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1 janvier
Permission à La Rochelle. Merveilleux commencement dannée.
2 janvier
Permission à La Rochelle. Arrivée de Jean.
3-4 janvier
Permission à La Rochelle. Reçu Neveux et sa femme.
5 janvier
Permission à La Rochelle. Départ pas trop triste à 9 heures pour Paris. Suis avec Montaussé, Vergne, Meyer et Neveux.
6 janvier
Arrivée à Paris à 7 heures. Jai passé une agréable journée chez Mimi et Henri. Visité les Invalides. Le soir 8 heures, parti à la gare de lEst où lon nous refuse le train express. Parti coucher à Clichy avec Neveux.
7 janvier
Bien dormi à lhôtel. Le matin, promenades et courses dans Clichy avec Mme Neveux et sa soeur. Déjeuner charmant et départ très gai pour la gare. Nous partons enfin à 2 heures 45. Voyage avec un adjudant des Tirailleurs.
8 janvier
Arrivée à Jarville à 7 heures. Déjeuner dans un petit restaurant puis départ pour Saulxures en voiture. Rien de changé à la Compagnie. Popote chez les Adam. Chambre chez Mlle Louise. Reçu lettres et colis de lîle Maurice.
Je viens darriver à Saulxures-lès-Nancy, où se trouve actuellement la Compagnie. Là, pas grand-chose de nouveau, sauf ladjudant changé.
Je suis passé à Paris, arrivé à 7 heures du matin et je me suis pendu à la sonnette de Mimi (Martin-Balmary) qui ainsi que les deux Henri et les petits bébés, ma fait fête. Nous nous sommes promenés le matin, ils mont fait visiter les Invalides, le soir et je me suis dirigé vers mon train à la gare de lEst. Celui-ci devait partir à 8 heures. Là, on nous dit (Neveux, Meyer et moi) que ce train ne prenait pas les permissionnaires et quil ny en avait quun dautorisé pour nous, le lendemain à 14 heures 45. Désillusion, puis fou-rire. Emmené de force par la famille de Neveux, jai passé la nuit dans un hôtel près de chez eux et la matinée ainsi que le déjeuner chez eux (Clichy). Puis hier nous avons pris le train et sans nouvelles histoires, nous sommes arrivés à Nancy (vide - mort - plus de 50.000 personnes ont été évacuées après ce très sérieux bombardement). A la Compagnie, nous avons été reçus sans un mot de reproche sur notre retard, jai expliqué mon cas et tout est arrangé.
Pour le moment, un de mes amis, sous-lieutenant, qui part en permission, vient de me céder une chambre superbe et un excellent lit. Tu vois que pas un moment de cafard nest encore venu me troubler. Jai trouvé ici quantité de lettres de Tante M.L. Moreau, Anne, Jean Chagnaud, etc...etc... et un colis monstre de lIle Maurice parvenu par le ministère des Affaires Etrangères. Il contenait dexcellentes cigarettes anglaises, du sucre, chocolat, plum-cake énorme, ananas, biscuits, thé, ouate, allumettes, etc... etc...
A ce propos, donne-moi vite ladresse de Mme de Cayla et dis-moi comment il faut que je lappelle, Ma Tante, ou Madame. Tu ne peux te figurer combien je suis heureux davoir été si bien reçu partout, dabord chez toi, ensuite chez nos amis, chez les Neveux, chez Mimi. Merci à tous. Vous êtes si bons pour vos « Poilus ». Mais ces derniers vous remercient bien cordialement, soyez-en sûrs.
Au revoir, chère Maman, à bientôt une autre lettre où je te dirai les choses que jai certainement oubliées cette fois-ci. Embrasse bien bien fort Jean, Madeleine et la si mignonne Muguette que jaime tant..................
9 janvier
Garde-police à 7 heures après une excellente nuit dans un bon lit. Tous les soirs « Tee and cakes » avec Louise et Mathilde.
10 janvier
De jour. Corvées diverses. Bruits de nomination de Sous-Lieutenant. Est-ce vrai?
Me voici tout à fait devenu dans le mouvement, maintenant et, comme tous ceux qui reviennent de permission, je nai pas été oublié dans la distribution des corvées. Cest ainsi que jétais de garde hier et que je suis de jour aujourdhui. Je nai rien à dire, car cest mon tour et que la vie à Saulxures nest pas dure, je tassure. Que nous sommes bien dans ce petit village.
Je tai dit que nous avions une popote très bien organisée dans la même famille que lorsque je suivais le cours. Cest dailleurs moi qui avant de partir avait donné des indications. Jai une chambre, je te lai déjà dit, de sorte que tout va bien et ne me plaignez pas en ce moment. Je suis décidément toqué de tous les gosses que je vois, car les bébés de Mimi mont plu presque autant que Muguette. Le petit Jean (Balmary) surtout est extrêmement affectueux et me comblait de caresses. La petite Françoise (Balmary-Rastouil) est plus timide, mais nous sommes de bons amis tout de même. Les connais-tu?
Jai donc passé chez ma cousine une journée délicieuse, de même celle du lendemain qui, je lavoue a été du « rabiot » sur lequel je ne mattendais pas. La famille de Neveux est charmante, en particulier sa jeune belle soeur (veuve à 22 ans). Jai écrit aux Grouillard, aux Faure, aux Bouillé, pour les remercier de la façon dont jai été reçu et mexcuser de ne pas leur avoir rendu visite. Je pense quainsi je suis correct et en règle avec tout le monde.
Jattends ta lettre pour avoir ladresse de Mme de Cayla et lui écrire aussitôt. Ce colis était épatant vraiment et le contenu (plum-cake en particulier) succulent..................
P.S. Explique bien aux Grouillard que, étant arrivé en retard, je nai pu rester une seule minute à Nancy et nai pu aller chez Goulette. Jai cependant fait parvenir la lettre à son adresse!
11 janvier
Lever à 9 heures. De corvée pour accompagner la Compagnie à Velaine. Nous sommes horriblement mouillés. Heureusement que lon se sèche chez Louise! Fausse manoeuvre car lexercice fut décommandé.
12 janvier
Temps superbe. Corvée de bois au bois de Pulnoy: véritable promenade. Les bruits se confirment pour ma nomination. Le lieutenant Strohl men parle!!
Merci de mavoir ainsi écrit avant de navoir rien reçu de moi. Jespère que maintenant tu as dû recevoir mes deux premières. Rien de nouveau à Saulxures. Toujours beaucoup de boue et un temps légèrement pluvieux, mais bonne installation, ce qui fait passer sur beaucoup de choses. Jai reçu hier une carte de Jean Triaud de Toulon, une lettre de 4 pages de son frère Maurice dans ses tranchées de Champagne et une longue lettre de Madeleine du Sault, toujours aussi charmante.
Jean C. a du vous quitter hier lui aussi, jy ai bien pensé, je vous assure, et ai pris une part bien grande à votre chagrin. Bah! consolez-vous, nous en reviendrons tous les deux. Cette permission ma rendu presque optimiste.
Ta lettre mapprend encore la mort dun pauvre camarade. Je nétais plus très en relation avec lui depuis notre départ du Lycée, mais je me rappelle très bien combien nous étions liés autrefois. Pauvre bougre! Il devait avoir 1 ou 2 ans de plus que moi. Donne-moi des détails lorsque tu en auras. Collectionne aussi toutes les nouvelles de La Rochelle ou des gens que nous connaissons pour me faire une véritable petite gazette.
Je ne técris pas plus longuement aujourdhui, car je ne vois plus rien à te dire. Tout va bien, Nancy nest plus bombardé pour le moment et les froussards qui en sont partis, reviennent peu à peu...............
13 janvier
Exercice de signalisation avec le lieutenant Brochard.
14 janvier
Repos complet. Je vois le Capitaine Morache qui me confirme que je vais passer officier. Quelle veine! Nous devons partir demain pour Laneuvelotte.
Je suis content que tu aies reçu le colis de Bouxières, je vais aviser Marguerite et la remercier de sa complaisance. Jean a raison, pour le chargeur, il ny a absolument aucun danger et tu peux en faire ce que tu voudras, sauf le mettre dans le feu naturellement.
Voyons maintenant pour le colis du 20: envoie-moi le pantalon, la flanelle que javais à mon arrivée et les 3 mouchoirs. Si tu y as pensé et si tu las, envoie-moi aussi le caoutchouc. Si tu nas pas encore écrit à Bordeaux par oubli, nécrit pas, je me contenterai de celui que jai pour cet hiver. Je ne vois pas autre chose pour le moment.
Sois heureuse! On va encore nous vacciner contre je ne sais fichtre pas quoi, cela devient littéralement la barbe et tout le monde rouspète. Il doit y avoir encore trois ou quatre injections anti-para-typhoïdiques!
Demain nous quittons Saulxures et allons de nouveau à Laneuvelotte pour je ne sais combien de temps. A nous les travaux, à nous la boue, à nous la saleté à présent!!!! Je tenvoie ci-joint une horrible photo prise 2 jours après mon retour ici. Cest la première que jaie avec le casque. Joins-la aux autres, je te prie, malgré sa laideur. Jespère que les Grouillard auront reçu ma lettre et seront un peu réconciliés avec moi. Si javais su tant les vexer, jaurais bien été leur dire au revoir, mais, que veux-tu, on na pas le temps de faire tout ce que lon veut en 8 jours.
A propos de Mme Bouyé, donne-moi des nouvelles de Paul quand tu en auras, je compte sur toi pour cela maintenant, comme dailleurs pour toutes les nouvelles Rochelaises. Allons, je te quitte, je ne técrirai maintenant que de Laneuvelotte, probablement dans le marasme, mais sûrement dans la boue..............
15 janvier
En effet, départ pour Laneuvelotte, je pars en avant avec la cuisine roulante pour reconnaître le cantonnement de la Compagnie. Assez bon coin, bonne popote, mais de la boue!
16 janvier
La section est de garde avec Billaud. Je suis donc de repos (messe). Le Capitaine Ney revient de Lunéville.
17 janvier
Laneuvelotte. Nous allons prendre la place du 48° Territorial. Le 2° peloton part le soir pour les avant-postes. Plus de bruits de nomination: cafard.
18 janvier
Je suis de jour. Nous devons partir à 1 heure du soir. Mais contrordre, nous ne partirons que demain matin. Je ne vois rien venir et commence à être inquiet pour mon galon!
Si je ne tai pas écrit depuis 4 jours cest quavant-hier jai envoyé une lettre à Madeleine qui a du te la communiquer.............
Dabord, je suis furieux car il ny a moyen de rien te cacher. Je voulais te faire une surprise en te disant tout dun coup: je suis Sous-Lieutenant, mais je vois que des indiscrétions ont été faites et que tu es au courant de tout. Oui! il vient dy avoir 2 places dofficier au régiment et mon nom est parti avec le n°1 à larmée. Jattends donc avec impatience, tu peux le croire, le retour des pièces qui, parait-il est incessant.
Ce qui me fait plaisir cest que cette fois, le Capitaine Morache lui-même a daigné men parler et me dire que cétait imminent. Cette fois-ci ce sera donc peut-être vrai. Pourvu que je naie pas encore de nouvelles désillusions! Je tannoncerai cette nouvelle, tu peux le croire, le plus vite possible.
Merci de ladresse de Mme de Cayla, je vais lui écrire bientôt. Jaffranchirai ma lettre à 25 centimes pour plus de sûreté. Je suis content que Madeleine retourne à lhôpital. Cela lui changera les idées, ainsi elle change détablissement à ce quil me semble. Pourquoi? Une autre question, tu as déjà changé de bonne, celle-ci ne faisait donc pas laffaire? Merci de toutes les nouvelles que tu me donnes de La Rochelle et des permissionnaires. Cela me fait toujours plaisir.
Autre nouvelle: nous partons aux avant-postes cette nuit pour remplacer un régiment de Territorial qui va occuper Nancy, comme je le prévoyais. Sois donc tranquille, ce sont des avant-postes de seconde importance et nous ny avons à craindre que des obus. Cest dans la forêt de Champenoux même, je tindiquerai quand jy serai, le point exact qui sera sûrement sur la carte que tu as. Inutile den acheter dautre pour le moment.
Pendant que jy pense, donne-moi ladresse de Jean Triaud, ou du moins, dis-moi si elle a changé, car il ma écrit une carte et il faut que je lui réponde dici peu.
Au revoir, ma chère Maman, ne vendons pas la peau de lours avant de lavoir tué et ne parle de ma nomination à personne, je te prie...............
19 janvier
Départ à 5 heures avec un chargement épouvantable. Arrivés dans le bois à 500 mètres de « lArboritum » à 7 heures. Promenade dans le jardin. Le soir, je vais avec Hidreau reconnaître les avants-postes: La gare de Brinet, le Four à Chaux.
20 janvier
Pluie et cafard. Je fais faire des chemins en rondins dans le cantonnement. Le Capitaine Ney mannonce que je suis nommé à la 22°. Hip, hip, hurrah!! Je vais voir le Commandant qui me reçoit très gentiment.
Jai la grande joie de tannoncer ma nomination de Sous-Lieutenant qui vient darriver à linstant. Je my attendais et pourtant cela me suffoque! Je suis à la 22° Compagnie, par conséquent même bataillon, cest tout ce que je pouvais demander de mieux! Je nai pas le temps de técrire plus longuement aujourdhui. Maintenant: Vive la France! Je técrirai demain plus longuement.
21 janvier
Suis heureux! Ai couché dans la guitoune des officiers. Le soir, je vais à Amance, voir le Colonel, Capitaine Morache très gentils et Gruyer qui me donne 650 frs. Je demande une permission pour Nancy.
Je te demande pardon de la lettre envoyée hier. Je ne sais ce que jy ai mis, car jétais littéralement abruti. Tu le comprends. Aujourdhui, je suis plus calme et je vais técrire plus longuement. Oui! je suis officier! et bien content, je tassure.
Les officiers mont reçu très gentiment et le Capitaine Ney ma immédiatement invité à dîner hier soir. A la nouvelle Compagnie, jai comme capitaine Mr Dutilh, ancien porte-drapeau au départ de La Rochelle. Cest un homme extrêmement gai mais dune distinction très douteuse (en un mot, le contraire de Mr Ney). Les Lieutenants sont: Mr Laferrière, le frère de celui que tu as connu à La Rochelle et un instituteur, Mr Marsas. Tous mont reçu très très gentiment ainsi que le Commandant à qui jai été immédiatement présenter mes respects.
Demain, je vais à Nancy pour me faire habiller et équiper. Je vais toucher de largent ce soir (probablement 600 frs). Ma nomination date du 17 janvier, mais nest arrivée quhier à la Compagnie. Jaurais voulu te télégraphier, mais il fallait que cela soit signé par mon Colonel, le Général de Brigade et le Général de Division. Trop dhistoires! Je te tiendrai au courant de mes achats, si cela peut tamuser, mais pendant que jy pense, fais-moi donc un colis de mes affaires à raser. Cest dans une boite blanche plate que Mad. connaît bien.
Ma chère petite Maman, tu ne peux te figurer combien je suis heureux et fier dêtre Officier Français. Il me semble quainsi, je remplace ces pauvres oncles, morts si glorieusement, et pour toi, je suis content aussi, car je sais que cela te fait un grand plaisir. Je te promets de faire mon devoir jusquau bout et en toute occasion. Je penserai à toi aux moments difficiles et je serai fort................
P.S. Je viens de changer denveloppe pour te dire que je reçois à linstant ta lettre avec les photos. Merci. Cela ma fait grand-grand plaisir. Ai répondu à Mme de Cayla.
22 janvier
Journée à Nancy. Nombreux achats et différentes courses. Suis bien muni de tout. Suis vanné en arrivant. Jai Berger mon ancien camarade dactive comme ordonnance.
23 janvier
Vais le soir avec Marsas reconnaître les travaux du Centre 2, mal placés dans laxe de tir de la pièce de marine. Je fais quelques gaffes qui mattirent de petits ennuis.
Comme je te lai déjà dit dans ma dernière lettre, jai bien reçu ta lettre n°5 ainsi que les photos qui sont très bonnes et mont fait grand plaisir. Lautre jour, après tavoir écrit, jai été à Amance me présenter au Colonel qui ma fait un speech charmant et très flatteur, puis jai été trouver lofficier payeur qui ma donné 650 frs.
Hier jai été à Nancy et jai là dépensé au moins 500 frs à macheter: cantine, uniforme, équipement, revolver, porte-cartes, souliers, trousse à toilette, gants, caoutchouc, papier à lettres, stylo, etc... etc... enfin je suis monté, chiquement et élégamment monté... Le reste de mon argent sera employé au Champagne quil est de bon ton doffrir quand on est promu, et à lachat dun uniforme extra-chic pour aller te voir en permission vers le mois de mars, car ma nomination mavance pour cela dau moins 3 mois! Hip, hip, hurrah!
Après le Lieutenant dOlce (23° Compagnie) (promotion Petibon) je suis le plus jeune officier de tout le régiment, mais il ny en a que 6 ou 7 à passer avant moi pour les permissions! Pour le caoutchouc, si on te lenvoie et sil est payé, envoie-le moi, jen ferai cadeau à mon ordonnance (épatant. Ancien domestique dans un château!!!). Les officiers lont même pris pour servir à table tellement il est correct!
Je nai pas vu de Lignerolles depuis mon retour de permission. Il a fait un stage à Essey-lès-Nancy et nétait pas au régiment.
24 janvier
Travaux dérangés 2 fois par le tir de la pièce de marine. Les Boches tirent sur Nancy doù bombardement intense des 2 cotés. Je perds 2 outils et me fais engueuler!!
25 janvier
Repos. Marsas est aux travaux.
Avant-hier, jai interrompu ma lettre pour le service, et depuis je nai pas eu une minute à moi. Je te demande pardon et je continue longuement aujourdhui.
Hier, jai commandé la Compagnie pour aller travailler à un ouvrage fermé qui se trouve à la lisière de la forêt de Champenoux, à coté dune pièce de gros calibre et surtout dans laxe de tir des pièces Boches qui tirent sur elle. Or hier matin, tu as dû le voir par les journaux, les Boches ont encore tiré sur Nancy. Cette grosse pièce a pour mission de contre-battre la pièce qui tire sur Nancy, de sorte que toute la journée, nous avons été sous les marmites et au milieu des détonations et de grondements continuels.
Pour comble de malheur, des avions boches sont également venus bombarder ce pauvre Nancy et y incendier un hôpital, de sorte que les canons ont fait une chasse terrible à ces avions. Bref, la journée dhier a été, pour mes débuts dofficier, très occupée et pendant un moment je me suis ennuyé ferme, les 150 et 210 tombant tout près de mes hommes très mal abrités dans ces embryons de tranchées et dabris!
Pas de mal, donc tout va bien. Aujourdhui, je suis de repos et tout est calme à la frontière. De Lignerolles est venu me voir et est resté à déjeuner avec nous. Je lui ai parlé de laccident de sa belle-soeur qui na pas été grand-chose, comme tu me le dis bien, heureusement.
Les officiers de la 21 et de la 22 mangeaient ensemble au début, puis ceux de la 23 ont remplacé ceux de la 21°, de sorte que depuis 2 jours, je suis à la table du Capitaine Martin, toujours le même brave homme, mais vieillissant de caractère, je trouve.
Reçu une carte de Jean Chagnaud de retour de permission sans trop de cafard lui non plus et Mad. a-t-elle supporté la séparation? Le post-scriptum de ta lettre ma bien fait rire au sujet des Grouillard. Oh oui, ils sont gourmands, mais bien gentils. Arrosez mes galons si cela peut vous faire plaisir, mais nous recommencerons quand jirai en permission, nest-ce pas?
Sur ce, chère Maman, je te quitte, car jai plusieurs lettres à faire. Tu mexcuseras de ce retard puisque, maintenant, tu sais la cause...................
26 janvier
Travaux. Cette fois-ci les Boches nous laissent travailler! Je reçois au chantier la visite du Général Prax qui trouve les travaux en bonne voie.
27 janvier
Repos. Jécris et je lis toute la journée. Nomination et arrivée de Moreau à la 23°!
En même temps que ta dernière lettre, jai reçu aussi la lettre si affectueuse de Mad. à laquelle je vais répondre tout à lheure. Daprès tes lettres, vous avez beau temps en ce moment. Nous, dans notre forêt, avons beau temps le jour, mais la nuit il pleut ou il brume, de sorte que le lendemain, il y a encore plus de boue que la veille, mais les journées sont agréables et pas froides du tout.
Tu me parles du Commandant de la Baume. Je crois que tu te trompes: il est parti du régiment avec, il me semble du moins, les galons de Lieutenant Colonel. Cest le Commandant Gaillard qui la remplacé dans le commandement du 5° Bataillon.
Merci de ladresse de Jean Triaud. Je lui ai écrit hier. Ma chère Maman, je suis bien content que tu sois heureuse de ma nomination, je my attendais dailleurs. Merci à toi de penser à moi plus quà lordinaire, le 1° février. Ce sera réciproque, sois en bien assurée. Quant au cadeau que tu veux me faire, je nai plus besoin de rien ayant touché une grosse somme qui ma permis de moffrir dabord le nécessaire, et même un peu de superflu. Ce nest donc plus à toi doffrir quelque chose, mais à moi, et sitôt que jaurai un peu davance, tu me permettras de tenvoyer un petit souvenir.
Je pense que je ne tai pas donné beaucoup de détails sur lendroit où je me trouvais. Prends donc la carte: tu trouves la partie de la forêt de Champenoux comprise entre la voie ferrée et la grande route nationale n°7, passant par Laneuvelotte, Champenoux, Mazerulles, etc..., etc... Dans cette partie de forêt, tu verras le « rond des Dames ». Cest là, où à quelques centaines de mètres, que se trouvent nos « guitounes ».
Je te quitte pour écrire à Mad. Demande-lui de te lire ma lettre car je vais lui mettre quelques détails sur ma nouvelle installation avec les Officiers. Remercie le Muguet de son petit mot en lembrassant très très affectueusement de ma part, je te prie.
P.S. Touché: 650 frs. Solde: 270 frs par mois + 2 frs par jour de frais de campagne. Au total près de 4.000 frs par an.
