelle mais pas comme la dernière, une ordinaire qui se roule autour du corps comme les ouvriers, cela serre plus et est plus chaud. Je te remercie d’avance. Donne-moi, lorsque tu en auras, des nouvelles de Jean du Sault.

Ma lettre dernière a dû te faire comprendre où j’étais à peu près, encore en Meurthe et Moselle mais sur la "frontière" de la Meuse et à hauteur des deux villes citées dans l’autre lettre. Le plus ennuyeux est qu’à cet endroit, il n’y a pas de fil de fer, de sorte que la nuit nous sommes continuellement baïonnette au canon, le doigt sur la gâchette, sans fermer l’oeil, par n’importe quel temps. C’est dur et les avant-postes d’autrefois n’étaient presque rien à coté de ceux-ci.

Ne sois pas trop inquiète malgré tout car lorsqu’il n’y a pas attaque, comme c’est le cas en ce moment, il n’y a pas grand chose à craindre, la compagnie n’a pas encore eu un seul blessé pendant ces trois jours! Et puis cela ne durera qu’un temps...... N’affole pas les Rochelais!..........

8 mars.

Mêmes tranchées.

9 mars.

Relevés à 4h. Retour à Bernécourt et repos toute la journée. Froid vif.

10 mars.

Travaux dans le bois sans nom. Promenade superbe sous la neige dans le bois de la Hazelle.

11 mars (mi-carême!).

Départ à 1h du matin du bois sans nom pour les tranchées de première ligne (2km de boyaux). Fusillade ininterrompue. 40m des Boches. Cadavres français au nombre de 250 à 300 entre nos tranchées et celles des Allemands. Canonnades continuelles. Sapes faites par le génie. La nuit: fusées éclairantes, crapouillaud, etc..

12 mars.

Idem.

........Merci beaucoup des violettes qui m’ont fait penser à La Rochelle. Excuse mon écriture, mais c’est vautré sur un coin de la tranchée que je t’écris.

Nous nous habituons peu à peu à notre malheur mais je ne te cache pas que nous sommes très mal (danger, hygiène, les morts qui sont à quelques pas de nous empoisonnent. De plus nous avons continuellement les pieds dans l’eau, et je ne sens plus les miens, je comprends très bien qu’il y ait des pieds gelés).

Les balles sifflent très nombreuses ici mais sont inoffensives si on ne fait pas l’imprudence de passer la tête au-dessus de la tranchée. Mais les obus tombent bien près car tu penses que depuis le temps l’artillerie nous a repérés. Mais la nôtre en fait autant et c’est là que nous pouvons admirer le "75" qui tire épatamment à quelques mètres de nous sur les tranchées Boches, sans nous toucher. A l’aide de mon périscope, je vois très bien les tranchées de nos ennemis et des casques qui dépassent quelquefois!

Malgré tout, nous sommes assez gais. Le régiment à moins souffert que ses précédents et depuis 8 jours n’a eu que 2 morts et 6 blessés (personne à la compagnie).

J’ai entendu dire, comme toi, mais pas officiellement, que l’on allait supprimer la correspondance. Ce serait idiot, je crois, car cela démoraliserait le soldat, dont c’est la seule distraction et ferait grogner les civils (mères, femmes, fiancées, etc. etc.). J’ai reçu beaucoup de lettres dernièrement: une d’Anne, très aimable; une de Loulou qui m’écrit de temps en temps et me donne des détails sur la blessure de Jean; une de Mimi Balmary qui me demande de quoi j’ai besoin. Tu vois que je suis gâté, et j’en suis content car rien ne fait plaisir comme d’entendre son nom à la distribution.

Je suis content que tu aies le porte-plume et la photo. La famille Basset est très aimable pour nous! Quant au porte-plume, fait le ouvrir à Roger, il n’y a qu’à tirer sur les balles et cela vient tout seul..............

P.S. J’ai oublié de te dire que la lettre que j’avais écrite à Tante Marie-Louise Triaud m’est retournée avec "Inconnu fonderies Ruelte".

13 mars.

Idem. Départ à 11h du soir. Relevés par le 163°. Retour à Bernécourt pour reprendre les sacs.

14 mars.

Départ de Bérnécourt à 1h du matin pour aller cantonner à Mandres-aux-4-Tours. Les hommes sont fatigués. Repos.

15 mars.

Je vais avec le Capitaine reconnaître le nouveau secteur. Départ à 3h. Retour à 19h.

16 mars.

Repos. A 18h30, départ pour les tranchées où nous relevons le 206°.

Je t’envoie ci-dessus une vue de nos tranchées, tu vois que les horizons ne sont pas très variés, de la terre toujours et partout. Ce dessin est fait par un de mes camarades avec qui je vie presque continuellement. C’est un soldat nommé Neveux, peintre à Fouras. Il connaît beaucoup l’oncle Alfred qui est un de ses clients et qui, d’après ce qu’il dit à la femme de mon copain, est inquiet sur mon compte ainsi que sur celui de toute ma famille qui ne lui a pas écrit depuis fort longtemps.

Nous avons encore changé de secteur depuis avant-hier et nous sommes rapprochés de St-Mihiel. Le nouveau secteur n’a plus de boue, mais de l’eau tout simplement, il y en a une profondeur de 50cm à certains moments. On nous donne bien des chaussures en caoutchouc, mais l’eau les dépasse toujours. Par contre nous sommes un peu moins près des Boches et l’on essuie moins de coups de fusils, mais autant de canon. En somme: Kif, Kif.

Hier, j’ai reçu avec un vif plaisir ton colis de caramel mou. Merci beaucoup, tu me gâtes véritablement car tu sais que j’aime énormément ce genre de friandises. J’ai reçu une lettre de Simone Martin toujours très aimable, personne ne m’oublie et je suis bien touché, je t’assure.

Ah! Jean Chagnaud m’a écrit aussi une longue lettre dans laquelle il m’attrape presque parce que nous n’avançons pas! Le fait est qu’ils font de la bonne besogne de son coté. Quant à moi, j’obéis à mes chefs et fais ce qu’on me dit, c’est comme cela que je fais le mieux mon devoir, qu’en dis-tu?

Le bruit de la suppression de la correspondance est faux et a une source allemande; il a été mis au jour par des agents de cette sale race pour démoraliser les troupes, mais il nous a été démenti...........

17 mars.

Tranchées mal faites, sans boyaux. Le jour on ne peut bouger. On ne communique que la nuit. Beaucoup moins de fusillades, mais le 77 tape souvent sur les tranchées. Sergent et 6 hommes vont chez les Boches.

18 mars.

Mêmes tranchées.

19 mars.

Idem. Caporal Leboeuf tué d’une balle au ventre. Seicheprey est bombardé et il y a 1 officier et 5 hommes touchés.

20 mars.

Relevés par le 206°. Prenons nos sacs à Mandres et allons cantonner à Hamonville.

21-22 mars.

Cantonnement à Hamonville. Beau temps.

...........J’ai reçu beaucoup de choses de toi:........3°: un petit paquet contenant une bande de caoutchouc. 4°: un paquet contenant un caleçon et une ceinture de flanelle que je t’avais demandé........... je ne savais pas que les caramels mous étaient faits par cette bonne Madeleine Tu me demandes lesquels étaient les meilleurs, ma foi, ils étaient excellents tous les deux et ont plu également à mon palais et à ceux de mes plus proches copains à qui j’en ai offert, comme d’ailleurs tout ce que nous recevons de "chez-nous!".

Ah! Ce "chez-nous", ma chère Maman, le reverrons-nous un jour, et quand?! Je suis un peu, je te l’avoue, dans un de mes jours de cafard et en envisageant les choses, je ne vois vraiment pas quand cette horrible guerre va finir! Pour moi, je crois que jamais les armes ne suffiront à déloger ces sales Boches de chez nous, et pourtant il nous faut les écraser si nous ne voulons pas être écrabouillés à notre tour dans quelques années..... Alors, je ne vois pas d’issu possible avant 1 an, 2 peut-être, à moins d’un coup de théâtre inattendu!

Nous sommes toujours au même endroit, au repos aujourd’hui, mais dans les ruines d’un village où nous ne trouvons rien! Un de nos caporaux a été tué hier d’une balle dans le ventre, c’est la seule victime de la compagnie mais les autres ont eu 5 blessés et 1 tué dont un Lieutenant qui a une cuisse emportée.

De plus, un fait bizarre a eu lieu. 3 cuisiniers et un sergent se sont égarés la nuit en venant nous porter à manger et sont allés......dans les tranchées allemandes qui naturellement les ont faits prisonniers. Ce sont 2 autres cuisiniers qui les ont suivis mais qui ont pu s’échapper qui nous l’ont raconté. Ce n’est pas étonnant, nous sommes si près, et il fait si noir pendant ces nuits-ci.

La santé est toujours bonne ici mais je crois que le moral commence à s’attaquer dans le régiment qui depuis 3 mois n’a pas un moment de repos. Cependant le temps est très beau depuis 2 ou 3 jours et un soleil radieux fait ce qu’il peut pour nous égayer. C’est aujourd’hui le premier jour du printemps et vraiment c’est une journée superbe. Je suis étendu sur l’herbe d’une prairie et il y avait longtemps que je n’avais pu le faire. Excuse donc mon écriture vraiment par trop négligée.

J’espère que ton rhume qui te retenait l’autre jour à la maison, n’a été qu’une fausse alerte et que tu es maintenant complètement remise. Quoi te dire maintenant, tant notre vie est monotone, nous repartons demain pour nos "agréables" tranchées, nous tâcherons de nous en tirer comme les autres fois.

23 mars.

Tranchées toujours les mêmes. La pluie revient.

24 mars.

Idem. Fièvre.

25 mars.

Mêmes tranchées.

Ma chère Madeleine,

Je reçois à l’instant la lettre de Maman écrite le 20 et quoique très mal installé, sous la pluie, j’y réponds tout de suite.

Nous avons eu très beau temps depuis 7 à 8 jours, mais, depuis cette nuit, il ne fait que pleuvoir et ce qui est à peu près supportable avec le soleil, devient très dur par mauvais temps. Dis à Maman que je viens d’avoir une petite indisposition de 48 heures, complètement passée maintenant et due à je ne sais quoi!

Nous étions l’autre jour à peine arrivés aux tranchées, que j’ai été pris d’un fort accès de fièvre. J’ai été obligé de rester couché, couvert de plusieurs couvertures que m’ont gentiment prêtées des copains. Je grelottais, n’avais pas faim, enfin mal fichu et souffrant de courbatures aux épaules, coudes et genoux, etc. etc. Enfin cette nuit a été meilleure et ce matin je vais tout à fait mieux.

Ne vous inquiétez donc pas car tout est passé je ne souffre plus du tout. Mais pour comble de malheur, on nous a doublés cette fois la durée de notre stage dans les tranchées. Mais le capitaine m’a exempt de tout service de sorte que je peux dormir la nuit.

J’ai reçu avec plaisir la photo des infirmières ce qui m’a réjoui le coeur - il y avait si longtemps que je n’avais vu ces sympathiques visages rochelais. J’ai reconnu Mlles Chasteret de Géry - Bertrand - Migeon - Harriet - Mörch - Ducor - Raoul - Re - Ducor - Louise Mörch - ainsi que Mmes Chagnaud - Mathieu - (et l’autre?) - Migeon. J’ai oublié de nommer les 2 bonnes soeurs rencontrées si souvent à La Rochelle. Vous êtes toutes mignonnes à croquer, mais pourquoi diable as-tu ta décoration à droite alors que toutes ces dames l’ont à gauche?

Nous sommes ici toujours tout près des Boches qui sont relativement sages. Seuls les artilleurs nous bombardent et tuent ou blessent quotidiennement quelques-uns d’entre nous, mais jusqu’à présent la compagnie est dans les heureuses et n’a eu qu’un caporal tué (balle au ventre).L’avant dernière nuit toutefois, il y a eu une sorte d’alerte. Tout le monde s’est mis à tirer sans aucune raison et à craindre mutuellement à une attaque, Français et Boches ont envoyé des fusées éclairantes avec une telle profusion qu’on se serait cru au feu d’artifice du 14 juillet. On y voyait comme en plein jour. Mais j’étais si mal fichu que je ne suis même pas levé. Je n’aurais d’ailleurs pas pu tellement mes jointures me faisaient "d’au maux".

Mais notre artillerie travaille, elle aussi, et je crois que ces jours-ci le bois Mortmare dont tu as entendu probablement parlé et qui est en face de nous, a dû prendre quelque chose! Tant mieux!

Pendant que j’y pense, notre secteur postal a encore changé par suite de notre glissement vers St-Mihiel. C’est maintenant le numéro "123" décidément on nous change souvent; enfin il ne faut pas se plaindre car les correspondances vont en ce moment plus vite que jamais.

Et ton pauvre Jean, ma vieille, il va bien? Il m’a écrit l’autre jour qu’il était en Champagne et Maman me dit qu’il est au fortin de Beauséjour et à Mesnil-lès-Hurlus. Ces noms sont assez souvent cités dans les communiqués officiels pour qu’on sache qu’il s’y passe quelque chose de sérieux.

Remercie Maman de tous les détails concernant l’oncle Pierre Cela m’intéresse beaucoup. Il se peut en effet que, prisonnier en France ou en Belgique, il ne puisse écrire, puisque à ceux qui sont dans ce cas, toute communication est interdite.

Quant à l’affection que je porte à Tante M.L. Moreau, cette pauvre femme je la trouve tellement à plaindre que j’en suis touché au dernier point et puis c’est une famille tellement aimable et bonne pour nous tous que je prends une très grande part à leur grosse peine. Je te quitte, chère soeur, car nous sommes si mal installés pour écrire, que l’on attrape des crampes à chaque instant.

Dis à ce brave Roger de tâcher de se remettre et de venir un peu nous trouver à la ligne aux beaux jours quand on ne craindra plus les rhumatismes. Je lui dois toujours une lettre, dis-lui bien que je ne l’oublie pas!

Au revoir, ma chère Madeleine, embrasse bien fort, mon vieux camarade Muguet, Roger, sans oublier cette brave femme de Mère...........

26 mars.

idem.

27-29 mars.

Cantonnement à Mandres-aux-4-Tours. Promenades charmantes avec Basset.

......Nous sommes aujourd’hui toujours au même point, mais ni dans les tranchées, ni au repos. Nous occupons des caves dans un village tout près des tranchées. Ma section est au presbytère et nous sommes bien, mais hélas ce village reçoit depuis 6 mois une moyenne de 50 obus par jour, tu vois dans quel état il se trouve. Nous y restons 24 heures et irons ensuite dans des tranchées pendant 3 jours. Hier, bombardement général de tous les villages aux environs, même celui du quartier général de la division. Il y a eu plusieurs morts et blessés dans tous les villages, personne au régiment. Je crois que le 206 est repéré plus spécialement, ma parole, il écope toujours!

Hier à l’issu de la messe à laquelle j’ai pu aller, j’ai vu avec surprise Pierre Combeau qui est au 206 depuis le 10 août, je ne l’avais pas encore vu. J’ai passé ma journée un peu avec lui, mais beaucoup avec Basset qui est toujours le même camarade d’une éducation, amabilité, etc. Remarquables. Nous sommes tout à fait maintenant une paire de "vrais amis". Il m’a donné quelques photos que je t’envoie. Les autres, Mlle Basset a eu l’amabilité de te les donner elle-même. Tu voudras bien, je te prie la remercier de ma part, si tu vas lui faire visite.

J’ai écrit aux Triaud de Fouras une carte de correspondance, l’autre jour. Quels sont les amis qu’amène Roger à la maison et est-ce que je les connais? Comment va Roca et où est-il? Je te demande pardon de tout ce questionnaire mais tout cela m’amuse au fond de mes caves ou de mes tranchées.

Mon Dieu, quelle existence! Nous nous cachons continuellement. Dominé par le "Mont-Sec" (337m) aux mains des Allemands nous ne pouvons faire un pas sans qu’ils nous voient, d’où le bombardement immédiat de tel ou tel village, telle ou telle tranchée. Nous ne sortons que la nuit et tous les déplacements, ravitaillements, etc... ne se font que la nuit. Ce n’est pas le caractère français cela. Le Français, lui, fait la guerre "ouvertement", la poitrine en avant, en brave. Ces sales Boches se cachent, se terrent à 5 mètres de profondeur, en lâches! Mais que veux-tu, si nous ne faisions pas comme eux, nous irions à la boucherie, mais ils le paieront.

Je serai au repos le Dimanche de Pâques, si tout va régulièrement, et je te promets que je ferai l’impossible pour communier. Je connais, dans notre village de repos, un caporal infirmier qui est prêtre et qui est un gentil camarade et à qui je demanderai de me confesser!............. (joint: une photo prise en février 1915 à Hoéville et une violette.)

30 mars-1 avril.

Tranchées. Bombardements assez intenses de nos tranchées, heureusement sans résultat.

3-4 avril (Pâques).

Cantonnement à Mandres-aux-4-Tours. Promenades avec Basset. Bruits fréquents d’attaques.

...........Les correspondances vont très vite en ce moment, car, même aux tranchées, je reçois très rapidement les lettres à moi adressées.

Mon indisposition dont j’ai parlé l’autre jour à Madeleine est complètement passée et aucune douleur nouvelle n’est venue m’ennuyer. Tant mieux, car ce qui est supportable lorsqu’on se porte bien, devient intolérable lorsque l’on est tant soit peu "patraque".

Je suis au repos depuis hier et je couche dans la maison à coté de celle qui abrite mon excellent ami Basset avec lequel je suis continuellement, pendant la journée. Ainsi, c’est assis sur des caisses de cartouches pour mitrailleuses, à coté de lui, que je te donne de mes nouvelles. C’est véritablement un bien charmant camarade avec lequel on oublie de temps en temps la sale situation dans laquelle nous nous trouvons depuis si longtemps.

Depuis hier, circulent ici des bruits contradictoires de relève et d’attaque. Lesquels sont vrais? Je n’en sais rien quoique je suppose que nous ne sommes pas pour bien longtemps encore dans ce secteur.

La compagnie continue à avoir de la veine, car c’est une de celles dont le secteur est le plus assaisonné par les "77" et celle qui a le moins de morts et blessés. Nous sommes certainement protégés! De Lignerolles a en effet été un peu souffrant, mais je n’ai pas entendu dire qu’il eut été évacué ou même envoyé à l’arrière, je l’ai toujours vu avec nous. Il va tout à fait mieux maintenant.

.........J’ai demandé à Roger une peau de bouc qui me servira bien pendant les chaleurs. Si tu m’envoies un colis, tu seras cependant bien aimable d’y joindre un saucisson. Voila 8 mois que j’ai envie d’en manger et ici on ne les fait pas comme à Lyon ou même à La Rochelle et puis l’on n’en trouve que très rarement. Ici l’on ne peut se réapprovisionner que très difficilement car l’on ne peut sortir que la nuit, mais nous avons tout de même quelques conserves et un peu de vin, c’est tout ce qu’il nous faut.

Le temps se met peu à peu au beau et le soleil vient nous apporter de temps en temps de jolies journées qui nous réconfortent et nous désinfectent....... et nous en avons besoin!!

Merci de m’apprendre la naissance Tetlow. Dès que j’aurais un moment, j’écrirai à l’heureuse maman pour la féliciter de tout mon coeur. J’ai reçu, en effet une seconde lettre de Tante Lilia, à laquelle je vais répondre un de ces jours. Elle est bien aimable de penser ainsi à moi, car elle doit avoir une sérieuse correspondance en ce moment. Elle dit qu’elle a reçu dernièrement une lettre du Général d’Amade qui est toujours on ne peut plus aimable pour elle!

Je n’oublierai pas les 2 adresses que tu me donnes, et en cas de blessure, je demanderai à voir une de ces aimables dames. Ce sera plus vraisemblablement celle de Nancy, quoique, d’ici, c’est sur Toul que les blessés sont dirigés.

Je te quitte, chère Maman, car je dois commander une corvée de bois et la nuit vient. Il faut aller chercher ce dernier dans une forêt qui est à 5km d’ici et abattre les arbres en pleine nuit! Quelle existence! Mon Dieu.

5 avril.

Tranchées de la Rémières. Déclenchement de l’attaque. Bombardement épouvantable des tranchées ennemies qui sont bouleversées. Nous essuyons un bombardement très intense. 1 blessé à la section.

6-10 avril.

Mêmes tranchées. Quotidiennement, attaque et bombardement de nos tranchées. Plusieurs morts et blessés. Pluie continuelle. Séjour très fatiguant.

8 avril.(Tranchées)

Pardon de mon long silence, mais tu dois voir sur les journaux qu’il se passe quelque chose de notre coté. Je ne veux pas t’en dire plus long car les correspondances sont très surveillées en ce moment. Laisse moi te dire que le régiment n’a pas trop de pertes, malgré la pétarade qui est énorme de part et d’autres.

Je vais très bien, mais n’ai pas vu les autres Rochelais depuis le 4, car depuis nous sommes continuellement dans les tranchées et il pleut, il pleut! On dirait que c’est un fait exprès. Ne t’inquiète pas; la compagnie est comme toujours protégée: 1 mort et 4 ou 5 blessés.

J’ai reçu une affectueuse lettre de Jean. Je te donnerai tous les détails que je pourrai dès que possible, pour le moment, je me contente de te dire que je vais bien............

P.S. J’ai pu me confesser et faire mes Pâques.

9 avril. (Tranchées)

Nous sommes toujours dans les tranchées et pas prêts, je crois à être relevés, car tout le monde est occupé par ici. Je vais toujours bien et profite d’un moment d’accalmie pour venir te dire un petit bonjour.

Hier, nous n’avons eu qu’un blessé, mais les 22 et 23 compagnie ont un peu plus souffert. Enfin c’est un mauvais moment à passer. La pluie vient se joindre à nos embêtements au lieu de se tenir tranquille et rend ainsi notre long séjour dans les tranchées encore plus pénible. Pas de nouvelles des Rochelais puisque nous n’avons pas bougé de place. Le 206 a encore trinqué, le pauvre, mais il a réussi à prendre 3 tranchées...........

10 avril.

Toujours même situation, la mitraille est un peu moins violente depuis hier, mais la pluie est toujours aussi forte et aussi insupportable. Nos pieds gonflent et la peau est comme si nous avions pris un bain de longue durée. Tu vois une marche dans ces conditions! Nous les enveloppons avec nos couvertures après nous être déchaussés, mais tout est mouillé et plein de boue. C’est dégouttant. Un homme de ma section a même été évacué hier avec un pied gelé! Quel temps pour un mois d’avril!

Je vais toujours bien malgré tout, mais pas de nouvelles des autres Rochelais. Pas de mauvaises nouvelles non plus d’eux. C’est notre plus long séjour dans les tranchées, aussi nous ne mangeons pas très bien car nous n’avons absolument que l’ordinaire qui, préparé à 4km en arrière, nous arrive froid, plein d’eau et de boue. Enfin c’est la guerre!

Ne t’inquiètes pas outre mesure, je suis toujours très gai et blague avec mon Capitaine qui est vraiment épatant............

Dimanche 11 avril.

Nous changeons de place avec la 1° section un peu éprouvée.

........... Rien de toi depuis longtemps déjà. Enfin je ne m’inquiète pas, car les correspondances ont reçu depuis quelques jours une forte perturbation dans cette région.

Toujours dans les tranchées. Toujours des obus, toujours des balles et toujours de la pluie. Mais aussi toujours bonne santé! Tu seras bien aimable de m’envoyer, quand tu le pourras, 2 paires de chaussettes. C’est effrayant, comme par ces temps humides, les chaussettes, toujours mouillées, se percent!

Je crois que les affaires vont bien pour nous de notre coté ainsi que du coté des Eparges! Mais pour cela, tu le sais mieux que moi, car nous vivons ici isolés du monde, sans nouvelles et ne pouvant nous tenir debout que la nuit...........

12-15 avril.

Mêmes tranchées. Pluie et bombardements continuels. Les attaques se succèdent toujours à notre droite. Nous sommes exténués, les pieds gonflés, mal nourris. Le Commandant est légèrement blessé. Nous avons quelques pertes. Adjudant Baudry tué. Sommes cités à l’ordre du jour pour notre endurance. Le 206, à notre droite, prend 3 tranchées.

12 avril.

........Nous sommes toujours dans les mêmes tranchées mais, aujourd’hui, le soleil a daigné se montrer, de sorte que nous sommes tous un peu plus gais. J’ai reçu, en même temps que ta lettre, une aimable carte de Gaby Martin. Je ne me rappelle pas exactement son adresse, mais je crois que c’est: 3, rue Cuvier. N’est-ce pas?

Tu vois dans les journaux des progrès que nous faisons par ici. Dieu veuille que cette offensive réussisse entièrement. Mais ces Boches sont terriblement sauvages. Cette nuit ils ont attaqué, par surprise, une tranchée voisine de la nôtre et se sont battus à coups de couteau! Chose pourtant interdite par les règlements de la guerre, puisqu’ils fusillent les blessés qui ont sur eux des couteaux à crans d’arrêt! Mais ils en font tant!

J’ai rêvé cette nuit amoureusement de Mademoiselle Vast Vimeux. Je me fiançais avec elle au retour de la guerre! Au réveil, quelle triste réalité.........

13 avril. (Tranchées)

Aujourd’hui, un peu moins d’obus et un peu plus de soleil. Aussi nous sommes heureux et j’en profite pour t’écrire un peu plus longuement. Un de mes hommes a sorti de son sac une bouteille d’encre et veut bien me la prêter, mais je t’écris sur mes genoux. Excuse donc l’écriture.

Je suis à me demander, comme tous ici, quand nous serons relevés. Voila 10 jours de suite dans les tranchées et c’est bien dur, je te promets, surtout avec la pluie et les obus. Pour nous faire prendre courage, on nous a dit que le régiment allait être cité à l’ordre du jour ainsi que le 206°. Le premier pour son "endurance dans les tranchées sous le feu de l’ennemi", l’autre, pour avoir enlevé, le même jour, 3 tranchées à l’ennemi. Mais n’est-ce pas pour nous faire prendre patience? En tout cas, nous sommes tous un peu fatigués par le manque de sommeil et la mauvaise nourriture.

Et encore, j’aurais bien tort de me plaindre car, quoique presque toutes les nuits sur le qui-vive, je ne prends pas la faction et peut m’assoupir une heure de temps en temps. De plus, le Lieutenant qui est plus un copain qu’un chef, je te l’ai déjà dit, m’invite à sa "table", de sorte que j’ai des petites douceurs en plus, mais les officiers, en ce moment, sont logés à la même enseigne que nous.

Je n’ai plus de papier à lettre ou presque et te serais reconnaissant de m’en envoyer un petit colis comme l’autre fois, joins-y, je te prie, quelques cartes-lettres. C’est très commode et n’est pas lourd à traîner.

J’ai reçu, ce matin, une lettre de Jeanne Bouillon, en réponse à celle que j’avais écrite, l’autre jour, à ses parents. Elle est très triste de sa séparation avec son mari, de la perte de son bébé, de plusieurs deuils de cousins germains. Elle me raconte les heures pénibles qu’elle a passées au début de la guerre. Elle est assez affectueuse, cependant, elle me dit textuellement ceci: "Je ne comprends pas le silence assez étrange de ta mère et de ta soeur. J’ai écrit, aussitôt rendue à Fouras, pour faire part de notre grand malheur, ta mère me répondit de suite; depuis j’ai envoyé 2 lettres et j’attends toujours de ses nouvelles. Madeleine n’a pas écrit au premier de l’an, ni pour la mort de notre chéri. Mes parents et moi avons été très sensibles à cette indifférence. Que signifie ce retard à nous accuser réception de nos lettres." Tu vois bien que c’est bien toujours la même famille horriblement susceptible!

J’ai appris avec plaisir que Ninette était parmi vous. Est-elle toujours aussi jolie, élégante et bien faite? La dernière fois que je l’ai vu, le 25 juillet 1914, elle promettait de devenir une bien belle femme. A propos de femmes, je me demande comment je vais me tenir après la guerre quand j’en verrai. Je suis, à mon grand regret, devenu d’une grossièreté inouïe et ai des expressions on ne peut plus soldatesques. Enfin ce sera une ré-éducation à faire, mais avec quel plaisir.

Et Roger. Comment va-t-il? Quel veinard tout de même et quelle différence de vie nous menons tous les deux. Je n’en suis pas jaloux, car si j’en reviens, je serai tout aussi heureux que lui, même plus, mais je ne peux m’empêcher de dire qu’il a de la chance d’avoir ainsi des permissions pour aller voir ses parents, de manger à une table, ce qui ne m’est pas arrivé depuis Hoéville, de coucher dans des draps, ce qui ne m’est pas arrivé depuis décembre à Bouxières.

Ah! Bouxières, c’est et ce sera toujours un bon souvenir pour moi. Ce n’était plus la guerre. J’avais une popote avec de bons camarades, chez une jolie femme avec le mari de laquelle je faisais de bonnes promenades. Ce dernier n’était pas encore mobilisé, ayant un bras malade. Il est parti depuis, d’après ce que m’a écrit sa femme. Lui était mineur, t’ai-je dit qu’il m’avait emmené dans le fond de sa mine profonde de 1.200 mètres. Oui, je crois. Mais voila plus de 4 mois que nous n’y avons cantonné. Espérons que nous y retournerons nous y reposer!

Je suis bien content que tu aies reçu les douilles d’obus. N’est-ce pas que, bien astiquées, elles font bien comme vases à fleurs. Et puis, elles sont authentiques, tirées et ramassées sur un champ de bataille. D’ailleurs, en temps de paix, il est impossible d’en avoir. Je voudrais bien pouvoir t’envoyer un obus entier, vide naturellement, mais ici je ne peux rien faire. Nous sommes en dehors de toute vie civilisée.

Et bien, j’espère que cela marche de notre côté! Jean ne pourra plus dire que nous ne f.... rien comme il me l’a écrit. Si seulement l’Autriche demandait la paix et si l’Italie se mettait avec nous, quels 2 beaux atouts dans notre jeu, mais voila 6 mois qu’on nous berce vainement avec cette espérance.......Dis à Ninette de m’écrire, c’est la seule de mes cousines qui ne l’ai pas fait...........

14 avril. (Tranchées)

Ce matin, bombardement un peu vif, mais sans blessés à la compagnie; Hier le Commandant Millet a été légèrement blessé: un éclat d’obus lui a coupé un peu de peau sur le crâne et l’a fait énormément saigner, mais sans aucune gravité, de sorte qu’il se trouve aujourd’hui encore au milieu de nous et très bien portant.

Le bruit qui courait que le régiment était cité à l’ordre du jour, est en partie vrai, mais ce n’est que notre bataillon. Voici d’ailleurs le texte exact. Commandant Millet et son bataillon "est depuis 9 jours en entier dans les tranchées inondées de 1° ligne et a subi des bombardements très sérieux les 5,6,7,8 et 9 avril. Devant être relevé, le 10° jour, par un bataillon du 340 durement éprouvé au combat de Mortmare, a déclaré à l’unanimité qu’il restait aux tranchées tant qu’il faudrait pour permettre aux camarades du 340 de prendre tout le repos dont il aurait besoin."

Le 5° bataillon était occupé ailleurs et n’a pas eu la chance de se distinguer. Nous sommes très heureux et très fiers que notre endurance et notre fatigue aient servi à quelque chose. Nous serons relevés demain je crois et ce ne sera pas trop tôt, car nous sommes tous exténués.

J’ai reçu cette nuit la carte collective que vous m’avez envoyée le 10 courant. A tous merci. Donne-moi donc l’adresse de Tante M.L. Triaud que je lui écrive. C’est la seule parente a qui je n’ai pas donné de mes nouvelles. Et, en même temps, l’adresse de Tante M.L. Moreau à Marseille (ou Toulon??)

La santé est très bonne, nous avons un peu de pluie aujourd’hui, mais le soleil de ces 2 derniers jours a séché un peu nos tranchées. Le Capitaine comparait ces dernières aux rues de Venise!..............

P.S. Tu as peut-être vu sur le communiqué qu’un peloton avait été fait prisonnier à Bezange. C’est le village où j’allais en patrouille voir le maire. Le peloton est du 344°.

15 avril

Il est 23 heures, et nous venons d’être enfin relevés. Avant de me coucher, je m’empresse de t’écrire pour te rassurer. Si rien de nouveau ne surgit, nous sommes au repos ici pour 3 jours.

Rien de particulier à te dire; une attaque de nuit très vive a eu lieu cette nuit à notre droite, et c’était un spectacle inoubliable que nous avions sous les yeux: le ciel était rouge des lueurs produites par les départs et les arrivées des obus lancés par plus de 500 pièces de canon.

De plus, Français et Allemands lançaient des fusées lumineuses en quantité inouïe et les fusée de différentes couleurs, servant de signaux, faisaient croire à un véritable feu d’artifice. Mais combien c’était horrible à la pensée qu’à quelques centaines de mètres de nous, tant d’hommes souffraient et mouraient. A la compagnie: 1 seul homme blessé.

A la 23°, l’adjudant Baudry a été grièvement blessé, dis-le à Roger qui le connaît. C’était un sergent de l’active..................

16-19 avril.

Repos à Mandres-aux-4-Tours. Tous les jours bombardés par le Mont-Sec. On nous fait organiser et occuper les caves. Plusieurs blessés.

16 avril.

Il fait un temps superbe, et c’est allongé sur l’herbe, entre mes 2 lieutenants, que je viens causer quelques minutes avec toi. Comme c’est bon de pouvoir marcher debout, au lieu d’être constamment voûté. Comme c’est bon de s’allonger sur l’herbe sèche, au lieu de patauger jusqu’à mi-jambe dans la boue et dans l’eau. Comme c’est bon d’entendre la fusillade ou la canonnade à 5km, au lieu de recevoir des balles et des obus sur la figure! Aussi nous nous roulons tous les trois, nous chantons et disons bille bêtises. Qui sait, dans 2 jours nous serons peut-être mortellement frappés, mais n’y pensons pas!

J’ai reçu ton colis ce matin. Il renfermait une peau de bouc et un sac de dattes. Merci à toi. Merci à Roger de s’en être occupé. Merci à Tante Marie-Louise de m’envoyer ces excellentes dattes qui ont fait la joie de la popote.

Car nous avons une popote!! Quelques marmites au pied d’un mur écroulé. Dans une maison éventrée, plus de vitres aux carreaux, une armoire tombée nous sert de table autour de laquelle nos sacs nous servent de chaise. Et nous mangeons d’un appétit! Car c’est chaud et nous avons notre temps et toutes nos aises. On peut rire, causer fort, ce dont nous étions absolument déshabitués à 250m des Boches.

J’ai reçu ce matin également, une lettre extrêmement affectueuse de Grand-Mère, qui, sachant par toi que j’avais eu une légère indisposition, m’envoie 10 francs pour m’offrir quelques douceurs qui hâteront mon rétablissement! Quelle bonne Grand-Mère. Ah! Je vous aimais tous beaucoup, mais combien je vous aimerais davantage vous tous, mes Parents, qui me prouvez tous les jours combien vous avez d’affection pour moi. Fasse le ciel que je puisse vous le rendre! Mais la pauvre femme ne s’imagine pas que nous ne trouvons rien, rien, rien, ici. Encore par Boussiron ou mon Lieutenant, je me procure quelques conserves, quelques cigarettes, mais je t’assure que je n’ai pas besoin d’argent ici. Pas moyen d’avoir du vin que la ration réglementaire, et encore, je triche souvent parce que je suis sergent. Mais les hommes!

Enfin assez de lamentations! Je vais bien et n’ai besoin de rien ici. Si tu savais combien c’est difficile d’écrire avec mes lieutenants sur le dos qui ne font que causer et me gêner. Aussi je vais terminer ma lettre. Quels gentils garçons tout de même et qu’ils sont aimables pour moi. Je suis dans leur chambre comme chez moi et je coucherai avec Boussiron si je voulais, mais il est mal et je ne veux pas le gêner davantage.

Ne t’inquiètes pas. Je ne t’écrirai pas ni demain, ni après demain, à moins de chambard............

19 avril

......En effet, étant donné les événements qui se passent ici depuis quelque temps, les correspondances ont eu un peu de retard, mais je crois que maintenant elles vont reprendre comme par le passé.

Ce n’est pas que toute action soit finie de ce côté, car le canon nous a encore réveillé ce matin avec sa douce voix...........

Pendant ces 4 jours de repos que nous avons eu, le village a été terriblement bombardé ce qui a fait pas mal de victimes + 3 chevaux et une voiture pulvérisée. Nous repartons aux tranchées ce soir. Je ne t’écrirai peut-être pas tous les jours comme la dernière fois, ne t’inquiètes donc pas.

L’adjudant Baudry dont je t’ai parlé l’autre jour est mort le lendemain de sa blessure. Pauvre homme. Il habitait rue Amos-Barbot. C’est le mari de la sage-femme qui habite dans cette rue près de chez l’abbé Aubert. Dis-le à Roger.

Je ne sais si Mlle Basset t’a envoyé une photo prise par son frère au moment où je sortais des tranchés! J’étais pas rasé, sale, l’air abruti. Il me l’a donné. Si tu ne l’as pas, je te l’enverrai. C’est une bonne idée d’aller à Ruelle, et je vous y engage fort. Cela fera du bien et du plaisir à tous...............

N’oublie pas, je te prie, de m’envoyer du papier à lettres, je n’en ai plus du tout et l’on ne peut en trouver ici..............

20-22 avril

Occupation des mêmes tranchées complètement transformées par le 5° bataillon qui profite du beau temps.

Le Mont-Sec envoie des grosses marmites sur nos tranchées, mais ne touchent personne (10 morts au 206°).

21 avril.(Tranchées)

Nous revoilà aux tranchées depuis 2 jours et les 2 jours nous recevons des marmites, mais heureusement sans aucune victime à la compagnie. Je ne sais pour les autres.

J’ai reçu ta dernière lettre du 16 avril qui m’a fait plaisir, car en ce moment il est bon de recevoir des nouvelles.

Les attaques se font toujours nombreuses à notre droite et les contre-attaques leur répondent.

Pendant mon séjour à Mandres-aux-quatre-Tours (village de repos), j’ai vu le bataillon du 206 qui a pris 3 tranchées. C’est horrible, le carnage qui s’y fait. Quand ils arrivent à la tranchée, il n’y a presque que des morts ou des blessés pour les recevoir et ceux qui restent sont tellement abrutis qu’ils n’offrent pas de résistance. Alors on les tue, on les égorge. Pas de blessés. Le 206 a été d’une sauvagerie inouïe: "On ne nous commande pas de ne pas faire de prisonnier, mais on nous dit que c’est gênant" C’est tout dire.

Le sergent du 206 à qui je parlais m’a dit que, lorsqu’il est entré dans la tranchée, un Boche complètement apeuré disait son chapelet accroupi au fond d’un trou. Il l’a percé de part en part avec sa baïonnette. On fait bien car ils ont eu des ruses dont on ne se fait pas une idée. Mais c’est horrible et ce n’est presque plus la charge à la baïonnette, mais la charge à la grenade, au lancement de laquelle on nous initie depuis un mois.

Je t’envoie 2 photos:

= l’une: intérieur de la tranchée, le Capitaine regarde au périscope.

= la seconde: vue des tranchées boches qui sont en face de nous.

C’est mon lieutenant qui les a prises le 31 mars. Ce qui est flou, au premier plan, c’est le rebord de notre tranchée.

A part cela, très bonne santé. Merci de vos souhaits pour la St Georges.........

23-25 avril.

Repos à Mandres-aux-4-Tours. Quelques marmites.

24 avril.

.......Je suis aujourd’hui au repos dans le même petit village de Mandres-aux-4-Tours, toujours quotidiennement bombardé mais sans toutefois trop de victimes, car nous prenons nos précautions et vivons une partie de la journée dans les caves.

Malgré tout, notre vie est beaucoup plus calme qu’il y 8 ou 10 jours et l’on parle beaucoup que les 2 régiments, 206 et 323, soient relevés pour retourner dans leur ancien secteur. Quelle veine si c’était vrai!

.........J’ai reçu une 3° lettre de Tante Lilia, décidément elle veut se maintenir régulièrement en correspondance avec moi............

25 avril.

Je viens de recevoir ton colis de papier à lettres, d’enveloppes et de cartes-lettres. Merci beaucoup. Tout cela va me rendre grand service, je t’assure.

Notre repos est fini et nous repartons ce soir aux tranchées. Pendant ce séjour quelques obus sont tombés sur le village, comme toujours, mais sans faire beaucoup de mal.

Je continue, comme toujours, à très bien me porter et à être aussi gai que possible. Mes copains, depuis longtemps déjà, m’appellent leur "gosse" "Geogo". Il faut dire qu’ils ont tous dans les environ de 30 ans et que je les amuse un peu.

26-28 avril.

Occupation des mêmes tranchées mais nous ne recevons qu’une grosse marmite dans les 3 jours.

Le 28 au soir, nous sommes relevés par le 340°. Nous prenons le café à Mandres puis partons dans la nuit pour Menil-la-Tour où nous arrivons à 3h du matin.

28 avril.

Nous voici aujourd’hui toujours dans les mêmes tranchées, mais pour la dernière journée! En effet nous allons être relevés cette nuit et, s’il n’y a aucune anicroche, nous allons retourner dans notre secteur devant Nancy. Aussi, tu penses si nous sommes heureux!

Depuis huit jours, nous avons un temps splendide ce qui rendait notre séjour dans les tranchées 10 fois moins pénible. De plus la situation se calme de plus en plus par ici, de sorte que les marmites se font de plus en plus rares. Tout cela contribue à nous rendre joyeux. Il n’en faut d’ailleurs pas plus dans ces circonstances pour que le soldat soit heureux et content de vivre.

Vois, en somme, ce qui s’est passé par ici: On a tenté, vers le 4 avril, de couper complètement la pointe que font les Boches sur St-Mihiel par des attaques simultanées aux Bois le Prêtre et de Mortmare, et de l’autre côté aux Eparges. Nous avons fait quelques avances, comme les communiqués ont pu te le faire voir, mais nous n’avons pas réussi à faire tout ce que nous voulions, car les Boches sont toujours là. Il parait que le commandement ne croyait pas avoir à faire à tant de troupes. En effet ils tiennent énormément à cette position et font, pour cela, des sacrifices immenses.

Tu peux donc penser que, nous qui sommes à quelques centaines de mètres du bois de Mortmare, nous avons subi le contrecoup de l’attaque. Nous n’avions pas mission d’attaquer mais de résister coûte que coûte, jusqu’à la mort. Nous avons eu la chance que les Boches n’ont pas attaqué, ils se sont contentés de nous bombarder très copieusement.

Le régiment a, en tout, depuis le 4 avril, perdu une centaine d’hommes, pas d’officiers. Le 206, lui, a trinqué davantage, car se trouvant à notre droite, il a dû attaquer. Il a perdu, je crois, 5 ou 6 officiers et deux compagnies, c’est à dire environ 500 hommes. Mais nous avons assisté à des spectacles vraiment horribles!

Enfin, une fois de plus, le régiment a eu de la chance et vraiment depuis le commencement de la guerre, en comparaison avec les autres, nous pouvons nous estimer heureux. Nous sommes des veinards, nous n’avons rien vu.

C’est d’ailleurs ce qui fait qu’il n’y a pas d’avancement, alors que, dans certains régiments, les Capitaines ont 23 ans et les lieutenants 19 ou 20. Mais pour mon compte personnel, je préfère revenir avec les galons de sergent que de mourir et être enterré avec ceux de sous-lieutenant. Qu’en dis-tu?

D’ailleurs, il m’est impossible de passer, étant dans un régiment de réserve où naturellement je suis un des plus jeunes. Il faudrait, pour que je sois nommé, qu’il y ait une véritable hécatombe d’officiers et de sous-officiers........

N’oublie pas, je te prie, d’embraser pour moi cette mignonne petite Muguette pour son anniversaire. Il est vrai que, comme un sot, ma lettre arrivera trop tard, mais fais le tout de même, l’intention y sera. Pauvre petite chérie, je voudrais tant pouvoir la faire jouer. Je suis sûr que nous serions une paire d’amis et je vois d’ici les promenades que nous aurions faites tous les deux. Enfin espérons que ce n’est que partie remise.

Au revoir, chère Maman. J’espère que ma prochaine lettre sera écrite d’un pays plus aimable et moins dangereux.........

P.S. Puisque Bouyé l’a dit, je n’ai pas besoin de te dire exactement là où j’étais, d’autant plus que nous partons.

29 avril.

Cantonnement à Menil-la-Tour.

30 avril.

Départ à 6h. Arrivée à la grand’halte près du champ d’aviation de Toul à 10h. Embarquement à Toul à 2h. Débarquement à Jarville

Nous partons pour coucher à Art-sur-Meurthe. Ivresse. Fatigue.

1 mai.

Départ d’Art-sur-Meurthe à 7h pour cantonner au château de Romémont.

2-4mai.

Cantonnement au château de Romémont. Riort cassé. J’attrape 4 jours pour avoir les moustaches rasées.

2 mai.

Pardon d’être ainsi resté 4 grands jours sans te donner de mes nouvelles, mais, comme je te l’ai dit dans ma dernière lettre, nous avons "déménagé" et sommes maintenant de retour dans notre ancien secteur. A ce propos, écris à partir de maintenant au S.P. 136.

Nous avons effectué ce voyage par une grosse chaleur et même avec un temps orageux, de sorte que nous sommes tous exténués bien qu’ayant fait Toul-Nancy en chemin de fer.

De plus, nous étions dans un secteur où nous ne trouvions rien, même pas de vin, de sorte qu’en retrouvant presque l’abondance, il est arrivé ce qui devait arriver: les hommes se sont enivrés à un point inouï. C’était honteux pour des hommes de 30 ans. Tu vois d’ici les traînards, les séances de boxe qui finissaient mal et, ce qui est plus grave: réponse et même, voies de fait sur des officiers! Enfin c’est calmé, mais vraiment, après s’être bien conduits, le 323 a bien baissé dans l’esprit de ses chefs.

Le fait est qu’après 9 mois de guerre, les hommes, surtout des réservistes, hommes mariés et père de famille, sont fatigués d’être toujours commandés et de ne pouvoir agir en homme. Ils se traitent de "bétail humain" conduits comme des bêtes sans intelligence et se révoltent.

Je ne veux pas être pessimiste, mais j’augure mal de cet état d’esprit!? On nous avait leurrés de l’espoir d’un repos d’une huitaine de jours dans un ravissant petit village aux environs de Nancy: Art-sur-Meurthe, mais on ne nous y a laissés qu’une nuit et nous sommes partis le lendemain de bonne heure pour aller dans un château: le château de Romémont, près de la ligne de feu.

Nous y sommes au repos mais très mal installés. Enfin nous n’entendons ni le fusil, ni le canon et nous trouvons cela délicieux.

Aujourd’hui, nous avons eu la visite du Général de division Prax qui vient d’être nommé à notre tête depuis quelques jours. Il a été satisfait de la tenue du régiment. S’il l’avait vu 24 heures avant, ce n’aurait peut-être pas été la même chose. Il résulte de cela que le vin nous est supprimé pour quelques jours. C’est bien fait, mais cela punit les bons pour les mauvais.

..........J’ai reçu tes colis de chaussettes et de merveilles. Ces dernières étaient excellentes et nous ont tous régalés. De tout cela, merci.

Le bruit court ici que tout le dépôt de La Rochelle était parti comme bataillon de marche. Est-ce exact et Roger est-il parti lui aussi. Merci des nouvelles de Roca. Ce veinard a lui aussi quelques chances de s’en tirer, mais comme tu dis, il en faut car il est nécessaire que les troupes mangent.

Je viens à l’instant d’être arrêté par le Capitaine Martin, toujours si aimable, qui me charge de t’envoyer ses respects. Quel homme correct, aimable et aimé de ses hommes. Entre nous, il a un défaut: c’est un gros peureux et ses officiers se moquent un peu de lui. Mais ne soyons pas mauvaise langue.

Quel beau temps et que la campagne est donc jolie avec cette couleur vert claire que j’aime tant voir sur les arbres. Les forêts que nous avons vues vertes, puis jaunes, puis noires, sont maintenant gaies, pleines de fleurs; les petits ruisseaux y sont nombreux; nombreux aussi les oiseaux au chant si joyeux. Je me sentais presque heureux ce matin en allant surveiller la corvée de bois, vers 5h. Le soleil se levait ou du moins était juste levé; on n’entendait aucun bruit de guerre. Je me croyais en vacances à la campagne. Hélas!

J’ai reçu l’autre jour une carte de Jean Chagnaud me disant que son régiment avait encore perdu 900 hommes aux Eparges et beaucoup d’officiers. Ceci me fait dire, une fois de plus, que nous sommes des veinards d’être resté 9 mois sur le front et aux avant-postes et d’avoir perdu si peu de monde (environ 900 depuis le commencement de la guerre). Il me disait aussi qu’il attendait avec impatience le moment où nous pourrions nous rencontrer pour nous embrasser, une fois la hernie boche étranglée. Hélas! Je crains bien que ce ne soit pas de si tôt et puis je ne suis plus en face de lui.

Ce matin, combat au-dessus de nous de 3 avions. Un taube, mal intentionné avait eu le toupet de vouloir aller survoler Nancy. Immédiatement 2 oiseaux français ont foncé sur lui et lui ont fait faire demi-tour à coups de mitrailleuses. Nous aurions été bien contents de le voir tomber parmi nous! Mais il a regagné ses lignes, avec du plomb dans l’aile, je crois. C’est d’ailleurs un spectacle que nous avons fréquemment car nous voyons une moyenne de 10 à 12 avions par jour.

En faisant une grand-halte près de Toul, nous nous sommes arrêtés juste au parc d’aviation de cette ville et là, nous avons assisté à un véritable meeting. Même pour faire du chiqué, les aviateurs faisaient des grâces, descendants de différentes façons et grimpant avec des inclinaisons vertigineuses. D’autres faisaient des concours. Nous en avons vu plus de 20 en une heure. C’était très distrayant et ces pilotes sont véritablement épatants.

Je bavarde comme une pie, ce soir, au lieu de me coucher! Je suis de jour demain et devrai me lever de bonne heure. Je me porte à merveille et, ma parole, recommence à engraisser.

5-6 mai.

Cantonnement au château de Romémont.

6 mai.

Je suis toujours au repos dans le même château et nous commençons tous à nous refaire. Demain nous allons partir prendre les avant-postes dans un secteur où nous n’avons jamais été encore, mais qui fait cependant partie du secteur de la division de Nancy. C’était le 206 qui l’occupait alors que nous étions à Hoéville ou près de Pont-à-Mousson.

Je ne sais pas encore les village que nous devons occuper et les villages Boches en face de nous, mais, d’après ce que nous en a dit le Capitaine, c’est un secteur extrêmement calme et loin des ennemis.

Tout ce que je sais, c’est que c’est encore sur les bords de la Seille et au Nord de la forêt de Champenoux, par conséquent au pied du plateau d’Amance; mais ma prochaine lettre contiendra des détails, je te le promets. (...)

Je viens d’apprendre que Jackson était mort après s’être engagé dans l’armée anglaise. Est-ce vrai et le savais-tu?

Quel veinard ce Roger de faire des promenades en canot automobile pendant que tant d’autres sont dans les tranchées sous les obus ou sur les routes poussiéreuses avec un sac écrasant sur le dos.

Enfin, en somme qu’a-t-il ? Est-il vraiment très malade ou n’est-il pas consciencieux? Tous mes collègues d’active m’en parlent. Il parait que leurs femmes ou leurs familles le voient d’un très mauvais oeil à La Rochelle. Encore un de ma compagnie qui recevait une lettre de sa femme aujourd’hui lui disant qu’elle avait rencontré Mr Triaud dans les rues et qu’elle se demandait vraiment ce qu’il faisait depuis si longtemps au dépôt.

Tu me parles de photos. Qui donc en a fait? Roger probablement. Dans ce cas, je t’en prie fais t’en faire une de toi et envoie la moi. Tu es la seule de la famille que je n’ai pas et depuis 9 mois que je n’ai pu t’embrasser, je voudrais au moins le faire en effigie. Je te l’avais déjà demandé et tu ne m’avais pas répondu.

L’adresse de Gaby Martinn’est-elle pas 3, rue Cuvier. Je n’en suis pas sûr, mais lui ai écrit cependant une carte à cette adresse. J’espère que c’est bien cela et qu’elle la recevra. (...)

Je te demande pardon de tout ce questionnaire, mais on oublie toujours de répondre aux questions sur les lettres. Je dois certainement en faire autant. Redemande-moi, toi aussi, plusieurs fois ce à quoi je n’ai pas répondu.

Je te quitte car le chef-popotier m’appelle pour le dîner. Nous dînons en plein air sous un arbre et avons à peu près ce que nous voulons, et des légumes! c’est charmant...........

7 mai.

Départ à 17h pour aller prendre les avant-postes au village d’Armaucourt où nous remplaçons le 212.

8-11 mai.

Avant-postes. Nous sommes merveilleusement installés dans le village. Secteur très calme. P.P. sur la Seille à 2km des Boches. Patrouilles à Lanfroicourt.

9 mai. Avants-postes. Village d’Armaucourt.

Tu ne peux te figurer les avants-postes épatants que nous avons. Le Capitaine nous avait bien dit que le secteur du régiment était merveilleux. Celui du bataillon, le plus chic du régiment. Celui de la compagnie, le plus chic de tout le bataillon, nous ne pouvions pas croire à pareil confortable, ni pareille sécurité!

En revenant des trop sévères tranchées de la Woëvre, trouver une pareille bonbonnière, tu penses si c’est un changement pour nous. Ecoute un peu:

La Compagnie est partagée en deux: un des pelotons est en réserve dans des bois, mais installés merveilleusement. Le nôtre est aux avant-postes proprement dits: nous occupons le village d’Armaucourt sur les bords de la Seille et fournissons quelques sentinelles aux issus du village. Les Allemands occupent de l’autre coté de la Seille, un village: Manhoué qui est à ... 2km de nous.

Ce veinard de 212° que nous venons de relever et qui était là depuis 5 mois, n’a pas tiré un seul coup de fusil et n’a pas eu un seul blessé depuis qu’il y est. Il est relevé, parce que, trop habitué à ce secteur de tout repos, il se relâchait dans son service et ne surveillait plus du tout. C’est nous qui avons été bien coté en Woëvre, qui avons la chance de les remplacer.

Mais ce qu’il y a de plus chic, c’est le confortable. Tu penses qu’un peloton (125 hommes) dans un village évacué, a tout à sa disposition. Le printemps nous donne légumes, fruits, fleurs à profusion. Nous avons une table, des nappes, des chaises, des fleurs sur la table, des légumes dans nos assiettes, du vin dans nos verres. C’est délicieux.

Je viens à l’instant de faire le "marché": c’est à dire d’aller déterrer des asperges (la valeur de 4 grosses bottes en ½ heure), prendre des radis et arroser "mes" fraisiers. Que ne puis-je t’envoyer un colis de fleurs. Nous en sommes inondés. Je t’en envoie quelques spécimens (encore dans la lettre).

Quelques obus tombent sur le village (une moyenne de 2 ou 3, tous les 15 jours. Il ne touchent jamais personne. Pour nous distraire, nous avons la bibliothèque du curé (qui devait être riche et instruit) et celle de l’instituteur (pleine de romans). J’ai l’harmonium (tout nef) de l’église à ma disposition, alors tu penses si je joue des cantiques à plaisir! Enfin, je te dis, jamais on ne se croirait à la guerre.

Dans un mois, le 1° peloton nous remplacera et nous irons prendre sa place en arrière, dans les bois où nous serons très bien et n’aurons même pas de sentinelles à fournir. J’oubliais de te dire que nous restons ici 4 jours, allons au repos 4 jours, etc... Nous allons au repos à Ecuelle qui a été 2 fois plus bombardé qu’Armaucourt, de sorte que nous y serons plus nombreux et moins bien.

Je te quitte car nous allons nous mettre à table. Ne me plaignez pas tant que je serais ici surtout avec ce temps superbe.............

12-15 mai.

Repos à Ecuelle. Moins bien qu’aux avant-postes. Corvées et travaux de tranchées pendant la nuit.

Vu Biteau au 24 d’artillerie.

15 mai.

J’ai été bien long à t’écrire depuis le 9 de ce mois. Je te demande pardon, mais ayant été passer 4 jours au repos, nous avons eu beaucoup plus d’occupations qu’aux avant-postes. Cela est contradictoire, n’est-ce-pas? Et bien c’est vrai. Autant nous sommes bien aux avant-postes, autant nous sommes mal installés au repos dans ce village d’Ecuelle dans lequel il ne reste plus que le château et 10 maisons intacts. Le reste a été démoli et brûlé par les obus Boches.

Ce ne sont alors que corvées de bois, corvées de fabrication de tranchées de 2° ligne, etc, etc.....Enfin nous sommes tranquilles du coté des Boches et c’est le principal. Pas un coup de fusil, très peu de canon. Nous nous croyons presque en temps de paix!

J’ai fait la rencontre, dans ce village, d’un de mes anciens camarades de lycée en première et en philo: Biteau, qui est adjudant au 24° d’Artillerie et le veinard, il est là depuis le commencement de la guerre. Puis dans sa batterie, je connaissais un maréchal des logis que j’avais un peu vu à La Rochelle avant la guerre, au cercle des sous/officiers.

Ensemble et sur ma demande, ils ont décidé de m’apprendre à monter à cheval. C’est une chose dont j’avais envie depuis bien longtemps, car cela peut servir à un homme. J’ai pris ma première leçon hier, et ils m’ont dit que je ne m’en tirais pas mal du tout! Il faut bien se distraire quand on le peut.

Ce soir nous allons partir aux avant-postes: les mêmes que la dernière fois. Tant mieux, car le 1° peloton, quoiqu’étant en 2° ligne, est moins bien installé que nous.

(...) Merci aussi des photos que la première lettre contenait. Cela m’a fait bien plaisir de te voir depuis 9 mois que je n’avais pas eu cette satisfaction. Je te trouve très bien et pas changée; mais je me suis demandé pourquoi Madeleine se coiffait ainsi, elle qui était si bien avec sa raie sur le coté, elle se coiffe comme une personne de 40 ans. Cela ne lui va pas bien du tout, à mon avis, bien entendu.

Je te serais reconnaissant de te faire photographier par un véritable photographe. Je serais si content de t’avoir ainsi. Quant aux photos que je t’enverrai, tu auras une bonne surprise dans ma prochaine lettre, qui ne sera pas si longue à venir que celle-ci.

J’ai reçu une aimable carte postale de Mimi qui m’annonce, en effet, un colis de tablettes de lait condensé. Je ne les ai pas encore reçu mais, certainement, elles seront les bienvenues à la popote. Quant aux merveilles dont je t’ai accusé réception, elles étaient, je te le dis, excellentes et n’étaient pas trop brisées. Quant à celles qui l’étaient un peu, les morceaux étaient succulents. Le saucisson a disparu dans nos estomacs en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Il était très bon.

Je ne croyais pas ce pauvre Roger si malade et je regrette d’avoir eu un soupçon sur lui un seul instant. Je remettrai les choses à leur point auprès de mes camarades dès que l’occasion se présentera. Je suis content que tu aies vu Mme Basset. Je n’ai pas vu Henri depuis notre départ de Woëvre, mais je sais qu’il va bien. Bonjour et félicitations à Roca pour ce qu’il a fait. Qu’il vienne donc au 323. 21° compagnie. Ce serait si chic. Dis-lui de faire son possible, à moins qu’il ait une autre idée en vue..............

16-19 mai.

Avant-postes à Armaucourt

17 mai.

Je t’avais promis, dans ma lettre d’avant-hier, une seconde lettre à peu de distance, avec une surprise. Voici la lettre et voici les photographies. Toutes ont été prises par mon lieutenant; seulement, comme c’est un flemmard en tout et pour tout, il m’a demandé de lui aider à en faire. Lui aider, c’était les faire moi-même. Tu penses que, dans ces conditions, je ne me suis pas oublié et je t’en envoie quelques-unes qui sont assez bonnes et assez intéressantes. Tu trouveras au dos les explications de chaque photo. Tu verras qu’il y en a d’arriérées, mais je ne les aurai jamais eu si je n’y avais moi-même mis la main.

Nous sommes toujours dans le même secteur tranquille. Contrairement à l’habitude, il y a eu pas mal de coups de fusil cette nuit, mais à 2 ou 3km de notre village. C’était vraisemblablement deux patrouilles qui se sont rencontrées, mais je ne sais pas au juste.

Toujours le même temps superbe, toujours beaucoup de fleurs et de légumes, toujours beaucoup de fruits en espérance.

J’ai reçu une lettre de Mimi, il y a trois jours m’annonçant un colis, mais je n’ai encore rien vu venir. Quel est le numéro de sa maison rue Claude-Bernard? Je ne m’en souviens jamais. Sa soeur Simone m’a écrit également une longue lettre dans laquelle elle me dit que Grand-Mère me fait demander si j’ai besoin d’argent. Tu vois si tout le monde est gentil avec moi. J’ai compris, d’après ce qu’elle me disait, que le petit Henri allait partir retrouver son frère. Est-ce vrai, personne ne me l’a dit, mais j’ai cru le comprendre à certaines explications qu’elle me donnait.

J’ai reçu une carte d’Anne, une très très longue lettre de Jane Bouillon: décidément elle veut entrer en relation. Enfin, je me décide à écrire moi aussi beaucoup pour recevoir beaucoup de lettres. C’est si agréable. C’est ainsi que j’ai écrit à Tante M.L. Triaud, Lotie, Tante Lilia, etc, etc.... En un mot, je crois que tous les membres de la famille y passent. Que veux-tu, nous avons le temps en ce moment et c’est pour ainsi dire notre seule distraction.

J’attends le repos avec impatience pour pouvoir prendre ma deuxième leçon de cheval. Quand je serai calé, je ferai quelques petites promenades. Dans ce joli pays, ce sera charmant.

J’ai oublié de répondre à ta question sur la nature des chaussettes. C’est en coton que je les désirerais maintenant. Et puisque nous sommes à parler habillement, je te demanderai de m’envoyer 2 chemises légères, 2 caleçons coupés, 2 flanelles car les miennes sont toutes déchirées, 2 mouchoirs et 1 serviette éponge. Comme je mets une bonne partie de mon linge dans la cantine de Boussiron, je peux me donner un peu plus de bien-être.

Depuis deux ou trois jours nous entendons très fort le canon du coté de Pont-à-Mousson, et je crois, en effet, que nous avons fait du bon travail du coté du Bois le Prêtre. Ce ne sera plus un bois, ce sera, comme le bois d’Ailly et le bois de Mortmare, un véritable cimetière. Pense donc que pendant les attaques qui se déroulaient à quelques centaines de mètres de nous, il s’est tiré plus de 2.000 obus en 48 heures vers le 5 avril et cela sur une toute petite surface. Les arbres n’existent plus, les branches gisent à terre et quelques moignons d’arbres restent seuls, sortant de terre. Tu as du voir sur l’Illustration quelques vues de ces bois bombardés, et bien cela ne donne qu’une idée "relative" de ce que c’est en réalité. C’est inouï.

20-23 mai.

Repos à Ecuelle.

20 mai.

.........Je suis heureux que les fleurs soient arrivées à bon port. Nous en avons tant à notre disposition que je voudrais bien pouvoir t’en envoyer un colis. Nous avons sur notre table, dans la salle à manger, deux vases que nous changeons tous les jours et dont chaque bouquet vaudrait excessivement cher en ville.

J’ai la chance, ma chère Maman, de pouvoir t’envoyer encore quelques photos; c’est que, en ce moment, le temps s’y prête et je t’assure que je ne chôme de toute la journée. Tu verras l’explication au dos. D’abord deux dans la forêt de Bezange. Tu vois que si nous avons chaud maintenant, nous avons eu un peu de neige cet hiver... Ensuite, une vue de Menil-la-Tour qui est un village des environs de Toul. Une vue d’un boyau de communication: il faut se baisser car il n’était pas achevé et était trop peu profond (à cause de l’eau qui y faisait source). Le château de Romémont où nous n’étions pas très bien, mais au repos. Une jolie petite ville sur une colline entre Toul et Nancy: Liverdun.

Puis des vues actuelles. Mes 3 officiers (tous bien bien gentils pour moi). Ton fils dans l’église d’Armaucourt en train de faire un sermon (qui dirait que nous étions aux avant-postes). Tu vois que le village n’a pas été bombardé, ou très peu. Un barrage de route que j’ai fait faire avec des instruments aratoires étroitement reliés aux autres par du fil de fer barbelé. Les Boches peuvent essayer de le franchir.... s’ils veulent. Enfin l’église d’Ecuelle qui, bien qu’en arrière d’Armaucourt, à terriblement souffert.

Voilà. Quand il y en aura d’autres, elles te seront réservées.

Ta lettre m’a montré que tu te disposais à aller à Ruelle, j’en suis bien content. Cela distraira tout le monde.

Allons, je te quitte, ma chère Maman, en t’embrassant bien affectueusement ainsi que tous les habitants de la maison. Ah non! Pas les Faure!!!!! Ni la bonne, mais enfin le reste.

24-27 mai.

Avant-postes à Armaucourt.

25 mai.