28 janvier
Repos. Ai mal de gorge et me fais remplacer aux travaux par ladjudant.
29 janvier
Travaux dont je prends la direction, Marsas partant en permission le soir. Sommes prévenus que nous devrons relever la 24° au Haricot le 31 dans la journée.
30 janvier
Assiste à la messe en plein bois. Vais avec le Lieutenant Laferrière reconnaître le Haricot. Je vois Fouché que je navais pas vu depuis longtemps. Le soir contre-ordre, nous allons au repos à Champenoux.
Merci davoir prévenu tous les parents. Ils ont tous été dailleurs très gentils car jai reçu des lettres de Mr Lebourg, tante Alice, Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone), tante Lilia et une carte de Mme Guillemin. Je mattends à en recevoir dautres: je te tiendrai au courant. Merci des colis, merci du caoutchouc qui fera plaisir à Berger, mon ordonnance, qui est de plus en plus une perfection.
A ce propos, je pense que je ne tai pas donné de détails sur mes achats et comme cela te fait plaisir, me dis-tu, je commence. Dabord une tenue très ordinaire (105 frs), une cantine très chic, une trousse à toilette, car je navais comme accessoires quun savon et une brosse à dent!, un équipement anglais, un revolver browning (réglementaire depuis la guerre), un superbe caoutchouc de 53 frs qui est dun chic extra, une paire de souliers, un porte-cartes, un stylo, papiers à lettres, linge (1 chemise, 1 flanelle et quelques serviettes), des gants.
Jai touché à la Compagnie une paire de jumelles à prismes dune valeur de 150 frs, épatantes! Tu vois que je suis monté pour le moment. Dans quelques semaines, je me ferai faire, sur mesure, une tenue chic comme celle de Jean, je machèterai des souliers et des guêtres jaunes pour aller en permission bien habillé. A partir de ma permission, je tenverrai de largent. Je ne pourrai guère le faire avant.
A propos du sabre que tu veux moffrir. Si ce nest pas indiscret, jaccepte, cependant je me demande comment tu me le feras parvenir. Prends-le assez grand, pas trop, le fourreau bronzé et avec une dragonne en cuir fauve. Cela me sera un bon souvenir de toi. Mais si tu éprouves une difficulté quelconque, ninsiste pas et je men procurerai un à Nancy. Je ne me lachèterai que lorsque jaurai ta réponse.
Japprends à linstant que nous sommes relevés le 1° février et que nous allons à Champenoux. Je te donnerai des détails plus tard. Pour le moment je ne sais que cela et même de bonne heure car je suis aujourdhui Commandant de Compagnie, ayant mon Capitaine à Lunéville (suivre un cours), le Lieutenant Marsas en permission et le Lieutenant Laferrière à Nancy!
Je me porte toujours à merveille et les petits bien-être que peut se procurer un officier, contribueront certainement à me maintenir dans cet état. N e tinquiète donc de moi que quand je te le dirai, et sois gaie et heureuse. Cest tout ce que je souhaite. Ladresse de T. Alice est bien: 50, rue de la Croix Blanche??...................
31 janvier
Le matin, travaux. Le soir, revue et préparation au départ. Le lieutenant Laferrière va reconnaître le cantonnement.
1 février
Le Lt Laferrière étant à Champenoux, je prends le commandement de la Compagnie pour déménager. Arrivée à Champenoux à 11 heures. Bien installé. Popote avec la 23°.
2 février
Champenoux. Je suis de grand jour, moccupe de la distribution et fais une ronde le soir. R.A.S.
Je reçois à linstant ta lettre n°9, et jy réponds installé dans ma confortable chambre dans le village de Champenoux. Décidément cest épatant. Pas besoin de chercher soi-même une chambre: Mon Fourrier est venu my accompagner et je nai eu quà my installer! Cest chez une vieille bonne femme, très propre et très complaisante. (elle vient de mapporter à linstant une brique pour me mettre sous les pieds)
Hier, comme je te lai dit, nous avons donc déménagé. Mr Laferrière avait été faire le cantonnement et jétais seul pour commander la Compagnie. Je men suis bien tiré et nous avons fait une chic entrée dans le village! Nous mangeons encore en popote avec le 23° c.a.d. avec le Capitaine Martin et le Lieutenant dOlce. Cest charmant, mais le Capitaine baisse énormément. Il est trop vieux pour faire la guerre comme Commandant de Compagnie.
Aujourdhui, repos. Je crois que nous commencerons à travailler demain. Je croyais pouvoir aller en permission au mois de Mars car le tour des officiers finira à ce moment là, mais je viens dapprendre quil faut 3 mois entre 2 permissions, donc je ne pourrai pas partir avant le 7 avril, mais enfin cela ne tardera pas, je le crois du moins.
Nous aussi, avons assez beau temps depuis quelques jours, mais tout le monde, en effet, dit que le temps de La Rochelle est charmant en ce moment. Tant mieux pour vous. Jai reçu une carte de Jean C. et une autre de loncle André. Rien de Bordeaux. Cest étonnant. Merci de tes lettres beaucoup plus longues quavant ma permission et pleines de détails qui mintéressent beaucoup. Je sais que ma nomination a paru sur les journaux. Un de mes hommes ma même donné le bout de papier ci-joint, extrait du courrier de La Rochelle.
Nouvelles militaires----------------------
M. Georges Triaud, sergent au 323°
de ligne, 21° compagnie, dont la fa-
mille habite rue Alcide - dOrbigny,
vient dêtre nommé sous-lieutenant au
même régiment, 22° compagnie.
Le nouveau promu, qui est au front
depuis le début de la guerre, est un
officier de mérite, très estimé de ses
hommes.
3 février
Travaux au bois de la Grande Goutte. Départ à 4 h 1/2 du matin, retour à 6 h 1/2 du soir! Belle journée, vue superbe de lobservatoire dartillerie. Pas dobus! Vu Lesueur, Maréchal des Logis de Cavalerie.
4 février
Repos. Jécris et je lis toute la journée. R.A.S.
5 février
Exercice de Compagnie près de La Bouzule. Le soir, signalisation. Présenté au Colonel de Montlebert!
6 février
Travaux au bois de la Grande Goutte. Beau temps, pas dobus. Par contre Champenoux est bombardé. Un 105 tombe à 4 mètres de ma fenêtre.
Pardon dêtre resté 4 jours sans te donner de mes nouvelles: celles-ci sont toujours très bonnes. Le courrier ma apporté aujourdhui 2 lettres de toi et une lettre de Madeleine suivie du paquet contenant un superbe étui à cigarettes qui ma fait grand plaisir, je tassure. Je reçois des lettres dun peu partout: Mimi, Simone, Jean T., Maurice T., mais rien de Roger T., rien de Ruelle, rien de Quinsac! Jai un travail fou pour répondre à toutes ces aimables personnes dautant plus que je suis seul lieutenant depuis 8 jours à la Compagnie et que je mappuie tout le service.
Aujourdhui encore, et Dieu merci, jai été aux travaux depuis 5 h du matin jusquà 6 h du soir. Je dis « Dieu merci » car les Boches se sont mis à bombarder Champenoux où je me trouve actuellement, ce qui ne leur était pas arrivé depuis longtemps et un obus est tombé à 4 mètres de ma fenêtre cassant les vitres!!! Bien entendu, avec ma veine habituelle, jétais au fond dune tranchée à 5 km de là!!!!!
Aujourdhui: rencontre bizarre: Un maréchal des logis du 10° hussard maborde au garde-à-vous et me dit: « Pardon, mon lieutenant, est-ce au Lieutenant Triaud que jai lhonneur de parler? » Sur ma réponse affirmative, il se présente: « Pierre Lesueur, fils dErnest, votre cousin ». Et comme cest un bavard qui na pas son pareil, nous voila partis dans une revue de détail de toute la famille et de toutes les connaissances communes!!!!! A part cela, charmant, mais bavard et excité. (31 ans) Donne-moi quelques tuyaux sur lui et sa famille, je te prie, car il ma promis de me revoir.
Demain, je vais à Nancy et je vais donc macheter un sabre et me commander une tenue extra-chic. Décidément, je ne fais déconomies jusquà présent.
Jai reçu ton colis n°1 contenant le pantalon, linge et biscuits. Merci de tout, le pantalon va épatement!
Pauvre Suire!.... Encore un copain de plus, ou de moins! Que cest triste!
Bonne Maman, tu veux me faire un cadeau, et bien je ne trouve pas de choses plus utiles que de bons ciseaux de toilette qui me manquent totalement. Je te vois rire dici. Cest pourtant bien un cadeau dune Maman à son fils. Tu achèteras cela bien mieux que moi. Quant au sabre, ne ten occupes pas et nen parlons plus. Ce petit cadeau me suffira complètement et je ten remercie davance.
Au revoir, chère Maman, je vais me coucher car je tombe de sommeil..................
7 février
Journée à Nancy. Jy vais en autobus. Retour en vélo. Je me commande une tenue satin et fais quelques emplettes. Déjeuner à La Lorraine. Retour à 5 h. Vu Basset.
8 février
Repos à Champenoux. Vaccination.
9 février
Repos. Les hommes sont tous très fatigués.
10 février
Repos. Nous allons être relevés par la 11° Division (20° corps). Le Lt Laferrière part en permission.
Quel silence! Jattendais déjà hier une lettre de toi, je nai rien eu, pas plus aujourdhui. Jespère que rien danormal ne sest passé chez toi et que vous vous portez toujours aussi bien toutes les trois. Je me suis fait photographier avant-hier par un homme de mon ancienne compagnie. Il vient de mapporter les épreuves que je tenvoie immédiatement. Je lui en commande une demi-douzaine de chacune et il me donnera les clichés ensuite, que je tenverrai dans quelques jours.
Comme je te lai déjà dit, jai été lautre jour à Nancy. Il pleuvait mais je me suis débrouillé à y aller en auto de sorte que je nai pas été mouillé. Je me suis commandé une tenue extra-chic, sur mesure cette fois, à la dernière mode et en tissus épatant, coût: 150 frs.
Rien de nouveau ici, si ce nest quil y a des bruits de relève. Il parait que toute la division va être relevée. Nous irions dans un camp dinstruction de là...... on ne sait. Quy a-t-il de vrai la dedans? Mystère, mais je crois que nous ne sommes pas à Champenoux pour longtemps.
Mon Capitaine est revenu de son cours, et le sous-lieutenant Marsas de permission. Par contre le lieutenant Laferrière est parti en permission. Néanmoins, nous sommes 3 officiers à la Compagnie maintenant, au lieu de 2. Mon tour avance de jour en jour et le milieu de mars nous verra réunis à La Rochelle, je crois, si rien ne change. Quelle avance!!
Jai reçu beaucoup de lettres:
Mme de Sairigné: répondu.
Loulou du Sault: une simple carte.
Fernand Grouillard: répondu.
Tante Ellen: répondu.
lOncle André: répondu.
Roger Triaud: répondu.
Madame Neveux.
Sa soeur de Clichy.
etc... etc... etc...
Ce matin, reçu une longue lettre de Mlle Wizerie, je vais répondre. Je joins également à cette lettre, lordre du régiment, maffectant à ma Compagnie. Je nen ai pas besoin, ayant sur moi la lettre de service de larmée, comme pièce didentité. Mets ce papier dans tes affaires avec mon diplôme de Bachelier, par exemple.
Sur ce, je te quitte, chère Maman, car jai plusieurs lettres à faire encore. Je compte sur une lettre de toi, sans faute demain..................
11 février
Repos. Préparation à la relève.
12 février
Relève. Départ à 1 h de laprès-midi. Nous pataugeons. Arrivés à Leyr à 6 h. A 9 h alerte. Nous passons une mauvaise nuit, ne sachant ce quil y a. Les environs sont calmes.
13 février
Mauvaise nuit. Toute la journée, alerte. Nous ne savons pas encore pourquoi.
Comme je te lai dit, la division entière vient dêtre relevée. Où ma division est-elle, Je nen sais rien. Quant au régiment, il a appuyé tout à fait à gauche de notre ancien secteur de division. Nous sommes dans le S.P. 212 pour combien de temps, je nen sais rien.
Nous sommes dans un grand village, ni aux avant-postes, ni au repos. Nous devrions y venir pour travailler. Mais voici ce qui vient de nous arriver: (surtout ne teffraie pas, et ne répand pas de bruits effrayants dans la calme ville de La Rochelle.) Hors donc, nous sommes partis de Champenoux à 13 h. hier et arrivés ici à 7 h. du soir. Nous dînons et allions nous coucher quand on nous téléphone: Alerte! Prêts à partir immédiatement! Au lieu de coucher dans mon bon lit tout blanc qui mattendait, jai dû coucher avec les hommes tout équipé.
Aujourdhui, ou plutôt ce matin, rien de nouveau, nous devons nous tenir prêts. Mais nous ne savons pas ce quil se passe (tout est calme aux environs), ni où nous irons si nous partons, ni comment nous partirons! Mystère. Mystère. Cest ennuyeux, car nos cantines sont dans les voitures. Tout est bouclé. A part cela, tout va bien. Je te donnerai des détails plus tard quand jen aurai moi-même. Nous sommes tout de même fatigués, nous avons mal dormi. Mais, cest la guerre!!
Jai bien reçu ta lettre n°12 contenant le journal de Festy. Je te remercie de me lavoir communiqué et je te le renvoie immédiatement. Reçu également une carte dAnne Bernard et une autre de René Gaillot (quelle amabilité!). Pendant que jy pense, je nai pas encore reçu le 2° colis contenant mon rasoir, mais je lattends dun jour à lautre. Je nai presque plus de chaussettes. Pourrais-tu men envoyer quelques paires. Pas besoin quelles soient faites en grosse laine. Tu me parles, dans ta lettre, de Paul Bouyé qui est en permission. Est-il passé officier? Il parait que, jusquà présent, ils ne sont pas mal à leur nouveau régiment.
En labsence de Mr Laferrière, je suis chef de Popote et jai bien peur de la conserver par la suite. Ce nest pas une petite affaire. Nous mangeons en ce moment avec les officiers de la 21, car la 23 nest plus dans le même village.
Au revoir, chère Maman, ne tinquiètes donc pas, tout va bien jusquà présent. Ecris au nouveau secteur jusquà nouvel ordre.....................
Promotions-------------
Monsieur Georges Triaud, ancien
élève du Lycée de La Rochelle,
sous-officier au 323° de ligne, est
promus sous - lieutenant. Ce jeune
homme, dont la famille habite rue
Alcide dOrbigny, est le petit-fils du
général Moreau, que tous les Ro-
chelais ont bien connu. Il est aussi
le neveu du capitaine Moreau, tué à
lennemi.
Toutes nos félicitations au nouvel
officier ainsi quà sa famille.
14 février
Le matin, lalerte est levée. On craignait une attaque (bombardement de Nomeny (?)). Je retouche mes bagages!
Deux mots seulement pour te rassurer: nous ne sommes plus alertés. On craignait, parait-il, une attaque dans les environs. Tout va donc pour le mieux et lon va continuer nos vaccinations.
Jai reçu, hier, ta bonne longue lettre n°13 qui ma fait bien plaisir et à laquelle je répondrai demain ou après-demain. Reçu aussi le 2° colis intact. Tout y était et en bon état. Berger est content comme un roi du caoutchouc qui lui sert en ce moment car nous avons beaucoup deau..................
15 février
Seconde vaccination. Les hommes rouspètent et je les comprends.
Hier soir, également, jai reçu les ciseaux de chez Paillé. Ils sont épatants, très bons, et tout à fait comme je les désirais. Je ten remercie beaucoup. Cest un cadeau qui me sera bien utile.
Nous sommes toujours au même endroit, dans le même village et nous ne commençons pas encore nos travaux car on vient de nous faire, ce matin, la seconde piqûre anti-para-typhique. Lalerte a été levée hier, de sorte que nous avons maintenant toutes nos aises. Dans ce grand village, jai une très belle chambre dans une jolie maison, chez des gens aimables. Cest naturellement de là, à coté du feu que mon fidèle Berger entretient avec un soin jaloux, que je técris.
Tu as dû recevoir mes photos dans une de mes dernières lettres, je vais t envoyer prochainement les pellicules. Je suis content que tu aies vu Magord, cétait un des meilleurs soldats de mon ancienne section. Javais été voir son frère, quand jétais en permission, et, comme un sot, jai oublié de te prévenir quil viendrait te voir.
En effet, les habitants de Penne doivent être très émus de voir partir Pierre. Pourtant, dans les automobiles, il y a moins de dangers que partout ailleurs. Merci des renseignements que tu me donnes sur les Lesueur. Je lai revu lautre jour et un de ses copains nous a pris en photo. Il doit men envoyer. Si cest bon, je te les enverrai. Cest un bon garçon mais qui est très bavard et qui ne ma pas lair très très intelligent.
Je ne sais pas si je tai dit quà ma nouvelle compagnie, jai comme caporal: Philippe Tourmeret, mon ancien camarade de Lycée et de jeux au Casino. Nous sommes très bien ensemble car il na plus cet air hautain et dédaigneux quil avait autrefois avec moi parce que plus âgé que moi de 2 ans. Il ma donné des nouvelles de Le Garrec avec lequel il est très lié. Ce dernier nest plus cuirassier! Il est sergent mitrailleur dans un régiment dInfanterie!
Grandeur et Décadence!
Au revoir, chère Maman, continue, je te prie, à me donner les nouvelles Rochelaises. Embrasse tout le monde autour de toi (pas la bonne!)..............
16 février
Repos. Les hommes souffrent un peu moins que la 1° fois. Je vais à Villers-les-Moivrons avec Brochard. Temps épouvantable.
17 février
Repos. Signalisation. Temps clair. Vue superbe du plateau de La Rochette.
18 février
Repos complet. Je suis à la recherche dun véhicule pour aller chercher Mr Laferrière à Nancy demain.
Je ne comprends pas ce que veut dire ta dernière lettre dans laquelle tu me mets:
« Jai été débordée par les soucis matériels et les occupations qui en découlent. »
« Je pense que mes ennuis vont se calmer et que ma déveine va prendre fin. »
« Je commençais à être vraiment fatiguée »
« Mad., indispensable à son hôpital, ne pouvait me venir en aide dans mes malheurs »
Je ne suis au courant de rien et ne sais vraiment pas ce qui test arrivé, car je viens de lire attentivement tes lettres précédentes qui sont très calmes et ne me parlent de ces soucis. Renseigne-moi vite, je te prie. Jespère bien que ce nest rien de grave et, quen tout cas, tout est dans lordre à lheure actuelle.
Tu es au courant, je vois, de mes moindres faits et gestes par des sources différentes et inattendues. Garde à moi!!! Oui Mr Laferrière a reçu de La Rochelle dexcellents « Sigurds » de chez Otten et nous nous en sommes régalés au dessert dun délicieux repas que ces messieurs ont, il est vrai, amélioré à mon intention. Je ne savais pas que de tels détails te parviendraient. Ton agence dinformation est décidément parfaite. Je vais justement à Nancy demain, dabord pour essayer mon costume, ensuite pour que Mr Laferrière qui revient de permission, profite pour rentrer, de la voiture qui maccompagne à Nancy. (Vois dici la différence de la vie dofficier et celle de sous-officier!!!!)
Anne ma parlé de ce petit protégé artilleur, mais cest la première fois que tu me parles de ce Mr Sorles, lami de Roger. Avec qui va-t-il se marier? Tu me parles, dans ta seconde lettre, de ma photographie reçue dans la lettre n°13. Mais il doit y en avoir 2, ne les aurais-tu pas reçues toutes les 2? Tu ne men parles quau singulier. Dis-moi sil ny en a quune et laquelle cest (tenue de campagne ou tenue de ville). Dailleurs je vais tenvoyer, un de ces jours, les 2 pellicules de sorte que tu en feras tirer si tu veux.
Je ten envoie, ci-joint, 3 autres qui sont moins bonnes. Elles sont prises le jour où jai fait la connaissance de Lesueur. Je lai marquée dune croix. Elles ont été prises par un richissime châtelain de la Touraine: le Maréchal des Logis de Lichy (vicomte) qui nest pas un photographe merveilleux nest-ce pas?
Jespère toujours ma permission pour fin mars. Il ny a plus que 4 officiers à passer avant moi, mais ceci en comptant que tout ira bien et quil ny aura pas dinterruption. Mme Delon avait raison et son mari lui avait donné, à lavance, notre nouveau secteur. Jespère que Mad. a de belles relations. Tous mes compliments.
Il parait?? que nous ne sommes là que jusquà la fin du mois. Nous irons ensuite pour x temps (3 semaines probablement) dans un camp dinstruction très en arrière de Lunéville. Puis?! Mystère!
Je te quitte, chère Maman, car il faut que jaille me coucher........................
19 février
Voyage à Nancy par Montenoy, Faulx, Malleloy, Custines, Bouxières-aux-Dames où je marrête pour déjeuner. Après-midi à Nancy, dîner à la Viennoise avec Mr Laferrière et retour par Argincourt à minuit. A larrière, Berger mannonce que je vais partir en permission!!
20 février
En effet, je signe ma demande de permission, je vais partir demain. En attendant la Compagnie travaille sur le plateau de La Rochette à des abris de mitrailleuses.
21 février
Patatras! Dupeux est parti à ma place et je suis retardé de 3 ou 4 jours. Philosophiquement, je vais aux travaux. Arrivée de Mr Strohl.
A mon retour de Nancy, japprends que je vais partir le lendemain c.a.d. hier en permission. Je navais pas le temps de te prévenir. Au moment de partir - retard - de 3 ou 4 jours - ou plus. En tout cas, je crois que cela ne va pas être long. Je tenverrai une dépêche de Paris.
Reçu tes lettres et le colis de chaussettes. Merci beaucoup. vais toujours bien.................
22 février
Travaux sur le plateau de La Rochette. Neige.
23 février
Le rapport mannonce que je passe à la 24° Compagnie en remplacement de Maillet allant aux mitrailleuses. Cest ennuyeux, je nentends plus parler de ma permission! Je me transporte à Villers-les-Moivrons où se trouve la 24°.