J’ai écrit hier, 24, à Madeleine pour la remercier des photographies qu’elle m’a envoyées. Aujourd’hui c’est ton tour. Tu ne peux te figurer combien cela m’a fait plaisir de te voir. Cette photo est très bien et tu n’as pas changé. Merci beaucoup de t’être fait photographier pour moi. Quant à celle de Madeleine, elle est très réussie aussi et sa coiffure ne lui va pas si mal que dans les petites!

J’espère que le Muguet va maintenant tout à fait mieux et que vous n’avez jamais été très inquiètes. Ce voyage à Ruelle sera, à mon avis, une excellente chose pour tout le monde.

Ici, toujours pareil. Nous avons un peu fait les fous aux avant-postes en l’honneur de l’entrée en scène de l’Italie. Le Capitaine a ordonné que l’on sonne les cloches de l’église à toute volée. Puis on a confectionné un drapeau italien que l’on a été porter en territoire allemand, à la nuit, après avoir traversé la Seille. Séance très amusante et qui s’est passé sans encombres. Ensuite, grand coeur. Nous avons chanté à tue-tête la Marseillaise et crié "Vive la France, Vive l’Italie". En pleine nuit, par ce temps calme, cela s’entendait très loin.

Les Boches ont été très gentils et nous ont laissé faire sans nous déranger. Ce matin, le drapeau flotte toujours et à l’air de narguer le village allemand de Manhoué devant lequel nous avons été le planter. Il faut bien se distraire un peu.

L’autre jour, à Ecuelle, notre village de repos, j’ai eu l’occasion de voir un soldat du 257 qui avait été blessé à la Marne. Je lui ai demandé s’il connaissait l’oncle Pierre. Voici ce qu’il m’a répondu: "J’étais au bataillon dont votre oncle a pris le commandement. J’ai été blessé le même jour que lui, mais un peu après, de sorte que je n’ai pas été transporté à la même ambulance. Je sais qu’il a été touché d’une balle à la tête et que tout le monde dit qu’il a été tué. Je ne peux vous dire autre chose, car j’ai moi-même eu la cuisse traversée par une balle et que j’ai quitté la ligne de feu aussitôt."

Il a été très étonné lorsque je lui ai dit que rien de sûr n’avait été dit à la famille à ce sujet. Pour lui, il n’y avait aucun doute, le Capitaine Triaud avait été tué. Maintenant, il peut se tromper, et il faut l’espérer. Je n’en dis rien à Grand-Mère, bien entendu.

Que dit Jean de l’intervention italienne? Croit-il que cela va approcher l’issue de la guerre ou est-il toujours pessimiste? Ici les officiers sont enchantés de l’événement et en augurent de bonnes choses.

Je te quitte, chère Maman, en te remerciant encore. Veuille bien embrasser Muguette pour moi et la remercier du mot qu’elle a mis sur ta lettre par une petite gâterie de la part de "l’Oncle Jor" qui voudrait tant faire de bonnes parties avec elle.............

28 mai-1 juin.

Repos à Ecuelle. (La Pieuvre)

28 mai.

(Lettre adressée chez Mr le Docteur Louis Triaud. Chirurgien de 1° classe. Fonderie de la Marine. Ruelle (Charente))

.........Je suis content que vous soyez à Ruelle et pour accéder à ton désir, je t’écrirai tous les jours un mot, mais en alternant les adresses. Celle-ci à Ruelle, demain à La Rochelle de sorte que si tu ne reçois pas les unes, tu auras toujours les autres. Ici, toujours la même chose, nous sommes toujours aussi bien. Aujourd’hui nous sommes à Ecuelle, au repos, mais nous préférons les avants-postes où nous sommes mieux. J’ai reçu l’autre jour une aimable carte de Tante M.L. Triaud et le lait en poudre de Mimi est arrivé. Je vais lui en demander d’autres, car notre chef popotier en est très content, disant que cela fait du lait épatant...........

Pauvre André Loir. J’en ai parlé au Capitaine Martin!..........

29 mai.

Hier je t’ai écrit un mot adressé à Ruelle, et aujourd’hui, j’adresse ma lettre à La Rochelle; et je ferai tous les jours ainsi, tant que tu seras en voyage, mais j’espère bien que tu recevras tout, et par un coté et par l’autre.

J’ai reçu un mot de Jean Chagnaud avec qui je suis en correspondance assez suivie; le pauvre, il est plus malheureux que moi et en a vu pendant sa guerre! Enfin il a une compensation en ce sens qu’il est officier et a, de ce fait, pas mal d’avantages sur les sous-officiers. En plus, il est médecin et je te promets qu’ils ne sont jamais les plus mal installés dans un cantonnement.

On vient de nous faire aujourd’hui la 4° et dernière piqûre anti-tiphique! Ce n’est pas trop tôt, car cela fait assez souffrir et va même jusqu’à donner une forte fièvre à certains sujets!

Toujours au repos depuis hier jusqu’au 31, puis nous retournons dans notre coquet petit village d’Armaucourt. L’autre jour nous avons eu un plat d’asperges délicieuses et un plat de gros escargots que nous avions été chercher dans les buissons après une pluie d’orage. On s’en léchait les doigts. Tous les matins et tous les soirs nous avons une énorme assiette de soupe à l’oseille. Salade à tous les repas.

Enfin nous attendons les avant-postes avec impatience, car à Ecuelle nous ne trouvons pas à discrétion tout ce qu’il nous faut. Et quand il va y avoir des cerises et des fraises! Ah! Si je pouvais vous en envoyer, car nous en aurons à profusion, cette contrée étant si riche! Les jardins des environs de La Rochelle ne sont rien en comparaison de ceux-ci et les jolis jardins pleins de roses de Fouras paraîtraient presque dépourvus de fleurs si on les comparait aux "nôtres"!

A part quelques coups de fusils qui se tirent la nuit aux postes d’écoute, on ne se croirait certainement pas en guerre. Mais je te répète toujours la même chose tellement je suis content d’être ici et je ne m’aperçois pas que je dois t’ennuyer. Pardon.

Vous voici donc à Ruelle, où d’après ce que m’écrit Tante M.L. la campagne est de toute beauté. Profitez-en, faites promener le Muguet et faites le sauter de la part de "l’oncle Jor" qui est bien privé de ne pouvoir le faire.

Je suis content de ce que tu me dis au sujet des Martin, je suis complètement de ton avis, mais je ne disais rien car je sais que tu n’aimes pas qu’on blâme les gens. Mais il y a des choses qui sont trop fortes.

De Lignerolles m’avait parlé de ce Mr Thürninger qui passait au régiment de Jean. Sa femme lui avait dit de m’en parler............

30 mai.

Je reçois à l’instant ta petite lettre du 26 mai (date de ma première Communion). Je t’en remercie beaucoup. Je suis de garde-police au cantonnement aujourd’hui et cela m’ennuie fort. Pour passer le temps, un de mes caporaux qui est très dessinateur, vient de faire ma tête, qui n’est pas mal sauf un oeil. Je te l’enverrai, dès que je pourrai trouver une grande enveloppe. Il fait chaud et lourd, il va y avoir un orage sûrement. Un prisonnier que j’ai à surveiller (prévention de conseil de guerre pour abandon de poste!) est énervé et m’agace énormément avec ses propos antimilitaristes. Il se moque de tout maintenant que sa tête est en péril et essaie de gâter les autres, mais il est très mal tombé avec mes fidèles "poilus" et moi!

Demain matin, j’ai rendez-vous avec mon ami l’artilleur et nous irons faire une promenade à cheval. Parce beau temps et sous bois, c’est délicieux. Pourvu qu’il ne pleuve pas! Schenck se couvre de gloire, c’est très bien, et sa famille doit être encore plus fière de lui. Roca, aussi, a eu un bon mouvement. Décidément, la France a beaucoup de bons enfants dont elle peut être fière..................

31 mai.

Je t’envoie en même temps que cette lettre, mais à l’autre adresse, le fameux dessin fait hier par mon caporal. Tu verras qu’il n’est pas mal mais a un défaut dans un oeil.

Nous avons un temps superbe et une tranquillité merveilleuse. Nous allons nous en aller aux avant-postes demain soir et ne reviendrons très probablement pas à Ecuelle, car nous prendrons notre repos dans une ferme qui est plus près de nos avant-postes. Nous avions, en effet, trop de route à faire pour aller à Armaucourt...........

P.S. Ne t’occupe pas du journal que je mets, c’est parce que le papier n’est pas assez épais!

2-6 juin.

Avant-postes à Armaucourt. Le Commandant Mautraut part pour Arras! Léger bombardement.

2 juin.

Ne t’inquiètes pas si je ne t’ai pas écrit hier: je n’ai pas eu le temps car nous avons effectué notre fameux déménagement.

Je t’écris aujourd’hui d’Armaucourt où nous sommes, comme toujours très bien installés. Seulement nous avons un gros chagrin. Notre Capitaine a été subitement appelé comme capitaine à Arras dans un régiment du 9° corps qui a subi de grosses pertes à Notre-Dame de Lorette.

Le pauvre homme pleurait à chaudes larmes en quittant ses poilus qu’il avait sous ses ordres depuis 10 mois. Nous tous étions très émus et nous le regrettons énormément, car... jamais ... nous n’en aurons un pareil. Il était si gentil et si chic pour tous, sous des manières un peu rugueuses. Pauvre homme, que Dieu le protège là-bas où cela chauffe si fort!

Je t’envoie une chanson faite par un sergent de ma section et qui n’est pas trop mal. Elle raconte un peu ce qui nous arrivait en Woëvre...........

LA PIECE DE MARINE

DEDIE AUX POILUS DU 323°

VENDUE AU PROFIT DES BLESSES

Air : Sous les Ponts de Paris

I

Le trois-cent-vingt-troisième,

Un jour dût s’en aller,

Quittant Champenoux même,

Et le grand Couronné,

A Bernécourt,

Mandres aux quatre tours,

Occuper des tranchées profondes,

Vit qu’les Allemands,

Y sont méchants,

Mais il put dire à tout le monde:

Refrain

Mes amis, en Lorraine,

En Woëvre, c’est d’la veine,

Pour nous défendre, il y a beaucoup d’canons:

Des 75, des 120 courts et longs.

Mais ce qui nous chagrine,

C’est la pièc’ de marine,

Lorsqu’elle tir’, les boch’s tapent toujours

Sur Mandres aux quatre tours!..

II

Aux lignes avancées

Sans cesse l’on entend,

Nos marmites pressées

Et celles des Allemands

Tombent devant,

Tombent derrière,

Tombent dans les bois Rémières;

Heureusement

Ils sont punis,

Quand se prononce le Jury.....

Refrain

Car c’est de la veine,

En Woëvre, en Lorraine,

Pour nous défendre.........................

III

Cette pièce, on le pense,

Doit faire du dégât,

Et, cherchant sa présence,

Les boch’s ne la trouv’ pas.

Ils tir’ partout,

Deviennent fous,

Ne pouvant trouver son repaire.

Et moi poilu

J’sais pas non plus

Mais ce n’est point là mon affaire !

Refrain

Cependant c’est d’la veine

En Woëvre, en Lorraine,

Pour nous défendre ...............

IV

Quand elle tire on l’annonce,

En sonnant du clairon,

Afin qu’pour la réponse,

On prenn’ des précautions.

Dans les abris,

On voit blottis,

Les civils et les militaires;

Et les premiers

Ont leurs paniers

Qu’ils dissimul’ avec mystère:

Refrain

Cependant..................

V

Mes amis dans les caves,

Aux femmes réunis,

On voit poltrons et braves,

Et les gendarm’s aussi;

Et l’on a dit

Qu’il s’est produit

Dans ces lieux quelques idylles,

Et, cependant,

En ces moments,

Pour aimer l’on est pas tranquille.

Refrain

Mais dans c’pays d’Lorraine,

En Woëvre c’est d’la veine,

Pour le permettre il y a ......................

Salva Gaël.

3 juin.

.............J’espère que ta migraine est complètement passée. Ce devait être la fatigue du voyage qui l’avait causé cette petite indisposition. Je vois d’après ce que tu me dis que tu es dans un pays superbe; profites-en et promène toi beaucoup avec Madeleine, Ninette et Muguet.

Ici le pays est toujours aussi vert et les jardins aussi fleuris. J’ai fait la découverte d’un rosier de roses vertes, je voulais t’en envoyer une, mais mes copains se sont tous précipités dessus et les deux exemplaires sont inenvoyables. Ce n’est d’ailleurs pas beau.

Tu me demandes la largeur de la Seille: elle est de 12 à 14 mètres et profonde de 3. Tu vois que c’est une bonne barrière entre les Boches et nous.

Vous avez bien de la chance de manger déjà des fraises et des cerises; les nôtres sont encore toutes vertes et ne mûriront que d’ici 8 jours. Malgré cela, j’en ai déjà trouvé une ou deux (fraises) que j’ai mangé avec délices.

Je réponds à ta question sur mes effets d’hiver. Ils sont en loques. Mon cache-nez, seul, est bon encore, mais peut me servir pendant des nuits de garde sur les bords de la rivière. Quant à mes gilets, caleçon, etc, etc.... Ils sont dans un état tel que je les jette dès que sales maintenant. Aussi j’attends avec grande impatience mon linge d’été. J’aurai bien dû te le demander plus tôt. C’est de ma faute.

Nous sommes encore tout hébétés d’avoir perdu notre bon capitaine. C’est venu si brusquement puisque le matin il ne savait rien, et que, le soir, il devait se trouver à Nancy.

Pauvre homme, il pleurait et nous nous retenions tous de le faire, je t’assure. Jamais nous n’en retrouverons un pareil. On n’en fait pas comme lui. Ce n’est pas qu’il fermait les yeux sur tout, attendu qu’il punissait et sérieusement souvent, mais il avait tant d’allant, tant d’entrain, de gaieté, il s’occupait tant du bien-être de ses hommes, il parlait si gentiment avec tous et en particulier ses gradés qu’il était aimé et estimé de tous (28 ans).

Je n’ai jamais, depuis 7 mois, entendu une autre opinion sur lui que celle-ci et ceci de tous les hommes. Que Dieu le garde et quels veinards que ceux qui l’auront.

Pour le moment nous avons un lieutenant qui est venu de l’autre bataillon, et qui ne nous a encore rien dit. Je ne sais s’il est nommé définitivement à la compagnie ou s’il en viendra un autre.................

4 juin.

J’espère que ton séjour à Ruelle se passe bien et que vous vous reposez tous les trois. Les couleurs de Muguette vont vite revenir avec ces fréquentes promenades. Ici nous sommes toujours aussi bien que par le passé............

Tant mieux que Tante ait de bonnes nouvelles de Jean et de Maurice. Si nous pouvions tous revenir et rapidement, quel bonheur ce serait! Enfin à la grâce de Dieu.

Tous les rochelais vont toujours bien. Seul Lignerolles se fatigue aux marches et va peut-être se faire évacuer. Je n’ai pas vu Basset depuis 1 mois, nous ne cantonnons pas dans le même village...........

5 juin.

Aujourd’hui, contre l’habitude, bombardement de notre village, mais sans aucune victime. C’est égal, il y a un cheval qui l’a échappé belle. Il est vrai que les Allemands répondaient au bombardement d’un de leurs villages, fait hier par notre 75.

Ces c....... là nous ont défoncé plusieurs maisons, mais n’ont pas touché à l’église. Je pourrai donc continuer à jouer de l’harmonium. Tous les soirs après le dîner, nous allons faire notre prière et nous chantons en choeur quelques cantiques. Cela les amuse beaucoup.

J’ai la bouche déformée! Une araignée probablement m’a piqué la lèvre qui a grossi démesurément. Cela sera passé le jour de mes noces, comme tu me le disais quand j’étais petit...........

6 juin.

........... Merci de m’écrire si souvent; cela me fait plaisir. Je vois d’après ce que tu me dis que Mad. fait de la bicyclette, toi de l’auto, que Muguette s’amuse avec les enfants de son âge, en somme ce voyage se passe tel que je le souhaitais pour vous. J’en suis bien heureux. Tu me disais qu’il pleuvait là-bas. Voila 3 semaines que nous n’avons pas eu une goutte d’eau, et nous avons une chaleur épouvantable, mais comme nous travaillons la nuit, nous n’avons pas grand-chose à faire le jour et nous dormons.

Je t’envoie une photo qui ne t’intéressera pas beaucoup. Je m’étais déguisé en prêtre l’autre jour et le lieutenant a dit que cela m’allait tellement bien qu’il me photographiait de force. Un de ces jours, tu en auras une beaucoup mieux.

Figure-toi que j’ai touché, à la Compagnie, une paire de jumelle toutes neuves et de très bonne marque. Tous les chefs de section en ayant, c’est moi qui ai été désigné, parmi les sous-officiers, pour l’avoir. C’est très commode et m’a fait grand plaisir..........

7-10 juin.

Repos à la ferme de La Candale. Nous sommes très mal installés et n’avons même pas d’eau. Orage épouvantable en nous rendant aux avant-postes.

7 juin.

Nous sommes au repos pour 4 jours à partir d’aujourd’hui, dans la ferme où nous sommes très, très mal installés; nous n’avons seulement pas d’eau, ni pur boire, ni pour se laver, ni pour laver son linge. De sorte que cela nous fait regretter nos avant-postes. Heureusement que nous avons de l’ombre et, par cette chaleur, nous ne faisons que dormir.

10 juin.

.......Et je te remercie de me donner ainsi souvent de tes nouvelles que je reçois avec tant de plaisir puisqu’elles sont toujours excellentes. Je te demande pardon de ne pas avoir tenu rigoureusement ma promesse en ne t’écrivant pas pendant 2 jours, mais nous étions, comme je te l’ai déjà dit, au repos, non plus à Ecuelle, mais dans une ferme où nous sommes très mal installés: pas d’eau, pas de paille, pas de tables, de sorte que je n’ai écrit, pendant ces 4 jours, qu’une seule carte à toi adressée.

De plus j’étais tout près de la batterie de mon copain l’artilleur, de sorte que j’y étais très souvent fourré et que j’ai fait beaucoup de cheval. (Entre parenthèses, ce sport est épatant et, tu vas dire que je suis toujours aussi gosse, comme c’est nouveau pour moi, je suis "emballé". Cela marche très bien et je fais maintenant d’assez longues promenades au pas, au trop, au galop. Mon ami, le professeur, me dit que je suis vraiment très adroit. Je suis certain que c’est par politesse, mais enfin cela me plaît énormément (sauf le mal aux f... (derrière) et les courbatures forcées dans les reins!

Tout cela pour me faire pardonner. Tu vois qu’il m’était difficile d’écrire, mais, pour compenser, je vais t’écrire une longue lettre ce soir. Je pourrais presque dire, ce matin, car il est minuit maintenant. Nous venons d’arriver à l’instant aux avant-postes et comme je suis de garde, je veille en écrivant. Mon poste n’est pas sur les bords de la Seille, mais bien à l’une des issues du village où je suis confortablement installé dans une maison.

Je viens d’avoir, et je ne suis pas le seul, une des plus grosses peurs que je n’ai jamais eu depuis la guerre et je suis encore sous le coup de l’émotion. Ce ne sont pas les Boches qui l’ont causé, mais un orage épouvantable. Il fait un temps orageux et atrocement lourd depuis 4 à 5 jours et vers 9h du soir, il se mit à souffler un grand vent juste au moment où nous quittions la ferme. Puis l’orage est arrivé très vite et les éclairs sillonnaient le ciel. Nous marchions sur la route très plate et bordée d’une ligne de peupliers très élevés.

Tout à coup, nous avons entendu un coup épouvantable précédé d’un crépitement tout à coté de nous, plusieurs hommes, dont mon lieutenant, sont tombés à terre dont 3 vomissaient tant qu’ils pouvaient. Quant à moi, j’ai été aveuglé et incapable de voir quelque chose pendant près de 2 minutes et j’ai eu dans la bouche un goût de soufre comme si j’en faisais brûler devant moi. C’est heureusement tout, je suis resté debout, mais impossible de faire un pas. J’ai eu, je t’assure, l’angoisse pendant une seconde que j’étais devenu aveugle. Heureusement, il n’en est rien.

Le coup est tombé sur un des peupliers à quelques mètres de nous et le lieutenant est persuadé que quelques effluves ont atteint le fusil des hommes tombés à terre. Je ne sais si c’est exact, mais le fait est qu’ils ont les membres comme rompus. Jamais je n’avais vu l’orage de si près et moi qui en riait et n’en avait aucune peur, je suis refroidi. Enfin, maintenant, le ciel est devenu serein mais, chose bizarre, il a très peu plu mais, sacristie, quel orage!!

L’autre soir (vers 9 heures), la batterie de mon camarade devait bombarder, de nuit, un village Boche. Il me prévient et me conseille de venir voir tirer le 75 de nuit, chose que je n’avais pas encore eu l’occasion de voir de près. J’ai répondu à son invitation et ne m’en repends pas. C’est merveilleux comme la manoeuvre de ce canon est simple. C’est un véritable joujou, mais je t’assure qu’il est bruyant! L’équipe de mon ami est très bonne et même la nuit ils tirent à une vitesse énorme (12 coups à la minute!).

Et le réglage du canon. A un mètre près! C’est merveilleux comme précision. Ah! Si nous avions eu une artillerie lourde aussi bonne que notre artillerie de campagne, au début, car nous l’avons à peu près maintenant, les choses ne seraient peut-être pas où elles en sont!

Tu m’as fait plaisir en m’annonçant que vous restiez jusqu’à la fin du mois à Ruelle. Et! Mon Dieu, vous avez bien raison d’en profiter, puisque cela fait plaisir à tout le monde, et vous donne l’occasion de voir Grand-Mère. Embrasse la bien affectueusement de ma part, je te prie, lorsqu’elle sera avec vous et remercie-la des 5 francs qu’elle m’a envoyé l’autre jour. D’ailleurs, je lui réponds directement.

A ce propos, je te serai reconnaissant de m’envoyer une vingtaine de francs, si tu le peux, mais comme je peux très bien attendre que tu sois de retour à L.R., je ne veux pas que tu te gênes le moins du monde pendant ton voyage.

Quant au colis du dépôt, je ne l’ai pas encore reçu, mais il n’y a pas encore péril en la demeure, cependant je serai très content de l’avoir car nous avons de très grosses chaleurs par moments.

Je te quitte, chère Maman, en te disant à demain, car ici je suis très bien installé et j’ai beaucoup de loisir pour écrire. Je vais écrire aux cousins...........

P.S. Et le Muguet, est-il toujours aussi mignon et aussi drôle? Embrasse le bien fort de la part de l’oncle "Jor" qui l’aime tant!

11-14 juin.

Avant-postes à Armaucourt (Lieutenant Ney).

11 juin.

...........Je me porte toujours aussi bien. On nous a lu une note disant que les Boches avaient lancé l’autre jour plusieurs bombes asphyxiantes sur le 212° qui était à coté de nous. On va donc nous distribuer à nous aussi, comme dans le nord, des masques et nous donner des fioles d’ammoniaque! Quelle guerre bizarre! De plus l’infanterie va voir son képi supprimé et remplacé ce mois-ci par des casques en tôle d’acier gris bleu. Tu vois d’ici cette tête que je vais avoir avec tous ces machins-là sur la bobine. Ce ne sera plus le "beau Georges" que tu verras revenir "bientôt" à La Rochelle, ce sera un être déguisé en quelque chose comme un pompier ou un scaphandrier.................

12 juin.

Je suis content que ce séjour à Ruelle vous fasse du bien aux points de vue physique et moral. Boussiron qui est d’Angoulême, m’a en effet vanté ce pays pour être un joli coin, en autres les sources de la Touvre qu’il connaît bien. Continuez donc vos promenades et vos excursions puisque vous avez une auto à votre disposition.

Et bien! Je pense que Jean se distingue, déjà la croix de la Légion d’Honneur! C’est merveilleux, mais cela ne m’étonne pas de lui. Tu sais l’estime que je lui ai toujours portée, et l’admiration que j’ai pour lui. Il ne fait que hausser encore dans mon affection et je suis bien fier qu’il soit entré dans la famille. Complimentes-en bien sincèrement Madeleine de ma part. Mais je ne le dirai pas, ni à lui, ni à personne, puisque tu me dis de garder le secret.

Ici rien de nouveau. Toujours autant de calme. Nous nous régalons de fraises et de cerises, et les Boches sont sages de leur côté...........

14 juin.

......... C’est entendu jusqu’au 25 juin, j’écrirai à Ruelle, après cette date, je n’écrirai plus qu’à La Rochelle. Je suis bien content que vous vous trouviez si bien là-bas et pourvu que vous ayez beau temps pour profiter de ce joli pays, c’est tout ce que je demande.

Tu m’effraies en me disant que la guerre va encore durer un an! Moi qui comptais que tout serait fini vers septembre. Et bien, si nous devons passer encore un autre hiver aussi péniblement que le dernier, zut alors et je ne vois bien comment la population civile prendra cela! Mais ce serait effrayant!

Ma bouche dont tu me parles est tout à fait guérie mais j’ai été défiguré pendant 4 ou 5 jours. Il n’y a pas eu d’autre dommage plus important, et pour voir le nombreuses jeunes filles du désert Armaucourt ou de la ferme de la Candale sans eau, cela n’a pas beaucoup d’importance. Cela m’aurait beaucoup plus ennuyé à Bouxières aux Dames, Hoéville ou même Ecuelle!!!!!!

Nous y retournons ce soir à cette sacrée ferme où nous tirons la langue. Il nous faut pour 4 jours, nous transformer en chameaux mais cela ne fait pas rire du tout par ces chaleurs qui vraiment sont très fortes par ici. Nous profitons de ce soleil pour faire de la photo et d’ici quelques jours, j’espère pouvoir t’envoyer de jolies épreuves où, sans me vanter, je ne suis pas trop mal (mieux qu’en prêtre).

Ce déguisement vient d’une plaisanterie faite avec le capitaine qui aimait tant à rire. D’ailleurs, je suis le seul à l’avoir pris, attendu qu’il se trouve dans la chambre du curé occupée par le capitaine lui-même, et, en le portant, je n’ai fait rien qui puisse le ridiculiser, je te le promets.

Je t’envoie ci-inclus, un journal régional. Je me rappelle, qu’un jour, tu m’en avais demandé et je tâcherais de t’en envoyer d’autres, comme l’éclair de l’Est... ou d’autres!.......

J’écrirai peut-être moins pendant ces 4 jours. Ne t’inquiètes pas. De plus je vais faire encore un peu de cheval car mes courbatures se sont guéries pendant ce séjour à Armaucourt!........

15-18 juin.

Ferme de la Candale. Promenade à Ecuelle.

15 juin.

Deux mots à la hâte pour te dire que je viens de recevoir, ce matin, ton colis venu par le dépôt, et absolument intact. Il contenait:

2 chemises

2 flanelles

2 caleçons

2 mouchoirs

3 paires de chaussettes

1 saucisson

2 boites de sucreries

De tout cela, merci beaucoup et ce colis va me rendre grand service, je t’assure.

Nous voici à notre ferme où nous sommes très mal, mais le temps est très beau et un peu moins chaud. Nous prenons nos repas sur l’herbe et à l’ombre. Des pique-niques! Mais qui vraiment se répètent par trop souvent.

Notre vie est tellement monotone dans cette ferme isolée de tout, que le lieutenant, commandant la compagnie, et qui, décidément nous avons de la veine, a l’air d’un charmant homme, veut organiser des séances récréatives: monologues - chants - luttes - équilibres - etc... Je te parlerai de tout cela. Il faut bien se distraire comme on peut, car ici vraiment nous deviendrons complètement abrutis...........

19-22 juin.

Avant-postes à Armaucourt. Patrouille du Lieutenant d’Olce. Citations à la 23°.

19 juin.

Nous voici revenu dans notre village aux avant-postes et je vais recommencer à t’écrire plus souvent...... Comme je te l’ai dit, j’ai reçu ton colis du dépôt, l’autre jour et tout était en très bon état. Les bonbons sont excellents et décidément tu as une spécialité de caramels qui sont épatants.

Je suis content que vous ayez de bonnes nouvelles des cousins, je leur ai écrit il y a 5 ou 6 jours et j’espère bien qu’ils me répondront. J’ai reçu hier une carte de Jean me disant qu’il a changé de secteur. Il a maintenant le numéro 59. Toujours en bonne santé. Il m’appelle veinard et à ce point de vue, je suis tout à fait de son avis.

Figure-toi que je suis maintenant un élégant. J’ai touché des culottes bleu ciel et je me suis acheté des bandes molletières de même couleur, de sorte que j’ai tout à fait le nouvel uniforme bleu, des pieds à la tête. Je pense pouvoir t’envoyer des photos d’ici peu de temps...

P.S. L’autre jour, les 6 avions qui ont été jeter des bombes sur Nancy (voir les journaux) sont tous passés au-dessus de notre ferme et ont lancé des bombes qui ne nous ont pas faits de mal. Nous leur avons tiré dessus car ils volaient bas.

20 juin.

J’ai reçu aujourd’hui ta lettre du 17 juin renfermant deux jolies cartes postales représentant la fonderie de Ruelle. Quel joli pays et quelle jolie rivière que cette Touvre. Vous voila tous en famille, maintenant que Grand-Mère est avec vous; je suis de ton avis, cela lui fera grand bien au point de vue moral.

Je t’envoie ci-joint quelques photos:

1°) le sergent Balmadier et le sergent Triaud: deux bons copains de campagne. Jeune, lui aussi, ce camarade est un gentil compagnon, ami de la gaieté.

2°) le sergent Triaud tout seul.

J’espère que je pourrai t’envoyer d’ici peu des groupes. Je t’en envoie plusieurs, de façon que tu en donnes à Tante M.L., Grand-Mère et surtout ma chère petite Madeleine.

Naturellement, toutes ces photos, tu voudras bien les conserver de façon que si j’ai le bonheur de revenir, je puisse les revoir, car, le plus souvent, je ne les ai qu’à un seul exemplaire, que je t’envoie.

Un peu de pluie, ces derniers temps, à rafraîchi la température et a ainsi fait plaisir à tout le monde, mais le beau temps est revenu depuis aujourd’hui.

Nous avons de bonnes nouvelles dans les journaux depuis quelque temps, mais je crains que malgré tout, la guerre ne soit encore bien, bien longue.............

21 juin.

J’ai reçu, ce matin, un bien agréable colis de friandises qui m’a fait d’autant plus de plaisir que je ne l’attendais aucunement. Tu ne me l’avais annoncé par aucune lettre et j’ai été très surpris en le recevant. Il a d’ailleurs été le bienvenu, sois en persuadé et je t’en remercie beaucoup: ces "Duchesses d’Angoulême » sont véritablement "d’excellentes" personnes.

J’ai le plaisir de t’envoyer encore aujourd’hui quelques photos faites par le nouvel appareil du lieutenant Voisin. Ma section, presque au complet, n’est pas trop mal réussie. L’autre est une vue du grand étang de Brin qui se trouve en plein milieu de l’immense forêt de Champenoux que nous connaissons comme notre poche depuis un an que nous sommes aux environs ou à l’intérieur même. Les bords de cet étang sont de toute beauté et, l’autre jour nous avons été prendre des douches dans une installation de fortune, faite à proximité de cette nappe d’eau. Tu me reconnais d’ailleurs au milieu du canot.

Rien de nouveau ici, si ce n’est des nouvelles de notre ancien capitaine qui est à la compagnie du 125° qui occupe Neuville-St-Waast. Bonne place, n’est-ce pas, quand on vient d’Armaucourt!!

J’ai écrit, hier, à Jean en lui envoyant ma photo. Je répondais d’ailleurs à une carte reçue tout dernièrement. Tu vois que nous sommes en grande correspondance tous les deux.

Au revoir, chère Maman, garde bien toutes ces photos, tous ces dessins et autres souvenirs de la guerre. Je serai si content de pouvoir le revoir après!.........

22 juin.

Rien de nouveau à te dire depuis hier, si ce n’est un homme blessé à l’épaule droite à la 23° compagnie dans une patrouille faite de l’autre côté de la Seille. C’est le premier au bataillon depuis notre retour de Woëvre. A l’autre bataillon, il y a eu un sergent tué et 3 soldats blessés en allant également de l’autre côté de la Seille. Ils ont heurté une des innombrables mines posées par les Boches et ont volé en l’air.

Je t’envoie, ci-joint, une bague en aluminium. Tu sais peut-être par les journaux ou par ouï-dire que les Boches n’ont plus que très peu de cuivre et que, dans la mesure du possible, ils le remplacent par de l’aluminium. Ainsi leurs fusées d’obus sont depuis quelques mois dans ce métal. En Woëvre nous avons pu en ramasser de nombreuses et la mode chez les poilus est d’en faire des bagues. J’avais donc, comme les autres, ma bague, mais un de mes amis (celui qui est peintre à Fouras et qui connaît l’oncle Alfred) qui est artiste et très adroit, m’en a fait une de toute beauté. Je t’envoie donc celle-ci comme curiosité. Peut-être Jean t’en avait-il parlé!

Nous partons, ce soir, à notre ferme; nous revoilà revenus sauvages pour 4 jours. C’est dommage, car nous nous gorgeons de cerises, de confiture de cerise, de confiture de rhubarbe, de fraises, de confiture de fraises, etc, etc...tandis que là-bas, nous n’avons rien, rien, rien..............

P.S. La bague ci-jointe vient d’une fusée d’obus reçu en Woëvre, tandis que celle que j’ai ne vient que d’ici, du récent bombardement.

23-26 juin.

Ferme de la Candale. Toujours sans eau et avec beaucoup d’insectes.

26 juin.

.........Je te remercie beaucoup de me donner si souvent de tes nouvelles. J’aime mieux recevoir des lettres plus courtes, mais plus fréquentes. J’ai écrit à Grand-Mère, en réponse à ta lettre du 18, puisque c’est elle qui me fait cadeau des 10 francs. Je pensais bien qu’elle recevrait bientôt ma première lettre de remerciements, mais si j’avais réfléchi, je lui aurais adressé directement à Ruelle et elle l’aurait reçue beaucoup plus tôt.

Tu me dis que Roger a un mieux dans sa jambe, qu’y a-t-il donc? Tu ne m’en avais jamais parlé, je le croyais seulement fatigué.

Je t’accuserai réception du colis de chocolat dès que je l’aurai, et je t’ai déjà remercié du colis de friandises qui m’a fait grand plaisir. Puisque tu pars définitivement le 1° juillet pour La Rochelle, la présente est donc la dernière que je t’adresse à Ruelle. J’espère qu’elle arrivera avant que tu en sois partie.

Tu me dis que je ne te parle pas des divertissements que nous avons projetés, je vais t’en parler. Nous avons organisé une petite séance de théâtre en plein air. Il y avait: chansons, lutte, petite pièce de Courteline « La lettre chargée », etc. etc... Les officiers y assistaient, c’était assez amusant. Cette séance a été retardée car nous avons été en alerte pendant 4 ou 5 jours. On craignait une attaque de notre côté car il y a eu du grabuge du côté de Parroy qui n’est pas très loin de nous.

La ferme où nous avons fait cette séance, est toujours aussi inhospitalière pour nous. Il n’y a pas d’eau, je ne sais au juste pourquoi; il est vrai qu’elle était inoccupée depuis plusieurs années. Comme parasites, je ne t’en avais pas parlé, c’est étonnant, car j’ai l’habitude de me plaindre de tout ce qui me gêne. Nous en sommes absolument infestés et nous avons des boufioles sur la figure et les mains, de plus, nombreux sont les hommes qui ont des poux. Moi, je me contente d’avoir des puces, mais j’en ai mon compte.

Je te remercie de me redonner l’adresse de Tante Alice. Je vais lui écrire, quoique ce ne soit pas une lettre bien commode et bien gaie à écrire, mais enfin, je le ferai tout de même. Je n’ai pas eu de réponse de Jean, ni de Maurice, mais j’espère toujours en recevoir.

Je te crois que l’aviation prend de l’importance et si jamais on demande des sous-officiers pour y aller, j’ai fermement l’intention de donner mon nom. C’est inouï le nombre que nous voyons passer au-dessus de nous, et la guerre qu’on leur fait à coup de canon et de mitrailleuses des deux côtés. Oh oui, c’est une guerre extraordinaire!

Notre Capitaine Mautraut, qui vient de partir, nous a envoyé une lettre de 12 pages: il nous dit que nous n’avons rien vu de la guerre et c’est tout à fait mon avis. Aussitôt arrivé, son régiment a attaqué pendant 5 jours consécutifs. Il a reçu 5 blessures légères. Avant d’attaquer, on distribuait des couteaux avec une lame de 20 centimètres à chaque soldat et les "poilus" se battent en bras de chemise à coups de couteau dans les boyaux. Dans son bataillon, il est resté, après les 5 jours, seul capitaine. Les autres tués; à 2 compagnies, il ne reste plus aucun officier, la sienne, qui a été la plus veinarde du régiment, n’a que 60 disparus dont 1'officier. Plus de prisonniers, de part et d’autres on poignarde, sans pitié, tout ce qui se présente même ceux qui se rendent, même s’ils sont blessés. C’est une guerre à outrance, il n’y a plus l’ombre de pitié de quelque façon que ce soit!

Que le bon Dieu me protège, de m’avoir épargné jusqu’à présent. Je L’en remercie bien, je t’assure, et toi aussi qui le prie tant pour moi.

Ici, rien de pareil. Situation toujours extrêmement calme. Nous allons aux avant-postes ce soir.................

27-30 juin.

Avant-postes à Armaucourt.

28 juin.

.......J’ai reçu, ce soir, ta carte du 24 juin me disant que tu as reçu mes 6 premières photos qui ont fait plaisir à tout le monde, j’en suis bien content; Par le même courrier, je recevais une carte-lettre de Tante Marie-Louise qui me remerciait également et me vantait Muguette dans des termes bien affectueux. Elle parait attristée de ton départ prochain, ainsi que de celui de Madeleine et de Muguet.

Le même courrier m’apportait aussi une longue lettre de Jean qui me raconte sa vie en mer depuis bientôt 10 mois. Pauvre Daniel, pourvu que sa blessure ne soit pas grave. Quant à Jean du Sault, c’est bien ennuyeux, comme tu dis, car s’il est réformé, cela prouve que ses doigts ne reviendront jamais et, dans ce cas, ce sera probablement bien gênant pour son métier de docteur.

Je t’envoie encore une photo. C’est la meilleure escouade de ma section avec laquelle j’ai voulu me faire prendre. La photo est petite, mais pas trop mauvaise.

J’espère que j’aurai bien manoeuvré de façon que tu aies une lettre le dernier jour à Ruelle et une autre, le premier jour à La Rochelle. Dis-moi, je te prie, si j’ai réussi.

Ici toujours la même chose. Veux-tu avoir l’obligeance de m’envoyer encore quelques cartes-lettres, mais des bleues car les blanches sont transparentes et ne collent pas bien. Je n’aime pas beaucoup ce système de dépêche..........

30 juin.

..........J’ai reçu, aujourd’hui, ta carte signée également de Tante Marie-Louise, Madeleine et Ninette. La vue est superbe et les signatures m’ont fait grand plaisir.

Je viens te parler sérieusement aujourd’hui. J’ai appris, de source certaine, que, malgré le peu d’avancement qu’il y ait dans ce régiment, vu qu’il a très peu donné, je suis dans les premiers auxquels on pense pour le grade de sous-lieutenant. Le seul empêchement vient du père Millet qui dit: Le jeune Triaud est très intelligent et a tout ce qu’il faut pour faire un officier, il a le seul défaut d’être trop jeune. Mais enfin, on verra. Le Capitaine Mautraut a beaucoup parlé de moi, je crois que Mr Martin l’a fait aussi. Je viens te demander si, discrètement, et si cela ne t’ennuie pas surtout, tu ne pourrais pas parler de cela soit à Monsieur Chevreau, qui connaît intimement le Colonel Delon, soit à Madame Gaillard (le Capitaine Gaillard est tout puissant auprès du colon et en me serrant la main l’autre jour, m’a demandé quel était le crime que j’avais commis pour ne pas être encore officier. Soit à Tante Marie-Louise qui connaît, je crois, beaucoup le Commandant Millet, soit encore à Madame Morache dont le fils, Capitaine, a beaucoup de poids sur les officiers du bataillon et du régiment.

Je crois que je suis sur la limite et de l’avis de beaucoup de lieutenants qui m’en parlent, il ne faudrait pas grand chose pour que je passe dès qu’il y aura une place. On ne recule que devant mon âge et je suis vexé qu’après bientôt 3 ans de service et me sentant capable de mener au feu une section, je sois en dessous de copains comme les jeunes Bernard, Maubaillard ou Schenck et Cie qui n’ont que quelques mois de service.

Ce n’est pas de ma faute si je suis dans un régiment où forcément tous les autres sous-officiers sont plus anciens en grade ou plus âgé que moi. Je te parle de cela sérieusement, voila déjà quelque temps que je voulais le faire, mais je n’étais pas assez sur la sellette. Maintenant, réfléchis-y, je te prie et si tu ne vois pas d’inconvénients, parles en aux personnes susdites.

Je sais que tu n’aimes pas ce qu’on appelle le "piston" mais, vois-tu, tout le monde en use et ma foi, je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas comme les autres. C’est qu’en passant ainsi, il se pourrait que je puisse en faire ma carrière après la guerre, ce qui serait avantageux. Si tu vois un autre piston encore meilleur, par les Schenck ou le commandant Gombeaud qui connaît aussi le colonel ou autres....... fais-le si, encore une fois, ce procédé ne te rebute pas trop.

Sinon, je ferai mon devoir jusqu’au bout, je te le promets et tâcherai d’obtenir l’épaulette par mon mérite; mais cela a si peu de valeur par les temps qui courent, je m’en aperçois que trop depuis quelque temps.

Excuse mon écriture, mais je n’ai pu t’écrire hier, ayant le bras complètement enflé par d’énormes piqûres de je ne sais quel insecte. J’avais même des glandes sous le bras droit. Aujourd’hui cela va mieux, mais je ne peux pas encore bien serrer mon porte-plume.

J’espère que ton voyage de retour se sera bien passé et que vous avez retrouvé tout en ordre à la maison..............

P.S. J’ai reçu le chocolat: Merci;

Pense à moi et fais de ton mieux, j’ai tant confiance en toi!

Ci-joint: un journal, une chanson et un cliché, celui de l’église de Mandres-aux-4-Tours (Woëvre)

Le 323° de Ligne

A l’attention de notre beau régiment de réserve, le caporal Deschamps, de la 19° Compagnie, a rimé ces couplets dont l’air est celui du chant des Allobroges. Nos braves troupiers, on le voit, ne perdent pas leur temps: après les heures de luttes et de combats, ils se divertissent en composant et en chantant des refrains de guerre, où ils célèbrent les faits et gestes de leurs compagnons d’armes:

I

Je te salue, 323 de ligne,

Qui combattit toujours au premier rang

Pour la Patrie dont vraiment tu es digne,

Pour ton drapeau, qui flotte fièrement.

Quand tu soutins des charges héroïques,

Tous tes soldats se portaient en avant,

En criant tous: "Vive la République!"

Sabrons, tuons (bis) ces coquins d’Allemands.

Refrain

Homm’s du 323, la France vous regarde,

Régiment glorieux, sans reproch’ et sans peur,

Quand sonnera la paix, ton Drapeau en parade

Aura la croix d’honneur, la croix d’honneur.

II

Quant au plateau d’Armande tu fis tête

Aux Allemands, émules d’Attila,

Tu étais seul et la mort était prête

Prête à te prendre, jamais tu ne tremblas

Le 75, qui en chaque bataille

Se distingua et en fut le vrai roi,

En arrosant les Boch’s de sa mitraille

A décidé (bis) la victoir’ avec toi.

Au refrain

III

Mais tu fis preuve ailleurs de ta vaillance.

Des ennemis tes bataillons altiers

Débarrassèrent la forêt immense

De Champenoux et le pays entier

323, après cette victoire,

Les coeurs Français battir’nt plus librement,

Tu as donné pour conquérir la gloire,

Tu as donné (bis) la moitié de ton sang.

Au refrain

IV

Soudain un jour un ordre te dépêche

Dans Woëvre pour tenir les tranchées

Pendant deux mois tu y fus sur la brèche

Dans l’eau, la boue, jamais tu n’as bronché

Tu fortifias le secteur sous les balles

Et maintenant grâc’ à tes brav’s soldats

Guillaum’ avec son troupeau de vandales

Pourront venir (bis) mais ne passeront pas.

Refrain

Homm’s du 323, la ville de La Rochelle

Vous suit avec fierté dans vos raids triomphants

Et quand vous reverrez la vieille citadelle

Elle criera: "Merci!" A ses enfants.

1-4 juillet.

Ferme de la Candale.

3 juillet.

..........Le jeune La Rochefoucauld que j’ai vu à Bolbec avait bien un château près d’Angoulême. Ca doit être celui que vous avez visité. Il était d’ailleurs colossalement riche.

Pour le bracelet de Muguette, je ferai mon possible, mais pour cela il faut recevoir des obus; enfin j’espère que messieurs les Boches voudront bien nous envoyer la matière première et que, d’ici quelques jours, je pourrai faire faire le bracelet par mon artiste.

Je t’envoie des photos, tu as déjà une d’elles, mais cela ne fait rien. Garde-les bien pour après la guerre et dis-moi si tu as bien conservé la collection que je t’ai déjà envoyée. Sur celle des réseaux, tu me verras à côté du lieutenant, commandant la Compagnie, qui est d’ailleurs bien, bien gentil. Nous avons de la chance pour cela. C’est beaucoup.

Nous allons aux avant-postes demain soir, je t’écrirai plus longuement à Armaucourt......

P.S. Mon bras va mieux, mais est encore enflé.

5-8 juillet.

Avant-postes à Armaucourt avec une section du 57° bataillon de marche. Orage.

6 juillet.

Nous sommes aux avant-postes et nous avons une chaleur épouvantable. De plus le nombre des mouches et des insectes augmente tous les jours, de sorte que nous ne sommes pas à notre aise, je te promets.

Mon bras est guéri maintenant, mais je me suis réveillé hier soir avec un oeil gros comme le poing. C’est à peu près passé aujourd’hui et ne me fait pas grand mal, mais c’est dégouttant et ennuyeux. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à la compagnie et nous avons presque tous un membre enflé: soit un doigt, soit un bras, etc. etc...

Je ne sais pas si tu as vu dans les journaux qu’il allait y avoir des permissions pour les hommes du front, je suis dans les conditions voulues puisque je n’ai pas quitté le front depuis le début des hostilités, mais patatras..... les hommes mariés et, parmi ceux-ci, ceux qui sont le plus chargés de famille passent avant.

Calamité! Sur 250 hommes à la compagnie 186 sont mariés, tu vois que cela me reporte loin pour venir vous embrasser. Enfin, je ne désespère pas et, cet hiver, ce sera peut-être mon tour puisqu’il en part 10 par compagnie tous les 10 jours.

Pour ma recommandation, j’espère que tu auras fait ce qui te paraîtra le mieux. On dit que de Lignerolles va passer et même comme lieutenant téléphoniste ce qui est très chic, car on n’a rien à faire. C’est de plus presque une "assurance sur la vie" car on reste en arrière même au combat! Tant mieux pour lui.

Je crois que le colonel Delon va aller à La Rochelle ces jours-ci car, à tout seigneur tout honneur, il profite de la première permission d’officier. Tu pourras donc, si tu es en relation avec Madame Delon, ta voisine, avoir des tuyaux sur nous et notre situation! Enfin, fais ce que tu jugeras bon! Mais tu peux te tenir au courant par tes connaissances: il y aura des permissions pour La Rochelle, et quand quelqu’un de connaissance ira: Mr Martin, Mr Millet, Mr Gaillard, Mr Mörch, Mr Morache, etc... de Lignerolles, ou Bouyé (oh! Il n’est pas marié!) tu pourras avoir des nouvelles fraîches.

Et Jean, il va peut-être avoir une permission! Que je serai content pour Madeleine et lui si cela se pouvait. Parles-lui en. C’est général, puisque c’est papa Joffre qui a donné son assentiment.

J’espère que vous avez tout trouvé en ordre à la maison et cette aimable dame Lambert doit être chez toi. Si c’est elle a qui Madeleine m’a présenté un jour à Mézières, veuillez, je vous prie lui présenter mes plus respectueux hommages. Sinon. Rien.

Je vous envoie quelques pensées (toujours dans la lettre). Nous en avons toute une collection; elles sont toutes plus jolies les unes que les autres.

Ces idiots de Boches n’envoient plus un seul obus sur nous depuis quelque temps de sorte que le bracelet du Muguet n’avance pas beaucoup. C’est stupide et je fais pourtant chercher par mes hommes des fusées dans les environs du village; mais rien. Enfin ne désespérons pas.

Je te quitte en vous embrassant toutes trois de tout coeur et en vous souhaitant moins de chaleur et moins de mouches que nous...........

7 juillet. (3 cartes postales)

.......... Merci de ton colis de cartes-lettres, c’est très commode car dans ce cartonnage, les cartes ne s’abîmeront pas dans les poches. Je t’envoie, aujourd’hui, des vues de 2 villages dans lesquels nous avons cantonné. Réméréville était dans cet état quand nous y avons couché, c’est te dire l’abri sérieux que nous y avions contre les intempéries. Nous y sommes passé en décembre dernier. L’autre, Cercueil, nous y avons été vers le 15 août alors qu’il était intact; depuis, nous y sommes passé très souvent et il est dans un piteux état, comme tu peux t’en rendre compte. Et dire que dans la Meurthe et Moselle, nombreux sont les villages ainsi démolis! Et si c’était le seul département! Pauvre France et pauvre Belgique, en quel état vous ont mis ces vandales.

Ici, toujours la même chose. Nous avons eu, la nuit dernière, un orage semblable à celui de la dernière fois, mais il a duré, sans interruption, depuis 9h du soir jusqu’à 2h du matin. C’était superbe, parce que j’étais à l’abri. Ah bien! Les orages de La Rochelle ne sont rien à coté de ceux-ci. Ils sont effrayants ici..................

9-12 juillet.

Ferme de la Candale. Football. Gymnastique. Sports.

9 juillet.

Nous revoici à la ferme de La Candale où nous ne sommes toujours pas mieux qu’avant. Heureusement qu’il fait moins chaud depuis ces violents orages, de sorte que l’on peut maintenant un peu plus respirer dehors.

J’ai reçu aujourd’hui ta lettre du juillet qui m’a fait bien de la peine en m’annonçant la mort de ce pauvre Pierre Schenck. Est-ce assez épouvantable tout de même cette guerre qui anéantit en une minute une vie humaine si jeune, une intelligence si vive, un garçon plein de santé et de gaieté que ce pauvre ami. Les parents doivent être fous de douleur, eux qui étaient si fiers, et à juste titre, de ce Pierre. Je vais leur écrire un mot car vraiment cette nouvelle m’a beaucoup touchée. Nous avons fait tant de parties et promenades ensemble!

J’ai appris également la mort, également dans les Dardanelles, du sous-lieutenant Lacroix, du 123. Le lieutenant Lacroix dansait, si tu te rappelles, dans le menuet chez madame de Sairigné, ainsi que le lieutenant Lacroisade. Enfin les deux pays s’usent et lorsque la guerre sera terminée, ils seront aussi appauvris l’un que l’autre en hommes et en argent.

Je te remercie beaucoup, ma chère Maman, de ton intervention pour moi. Je ne savais pas que ce pauvre commandant Genet était encore une seconde fois blessé et de retour à La Rochelle, et en effet, puisqu’il y était, c’est une excellente idée de se recommander à lui. Il a déjà fait beaucoup pour nous et s’il réussit, nous lui devrons encore plus à ce brave homme Comme tu le dis, il est certain que si j’étais resté au 123°, il y a longtemps que je serais mort ou sous-lieutenant comme Gaillot, surtout avec le commandant Gombeaud qui à ce moment-là était adjoint au colonel.

Mais combien de sergents sont tombés au 123°! Et cette pauvre 7° compagnie a tellement trinqué qu’il est bien probable que je ne t’écrirais plus à l’heure actuelle. Enfin, pour finir, fais ce que tu peux et puis laissons faire; cela viendra peut-être à la longue, mais les nominations sont rares au régiment qui a perdu peu d’officiers.

Quant aux piqûres, ne t’inquiètes pas outre mesure. Elles font enfler énormément la partie piquée, mais ne font pas grand mal et dégonflent au bout de 48 heures. D’ailleurs, ce n’est pas une affaire de sang puisque tout le monde en souffre plus ou moins. Pour le moment, je n’en ai plus et suis intact.

Le capitaine Martin est parti hier en permission pour La Rochelle et ira probablement te donner directement de mes nouvelles. Quant au Colonel, ne l’attends pas, il n’y va pas encore, je te préviendrai d’ailleurs chaque fois que je saurai un départ pour La Rochelle. De plus, il y a un homme de la compagnie qui va à St-Xandre et à qui j’ai donné ton adresse. Peut-être ira-t-il, peut-être n’ira-t-il pas?

Merci beaucoup de la photo de Jean. Est-ce donc Madeleine qui les fait elle-même pour être si occupée. Quant à mon cliché, il n’y a qu’à le garder absolument comme les autres photos.

Je te quitte, ma chère Maman en t’embrassant bien affectueusement ainsi que Mad. et le Muguet. Veuille présenter mes respects au commandant Genet, si tu le revois et mes respectueuses condoléances aux pauvres Schenck ............

11 juillet

...........merci beaucoup, et surtout de l'empressement avec lequel tu as eu la bonté de m'envoyer les 20 francs aussitôt arrivée à La Rochelle.

Tu me dis dans une lettre que Jean du Sault à pris du service dans une ambulance. L'immobilité de ses doigts ne le gêne donc pas pour son métier. C'est encore heureux pour lui, car j'appréhendais fort cette calamité pour lui.

Quant au docteur Martin, je ne le savais pas à Talence; au contraire, je le croyais toujours médecin-chef à La Rochelle. Je n'ai rien reçu de Cognac, et les fameux gâteaux que j'attendais d'après ce que tu m'avais dit dans une de tes lettres, ne me sont hélas! pas parvenus.

Je te remercie beaucoup de m'écrire ainsi plus souvent, cela me fait beaucoup plus de plaisir et, de mon côté, je t'écrirai en moyenne tous les deux jours.

Tu me demandes, sur la seconde de tes lettres précitées, mon avis pour choisir une carte de l'endroit où je suis. Je ne peux t'en citer q'une: celle dont je me sers moi-même et qui est la carte d'état-major au 1/80.000. Je connais bien celle en couleurs et au 1/50.000, mais je crois qu'on ne la trouve qu'à Nancy pour la région. Enfin tu pourrais la faire venir, mais c’est bien inutile, étant donné la bonne qualité de la première indiquée.

Pour répondre à ta question sur le Bois Le Prêtre, je te dirais que pour le moment, nous en sommes à une trentaine de kilomètres, mais là où nous en avons été très près, c'est lorsque nous avons été en décembre, aux environs de Pont-à-Mousson, au fameux signal de Xon. Lors de la dernière attaque des allemands sur Fey-en-Haye, nous avons très distinctement entendu les canons, et chaque fois que les Boches bombardent Pont-à-Mousson -ce qui arrive bien souvent- nous entendons comme si nous y étions.

Les pauvres Schenck, je les plains bien, chaque fois que j'y pense et j'admire bien cette Madame qui est si courageuse, dis-tu.

Richard, le caporal infirmier dont tu me parles est effectivement au 323°, mais je n'ai pas encore pu m'aboucher avec lui, car il est au 5° bataillon et nous ne nous voyons que très rarement.

Je te demande pardon de faire tant de fautes d'orthographes et je vais me relire désormais plus soigneusement...............

Ici, toujours la même chose, nous sommes toujours à la Candale, mais le lieutenant qui est très sportif, nous a acheté un ballon de football. Il a fait fabriquer une barre fixe, des barres parallèles, des sautoirs, etc, etc..... de sorte que nous nous distrayons de notre mieux. Heureusement, car nous finirions par nous ennuyer, entourés comme nous le sommes de tous côtés par des forêts. Demain soir nous retournerons à Armaucourt et je ne t'écrirai maintenant qu'une fois là-bas.

J'ai reçu aujourd'hui une carte postale de Madeleine expédiée de Fouras. Remercie-la, je te prie, de ma part, et présente également mes hommages à Mademoiselle Tissèdre, qui a eu la gentillesse de signer sur la carte....................

13-16 juillet

Avant-postes à Armaucourt

13 juillet

Nous voici aux avant-postes à Armaucourt et probablement pour la dernière fois, car on parle très sérieusement de relève. On va nous envoyer au repos! Nous n'y tenons guère, car nous ne sommes franchement pas très fatigués et que les repos ne sont pas bons à prendre (c'est toujours dans ces moments là qu'il nous est arrivé de partir soit sur Pont-à-Mousson, soit sur la Woëvre). Enfin, faisons ce que nous sommes forcés de faire. Naturellement.

J'ai vu hier un sergent du 57° (bataillon de marche) qui a fait son service au 57° et qui a beaucoup connu l'oncle Pierre. D'après lui, il est sûrement mort. Il a été en effet blessé le 15 septembre et en même temps que lui un adjudant dont la famille n'a également pas de nouvelles. Cette famille n'a d'ailleurs plus d'espoir! Ce sergent qui n'a été blessé qu'au mois de novembre suivant, se rappelle très bien quand l'oncle Pierre est tombé. D'après tous ces renseignements, doit-on encore espérer? Pour moi, je ne le crois hélas pas. Enfin n'en parle pas à Grand-Mère et laisse la toujours dans cette espérance. Il sera toujours bien assez tôt pour elle d'apprendre la vérité. Nous voici déjà au 14 juillet, date à laquelle j'ai vu pour la dernière fois ce pauvre oncle Pierre. Comme on était loin de penser à la guerre à ce moment-là! Moi qui étais si fier d'accompagner le drapeau du 123°!!

As-tu vu des permissionnaires? Pour le moment je suis chef de section depuis 4 ou 5 jours car mon lieutenant est en permission à Rochefort. Cela ne me change pas d'ailleurs, car il ne fichait absolument rien, mais j'ai la responsabilité et cela me plaît davantage.

Beaucoup de pluie et un temps un peu froid en ce moment, mais la situation est calme ici. (Ce que ça canonne sur notre gauche. C'est effrayant!)....................

15 juillet

J'ai bien reçu ta lettre du 11 juillet................. m'annonçant une bouteille d'ammoniaque pour mes boutons, bouteille que j'ai reçue d'ailleurs ce matin en très bon état; merci beaucoup. Cela pourra en effet m'être très utile en cette saison ainsi qu'a mes camarades, mais quelle pharmacie tu me fais porter sur mon pauvre dos! Heureusement qu'il est bon et fort!

Notre lieutenant, commandant la compagnie, vient d'être nommé Capitaine hier. Nous en sommes tous bien contents, car, de cette façon, il est probable qu'il restera à la compagnie, et, comme il est très gentil et très capable, c'est une bonne acquisition pour nous.

Hier, 14 juillet, a été bien calme pour nous, sauf quelques coups de canon qui vont faire avancer le bracelet de Muguette. Mais combien ce jour a été triste et morne en comparaison des autres passés auparavant. A La Rochelle, cela a du être très ordinaire aussi puisque toutes les réjouissances avaient été interdites.

J'ai reçu hier un colis de Grand-Mère, de Ruelle, contenant deux succulentes botes de conserves:

1°/ pâté de foie gras truffé.

2°/ jambon glacé.

Je les réserve pour des moments plus durs que ceux que nous passons en ce moment, et je lui écris aujourd'hui pour la remercier de sa bonté pour moi.

J'espère, moi aussi, pour Madeleine que Jean changera d'avis et viendra vous voir un de ces jours!

Pour l'avancement, rien ne presse, car il n'y a pas de place pour le moment au régiment..............

17-20 juillet

Ferme de la Candale.

18 juillet

Je n'ai rien reçu de toi aujourd'hui, mais comme je suis déjà en retard, je t'écris tout de même; Je t'avais dit, dans une de mes dernières lettres, que nous devions être relevés un de ces jours, mais le 234° qui devait le faire, est parti en alerte vers la forêt de Parroy attaquée, de sorte que nous restons encore à la même place. Trois jours plus tard, c'était à nous d'aller donner un coup dur. Je te dis que le 323° à toutes les veines. C'est la 2° fois que le 234° s'en va ainsi en auto, en alerte pour attaquer ou contre-attaquer.

Pour les permissions, les sergents mariés partiront tous avant moi, mais comme ils ne sont que 5, j'ai, je crois un peu exagéré l'autre jour, et j'espère qu'en Septembre, s'il n'y a rien de cassé, j'aurai le plaisir d'aller vous embrasser!

Nous avons eu, ces jours derniers, un temps épouvantable, et nous avions un travail d'Hercule à faire (réseau de fil de fer de 900 mètres de long, sur 30 mètres de large). Nous l'avons fait sous la pluie et dans une obscurité complète (car nous ne pouvions travailler que la nuit).

Cela nous a valu des félicitations de notre lieutenant qui vient d'être nommé Capitaine. Je ne sais pas si je te l'avais déjà dit. C'est l'homme le plus correct que l'on puisse trouver. Après notre ancien, nous disions qu'aucun ne pourrait le remplacer, et bien celui-ci est encore plus chic si c'est possible quoique d'un caractère diamétralement opposé. Autant l'autre était gai, extrêmement causeur avec tous, autant celui-ci est froid, ne riant jamais, mais sérieux, calme, doux, bon avec tous et devant avoir au feu, un sang-froid sans pareil.

Décidément la Compagnie est en veine de Capitaine et à un épatant, succède un encore mieux! C'est une grosse consolation, et un gros point, je t'assure d'avoir confiance en son chef direct.

Ce n'est pas comme le vieux Commandant M. que personne ne peut sentir, et qui prend son plaisir à contrarier tout le monde sans motif. Je me rappelle d'ailleurs avoir pesté sur lui dans une lettre à toi adressée, un jour que tu étais à Quinsac. Mon avis sur lui n'a pas changé, au contraire, car sans lui, je serais sous-lieutenant depuis longtemps déjà!

19 juillet

Je reçois à l'instant ta longue lettre du 16 accompagnée de 3 jolies photographies. Merci beaucoup. J'y répondrai très prochainement. Est-elle mignonne, cette Muguette, embrasse la longuement de ma part..............................

21 juillet

.....................Hillairet vient d'arriver et je l'ai beaucoup remercié d'avoir été te voir. Cela m'a fait grand plaisir d'avoir directement de vos nouvelles et je suis sûr que cela t'a fait plaisir à toi aussi de voir un vrai "poilu" de la 21°.

Pour les permissions, cela n'ira certainement pas vite pour moi, car la 2° fournée vient d'être décommandée aujourd'hui, jour où elle devait partir. Nous n'avons aucuns tuyaux. Est-ce pour toujours que les permissions sont supprimées. Est-ce dans toute la France ou seulement dans le secteur, nous n'en savons rien. Il parait que pendant cette 1° période, il y a eu beaucoup d'assassinats: les maris s'étant aperçus que leurs femmes les trompaient. Il parait que cela se fait sur une grande échelle et que, à l'arrière, la débauche va grand train.

Le fait est qu'un homme de la 22° compagnie vient d'être avisé que sa femme a mis au monde 2 petits nègres et qu'elle a quitté le domicile conjugal. Le pauvre homme en est presque fou! Enfin que ce soit pour un motif ou pour un autre, les permissions sont supprimées chez nous. Le Capitaine Morache qui devait partir, fait une sale tête. As-tu vu le Capitaine Martin? Puis avec ce système des hommes mariés partant d'abord, dans un régiment de réserve, je ne suis pas prêt de partir, de sorte que je ne voudrais pas te gêner dans un voyage à Quinsac. Tu peux le faire sans crainte et surtout que ce ne soit pas ma prétendue permission qui te fasse manquer une distraction. Cela m’ennuierait beaucoup.

As-tu entendu parler de l'entrée en ligne prochaine de la Roumanie? C'est ça qui serait une bonne chose pour l'affaire des Dardanelles. Cela, je crois, pourrait beaucoup hâter la fin de la guerre.

Ici, toujours la même chose, nous y sommes pour quelque temps encore puisque le 234° qui devait nous relever, vient de partir en alerte il y a 3 ou 4 jours! Tant mieux, car c'est calme ici.

Cependant les Boches deviennent un peu plus méchants; ils ont bombardé fortement la Candale l'autre jour. Je m'empresse de te dire que nous n'y étions pas. Nous étions aux avant-postes, puis hier, c'est Armaucourt qui a reçu plusieurs obus. Je m'empresse de te dire que nous n'y étions pas: nous étions à La Candale!!!!!

Avec ce petit système de jouer à cache-cache avec les obus, je pourrai peut-être arriver intact à la fin de la guerre. C'est ça qui serait chic!

Au diable les galons! J'aime mieux revenir plus vite et indemne, je trouverai toujours une position civile. Tu ne me parles plus de l'affaire de ton voisin. En quoi cela consiste-t-il, est-ce rémunératif et crois-tu qu'il voudra de moi. En un mot, est-ce mieux que les Contributions Indirectes?

Le Capitaine Ney est toujours aussi froids mais aussi correct et bienveillant pour nous. Hillairet t'en a dit du bien, je ne peux mieux faire! Quant à notre ancien capitaine, il a eu 5 blessures et une citation à l'ordre du jour, mais je crois que je rabâche et que je te l'ai déjà dit.