24 février
Le Comandant mannonce que je peux partir en perm. Hip. hip. hurrah! Départ à 2 heures en voiture. Je vais à Nancy chercher ma tenue et jy couche.
25 février
En allant prendre le train à Champigneulles, je rencontre Moreau qui vient de Saulxures. Le régiment est, parait-il alerté pour aller du coté de Vaux où cela chauffe. Je nai reçu aucun ordre et je pars!
26 février
Arrivée à Paris à 10 h.1/2 avec 22 heures de retard (encombrement près de Châlons et de Bar-le-Duc). Vu Mimi, Louis Leconte. Je pars à 9 h. pour La Rochelle.
27 février
Arrivée à La Rochelle avec 2 heures de retard. Délices! Je reçois une dépêche mappelant immédiatement à mon régiment par Bar-le-Duc! Ca y est, nous allons à Verdun! Triste journée, je pars à 9 h du soir!
28 février
Passage de quelques heures à Paris et départ à midi. Tous les officiers de la 68° division sont rappelés. Arrivée à Bar-le-Duc à minuit. Voyage en auto avec le Capitaine Lacôme du 234°.
29 février
Voyage en auto. Decauville (Houdainville?) et à pied pour rejoindre mon régiment. Je suis absolument éreinté et je couche à la Division, dans la forêt près du fort du Rozellier. Bruits dattaque pour la Division!! De Bar-le-Duc au régiment, véritable odyssée!
1 mars
Je rejoins enfin mon régiment qui na pas attaqué mais qui occupe une sale situation sans tranchées ni abris dans un endroit où nous avons reculé sans combat de 8 à 10 km! Nous nous tenons derrière le talus dune route et dune voie ferrée. Nous sommes au pied des Hauts-de-Meuse entre Verdun et les Eparges. Cela canonne très dur partout.
Me voici depuis quelques heures à ma compagnie (24°) après mille peines, mille soucis et aventures quil serait trop long de te raconter en détail. Je ne peux te dire où je suis exactement, mais cest, comme nous le supposions, à 6 km de lendroit où Grand-Père était Commandant (Verdun). Nous sommes dans un endroit où malheureusement nos lignes ont été reculées, de sorte que nous sommes sans tranchées, ni abris, mais en plein air sous le bombardement continuel.
On mavait raconté que le régiment avait attaqué hier, ce nest pas vrai, néanmoins nous avons eu déjà une douzaine de blessés dont le Capitaine Dutilh (22°). Ne teffraies pas outre mesure. Je suis cette fois à la vraie guerre mais je suis a peu près sûr que ma permission ne comptera pas et que je te reviendrai dès leur rétablissement.
Je técris en plein air = excuse donc mon écriture. Pardon pour mon moment de faiblesse à La Rochelle. Il ma échappé malgré moi, et maintenant que je suis avec mes camarades, je suis gai comme un pinson.
Embrasse bien affectueusement Mad. et Muguet de ma part. Je técrirai tous les jours si je peux...............
2 mars
Le Capitaine Dutilh est blessé ainsi quune dizaine dhommes au régiment. A la Compagnie, un homme se blesse accidentellement au pied. Le soir, je vais occuper un poste avancé à la lisière du bois Cherm. Relève mouvementée (fusées). La 23 perd plusieurs hommes (Cubard).
Toujours même situation. Vais très bien...............
3 mars
Nuit calme pour nous mais sous la pluie et le canon tonne partout. Aucun abri ni pour la pluie, ni pour le canon, si nous sommes repérés, nous sommes foutus. Sale position. Journée sans incident, mais notre immobilité dans leau nous a gelés. Mon nouvel ordonnance se nomme Greffard.
Toujours même situation pas bien brillante. Je ne peux te donner dautres détails. Je vais bien quoique nayant pas dormi depuis le 25 février.
Donne-moi des nouvelles de Jean C.. Je ne suis pas tout à fait de son coté (plus à droite).
Reçu une longue et aimable lettre de Mme de Cayla..............
4 mars
Deuxième ligne - pluie, froid, canon, etc... Nous dormons tant bien que mal dans labri. Japprends que le sergent Saulard est tué! Le lieutenant Léris, du génie est tué à Moulainville.
Rien de changé encore dans notre situation. Nous commençons tous à être fatigués par le manque de sommeil et par linconfort complet dans lequel nous vivons. Je te détaillerai cela plus tard, cela en vaudra la peine. Pas de nouvelles ni de journaux, ni par lettres depuis que nous sommes ici. Que se passe-t-il et comment vont les affaires? Mystère. Nous sommes isolé de tout, tout, tout. Reçois-tu seulement mes cartes? Accuse men réception..............
5 mars
Deuxième ligne. Nous ne devons faire les relèves que tous les 3 jours. Le soir: ordre de relève. Le Régiment se forme en profondeur. Nous passons derrière le 5° Bataillon dans des tranchées aux environs du fort de Moulainville. Tir de barrage à la relève. Pas de mal, par miracle.
Nous sommes toujours au même endroit et commençons à nous habituer à notre misère. Les pertes sont en moyennes de 6 à 7 hommes par jour au Régiment. Tu vois quil ne faut pas sexagérer le danger. Dès que je le pourrai, je técrirai un peu plus longuement. Je vais toujours très bien et le moral est excellent................
6 mars
Ma section est en réserve à la batterie dEix. Je passe la journée dans une casemate avec le Lieutenant Chatelain. Neige. Les hommes sont très mal dans un abris très étroit.
Puisque la situation continue sans aucun changement, je vais prendre un moment pour venir causer avec toi et texpliquer notre position autant que cela mest possible. Je vais même tenvoyer une carte de la région, trouvée sur un bulletin des armées, quitte à ma faire casser si ma lettre est ouverte.
Le village souligné est le plus près de lendroit où je me trouve depuis 8 jours qui est exactement le talus de la voie ferrée. Tu vois maintenant que nous sommes à lest de V. (Verdun) et tu as pu voir par les communiqués quil y a eu ici un repli de 8 à 10 km de notre part et sans combat provenant de la prise de Douaumont au Nord et de Manheulles au sud. Cest ce qui fait que nous navons ni abris, ni même de tranchées, et que nous sommes à la merci des bombardements.
Les munitions ne sont ici économisées ni dun coté ni de lautre, et jamais de ma vie, je navais entendu pareil bombardement - même du 380 et du 420 sur les forts tout près de nous. Ne tinquiètes pas: tu vois que cest un rôle défensif que nous jouons encore et je crois bien que si lon attaque, nous ne serons pas des troupes dassaut.
Comme pertes, le régiment a la proportion que je tai donnée lautre jour: 6 à 7 par jour. Cest de la veine, car nous pourrions avoir beaucoup plus. Hier, un de mes camarades dactive a reçu un éclat dobus dans la poitrine qui la tué net, pauvre type! Nous jouions souvent au billard ensemble à La Rochelle.
La Compagnie a de la chance et na pas eu de morts (5 ou 6 blessés en tout). Tu me diras bien vite si cette lettre test bien arrivée, si elle na été décachetée, et si tu comprends bien ce que je fais. Vos lettres commencent à arriver. Jai reçu de toi depuis mon retour: les n° 18, 19 et 20 et celle du 28, n° 21 en même temps que celle de Mad. du 1° mars. Dis, je te prie à cette dernière, que je lui répondrai très prochainement, et quelle remercie beaucoup Mlle Genet de son petit souvenir.
Jai eu hier des nouvelles de mon ancien Capitaine Dutilh qui va aussi bien que possible. Il a eu un éclat dobus dans la figure, mais ce nest pas grave. Cest le seul officier touché jusquici.
Je ne te cache pas que nous sommes très fatigués car depuis le 28 au soir - moi le 1° au matin - nous sommes aux avant-postes dangereux, sans pouvoir dormir, à la belle étoile tout le temps, tantôt sous la pluie, tantôt, comme aujourdhui, sous la neige et le froid; et lautre nuit avec un vent violent. Ce nest pas gai mais le moral est bon. Je suis fier de défendre cette ville que tu connais et dont tu as de bons souvenirs.
Vive la France.
7 mars
Batterie dEix. Froid. Installation du secteur de la Compagnie qui est très large et pas organisée.
8 mars
Batterie dEix. Visite du Général Prax qui approuve les travaux projetés. Canonnade sur Vaux et attaque. Le Colonel du 206 est tué à Moulainville et un Commandant blessé.
Rien de changé depuis la lettre de Mad. Toujours au même endroit, toujours même situation. Je vais toujours bien. Le temps sest mis au beau mais est très froid.
Le bombardement sest ralenti sur nous depuis hier mais est devenu terrible sur notre gauche, vers le fort de D. (Douaumont) dont on parlait quand jétais avec toi et dont je suis assez rapproché.
Bons baisers à toutes les 3. Accuse-moi bien réception de mes cartes car il paraît que vous ne recevez pas tout. Depuis le premier mars, jai écrit tous les jours...................
9 mars
Batterie dEix. Attaque sur Vaux et à lest dEix violemment bombardé. Le fort de Moulainville reçoit des 380 et des 420 dont les éclats viennent jusquà nous.
Rien de changé dans notre situation. Jai reçu hier ta bonne lettre n°22 qui ma fait le plus grand plaisir. Par contre, je suis désolé que vous ne receviez pas les nôtres. Comme tu le dis: Patience. Reçu également une carte de Jean C. mais du 25-2. Il rejoignait son régiment...................
10 mars
Batterie dEix. Nous nous installons le mieux que nous pouvons dans notre casemate mais nous nous enfumons terriblement. Bombardement à droite et à gauche.
Toujours la même chose. Aujourdhui le bombardement a été encore plus nourri des 2 cotés et un peu partout. Je me demande comment on peut faire assez de munitions. Cest inouï.
Vais toujours bien quoique mal à la gorge, nez coulant, pieds froids, etc... etc... petits détails............
11 mars
Batterie dEix. Le fort de Moulainville est toujours marmité. Sale temps. Le fourrier Roumes est évacué pour pieds gelés ainsi que plusieurs hommes. Le sous-lieutenant Caratch est évacué pour pieds gelés.
12 mars
Batterie dEix. Toujours des attaques sur Vaux. Nous navons aucuns renseignements. Plus de tabac, plus de bougies, plus dallumettes. Pas de cafard!!!
Je ne tai pas écrit hier, aussi, aujourdhui, je viens causer plus longuement avec toi. Jai reçu hier soir ta lettre n°23 du 6 mars et je suis bien ennuyé que vous ne receviez rien. Enfin, il faut se consoler car cest général. Tous les Rochelais de la Compagnie sen plaignent et cest la même chose dans les autres régions.
Nous sommes toujours au pied du fort dont je tai parlé, dans les mêmes tranchées. Cela fait le 13° jour et les hommes commencent à être fatigués sérieusement. Avec ces froids, nous avons eu dailleurs beaucoup de pieds gelés. Si tu voyais comme nous sommes sales. Je ne me suis ni lavé, ni rasé depuis que je tai vu, mais depuis quelques jours je me suis arrangé pour dormir un peu. Comme santé, cela va très bien, ne tinquiètes pas à ce sujet.
Les ravitaillements arrivent à peu près mais depuis que je suis arrivé, les officiers mangent avec les hommes, cest te dire si je fais des économies en ce moment. Nous navons plus de tabac, plus dallumettes, aucun confort, plus de bougies, tant il y a de troupes qui sapprovisionnent aux environs de Verdun.
Comme bombardement, cela sest très calmé sur notre secteur propre, mais au nord, quest-ce quils prennent les copains!!! Les coups de canons sont si nombreux quon croit à une fusillade de gros modèle. Comme pertes, cela sest ralenti du fait dun bombardement moins important, cependant le Colonel et un Commandant du 206 (à coté de nous) ont été blessé.
Je prends ta lettre pour y répondre, mais quand recevras-tu cette réponse? Les Guillemin se sont trompés, le 323 nest pas en réserve, mais enfin il na pas donné. Merci des nouvelles de Maurice. Jespère comme toi, que sa bronchite ne sera pas grave. Je compte sur toi pour me donner des nouvelles.
Quest-ce qui se passe pour tes bonnes? La maison est donc repérée? Tachez den trouver une rapidement, car je ne voudrais pas que tu te fatigues à faire toi-même ton ménage. Décidément Jean du S. et Daniel (?) sont des types chics au point de vue Patrie, car ils ont lardeur et veulent à tout prix aller )au feu. Cest très bien et ce serait une bonne leçon à donner à P. M. (Pierre Martin?) et Cie...............
Une tape amicale à Cadi..............
P.S. Amitiés aux blessés de Madeleine, S.V.P.
13 mars
Batterie dEix. Conversations avec le Capitaine de Lumeau et le Lieutenant Chatelain. Bombardements. Promenades et visites aux sections tous les soirs pour surveiller les travaux. Jai bien mal aux pieds?
14 mars
Batterie dEix. Pas de bruits de relève. Maman ne reçoit pas mes lettres. Jai peur davoir les pieds gelés. Deux blessés légèrement à ma section.
Jai reçu hier ta lettre n°24 du 9 mars. Je suis bien content que tu aies enfin de mes nouvelles. Jespère que maintenant tu as reçu mes autres lettres et que tu sais à peu près où je suis. La journée daujourdhui nous retrouve toujours au même endroit entre le fort de M. (Moulainville) et E. (Eix) fidèles au poste. Je viens de lire les journaux du 12! qui relatent lintensité du bombardement que nous avons subi. Tu las peut-être vu toi-même. Ils peuvent le faire, car, nom dun pétard, quel chambard autour de nous!
Le 323 doit être protégé par des Forces Supérieures car il ny a que peu de pertes, je tassure. Comme Officier, il ny a que le Capitaine Dutilh et un sous-lieutenant de lautre bataillon qui soient blessés. La veille du jour où le 323 a pris le secteur, il y a eu attaque de la part des boches sur E. (Eix) Depuis que nous y sommes, rien que des bombardements, pas daction dinfanterie. Cest de la veine!!
Je suis un peu plus propre, jai réussi à trouver quelques gouttes deau avec lesquelles je me suis enlevé le plus gros de ma crasse, mais ce nest pas encore très brillant. Néanmoins je vais très bien à tous les points de vue. Aujourdhui il fait un véritable temps de printemps. Cela nous change de notre neige.
Aussi les avions ne font-ils que se battre au-dessus de nous. Nous suivons leurs évolutions à la jumelle. Cest une distraction et Dieu sait si elles sont rares en ce moment! Enfin Mr Chatelain (mon Commandant de Compagnie) et moi devisons ensemble le plus gaiement possible et avons mangé avec délice des gâteaux à lui expédiés par Mme Blanc (Il y a 15 jours que nous navions mangé que du boeuf et des pommes de terre). Si tu la vois, tu pourras la remercier de ma part!
Jespère que ta grippe va bien mieux maintenant et que tu as trouvé une bonne. Tiens-moi au courant, je te prie.......
P.S. Je técris au crayon car mon stylo est presque vide.
Nous sommes tout de même mieux quau début sur notre voie ferrée, car nous avons un peu arrangé nos tranchées; nous pouvons un peu dormir maintenant.
Et Jean C.. Avez-vous des nouvelles plus récentes que le 29-2?
Bonjour aux blessés de Mad. si celle-ci y retourne.
15 mars
Batterie dEix. Nous allons être relevés demain, parait-il, mais pour être encore plus mal et aller aux travaux en première ligne. Visite des officiers du 234 qui viennent nous relever. Vergne évacué pour pieds gelés et moi, ça ne va pas fort.
Rien de nouveau depuis hier, si ce nest un peu plus dobus, mais sans aucun dommage à la Compagnie du moins. Temps superbe.
Nous nous sommes un peu réapprovisionnés en tabac et avons même un pot de confiture. Grand festin à faire ce soir. Bonne santé toujours.................
16 mars
Batterie dEix. Mes pieds vont mieux. Nous serons relevés entre 17 h. et 19 h. Je reste encore à la batterie pour passer les consignes aux nouveaux arrivants. Nuit de bombardement continue.
Ne tesclaffes pas sur ce papier à lettres, cest celui de mon Commandant de Compagnie!
Jai reçu ta lettre n°25 qui me dit que tu nas rien reçu de moi depuis le 2. Cela commence à devenir dégoûtant, car je viens de compter: cela fait la douzième lettre que jécris depuis le 2 mars. Tu devrais pourtant bien en recevoir quelques-unes.
Enfin - ce soir nous sommes relevés, mais pour aller à 2 km en arrière seulement, dans un bois, sans aucun abri ni même gourbi de préparé. Il faut se servir des torches de toiles de tentes et coucher dessous, car on va aux travaux nuit et jour et lon na pas le temps de rien construire par nous-mêmes. Les officiers ne touchent pas leur cantine et nous sommes en alerte continuelle. Voila le « repos » qui nous attend. Pour combien de temps? Personne ne sait rien.
Jai un petit ennui: jai un commencement de pieds gelés. Je ne peux marcher quavec ma canne et beaucoup de difficulté. Ce sont les bouts de doigts de pied qui sont douloureux. Vergne, le pâtissier de la Grosse-Horloge a la même chose et vient dêtre évacué hier. Il était à ma Compagnie et tu peux rassurer sa famille. Ce nest rien, je pense. Si je ne vais pas plus mal demain, je ne veux pas me faire évacuer, mais dans le cas où je souffrirai un peu plus, je te promets que je nhésiterai pas. Ne tinquiètes donc pas.
Cest ce séjour de 17 jours sans se déchausser et avec le froid au pied presque continuellement qui en est la cause. Il est très probable que lorsque tu recevras cette lettre, ce sera complètement terminé, par conséquent il est inutile de te peiner. Si cest quelque chose, tu auras reçu une dépêche avant cette lettre!
Comme bombardement, après avoir redoublé dactivité hier, les Boches se sont complètement arrêtés ou presque dans notre région aujourdhui. Leur insistance générale à lair moindre dailleurs autour de Verdun depuis 3 ou 4 jours. Cela va peut-être finir bientôt (laffaire de Verdun) quoique les journaux ont lair de ne pas le dire et de ne pas le croire.
Au revoir, chère Maman, je técrirai demain je pense et je te donnerai des détails sur notre luxueuse installation..............
17 mars
Nous sommes dans les bois sur les Hauts-de-Meuse au carrefour de la Madeleine. Installation de troglodytes: les hommes par groupe de trois dans une niche creusée dans les pentes dun ravin. Temps superbe. Nous nous fabriquons une petite guitoune.
18 mars
Carrefour de la Madeleine. Temps superbe. Pendant leur tir contre nos batteries, 2 coups tombent dans le bivouac et font 2 blessés. Le soir, travaux près du fort de Moulainville. Le bombardement continue en première ligne.
Comme je te lai déjà dit, nous ne sommes plus aux avant-postes, mais tout près derrière dans un bois. Je nai pas encore le temps aujourdhui de te raconter notre installation ultra-rudimentaire mais qui, par ce beau temps, serait assez amusant sans les marmites vraiment trop nombreuses.
Je vais très bien car mes pieds se sont dégelés en partie et que je peux marcher sans trop souffrir...........
19 mars
Bivouac de la Madeleine. Nous continuons à aménager nos habitations. Le soir, travaux sans encombres.
Jai reçu hier ta bonne lettre du 13 n°26 qui ma fait grand plaisir car elle mannonçait que tu avais enfin des nouvelles de moi, pas bien fraîches, mais enfin très bonnes et rassurantes.
Aujourdhui, notre installation commence à être à peu près confortable, et jen profite pour venir causer quelques instants avec toi. Figure-toi une forêt, dans cette forêt un ravin dont les pentes sont très abruptes. Dans ces pentes des trous creusés comme des petites niches pour statues. Une toile de tente comme porte et voila une maison pour trois hommes. La nôtre est un peu plus spacieuse, mieux close et le sol rembourré dun peu plus de paille, mais est analogue aux autres.
Nous sommes bien car le temps depuis 3 jours est splendide (on sent le printemps arriver), mais sil pleuvait, le bivouac serait bien pénible. Jaurais voulu tenvoyer des photos, mais Jean C. a du vous le dire aussi, quune circulaire du général en chef venait de paraître, interdisant le port des appareils photographiques à tout militaire, et lenvoi de photos représentant des défenses, des installations de troupes, des effets de destruction par projectiles, etc... etc... serait puni par le conseil de guerre. Si donc jai des photos intéressantes, je les garderai dans ma cantine et te les ferai parvenir par des permissionnaires ou par un moyen quelconque.
Bref, notre bivouac dont laspect est original et pittoresque, serait à peu près potable sans ces trouble-fête détestés que lon appelle « Boches » et qui trouvent très intéressant de nous envoyer des marmites de temps en temps. Comme nous navons, tu le vois, que peu ou pas dabris, ça fait du mal là où ça tombe. Hier, nous avons eu ainsi quelques blessés.
La nuit, nous allons travailler aux premières lignes, et jusquà présent, il ny a pas eu de grabuge comme au régiment précédent (toujours lincroyable veine du 323). A part cela, je vais toujours très bien, mon pied est tout à fait guéri maintenant grâce à ce beau temps, mais si le froid avait continué, je ny coupais pas, car je ne sentais pas une piqûre dépingle au bout de mes orteils (le soir du jour où je tai écrit cette lettre que je regrette car je tai inquiété bien inutilement)
Je tenvoie 2 ou 3 petites fleurs cueillies dans ces bois sur les Hauts-de-Meuse doù lon a une vue superbe et qui doit être un bien beau pays quand les villages ne flambent pas et que lon nentend pas un bombardement aussi formidable et dune façon aussi continu. Il me semble que quand nous serons au repos, tout me semblera silencieux.
Jattends les photos du Muguet avec grande impatience et vous remercie bien de penser à moi. Jespère comme toi, que la pleurésie de Maurice sera vite guérie. Ils nont pas de veine dans cette famille. A ce propos, jai reçu, hier, une carte collective venant de Penne et signée de Jeanne Malbec, Maurice (Triaud), Martin, Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone), Ninette , M. Malbec?, Madeleine Malbec?, Roger Triaud, André Malbec?, Tante M.L. Triaud et une signature illisible. Ils sont gentils de penser à moi mais peux-tu me donner quelques tuyaux dabord sur ce déménagement de Ruelle à Penne et sur les charmantes personnes que je ne connais pas?