Au revoir, chère Maman, embrasse Mad. et Muguet bien affectueusement de ma part et prie Mad. de te le rendre pour moi.

P.S. Ci-joint une pièce de vers, une photo, une pensée noire. (toujours dans la lettre)

25 juillet

.............Nous sommes toujours au même secteur et pour le moment au repos à La Candale par un bien mauvais temps. Nous avons de la pluie et des orages depuis une quinzaine de jours.

Tu vas avoir encore ces jours-ci une visite d'un poilu de la 21°. C'est le sergent-major Pascal qui était sergent avec moi dans l'active et qui est un de mes trois bons copains. Il m'a promis, habitant La Rochelle, d'aller te voir et de t'apporter de mes nouvelles toutes fraîches.

Comme sergent-major, il passe avant les autres sous-officiers, bien que célibataire, le veinard!

Ce que t'as dit Hillairet au sujet du retour de l'ancien capitaine de la 21° est faux. Le bruit a couru, en effet, mais depuis que le lieutenant Ney a été nommé Capitaine, il n'en est plus question. D'autant plus que ce capitaine, voulant à La Rochelle monter à cheval, a fait rouvrir sa blessure à la cuisse et doit subir ces jours-ci une nouvelle opération.

Nous nous en félicitons tous, car c'était un alcoolique et un fou: en deux mots un homme dangereux pour ses subordonnés.

Je te remercie beaucoup d'avoir déposé au dépôt un gros colis pour moi, il sera reçu, sois en persuadé, avec tous les honneurs dus à son contenu et je t'en accuserai réception dès que je l'aurai.

Je me suis aperçu hier, mais trop tard, que j'avais laissé passer la fête de Madeleine sans la lui souhaiter. Tu sais que c'est une chose à laquelle je ne pense jamais. Pris la, je te prie, de m'excuser, je vais même lui écrire prochainement pour me faire pardonner.

Le bracelet du Muguet est en train de se faire et j'en active le plus possible la fabrication. Le dessin est de ma composition de même que la forme, mais je ne te dis pas ce que c'est . Ce sera une surprise -agréable, je le souhaite. J'aurais voulu qu'il soit fini ces jours-ci pour que Pascal l'emporte, mais l'artiste se fait tirer un peu l'oreille, pressé de toutes parts par beaucoup de clients.

Vous vous souviendrez qu'il est fait avec une fusée d'un obus tombé le 14 juillet sur Armaucourt.

On ne parle plus de repos pour nous. Tant mieux. Nous faisons la moisson autour du village de façon à ne pas perdre la récolte qui par ici est superbe, et les hommes aiment mieux faire cela que de recevoir des obus sur la tête. Ceux qui n'y connaissent rien, comme moi par exemple, assurent le service de garde et d’avant-postes.

Tu me dis que Basset compte aller en permission bientôt, c'est bien possible, car les commandants de compagnie font ce qu'ils veulent dans leur compagnie et la règle que je t'ai dite est celle en vigueur à la 21° compagnie. Que fait-on dans les autres ou à la section de mitrailleuses, je n'en sais rien....................

P.S. J'ai encore rêvé à mon mariage avec Yvonne Vast Vimeux....... Décidément!..?.........

28 juillet

Je viens de recevoir ta lettre du 24 juillet dans laquelle tu me dis être inquiète de ne pas avoir de lettre de moi depuis le 15. Je ne m’étonne plus: je t'ai écrit le 18, mais cette lettre a du te parvenir en retard, car le courrier de ce jour-là a été oublié pendant 3 jours par le vaguemestre. Puis je t'ai écrit le 21, ensuite le 25 et enfin aujourd'hui. Ton inquiétude va donc cesser, je l'espère.

Quant à ces engagements à Manhoué et à Bioncourt que tu as vu sur les communiqués, ce n'est pas grand chose et vraiment nous avons été étonnés qu'on ait pris la peine d'en parler sur les journaux. Il faut croire qu'il n'y avait pas grand-chose d'intéressant sur le reste du front.

Ce sont tout simplement des patrouilles boches qui, ayant passé la Seille, sont venues faire des indiscrétions chez nous; elles ont d'ailleurs été fort mal reçues et s'en sont retournées avec des pertes. C'est la 24° (capitaine Morache) à Manhoué et la 18° (lieutenant Mörch) à Bioncourt, qui les ont repoussés.

Nous, nous avons été alertés à Armaucourt mais les Allemands ne se sont pas présentés.

Puisque tu as la carte, tu vois que la boucle que fait la Seille nous protège beaucoup puisque Ham est occupé par nous, le jour et la nuit.

Le bracelet du Muguet est complètement terminé et je l'ai actuellement en poche, mais j'aime mieux ne pas l'envoyer par la poste qui perd beaucoup de choses en ce moment. J'attends un prochain départ de permissionnaires, et un sergent de ma compagnie, mais qui n'est cependant pas un très bon camarade, voudra bien te l'apporter, en même temps que de mes nouvelles. Je le trouve bien et tout à fait comme je le voulais, car j’en ai dressé moi-même les plans. Enfin attends une quinzaine de jours et tu pourras le mettre au bras si mignon et si bien potelé du gentil petit Muguet, de la part de l'oncle "Jor" qui l'aime tant.

Figure-toi que je viens encore de recevoir un colis de Grand-Mère, contenant du saucisson et des petits-beurre. Décidément, depuis quelque temps je trouve qu'elle me gâte plus que de coutume. En même temps que le colis, j'ai reçu d'elle, une très affectueuse lettre. Elle est vraiment bien bonne et je vais lui écrire tout à l'heure une lettre aux petits oignons.

Reçu également pour la 1° fois depuis la guerre une lettre de Roca.

Hier, il y a eu quelque chose de très intéressant. La batterie qui est tout près de nous a tiré violemment sur les Boches avec repérage par avion. L'avion envoyait des tuyaux par T.S.F. que nous avons depuis longtemps à La Candale.

J'ai suivi cela avec beaucoup d’intérêt et la précision avec laquelle on peut arriver par ce moyen là, est vraiment très remarquable.

J'ai reçu une lettre de Jean, écrite aussitôt après sa grosse affaire. Le pauvre, je pense qu'il en a vu pendant cette guerre! en comparaison de moi. Il a fait son devoir au moins lui, tandis que moi je n'ai rien fait. J'ai des doutes et je me demande si je ne devrais pas demander à partir pour le Nord, à mon âge!.........................

La BAGUE DU POILU

Dédiée aux Poilus du 323°

Vendue au profit des blessés

*

Air: Près de la Porte St-Denis

I

Venez avec moi chez les poilus,

Dans la tranchée, sous les obus:

Vous voyez les hommes occupés,

Dans leur travail, très absorbé;

Avec une lime,

Avec son couteau,

Chacun d’eux s’escrime

Après un anneau,

Il taille en silence, l’air très sérieux,

Cisèle un bijoux précieux.

Refrain

Non ! le sinistre éclat d’obus,

Méchant ne sera jamais plus.

Le poilu, de sa main habile,

En fait un anneau fragile,

Grave dessus un petit coeur,

Une croix ou même une fleur:

L’éclat meurtrier, n’est plus reconnu,

C’est la bague du poilu !

II

Boche avait dit: "Répandre la mort,

Métal léger, voilà ton sort".

Poilu de parler ayant son tour,

Dit: "tu seras gage d’amour";

Et ta fiancée

Bientôt le reçoit;

L’épouse charmée

Le porte à son doigt,

Alors du soldat, le coeur affectueux,

Tressaille à présent tout joyeux.

Refrain

Non ! le sinistre éclat d’obus,

Méchant ne sera jamais plus,

Le poilu, de sa main habile,

En fait un anneau fragile,

Grave dessus un petit coeur,

Une croix ou même une fleur;

L’éclat meurtrier, n’est plus reconnu,

C’est la bague du poilu !

III

Un jeune et gentil petit soldat

(J’lai su un jour, passant par là),

Avait fait sa bague simplement,

Puis à son doigt, très fièrement,

Amoureux fidèle,

Il portait l’anneau;

Songeant à sa belle,

Ah ! qu’il était beau !

Mais le nom chéri qu’il murmurait le soir,

Ses amis ne pouvaient l’savoir.

Refrain

Non ! le sinistre éclat d’obus,

Depuis lors, méchant n’était plus,

Le poilu de sa main habile,

Avait fait l’anneau fragile;

Il n’avait pas gravé de fleur

Mais, trois mots, dans l’intérieur;

Pourtant, ces trois mots, nuls n’les avait lus,

Dans la bague du poilu !

IV

Bien grand était l’amour, dans son coeur,

Qui lui donnait un air vainqueur,

Oh ! mais aussi bien mystérieux,

Il le cachait à tous les yeux !

"Non sa fiancée

Ne lui écrit pas".

C’était la pensée

Des autres soldats,

Mais lui, cependant, satisfait de son sort,

L’aimait, l’aima jusqu’à la mort !

Refrain

Lorsqu’un soir un éclat d’obus

Etendit raide le Poilu !

Ses amis, oh ! douleur amère,

Durent l’enfouir dans la terre !

Et retirant l’anneau précieux,

Les trois mots frappèrent leurs yeux:

"Vive la France!..." Voilà ce qu’ils ont lu,

Dans la bague du poilu !

Salva Gaël.

29 juillet-1 août

Avant-postes à Armaucourt. Bombardement de Chemcourt-Fossieu.

Feu à Bioncourt.

29 juillet

Ta lettre du 25 me fait voir que tu es rassurée sur mon compte et comme je pense que depuis, tu as dû recevoir la lettre retardataire du 18, je n'ai plus à faire disparaître chez toi d'inquiétudes à mon sujet. Tout va pour le mieux quoique les Boches bombardent un peu plus par ici, mais c'est un détail; nous avons de bons abris.

Néanmoins, je vais t'envoyer le prénom de ce brave Hillairet puisque tu veux entrer en correspondance suivie avec lui (Tu sais......il est marié!!!!!!!!!) ------Jullien.

Mon numéro matricule est au 123: 4220. Mais cela n'a pas d'importance puisque je suis au 323. Je vais te donner des tuyaux plus utiles pour ma recherche: ce qu'il y a sur ma plaque d'identité.

Triaud Georges. classe 1911-------

La Rochelle 358. (trois cent cinquante huit)

C'est à dire que sur le registre du papa Schenck, autrement dit du recrutement pour l'année 1911, j'ai le numéro 358.

Mon ami Pascal est-il venu te voir? J'espère qu'il n'aura pas oublié, car je lui avais bien recommandé d'aller à la maison, mais un jeune homme comme lui, et fiancé, doit avoir beaucoup d'occupations.

J'ai encore vu plusieurs hommes du 57 qui connaissaient l'oncle Pierre. L'un deux qui ne savait pas que le Capitaine Triaud était mon Oncle me dit: Celui-là, il ne l'a pas volé car c'était une belle v..... Il parait, en effet, qu'il était très dur et qu'à Rochefort, il était même méchant. Le Pauvre! Je le regrette tout de même beaucoup, et suis bien persuadé de ne plus le revoir!

Grand-Mère me parle de la permission de Penne et du retour qui a été pénible, cela me rappelle que Jean me dit qu'après des échanges violents de correspondances, Mad et lui avaient convenu de ne pas se revoir avant la fin de ce drame.

Je le regrette beaucoup pour Mad. et ne suis pas de l'avis de Jean à ce sujet. Je ferai tout mon possible pour aller en permission; si je dois y passer, j'aurais tout de même eu le bonheur de vous embrasser une fois de plus.

Ma prochaine lettre sera adressée à Mad. à qui je n'ai pas encore pensé à écrire, je suis un monstre et je m'en arrache une poignée de cheveux.

Je te quitte avec l'espoir que tu n'es plus inquiète et en t'embrassant ainsi que Muguette. N'oublie pas Mad. si elle est revenue de Nantes, cette voyageuse...................

2-5 août

Ferme de la Candale.

2 août

Voila aujourd'hui un an que la mobilisation a été décidée. Que d'horribles malheurs depuis ce jour maudit! et malgré tout, quand on regarde en arrière, comme le temps a vite passé. Quand j'y pense, tous les instants de cette année viennent à ma mémoire d'une façon merveilleusement exacte et je me souviens des dates de tels et tels événements. Je crois d'ailleurs que toute ma vie, les incidents de cette année seront présents à ma mémoire!

J’ai reçu l’autre jour ta lettre du 27 juillet et ce matin celle du 30.

Ce matin, j’ai reçu également la petit paquet de fondants que m’envoie Tante Marie-Louise. Merci beaucoup.

Par le même courrier, je recevais aussi une carte postale que Madeleine m’envoyait de Nantes. Elle est gentille d’avoir pensé à moi là bas, et je suis content, car ma lettre du 31 l’aura rejoint à son arrivée à La Rochelle.

Je viens de voir à l’instant Mr le Lieutenant de Lignerolles qui véritablement est un veinard avec son emploi de lieutenant téléphoniste. C’est, avec le lieutenant porte-drapeau, la plus belle sinécure pour un officier dans un régiment. (Toujours à l’arrière, jamais dans les tranchées). De plus, devant circuler à bicyclette pour surveiller ses lignes, il s’échappe à Nancy aussi souvent que cela lui plaît. Aussi a-t-il fait venir à Nancy sa "Christine" et son gentil petit "Marc". Il est toujours très gentil et est venu ce matin à La Candale exprès pour me voir.

Le piston est une belle chose, car il a été nommé contre la volonté du Commandant M. Qui ne voulait pas de lui à tout prix: je ne sais pour quelle raison. Il a d'ailleurs été le "remercier" ironiquement, une fois nommé, et ils se sont échangés tous les deux des mots plus que très froids. J’en connais un qui, s’il est nommé, pourra en faire autant!!!

Je suis content que Pascal ait été te voir, c’est gentil à lui d’y avoir pensé. Pour la 3° série, je t’envoie encore un sergent: le sergent Fayaud qui t’apportera le bracelet de Muguette et une bague pour Madeleine.

Il t’a dit des chose fausses au sujet de ma permission et je lui avais pourtant dit de t’expliquer de vive voix le mécanisme de la Compagnie à ce sujet. Oui, avant que la décision fut prise de faire partir les hommes mariés les premiers, les lieutenants Voisin et Boussiron m’avaient promis de me faire partir dans les premiers. Mais c’est changé depuis. C’est pourquoi Pascal m’avait attendu, mais voyant que je ne pouvais partir, il a profité de son double galon. Il a bien fait.

Il ne t’a pas trompé, et je vais très bien. Ma jambe va bien aussi, le docteur dit qu’il faudra faire un pansement encore un certain temps, mais que cela va bien. J’en profite donc pour mettre mon sac à la voiture pour les déplacements et me fait exempter des corvée ennuyeuses.

J’ai revu Basset qui vient maintenant avec sa mitrailleuse à Armaucourt. Il y avait plus de 2 mois que je ne l’avais vu. Il va très bien et a même un peu grossi. Toujours le même brave garçon! .........................

3 août

Deux mots simplement pour te dire que je viens de recevoir à l’instant ton colis du dépôt en très bon état. Merci du chocolat, des conserves, de la bouteille de citronnelle, etc, etc.... Tout cela est très joli et a l’air succulent. J’ai déja mangé quelques tranches d’ananas qui sont délicieuses; il y avait bien longtemps que je n’avais eu le plaisir d’en manger.

Rien de nouveau depuis hier. Le Capitaine Morache est revenu de permission, mais je n’ai fait que l’apercevoir...................

6-8 août

Avant-postes à Armaucourt.

8 août

J’ai reçu hier la lettre du 4 août de Madeleine. Je la remercie beaucoup. Je suis bien content que la petite croix ait fait plaisir à la mère et à la fille. Quant à la bague et au bracelet, elles vont les recevoir d’ici peu, car le sergent Fayand est parti depuis 2 jours déjà.

Dans une heure, nous allons définitivement partir d’Armaucourt, le 234 est avec nous et vient prendre notre si bonne place que nous avions depuis 3 mois. Nous allons donc au repos à Bouxières-aux-Chênes ( hélas! ce n’est pas l’autre Bouxières) mais c’est tout de même un gentil petit village qui a tous ses habitants et où j’ai déjà été plusieurs fois.

J’ai une nouvelle ennuyeuse à te dire: c’est que je ne pourrai plus t’écrire si librement; la censure va être bien plus sévère, et un officier par bataillon est désigné pour lire toutes nos lettres que nous ne devons plus cacheter. Cela à partir du 10 août. Aussi pour t’indiquer où je serai, ou pour te dire des choses défendues, tu prendras toutes les majuscules et, en les mettant à coté les unes des autres, cela fera des mots.

Si par hasard, cela ne fait rien de compréhensible, c’est que je n’aurai rien de particulier à te dire. Si tu trouves un moyen plus pratique que celui-ci, dis-le moi, je te prie, et je m’y conformerai dans mes lettres. Continue bien à me dire les lettres que tu reçois de moi, de façon que je vois s’il en est d’interceptées. C’est stupide, puisque les permissionnaires une fois chez eux, disent tout ce qu’ils veulent. Je ne vois vraiment pourquoi ils emploient des lois aussi draconiennes pour la correspondance. Enfin!

Je t’envoie par cette lettre puisque je le peux encore, 2 cartes postales, de pays ou plutôt d’endroits que j’ai beaucoup fréquenté cet hiver. Pauvre gare! Dans quel état elle est maintenant.

Ne t’inquiète pas pour ma jambe, c’est maintenant complètement guéri et cicatrisé.

D’après les bruits qui courent, nous devrions revenir à Armaucourt d’ici 20 à 30 jours, mais tu penses que si l’on a besoin de nous ailleurs, on ne se gênera pas pour nous y envoyer.

Ce brave Jean! Il est encore cité à l’ordre du jour, quel type tout de même mais encore une fois, rien de tout ce qu’il fait ne m’étonne de lui.

Pascal qui vient de revenir m’a dit avoir vu Roger et l’avoir trouvé en très bon état, pas plus malade que moi. Il devait partir aux mitrailleuses à Toulouse; en définitive que fait-il?

Ni Jean d. S., ni Maurice ne répondent à mes lettres, de sorte que je ne leur écris plus. Seul Jean m’a écrit, il y a 1 mois déjà une très affectueuse lettre.

Bonne santé à tous les trois................

9 août

Relevé par le 234°. Partis à minuit et arrivés à 2 heures à Bouxières-aux-Chênes.

10 - 11 août

Cantonnement à Bouxières-aux-Chênes.

11 août

Bonnes nouvelles de vous tous, j’en suis bien content. On est heureux d’être tranquille de ce coté là. Une lettre du petit-frère me ferait bien plaisir, car, par les journauX, nous voyons que cela chauffe toujours un peu là où il est. Il doit cependant être au repos comme il le disait.

Est-ce que Roger va mieux, et croyez-vous maintenant qu’il va être versé dans l’auxiliaire? Est-il toujours dans son infirmerie? S es rhumatismes doivent pourtant être guéris!

Quant à moi, je vais toujours très bien et ne suis plus aux avant-postes depuis quelques jours. Nous sommes dans un petit village duquel on a une vue magnifique et très étendue. Par exemple, nous sommes très occupés et avons beaucoup de corvées à fournir!

Ma plaie de la cuisse est tout à fait guérie, je crois te l’avoir déjà dit et nous n’en parlerons plus.

J’ai reçu ta lettre du 6 août avec le dessin du Muguet. Merci et compliments à Jean du S. pour son talent bien connu de dessinateur.

Grand-Mère m’a encore envoyé un colis de provision et une lettre. Décidément elle me gâte et depuis quelque temps je suis dans ses petits papiers. Je ne vois plus grand-chose à te mettre et mes lettres ne seront plus intéressantes car la censure est terrible. Nos lettres doivent partir décachetées pour être lues et cachetées par un officier censeur. Comme je ne peux sentir qu’un étranger mette le nez dans ma correspondance privée, je la fermerai le plus hermétiquement possible. (Ma bouche!!!)

Que veux-tu, tu sauras que je vais bien, mais cela doit te suffire apparemment au dire de ces messieurs. C’est ainsi que toute carte postale illustrée (représenterait-elle une vue du Nord ou de l’Aisne ou de.... je ne sais quoi) est impitoyablement refusée!!!

Donc je suis vivant, mais bien furieux de tout ce qui se passe. et la dessus je vous embrasse.............

P.S. Mon paquet du dépôt est reçu depuis longtemps déjà, et les deux caleçons me sont parvenus hier. Merci.

12 août

Manoeuvre et exercices de prise de tranchées à Courlis-Saun (?)

13-24 août

Cantonnement à Bouxières-aux-Chênes. Travaux très fréquents, exercices tous les jours, manoeuvres à Courlessaux, marches de 22 à 25 km, chaleur. En résumé: repos pénible.

13 août

J’ai reçu aujourd’hui ta longue lettre du 8 août dont je te remercie beaucoup. Et, oui! voila déjà plus d’un an que je vous ai quitté. Je n’étais pas bien gai, je me souviens et lorsque je suis passé devant vous près de la place d’armes, j’avais les yeux prêts à pleurer lorsque vous avez crié "Vive la France". Et pourtant, à ce moment là, qui aurait cru que ce cauchemar durerait si longtemps et que nous serions séparés pour plus d’une année. Enfin! courage, la fin est peut-être proche, comme dit le Capitaine Thürninger, mais quant à moi, je suis de l’avis de Jean et crois bien qu’il y en a encore pour de longs mois.

La censure est levée; on nous a prévenus hier que nous pouvions recacheter nous-mêmes et que le censeur du bataillon n’existait plus. Aussi j’en profite pour t’écrire une longue lettre.

Or donc, nous sommes au repos à Bouxières-aux-Chênes, tu as peut-être pu le deviner par une lettre d’avant-hier. C’est un gentil petit village dans un pays assez accidenté et très boisé. Nous y faisons quelques exercices et beaucoup de travaux.

Hier nous avons été en autobus à une vingtaine de kilomètres d’ici faire un exercice de prise de tranchées. C’est très intéressant, cette méthode toute nouvelle, mais je ne souhaite pas de le faire en réalité, car il ne doit certes pas en revenir beaucoup. Je suis désigné, dans ce cas, comme "nettoyeur de tranchées". C’est à dire que je fais le vide de la tranchée conquise avec toutes les armes possibles et inimaginables: revolver - poignard - couteau - coup de poing américain - grenades - etc... etc..........

On a pris pour cela, les francs-tireurs dont je fais parti, tu as pu le voir au petit carreau rouge que j’ai sur le bras. Ce sont tous des types sur lesquels on peut compter, des braves prêts à tout faire et tous volontaires. C’est avec eux que je faisais mes patrouilles à Bezange. Je n’avais jamais voulu te le dire, mais comme tu sais que j’ai toujours mes quatre membres, tu vois que je ne risque pas plus que cela.

Question linge = Merci pour les 2 caleçons reçus l’autre jour, mais prépare-moi, je te prie, un paquet qui n’est pas pressé et peut attendre le dépôt, composé comme suit:

2 bonnes chemises de flanelles solides.

2 bons gilets de flanelle.

2 serviettes de toilette.

2 bons mouchoirs.

3 paires de chaussettes coton (neuves)

Si je dis "bon", c’est que tout s’use avec une rapidité incroyable. Mes chemises, cellular, sont toutes déchirées. A force de coucher avec les mêmes chemises et tout habillé les affaires s’abîment. Puis le sac, qui est loin d’être léger, fini de tout casser. Mais encore une fois attends un départ du dépôt et ne te presse pas. Ces pauvres chemises que tu m’avais fait faire avec un soin jaloux, quand reviendrai-je pour les mettre???

Je suis content de ce que tu m’as dit de la lettre du colon. Un jour ou l’autre, ma nomination arrivera peut-être, mais tu sais, j’ai appris à être patient depuis un an.

Alors ce grand Loordregt est marié! et contre qui? Grand-Dieu! Qui a pu vouloir d’une aussi laide nullité? Est-ce que je la connais?

Quant au mariage de Le Garrec, je le savais en effet, et connaissais même sa fiancée.

Je te quitte, ma chère Maman, en vous embrassant bien affectueusement toutes les trois.

J’espère que Fayaud est venu vous voir maintenant et que mon petit Muguet est content de son bracelet. Je le souhaite vivement...............

16 août

J’ai reçu hier ta lettre du 12 août, je t’en remercie beaucoup. Comme tu le vois, elle est arrivée vite, et en somme, depuis que la censure est levée, la correspondance va mieux.

Jean m’a envoyé lui-même de ses nouvelles dans une lettre que je viens de recevoir à l’instant. Il me détaille son installation toute perfectionnée dans son bois d’Argonne, et continue à bêcher naturellement ce pauvre 323° traité cette fois de régiment de mollusque. Je vais lui répondre et le féliciter moi aussi de sa seconde citation, mais, grand-Dieu, quel type, il a l’air véritablement plus heureux au milieu des circonstances actuelles, que pendant la paix. Il dit qu’il ne s’ennuie pas du tout. Tant mieux pour lui. Mais vraiment les officiers d’ici et en particulier nos médecins, sont loin d’avoir son caractère et d’être de son avis. Et pourtant qu’ont-ils fait en comparaison de lui?!

Demain 4° départ des permissionnaires. J’ai tout contre moi pour ces damnées permissions. Partent d’abord:

Les pères de famille....................?

Les hommes mariés.....................?

Ensuite les célibataires par ordre de classe !!!

Tout est fait contre moi: je suis le plus jeune sergent du Bataillon et peut-être du Régiment. Si encore c’était l’ancienneté en grade, je suis un des premiers. Mais non! Enfin, heureusement que je suis là depuis le début, c’est la seule chose que j’ai pour moi, car, ainsi il y a 3 sous-officiers à la Compagnie qui passeront après moi................. En somme, ne m’attends pas encore avant 2 ou 3 mois......... J’ai presque le temps de passer sous-lieutenant avant, ce qui dans ce cas me retarderait encore! car je passerai....... le dernier.

J’espère que Fayaud sera passé à la maison cette fois-ci, il ne manquerait plus qu’il ait oublié. Qu’est-ce que je lui passerais dans ce cas! D’ailleurs, ce n’est pas un camarade à toute épreuve. Il est tout juste complaisant.

Je t’ai déjà dit, je crois, avoir reçu les 2 caleçons envoyés par la poste. Quant au colis de départ du 5 août, je ne l’ai pas encore, amis il m’a été annoncé tout à l’heure, et je vais l’avoir demain ou après-demain. Puisque tu me demandes ce que je veux pour cet hiver, je ne te demanderai que des chaussettes et un cache-nez. Mais attends pour ce dernier car je l'achèterai à Nancy si je suis nommé officier. Le gilet de laine et passe-montagne sont encore très bons et pourront encore servir au moins une bonne partie de l’hiver. Merci, donc et ne t’inquiète pas pour moi. Je t’ai demandé tout un colis dans ma dernière lettre; j’ignorais alors l’envoi de celui du dépôt et comme je ne sais encore exactement ce qu’il contient, soustrais-en ce que tu m’as déjà envoyé.

Nous sommes toujours au même endroit et nous avons des travaux innombrables à faire. Nous marchons et nous nous donnons de l’exercice 25 fois plus qu’aux avant-postes. En somme très occupé, mais à l’abri complet du danger. Ce que c’est tout de même, le 234° qui est là depuis 8 jours vient d’avoir 1 mort et 2 blessés à La Candale violemment bombardée, alors que nous en 3 mois, n’avons rien eu ou du moins au bataillon qu’un seul blessé.

je te quitte, ma chère Maman, pour écrire une lettre à ce sacré taquin de Jean..................

18 août

Deux mots seulement pour te faire mes voeux de bonne fête. Je te souhaite une bonne santé, et le retour le plus prompt de tes deux fils en bon état. Je n’y ai pensé que ce matin, de sorte que ma lettre arrivera probablement un ou deux jours en retard. Tu voudras bien m’excuser.

J’ai reçu une lettre de Maurice T. qui n’a pas l’air d’avoir reçu ma lettre. Je vais donc lui écrire. Il me félicite déjà de ma nomination future de sous-lieutenant. C’est sa mère qui le lui a dit. Je ne sais où ils ont pris cela car il n’y a rien de fait. J. Chagnaud me souhaite lui aussi un galon d’or!! Un de mes camarades a rêvé également que j’étais nommé. Peut-être cela arrivera-t-il, mais rien ne parait à l’horizon. Je vais toujours très bien. Nous travaillons énormément ici.................

20 août

Je reçois à l’instant ta lettre du 16 août, et également ton colis du dépôt contenant du linge. De tout cela merci. Je suis bien monté en linge maintenant et peux attendre le nouveau colis que je t’ai demandé l’autre jour, qui, je te le répète, n’est pas pressé.

Ta lettre comporte une injustice à mon égard. Je n’ai pas oublié l’X. comme tu le dis, tu n’as qu’a regarder le mot "journaux"; que veux-tu je n’avais pas de mots commençant par un X. et j’ai été forcé de le prendre à l’intérieur. Comme je te l’ai déjà dit, cette rigoureuse censure est levée pour un certain temps dont nous ne connaissons pas la durée. Nous en sommes tous contents et nous en profitons.

Je suis furieux contre Fayaud. S’il ne voulait pas faire la commission, il n’avait qu’à me le refuser, et je vous aurais envoyé le colis par la poste. Vous l’auriez déjà reçu depuis longtemps.

Nous sommes toujours au même endroit et nous travaillons comme des nègres. Mardi nous avons fait 40 km, hier 40 km, et tous les jours, marches, exercices ou travaux. Vivement les avant-postes.....................

22 août

Voila 3 jours de suite que je reçois une lettre de toi et, je t’assure, cela me fait grand plaisir. Merci. J’ai déjà répondu à celle du 16; aujourd’hui je réponds à celles du 18 et du 19.

Et d’abord, je te redis que j’ai mis un X. à Bouxières malgré que 2 fois tu me fasses le reproche de l’avoir oublié.

Ensuite, Fayaud est revenu de permission. Il n’a pas eu le temps de passer chez toi et m’a rendu le petit colis. Quelle rosse, mais encore une fois, cela ne m’étonne pas de lui. Je confie donc cette fois ces petits objets à un jeune homme très complaisant et de bonne famille, parent je crois, en tous cas ami intime des Gaillot. Bien que n’habitant pas La Rochelle, il y passe 24 ou 48 heures et se charge de te faire parvenir le paquet. Il ne viendra peut-être pas lui-même, mais te le fera envoyer par les Guillot. Il s’appelle Roux et est caporal-fourrier à la 22° compagnie. J’espère que cette fois-ci, ils te parviendront. C’est en allant mettre le colis à la poste que je l’ai rencontré et qu’il m’a dit qu’il partait demain.

Merci beaucoup de m’avoir envoyé les vers de Jean, ils sont en effet très drôles et très spirituels. Encore un talent de plus à lui ajouter.

Tu trouvera dans ma lettre la petite croix de Lorraine demandée par Madeleine. C’est avec un grand plaisir que je lui envoie, et si elle désire autre chose, je m’empresserai de faire mon possible pour la satisfaire.

Alors, cette brave Jeanne Bouscasse, je ne peux l’appeler autrement est mère d’un gros garçon. Pauvre petite, je suis bien heureux pour elle que tout se soit bien passé. Je remarque que c’est la première fois que tu m’en parle sur tes lettres. Son mari est dans l’auxiliaire, je crois, c’est donc heureux pour elle que nous ne soyons pas de la même religion, car qui sait si j’en reviendrai et cela ferait une veuve de plus. Car tu sais, je te promets que si ce n’avait été pour ma famille et en particulier pour toi, j’aurais tout fait pour l’épouser et elle aussi, combien de fois me l’avait-elle promis. Pauvre chère Amie, je l’aimais bien, je t’assure et je me rappellerai toujours la lettre qu’elle m’écrivit pour me demander si oui ou non elle devait accepter Obissier?? Je ne sais si je vivrai encore longtemps, mais je n’en trouverai d’aussi a qui me plaise autant. Enfin, lorsque je te suis bien reconnaissant de m’avoir parlé d’elle, car, à part une lettre de son frère reçue cet hiver, je n’avais pas eu de nouvelles d’elle.

Et Gynette, je ne la croyais pas atteinte d’appendicite. Est-elle tout à fait remise? Pauvre Mme de Sairigné, elle doit bien se tracasser avec ses deux enfants......................

25 août - 8 septembre

(Marguerite, Adeline)

Cantonnement à Bouxières-aux-Chênes. Même chose que plus haut. Exercices de prise de tranchés à Bratte, devant les généraux.

25 août

J’ai reçu hier ta lettre du 21 août et aujourd’hui la carte de P. Martin qui, d’ailleurs, est passée par La Rochelle.

J’ai trouvé quelques cartes de Metz que je t’envoie car elles te feront plaisir. Le marchand m’a promis de m’en faire venir d’autres et je te les enverrai dès que je les aurai achetées. Pauvre Jeanne Bouscasse, je n’avais pas encore écrit. Heureusement.

Nous sommes toujours au même endroit et très très occupés. Hier, marche de 25 km dans un pays superbe, mais bien dur à parcourir à cause des côtes. Aujourd’hui, ce matin corvée dans un bois par un temps superbe. Toute la matinée a été délicieuse de 6 heures à 11 heures, mais chaude pour revenir. Ce soir, quelques officiers et 3 ou 4 sous-officiers dont je faisais partie, nous avons été lancer des bombes et des grenades. Très intéressant, il y a plus de 15 types différents et je vais être instructeur grenadier d’ici peu à la compagnie.

Avant-hier, l’escadrille d’avions de Nancy (190 biplans) est sortie tout entière en exercice et est passée au-dessus de nous. C’était féerique! Jamais je ne verrai un semblable meeting!!!!

J’espère cette fois-ci que le bracelet vous sera parvenu et qu’il aura fait plaisir au Muguet. Lui va-t-il au moins et peut-il le mettre. S’il ne peut l’enlever, laissez-le lui tout de même et plus tard on le fera couper! La croix de Lorraine de Babou est sans doute arrivée. C’est dans ma dernière lettre que je l’ai envoyé.....................

P.S. J’ai reçu une lettre de Jean C.. Pour changer il me taquine!!!!

28 août

Je n’ai pas de lettre nouvelle depuis celle du 21, mais comme le courrier n’est pas encore arrivé, je ne fermerai ma lettre que lorsqu’il sera passé.

Nous avons un travail fou, ici, mais je me porte bien. Avec ces chaleurs, nous transpirons énormément et cela va me faire maigrir, je l’espère du moins. Nous avons un très bon ordinaire, ayant à sa tête un chef de popote hors ligne. C’est un chef de rayon chez Potin à Paris et qui s’y connaît, je t’assure.

Ce matin, le bataillon s’est réuni au complet, le Colonel et le Drapeau sont venus pour remettre la médaille militaire à notre vieil adjudant qui ne se tient plus de joie. D’où réjouissances extraordinaires à la popote. Je t’envoie dans cette lettre une photo prise ces jours derniers dans une des nombreuses marches que nous faisons. Il y a déjà quelques jours que je l’ai et 2 fois déjà j’ai oublié de la mettre dans ma lettre. Tu voudras bien, je te prie, la joindre à mes autres souvenirs de campagne.

Quel joli pays et quel beau temps depuis une quinzaine de jours, mais quel dommage d’être en guerre au lieu de pouvoir tirer sa coupe dans l’océan!

L’ennemi marque un peu plus d’activité (par l’artillerie) depuis quelques jours, nous aussi d’ailleurs. C’est en ce moment une guerre aux clochers. Tout ce qu’ils nous font, nous leur rendons doublement, eux se vengent, de sorte que cela peut aller loin. C’est ainsi que tous les soirs, du haut de notre village où nous voyons très très loin chez les Boches, nous avons à admirer un village (tantôt français, tantôt allemand) qui brûle. Ils ont abattu les cloches de Brin et de Bey. Immédiatement nous avons abattu ceux de Bioncourt et de Manhoué. Ils ont mis le feu à Arraye; Fossieux et Jallancourt ont brûlé. Ils ont mis le feu à la ferme de la Candale (triste souvenir), nous avons bombardé Fresnes-en-Saulnois, et... etc... Mais dans tout ceci l’artillerie seule fonctionne et nous autres, fantassins nous ne faisons rien - qu’encaisser - Il y a eu plusieurs victimes à La Candale et dans le secteur que nous venons de quitter.

J’interromps ma lettre pour voir si le courrier est arrivé et je continuerai après. A tout à l’heure........

Je viens de recevoir le courrier et il y avait une lettre de toi pour moi. C’est ta lettre du 25 août. Merci. Dis à Madeleine de présenter mes hommages à Jeanne Obissier lorsqu’elle ira à Grammont. Décidément tous les maris de mes amies sont dans l’auxiliaire puisque Harriet va se marier! Tant mieux pour elle!

Je te quitte car nous nous mettons à table et tout le monde me bouscule..............

4 septembre

Ma chère petite soeur,

J’ai reçu hier deux choses de vous:

1° ta longue lettre du 29.

2° le gros colis de linge venu par le dépôt.

Tant mieux que le bracelet et ta bague t’aient fait plaisir et aient amusé le Muguet; c’est uniquement ce que je désirais. Ce Roux a été bien plus complaisant que cet imbécile de Fayaud. Quand je pense que ce petit paquet a déjà passé 8 jours à La Rochelle sans avoir été chez vous, c’est stupide.

Pour ce qui est d’un bracelet pour toi, je vais faire mon possible, mais pour cela il ne faut pas être au repos où l’on ne reçoit pas d’obus. Les ouvriers chôment en ce moment-ci au bataillon, n’ayant plus de matière première. Pour la dimension, on fait ce que l’on veut, et pour le bracelet de Muguette, on a été obligé de faire fondre une fusée naturellement trop étroite et de la faire fondre dans une boite de cirage que j’avais mesuré et qui était juste à la dimension du bout de laine envoyé par Maman. Je tâcherai donc de trouver un récipient un peu plus grand et de faire fabriquer ton cercle uni. Mais aie de la patience. Tu vois comme tout est long!

L’autre jour, je t’ai écrit et je n’avais pas plutôt fermé ma lettre que ton colis de berlingots est arrivé; tu devras donc recevoir au même courrier une lettre et une carte. De nouveau merci de ces délicieux bonbons dont nous nous régalons depuis quelques jours. Tu as eu la bonté de penser à moi, même à Nantes; c’est bien gentil. Merci.

J’avais deviné avant de finir de lire ta lettre que tu voulais me parler de Babinot. La description des parents me suffisait. Quant à Beausoleil, cela m’étonne que tu l’aies vu en sous-lieutenant, car je le croyais officier de marine. Babinot est pharmacien militaire.

L’autre jour, le commandant, ô surprise m’a fait appeler pour me dire qu’il me proposait au bataillon pour aller suivre des cours pendant 2 mois dans un camp près de Lyon et être nommé sous-lieutenant après. Le soir même, le capitaine Gaillard m’appelait au téléphone pour me demander mes titres universitaires. En somme, je suis proposé pour le régiment mais comme il n’en faut que 100 dans toute l’armée, je n’y compte guère. Enfin c’est un commencement et l’on commence à s’occuper de ma minuscule personne. Les démarches de Maman ont fait leur effet.

Ne comptez pas sur moi d’ici longtemps pour aller vous embrasser. C’est par classe, uniquement par classe, que se font les départs. Je suis de la classe 1911 et l’on en est encore qu’à la classe 1904 ainsi tu vois. Pascal a eu de la veine de partir avant que cette décision ait paru d’une façon aussi catégorique.

Tu as bien fait de prendre mon appareil photo. Il est là pour servir: ce que je te demanderai c’est un exemplaire des photos que tu tireras du Muguet, de Maman, etc... enfin celles qui présenteront de l’intérêt pour moi. Merci d’avance.

Aujourd’hui, temps épouvantable, une véritable tempête. Nous n’avons même pas exercice!!!...............

7 septembre

J’ai reçu ces jours-ci ta longue lettre du 2 et aujourd’hui ton mot du 4. Je vais toujours très bien et nous sommes toujours au même endroit. Seulement nous partons demain soir pour les avant-postes au même endroit, c’est à dire le chic village d’Armaucourt. Un seul ennui c’est que comme nous ne pouvons cantonner à La Candale en partie brûlée et démolie comme je te l’ai dit, je crois, nous allons aller habiter dans les bois qui sont derrière. Le régiment qui y est, a commencé des petites maisons en branchages que nous allons nous mettre en demeure de finir et d’aménager élégamment. Mais si nous y passons l’hiver, ce ne sera pas bien gai. Je te dirai plus tard de quelle façon nous nous trouvons.

Voici longtemps que je ne t’ai pas écrit mais j’ai écrit deux longues lettres à Madeleine qui, sans doute te les aura communiquées.

Roux est revenu et m’a dit vous avoir vu en excellente santé. Tant mieux. Il a trouvé le Muguet délicieux et m’a rendu compte que le bracelet était très bien comme taille. Il l’a trouvé si joli qu’il veut en faire lui aussi un pour un bébé.

Je ne connais pas de prêtre ici pour lui parler de tes ouvrages; lorsque j’en verrai, je pourrai effectivement lui dire que tu en as à sa disposition.

Pour ce qui est de mon linge, je suis tout à fait bien monté maintenant. Comme lainage, j’ai un gros tricot qui est encore en bon état. Je ne te demanderai pour plus tard qu’un cache-nez. (couleur gris-bleu, si possible)

Tu me parles, très vaguement d’ailleurs, d’une histoire de Sultan de Maroc ayant été voir Tante M.L. à Quinsac; je n’y ai absolument rien compris; donne moi des détails si tu en as.

Ah! Je suis content que Jean C. se décide à venir vous voir. Il ira certainement avant moi, car je n’y compte pas avant 3 ou 4 mois. (Très sérieusement) C’est par classe que l’on part, il n’y a aucun tour de faveur pour les sous-officiers et la majorité des soldats du Régiment sont là depuis le début et, plus anciens que moi, ils partent avant. Ceci dit, ne parle plus de ces permissions qui, somme toute, font plus de mécontents que d’heureux. Je ne t’en reparlerai que lorsque je serai près d’y aller; ne t’impatientes donc pas, car ce sera long, très long même...........................

P.S. J’ai vu Basset dernièrement. Il va très bien mais est furieux lui aussi de ne pouvoir aller à La Rochelle avant très longtemps.

8 septembre

En fouinant, je viens encore de trouver 2 vues de Metz que je me fais un plaisir de t’envoyer.

Ce matin dès 6 heures, nous sommes réveillés par le clairon. C’est une escadrille d’aéros Boches qui passe et qui va sur Nancy. Nous les suivons à la jumelle et entendons des détonations de bombes. Ils sont ensuite repassés et ont lancé 5 bombes tout près de Bouxières puis ils ont disparu. J’en ai compté une dizaine. D’après un cycliste qui revient de Nancy, ils auraient fait beaucoup de mal sur la place du marché. Les journaux nous renseigneront. C’est tout de même malheureux, qu’avec tant d’appareils aux environs de Nancy, on se laisse encore surprendre.

Nous avons eu la visite à Bouxières avant-hier de André Hesse qui est venu voir ses électeurs.

Nous partons cette nuit comme je te l’ai dit et allons devenir homes des bois comme l’hiver dernier.................

9-12 septembre

Départ pour les avant-postes. 2° ligne. Nous nous installons dans le bois derrière La Candale, la ferme ayant été brûlée par les obus allemands.

Construction de maisonnettes et installation d’abris.

Lieutenant Voisin va aux grenadiers. Suis chef de section.

11 septembre

J’ai reçu l’autre jour une lettre de Madeleine et aujourd’hui une lettre de toi.

Nous voilà de nouveau hommes des bois! Mais que de progrès depuis l’année dernière à la même époque. Au lieu de maisonnettes en simple branchage dans lesquelles nous grelottions la nuit, nous avons maintenant des cabanes perfectionnées et bien couvertes.

Nous ne sommes pas encore bien - bien installé car tout n’est pas fini, il s’en faut de beaucoup, mais nous travaillons énormément et je deviens un ingénieur épatant. Je suis toujours chef de section car Mr Voisin, mon Lieutenant est parti comme je t’ai dit commander la section des bombardiers. Aussi n’ai-je pas beaucoup de temps pour t’écrire et le courrier va partir, mais je te promets une longue lettre écrite d’Armaucourt. Nous y partons demain soir. Cette vie des bois est épatante en ce moment car il fait très beau. Plus tard on s’arrangera, mais comme je fais faire des "ciel ouvert" à ma "guitoune", nous pourrons nous y tenir et y voir pour lire et écrire.

Je vous embrasse donc bien affectueusement toutes les trois et je vous dis à bientôt de longues nouvelles. Je vous raconterai tout ce que nous faisons et des histoires.........................

P.S. L’artillerie a effectivement plus d’activité ici qu’autrefois. La Candale n’est plus habitable!

J’ai reçu une carte de Pierre Martin qui se plaint de "l’air vicié des bureaux. Je me passe de commentaires.

13-16 septembre

Avant-postes à Armaucourt. Bombardement assez violent les deux derniers jours. Brossard blessé.

13 septembre

Avant-hier, je t’avais promis dans mon petit mot au crayon, une longue lettre: La voici donc:

Nous voici à Armaucourt depuis hier soir. Nous l’avons retrouvé à peu près tel que nous l’avions laissé il y a un mois, mais cependant un peu plus bombardé. Néanmoins nous avons toujours de confortables maisons, des fruits et des fleurs à profusion.

Donc, confortablement installé dans notre chambre, la pipe au bec - car je fume la pipe - mais n’anticipons pas, je viens causer un peu longuement aujourd’hui avec toi, ce qui est pour moi un réel plaisir. Que ne puis-je le faire en réalité.

Je commence donc à répondre aux 2 lettres, l’une du 5 de Mad., l’autre du 8, de toi.

Puisque le bracelet du Muguet à fait tant de plaisir à Madeleine, je vais faire mon possible pour lui en faire faire à elle aussi mais, mon travailleur a en ce moment beaucoup de commandes, car la matière première ne lui manque plus. Je lui ai même commandé quelque chose dont j’ai l’intention de te faire cadeau, c’est un coupe-papier fait avec le cuivre de la virole d’un obus allemand que j’ai trouvé avant-hier dans le bois de La Candale. Tu sais que cette virole est ce qui sert à faire tourner l’obus dans l’âme du canon, tu verras donc les rayures du 77! (croquis joint) J’espère donc pouvoir te l’envoyer dès qu’il sera fait, ce sera le pendant du porte-plume fait avec des cartouches boches!

Je fais des voeux pour que l’examen de Madeleine se passe sans anicroches. Je suis d’ailleurs persuadé qu’elle sera reçue et même avec les plus grandes félicitations du Jury. Donnez m’en des nouvelles, dès qu’il sera passé, tout ce qui vous touche m’intéresse beaucoup.

Je t’ai dit, je crois, que j’avais reçu une carte de P. Martin, auxiliaire à l’habillement à Agen: "Tu dois t’imaginer ce que je souffre dans un bureau, avec toute cette paperasserie, sans compter l’air vicié qu’on y respire". Tels sont ses propres termes! Ces embusqués, ils sont tous les mêmes. Je ne comprends pas comment il n’est pas encore cité à l’Ordre du jour pour avoir courageusement conservé son poste malgré l’air irrespirable dont il se plaint. Pauvre petit.

Quant à celui qui, seul, soutient l’honneur de la famille, je veux parler de J. Chagnaud, merci de m’avoir indiqué que sa photo était sur l’Illustration. Le Lieutenant Voisin qui reçoit ce journal, me le prête et j’ai pu admirer, ce matin, les traits bien connus et tant aimés de notre Héros.

Je vais te donner des détails sur notre installation de l’arrière dans le bois de La Candale. Comme je te l’ai dit, la ferme a été fortement bombardée pendant le mois où nous étions au repos et, incendié, de ce fait est inhabitable. Nous avons donc reçu l’ordre d’habiter les bois. Nous avons fait des petites maisonnettes que nous appelons toujours "guitounes" ou "canias". Il n’y en a 8 pour la compagnie d’une demie section chaque (30 hommes).

Mais au lieu de la faire en simples branchages ce qui était très froid lorsque le vent passait au travers (nous avons passé assez de nuits à geler tant dans la forêt de Champenoux que dans celle de Bezange), nous avons fait 2 clayonnages séparés de 20 centimètres l’un de l’autre et entre les 2 nous avons mis de la terre. De cette façon, l’air ne peut passer et nous avons un mur assez épais. Comme couverture, nous avons rapporté des tuiles d’Armaucourt et nous avons des vrais toits.

Les couchettes sont surélevées d’une cinquantaine de centimètres et faits avec du fil de fer. Un peu de paille dessus et nous avons de confortables sommiers métalliques. Avec le sac comme oreiller et la bonne couverture de laine sur le corps, je fais des rêves épatants. La prochaine fois, nous avons l’intention de faire ce que nous appellerons le "cercle des sous-officiers" c.a.d. une cania dans laquelle nous pourrons nous chauffer, lire ou jouer aux cartes.

Etant donné que les civils n’existent plus pour nous pour un certain temps, je ma laisse pousser la barbe. Si je suis trop laid lorsque nous reviendrons dans des pays civilisés, un coup de rasoir est vite donné et tout est dit. De même, à l’instar de J. Chagnaud, je me suis mis à fumer la pipe, et cette chose que j’avais essayé maintes et maintes fois à La Rochelle et que je n’avais jamais pu arriver à faire, sans avoir mal au coeur, je le fais maintenant avec délices. Me voici donc "poilu" ou "homme des bois" en plein.

Hier, un de nos amis, médecin auxiliaire est venu nous voir à cheval, et m’a prêté sa monture pendant qu’il faisait la sieste. J’ai fait une promenade délicieuse et je commence à me tenir assez solidement à cheval et à faire une assez longue trotte sans avoir trop de courbatures.

L’autre jour, chargé d’aller reconnaître un chemin, je me suis trouvé en face du village de Bey que je n’avais pas vu depuis presque un an. Le pauvre clocher est dans un drôle d’état. Il était d’ailleurs superbe avant la guerre. Figure-toi maintenant une chaire d’église surmontée d’un éteignoir de même grandeur et tu te feras une idée du clocher de Bey. L’horrible croquis ci-contre, te donnera néanmoins une idée assez exacte de ce que j’ai vu l’autre jour et qui, m’a intéressé. Je n’avais pas encore remarqué, parmi les nombreuses ruines que je vois depuis un an, un équilibre aussi parfait.

Pourtant nombreuses sont les cheminées que j’ai vues tenir "parce que c’était la mode"; mais ce cocher dépasse les bornes. Il semble que le moindre zéphyr le ferait tomber. Je te dis cela, quoique sur les illustrations que tu peux voir, tu dois avoir des clichés plus curieux.

Je viens de mettre aujourd’hui les flanelles et les chaussettes neuves que tu m’as envoyées l’autre jour. Les 2 sont de taille parfaite. Si tu fais d’autres chaussettes de laine, tâche de te souvenir de cette pointure car c’est tout à fait ce qu’il faut. Je suis bien monté comme linge en ce moment et n’ai besoins de rien. Ne t’inquiète donc pas sur mon sort puisque tu me sais dans un secteur calme. Malgré le bombardement assez intense, la 22° compagnie, hier n’a eu qu’un blessé légèrement, nous avons des abris très sûrs et vraiment pour être touché il faut presque le faire exprès.

Je te quitte, chère Maman, car on m’appelle à la popote, je vais aller manger (nous avons des tartes épatantes avec tous ces fruits, notre chef popotier ayant une grande provision de farine) etc.. etc... A Armaucourt nous mangeons très bien................

P.S. Envoie-moi donc, je te prie, dans ta lettre un bon buvard (une feuille).

14 septembre

Je reçois à l’instant ta lettre du 11. Comme je viens de travailler aux photos du Lt Voisin, j’en ai pris quelques-unes plus ou moins intéressantes.

Toute la matinée, j’ai travaillé avec mon artiste à la confection du coupe-papier qui "sort" bien. En causant avec lui, il en est venu à me dire qu’il était pauvre comme Job et comme il ne veut rien accepter que de dérisoire, serais-tu assez bonne de lui faire un passe-montagne pour cet hiver en échange du bracelet et du futur coupe-papier. Si tu as le temps, tu m’en feras un second pour mon "brosseur" qui est aussi un brave homme. Excuse-moi de te donner ce travail, mais comme c’est une bonne oeuvre, je suis sûr de la réponse.

Je suis content que tu aies vu de Lignerolles. Dire qu’il y en a qui se marient pendant que les autres mènent la vie des bois ou qui est encore pire, se font tuer!!! Enfin y a-t-il une justice et aurais-je un jour mon tour de bonheur! Oui ou Zut!!!!!!

Excuse-moi, mais c’est vraiment dur et désolant une vie pareille depuis tant et tant de mois. Enfin Patience!!!!!..............

P.S. J’ai vu Basset que j’ai présenté au capitaine Ney si bon musicien. Henri avait un cahier de Haëndel. C’était délicieux!!!!! Nous rayonnions tous les 3!!!

15 septembre

Bonne nouvelle! Ton coupe-papier est terminé et je l’ai en ma possession. Nous y avons encore travaillé toute la matinée. Il est épatant et bien comme je le voulais, tu verras et tu seras une fois de plus étonnée. Je vais prendre mes dispositions dès que nous serons au repos pour te l’envoyer le plus vite possible ou le donner à un permissionnaire s’il y en a pour La Rochelle.

Nous sortons juste à l’instant de nos caves, car les obus viennent de tomber sur le village - ration journalière sans aucun dommage pour nous - que 3 fusils et 2 équipements abîmés! Les hommes ont bondi pour ramasser les fusées, mais depuis quelque temps, hélas! Elles sont en cuivre. Rien à faire.

Ah! dire que j’allais oublier de te remercier. J’ai reçu ce matin ton gâteau! Exquis! Epatant! et tous mes compliments à la pâtissière qui certainement habite 35, rue Alcide d’Orbigny. Je me suis régalé? Ces bons vieux gâteaux de famille sont encore les meilleurs vois-tu et c’est en pensant à vous et à la maison que je l’ai goûté.

J’ai fait la connaissance d’un sergent du bataillon de marche du 57°, un nommé Béraud, industriel à Bordeaux, qui connaît, ou du moins dont la femme est camarade de classe de Tante Alice. Il savait très bien que son mari était disparu, mais sans savoir exactement son nom et surtout sans savoir que c’était mon oncle. Mais il s’est très bien souvenu du nom, une fois que je lui ai nommé. Il connaît aussi beaucoup la soeur de Tante Alice, qu’il a rencontré dans le monde, et plusieurs familles de Bordeaux telles que les Olagray, les Noailles, etc...

A-t-on des nouvelles de P. Festy? dont tu ne m’as pas parlé depuis longtemps. Continue à me donner des nouvelles des habitants de La Rochelle.....................................

16 septembre

En plein bombardement!

Je commençais juste à écrire l’adresse lorsque des obus sont venus m’interrompre. Tout le monde est à la cave, mais je suis assez à l’abris dans ma chambre. Hier après que je t’ai écrit, les Boches nous en (encore d’autres) ont envoyé une dégelée encore plus forte. Le malheur a voulu que j’ai même un homme blessé dans ma section, très légèrement au pied. Ah! Armaucourt n’est plus si tranquille qu’autrefois!

Le lieutenant Voisin vient de quitter définitivement la Compagnie et je suis maintenant chef de section tout à fait. Cela me change guère qu’on me mette la responsabilité en plus. Le travail est le même.

Merci de ta lettre du 12, reçue cet après-midi, ainsi que des photos qui ne sont pas mal, mais un peu noires.

Ne t’inquiètes pas si tu restes 3 ou 4 jours sans lettres de moi, je vais au bois ce soir, car nous sommes relevés et je suis moins bien installé pour écrire. De plus il y a du travail qui nous attend. Donc, rien de nouveau et je vais toujours très bien.

Je vous embrasse bien tendrement toutes (encore quelques rafales) les trois..............

P.S. Le Capitaine Ney connaît de nom A. Lancier. Il représente les produits Couturieux au Chili. Entre parenthèse, il a bien failli être tué par un obus hier en venant voir mon blessé!!.

Dis à Mad. que j’ai acheté une fusée entière et que dès aujourd’hui, je m’occupe de son bracelet. Suivant son désir, il sera uni.

Victoire! C’est de l’aluminium qu’ils envoient aujourd’hui.

17-20 septembre

Cantonnement dans le bois de La Candale. Continuation des abris.

21-24 septembre

Avant-postes à Armaucourt. Bombardements assez nombreux et assez intenses, surtout la nuit, du 22 au 24.

Les Boches ont fait 2 attaques sur Ham, sans résultat.

21 septembre

Je ne t’ai pas écrit pendant les 4 jours pendant lesquels nous sommes restés à La Candale, aussi je m’empresse de te donner de mes nouvelles qui sont toujours excellentes. Nous n’avons pas eu un seul incident pendant ce demi-repos. Nous avons continué et aménagé nos cabanes rendues maintenant tout à fait confortables.

J’ai reçu ta bonne lettre du 17 septembre dont je te remercie beaucoup. L’autre jour, j’avais oublié de te remercier des 2 photos du Muguet qui ne sont pas mauvaises du tout. Merci du buvard, j’en ai assez pour le moment, mais j’en étais totalement dépourvu.

Pendant ces 4 jours, je t’ai envoyé par la poste, le coupe-papier qui, je le souhaite, t’arrivera sans aucune anicroche. Accuse-m’en réception dès que tu l’auras pour me tranquilliser sur son sort.

Madeleine est reçue à son examen! Ca, ça ne m’étonne pas du tout et j’en étais archi-sûr avant même qu’elle l’ait passé. Fais-lui néanmoins toutes mes plus sincères félicitations. Elle a bien du mérité de se dévouer comme elle le fait pour les blessés. Pour la récompenser, le Bon Dieu lui rendra sûrement son mari sain et sauf et ce sera justice.

Je vais me mettre à partir du 25 à t’écrire à Ruelle, comme je le faisais autrefois, sauf contrordre dans ta prochaine lettre.

C’est entendu pour l’Illustration, je te la renverrai quand je l’aurai reçue et lue. Ai reçu des nouvelles de Jean C. et de Grand-Mère ces jours-ci.............

P.S. Les permissions sont suspendues depuis 3 jours!!! Ca va encore m’avancer!!!!!

24 septembre

Dire qu’il y a un an à cette époque-ci, je devais redevenir civil et revenir vivre avec toi. J’aurais été nommé dans une petite ville quelconque et nous aurions été si tranquilles tous les deux! Qui sait? Je serais déjà peut-être déjà fiancé à quelque jolie jeune fille? Au lieu de cela, me voilà 3 ans de service militaire et j’ai le haut grade de sergent. Quand je vois mes souliers jamais cirés, mon pantalon passé, ma capote usée et portant plus d’un accroc de fil de fer, ma figure mal rasée, etc, etc, et cela depuis plus d’un an. Quelle vie!

Et pourtant, je ne suis pas à plaindre et n’ai pas le droit de crier comme je le fais. Je vis, et c’est énorme par les temps qui courent! Combien de jeunes gens de mon âge comme Lusson, Schenck, pouvaient espérer eux aussi une existence paisible et heureuse, qui gisent maintenant à 3 pieds sous terre, ou au fond de l’océan. Enfin, pardon de cette triste lamentation qui m’a été suggérée par cette date du 24 septembre mise en tête de ma lettre.

J’ai reçu avant-hier ta lettre du 19, m’annonçant les fiançailles de Pierre Martin avec Mademoiselle Malbec que je ne connais pas. (Je ne connaissais que Lucie. Est-ce donc la soeur de cette dernière?) Tu m’as fait rire en me recommandant de ne pas m’emporter à ce propos. Donc, pour suivre tes conseils, je ne m’emporte pas, mais je ne peux que constater la veine de quelques uns par rapport à la vie plutôt triste de beaucoup.

Enfin j’ai pris ma plume de Tolède et me suis empressé d’écrire à Pierre pour le féliciter chaudement. J’ai également écrit à Grand-Mère à Penne, avec d’autant plus de raison que j’avais reçu dans la matinée un colis de celle-ci contenant du sucre, du saucisson et des boîtes de conserves. Tu vois si elle est aimable pour moi.

Nos séances musicales, dont tu veux des détails, sont très simples, mais très agréables. Je t’ai parlé d’un harmonium assez bon dont je jouais à l’église. Le Capitaine l’a pris dans sa chambre et en joue très très bien. Basset a apporté du Haëndel et chante très bien comme tu le sais. Moi, je.............. tourne les pages, j’écoute et je chante un peu de Botrel, mais je préfère la fermer à coté d’Henri! La prochaine fois, le Capitaine, qui va aller à Nancy, nous a promis une surprise, celle de nous apporter de la musique d’un autre auteur classique (car il adore les classiques).

Donne-moi des détails sur la blessure de Georges Schenck. Pauvre Dousdelès!

Cette nuit, nous avons la plus sérieuse alerte que nous ayons eu depuis que nous sommes à Armaucourt. Tout à coup, en pleine nuit, chose inouïe pour ici, fusillade très nourrie et immédiatement, bombardement intense du village. Jamais ils n’avaient tiré la nuit, jamais, jamais. Nous avons redoublé de vigilance et pris les emplacements de combat craignant une attaque. Puis, après avoir envoyé environ 5 à 600 obus, n.i. ni. fini. Plus rien. Un accès de maboulisme sans doute.

Ce matin, à l’heure où je t’écris, nous ne savons au juste ce qu’il y a eu. En somme, ce n’est plus notre Armaucourt d’autrefois, mais sois tranquille ce sont encore de chics avant-postes que nous avons là en comparaison de la Woëvre, par exemple........

25-28 septembre

Cantonnement dans le bois de La Candale. Continuation des abris et des "canias".

26 septembre

J’ai reçu, ce matin, ta carte militaire non datée. Je t’écris à partir de maintenant à Ruelle jusqu’à nouvel ordre.

J’espère que tu as reçu à La Rochelle le coupe-papier que je t’ai envoyé il y a quelques jours. En tout cas, Mad. te le donnera.

Je suis toujours bien et suis dans les bois jusqu’au 28. Après Armaucourt.

On annonce une offensive générale épouvantablement bien préparée sur tout le front. Serons-nous de la fête ici aussi, je n’en sais rien?....................

29 septembre-2 octobre

Avant-postes à Armaucourt. Séjour très calme.

29 septembre

J’ai reçu hier ta lettre du 24 de La Rochelle et à l’instant celle du 26 de Ruelle. Merci de tes bonnes nouvelles que je lis toujours avec autant de plaisir. Depuis ma lettre du 16, je t’en ai envoyé 2, une le 21 et l’autre le 24, adressées à La Rochelle. Une autre le 26 devra te parvenir à Ruelle; dis-moi si tu les as toutes bien reçues.

Quant à nous, nous sommes à Armaucourt depuis hier soir. Par ici, c’est calme, mais nous entendons au loin le canon qui tonne très très dur. Tu as vu d’ailleurs par les journaux les jolis résultats de l’offensive dont je t’ai déjà parlé.

A propos de journaux, j’espère que tu n’as pas été trop inquiète par le communiqué qui a dit, à 2 reprises différentes, que les Boches avaient fait 2 attaques aux environs de Manhoué. C’est vrai, et le fameux bombardement auquel nous avons été soumis la nuit, masquait une attaque allemande sur notre gauche. Elle a échoué. Le surlendemain, ils ont recommencé, et de nouveau ont échoué. Mais l’attaque n’a pas eu lieu directement à Armaucourt qui n’a subi que le contrecoup par d’assez violents bombardements. Donc, sois complètement rassurée.

Je suis content que tu aies reçu si vite le coupe-papier. N’est-ce pas qu’il est bien. Je le trouve superbe, il est vrai que c’est un peu de vanité, car j’y ai moi-même beaucoup travaillé. Je tâcherai d’en faire un pour Mad., mais ces ceintures d’obus sont très rares, puisqu’il n’y a que les schrapnells qui les aient intacts. Lorsque par hasard un homme ne trouve une, il la garde pour lui naturellement ou la fait payer les yeux de la tête. (10 à 15 frs) Celle qui a fait le coupe-papier, je l’avais moi-même trouvée. Enfin, je ferai mon possible, mais je ne peux rien promettre.

Merci pour le colis de lainages et pour les 3 passe-montagnes, j’écris à Mad., par le même courrier pour lui demander d’y joindre un caleçon de laine, car il commence à faire froid par ici avec le mauvais temps que nous avons. J’en ai un de l’hiver dernier qui est encore presque tout neuf et ça me suffit pour longtemps, je pense. J’espère que la lettre atteindra Mad. avant que le colis ne soit parti.

Gaston Blanchet n’est donc pas mobilisé? Il a l’âge pourtant, et, fort comme il est, il devrait être soldat, au moins dans l’auxiliaire à cause de sa myopie, mais D. Bernard est bien sur le front.

Bien sûr! Envoie ma photo à l’île Maurice puisque ces braves gens tiennent tant à avoir ma tête, je n’y vois aucun inconvénient.

Avant-hier, on nous a fait faire une expérience sur les gaz asphyxiants pour montrer aux hommes qu’ils ne risquaient rien avec leurs masques. On nous a enfermés pendant quelques minutes dans une salle renfermant une forte dose de ces gaz. Quelques hommes ont saigné du nez, mais quant à moi, je n’ai rien senti, encore que sur ma demande je sois resté enfermé 2 fois plus de temps avec les officiers et quelques volontaires. Le tout est de bien mettre son masque.

............présente mes respects aux Blanchet............