Sur ce, je te quitte car je nai plus de place sur mon papier, et que celui-ci même se fait rare chez nous. Il est temps à tous les points de vue que nous prenions du repos. Les hommes commencent à être fatigués, mais sont très courageux tout de même. Le moral est bon et comme tu dis: Ils nauront pas V. (Vaux) et nous les aurons!
Bons baisers à toutes les trois de la part de votre poilu qui est bien sale, je tassure.
20 mars
Bivouac de la Madeleine. Aménagement des « guitounes ». Promenade à Belrupt. Cest mon tour de repos pour les travaux. Jen profite pour changer de linge!!
21 mars
Bivouac de la Madeleine. Travaux le soir.
La correspondance commence à aller mieux maintenant. Ce nest pas trop tôt et jen suis content pour vous. Les lettres de Jean vous viennent-elles comme les miennes?
Nous sommes au même endroit, toujours dans nos mêmes trous à lapin. Tous les soirs nous allons aux travaux en 1° ligne. Jusquà présent, malgré le bombardement, il ny a pas de mal au bataillon. Il nen est pas de même à la 5° qui a eu, hier encore, huit morts et blessés dun seul obus tombé dans un trou.
Le temps se maintient au beau, heureusement pour nous. Dans notre demi-repos, nous avons envoyé un ordonnance à lendroit où nous avons nos cantines, de sorte quil a pu nous apporter du linge et quelques bricoles.
Je suis rassuré, maintenant que vous avez reçu la lettre qui vous disait lendroit où je me trouvais. Nous sommes toujours au même endroit ou dans les environs. Les hommes sont fatigués quoique pleins de bonne volonté, mais nous avons beaucoup dévacués pour pieds gelés et fatigue générale. Cela se comprend depuis 23 jours de premières lignes.
Tu me dis que Muguette a moins peur du canon que son chien. Est-ce que par hasard, le canon tonnerait à La Rochelle, cette paisible citée?
Le cycliste sen va et je le retarde un peu pour quil prenne ma lettre......................
22 mars
Bivouac de la Madeleine. Le soir: travaux. Quelques obus viennent nous trouver. Le 5° bataillon écope plus que nous.
Rien de nouveau à te dire depuis hier. Comme dit le communiqué « situation inchangée ». Reçu ta lettre n°29, hier, qui ma fait grand plaisir.
Le courrier part et je vous embrasse.............
23 mars
Bivouac de la Madeleine. Même situation. Le temps se met à la pluie doù boue épouvantable dans les chemins.
24 mars
Bivouac. Nous commençons à pouvoir nous ravitailler (par Verdun).
La situation na pas changé depuis ma dernière lettre, sauf que le temps qui sest mis au froid et à la pluie. Avec ce temps nous sommes tous les 3 plus ou moins enrhumés et ton colis nous a fait le plus grand plaisir. Merci. Tu seras même bien aimable den envoyer un autre contenant: des pastilles semblables, en plus grande quantité, des cure-dents, du tabac jaune et des allumettes. Si tu me lenvoies, tu me sauveras la vie et je suis sur que tu ne voudras pas nous laisser périr!!! Le moral est toujours excellent, ainsi que le physique dailleurs..................
25 mars
Bivouac. Temps épouvantable. Travaux sans y voir et dans la boue.
Comme je te lai dit hier dans ma carte, jai reçu ta lettre n°30 et la veille ton petit colis de tabac et de pastilles qui a été le bienvenu, je tassure. Tellement le bienvenu que mon Commandant de Compagnie, le lieutenant Chatelain, qui est gourmand comme une chatte, a tapé dedans jusquà extinction. Il te fait même dire den envoyer dautres, surtout des blanches, et je joins ma demande à la sienne. Il reçoit des colis également et entre lui, Fouché et moi, ce que nous avons est aux autres. Envoie du tabac et des cigarettes jaunes ainsi que des cure-dents, je te prie, choses que nous ne pouvons trouver ici.
Notre situation ne sest pas améliorée, au contraire, et cela à cause du temps. Depuis 3 ou 4 jours, nous avons vent, pluie, grêle, froid et même de lorage. Nos guitounes sous terre se remplissent deau. La nuit, il faut aller aux travaux en pleine obscurité sous bois, et nous ne sommes éclairés que par les éclairs des coups de canon (départ ou arrivées).
La veine continue à se maintenir à la 24°, nous navons pas de victimes comme aux autres Compagnies depuis quelque temps, mais nous avons pas mal dévacués pour pieds gelés et maladies. Personnellement, je vais bien et suis bien content davoir une santé pareille pour traverser ces moments vraiment durs depuis le 1° de ce mois.
On ne parle pas de relève, au contraire. Il faut se mettre évidemment à la portée de ceux qui commandent et qui nont pas trop de troupes à leur disposition pour relever les régiments qui donnent. Notre secteur étant calme relativement à ce qui se passe à notre gauche immédiate, il est certain que nous devons tenir encore quelque temps.
Et Jean, comment va-t-il? Tu me dis quil menvie, mais détrompe-le. Le 323 na pas donné, il occupe un secteur comme en Lorraine avec cette différence que ce secteur est plus bombardé et pas organisé du fait du recul, doù travaux, fatigues supplémentaires et danger un peu plus grand. Mais, jamais depuis un mois, nous avons attaqué ni même été attaqués. Dis-le lui bien et sache le bien toi-même.
Jattends toujours les photos de Muguette pour voir sa nouvelle coiffure. Je me suis commandé une montre-bracelet à cadran lumineux. Quand je laurai, vers le commencement davril, je tenverrai celle que jai et aussi 100 frs déconomies que tu emploieras si tu en as besoin. Ne te gêne pas surtout, promets-le moi bien.
Excuse mon écriture, mais je voudrais par curiosité que tu sois là pour voir la position que jai dans mon trou obscur pour técrire. Il pleut et je ne peux écrire dehors..................
26 mars
Bivouac. Le canon tonne toujours vers Douaumont - Vaux.
Rien de nouveau depuis hier. Jai reçu tes deux lettres 31 et 32 ainsi que le colis de gâteaux en excellent état, qui a été fêté avec tous les honneurs dus à son rang.
Temps froid. Pas de relève à lhorizon. Le courrier sen va et nous allons prendre notre repas, aussi je te quitte rapidement...................
27 mars
Bivouac. Bombardement continuel du carrefour.
Je reçois à linstant ta bonne lettre n°33. Je te remercie de mécrire aussi souvent en ce moment. Ces petits mots me font grand plaisir. Tu ne mas pas accusé réception des lettres n°30 et 31. Les as-tu bien reçues? Remercie bien la grande infirmière des conseils quelle me donne pour mes pieds. Je men souviendrai si le mal me reprend, mais pour le moment je vais très bien à tous les points de vue: ni rhume, ni gelure.
Ton colis de gâteaux dont je tai déjà accusé réception hier, nous a fait le plus grand plaisir, il est tombé un jour de grand gala: un obus ayant blessé un de nos chevaux, on la abattu et............. mangé. Cétait délicieux, cétait un beefsteack sur le gril dune « tendresse » remarquable.
Tu diras à Mademoiselle Genet que lépithète dimbécile quelle me décerne est peut-être un peu forte. Ma gelure nétait pas gangreneuse au point de me faire couper le pied. La preuve! Nempêche que cest bigrement douloureux!
Il y a plusieurs citations à lordre du régiment. Jai fait citer mon agent de liaison qui était venu me porter des renseignements dans des conditions vraiment périlleuses. Ce type-là maintenant, se ferait tuer pour moi et comme homme il se pose un peu là. Cest un Toulousain petit et trapu. Tu vois dici le type.
Pas de bruits de relève jusquà présent. Tu me parles davions, je ne sais pas pourquoi, Te souviens-tu d'avoir lu dans les journaux cette descente dun observateur en parachute depuis son ballon captif? Cétait à petite distance de nous quil est tombé. Nous aussi avons des avions au-dessus de nous en masse. Cest une bataille aérienne continuelle. En somme, malgré le bombardement toujours respectable autour de nous, ça ma lair de se calmer par ici du moins.
Je connaissais ce Mr Serres dont tu me parles...................
P.S. Je nai pas besoin de chaussettes pour le moment. Merci.
Respect de la part de Neveux, toujours fidèle au poste.
Jai des nouvelles de Vergne qui est soigné dans la Drôme. Il ne va pas mal du tout.
28 mars
Bivouac. R.A.S.
Je reçois à linstant ta bonne lettre n°34 qui me prouve que tu as tout à fait compris où jétais. Je suis tout près, tout près de cette grande route dont tu me parles et qui est maintenant près de E. (Eix) littéralement creusée par les obus. Tu verrais du changement si tu revenais ici en ce moment, pauvre Maman!
Toujours même situation, mais un temps épouvantable. Avec le luxe dont nous jouissons, tu peux te faire une idée de notre saleté, tant sur nos capotes que sur nous-même. Il faut le voir pour le croire. Ce nest plus de la boue pâteuse dans laquelle nous sommes, cest de leau boueuse. Notre maison nest pas imperméable et notre paille est devenue fumier humide. Juge de ce que sont celles des hommes! Ma capote est une guenille quelconque dont je ne pourrais te dire exactement la couleur. Il y a un peu de bleu, un peu de jaune, un peu de noir, enfin cest une loque infecte.
Les obus tombent toujours aux environs, mais les Boches nont pas encore repéré notre bivouac. Les obus qui tombent dedans ne nous sont pas destinés - cest une consolation - mais bien aux batteries innombrables qui nous entourent (la grande distraction à la mode est, pour les fantassins, daller tirer la ficelle pour faire partir le coup de canon). Personnellement, jai tiré un peu de tous les calibres.
A part cela, bonne santé toujours et moral des troupes assez bon. Je dis assez parce que la pluie les fait grogner, ce qui se comprend. Revienne le soleil et la bonne humeur reviendra. Merci des tuyaux sur la famille Malbec. Je reçois par le même courrier une gentille lettre de Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone) et une carte de Marguerite de Bouxières-aux-Dames (Nous en sommes loin!!!!!!!!!)...................
29 mars
Bivouac. R.A.S.
30 mars
Bivouac. R.A.S.
Jai reçu ta lettre n°35 du 25. La correspondance est maintenant rétablie presque comme avant et cela fait bien plaisir des deux côtés, nest-ce pas? Le même courrier mapportait également une carte de Jean Chagnaud qui a mis 10 jours pour me trouver car ce phénomène sest trompé de S.P.
Toujours dans nos trous à lapin, mais le temps épouvantable depuis 5 jours à lair de sêtre mis au beau aujourdhui, ce qui fait sortir un peu les lapins que nous sommes. Rien de nouveau, vie monotone, toutes les nuits, mêmes travaux, le jour repos assez agréable par ce temps et sans marmites. Les 2 conditions sont rarement obtenues en même temps.
Nous commençons à recevoir quelques journaux et je vois quon y parle des bombardements qui se passent ici. Ne tinquiète pas, malgré tout, car il ny a pas eu dattaque de tout le mois de mars à cet endroit proprement dit.
Mes félicitations à Mad. pour ses débuts sur lharmonium. Daprès le tableau que tu men fais, je vois dici que la 1° séance a du être assez comique! Mais avec le talent de Mad. cela na pas du durer longtemps.
Jai connu le sergent Castagnet, qui était caporal à la même Compagnie que moi dans lactive. Cest un beau garçon mais qui ma lair efféminé et un peu mou. Cétait un gentil camarade bien élevé.
Tante Marie-Louise T. va être bien contente davoir 2 de ses garçons auprès delle pendant au moins 2 mois..........
31 mars
Bivouac. En allant aux travaux, la 21° a un mort (Caporal Raballaud) et 2 blessés.
1° avril
Bivouac de la Madeleine. Les Boches ont lair de nous avoir repéré car ils nous bombardent copieusement: 3 blessés chez nous, 2 à la 21° (Marsaud et Fournier), chez moi Guillon a le bras perdu. Attaques sur Vaux à notre gauche.
Reçu ta lettre n°34 qui ma trouvé au même endroit et toujours en excellente santé. Bombardement peut-être un peu plus violent hier, mais sans victimes à ma Compagnie. Il nen est pas de même à mon ancienne 21° malheureusement. Le temps sest remis au beau et alors, comme par enchantement, le cafard disparaît chez tout le monde.
Je suis ennuyé que Jean soit à A. car ça chauffe en ce moment de ce coté. Enfin, la veine est sur nous deux. Elle continue.................
2 avril
Bivouac. Bombardement du bivouac, mais sans victimes. Le soir à 8 h. nous nous couchions: alerte. Nous sommes à la disposition de la 34° division. Nous nous dirigeons vers Belrupt. Les Allemands ont tapé sur Vaux dans la journée, cest peut-être pour y aller.
Beau temps, mais bombardement violent. La veine na pas continué à la Compagnie. Nous avons des blessés dont plusieurs à ma section. Cest idiot dêtre touché ainsi en deuxième ligne. Ca ne sert à rien.
Bonne santé et bon moral toujours chez nous. Quil en soit de même chez vous. Tout ira bien.............
3 avril
Journée passée à Belrupt en cantonnement dalerte. Temps superbe et journée agréablement passée avec les camarades. Différents canards. Le soir à 11 h. alerte, le 266° revient à son cantonnement et nous partons dans la direction du fort de Tavannes. Boyaux sans fin.
Je réponds aujourdhui à tes deux lettres n°27 et 38 reçues tout dernièrement. Dans la dernière jai trouvé les 2 photos du Muguet et je ten renvoie une. En bon militaire qui sait que lon doit exécuter lordre dabord, et réclamer ensuite, jexécute, et je tenvoie la photo. Maintenant je réclame. Pourquoi ne pas me laisser ces deux photos? Jai été très embarrassé de choisir car sur lune on la voit très bien, sur lautre elle est amusante au possible avec son air sévère pour le pauvre Cadi. Jai été obligé de demander lavis à mes 2 camarades qui tous les deux mont fait choisir pour celle que jai gardée. Eux aussi ont trouvé ma nièce rudement bien bâtie. Et cela sans blague et sans que je les pousse à le dire. Cela leur est venu au premier coup doeil jeté sur la photo. Ah! la jolie petite gosse. Je laime comme si elle était à moi. Tu peux le dire à Mad. Que sera-ce quand jen aurai vraiment une à moi? Il me semble que je la mangerai!!!!! Blague à part, tâche de menvoyer cette photo si tu le peux.
Pour parler de la guerre et de moi, voici ce qui vient de nous arriver: Hier soir, nous nous préparerions à aller aux travaux (ce que, entre parenthèses, nest pas drôle car il y a souvent de la casse) lorsqu'on nous prévient quil y a alerte, départ dans un quart dheure. Malgré lhabitude que nous avons, cest toujours avec un petit serrement de coeur que lon se prépare à partir. Où va-t-on? Que se passe-t-il? Va-t-on se battre? etc... etc... Nous fûmes dirigés vers un petit village aux environs de lendroit où nous étions. Là, cantonnement dalerte et attente.
Au moment où je técris, nous attendons encore. Cest la première nuit que je couche sous un vrai toit depuis que je vous ai quitté. Et dans des conditions: le village assez bombardé et couché tout équipé. Enfin, nous sommes mieux que dans notre satané bivouac où nous avions tous les jours des accidents.
Comme je te lai dit, la 24°, veinarde jusque là, a eu coup sur coup plusieurs blessés dont 2 grièvement atteints à ma section. La 21° a trinqué aussi, en particulier mon ancienne section qui a eu un mort. Mais quest-ce que tout cela en comparaison dune attaque? Ne tinquiètes donc pas.
Je profite de ce que jai une table à ma disposition aujourdhui pour técrire un peu plus longuement. Jaurais tant de chose à te dire, si javais le temps et toutes mes aises. Jai reçu hier tes deux colis qui nous ont comblés de joie, comme tous ceux que nous recevons tous les trois.
A propos de « tous les trois », je réponds à ta question. Mon lieutenant-capitaine (cette expression mamuse beaucoup) est le lieutenant Chatelain, gentilhomme haut-marnais très chic et très distingué. Ses parents habitent la campagne et sont « chatelains » sans faire de jeux de mots (Lui est contrôleur des Contributions Directes). Cest celui que connaît Mme Blanc car il était son locataire en faisant ses 6 mois dofficier de réserve à La Rochelle.
Lautre cest le sous-lieutenant Fouché que tu connais bien puisque nous étions sergents tous les 2 à la même section au départ de La Rochelle. Tu las eu en photo avec Boussiron et de Lignerolles (la 1° photo que je tai envoyée pendant la guerre). Cest un instituteur de la Charente Inférieure dont les parents habitent Royan et qui est marié près de St-Jean-dAngely. Cest un gentil camarade que je connais beaucoup et à qui je reproche un peu la trop grande taquinerie, peu de distinction et lesprit trop « instituteur ».
Or donc, tes paquets ont plu. Ils étaient intacts et je te remercie beaucoup davoir scrupuleusement mis ce que je te demandais. Tu es une bien bonne Maman!
Je suis content que le « Sens de la Mort » tait plu. Je lavais trouvé très bien, mais jaime mieux avoir ton avis.
Différents « canards » courent depuis déjà longtemps dans la division. Daucuns prétendent que nous allons être relevés incessamment pour retourner en Lorraine. Dautres disent que nous sommes là pour un mois encore. Dautres enfin disent que nous allons aller un peu en arrière, mais que nous nirons jamais plus à Nancy. On dit que nous sommes attachés à un corps darmée qui va aller en Alsace. Jécoute tout et ne crois rien. Je croirai que ce qui est officiel. Pour le moment, nous sommes dans un village, en alerte, et nous ne savons ce que nous ferons même dici 1/2 heure!...........................
P.S. Ne toccupe plus de mes pieds. Je ne sens absolument plus rien. Il fait dailleurs depuis hier un vrai temps dété, les fleurs commencent à éclore sur les arbres. Vive le Printemps et le Soleil! Avec cela, tout cafard disparaît.
4 avril
Du fort de Tavannes, nous nous dirigeons vers la redoute de Vaux, au-dessus du village de Vaux où nous devons prendre les avant-postes. Mais il est trop clair pour y aller, nous retournons nous abriter dans le tunnel de Tavannes. Bombardement continuel et partout. Le soir départ à 9 h. pour les avant-postes de la Redoute.
5 avril
Nous arrivons à 1 h. du matin. Pendant la marche dans les boyaux, 1 blessé à la 3° section. Tous les retranchements de la Redoute sont éboulés et nous habitons les ruines et les trous dobus. Bombardement mais journée assez calme. Nous relevons le 158°. Bigeon blessé.
Je ne pense pas técrire longuement aujourdhui, car nous sommes aux avant-postes et je te garantis quil faut ouvrir loeil et le bon. Je te raconterai cela plus tard. Temps: entre les deux. Moral: bon. Santé: excellente. Habitation: trous dobus. Nourriture: singe et biscuit. Boisson: néant.
Juge toi-même de la situation mais ne teffraie pas. Ca se tassera...............
6 avril
Nuit assez calme. Dans la journée, bombardement partout et coups de torpilles. Pas de vivres, plus deau. Fouché a un mort: le caporal Texier. Laspirant Magniez, un blessé. Chez moi, Mulon grièvement atteint au coté. Le sous-lieutenant Viala grièvement blessé à la cuisse. Le Colonel légèrement atteint.
Toujours aux avant-postes dans les mêmes conditions. Pas gai! Jean naura plus à se moquer du 323, car je crois que comme secteur, nous sommes soignés cette fois-ci.
Je ne técris toujours quun mot, attendant à plus tard, quand je ne serai plus au fond dun trou de 210 pour te donner des détails. Je vais bien et jespère que Jean est comme moi. Reçu tes lettres..............
7 avril
Nuit assez calme. Les vivres sont venus, mais pas beaucoup de boisson. L'eau manque presque à la Redoute. Bombardement continuel ordinaire. Le soir attaque française au bois de la Caillette à notre gauche. Ca barde! Je passe la journée à labri du ravin. Spectacle repoussant.
Je vais toujours bien. Bons baisers à toutes les trois de la part de ton fils qui vous aime. « Situation inchangée ». A bientôt la relève, je crois.................
8 avril
Nuit agitée et fiévreuse. Petites attaques partout. Fusil, grenades, torpilles, canon. Pas de vivre, ni de boisson. Forget et son équipe de cuistots a eu du mal (4 blessés sérieusement). De nouveau un cran à la ceinture, mais cest la soif qui nous fait souffrir. Nous devons être relevés cette nuit par le 24°. Ouf! encore 2 blessés.
9 avril
Abri au ravin. le 24° sest perdu et na pas pu nous relever. Encore une journée sans vivres et sans eau! Le soir je vais de nouveau en 1° ligne et vers 9 h. nous sommes relevés. Tirs de barrage sérieux pendant la relève mais pas de mal. Nous revenons à Belrupt par la clairière et non par le boyau de Tavannes.
10 avril
Arrivée à Belrupt à 1 h. du matin. Souper chaud avec le Commandant et sur un matelas. Pendant la journée, repos bien gagné. Je suis las et fatigué, comme tout le monde dailleurs. Le soir (19 h.) nous allons habiter le bois de Sommedieue.
Que je suis heureux de pouvoir causer longuement aujourdhui avec toi! Maintenant que cest passé, je peux te raconter par le détail ce que nous venons de traverser. Je ne connais pas lenfer, mais cest certainement dans une de ses succursales que nous sommes tombés cette fois-ci! Rassure-toi dabord. Je suis pour le moment au repos dans un petit village, le même doù je tai écrit lautre jour et selon toutes probabilités, nous ne reviendrons jamais doù nous venons.
Tu te rappelles lalerte que nous avons eu, cétait comme nous nous en doutions pour aller à Vaux attaqué sérieusement par les Boches. Encore une fois, le régiment a eu sa veine accoutumée, car nous avons passé six jours dans un secteur où depuis le 1° mars, les troupes qui loccupaient étaient anéanties au bout de 48 heures. Nous nous en sommes tirés avec 50 à 60 morts et blessés au bataillon (mets le double pour le régiment, dont 2 officiers). Je ne sais comment te décrire ce que jai vu tellement cest épouvantable et tellement cest inimaginable pour qui ne la pas vu.