2 octobre

Je n’ai rien reçu de toi depuis ta lettre du 26 de Ruelle, mais je ne m’inquiète pas, parce que, je te sais bien, là où tu es et ensuite parce qu’il y a du retard dans la correspondance depuis quelques jours, probablement à cause de la grande offensive en Champagne.

Que ce soit donc réciproque, et ne t’inquiètes pas toi non plus sur mon compte. Nous sommes toujours dans notre bon coin et même toute l’activité de l’ennemi a disparu depuis que cela chauffe ailleurs. Nous n’avons pas eu de bombardement pendant ce séjours et tout a été très calme.

Quoique n’ayant pas à te dire grand-chose, je t’écris aujourd’hui car, demain, nous serons dans nos bois, moins confortablement installé qu’ici. Rien de nouveau ici, si ce n’est que le Commandant Millet vient de recevoir........... tardivement la croix de guerre, pour sa conduite à la bataille d’Amance. Le général a fait un "laïus" dans lequel il nous a dit que dans la personne du Commandant, il décorait le bataillon qui, par sa bravoure, sa persévérance, son entrain, son etc, etc, etc....... Un boniment à la graisse!!!

Ca marche assez bien en Champagne, bien que depuis la percée de la ligne, on n’entend plus parler d’avance. Mais enfin, c’est un bon coup tout de même et le public doit être content...............

Madeleine est-elle avec vous?

3-6-octobre

Bois de la Candale.

4 octobre

J’ai reçu ta bonne lettre du 30. Tu me dis ne pas avoir reçu de nouvelles de moi depuis longtemps. Cela ne m’étonne pas et toutes les familles de mes camarades sont comme toi. Il y a un retard dans la correspondance du front et, d’ailleurs, je crois que c’est général. Ne t’inquiètes donc pas; tu recevras tôt ou tard mes lettres du 24-26-29 et 2. Accuses m’en réception, je te prie.

Je t’envoie aujourd’hui une photo assez curieuse, celle d’un obus éclatant dans la rue principale d’Armaucourt, à l’époque où nous recevions notre distribution quotidienne. Je t’ai dit, je crois, que notre dernier séjour de 4 jours a été on ne peut plus calme.

Pour le moment, nous sommes dans notre bois de la Candale, ce qui est peu folichon, je t’assure. Aussi, hier, ai-je demandé avec deux de mes copains une permission pour me dégourdir les jambes, et en même temps aller voir les connaissances des 2 sexes que nous avons dans les villages environnants.

Figure-toi que j’ai eu une très agréable surprise: j’ai rencontré un jeune homme que tu connais, mais que mieux que toi connaissent l’Oncle Louis, Tante Marie-Louise et les cousins. D’ailleurs je te le donne en mille. C’est Jean Froidefond, l’auteur du boston que j’aime tant!!

Or donc, dans un de ces villages, celui où cantonne le bataillon de marche du 57, nous trouvons des copains de ce bataillon que nous connaissons. Très gentiment ils nous invitent à dîner, car il était l’heure et nous rentrions à notre bivouac. Nous acceptons et ils nous emmènent à leur popote. Là, se trouvaient plusieurs sous-officiers jouant aux cartes et avec eux un infirmier à tête distinguée, aux gestes, allures et manières bien élevées. Comme c’est assez rare dans nos popotes, car nous avons des manières et un langage essentiellement de vieux grognards, je l’ai observé quelque temps. De plus, il me semblait connaître cette figure et avoir entendu cette voix. Je m’approche et lui demande son nom. J’étais fixé. Je lui fait subir un interrogatoire lui demandant s’il connaissait Soulac, etc, etc... nous tombons dans les bras l’un de l’autre. Nous dinâmes à côté l’un de l’autre et jusqu’à 11 heures du soir, causâmes de nos connaissances et des si agréables parties de plaisir du chalet "Stella". Il m’a demandé l’adresse de tous les cousins et m’a promis de venir me voir. En somme, je le crois aussi content de cette entrevue que je l’ai été moi-même. Lui aussi, croit que l’oncle Pierre est mort, mais il n’a pas de preuves!

Suivant tes conseils, je vais écrire à Maurice, mais j’attends d’être à Armaucourt. Inutile de m’envoyer le numéro de l’illustration dont tu me parles, je l’ai vu et ai admiré Jean C.

Je termine ma lettre, car j’ai froid aux doigts d’écrire en plein air dans ce bois et le temps commence à se rafraîchir très sérieusement. On nous envoie d’ailleurs des lainages et tu n’as pas besoin de t’occuper de moi pour cela...............

7-10 octobre

Avant-postes à Armaucourt. Capitaine Gardelin parti au 169.

8 octobre

Je reçois à l’instant ta bonne lettre du 5 octobre qui m’apprend que toutes mes lettres te sont parvenues. Tant mieux. Tu vois, par conséquent que je me porte toujours aussi bien que par le passé!

Hier, le courrier m’a apporté une lettre de Jean C. et une autre de sa moitié. Jean me parle de bombardement qu’il a subi les 27, 28, 29 septembre, les plus forts qu’il n’ait jamais reçu depuis le début de la guerre! Le pauvre, il en voit de la misère.

Ici, toujours calme malgré un peu d’activité de l’artillerie des deux cotés, mais l’infanterie reste tranquille depuis les 2 petites attaques d’il y a quinze jours. Hélas, je ne suis pas si optimiste que vous et je crains bien que nous n’ayons les Boches qu’après de longs mois encore et après des combats encore plus acharnés et sanglants que tout ce qui s’est passé jusqu’ici!

L’offensive de Champagne a réussi...... partiellement parce qu’elle a été préparée avec plus de soin et plus de méthode que les autres, mais l’arrêt de 3 ou 4 jours a suffi aux ennemis pour amener du renfort et surtout de l’artillerie lourde. Je ne veux pas dire par là, que nous perdrons les positions nouvellement acquises, non, au contraire, nous avancerons peut-être encore un peu comme nous l’avons fait hier en prenant le village de Tahure, mais quant à la percée, je n’y crois pas, du moins pour cette fois.

Quant à l’affaire des Balkans, cela devient une salade tout à fait bien "brassée". Comme tu le dis, on a l’air de lâcher Gullipoli, ou du moins de n’y plus faire d’offensive, mais ce qu’il y a de sûr c’est que nos troupes sont maintenant mélangées aux troupes serbes. Pour arranger les choses, Venizelos donne sa démission!! Je crains bien que Constantin et Ferdinand ne jouent gros jeu, et perdent peut-être plus que leurs couronnes! Enfin qui vivra verra. Mais je plains mes futurs petits-fils, obligés d’apprendre les détails de cette inimaginable guerre!

Autre sujet. J’attendrai que tu sois à La Rochelle pour m’envoyer le caleçon, à moins que tu n’en trouves de bien à Ruelle. Je peux attendre, ne te presse donc pas.

Pauvres cousins, décidément ça ne va pas chez eux, et je plains bien Maurice, car cette vie tout juste agréable quand on se porte très bien, comme je l’ai toujours fait, est épouvantable dès que l’on est seulement un peu indisposé. Aucune aise, aucune commodité, l’égoïsme des camarades, etc.. etc... mille petites choses qui dans la solitude et l’angoisse de cette vie font encore plus souffrir que le mal lui-même.

J’ai écrit le mot "égoïsme". J’ai été peiné de voir à quel point la guerre l’a développé contre la volonté même de celui qui a ce défaut. C’est inouï, on ne s’occupe que de soi et pourvu qu’on aille bien, on se moque du reste et des autres, à part de rares exceptions.

Je ferai mon possible pour envoyer une croix de Lorraine à la belle Ninette. Ce que tu me dis à son sujet ne m’étonne pas et la dernière fois que je l’ai vu (25 juillet 1914), elle m’avait frappé par ses allures et ses formes parfaites. Naturellement avec son âge et avec le temps, elle n’a fait qu’embellir et ce doit être effectivement maintenant une jolie femme. Il en est de même de Mad. du Sault fort bien faite aussi et avec un cachet original lui allant à merveille. Elles laisseront loin derrière, je crois, Simone M. pourtant assez attirante avec ses beaux yeux. Enfin après la guerre, je recommencerai à faire le "Pâris", toutes ressemblances de costumes à part!!

Paf! Tu me dis de ne pas m’enrhumer et je le suis. Ne me gronde pas, je ne le ferai plus, et je vais déjà mieux: "je tousse gras". Et Mad., va-t-elle vous rejoindre bientôt? La dernière offensive lui a peut-être envoyé des "clients". Dieu ce qu’ils sont gênants ces soldats!! Que je voudrais pourtant attraper une blessure pour me faire soigner par de jolies mains et être regardé par de jolis yeux. Tu vas finir par me trouver un tantinet émancipé, je crois, pauvre Maman!

Mais si tu savais ce que c’est que cette vie sauvage, sans voir de femmes, sans pouvoir se distraire, n’avoir que des poilus à langage grossier pour converser avec soi; enfin mille détails qui nous manquent depuis si longtemps. Je sens que tu me comprends et que tu m’excuses. Merci..............

P.S. Embrasse tout le monde autour de toi, surtout "la belle Ninette" si toutefois, elle le permet, mes baisers les plus respectueux (Tu me rendras compte de ta mission, je te prie). Par le même courrier j’en envoie une à Mad. du Sault et l’autre à Simone. Ninette sera obligée d’attendre que je puisse en acheter une autre, car la cousine Jeanne a pris celle qui lui était destinée

Ci-joint un article de journal qui t’intéressera peut-être, sur la bataille à laquelle j’ai pris part l’an dernier.

10 octobre

Je n’ai rien de toi depuis que j’ai écrit ma dernière lettre. Je n’ai, non plus, rien de nouveau à te dire, si ce n’est que nous regagnons nos bois ce soir, et que mon rhume est guéri!

Je t’enverrai d’ici peu, je pense, un superbe obus fusant que j’ai reconstitué. C’est un 75 qui s’adaptera très bien aux douilles que tu as. Il est intact et pas du tout abîmé (inoffensif). De plus, le bracelet de Mad. est fini et je vais lui envoyer directement à La Rochelle..............

P.S. Dis donc à Roger de m’écrire, s’il n’a rien de mieux à faire.

11-14 octobre

Bois de la Candale. Boussiron s’en va au 35° avec Bergeon. Suis proposé mais seuls de Lestable et Mercier partent.

15-18 octobre

Avant-postes à Armaucourt.

15 octobre

J’ai été bien long, n’est-ce pas à t’écrire cette fois-ci, mais excuse-moi, car nous avons été très occupé ces 4 derniers jours dans nos bois, et qu’en plus nous avons eu un très mauvais temps. Maintenant, je suis de retour à Armaucourt où nous sommes toujours très bien.

Tu as dû voir dans les journaux encore une attaque sur Manhoué. Ne t’inquiètes pas, ce n’étaient, cette fois-ci encore, que des combats d'avant-postes sans grande importance. Nous avons eu cependant 2 morts et 2 blessés dont un sergent. Mais aujourd’hui tout de nouveau est calme.

J’ai reçu, avant-hier et hier, tes deux lettres du 9 et 11 octobre. Merci. La dernière contenait un billet de 5 frs que tu me dis m’être donné par Grand-Mère. Je m’en vais, par le même courrier la remercier de sa bonté.

Alors te voila à Quinsac, et d’ici peu Madeleine va aller à Toulon. Mais en vérité, je ne sais plus où vous adresser mes babillardes pour que vous les receviez le plus tôt possible. Enfin j’espère qu’elles vous parviendront toutes. Accuse m’en réception et préviens-moi du moment où je devrai te les adresser à Ruelle... ou à La Rochelle. Je suis perdu. J’ai adressé le bracelet de Mad. à La Rochelle, et tu me dis qu’elle est à Ruelle, de sorte qu’il va probablement se perdre. C’est ennuyeux, car il est joli. Peut-être cependant suivra-t-il à Ruelle.

Je viens d’avoir un gros ennui qui me donne le cafard encore aujourd’hui. Mon ami Boussiron qui était, tu te souviens, sous-lieutenant à ma compagnie, vient d’être désigné pour partir sur un autre point du front. Il est parti hier pour le 35° R.I. qui, je crois, se trouve actuellement en Champagne. De sorte que je me trouve un peu seul, étant très souvent d’habitude fourré avec lui. Lui aussi, le pauvre s’ennuyait, et il est plus à plaindre que moi, car il regrettera probablement plus d’une fois son vieux secteur de Lorraine.

Vous avez tous été contents de voir Louis Leconte, car c’est rarement qu’il fait des apparitions en France. J’avoue que je ne me souviens plus de tout de lui et que je serais bien incapable de le reconnaître.

J’ai toujours de bonnes nouvelles de Jean C. avec qui je suis en correspondance suivie. Il m’a également raconté sa position périlleuse entre les Boches et un ravin dont les flancs sont à pic. Quelle vie. Mon Dieu!

Enfin continue à voyager et à te distraire ainsi que Mad. et ne t’inquiètes pas de moi qui me porte comme un pont neuf.

Embrasse les Quinsacais pour moi, je te prie...................

18 octobre

Je reçois, à l’instant ta lettre du 14 écrite à Quinsac. Hier, j’ai reçu un colis de Ruelle, contenant un superbe cache-nez qui m’a fait le plus grand plaisir. J’en avais bien touché un avec mes effets d’hiver que l’on a distribué à la troupe, mais étant de beaucoup supérieur à la pacotille que l’on nous a donné, tu peux penser avec quelle satisfaction j’ai fait l’échange.

Rien de nouveau ici depuis ma dernière lettre; le temps se met au froid sérieusement depuis quelques jours, et aujourd’hui, toute la journée, nous avons eu un brouillard à couper au couteau.

A la compagnie, je suis extrêmement bien, tous les officiers étant absolument charmants avec moi. Depuis le départ de Mr Voisin, sous prétexte que je commande une section, le Capitaine m'exempte de toutes les corvées faites par les sergents: jour - surveillance- etc... Je fais exactement le métier de Lieutenant.

Le remplaçant de Boussiron est un lieutenant à 2 galons venant du dépôt. Il est très froid mais à l’air bon garçon.

En même temps que ta lettre, le courrier m’apportait une lettre de Maurice en réponse à celle que je lui ai écrit il y a quelques jours. D’après ce qu’il me dit, et qu’il cache à ses parents (aussi ne le leur dis pas), il est vanné, il n’en peut plus. Ils ont eu de gros travaux à exécuter et, bien que caporal, il a manié la pelle et la pioche, ce qui l’a éreinté. Il se trouve à l’endroit où l’oncle Pierre a disparu.

Pas de nouvelles de Jean ni de Madeleine depuis un certain temps. J’espère qu’il n’y a rien de nouveau.

Au revoir, chère Maman, ne m’oublie pas auprès des aimables Parents chez qui tu es et embrasse-les de ma part. Merci encore pour ton cache-nez qui est épatant..................

19-22 octobre

Bois de la Candale. Musique et chants.

23-26 octobre

Avant-postes à Armaucourt.

23 octobre

J’ai bien reçu hier soir, ta lettre du 18, où tu m’annonçais l’attaque que vient d’avoir cette pauvre Grand-Mère. Une lettre de Madeleine m’avait d’ailleurs prévenu la veille et ma pensée est avec vous tous là-bas à Penne, si loin de moi et aux côtés de cette pauvre vieille qui nous aimait tant!

Je prie pour elle et souhaite de tout mon coeur que ce ne soit qu’une fausse alerte. J’attends des nouvelles avec impatience et j’espère que l’un ou l’autre aura bien le temps de m’écrire, ne fût-ce qu’un simple mot pour me tenir au courant. Je ne sais plus trop où m’adresser mes lettres, mais à tout hasard, je t’envoie celle-ci à Penne. Elle te suivra, de même que celles que j’ai envoyées à Quinsac.

J’ai également reçu ta lettre du 17 à laquelle je n’ai pas encore répondu, ainsi que le colis du dépôt expédié par Madeleine. Il était intact. Les biscuits étaient excellents et les lainages ont fait grand plaisir à ceux à qui ils étaient destinés. Ils te remercient tous du fond du coeur ces pauvres "poilus".

Ici, rien de nouveau, toujours très calmes et les ennemis aussi. Nous nous embêtons mutuellement le plus possible par des tirs d’artillerie et de mitraillettes, mais il n’y a pas souvent de victimes de notre côté - heureusement, et ce doit être à peu près la même chose chez eux.

J’ai acheté 3 croix de Lorraine semblables à celles de Madeleine et du Muguet, mais j’attends pour les envoyer que vous soyez plus rassurés sur le compte de Grand-Mère. J’ai également quelques photographies que je t’enverrai plus tard.

Madeleine a reçu son bracelet qui lui a fait plaisir. Tant mieux. Mais je te parle de choses qui sont bien insignifiantes à côté de ce qui te préoccupe en ce moment-ci.

Je n’ai pas besoin de vous dire de bien soigner notre pauvre Malade, car je la vois d’ici entourée de tous les soins si dévoués de tous ses Enfants. Je pense bien à vous je vous assure.

Au revoir donc, chère Maman, tiens-moi au courant le plus que tu pourras et surtout portes-toi bien au milieu de la fatigue de tous ces voyages successifs. Embrasse bien tout le monde autour de toi et dit bien aux Oncles et Tantes, combien je suis de tout coeur avec vous......................

P.S. Si la Malade vous reconnaît, embrasse-la le plus affectueusement que tu pourras de la part de son petit fils qui, pourtant aurait bien voulu la revoir, et qui prie pour elle.

26 octobre

Je t’écris aujourd’hui à Penne bien que je ne sache pas si ma lettre t’y trouvera. Comment va Grand-Mère? Vous reconnaît-elle maintenant et ses fils espèrent-ils la sauver. Donne-moi bien vite de ses nouvelles.

Ici, toujours la même chose, nous nous portons tous très bien. Je suis enrhumé comme un chien, mais ne t’inquiètes pas, ça passera comme les autres fois.

Maintenant que l’affaire est terminée, il faut que je te raconte quelque chose: J’ai failli partir du Régiment en même temps que Boussiron. On demandait au 323° d’envoyer immédiatement dans des régiments d’active (171°, 35°), actuellement en Champagne, 2 officiers et 3 sous-officiers nommés à cet effet sous-lieutenant. Le Colonel envoie les noms de 3 sous-officiers dont je faisais partie et je suis prévenu d’avoir à me tenir prêt. Au dernier moment il n’a fallu que 2 sous-officiers au lieu de trois et....... le plus jeune n’a pas été nommé.

J’ai été voir le secrétaire du Colon qui est un de mes camarades de l’active et qui m’a affirmé que j’étais maintenant le n°1 pour passer. Mais le régiment n’ayant pas de pertes, les cadres sont toujours au complet et les nominations sont rares. Enfin j’attends!

Que dis-tu de cela si j’étais parti! Moi, tu sais, je laisse faire le hasard et s’il faut aller ailleurs, j’irai volontiers. Ce qui est écrit, est écrit! Quant à l’affaire de Lyon, c’est réglé depuis longtemps, chaque régiment devait fournir le nom d’un candidat. C’était le mien pour le 323°, mais on n’a pas donné de suite. De la façon dont tournent les événements, j’ai le temps de te revenir chef de bataillon à la fin de la guerre!

Et Mad.! part-elle pour Toulon? et toi où vas-tu aller en partant de Penne; dis-moi bien où il faut que j’adresse mes lettres pour que tu puisses les avoir le plus tôt possible.

J’ai vu Basset encore aujourd’hui. Il se porte à merveille. Il m’a annoncé la mort du Commandant Soleilhavoup. Le savais-tu?

Le temps se met au froid et à la pluie depuis quelques jours d’une façon sérieuse. Hier soir à 23 heures, j’ai fait une patrouille sous la pluie, les sentiers glissaient tellement que plusieurs de mes hommes tombaient par terre comme des mouches. Malgré toutes nos précautions, nous ne pouvions nous empêcher de rire...................

P.S. Ci-joint quelques photos. Prière de ne pas les perdre dans tes voyages et de les joindre aux autres à La Rochelle, je te prie.

27-30 octobre

Bois de la Candale.

28 octobre

J’ai reçu hier ta lettre du 23 qui m’annonçait que l’état de Grand-Mère devenait de plus en plus inquiétant! Cela m’a fait beaucoup de peine et le soir j’ai bien prié pour elle! A l’heure où je t’écris, elle a peut-être quitté la vie et à son tour doit prier pour nous protéger tous pendant cette dure épreuve. Cette pauvre Tante Alice va venir elle aussi, la pauvre vieille sera bien entourée de l’affection des siens et si elle avait eu sa connaissance c’eut été pour elle une consolation.

J’ai une nouvelle à t’annoncer. Je suis désigné pour aller à Saulxures-lès-Nancy, aux environs de la grande ville pour suivre des cours. 2 sous-officiers sont ainsi désignés dans chaque régiment pour passer officiers plus tard. C’est donc comme tu le vois un pas vers le galon d’or. Ayons de la patience. Donc à partir du 31, je ne serai plus au régiment. Pour le moment continue à m’adresser mes lettres à la Compagnie qui me les fera suivre. Je te dirai plus tard l’adresse exacte qu’il faudra mettre. A ce propos dis-moi toi aussi où t’écrire après que tu auras quitté Penne et quand.

D’ailleurs le cours ne dure que 15 jours, après quoi, je suppose, nous reviendrons à nos compagnies. Cela m’intéressera, car dans ce régiment où nous ne faisons rien, il y a des tas de tactiques et instruments nouveaux (fabrication de tranchées, préparation à l’attaque de tranchées, mortiers, lance-bombes, etc... etc...) que je ne connais que vaguement et par lecture seulement. Je ne serai pas fâché de faire un peu de pratique. Je te tiendrai au courant des choses que j’apprendrai.....................

P.S. Ci-joint une photo de la "guitoune" que j’habite aux Bois de la Candale et que j’ai fait construire. Je joue aux échecs avec un de mes camarades; car je crois t’avoir dit que j’avais appris ce jeu qui me plaît beaucoup.

30 octobre

J’ai reçu hier ta lettre du 26 m’annonçant le décès de cette pauvre Grand-Mère. Je le regrette bien moi aussi, je t’assure, et ai bien prié pour elle. Mais, je crois qu’elle n’aurait pas pu survivre longtemps à son fils Pierre qu’elle aimait beaucoup et qui pour moi est avec elle à l’heure actuelle. Je ne sais pas si j’aurai le temps aujourd’hui d’écrire à l’Oncle Louis et Tante Marguerite, mais je le ferai le plus tôt possible, je te le promets.

Il m’est arrivé hier un accident, qui je m’empresse de te le dire n’est rien, mais qui eut pu être très grave. Je faisais avec mes hommes un réseau de fil de fer et en voulant couper un bout de fil avec des cisailles, celui-ci est venu me frapper dans l’oeil droit. Je ne voyais plus de cet oeil qui me faisait grand mal et l’on m’a mené voir le docteur. Après m’avoir lavé et soigné, celui-ci m’a dit: "Allez-vous en, mon vieux, vous êtes un veinard, un millimètre plus à gauche, vous perdriez complètement l’oeil."

En somme, ce n’est rien, c’est une déchirure de la cornée, qui n’aura aucune conséquence par la suite, m’a-t-on assuré. Aujourd’hui je vais mieux et ne souffre presque plus. J’y vois très bien. Tu vois que je suis franc et que je te dis tout. Ne t’inquiètes donc pas.

Demain matin, je pars pour Saulxures-lès-Nancyet je t’écrirai dès que je serai installé. Comme j’ai quelques achats à faire (guêtres, etc...) je te serai reconnaissant de m’envoyer un peu d’argent quand tu le pourras sans te gêner.

Je connais très bien l’adjudant Clouet qui est à la même compagnie du 57° bataillon de Marche que Jean Froidefond. C’est un charmant homme et lorsque j’aurai l’occasion de le revoir, je lui ferai sans faute ta commission. Je lui avais dit que j’étais le neveu d’une nièce de Mr Noailles. Il n’a pas compris sans doute puisqu’il a écrit que j’étais neveu, mais ça ne fait rien.

J’ai lu l’article de journal dont tu me parles. Il est exact.. Il faut espérer que tu auras reçu mes lettres depuis le 18. L’une d’elle contenait une croix de Lorraine pour Mlle J. Malbec..................

31 octobre

Suis proposé pour aller suivre un cours à Saulxures-lès-Nancy. Je m’y rends. (Trouvé Marguerite)

1-15 novembre

Peloton de Saulxures-lès-Nancy, 15 jours de repos. Cours épatants. Popote gaie chez la famille Adam avec Lichy, Guillon, ancien copain de Bolbec. Voyage de nuit à Bouxières-aux-Dames, revu les anciennes connaissances. Fréquents voyages à Nancy.

1° novembre

Me voici à Saulxures qui est bien vilain patelin. Nous sommes là 40 sous-lieutenants et 40 sous-officiers pour suivre des cours comme je te l’ai dit précédemment. Jusqu’au 12 courant, écris-moi à l’adresse qui est sur l’enveloppe car j’y reste jusqu’au 15. Après le 12, écris comme précédemment.

Mon oeil va bien mieux, ne me fait presque plus mal, et j’y vois aussi bien qu’avant, mais je l’ai échappé belle, je t’assure. Dis-moi bien quand tu rentreras à La Rochelle, et aussi si tu as bien reçu mes lettres depuis celles du 18. De mon coté, je te dirai scrupuleusement celles que je recevrai, de façon à ce que tu saches si toutes me sont parvenues.

Je te quitte, car j’ai beaucoup à faire aujourd’hui.......

4 novembre

Je n’ai encore reçu aucune lettre de toi depuis celle du 26 à laquelle j’ai d’ailleurs répondu dernièrement. Aujourd’hui seulement, je reçois ta carte signée à Périgueux par toi et ... Roger, je crois. Je me hâte de te dire que je ne suis pas inquiet, car mon changement apporte, avec la lenteur forcée de la correspondance, un retard de 3 ou 4 jours.

Cependant j’espère que toi, de ton côté, tu auras bien reçu les miennes en temps voulu et qu’ainsi, tu n’auras eu aucun sujet à inquiétude. Celle-ci est encore adressée à Ruelle, et, jusqu’à nouvel ordre de toi, je continuerai à te les envoyer là.

Le même courrier m’apportait aujourd’hui une longue lettre de Mad. du Sault, me remerciant très, très aimablement de la petite croix de Lorraine que je lui ai envoyée. A ce propos, j’espère que Simone aura reçu la sienne et que toi aussi tu auras donné celle que je t’ai envoyée, à Mademoiselle Malbec.

Me voici un peu mieux installé ici. Je n’ai pu avoir de lit, bien que j’ai beaucoup cherché, car le cours étant suivi par autant d’officiers nouvellement promus que par des sous-officiers proposés, il a fallu à ces messieurs, des chambres. Et le village est très petit. J’ai été à Nancy hier passer la soirée, ce qui m’est facile attendu qu’en dehors des heures de cours, nous sommes aussi libres que les officiers. Nous sommes très bien traités et sur un pied d’égalité par les officiers instructeurs qui ne font aucune différence de grade, ne s’adressant qu’à leurs élèves.

J’ai l’intention d’acheter des guêtres en cuir et je me suis renseigné. C’est abominablement cher. On n’a rien de bien à moins de 25 à 30 frs. D’ailleurs tout est hors de prix et moi qui n’étais pas allé dans une ville depuis 11 mois, je ne m’en rendais pas compte (souliers: 35 à 40 frs), je n’en ai pas besoin. Gants de peau (15 à 18 frs) !!!! De sorte que sans faire aucune folie, ni aucun achat inutile, ma réserve de fonds va-t-elle diminuer pendant ces 15 jours. Je me permets donc de te rappeler ma demande, sans que tu te gênes cependant. Cela j’y tiens!

Mad. du Sault me prie d’insister auprès de toi pour que tu ailles passer le laps de temps nécessaire au voyage de Mad. à Toulon, à Quinsac. C’est donc, non seulement pour obéir à ma charmante cousine, mais encore par une conviction personnelle, que je t’engage très fermement à faire cet agréable séjour.

La dessus, je te quitte en te priant d’embrasser ceux avec qui tu es en ce moment, car le diable m’emporte si je sais où tu te trouves..................

6 novembre

J’ai reçu hier ta lettre du 1° novembre. Il n’y a donc pas trop à se plaindre du retard. Tu m’as bien accusé réception des lettres du 24 et 26. Tu ne me parles pas de celle du 23, j’espère que tu l’as tout de même. Je vais toujours bien et mon oeil droit n’est presque plus rouge. C’est donc à peu près fini, j’y vois aussi bien qu’avant, ne souffre pas et d’ici huit jours il n’y paraîtra plus rien, j’en suis sûr...

Ce cours n’est pas si intéressant que je l’aurai cru jusqu’à présent et je n’ai guère appris grand-chose. J’espère que par la suite cela ira mieux et sera plus instructif. Les sous-lieutenants qui suivent le cours se fichent naturellement de tout et ne font que chahuter, de sorte que c’est plutôt une pétauderie. En dehors des heures de cours ou d’exercices, nous sommes libres comme l’air, et cette bande de jeunes officiers s’en va coucher à Nancy tous les soirs. Moi qui ne gagne pas 300 frs par mois, je reste ici. Hier cependant je me suis procuré une bicyclette et ai été passer la soirée à Bouxières-aux-Dames (15 km). Je suis revenu à 10 heures, en pleine nuit, par un vent terrible. Il faut être fou! Mais j’ai été si content de revoir ces braves gens, qui tous m’ont sauté au cou. D’ailleurs je suis en relation épistolaire très suivie avec eux (surtout avec une). J’ai l’intention de recommencer cette promenade quand je le pourrai.

Tu ne me donnes pas souvent de nouvelles de La Rochelle. Ainsi j’ai appris hier que Petitbon est capitaine, chevalier de la légion d’honneur et décoré de la croix de guerre. A 23 ans, c’est merveilleux. Décidément je trouve que je ne fais pas mon devoir en restant ici.

Voila quelque temps que je n’ai pas de nouvelles de Jean C.. Je vais lui écrire pour m’informer de sa santé...................

P.S. Donne-moi des nouvelles des Rochelais.

A partir du 12, ne m’écris qu’à ma Compagnie (21°, 323. S.P. 136)

9 novembre

Je reçois aujourd’hui deux lettres de toi:

1°/ ta lettre recommandée du 3 novembre.

2°/ ta lettre du 28 de Cahors.

Hier je recevais ta lettre du 4, d’Angoulême. Tu vois qu’il y a eu un petit peu de méli-mélo, mais qu’à la fin tout s’est arrangé et que j’ai toutes tes lettres. Je suis content que de ton côté tu aies reçu toutes les miennes. Dans le retardataire tu m’accuses réception de cette lettre du 23 dont je te demandais des nouvelles.

Merci donc beaucoup des 25 francs que tu m’envoies et qui vont me rendre grand service et merci à Mad. des 5 francs qu’elle a joints à ta lettre. Vous êtes toutes les deux bien bonnes de m’aider à passer ce mauvais quart d’heure autant que vous le faites. Je vous en suis bien reconnaissant, je vous assure et il me tarde bien d’aller vous le dire de vive voix.

Ici, toujours la même chose. Le cours devient un peu plus intéressant mais vraiment on ne se foule rien. Avec ces officiers, il n’y a pas moyen de faire quelque chose sérieusement et le Capitaine-Directeur qui vient d’être nommé Commandant, ne s’intéresse pas beaucoup à ce qu’il a à faire. D’où permissions à Nancy, les yeux fermés à qui en veut, et ma foi, c’est plutôt un repos qu’un cours. Malgré cela, comme je suis venu ici avec l’intention bien arrêtée d’en sortir avec la mention, "apte a être nommé officier", je prends des notes et travaille de mon mieux.

Ton enthousiasme pour ma future cousine m’a fait grand plaisir et a encore augmenté en moi l’envie de faire sa connaissance. Espérons qu’un jour cette chose-là me sera accordée.

Mon oeil est définitivement guéri maintenant et je ne t’en parlerai plus car il n’en vaut plus la peine.

J’ai écrit tout dernièrement à Jean C. pour lui demander directement de ses nouvelles et je te dirai ce qu’il me dit à son sujet.

Quant à Maurice T, il doit être encore comme Roger, ne trouvant aucun chef à son goût. C’est une affaire de famille. Regarde Roger Martin est bien avec ses chefs. Jean C. aussi, moi aussi, il faut que ça tienne à eux car enfin un supérieur n’est pas si terrible qu’ils le disent. Enfin je ne veux pas dire du mal de mes cousins.

Remercie beaucoup Mad. de son argent et de son mot. Je lui écrirai demain ou après-demain, mais aujourd’hui, j’ai au moins 5 ou 6 lettres à faire et c’est pourquoi mon écriture s’en ressent, comme tu le vois.