Dabord la relève qui dure 48 heures à travers un unique boyau de 8 à 10 km, battu constamment, et de quelle façon? par les Boches. Dans ce boyau, il faut marcher sur les morts qui lencombrent, bousculer les blessés qui reviennent par leurs propres moyens à larrière. Ceux qui ne peuvent pas marcher, crèvent sans secours. On na pas le temps de soccuper deux et surtout de les transporter. Le bois traversé par ce boyau a 4 km de profondeur. Cest une pépinière de poteaux télégraphiques, de branches: point, si ce nest par terre, je ne peux les dépeindre, ces bois (Tu as vu dans les illustrations). Ce nest rien en comparaison de ceux que nous avons vus et cela au dire de tous les chasseurs et autres troupes ayant vu des secteurs dangereux. Pas un mètre carré de terre qui ne soit touché par un obus.
Avant-postes. Quand enfin on arrive aux avant-postes, on cherche les tranchées: il ny en a plus. Ce sont les trous dobus que lon habite. Nous nous trouvions sur la pente du fort de Vaux, à 50 m des trous dobus occupés par les Boches et à 100 m à droite du village de Vaux, occupé également par eux. Là impossible de bouger le jour et la nuit cest presque la même chose tant les fusées sont nombreuses. Marmitage continu par grenades, torpilles, obus. Attaques partielles par liquides enflammés, gaz asphyxiants, lacrymogène. Enfin tout est réuni là par les Boches, tant ils veulent le fort à tout prix.
Vois six jours dans ces conditions. Nous ne devions faire que 5 jours, si nous pouvions tenir, et pour comble de malheur, le régiment qui nous a relevés sest tellement fait massacrer dans les boyaux pour venir quil a eu 1 jour de retard! Vois la veine du 323 qui a perdu en six jours moins dhommes que ce régiment, rien quen venant prendre sa place!! Cest inouï.
Ravitaillement. Cest simple rien. La corvée qui était chargée de nous apporter quelques vivres sest fait anéantir dans ces maudits boyaux dès le premier jour et nous avons dû rester 6 jours avec le peu de vivres que nous avions sur nous! La soif nous a fait souffrir et plusieurs de nos hommes se sont fait tuer pour aller chercher quelques gouttes deau dans des trous dobus environnants.
Ce qui ma fait le plus dimpression, à moi personnellement, cest le fait suivant: un obus de gros calibre est tombé à coté de moi engloutissant 2 hommes en plein jour. Comme jentendais sous terre quelques gémissements, je gratte avec mes ongles et mets le visage des 2 hommes à lair. Ils nétaient pas blessés mais enterrés et ils ont été obligés dattendre ainsi la nuit pour quon puisse venir à leur secours et les déterrer. Ils sont restés 5 heures ainsi, le corps en terre et la figure à lextérieure. Heureusement pour eux que jétais à leur portée et que, sans trop me montrer, jai pu les faire respirer. Et combien de cas semblables. Tous ont leur petite anecdote.
Ne taffoles pas de cette lettre, je tai dit que je te dirai la vérité, dailleurs tout est fini maintenant et nous ne retournerons pas là-bas car ce nest pas notre secteur. Naffole pas non plus nos connaissances: personne que tu connaisses nest mort, je crois. Basset, légèrement blessé à la main, le bruit court que le Colonel a été un peu touché, je ne sais si cest vrai. Meyer va bien, le Capitaine Martin aussi, Neveux également.
Tout le monde est outré du service de santé qui dans cette région sest conduit comme un cochon. Ah! les docteurs ne risquent pas dêtre touchés. Il ny en a pas!!! Le premier que nous rencontrons est un pauvre médecin auxiliaire, envoyé par ordre et encore à 1 km de nous. Les blessés crèvent partout et on ne fait pas un pas sans heurter un cadavre. Oh! cette pente de Vaux. Cest par milliers quon peut les compter (Horrible)
Nous sommes revenus hier soir, nous étions étonnés de nous retrouver. Nous avons dévoré et bu comme des ogres!! Cela ne tétonne pas! Aujourdhui nous nous sommes retapés et ça va tout à fait. Nous avons bien maigri. Où sont mes joues!
Le cafard nexiste plus et quelques jours de repos feront tout disparaître. Nous navons pas été attaqués en grand, heureusement. Nous navons reçu que des marmites, mais en quel nombre! Grand Dieu.
Au retour, jai reçu tes bonnes lettres qui mont fait bien plaisir, je tassure. Ce sont les numéros 40, 41, 42, 43. Merci des bonnes nouvelles que tu me donnes. Je vais toujours merveilleusement bien et heureux de vivre, je tassure. Je te quitte car le courrier part et je veux que cette lettre y soit.............
Ne crois pas que je sois affolé. Je suis très calme et cest froidement que je técris tout ceci.............
11 avril
Dans les bois, à un endroit non battu. Belle journée de repos et de printemps. Installation assez agréable et assez confortable. Visite du Général Prax qui nous félicite! Le Lieutenant Chatelain est évacué pour ses furoncles. Depuis hier, je suis seul avec Fouché.
De nouveau dans les bois tout près de lendroit où nous bivouaquions précédemment. Les feuilles commencent à repousser et ce beau temps nous remet tout à fait daplomb!
Demain, je pense avoir le temps de répondre à tes nombreuses lettres, chose que je nai pas fait hier malgré la longueur de ma lettre.
Toujours en excellente santé.................
12 avril
Même endroit. Mauvais temps. Jeux de cartes et motifs de citation pour quelques hommes de la Compagnie.
Je mets aujourdhui un peu dordre dans ma correspondance qui en a besoin et je vais répondre à toutes tes lettres. Jai reçu hier tes lettres n°44 et 45. Merci de la photo du petit Muguet. Elle me fait grand plaisir.
Il va y avoir encore quelques citations au Régiment après notre affaire de Vaux, mais personnellement, je nai fait que mon devoir et nen mérite pas.
Pour Jean du S., tu me dis quil est au train et que sa soeur, qui mécrit dernièrement, me dit quil est passé depuis dans lartillerie. En voilà un qui goûtera de tout, dans la ville comme dans le militaire.
Le temps qui sest mis au beau, sest gâté hier et aujourdhui. Il pleut et il fait froid (mon écriture te le prouve). Cette nuit, le canon a redoublé dactivité près de nous, je ne sais ce qui sest passé en 1° ligne, mais ça a dû chauffer.
Remercie bien toutes les aimables personnes qui sinforment de moi. Je nai le temps que décrire tes lettres. Quand je serai mieux installé, je reprendrai mon courrier de ministre que javais en Lorraine.
Tu me dis que je ne te parle pas nommément des pertes. Cest inutile, tu ne les connais pas. Il y en a une qui ma fait plus de peine encore que les autres. Cest mon 1° caporal quand je suis venu au régiment en octobre 1912. Il était encore caporal quand je suis venu au régiment en octobre 1912. Il était encore caporal et avait son « bleu » comme sous-lieutenant. Il était pourtant bien fier et bien content de dire aux autres que cétait lui qui mavait « dressé »!! Pauvre bougre!
Le lieutenant Chatelain et le lieutenant Laferrière sont évacués pour fatigue. Cela se comprend après de telles journées, mais je crois quils reviendront prochainement. Pour le moment, Fouché et moi sommes seuls à la compagnie et il y a des choses à régler!!!
Continuez à vous distraire autant que vous le pouvez, vous le méritez bien, allez! Moi, je vais toujours très bien et cette vie sous bois est saine et agréable quand il fait beau. Mais aujourdhui, jai trop froid aux doigts et je termine ma lettre en vous embrassant affectueusement tous les trois............
13 avril
Bois de Sommedieue. Mauvais temps. Jeux de cartes. Dossier de laffaire Constantin accusé dabandon de poste devant lennemi.
Toujours au bivouac dans nos bois. Rien de changé. Temps pluvieux. Bonne santé. Pas de courrier hier. Continue à me donner des nouvelles de Jean, car cela chauffe toujours autant de son côté et quil na pas écrit depuis longtemps.
Affectueux baisers au Muguet et à sa Maman. Je pense bien souvent à vous, soyez-en sûres.............
14 avril
Bois de Sommedieue. Mauvais temps. Bruits de relève. Travaux de fascines et de clayonnages.
Jai reçu hier soir ta lettre du 9, n°46. Jespère que maintenant tu as des nouvelles de moi et quaprès ces jours passés, tu es rassurée sur mon compte.
Comme te le disent mes précédentes lettres, je suis dans un bois (tout à côté de mon ancien bivouac, mais moins marmitté et plus confortablement installé). Ce nest plus un trou que jhabite, mais une petite maisonnette en branches darbres. Malheureusement, il na fait que pleuvoir depuis que nous y sommes, et le temps est assez froid.
La santé est toujours excellente ainsi que celle de Fouché. Pas de nouvelles de Chatelain, parti depuis bientôt 5 jours.
Hier, reçu une carte-lettre de Jean C. qui ne me dit rien dintéressant, et me recommande dêtre discret dans mes lettres. Il me raconte sa mésaventure.
Rien de nouveau si ce nest que nous commençons à avoir des nouvelles de nos blessés. Quatre dentre eux sont amputés dun membre. Pauvres gars! Enfin ils sont sûrs de revenir au moins eux!
Deux bruits courent en ce moment:
1°) La division serait relevée dici quelques jours.
2°) Nous irions en première ligne relever un régiment de la Division.
Lequel croire? Nous ne savons absolument rien sur ce que lon fera de nous.
En attendant, je vous embrasse....................
Mon petit Muguet chéri.
Je viens de me promener dans des bois que ta bonne Grand-Mère a connu autrefois bien jolis et bien riants. La destinée à voulu que je les vois sous un tout autre aspect brutal et sauvage. Au milieu des branches cassées et déchiquetées quelques humbles petites violettes apparaissent. Je les ai ramassées car je pensais à toi à ce moment-là, chose que je fais bien souvent dailleurs. Gardes-les, je te prie et, lorsque je serai vieux, tu me feras penser à ces tristes moments!
Embrasse de tout ton petit coeur ta Grand-Mère et ta Maman, en entourant leur cou de tes 2 petits bras, comme tu me faisais quand jétais en permission. Tu leur diras que cest de ma part et ce baiser, si gentiment donné, leur fera plaisir, jen suis sûr. Pauvre petit Muguet; on te dira plus tard que ton oncle « Jor » taimait bien. Puisse-t-il te le redire lui-même.
Au revoir, mon amour chéri. Je tembrasse et je mets dans ce baiser tout lamour que jai pour vous trois.
Ci-joint: nombreuses violettes.
15 avril
Bois de Sommedieue. Mauvais temps. Jeux de cartes avec Brochard.
Rien de nouveau depuis hier. Temps toujours aussi froid et aussi pluvieux. Obus de plus en plus rares dans notre nouveau bivouac; nous ne nous en plaignons pas, tu peux me croire.
Pas de nouvelles de relève. Moral et physique excellents. Je viens de voir Neveux qui vous envoi ses respects. Il va très bien...............
16 avril
Bois de Sommedieue. Je vais aux travaux avec Brochard aux boyaux de la Croix-Braudier. Nous devons relever le 204 au Manesel demain soir.
17 avril
Préparatifs de la relève. Nous allons au Manesel par un sentier défilé non battu, au lieu de passer par Moulainville très bombardé. Arrivée aux tranchées 23 h. R.A.S.
Je ne tai pas écrit hier, car je navais rien de particulier à te dire. Rien de changé et toujours au même endroit en excellente santé. Aujourdhui cest différent.
Drôle de relève. Au lieu dêtre relevés, cest nous qui retournons cette nuit aux avant-postes relever un autre régiment. Mais ce nest plus à Vaux. Cest à cette même voie de chemin de fer du début. Jespère et souhaite quelle soit un peu mieux organisée quil y a un mois 1/2, car nous avons depuis 4 ou 5 jours un temps épouvantable, et depuis hier de la neige!
Je tenvoie ci-joint lordre du Régiment contenant la lettre de félicitations du Général commandant le secteur de Vaux. Garde cela dans mes archives.
Je suis ennuyé, car je ne sais comment faire venir le costume (porté 15 jours) que jai laissé chez mon tailleur à Nancy. En cas de malheur, jaime mieux tenvoyer son adresse, tu sauras quil a un uniforme à moi
Mr Haumaut. Tailleur30, rue Stanislas. Nancy
Je comptais toujours que nous reviendrions dans la région, mais nous nen prenons pas du tout le chemin. Enfin je verrai, mais pour le moment, je suis habillé comme un pauvre (pour se traîner dans la boue, cest assez bon) mais ces vieux vêtements de sergent commencent à être usés. Nous reparlerons de cela. Si tu vois une idée, communique-la moi.
Je técrirai maintenant des 1° lignes. En attendant, je vous embrasse toutes les trois de tout coeur.............
Commandant la 43° Division dInfanterie
à M. le Lt Colonel Commandant le 323° R.I.
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Par ordre du général commandant le groupement,
le 323° R.I. (Lt-Colonel Delon) est relevé dans la nuit du 8 au 9 avril et remise à la disposition du Général Barret. Le Général Commandant le secteur ne veut pas se séparer de ces belles troupes sans leur donner le témoignage de sa plus entière satisfaction, pour lentrain que chefs et soldats ont apporté à accomplir la rude mission qui leur était imposée.
Placés en 1° ligne dans un secteur des plus sévères, exposés nuit et jour à un bombardement dune violence inouïe, établis dans des tranchées sans cesse à reconstruire, les 2 Bataillons du 323, ont non seulement vaillament tenu, mais ont amélioré de façon efficace les lignes de défenses quils occupaient.
La 43° Division est fière davoir compté pendant quelques jours, dans ses rangs les braves du 323.
Le souvenir de leur héroïque ténacité sur le front de Vaux restera associé aux pages les plus glorieuses des Bataillons de la Division.
Tous regrettent leur départ et leur souhaitent gloire et succès au cours des combats à venir.
signé:
De Boissoudy
18 avril
Tranchées de soutien du Manesel. Temps épouvantable. Pluie, vent et boue. Impossible daller aux travaux.
Nous voici aux avant-postes, un peu mieux installés quautrefois, mais rien de fameux encore. Heureusement que le secteur est plus calme que notre dernier, ce nest pas dommage.
Ce qui est assommant cest cette pluie continuelle depuis huit jours qui fait que nous sommes sales et pleins de boue des pieds à la tête.
Bonne santé toujours, cest le principal...............
19 avril
Mêmes tranchées. Même temps horrible. Nous allons cependant travailler à épuiser des tranchées pleines deau et nous traversons une prairie complètement inondée. Secteur calme.
20 avril
Mêmes tranchées. Même temps. Beaucoup dhommes malades ce qui nest pas étonnant. Travaux comme hier soir.
Après un silence de 2 jours de ta part, jai reçu hier, par le même courrier, deux lettres de toi. Ce sont le n°48 et 49 auxquelles je réponds ce soir.
Comme je te lai dit, nous sommes aux avant-postes. Nous passons 4 jours en soutien de 1° ligne, demain soir nous irons en 1° ligne pour 4 jours, puis 8 jours en seconde ligne.
Nous avons de la pluie depuis le 11 avril, sans discontinuité, de sorte que tu ne peux timaginer, dans ce bas des côtes, leau et la boue dans lesquelles nous pataugeons. Nous tenons notre record de saleté. La boue que nous avons eue en mars nétant rien en comparaison de celle-ci. Entre nos tranchées de soutien et la voie ferrée (1° ligne), il y a une grande prairie complètement inondée, et cest là que toute la nuit mes hommes font des corvées et des travaux. Tu vois dici les rhumes, les évacuations et maladies plus sérieuses. De 54 hommes que javais le 1° mars, je nen ai plus que 38 et cest ainsi dans toutes les sections.
Personnellement, je suis très très enrhumé et je demande même à ne pas surveiller les travaux cette nuit, car jy attraperais la crève. Oh! quel temps et surtout quelle obstination il met à être à la pluie continuelle. Cest égal, le secteur est très calme, bien plus quau début de mars, et aussi un peu mieux organisé. Nous avons quelques tranchées et quelques abris (des petites maisons creusées dans le talus).
Je suis content que tu aies connaissance des dépêches du Colonel. Cela te donne un peu de mes nouvelles plus tôt que mes lettres. Tu me demandes des nouvelles de mes déterrés. Lun avait une côte démise et a été évacué. Le 2° vient dêtre évacué pour bronchite, il y a 2 ou 3 jours.
Merci de mavoir annoncé la naissance de la nièce de Madeleine. Félicite la Maman ou envoie-moi ladresse dont je ne me souviens plus.
Je vais te quitter, car je suis installé en « tailleur » pour técrire du fond de mon abri, avec une bougie sur une baïonnette, et jai des crampes dans les jambes. Ne me plains pas car nous ne sommes pas en danger ici. Souhaite-nous un peu de soleil, cest tout ce que nous demandons. Je voudrais un peu que tu nous voies, tu ne pourrais tempêcher de rire. Le médecin auxiliaire qui vient nous voir de temps en temps est tombé dans cette boue-eau et na été reçu à son arrivée que par des éclats de rire. Jaurais voulu que tu le voies! Il nétait pas à prendre avec des pincettes..........
21 avril
Mêmes tranchées. Pluie continuelle. Le soir nous allons en 1° ligne, à la voie ferrée relever la 22°. Quelle boue pour sy rendre. Installation des hommes aux avant-postes et aux postes découte.
Toujours de la pluie, toujours dans la boue. Nous allons aux avant-postes (1° ligne) ce soir. Quel pataugeage! Cest insensé.
Je nai rien eu de toi, hier soir, jespère avoir une lettre ce soir. Rien de nouveau pourtant à te dire si ce nest que je suis toujours très enrhumé: je mouche, je tousse, je crache comme un vieux rachitique. Que veux-tu, le contraire serait étonnant avec une pareille existence.
Jai oublié de te parler hier des récompenses données au Régiment après Vaux: Pas mal de croix de guerre, dailleurs plus ou moins méritées. Châtelain est cité à la Brigade, pour avoir gardé le commandement de la compagnie bien que malade. Je tai dit quil était évacué depuis le 10. Le commandant Millet est cité. Le capitaine Martin est cité à la Division (ça, cest absolument honteux et tout le monde en est furieux). Au 5° bataillon, le capitaine Mörch est cité. Cest le seul que tu connaisses ainsi que le commandant Gaillard, cité aussi. Plusieurs sous-officiers et hommes ont été cités au Régiment, enfin presque une pluie de croix de guerre.
Encore une fois, personnellement, jai fait mon devoir, mais rien de plus et ne mérite rien. Je vais te quitter pour faire mes préparatifs de départ.................
22 avril
Tranchée de la voie ferrée. Temps épouvantable. Secteur calme, cependant un obus malheureux blesse le sergent Bellet et le téléphoniste. La 21° a également un blessé.
Merci de ta lettre du 17, n°50 et des bons souhaits de fête quelle contenait. Jai reçu également hier un colis de toi contenant un gâteau macaroné et une palme en excellent état et dun goût délicieux. Merci beaucoup.
Le temps est toujours aussi mauvais. Cest inouï la bouillie et la saleté dans laquelle nous sommes à la voie ferrée.
Je pense que jécrirai à Mad. demain..................
23 avril
Voie ferrée. Toujours le même sale temps. Un obus tombe sur notre poste de commandement et démoli tout. Personne nest touché par miracle. Ce soir je dois faire une reconnaissance en avant des réseaux. Greffard est évacué pour bronchite.
24 avril
Voie ferrée. De 11 h. à 2 h. cette nuit, je vais tendre une embuscade aux Boches, mais personne ne se présente. Quelques coups de fusil. Aujourdhui soleil superbe et très chaud. Enfin!
Je ne tai pas écrit hier, Madeleine te donnera de mes nouvelles, car je lui ai écrit assez longuement. Mon rhume se maintient et mennuie considérablement; jaime à croire quil va disparaître dici quelques jours car il devient importun et gênant.
Enfin, nous voyons le soleil! Depuis 13 jours il navait pas daigné se faire voir. Cest sans doute pour se faire plus beau car aujourdhui il est superbe et très chaud. Cela vous remet un homme daplomb, surtout dans notre situation. Hier la journée de Pâques a été épouvantable, il a plu tout le temps, et cette nuit jai été chargé daller en avant des lignes françaises tendre une embuscade à M.M. les Boches. Je suis resté sur une route, à courte distance de leur tranchée pendant 3 heures (de 11 h. à 2 h.) mais rien ne sest présenté et je suis revenu bredouille..... et mouillé. (Heureusement que lon peut se sécher aujourdhui).
Greffard, mon ordonnance, était mal fichu hier toute la journée. Je lai envoyé voir le médecin, il avait 39°8 de fièvre et a été évacué. Me voilà tout seul et obligé de chercher un remplaçant. Je le regrette, cétait un bon vieux paysan de 35 ans qui me soignait comme son fils. Cest égal: blessures, évacuations, ma section sémiette peu à peu, la Compagnie aussi et le Régiment également. Ce nest pas possible quon nous laisse là un temps infini, et pourtant on ne parle pas de relève.
Il parait que le 123 et une division du 18° C.A. sont dans les environs, je voudrais bien les voir, car je verrais des copains! Enfin nous attendons.....patiemment, cest la seule chose que nous ayons à faire. Demain soir, nous allons aller en 2° ligne. Si ce temps continue, on se séchera un peu.
Jai répondu hier à Tante Lilia. Cette bonne vieille pense à toutes les fêtes. Cest très aimable à elle, à moins que ce ne soit toi qui lui ait dit. A ce propos, merci mille fois de ces bons gâteaux arrivés tout à fait au bon moment. Fouché et moi, les avons savourés avec délice. Mais je nai pas reçu le colis annoncé précédemment. Il est vrai quil vient par le dépôt.
Toujours en correspondance avec Mimi Balmary. je leur ai envoyé 2 bagues en aluminium pour les remercier de leur bon accueil passé et, jespère......... à venir. Celle de mimi représente une rose très bien travaillée. Celle dHenri est curieuse car elle na pas été coulée et a encore le filetage de la fusée. Je nai pas encore eu laccusé de réception.
Fouché, les ordonnances et moi, avons tous failli y passer hier: les Boches tirent relativement peu ici, cependant ils avaient toutes les 10 minutes un ou 2 coups qui sont toujours très pointés. Or, hier, à pareille heure (2 h. de laprès-midi), jécrivais à tante Lilia, lorsquun obus est tombé en plein sur notre abri. Jai été aspergé de bouts de planches, de pierres et la « cania » remplie de fumée. Ils nous ont cassé toute notre modeste vaisselle et gâté une sauce qui attendait 6 h. pour être mangée. Les salauds.
Puis une gouttière sest déclarée coulant comme un robinet. Nous avons failli être noyé! Oh mon Dieu! A la nuit tombante tout était réparé. Jen ai été quitte pour recommencer ma lettre complètement maculée. Heureusement que nous avions quelques rails de la voie ferrée pour nous servir de plafond et que cela a résisté. Avant-hier, un autre obus était tombé dans la « guitoune » de 2 hommes et les avait blessés. Cest la guerre que veux-tu? Mais nous respirons ici en comparaison de là-bas!.....................
25 avril
Pendant la nuit, le capitaine Mörch et Izambart viennent reconnaître les avant-postes pour nous relever. Journée belle et calme. Le soir, relève sans incidents. Nous allons au camp Joffre.
Reçu ta longue lettre n°52. Merci. Laventure de Jean C. ma bien fait rire. Ce sont cependant des choses qui nous arrivent de temps en temps, moins la douche.
Aujourdhui, temps superbe, aussi mon rhume à lair de se guérir. Ce ne sera pas trop tôt car il me tient depuis assez longtemps.
Bonne santé pour vous autres, ....................
26 avril
Camp Joffre. Temps superbe, installation quelconque. Abri et cabane. Peu dobus et seulement aux environs. Le soir travaux, mais je ny vais pas.
Jai reçu hier ta lettre n°53 du 21 et aujourdhui le colis du dépôt, arrivé en excellent état et contenant: une boite de biscuits, 2 boites dexcellents bonbons et du tabac. Je te remercie beaucoup. Tous les colis tombent bien en ce moment. Dailleurs, nous ne sommes à plaindre à ce point de vue, en ce moment car en même temps que le tien, men parvenait un autre plus volumineux de lIle Maurice et contenant toutes sortes de choses, toutes meilleures les unes que les autres: chocolat, sucre, cakes, thé, cacao, lait, bougies, confitures, ananas, etc... etc... Cette Madame de Cayla est vraiment trop gentille et je vais encore la remercier dune façon bien sentie. Cest bien agréable de recevoir ces choses surtout en ce moment. Cela fait 2 fois plus plaisir que dans le secteur de Lorraine où, mon Dieu, avec de largent, on pouvait avoir tout ce que lon voulait.
Mon rhume suit son cours, ne te fais pas de bile pour lui.
Jai réfléchi pour ma tenue et voici ce que jai décidé; jécris par le même courrier à mon tailleur de te lenvoyer puis lorsque tu lauras, envoies-le moi au dépôt (bien emballé et imperméablement, car les colis sont souvent mal traités). Je compte dailleurs sur toi la dessus. Tu recevras donc mon colis un de ces jours. Envoie le, le plus vite possible, car je suis miteux.
Merci de tes bonnes lettres, fréquentes et affectueuses. Elles me réconfortent toujours quand je les lis, ce qui ne veut pas dire que mon moral est atteint!!
Toujours gais à la 24!! (Devise)
Je ne técrirai pas demain car nous ne sommes pas en danger, ni très malheureux ici................
P.S. Pendant que jécrivais cette lettre, mon camarade Fouché, assis à coté de moi, faisait le croquis ci-joint. Garde-le, je te prie.
27 avril
Camp Joffre. Nous touchons nos cantines. Temps superbe, peu dobus. Le soir travaux entre la route et la voie ferrée. Itinéraire par le boyau du ravin de Moulainville. Pas gai. Retour à 2 h. du matin.
28 avril
Camp Joffre. Journée calme Le soir même travaux: il faut un officier et je me les envoie encore. Conversation avec le Commandant Gaillard.
Je técris aujourdhui 29 à 2 h. du matin, cest pourquoi jai daté ma lettre du 28, car elle tarrivera comme si je lavais écrite hier dans la journée. Je reviens du travail en 1° ligne et comme jai très chaud, je ne veux pas aller me coucher ainsi. Joccupe donc de moment en venant causer un peu avoir toi.
Hier mest arrivée ta lettre n°54 dont je te remercie beaucoup. En même temps quelle me parvenait un mot de Jean C. qui est en effet au repos, lui, quel veinard et quand cela nous arrivera-t-il? Il me dit pour me retourner le fer dans la plaie quil a vu des jeunes filles fraîches et jolies. Mon Dieu est-ce que cela existe encore, voilà 60 jours que je nai pas vu de femme, même de 60 ans, le seul village où nous ayons été étant évacué depuis le commencement de la bataille. Je ne te parle ni de V. (Vaux), ni de M. (Moulainville), ni de E. (Eix) qui ne sont que des tas de cailloux agglomérés!
Quel beau temps et comme il ferait bon de pouvoir se promener un peu au jour, nous ne sortons que la nuit, ou le jour avec dextrêmes précautions.
Rien de nouveau à te dire. Le 5° Bataillon a encore eu un peu de casse hier, mais pas grand-chose. Le capitaine Mörch et le Commandant Gaillard que je viens de voir à linstant, se sont informés de ma famille fort aimablement. Mon rhume ne veut pas me quitter. Cest certainement le plus opiniâtre de cet hiver. Il finira bien par se fatiguer et partir.
Quel est lendroit où Jean devait aller quand il a été nommé à Verdun? Peut-être que je le connais maintenant?
Je men vais te quitter, chère Maman, car je commence à mendormir. Embrasse bien affectueusement Mad. et Muguet de ma part. Garde pour toi, les meilleurs baisers de ton fils qui taiment......
P.S. Les derniers bonbons que tu mas envoyés sont dune finesse exquise et appréciés par tous les officiers du Bataillon.
29 avril
Même situation, même temps, même travaux. Nous sommes bombardés pendant ces travaux. Visite du Général Prax sur le chantier.
Rien de nouveau depuis ce matin. Bombardement toujours assez intense, mais pas de casse chez nous.
Reçu aujourdhui ta lettre 55. Merci des nouvelles de Jean.
Ici, le beau temps continue et les bois deviennent superbes. Cest notre seule distraction de les voir verdir peu à peu. Ma montre est arrivée, elle est très bien, jespère quelle sera bonne. Je tenverrai lautre un de ces jours............
30 avril
Camp Joffre. Nous nous préparons à aller relever la 22 et 23 à Moulainville, mais il faut aller aux travaux tout de même. Nous portons les sacs à lavance et en revenant, restons à Moulainville. Je reçois ma montre bracelet.
1 mai
Moulainville. Tous les officiers des 21 et 24 sont ensemble dans une cave solide. Très gais. Jeux et plaisanteries dans la journée, la nuit, travaux de transport. Bombardement assez sérieux du village.
Ne tinquiètes pas si tu nas pas eu de nouvelles de moi depuis 2 jours, car je ne tai pas écrit hier et la lettre daujourdhui mettra un jour de plus à te parvenir. Voici pourquoi: nous sommes toujours en deuxième ligne, mais au lieu dêtre dans des bois, nous sommes dans des caves du village de M. (Moulainville) toujours violemment bombardé. Comme les communications ne se font que rigoureusement la nuit, le courrier part à 23 h. au lieu de midi.
La cave des officiers est bonne et a été éprouvée, car plusieurs obus de gros calibres sont tombés en plein dessus sans la détériorer. Sois donc sans inquiétude. Le malheur cest quaprès les pluies diluviennes du mois dernier, le niveau de leau y est constamment de 50 cm et que nous sommes installés sur « pilotis ». Je voudrais que tu voies cette installation, cest à mourir de rire. Nous sommes là dedans pour 5 jours, 5 officiers et 5 ordonnances dans une petite cave. Il ny en a quun qui peut bouger à la fois. Très amusant parce que tous très gais: Mr Ney. Mr Strohl (lieutenant, inspecteur de la Banque de France, connaissant bien Mr de Larrard et Roger Triaud quil a vu à St Médard et quil nestime pas beaucoup au point de vue militaire. Très chic, très aimable et quoiquayant 10 ans de plus que moi, est très bon camarade. A beaucoup insister pour me faire nommer officier). Mon ami Brochard, sous-lieutenant. Fouché et moi.
Nous fumons, lisons, chantons, la nuit quand nous nallons pas aux travaux, de 4 h. à 11 h. sommeil - 11 h./12 h., déjeuner - 12 h./7 h., rechansons, rebêtises, relecture - 7 h./9 h., sortie (il fait noir et entre 2 rafales on va mettre le nez dehors, que de ruines!) - 9 h. à 10h., repas - 10 h. à 4 h. du matin: travaux, surveillance et repos chacun son tour pour dormir. Voilà notre vie, maintenant tu vois notre emploi du temps comme si tu étais avec nous.
Le moral est bon, cest tout ce quil faut et heureusement que le cafard ne ma jamais atteint ou du moins peu de temps. Cest bien pénible pour ceux qui lont, mais à linstar des officiers du 3° Bataillon du 91° R.I., les officiers du 6° Bataillon du 323° R.I. sont très gais.
Je nai rien reçu de toi depuis ta lettre 55, jespère en avoir une cette nuit. Comme je te lai dit, jai reçu ma montre lumineuse qui est épatante. Cest une montre-poignet de très bonne qualité, elle vient de chez Jannel dont le fils est soldat à ma Compagnie. Tu la verras à ma prochaine permission. Quant à lautre, je te lenverrai prochainement, quand nous serons au bivouac, après ces 5 jours.
Rien de plus à te dire aujourdhui. Mon rhume ne ma pas complètement quitté, il sest un peu atténué, mais ce séjour dans une cave, avec de leau sous nous, continuellement, ne contribuera pas à le faire partir. Je nen souffre pas dailleurs plus que ça!
Encore des bruits de relève! Sont-ils bons ceux-là? Mystère. Attendons..............
2 mai
Moulainville. Journée passée avec de Lignerolles et Voisin luxueusement installés. Vu et parlé au Colonel, très aimable. Le soir, travaux de transport. Bombardement normal. Beau temps.
Rien de nouveau depuis ma lettre dhier. Emploi du temps tel que je te lai écrit. Je me lance même à jouer au bridge, car on me persécute pour que je fasse un quatrième. Reçu ta bonne lettre n°56. Merci. Je suis bien content que vous soyez toutes en bonne santé. Mon rhume redouble malgré le temps superbe dont hélas! nous ne pouvons profiter....
3 mai
Moulainville. Journée calme et monotone. Chants. Bridge. Le soir: travaux et combat avec les rats (énormes) qui sont dans notre cave.
4 mai
Moulainville. Même vie. Peu dobus. Nous apprenons la mort du lieutenant Bonnet qui nous avait quitté il y a 4 jours!
Jai reçu hier ta bonne lettre n°57 du 28 avril et jy réponds aujourdhui toujours du fond de ma cave. Notre situation est toujours la même: beau temps dont nous ne profitons pas, marmitage qui nous laisse froid parce que bien abrités, etc... etc... La gaieté continue.
Hier jai été voir le lieutenant Voisin, mon ancien chef de section qui est maintenant porte-drapeau. Le Colonel est venu dans son abri et me voyant: « Tiens! Bonjour Triaud, va bien? » Il ma serré la main, ce qui au régiment est considéré comme un grand et rare honneur. Le capitaine Morache était avec lui et sest informé de vous très aimablement. Le pauvre homme traîne toujours la patte et fait pitié tant il est visiblement marri de ne pas voir de jupons!! Il nest pas le seul.
Les sergents-majors qui sont en arrière, ont vu passer le 123 dont les cuisines roulantes sont dans le même village que les nôtres. Il prend, parait-il, les avant-postes aux environs de lendroit où nous les avons pris, il y a un mois, avec tant de veine. Pourvu quil ait lui aussi de la chance! Lorsque nous serons un peu en arrière, je ferai mon possible pour aller voir le Commandant Gombeaud, Gaillot et les anciens camarades. Je te tiendrai au courant.
Singulière idée que tu as eue décrire en plein air. Veux-tu, toi aussi thabituer à écrire dans toutes les positions? Ne te fatigue pas surtout.
Alors Roger est repris dans le service actif. Tâche de le décider à demander le 323. Cela vaudra toujours mieux que le 123. Je ferai mon possible pour le faire venir à la 24. Il aura un Commandant de Compagnie un peu grincheux pour les sous-officiers, mais cela se tassera. On verra à sarranger. En tout cas, je suis à sa disposition, sil a besoin de moi. Et Maurice, comment va-t-il? Jai reçu une carte de Mimi Balmary me remerciant des bagues qui leur ont fait plaisir.
Cest une bonne idée que vous avez pour cette petite table de Muguette. Faites la faire chic et commode puisque tu dis que ça amuse beaucoup les enfants. Nous ne savons rien pour les permissions et rien ne dit quelles vont être rétablies par ici. Cest ennuyeux, car je serais un des premiers à partir au régiment, et jai bien hâte daller vous voir. Pauvre Cadi! Je le plains bien. Je lemmènerai si jarrive avant Jean!! (Je dis cela pour plaisanter car Jean marracherait bien les yeux)..................
5 mai
Moulainville. Nous devons être relevés ce soir, mais ne le sommes pas. Pourquoi? Le soir: travaux.
Aujourdhui devait être la fin de notre séjour à M. (Moulainville), mais lon vient de nous prévenir que nous nétions pas relevés et que nous devions y rester. Combien de temps? Je ne le sais. Ma foi, après tout, nous ne sommes pas plus mal quailleurs et continuons à ne pas nous ennuyer.
Jai reçu ta lettre n°58 et celle de Mad. à qui je répondrais un de ces jours. Madame Neveux ma également écrit une carte très aimable, mannonçant, chose que je sais déjà, lattente dun bébé pour fin septembre et me demandant dêtre le parrain. La marraine sera la belle soeur de Neveux, la soeur de Mme, cette jeune veuve de 22 ans dont jai fait la connaissance à Paris au retour de ma permission.
Je viens de voir dans les journaux, la grosse catastrophe qui vient davoir lieu à La Pallice. Lavez-vous entendue et vos vitres sont-elles cassées comme le dit le journal? Y a-t-il des victimes que nous connaissions.
Nous avons hier appris une mauvaise nouvelle: la mort dun de nos camarades, le lieutenant Bonnet, mort à lhôpital, des suites dune maladie contractée aux tranchées. Il nous avait quittés le 30 avril dernier. Il na pas fait long feu! le pauvre!
Pas dautres nouvelles du 18° C.A.. Schenck est bien au 57°? Si je peux le voir, je le ferai. Beau temps toujours, mon rhume va bien mieux. Rien de plus à te dire. Nous nous sommes fait photographier au milieu des ruines. Je tâcherai de ten faire parvenir..............
6 mai
Moulainville. Nous continuons à passer le plus gaiement notre temps au fond de notre cave. Journée relativement calme. Le soir: travaux.
7 mai
Toujours dans notre cave. Jusquà nouvel ordre, nous devons aller en 1° ligne demain soir, au lieu du repos! R.A.S.
Jai reçu ta lettre n°59 me donnant des détails sur la terrible explosion de La Pallice. En effet, daprès ce que tu me dis et daprès ce que jai lu dans les journaux, cest un accident épouvantable. Heureusement que nous ny connaissons personne. Plusieurs hommes du régiment ont de parents là-bas qui ont été tués ou blessés, entre autres ladjudant Richarme qui était sergent rengagé à La Rochelle, y a perdu son beau-père. Il a fallu que ce soit dune violence inouïe pour casser ainsi des vitres jusquà La Rochelle et lIle de Ré et casser des portes et fenêtres chez Mme Boutiron. La pauvre femme va encore être obligée de soccuper de réparations, elle que ces choses ennuyaient tant!
Quant à nous, nous sommes toujours au fond de notre cave, ne sachant plus quand nous allons être relevé pour sen aller au 1/2 repos dans un bivouac. Quest-ce qui se passe, nous nen savons rien. Toujours est-il que cela bombarde terriblement à notre gauche vers V. (Vaux) et D. (Douaumont). Le 123 y est parait-il et on nous a affirmé que dans un bataillon, il nest revenu que 4 officiers! Mais est-ce vrai? Est-ce un canard, nous ne savons au juste!
Je tenvoie la photo prise avant-hier qui te montre les habitants de la cave. Nous continuons tous à être très gais. Je joue au bridge comme un enragé. On ne reconnaîtrait certes pas un ennemi des cartes! Je comprends très bien que lon puisse sy passionner. Aujourdhui encore nous avons pris quelques vues, mais comme elles représentent des coins du village, je ne pourrai te les envoyer. Tu les verras à ma prochaine permission.
Au sujet de ta question sur laccomplissement de mon devoir pascal, je te répondrai que je nai absolument pas pu. Nous navons aucune facilité, dailleurs nous tenons les avant-postes depuis le 17 avril et le prêtre qui est au bataillon a dû rester dans les tranchées comme les autres et na rien pu faire. Je verrai quand nous serons au repos au bivouac et dès que possible, je le ferai. Que veux-tu? Lannée dernière jai pu, nous étions dans un village bombardé, cest vrai, mais nos prêtres-soldats ont fait le nécessaire. Ici la guerre est raison majeure et Dieu le comprendra.
Je pense que vous avez toujours de bonnes nouvelles de Jean C. et Jean T.. Roger et Maurice, que deviennent-ils. Parle men un peu.................
8 mai
Moulainville. Préparatifs de relève. Le soir nous allons prendre nos positions: la 24 au Manesel, sauf ma section qui va à la route à droite du P.C. Relève sans incidents. Le capitaine Chevillard blessé grièvement à la porte de notre abri.
Voici notre dernière journée dans la cave de M. (Moulainville), mais nous en partons, non pour aller au bivouac, mais bien en 1° ligne, derechef. Je ne comprends plus rien au mouvement des régiments dans la Division. En tout cas, nous ne sommes pas relevés, cest tout ce que je vois de plus clair. Sortant dune cave, je vais donc aller passer quelques jours sous une route. Quel drôle de métier.
Jai reçu une lettre de mon tailleur de Nancy mannonçant que mon uniforme est parti pour La Rochelle, le 2 mai. Il est probable que tu lauras avant cette lettre. Fais-en donc un paquet solide, je te prie, et envoie-le-moi le plus rapidement possible, car jen presse en ce moment. Ci-joint le papier de la gare qui test peut-être utile.
A part cela, rien de nouveau. Mon rhume est terminé, mais comme nous allons aux avant-postes, le temps se met à la pluie - naturellement...................
9 mai
Poste de la Route. Je suis là pour faire faire des abris, des niches et un poste de secours dans le talus de la route. Visite de tout le secteur avec le commandant Millet en plein jour. Je dîne avec le Dr Manahiloff qui partage ma solitude.
10 mai
Poste de la route. Continuation des travaux. Magniez est nommé sous-lieutenant et reste à la Compagnie. Quelle veine! Sandaran passe à la 22°. Desplan passe à la 21°. Vu Neveux que je garde à dîner avec moi.
Reçu ta lettre n°60. Rien de nouveau depuis avant-hier. Comme je te lai dit, je suis isolé sous une route avec ma section. Moral et physique excellent. Pas de bruits de relève! Canonnade continue un peu partout? Pas de mal au bataillon, mais un capitaine blessé au 5° (je viens de lapprendre et nai pas de détails).....................
11 mai
Poste de la route. Travaux. Les Boches bombardent la 23 avec des obus asphyxiants. Un blessé grièvement est soigné au Poste de Secours. Les 2 hommes qui étaient dans le même abri que lui, sont tués par asphyxie.
Je réponds aujourdhui à tes deux lettres 60 et 61. La dernière mannonçant la mort du pauvre Georges Dumas. Cest bien triste! un fils unique. Il était, je crois, un peu plus jeune que moi.
Alors Madeleine a encore voyagé! et toi aussi naturellement. Tu nen avais pas lair bien décidée mais je suis sûr quà lheure actuelle, cest une affaire entendue. En tout cas, je ty engage vivement.
Je viens dinterrompre ma lettre, car on vient damener au poste de secours qui est à proximité de ma section des blessés de la 23°. Le médecin et les infirmiers ont été obligés de prendre leurs masques tellement ils sentaient les gaz. En effet, les Boches viennent denvoyer sur cette pauvre Compagnie plusieurs rafales dobus suffocants. Il y a plusieurs morts et le bombardement continue. Sur mon poste - rien, que des éclats et une vague odeur déther, assez agréable de loin mais qui nous gênait rudement à V. (Vaux).
Les nouveaux masques que nous avons, sont, heureusement, absolument épatants et mis très rapidement. Où est notre Lorraine où lon ne connaissait pas ces violents bombardements et ces gaz?! Enfin, nous nous y sommes habitués, comme les autres.
Tu me parles des péniches sur la Meuse. Tu es en effet très bien renseignée.
Il parait que nous ne serons pas relevés et que lendroit où nous sommes est maintenant notre secteur définitif. Comme suprême consolation, les régiments iraient, à tour de rôle, se reposer pendant 4 ou 5 jours sur des péniches. Par beau temps, ce serait assez agréable quoique très rudimentaire comme installation. Le bruit courait cependant que nous nirions pas, car les Boches avaient découvert ce lieu de repos avec leurs avions, et avaient déjà coulé plusieurs de ces péniches avec des obus. Je ne sais ce que nous ferons.
Jai encore une fois interrompu cette malheureuse lettre, car les Boches tapent. Ces idiots-là étaient tranquilles jusquà présent. Ils se mettent à nous embêter. Bah! ce nest quune crise, car cest déjà fini.