En résumé, j’ai maintenant reçu toutes tes lettres jusqu’au 4 inclus. Toi aussi, ça va bien. Je te répète de ne plus envoyer mes lettres au centre d’Instruction mais à la Compagnie à partir du 12 inclus.

Comme douceur, je t’avais déjà dit que je n’avais pas de lit mais que j’étais néanmoins très bien installé sur la paille, maintenant je suis à une popote de sous-officier où nous nous nourrissons très bien et comme tu le supposes, nous avons, si près de Nancy, tout ce que nous voulons. Sois donc tranquille là-dessus. De plus, le bruit court que vers le 15, c.a.d. quand je vais avoir fini ce cours, le Régiment va aller se reposer à Bouxières-aux-Dames!!! C’est à dire que je vais y retenir un lit dès maintenant. Ce ne sera pas trop tôt. je ne me suis pas déshabillé depuis le 30 décembre 1914 exactement!....................

13 novembre

Je reçois à l’instant ta lettre du 9 novembre dont je te remercie beaucoup. Tu me gâtes en lettres en ce moment car tous les jours j’en reçois avec, par exemple, plus ou moins de retard. Cela se trouve bien avec nos déménagements respectifs. Ainsi hier seulement j’ai reçu ta petite lettre du 30 octobre, alors qu’avant-hier j’avais celle du 6 novembre.

Je dois donc répondre à toutes ces lettres. D’abord, je vais toujours très bien et suis de mieux en mieux installé, je crois que dans 2 jours, quant il faudra partir, je serai tout à fait bien.

Un temps épouvantable en ce moment-ci: de la pluie continuellement et un vent comparable avec les plus forts de nos côtes. Il est à souhaiter que vous n’ayez pas le même là-bas.

Vous revoilà donc à La Rochelle dans votre chez vous et malgré votre existence plutôt nomade, vous ne devez pas être fâchées de rester tranquilles, au moins pour quelques jours puisque vous allez de nouveau repartir chacune de votre côté. J’ai appris par toi et avec grand plaisir que ce pauvre Jean C. allait bien. Tant mieux. Il ne m’a pas encore écrit depuis quelque temps, mais ça ne va pas tarder certainement.

Tu as dû recevoir ma lettre dans laquelle je te conseillais moi aussi d’aller à Quinsac et je vois avec plaisir que tu vas t’y décider. Je suis ennuyé que tu sois restée ainsi 9 jours sans recevoir de mes nouvelles. Il est vrai que ma lettre du 4 est passée par Ruelle, mais t’auras, je l’espère, suivie à La Rochelle.

Je ne savais pas que mon petit accident avait été ainsi connu par Bouyé; ça ne valait vraiment pas la peine d’en parler. J’ai fait couper ma barbe, tu comprends que dans un pays civilisé, cela ne pouvait plus aller d’autant plus qu’elle était d’une vilaine couleur. Je suis donc rasé comme auparavant. Cet essai a été infructueux et je ne le recommencerai probablement plus.

Quant au gâteau de tante Berthe dont tu me parles, il est probable qu’il n’a pas été perdu pour tout le monde. En tous cas, je n’en ai jamais entendu parler depuis. C’est le premier colis que l’on m’ait envoyé sans succès. Il ne faut pas se plaindre par ces temps-ci.

Au revoir, chère Maman, embrasse bien tendrement Mad. et Mug. de ma part et préviens-moi de la date de votre départ..............

16 novembre

Retour en auto à Ecuelle, puis à Quercigny, puis le soir à Bey où se trouve mon peloton.

17-19 novembre

Avant-postes à Bey: village très bien fortifié et pas très dangereux. Assez bien installés.

17 novembre

Ce n’est pas de Saulxures que je t’écris aujourd’hui, ce n’est même pas dans ce brave Armaucourt où nous n’irons certainement jamais plus. La Compagnie a changé de secteur, chassée par un régiment de hussards qui prend notre place, elle a appuyé à droite et puisque tu as la carte, regarde:

Nous occupons le village de Bey. Tu verras par sa position qu’il n’est pas si agréable à occuper qu’Armaucourt parce que, beaucoup plus près des Boches dont nous ne sommes séparés par endroits que par la Seille et une largeur de 150 mètres. Ce village est très très abîmé, je t’en enverrai quelques photos prochainement. Il est d’ailleurs fortifié encore plus sérieusement qu’Armaucourt et on peut le comparer à Carency ou Neuville-St-Waast, non pas pour le danger, rassure toi, mais par les abris, boyaux, souterrains, blockhaus, catacombes, etc... qui le sillonnent et l’encombrent.

C’est un second village à 4 mètres au-dessous du premier que nous habitons, il est vrai que le dessus est inhabitable. C’est le village dont je t’ai parlé à propos de ce clocher bombardé si drôlement. Il y a 5 jours, la tempête a été telle ici que le clocher est tombé et a failli écraser plusieurs de mes copains. J’étais à ce moment à Saulxures. Je t’enverrai des photos d’avant et d’après la chute.

A part cela, les Boches sont assez calmes, mais ce n’est plus la vie tranquille d’Armaucourt et ici il faut ouvrir l’oeil et le bon. J’y suis depuis hier. J’ai donc quitté ce village de Saulxures et j’ai passé 15 jours de tranquillité. Le cours est fini, je ne connais pas encore mes notes. Mais j’ai appris que Bouyé, pistonné par Mr Martin qui veut à tous prix le faire passer avant moi, serait nommé bientôt. Je ne sais que croire et suis dégoûté de tout ce qui se passe à ce sale régiment. Tantôt on a le n°1, tantôt vous ne valez plus rien. C’est le dernier qui parle qui a raison. J’ai été un moment l’homme du jour, je suis dégommé. Tant pis, mais ce n’est peut-être pas définitif.

Mr Morache qui va clopin-clopant, vient de remplacer comme adjoint au colonel Mr Gaillard qui passe chef de bataillon. Comme Mr Morache a beaucoup d’influence, tu serais bien aimable de parler à ces dames. Je crois que ce serait une bonne affaire. Fais-le, si cela ne t'ennuie pas trop, je te prie.

J’ai reçu ta lettre du 10. Merci. Tu fais très bien d’aller à Quinsac et je suis bien content. Dis-moi quand tu partiras. Pour l’argent, je n’en suis pas pressé, pressé, mais quand tu auras touché ton fermage, je te serais reconnaissant de m’en envoyer un peu, car ce voyage a aplati un peu ma modeste bourse. Je ferai attention pour mon orthographe, mais excuse-moi, je vais si vite pour t’écrire quelquefois. Quand tu auras le temps, tu pourras m’envoyer ce résumé que je "potasserai".

Au revoir, chère Maman, porte-toi aussi bien que moi, c’est tout ce que je te souhaite...................

20-23 novembre

Repos à Quercigny. Pas bien installé.

20 novembre

Depuis ma dernière lettre, qui d’ailleurs a été te chercher à La Rochelle, j’en ai reçu 2 de toi, une du 14 et une autre du 17, auxquelles je réponds.

Je suis bien content que tu aies accepté l’invitation de Tante Marie-Louise, et que tu sois à Quinsac pendant l’absence de Madeleine. Ce sera moins triste pour toi.

J’ai reçu des tas de lettres depuis quelques jours.

= une de J. Chagnaud qui ne me parle pas de lui.

= une de Tante M.L. Triaud.

= une de Tante Marguerite.

= une de Jeanne Malbec.

= une de Simone et Jeanne Malbec.

etc... etc....

Jeanne a l’air en effet très gentille. Elle me tutoie déjà sur toutes ses lettres et je lui ai répondu de la même façon.

Une lettre de Roca lui-même m’avait déjà donné les renseignements que tu me donnes. Nous sommes d’ailleurs en correspondance suivie.

J’écris très mal, mais j’ai un froid aux doigts terrible, je tiens à peine mon porte-plume. Nous sommes au repos à Quercigny (voir carte) pour 4 jours et nous irons à Bey passer 4 jours. Ci-joint 7 photos promises. Le repos à Bouxières est encore à l’état de projet mais rejeté à plus tard. N’oublie pas surtout de me donner l’adresse de Mad. à Toulon pour que je lui écrive puisque tu ne serais plus avec elle.

A propos de Suzanne Guillemin et Jeanne Malbec etc... etc... j’ai une envie folle mais folle et irrésistible de me marier, moi aussi. C’est fou, mais cela me tient bien. Tu ne pourrais pas me faire fiancer quand j’irai en permission, probablement vers Pâques, avec qui tu voudras, je me fie à toi. Mad. du Sault par exemple. Tu serais chic tout plein, si tu faisais ça! C’est idiot ce que je te dis, mais tu ne te figures pas ce que j’y pense souvent et toujours. Je t’en reparlerai d’ailleurs et il y a longtemps que je voulais le faire.

...........Embrasse Tante M.L. et ma fiancée? pour moi, ainsi que Théodule.

P.S. Est-ce auprès de toi que Mademoiselle Juliette Lunon s’est informé de moi.

Encore une fiancée en perspective, ou Yvonne Vast Vimeux, pas de de Coulonges. Enfin tu sais mon goût. Pourvu qu’elle m’aime comme une folle, je réponds de moi, mais j’ai besoin d’un trésor d’affection. Tu ne peux t’imaginer comme ça me manque ici. C’est terrible.

Ton fou de fils.

Pardon de cette lettre décousue, mais j’ai un froid terrible dans cette ferme criblée de trous d’obus où l’air passe..............

24-28 novembre

Avant-postes à Bey. Fabrication d’un blockhaus. Beaucoup de neige. Spectacle féerique. Nous sommes relevés par le 234° et restons 24 heures avec lui au village.

24 novembre

Je t’accuse réception de ta lettre du 18 novembre qui m’a fait plaisir comme toujours. Vous voilà donc une fois de plus hors de votre home, mais là où tu es, je te sais bien installée, bien choyée et j’en suis fort heureux.

Tu as dû recevoir mes lettres du 17 et du 20 (photographies). Tu m’excuseras de cette dernière véritablement folle, mais aujourd’hui, plus posément, je te dirai combien le manque d’affection me pèse. Je sens que j’ai besoin d’être gâté et choyé et voilà pourquoi ce débordement de l’autre jour a eu lieu. Oui, je crois que si j’ai le bonheur de revenir de cette guerre, pas trop endommagé, tu ne seras pas longue à avoir une nouvelle fille qui t’aimera, je suis sûr, autant que je t’aime, et à nous quatre, nous te ferons une vieillesse aussi heureuse que possible. Tu verras!

Merci de ta jolie rose qui sentait encore à son arrivée. Hélas, je ne peux t’en envoyer en ce moment, il ne fait que neiger et tout est blanc. Il n’en tombe cependant pas assez pour que les jolis edelweiss fassent leur apparition.

Nous n’allons pas rester longtemps à Bey, car on parle très sérieusement d’un long repos très prochainement, malheureusement pas à Bouxières-aux-Dames. Ma prochaine lettre ne sera donc pas écrite de mon poste souterrain d’ici. J’ai eu encore ce soir mon petit succès culinaire habituel. Je ne t’ai pas dit, je crois, que j’étais très fort pour faire une mayonnaise, mais depuis que je suis à la Compagnie, il n’y a que moi qui les fait à la popote. Ce soir encore donc, j’en ai fait une des plus chic, elle était dure comme du mastic. Il est vrai que le temps s’y prêtait. Nous nous sommes tous léchés les babines.

Autre chose de plus sérieux: les notes de Saulxures sont arrivées, et j’ai seul la mention: apte à faire un chef de section. L’autre sergent et les aspirants devront refaire un autre stage. Donc cela va bien, pourvu qu’il n’y ait pas encore un passe-droit, mais jusqu’à présent il n’y a pas de nominations au Régiment.

La santé va toujours à merveille. Pas même un rhume depuis longtemps. Je souhaite qu’il en soit de même de vous tous et sur ce, embrasse tout le monde autour de toi.............

P.S. Donne-moi l’adresse de Mad. à Toulon.

Ci-joint une photo: le sergent Triaud muni de son masque contre les gaz asphyxiants.

Y a-t-il beaucoup de fautes d’orthographe?

27 novembre

J’ai reçu hier soir ta lettre du 23 novembre. Nous sommes toujours à B........., mais nous allons en être définitivement relevés pour aller au repos à Laneuvelotte dans 3 jours.

Hier et toute la nuit, il a neigé sans interruption, de sorte que nous en avons 10 à 12 centimètres aujourd’hui. C’est superbe et j’espère t’envoyer d’ici peu quelques photos très pittoresques prises aujourd’hui par un beau soleil. Il gèle et fait -4 en ce moment (11 heures du matin) mais le temps est agréable car il fait un soleil et pas de vent.

Merci beaucoup de la lettre que tu écris aux Dames Morache. Cela me fait grand plaisir et j’espère que cela produira un bon effet. Mais il faut des places: voilà le "hic". Ne t’inquiètes pas si ma prochaine lettre se fait un peu attendre car je vais avoir un peu plus de travail ces jours-ci. Je t’écrirai une fois arrivé à Laneuvelotte.

J’attends toujours un caleçon de laine quand tu l’auras acheté et aussi un peu d’argent lorsque tu le pourras sans te gêner. Pas encore reçu les colis, je t’en accuserai réception dès que je les aurai. En ce moment où nous serrons un peu notre ceinture par suite de la difficulté de ravitaillement, je consomme, avec mes camarades, les excellentes boites de conserve de ton colis (réduit français et galantine.... exquis!!!!) Tu vois qu’il faut avoir des réserves, cela sert au moment où l’on s’en doute le moins.

A part cela, santé excellente, pas de rhume, ni rhumatismes........... rien.....................

29 novembre

Départ à 5 heures par la forêt de Champenoux par un temps horrible. Arrivons à Laneuvelotte à 9 heures. Horriblement mal installés. Travaux, exercices, revues. La Barbe!!!!

29 novembre-25 décembre

Repos. Travaux et exercices.

30 novembre

Nous voici arrivé à Laneuvelotte au repos pour..... je ne sais combien de temps, mais horriblement mal installés. Nous avons eu ces jours derniers un froid terrible (-12) avec plus de 10 centimètres de neige, puis brusquement un radoucissement de temps et de la pluie, de sorte que ce matin pour faire le trajet (15 km) nous avons été trempés comme des soupes.

Bien reçu tes lettres du 24 et du 26. Je suis de ton avis et tes petites lettres courtes mais fréquentes me font grand plaisir. Merci de tout ce que tu as fait auprès de Mme Morache. Espérons que cela fera du bien! Merci également de l’adresse de Mad. à qui j’ai écrit tout dernièrement. Merci enfin de la règle sur les participes que je vais potasser, et dont, je pense, je ferai profit cette fois-ci.

Autre chose plus agréable: on s’est enfin aperçu que le régiment était en retard sur les autres au point de vue permissions. On en a donc augmenté le nombre à partir d’aujourd’hui. Si la même proportion continue, et s’il n’y a pas d’anicroches, je pourrai aller vous embrasser soit pour Noël, soit dans les premiers jours de janvier. Mais.... j’ai eu déjà tant de déceptions à propos de bien des choses depuis le commencement de la guerre, que je ne veux pas me réjouir à l’avance. Si je pouvais avoir la chance de venir en même temps que Jean C. ce serait épatant!

Je ne t’écris pas plus longtemps, car nous avons beaucoup à faire (naturellement puisque nous sommes au "repos"!) et que je suis un peu patraque à cause de ma douche de ce matin..................

3 décembre

Nous sommes tellement mal installés ici que je ne peux même pas trouver le moyen aujourd’hui de t’écrire à l’encre. Pour une réserve d’armée, c’est rudement mauvais et d’ailleurs tu as du m’entendre plaindre chaque fois que nous devions cantonner dans cet horrible village de Laneuvelotte. Pas d’eau, de la boue, un affreux cantonnement, pas de popote, enfin horriblement mal dans toute l’acception du mot.

De plus, depuis que nous sommes ici, la pluie n’a pas cessé de tomber une seule minute. Tu vois d’ici les routes et par conséquent l’endroit où nous couchons (où tout le monde marche sur la paille pendant la journée, de sorte que la nuit nous couchons sur de la boue. Dire qu’il faut rester ici un mois! Enfin assez de lamentations inutiles, mais à quand la fin d’une pareille vie!!!!

J’ai reçu aujourd’hui, ta lettre du 30 dont je te remercie et aussi les 2 colis venant par le dépôt et arrivés absolument intacts. Tout exquis sauf le saucisson. Ne m’en envoie plus comme ça, je te prie. Merci beaucoup de toutes ces gâteries vraiment nombreuses et absolument excellentes! Ces "cakes" sont exquis dans le jus du matin.

Excuse moi pour la faute d’orthographe dont tu me parles. Mais ne vas pas croire que je suis ignorant au point de ne pas savoir cela. Je t’assure que c’est de l’inattention. Je n’avoue ma nullité à ce point de vue que pour les participes.

Toujours pas de places au Régiment. Tu penses que ce n’est pas en restant ici qu’il y en aura, et après tout, il ne faut pas souhaiter le malheur des autres pour faire son bonheur n’est-ce pas?.................

5 décembre

Je reçois à l’instant ta lettre du 1° décembre dont je te remercie beaucoup. Elle contenait un mandat de 20 frs dont je t’accuse également réception. Merci beaucoup, j’en avais bien besoin en ce moment-ci. Je suis bien content des bonnes nouvelles que tu me donnes de vous tous. En effet, j’ai reçu dernièrement une lettre de Madeleine, et aujourd’hui encore une carte postale d’elle.

Quant à nous, nous sommes toujours sous le déluge et dans la boue jusqu’aux genoux et avec du travail par-dessus la tête. (revues, travaux, tir, exercices, lancements de grenades et que sais-je? Vivement les avant-postes!) Hier nous avons été au travail par un temps à ne pas mettre un chien dehors. Les hommes ne pouvant travailler, nous sommes restés toute la journée sous l’eau, même pour le repos du matin que l’on devait prendre sur le terrain. Obligés de changer de tout en rentrant avant de se coucher sur son fumier. Ah. quel repos!

Aujourd’hui, je suis occupé à faire faire des couchettes un peu mieux conditionnées et tout en surveillant mes hommes, je viens causer avec toi. J’ai pu assister à la messe ce matin, il y avait longtemps que je n’avais pu le faire à part Saulxures.

Vu le Capitaine Morache qui m’a dit un bonjour très froid sans me parler de rien! Quel faux bonhomme. C’est bien dommage d’avoir besoin d’un loustic pareil.

Continue à bien te reposer et à te faire cramponner par les deux petits moutards. On grogne, mais cela vous amuse tout de même et vous fait plaisir.

Merci des nouvelles de Jean C.. Voila longtemps que je n’en ai pas eu directement.

Tes bonbons sont excellents et je suis un peu réconcilié avec le saucisson, mais j’aime mieux le saucisson de Lyon ou d’Arles!!!

.............. je t’embrasse bien affectueusement en attendant de le faire moi-même au mois de Janvier.............

9 décembre

Je réponds à ta lettre du 5 reçue ce matin et dont je te remercie beaucoup. Hier, le colis contenant le caleçon de laine est arrivé et je m’empresse de te remercier. Quel travail de l’avoir fait toi-même. Je l’ai essayé ce matin et le garde sur moi, il est un peu petit sans toutes les dimensions, mais peut aller cependant. A mon avis, cela présente des avantages et des inconvénients: c’est chaud, élastique, mais d’un autre côté c’est lourd à porter et cela pique horriblement. Néanmoins, si tu m’en fais d’autres, je serais heureux de les avoir, car c’est bon à porter par ici, surtout pour passer des nuits quelquefois dehors.

En même temps que ton colis, m’en est arrivé un autre de Madeleine: c’étaient des fruits confits: une spécialité de Toulon. Absolument exquis. De plus, j’ai d’elle de fréquentes nouvelles. Tu vois qu’elle me gâte.

Basset qui est en permission, m’écrit de La Rochelle qu’il a été te voir et n’a pu te trouver. Il ajoute qu’il a laissé un billet dans la boîte pour te donner de mes nouvelles. Je n’avais pu le prévenir que tu n’étais pas à La Rochelle en ce moment et il s’est cassé le nez à la porte.

On vient de nous distribuer hier nos casques!! Et j’ai touché une capote neuve. Je serai donc superbe pour aller te voir dans un mois. On me prendra pour un embusqué. Si tout va bien, j’espère partir vers le 6 janvier d’ici et par conséquent arriver vers le 8 à La Rochelle. J’espère qu’à cette époque Mad. sera de retour. Mais si cela vous gêne, je pourrais demander ma permission pour Quinsac. Tu me diras ce que tu préfères et ce que vous comptez faire toutes les deux.

Ici, nous sommes toujours dans la boue jusqu’au cou, mais j’ai trouvé un petit coin épatant pour dormir, je suis donc à peu près bien et vois ce séjour sous un jour meilleur qu’au début. Jean C. m’a écrit de son secteur "filon". Il m’a l’air très affairé maintenant qu’il est chef de service!

Alors ce petit Jacquot est un véritable diable! Pauvre tranquille Maman, tu tombes de Carybe en Scylla. Et quand tu rentreras à La Rochelle, ce sera pour voir à La Rochelle ton "poilu" de fils dont l’éducation sera certainement toute à refaire!

Sur ce, je te quitte en t’embrassant mille et mille fois ainsi que Tante, Mad. du Sault et Jacques.................

P.S. Envoie-moi, je te prie, un morceau de papier buvard.

12 décembre

Je réponds à ta lettre du 9 reçue ce matin. Nous sommes toujours sous la pluie et dans la boue. Ce vilain temps ne veut pas changer et c’est bien ennuyeux de ne pas savoir se mettre pour passer son temps à l’abri. Heureusement, on m’a prêté un livre de P. Bourget que j’ai dévoré: "Le Sens de la Mort". C’est une thèse religieuse sur la mort et la scène se passe dans une clinique au courant de cette guerre. Tâche de le lire si tu l’as sous la main.

Je croyais que tu avais une carte au 80/1000° de la région où je me trouvais. J’étais persuadé que tu me l’avais dit. Il faut que tu demandes la carte de la Région de Sarrebourg. Elle a le n°53 dans la série des cartes au 80/1000°. Maintenant tu n’as pas besoin d’acheter toute la carte de Sarrebourg. Cette carte se divise comme toutes ces grandes régions en 4 quarts. C’est le quart: "Sarrebourg Sud-Ouest" qu’il te faut. Tu n’y auras pas Nancy, mais tu auras la frontière où je me suis trouvé les 3/4 du temps depuis le début, la forêt de Champenoux, Laneuvelotte où je suis actuellement, etc.... D’ailleurs, si tu ne l’as pas dans un mois, j’apporterai les miennes, et je t’en laisserai une, je te le promets.

Je suis toujours en grande correspondance avec Mad. et son mari, avec lequel je suis en train de mijoter une combinaison pour aller en même temps que lui en permission. Ce serait si chic!

Quel phénomène que cette Marie Limousin dont tu me parles et fasse le ciel que je ne tombe pas sur une pareille femme plus tard. Continue à te distraire et à garder Jacques, mais surtout à te reposer pour que je te trouve bonne mine en arrivant. Je compte les jours avec impatience. Pourvu qu’il n’arrive pas d’anicroches encore!

Je ne vois rien de nouveau à te dire. La vie est toujours la même: Corvées. Travaux. Pluie. Heureusement que je dors bien et que les nombreux rats, souris et puces ne m’ennuient pas trop. (On pourrait tirer le canon à côté de moi, je crois que je ne me réveillerais pas.)

15 décembre

J’ai reçu hier ta lettre du 11 m’annonçant, non pas ta décision, mais ton idée de partir de La Rochelle pour aller habiter Quinsac. Tu me demandes mon avis: Je l’approuve entièrement. L’air de la campagne sera excellent et fera grand bien à Muguette, à Mad. et à toi surtout. De plus tu ne seras plus seule dame de ton âge et de ta condition (comme tu t’en plaignais autrefois à La Rochelle). Tu seras en voisinage perpétuel avec Tante M.L. Vous vous aimez beaucoup et vous estimez mutuellement. C’est parfait. Si cette idée plaît à Mad., je la trouve très bonne. Mon Dieu, après tout, à part nos chers morts que nous laissons à La Rochelle, rien ne nous y retient plus et Quinsac n’est pas si loin!

Si aucun malheur n’arrive d’ici la fin de la guerre, Mad. repartira avec son mari. Moi, j’aurai une position quelconque? Mais je ferai en tout cas mon possible pour me marier donc tu ne resterais pas seule, ce qui m’ennuyait tant!

Le "Clos Julien" me parait bien comme maison et puis c’est si près de Bordeaux que c’est très chic. Maintenant Tante M.L. a-t-elle l’intention d’y rester longtemps. C’est là la question. Enfin puisque c’est pour dans plusieurs mois, nous avons le temps d’en reparler lorsque je serai en permission. Mais puisque tu m’as demandé de t’écrire rapidement pour te donner mon avis, je te dis d’ores et déjà que je trouve l’idée très bonne.

Ici, nous allons toujours bien. Le temps s’est remis au froid, chose plus agréable que cette fastidieuse pluie. Aujourd’hui nous avons fait une marche d’une vingtaine de kilomètres par un froid assez vif ce qui a rendu cette marche très agréable. Avec ce beau soleil, c’était une vraie promenade.

Tu as l’intention, dis-tu de me donner de l’argent pour mes étrennes. Je te remercie et c’est en effet ce dont j’ai le plus besoin ici, mais ne m’en envoie pas car pour le moment j’en ai assez grâce à ton dernier mandat. A mon séjour à La Rochelle, tu me donneras ce que tu me destines et mes étrennes me seront ainsi offertes d’une façon bien plus agréable pour moi. C’est entendu., n’est-ce pas.

Je n’ai pas vu Basset depuis son retour de permission et n’ai pas de nouvelles récentes de La Rochelle. Heureusement que mon tour approche (j’ai maintenant le n° 29 à la Compagnie). Pas de nouvelles de Jean et Mad. depuis ma dernière lettre. J’espère que tout va bien malgré tout................................

18 décembre

Bien reçu ta bonne lettre du 13. Merci. Rien de nouveau ici, quoique toute la journée le canon ait énormément tiré sur le front, tout près de nous et que, au moment où je t’écris, il y a une sorte de bombardement assez intense. Je ne sais pas encore ce que cela veut dire. Est-ce déjà la fameuse grande offensive allemande qui commence? Elle est annoncée pour les environs du premier janvier. Pourvu qu’elle ne mette aucun retard à ma permission, c’est tout ce que je demande. Après ils feront ce qu’ils voudront.... ou du moins ce qu’ils pourront!

Ma dernière lettre du 15 que tu as reçue j’espère, t’aura dit que je suis tout à fait de ton avis au sujet du déménagement, et par conséquent à ma seconde permission, ce sera vers Quinsac que je me dirigerai. Mais n’anticipons pas et attendons d’obtenir au moins la première. Tu me parles d’un petit domaine que tu aurais entrevu tout près de la gare, avec un bois en pente sur une colline. Ce n’est donc pas le "Clos Julien" que tu vas louer comme semblait le dire ta dernière lettre. L’éclairage électrique me plaît et la proximité de la gare aussi.

Pour les caleçons, ne t’en occupes plus. J’ai maintenant ce qu’il me faut car il vient d’y avoir encore une distribution d’effets et je me suis réservé un caleçon très confortable. Comme je te l’ai dit aussi, ne m’envoie pas d’argent: je t’en demanderai pendant ma permission car j’en ai suffisamment pour le moment.

Il parait que notre Compagnie va aller à Saulxures-les-Nancy pour une quinzaine de jours servir de mannequin au peloton d’élèves-officiers. C’est très chic pour les officiers et sous-officiers, car ils ne vont pas à l’exercice. Ce sera alors un vrai repos. Je te tiendrai, comme d’habitude au courant de mon déménagement (j’ai pour ce genre de choses moins de tracas que toi et surtout mon mobilier me suit sans frais!)

Pas de nouvelles de Mad., ni de Jean depuis quelque temps, j’espère que tout va bien cependant de même qu’à Quinsac. Quant à moi, toujours en excellente santé, je fais en ce moment beaucoup de gymnastique suédoise avec mon Capitaine!!!..............

21 décembre

Merci de ta bonne longue lettre du 18, qui m’a trouvé avec un grand mal aux dents, le plus fort que je n’ai jamais eu, moi qui n’ai jamais souffert de la bouche. Je souffrais tant que ce matin, je me suis fait porter malade pour la première fois depuis la guerre. Là, le docteur, après m’avoir regardé, m’a trouvé 2 dents à plomber. Il faut donc que j’aille demain dans un hôpital près de Nancy dans ce but, car les instruments manquent sur le front.

J’ai donc une permission pour demain, mais, toute la journée il n’a fait que neiger et à l’heure où je t’écris (19 heures) les flocons tombent encore plus gros. L’épaisseur est déjà très respectable, de sorte que je reculerai probablement cette première visite. Je te rendrai compte de ce que j’aurai fait mais ne t’inquiètes pas outre mesure. Cela n’en vaut pas la peine.

Reçu comme toi une carte collective signée de Mad. et de Jean T.. Quel veinard d’avoir 3 mois de permission! Reçu aussi une carte de Jean C. qui me dit faire partie d’une commission de vaccination, ce qui retardera l’époque de sa permission. Je le regrette beaucoup car j’aurais été bien heureux de le voir depuis le temps! Il m’a l’air un peu moins fringant qu’au début de la guerre. Il a l’air plus triste et un peu découragé, lui qui était si rassurant et si plein d’ardeur autrefois. N’es-tu pas de mon avis?

Alors tu changes d’avis pour ton déménagement! Ma foi, fait ce que tu veux, moi, je ne peux guère t’influencer. Etant célibataire et ne sachant ce que je deviendrai après la guerre, je n’ai à t’influencer en rien. J’irai te voir où tu seras et après..... on verra. L’avis de Mad. doit donc avoir plus de poids que le mien et puis je ne suis qu’un gosse en comparaison de la sérieuse Mad. Que je l’admire cette petite et quelle brave (petite)? femme à Jean! Elle m’a écrit un mot depuis la carte où elle m’a dit qu’elle viendra à La Rochelle pour me voir. J’en suis bien content, je t’assure. Jusqu’à présent, rien de changé et j’attends toujours l’époque que je t’ai fixée.

La réponse du Capitaine Morache est vraie, il n’y a pas de places au Régiment. Bah! je ne passerai jamais, tant pis, il ne manquera pas de positions qu’avec du travail, je pourrai obtenir, et j’ai bien l’intention de piocher, car je vois qu’il y aura des moments durs à passer après la guerre.

Je ne savais pas que Daniel Bernard avait la croix de guerre, mais dit bien à Jean du S. qu’il a droit à la Médaille militaire et croix de guerre comme réformé après blessure. (Je crois, ma parole que je serai le seul à ne pas l’avoir dans la famille) je ne suis pas jaloux, oh grand Dieu non!, car j’ai conscience que je n’ai rien fait pour l’avoir. Boussiron m’avait proposé à cause de mes nombreuses patrouilles à Bezange l’hiver dernier, mais le Commandant Millet n’a pas voulu. Seulement j’ai honte de n’avoir rien fait alors que mes oncles, cousins, frère, etc.. se sont fait tuer ou se sont distingués pareillement. Mais la guerre n’est pas finie!

Je te quitte, ma chère Maman, car je vais me coucher. A partir du 1° janvier, je t’écrirai à La Rochelle...............

P.S. Je suis content que tu aies la carte de la région. Nous travaillerons ensemble dans une vingtaine de jours.

23 décembre

Grande nouvelle qui, tout en te faisant plaisir, va peut-être te gêner. Ma permission est avancée par suite de circonstances inattendues et je pars d’ici dans la journée du 25 ou du 26. Je serai donc à La Rochelle dans la journée du 27 ou du 28 prochain. Je suis bien content de cette avance qui me permettra de passer le premier de l’an avec toi, mais suis ennuyé de te déranger dans tes projets.

Et Madeleine qui devait rester elle aussi reviendra-t-elle, Je la préviens par le même courrier que toi puisque je viens moi-même d’apprendre la nouvelle, mais lui dis de faire ce qu’elle voudra. Je serais pourtant bien contant de la voir. J’ai la chance de partir en permission avec mon ami Neveux de Fouras, qui m’a promis de venir passer une journée à la maison pendant ces 6 jours.

Mes dents vont mieux du coup. J’ai été à cet hôpital, aujourd’hui seulement, car le temps était épouvantable hier. Le dentiste ne m’a presque rien fait, car, ne pouvant le revoir avant 15 jours, il ne commencera les soins qu’à mon retour.

Mais j’y pense! Tu ne seras peut-être pas arrivée à La Rochelle. Dans ce cas, je descendrai pour 1 jour à la maison tout seul et t’attendrai, amis il est très probable que tu arriveras avant moi.

Pardon de ce gros dérangement que je te cause, mais quelle joie de se revoir....................


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