Figure-toi, dis cela à Mad. cela lamusera, que jai moi aussi un chien depuis 4 jours. Cest un pauvre petit abandonné de M. (Moulainville). Je ne sais sil restera longtemps avec moi, cependant il me suit bien. Il est très joli, très propre, tout petit à poil long. Il est couleur « or » et a une petite frimousse de renard. Il est à côté de moi, en train de gober des mouches, car il na pas lair de les aimer, pas plus que les obus dailleurs.
Rhume fini. Moral et physique excellents. Je crois que Mr Chatelain va revenir bientôt ainsi que mon ordonnance. Notre aspirant vient dêtre nommé sous-lieutenant et reste à la compagnie. Nous serons donc 4 officiers. Ce sera rudement chic pour le service!
Excuse toujours mon écriture, mais je suis sous ma route, accroupi dans mon abri. Meilleurs baisers à toutes les trois et bon voyage pour Mad. Quelle mécrive et me donne son adresse.................
P.S. Par qui les Vast Vimeux sont-elles si bien renseignées et qui leur écrit au 323?
12 mai
Poste de la Route. Journée plus calme quhier. Nous travaillons toujours à nos abris. Patrouille de Marsac qui tue 2 Boches, ramène prisonniers: 1 officier et 1 Boche. Pluie continuelle.
Rien de nouveau depuis hier. Aujourdhui, la journée a été plus beaucoup calme que celle dhier.
Le beau temps continue et la campagne est superbe. Juste devant la porte de ma niche, il y a un buisson daubépine qui commence à fleurir. Cest de toute beauté.
Bonne santé toujours et moral excellent......................
13 mai
Poste de la Route. Nous sommes relevés par le 257 et allons à la Chiffour au repos sous une pluie battante (9 km). Le lieutenant Chatelain est revenu, nous sommes au grand complet.
14 mai
La Chiffour. Mauvais temps mais installation assez agréable. Visite du Commandant Gombeaud qui est très aimable avec moi. Il nous apprend les pertes du 123 qui sont fortes (1200 h., 36 officiers).
15 mai
La Chiffour. Repos. R.A.S.
Avant que le courrier parte, je nai le temps que de técrire une carte. A demain une longue lettre. Nous sommes dans les bois maintenant au 1/2 repos.
Vu, hier, le commandant Gombeaud qui va bien. Je te donnerai des détails sur le 123°. Bonne santé toujours............
Comme il y avait déjà quelques jours que je ne tavais pas écrit, pour te rassurer, je tai envoyé une carte rapidement écrite ce matin. Ce soir, je prends mon temps et técris une longue lettre pour te dire un peu ce que je deviens.
Nous ne sommes plus aux avant-postes depuis hier. Nous bivouaquons dans un bois superbe, mais malheureusement, nous avons un temps épouvantable depuis 3 jours. En particulier pour la relève, nous avons eu une pluie diluvienne et étions trempés jusquaux os. Quel dommage, ce serait si chic de se balader dans ces belles forêts remplies de fleurs.
Jai des nouvelles fraîches du 123 par le commandant Gombeaud qui, hier, est venu dans notre bivouac. Ce pauvre régiment, tout près de lendroit où nous avons été au début avril, a été décimé. Il a perdu 1200 hommes, c.a.d. la moitié de son effectif. Parmi ces pertes, 47 officiers dont 7 morts. Le commandant Gombeaud va très bien, toujours très gai, plein dentrain, peut-être même un peu trop. Il a rajeuni, je trouve, et a été très gentil pour moi, sinformant de vous tous, très aimablement.
Hier également, jai causé avec le capitaine Morache, nouvellement décoré de la Légion dhonneur. Il ma dit que le capitaine Petitbon venait de perdre un oeil et que lautre était en bien mauvais état. Pauvre vieux. Cétait bien la peine darriver si vite.
Jai reçu tes deux lettres n°62 et 63. Mme D. (Delon?), pour une fois, a été mal renseignée car, au moment où tu me las écrit nous nétions pas encore au bois. Jattends mon uniforme avec impatience et je te préviendrai dès que le colis me sera parvenu.
Comme tu le dis, jai accepté laimable demande de Mme Neveux. Je ne savais pas quon ne pouvait pas se marier entre compère et commère - je ne comprends même pas pourquoi - mais rassure-toi, je nai aucune idée matrimoniale vis à vis de cette jeune et jolie veuve. Monsieur Chatelain est revenu, de sorte que nous sommes maintenant au grand complet. Nous avons touché nos cantines et pouvons ainsi nous nettoyer à notre aise.
Alors, tu restes décidément à La Rochelle pendant labsence de Mad. Fais ce qui te plaît le plus, mais jaurais parié que tu aurais été à Quinsac. Tant mieux si la blessure de Gaillot nest que superficielle. Il pourra ainsi reprendre sa place rapidement. A-t-il son deuxième galon? Le capitaine Mörch est, avec son bataillon, aux fameuses péniches dont il a parlé lui-même. Je crois que dans 2 ou 3 jours nous irons les remplacer. Pourvu quil fasse un temps meilleur. Cest désolant, en cette saison, davoir un temps pareil.
Continue à me donner des nouvelles de tous les gens que nous connaissons, et en particulier du 123. Par Roger, tu vas peut-être avoir des tuyaux. Dis-lui de te nommer les camarades que je pouvais connaître.
Au revoir, chère Maman, porte-toi bien toujours et surtout ne tennuie pas toute seule à La Rochelle. Va-ten si tu sens le cafard venir. Je vous embrasse de tout mon coeur toutes les trois, si les deux voyageuses sont encore avec toi..........
16 mai
La Chiffour. Le soir distribution des Croix de Guerre du Bataillon. Temps superbe.
17 mai
La Chiffour. Le 5° Bataillon vient prendre notre place et nous allons le remplacer aux péniches. Marche assez pénible à cause de la chaleur. Installation épatante dans les cabines. Greffard est revenu à la Compagnie.
Tout va bien. Rien à signaler. Técrirai longuement demain. Installé à lendroit dont a parlé le capitaine M. (Morache)
18 mai
Péniches. Repos complet. Je fais du canot avec Fouché toute la journée. Charmant séjour.
Nous voici donc depuis hier soir dans ce lieu de délices que lon nous a fait entrevoir depuis si longtemps c.a.d. les péniches sur la Meuse. Le fait est que nous sommes rudement bien et voilà bientôt 3 mois que nous navions pas eu un luxe pareil. Les hommes sont très bien installés, proprement et largement. Quant aux officiers, nous habitons les cabines qui sont dun luxe presque égal aux cabines de 1° classe dun paquebot.
Nous avons un temps magnifique, presque trop chaud, nous nentendons le canon que comme un grondement sourd et lointain. Malheureusement, nous ne sommes là que pour trois jours et lorsque tu liras cette lettre, nous serons retournés dans nos bois et sous les marmites!
Ce matin, à mon réveil, jai fait une partie de canot avec Fouché, nous avons ramé jusquau déjeuner et avons les mains en sang. Cette nuit, au clair de lune, nous recommencerons. Les poilus lavent leur linge, se lavent et pêchent. Mais cest une pêche de guerre. On tue les carpes et les brochets à coups de grenades apportées à cet effet des tranchées de 1° ligne.
Quelle chaleur, nous avons; heureusement que, dans la vallée de la Meuse, il y a un courant dair qui nous fait grand bien. A propos de la chaleur, je texpédierai, quand je le pourrai, un gros colis de lainages et je te serai reconnaissant de menvoyer:
1°) des chaussettes légères.
2°) des caleçons coupés.
3°) des chemises dété.
4°) 2 cravates de chasse que je dois avoir dans mes affaires.
Je nai pas reçu mon costume et je lattends impatiemment.
Pas de nouvelles de relève jusquà présent. Nous allons changer de secteur et allons prendre à gauche de M. (Moulainville) où nous étions, entre les villages de E. (Eix) et de D....p (Damloup). Le secteur est moins bon que celui que nous quittons, mais moins mauvais cependant que V. (Vaux).
Greffard, mon ordonnance, est revenue après avoir passé 8 jours chez lui, en Vendée. Quel veinard. Que ne puis-je avoir moi aussi un accès de fièvre comme lui! Cest le seul moyen davoir une permission car on nen parle pas du tout par ici et rien ne fait prévoir quelles reprennent de sitôt.
Nenvoie pas dargent au tailleur, je lui ai envoyé le montant de ce que je lui devais et il men a accusé réception. Je suis en règle avec tout le monde et ne dois pas un sou à personne. Jai tes principes à ce sujet et men trouve très bien. Hier, le courrier ma apporté une carte de Jean C. qui mène, dit-il, la vie calme dun vieux territorial. Tant mieux. Inquiétudes de moins pour vous.
Je viens dapprendre la mort de 3 ou 4 copains, blessés à V. (Vaux) ou depuis et qui navaient pourtant que de biens petites blessures. Ces obus asphyxiants sont vraiment mauvais et empoisonnent les blessures! Sauvages!
Merci de ta lettre 64. Cest à elle que je répondais aujourdhui. Je te quitte car une grenade vient de procurer à notre popote une pièce de choix..............
P.S. Je voudrais bien avoir ladresse de Mad. Envoie-la moi, je te prie.
19 mai
Péniches. Même emploi du temps. Le soir, suis prévenu que, au lieu daller à La Madeleine, je vais suivre un cours dans la Haute-Marne. Hip, hip, hurrah! Je pars demain matin.
20 mai
Départ des péniches à 5 h. Voyage en auto jusquà Bar-le-Duc, en chemin de fer jusquà St-Dizier. Coucher à St-Dizier. Jai avec moi Greffard et ma cantine.
Jai quitté le régiment pour une quinzaine de jours et vais suivre un cours dans la Haute-Marne. Te donnerai des tuyaux plus tard....................
21 mai
Départ de St-Dizier à 9 h. Jy ai acheté un costume léger car la chaleur est accablante. Arrivée à Ancerville-Gué. A pied jusquà Cousances-aux-Forges. Déjeuner à la table du colonel Desthieux. Installation épatante à Chamouilley.
Cest vraiment du Paradis lui-même que je técris! Figure-toi que je suis désigné pour suivre un cours de grenadier (10 jours) dans la Haute-Marne! c.a.d. dans un pays où lon entend pas plus le canon quà La Rochelle.
Jai fait un voyage naturellement mouvementé étant donnés la difficulté de voyager quand il ny a de chemins de fer quà Bar-le-Duc, et mouvement inouï sur les routes de terre et de fer! Je suis donc arrivé, un peu en avance, à Cousances-aux-Forges où se trouve le cours, reçu et invité par le Général, directeur des différents cours de la région, à déjeuner, car jétais seul; puis conduite en auto à « Chamouilley », petit ou du moins grand village aux environs, où je loge et mange. Jai une chambre superbe chez le receveur des Contributions Indirectes!!!!!!!!!
Jai avec moi mon ordonnance (Greffard) et ma cantine, enfin je suis aux anges! Les jeunes filles sont ici nombreuses, jolies, gaies et très affables!!! ce qui, pour un habitant de Moulainville, des péniches ou du Tunnel de Tavannes, est à considérer.
Je suis au mieux avec le garde-champêtre qui a cru voir en moi un fils dun de ses chefs et qui de ce fait ma soigné comme cantonnement. Voyant son erreur mais ma tête sympathique! Il ma accordé tout de même son amitié!! Jen suis flatté!!!!!
Malheureusement, je ne reçois pas mon courrier. Aussi pour avoir de tes nouvelles, écris-moi comme à un civil sans mettre mon grade à ladresse ci-dessous, pendant 3 jours de suite (si tu écrivais plus longtemps, je calcule que je serais parti).
Monsieur Georges Triaudchez Monsieur Jules Guillemin
Receveur des Contributions Indirectes
Chamouilley (Haute-Marne)
Sur ce, sois sans inquiétude pour moi, je suis rudement bien........................
22 mai
Première journée de cours. Des autos nous conduisent au terrain 4 fois par jour. Pays superbe. Cours intéressants et amusants. Vie agréables à tous les points de vue.
23 mai
Chamouilley. Cours. Amusements. Chahut. Bombe. etc... etc...
Quel rêve, et quelle vie douce et agréable je mène depuis dimanche, je crois rêver!! Un excellent lit, une table de rois, un pays de toute beauté (on prendrait le bois pour des jardins dun grand château, tellement il y a de petits cours deau, de ponts, etc... etc...)
Le cours de grenadiers se passe aux environs dun grand village, Cousances-aux-Forges et jhabite un autre village distant de 10 km du 1° environ. Ceci fait, car nous sommes beaucoup dofficiers. Des automobiles nous transportent 4 fois par jour au terrain dexercice et retour.
Là, par exemple, ce nest que du sport pendant 8 heures par jour. Aujourdhui, 3° jour du cours, nous sommes tous courbaturés. Ce que nous faisons consiste à faire de la gymnastique et une quantité de jeux olympiques destinés à nous entraîner au lancement de la grenade. Les Anglais, gens pratiques, en ont fait un véritable sport et nous les imitons en installant des cours analogues aux leurs.
A partir de 6 h. du soir nous sommes libres jusquau lendemain 5 h. du matin, et comme il y a un parc dautos à côté du village, nous allons à Bar ou St-Dizier dans les limousines des généraux!!!
Le village où je suis (Chamouilley) est arrosé par la Marne et traversé également par le canal de la Marne à la Saône, cest te dire quil y a de leau, des bois, de la verdure, de lombre! Un temps radieux depuis le début. Ce sont 10 jours de congé que je passe ici.
Le 9° bataillon du 91° cantonne ici et ce sont des cuisiniers du 91 qui nous servent. Ce sont des bleuets de la classe 16 qui ne connaissent naturellement pas Jean C.
Tu penses si cette vie plutôt active et sportive me fait du bien en sortant de mes 3 mois de Verdun. Au revoir, chère Maman, donne-moi des nouvelles de Mad. à qui dailleurs il faut que jécrive. Ne mécris plus ici à partir du 26, recommence à mécrire au S.P. 136.............
24 mai
Chamouilley. R.A.S.
25 mai
(Geneviève )
Chamouilley. R.A.S. Daprès les journaux, les camarades ne doivent pas samuser à 304, Cumières (le Mort-Homme), Douaumont.
26 mai
Chamouilley. R.A.S.
27 mai
Chamouilley. R.A.S. Pêche à la grenade.
Tu vois que jai bien fait de tenvoyer mon adresse et de timbrer mes lettres, car la correspondance va beaucoup plus vite. Jai reçu hier 26 ta lettre n°70 qui a mis 2 jours.
Rien de nouveau ici, tout va bien et malgré la vie sportive que je mène, je me repose. Je vois dans les journaux que les camarades ne doivent pas beaucoup samuser, car on a lair de sagiter encore fortement du coté de Verdun. Pourvu que je les retrouve encore tous au complet!
Jespère que tu ne tennuies pas trop toute seule. Ici, cest une vie très gaie que jai et je vois avec ennui la fin du cours arriver à grands pas.
Jaurais été bien heureux de te voir, je ny ai pas du tout pensé, car jaurais pu toffrir ce voyage. Excuse-moi, ce sera pour une autre fois..............
28 mai
Chamouilley. R.A.S.
Merci de ta lettre n°71, reçue hier soir. Elle est datée du 26 et je lai reçue le 27, cest épatant. Ici, même vie, toujours agréable.
Chère Maman, soit contente, jai communié ce matin, mais je tassure que cela na pas été chose simple. Enfin je pense que je nai pas été trop en retard pour mes Pâques, et puis, je ne pouvais le faire plus tôt pour raison majeure.
Rassure toi pour ces grenades. Je sais bien les manier et suis prudent. Il ny a dailleurs eu quun officier légèrement blessé depuis le commencement du cours, sur plus de 100 que nous sommes. Tu vois quil ny a pas trop daccidents. Je suis plus en sûreté ici que sur le front!!
Je suis bien content de ce que ta dit Madame Delon. Espérons que ce sera vrai et que dici peu de temps jirai te voir à La Rochelle. Quel bonheur, après cette mauvaise période. Ah! Roger continue à faire sa guerre dans louest! Pourvu que les Allemands ne lui fassent pas trop de mal, le pauvre petit. Heureusement quil va sincruster dans les Landes pour plusieurs mois!!!!!!! Je deviens méchant! hein! Mais que veux-tu, quand je vois la bombe qui se fait à lintérieur, même dans des patelins pas très loin du front comme Chamouilley, pendant que les pauvres imbéciles se font casser la g....., ça me fait bondir!
Je vais tenvoyer, demain ou après-demain, un colis de lainages, et ma montre. Tu me renverras ces lainages au commencement des froids, pour ma 3° campagne dhiver! Quel métier.
Au revoir, ma chère Maman, je te quitte car je vais faire une petite promenade dans ce superbe pays. Le temps sest mis au beau et il fait un temps très agréable..............
29 mai
Chamouilley. R.A.S. Réception à notre table du capitaine Reix (68°), notre instituteur.
30 mai
Chamouilley. R.A.S.
31 mai
Chamouilley. Le cours est terminé et nous partons demain à notre grand regret.
Je nai pas reçu de lettre de toi depuis le n°71 du 26 mai. Comme tu men avais annoncé trois et que je nen ai reçu que deux. Jattendais toujours à tous les courriers. Jespère que rien de malheureux nest arrivé.
Ici tout va bien, le cours est terminé et nous repartons demain en auto pour les 1° lignes. Un bruit courait dernièrement que ma division était relevée, mais je nai reçu aucun avis, ni aucune confirmation. Je ne técrirai plus maintenant quune fois arrivé à ma compagnie. Je souhaite la trouver en bon état.
Hier, jai mis à la gare un colis de lainages, et avant-hier à la poste, un petit paquet contenant ma montre. Tu seras bien bonne de maccuser réception de tout cela pour ma tranquillité.
Ces 10 jours de sport mont fait grand bien au physique, et cette détente, grand bien au moral. Je suis très dispos pour retourner aux tranchées. Attendons maintenant le plus patiemment possible, et la relève, et la permission qui ne peut tarder, du moins je suppose.
Jai pris mes précautions maintenant, de sorte que tu nas plus besoin de menvoyer ni tabac, ni papier à lettres dans tes lettres. Je pense pouvoir tenvoyer un mandat dans les premiers jours de Juin, je voulais le faire à la fin de ce mois, mais cette villégiature ma fait dépenser plus que dhabitude. (A ce propos, jai acheté un costume dété en coutre, lavable et assez chic. Je lai payé 35 frs, ce qui nest pas exorbitant)
Jespère que tu as de bonnes nouvelles de Mad., ainsi que de son mari. Je compte dailleurs avoir de nombreuses lettres dun peu partout, à mon arrivée au corps. Sur ce, chère Maman, je vais te quitter pour aller me mettre à table et faire le dernier repas à Chamouilley. Avant de nous séparer, nous voulons faire une petite noce et nous soigner.
Jai oublié de te dire que lautre jour nous avons invité le Capitaine instructeur à notre table. Je tenvoie ci-inclus le menu qui cependant na rien dextraordinaire..........
Hors doeuvre
Sardines Beurre
Asperges vinaigrette
Poulet marengos
Pommes de terre nouvelles
Rôti de veau
Salade
Crème renversée
Brioches
Desserts
Café. Cognac
1 juin
Départ de Chamouilley à 6 h. Nous passons à Cousances où les autos viennent nous prendre. Déjeuner à Bar-le-Duc. A 1 h. de laprès-midi, des avions lancent des bombes sur la ville. Panique. Arrivée à Ancemont à 4 h. Arrivée à Belrupt à 8 h. Parti avec la cuisine roulante, nous passons par le Tillat très bombardé et jarrive aux tranchées à minuit passé.
Je suis de retour au régiment. Tout va bien, sauf un incident à B.l.D. (Bar-le-Duc) que tu verras dans les journaux. Vais aux tranchées dans une 1/2 heure, mais irai tembrasser très prochainement!!
En attendant, je tembrasse de tout coeur...............
2 juin
Retrouvé les camarades dans les tranchées, sur la route Verdun-Etain. Le secteur est très mouvementé surtout à notre gauche. Beaucoup de gaz. On ne peut sortir sans le masque. Jai eu 2 blessés à ma section pendant mon absence. Dans la journée, alerte, les Boches ont pris Damloup et marchent sur la ferme de Décourt (1 km de nous). Lartillerie les arrête. Reste de la journée sans incidents.
Me voici donc aux tranchées de 1° ligne, comme je te lai dit, un peu plus à gauche quavant, et je tassure que le secteur est loin de valoir lancien et dêtre aussi calme quavant mon départ. Quelle agitation surtout à notre gauche (3 km) au village de D. (Damloup). Enfin à la grâce de Dieu!
Jai trouvé hier en arrivant une grande quantité de lettres, dont plusieurs de toi: les n°66, 67, 68 et 72. Merci de mavoir écrit si souvent. Je vais y répondre, mais avant je vais te dire ce qui mest arrivé hier pendant mon déjeuner à B. l. D. (Bar-le-Duc). Les Boches ont envoyé 4 avions sur la ville, et ceux-ci ont lâché plusieurs bombes. Si tu avais vu la panique produite dans lhôtel et dans les rues. Cétait un spectacle triste, émouvant, mais pour un type du front presque comique.
Les petites femmes viennent se serrer contre les officiers, croyant, les pauvres, quelles sont plus en sécurité. Que peut-on y faire? Rien, il ny a quà espérer que les bombes tombent à coté. Cest ce qui mest arrivé quoique lune delle soit tombée à environ 25 mètres de nous. Ah! les embusqués avec leurs brisques et leurs dorures pleins les bras. Je tassure quils ne crânaient plus!!! Je suis parti aussitôt après car les autos étaient pressées, de sorte que je ne sais pas sil y a eu beaucoup de victimes. Je verrai cela dans les journaux.
Aujourdhui, nous recevons beaucoup plus dobus, et il ny a pas de panique. Jai eu 2 blessés encore à ma section pendant mon absence et 2 évacués, mon effectif diminue toujours. Cest désolant.
Je crois que la relève de la division nest pas éloignée maintenant, de même que ma permission. Jaurai donc le plaisir daller tembrasser dici peu. Mais verrai-je Madeleine?
Merci des nouvelles que tu me donnes dun peu tout le monde. Jai eu des nouvelles directes de Quinsac et de Ruelle. Tu me parles de Daniel Bernard. Est-il sous-lieutenant? Je me rappelle plus de ce que tu mas écrit à son sujet.
Reçu des nouvelles de Jean Chagnaud qui est retourné à son secteur de février-mars! Madeleine ma également envoyé 2 cartes postales. En somme la correspondance a bien marché sauf le n°69 que je nai pas reçu. Jallais oublier de te dire que jai trouvé, à mon arrivée, le gros colis contenant mon costume en très bon état, et les excellents bonbons. Merci beaucoup. Il ne me reste plus quà recevoir le linge dété.
Au revoir, chère Maman, et à bientôt jespère. Je tenverrai une dépêche de Paris, comme la dernière fois, mais ne timpatiente pas, je ne sais pas encore exactement la date de mon départ............
P.S. Javais reçu 70 et 71 à Chamouilley. Il ne reste donc que 69.
3 juin
Pendant la nuit canonnade inouïe sur Vaux et Damloup. Les Boches sont dans les fossés du fort, et malgré le tir inouï de notre artillerie, ne se cachent pas. Nous les voyons très bien dans Damloup. Assez calme dans notre secteur. Temps épouvantable.
Hier, Greffard, un peu troublé par le marmitage assez intense a complètement oublié de donner aux cuisiniers ma lettre du 2, par conséquent tu devras recevoir en même temps que celle-ci. Rien de nouveau, si ce nest des attaques Boches assez sérieuses, et surtout beaucoup de marmites, mais jai un excellent abri, je mempresse de te le dire.
Merci des nouvelles de G. Schenck. Quant à Edouard Mörch, je sais quil est aspirant au 323, et à la compagnie de son cousin, mais je ne lai pas encore aperçu. Avec son nom, il ne tardera probablement pas à passer sous-lieutenant.
Le bruit court (cest mon commandant de compagnie qui vient de me le dire) que les permissions sont de nouveau supprimées, étant donné ce qui se passe par ici. Cest dommage car jétais le premier à partir et certainement, sans mon cours, je serais à La Rochelle à lheure actuelle.
Je te quitte car on mappelle ailleurs..................
4 juin
Tranchées Mars-la-Tour. Combats acharnés à Vaux et Damloup. Cela ne métonnerait pas que le fort soit aux mains des Boches mais nous ne savons rien de précis et nous tenons sur nos gardes.
Je suppose que les journaux parlent un peu de ce qui se passe ici, je dis, je suppose, car nous nen voyons pas. Ma parole dans cette bataille de V. (Verdun), plus cela va, plus cela devient terrible. Ma compagnie a une position doù elle voit merveilleusement de tout cotés et très bien. Te dire ce que je vois, cest au-delà de toute imagination. Daprès ce que nous voyons, cela na pas lair daller pour nous car nous voyons des Boches dans le fort de V. (Vaux) et dans le village de D. (Douaumont) dont nous sommes tout près, mais comme nous navons aucune confirmation, je ne sais que penser.
Les Boches sont terribles et incroyables de ténacité. Ils attaquent continuellement et lorsque nous voyons une de leur vague complètement abîmée, une autre sort et ainsi de suite. Il faut voir nos tirs de barrage et leurs tirs de préparation. Je nai pas de mots pour te dire ma façon de penser.
Je mempresse de te dire quavec notre veine légendaire, ils nont pas attaqué notre secteur, mais immédiatement à notre gauche. Inutile de te dire que nous nous tenons sur nos gardes, et que le marmitage est soigné! Mais je finis par en dire trop long. Ce que je vois est tellement intéressant, mais aussi combien écoeurant.
Ne mattends pas tout de suite en permission comme je te lavais dit précédemment. Dabord elles sont suspendues pour le moment et puis le commandant vient de me dire quil faisait passer 3 autres officiers avant moi car je venais davoir 10 jours de repos Cest un peu vrai et je mincline. Je compte y aller cependant fin juin (tout dépend de la longueur de la suspension).
Jespère que tu as de bonnes nouvelles de toute la famille. Comment va Madame Boutiron?.....................
5 juin
Mars-la-Tour. Mêmes combats à notre gauche. Beaucoup dartillerie sur nous. Le 416° va venir nous relever et la division sen va parait-il au grand repos. Ce nest pas trop tôt.
Jai reçu ta lettre n°74. Noublie pas de maccuser réception de toutes mes lettres, car je peux croire quil sen perd. Il est vrai que par les numéros, tu peux le voir mieux que moi.
Demain, nous sommes relevés. Ce nest pas trop tôt pour les camarades qui sont aux tranchées depuis plus de 10 jours et cela barde. Daprès les tuyaux, cest la relève sérieuse de toute la division, mais est-ce vrai?!
Je tai dit et je te confirme que je suis le 3° et 4° à aller en permission, de sorte que dès que celles-ci seront rétablies au régiment, je ne serai pas long à aller tembrasser. Sans ce cours, jy serais en ce moment, peut-être même sur le point de partir. Il ne faut donc pas se désoler. Jaime à croire que, au repos, elles seront rétablies promptement.
Ici, rien de nouveau, pas trop de grabuge au régiment protégé, mais quelle bataille encore par ici! Tu dois le voir dans les journaux! Je te quitte en tembrassant bien affectueusement. Ne tennuie pas trop toute seule. Mad. va sans doute bientôt revenir......................
6 juin
Tranchées. Le lieutenant Laferrière est nommé Capitaine. Voisin et Marsas à 2 galons. Lestrade nommé sous-lieutenant. Nous attendons la relève pour demain soir.
Encore rien de cassé pour aujourdhui. La relève qui devait avoir lieu ce soir, est remise à demain, mais je crois de plus en plus que cest la grande relève. Tu nauras pas de lettre demain, car notre cuisine ne viendra pas et quil ny a, de ce fait, pas de courrier.
La bataille continue par ici, acharnée et de plus belle. Quel carnage!! et ce fort de V.... (Vaux) fait périr bien des hommes. Quelles misères voient ceux qui sont à 1 km à notre gauche. Pendant ce temps nous autres sommes presque tranquilles!!
Hier, reçu une lettre de Mad. qui me dit de la prévenir quand jirai en permission. Chic! je la verrai donc. Je nai pas le temps de técrire plus longtemps.....................
7 juin
Combats aussi furieux à notre gauche. Nous avons la chance de ne pas être attaqués par ici. Le 416 vient, mais est tout mouillé, étant passé par le boyau complètement inondé. Nous partons à notre tour sous les tirs de barrage et la pluie.
8 juin
Relève épouvantable par le tir et le temps. Nous arrivons à Belrupt trempés jusquaux os et crottés jusquaux épaules. Belrupt à Diene. (Mörch). Embarquement en auto à Diene à 2 h. Traversé Bar-le-Duc par un orage épouvantable et arrivé à Guerpont à 7 h. du soir. Gentil petit village.
9 juin
Guerpont. Grand repos. Mr Chatelain est rappelé par son administration des Contributions Directes et nous quitte définitivement. Mr Strohl prend le commandement de la 24°. Me promène beaucoup avec Mörch.
Je te demande pardon de ne pas tavoir écrit depuis 3 jours et pendant une mauvaise période mais je nai pas eu le temps.
Dabord, que je te rassure, nous sommes au grand repos à quelques kilomètres de B. l. D. (Bar-le-Duc) où nous nentendons plus le canon. Malheureusement nous sommes dans un petit village trop petit pour contenir tout le régiment, et je nai pas de chambre (seul les capitaines en ont). Par contre, chic popote et nous mangeons bien. Je peux te dire, maintenant que cest passé que le 323 était depuis le 1 juin dans un secteur comparable au précédent près de V. (Vaux) dont dailleurs nous étions très rapprochés. Nous avons eu quelques pertes, mais pas dune façon exagérée. La relève a été très pénible car il y a un marmitage insensé et au-delà de toute imagination, de part et dautre.
Jai vu Edouard Mörch, très gentil camarade. Tu peux dire à sa mère que nous nous voyons beaucoup, car il est à mon bataillon (22° compagnie).
Jai reçu un colis de linge dété. Merci. Egalement tes lettres n°75, 76, 77 me sont parvenues et je ten remercie beaucoup. Les permissionnaires vont partir et cela avance mon tour. Je compte être chez toi din une quinzaine de jours au plus tard.
Quel joli pays par ici, mais les gens sont moins aimables quà Chamouilley.
Tu as vu dans les journaux que le pauvre fort de V. est tombé. Cela ne métonne pas, si tu voyais comme les Boches lentouraient et de près. Jen aurai des choses intéressantes et des détails à vous raconter! Que de bonnes soirées en perspective pendant cette permission.
Nous ne savons pas si, après ce repos, nous remonterons à Verdun ou si nous irons sur un autre point du front? Je te quitte, car les camarades mappellent, jaurais pourtant bien des choses à te dire. Enfin dans 15 jours!............
10 juin
Guerpont. Grand repos. Je navais pas de lit, mais vais prendre celui de Mr Chatelain.
11 juin
Guerpont. Grand repos. Départ de Mr Chatelain. Nous sommes plusieurs à laccompagner. Quel veinard. Quant à moi, je passe à la 22° compagnie et prends la 1° section.
Toujours au repos dans le même village, mais jai maintenant une chambre car il se passe de grands changements au Bataillon, ce qui donne un peu davancement. Voici:
Je passe sous-lieutenant en 1° à la 22° compagnie où jétais comme sous-lieutenant en 3° à ma nomination. Je suis sous les ordres de Mr Laferrière, nommé capitaine et le 2° lieutenant est mon ancien sergent-major de la 24°: Mr Sandaran. Jai sous mes ordres et dans mon peloton laspirant Mörch qui est enchanté, tu penses que je suis content moi aussi, bien quil nait pas beaucoup lesprit militaire et quon mait chargé de le dresser un peu.
Ces changements viennent de ce que Mr Chatelain et un autre Commandant de Compagnie sont rappelés à leur administration civile (Contributions Directes) pour limpôt. Cela a fait des nominations et cet avancement pour moi. Je trouve que je nai pas moisi comme lieutenant en 3° et en second. Jespère être à la hauteur de ma tâche. En tout cas, je ferai mon possible.
Reçu ta lettre n°78 et ton colis contenant du linge, de lalcool de menthe et un col (chic idée, car il nest pas commode de se faire repasser les cols ici). Merci. Je suis bien monté maintenant.
Quant à ma permission, au milieu de tout cela, elle arrivera quand Sandaran qui vient de partir, rentrera, c.a.d. une dizaine de jours, je pense.
Très bonne idée: Chatelaillon!!
Je te quitte, car jai un déménagement à faire dans ma chambre. Tu peux dire à Madame Mörch que ces jours-ci je couchais dans la paille, à coté de son fils. Nous nétions pas trop mal..................
12 juin
Guerpont. Toujours au repos. Ce serait charmant sans le mauvais temps continuel. Le Commandant me charge de léquipe des grenadiers du bataillon et me charge aussi de faire une conférence sur les grenadiers, un de ces jours!
13 juin
Guerpont. Suis fiévreux et mal fichu. Journée de repos, mais sale temps.
Je reçois à linstant ta lettre n°79. Nous sommes toujours à ce même village de repos et maintenant que jai une chambre, je suis comme un roi. Mad. ma écrit également une carte me disant quelle rentrait à La Rochelle. Jen suis content car ainsi je la verrai en permission. Très vraisemblablement je partirai dici le 21 et arriverai vers le 23 chez toi. Jenverrai une dépêche de Paris où je marrêterai, ayant plusieurs choses à acheter.
Je suis un peu fiévreux aujourdhui, aussi ai-je gardé la chambre, mais ce nest rien. Mörch va toujours bien, mais quel diable. Jaurai du mal à en faire un soldat!!!!..................
14 juin
Je suis vraiment malade et le docteur Manahiloff me soigne très gentiment. Ce sera une grippe.
15 juin
Guerpont. Vais beaucoup mieux, mais garde cependant la chambre. Aline et Jeannette.
Jespère que ma dernière carte ne ta pas inquiétée. Jai eu, le lendemain, un fort accès de fièvre, et un petit rhume. Le tout est devenu une grippe qui va guérir et qui ne mempêchera pas daller tembrasser très prochainement maintenant.
Comme officier, on est très bien soigné et jai gardé la chambre depuis 3 jours, ce qui ma retapé presque tout de suite. Ces messieurs mont fait la blague de faire venir dans ma chambre, à la fois, les 5 médecins du régiment, même le médecin-chef, pour voir la tête que je ferai. Nous sommes très gais comme tu le vois.
Jespère quil fera un temps meilleur quand je serai à La Rochelle car pour le moment, nous avons de la pluie tous les jours.
Jai reçu une lettre de Jean C. qui va bien. Malheureusement, cette fois-ci, nous ne pourrons pas avoir notre permission ensemble. Au revoir, chère Maman, Mad. doit être avec toi, embrasse-la ainsi que le Muguet de ma part..............
P.S. Mörch va toujours très bien et tenvoie ses hommages.
16 juin
Guerpont. Exercice, mais je ny vais pas encore. Le temps se met au beau et le séjour devient agréable.
17 juin
Guerpont. Exercice. La 24° est dissoute et passe compagnie de dépôt du Bataillon à 3 Compagnies. Fouché passe comme moi à la 22°. Je fais ma conférence sur les grenades et ne men tire pas trop mal.
18 juin
Guerpont. Repos complet et promenades. Je vais partir sous peu en permission. Joie!
Je mempresse de te dire que mon indisposition est maintenant complètement passée. Je nai plus quun rhume qui guérira vite, surtout en cette saison.
Un gros chambardement nous arrive; le 323 est dissous; le 5° Bataillon passe au 206 et nous au 234! Je naurai donc plus le colonel D. (Desthieux). Cest désolant, mais le plus ennuyeux, cest que je ne sais pas ce qui va advenir de ma permission. Enfin, ayons bon espoir.
Toujours au repos dans le même petit village où nous sommes très bien....................
19 juin
Matin: Exercice. Soir: Promenade à Ligny-en-Barrois où je fais des achats (bottes). Le 323° est dissous. Le 5° Bataillon passe au 206 et la 6° au 234°. Nous sommes tous désolés!! Blessure du capitaine Ney à lexercice.
20 juin
Exercice. Le soir, on nous prévient que le régiment va sen aller le 22 au bois dAvocourt et des officiers vont reconnaître les tranchées, en auto. Jen profite, ma perm. signée, pour men aller en vitesse avec le sous-lieutenant Maillet. Guerpont à Bar-le-Duc à pied, en pleine nuit.
21 juin
Journée de voyage et après-midi à Paris. Achats et courses diverses avec Mimi. Vu la famille Leddet.
22 juin
Arrivée à La Rochelle. On est venu me chercher à la gare. Tante Marie-Louise et Loulou vont arriver aussi. Cest charmant. Suis très joyeux naturellement.
23 juin
Permission à La Rochelle.
24 juin
Permission à La Rochelle Arrivée du drapeau du 323 avec Voisin. Visite de Voisin et le capitaine Dutilh.
25 juin
Permission à La Rochelle. Jean d. S. obtient une permission pour venir me voir.
26 juin
Permission à La Rochelle.
27 juin
Permission à La Rochelle.
28 juin
Permission à La Rochelle
29 juin
Le soir, départ légèrement triste, étant donné le lieu où je vais, passablement agité pendant ma permission
30 juin
Paris. Bar-le-Duc. Revigny où nous couchons au poste de secours, grâce à la présence des docteurs Ferron et Lapeyronie avec qui jai voyagé.
1 juillet
Revigny. Fleury-sur-Aire où japprends: commandant Millet: mort, capitaine Laferrière: blessé. capitaine Martin: blessé, Fouché: blessé, etc... Le bataillon a trinqué dur. Je couche à Bois-le-Comte (avec lofficier de détails du 234 (Doucet). Le Bataillon est commandé par lieutenant Vérit.
Je suis entre B. l. D. (Bar-le-Duc) et les avant-postes et près de la 2° ligne. Japprends daffreuses nouvelles: commandant Millet: tué, capitaine Laferrière (le mien): tué, le capitaine Martin: grièvement blessé, beaucoup dofficiers tués ou blessés et encore plus dhommes. Le régiment est relevé et je vais le trouver dici une heure, je te donnerai des détails.
Le canon gronde effroyablement et ce que ça doit chauffer là-haut!
Comment vais-je retrouver le bataillon et ma compagnie; et dire que je ny étais pas. Jen suis honteux et ne sais comment je vais me présenter aux camarades. A bientôt de mes nouvelles. Ne ten fais pas trop et espérons en Dieu.
Ton fils qui taime beaucoup et tembrasse ainsi que Tante Marie-Louise.
2 juillet
Vais avec le ravitaillement et rejoint ma compagnie dont je prends le commandement. Nous sommes au camp de Verrières, peu marmité. Un cycliste de Jean mannonce larrivée de Jean pour le lendemain. Quelle veine.
Je recommence les numéros, car je ne sais plus où jen suis (lettre n°1 envoyée avec un point dinterrogation!).
Jai retrouvé mon nouveau régiment et mon ancien bataillon en 2° ligne et comme je te lai dit, assez éprouvé. Le commandant Millet est tué (coupé en deux par une torpille). Le capitaine Laferrière, si grièvement blessé quon le dit mort (bruit qui nest pas confirmé). Le capitaine Martin a une jambe cassée. Le régiment a soutenu victorieusement une attaque allemande et sest battu au couteau et à larme blanche.
Nous sommes bien au réduit dA. (Avocourt) près de Jean dont jai eu des nouvelles hier par un de ses hommes. Il est à 10 km en arrière et ne risque rien pour le moment.
Quant à moi, je commande la Compagnie puisque le plus ancien. On ne parle pas de menlever ce commandement. Dans un secteur comme celui-ci, cest une bien grosse responsabilité, je tassure. Le Bataillon est commandé par un jeune lieutenant qui lui aussi est effrayé de cette responsabilité, mais qui est le plus ancien de nous tous et qui fera, comme moi, son devoir.
Quelle différence avec La Rochelle si calme! Nous allons remonter aux 1° lignes dans 3 jours.Prie pour nous tous.
Fouché, légèrement blessé est évacué. Je nai plus comme chef de section quun tout jeune sous-lieutenant, un adjudant et Mörch qui, dailleurs a eu une jolie conduite et que je vais tâcher de faire citer (nen parle pas encore chez lui).
Le voyage sest bien effectué, mais fatiguant par suite de la chaleur et des mille difficultés que lon rencontre. Mimi est en très bonne santé, ses enfants aussi. Ils te remercient tous de tes langoustines et doivent técrire.
Au revoir, chère Maman, bonne santé et tâche de te guérir. Ne te fais pas trop de mauvais sang pour moi. Excuse mon écriture, mais je ne suis pas dans un bureau!!..................
3 juillet
Verrières. Arrivée de Jean qui déjeune avec nous. Toujours le même, plein dentrain. Il me quitte à 4 h. du soir. Occupations diverses. Temps horrible, boue épouvantable. Orn tué à la compagnie par un accident de grenade. Lieutenant Lestrade blessé à loeil.
Jai eu, ce matin, le grand bonheur de voir arriver Jean à notre bivouac. Nous avons déjeuné ensemble sous une pluie battante et avec un confortable très douteux. Inutile de te dire que nous étions bien heureux malgré tout. Tous les deux dailleurs, nous allons très bien et sommes gais.
Je te quitte pour laisser un peu de place sur cette carte où Jean veut técrire quelques mots..............
« Ma chère maman,
Retrouvé Georges ce matin. Nous nous réunissons dans une même pensée pour vous embrasser de tout coeur.
Dr Chagnaud »
4 juillet
Verrières. Installation de fortune sous la tente, peu agréable par ce temps!
Rien de nouveau depuis hier. Toujours en 2° ligne et pas au danger. Nous remontons aux tranchées demain soir. Je métonne quon me laisse si longtemps le commandement de la Compagnie.
Encore sous lheureuse impression causée par la visite de Jean qui est un type à enlever le cafard en 5 minutes à un Corps dArmée, par son entrain!
Le capitaine Laferrière nest pas mort et va aussi bien que possible. Tant mieux. Pas de nouvelles du capitaine Martin.
A demain une plus longue lettre..................
5 juillet
Verrières. Temps épouvantable. Visite de Jean. Départ le soir pour le réduit dAvocourt sous une pluie dorage. Relève dans les boyaux où lon enfonce jusquaux fesses. Pas dincidents. Nuit calme, mais nous sommes littéralement trempés extérieurement et intérieurement.
Je viens de recevoir et de donner des ordres pour la relève de ce soir. Je suis prêt et dans deux heures nous allons partir pour là-haut. Daprès les tuyaux, les Boches ont été calmés depuis quelques jours et nous allons peut-être être très tranquilles. En tout cas nous serons sales, cart il a plu continuellement depuis 3 jours et nos bois sont épouvantables. Les routes sont des sortes de rivières ou détangs suivant le degré de leurs pentes et lon y enfonce jusquaux genoux sans exagération (demande à Jean). Quant aux boyaux que nous allons suivre, il parait quil est impossible de les décrire.
Jaurai pendant ces 6 jours de tranchées beaucoup à faire et ne técrirai que des mots très courts. Ne sois donc pas inquiète. Je te donnerai des détails au retour.
Tu sais que Jean est revenu me voir! Sa visite a été un peu gâtée par un accident de grenades survenu une heure avant. Jai eu 1 tué et 1 blessé à ma compagnie et pendant la visite de Jean, jai été prononcer quelques paroles à son inhumation.
Jean est revenu à cheval ce matin mais, très pressé nest resté que 1/2 heure. Ils sont tout près de nous et je compte le voir de temps en temps. Jai reçu ce matin ta lettre du 2 juillet. Merci. Rien encore de Madeleine.
Le colonel de Latour du 234 est un homme charmant et avec lequel on peut causer plus librement quavec le colonel Delon. Nous avons causé longuement. Il me laisse jusquà nouvel ordre le commandement de la compagnie. Cest un honneur, mais cest rudement délicat par ici! Enfin, jusquà présent pas trop dennuis.
Le capitaine Laferrière et Fouché vont le mieux possible. Nous en avons reçu des nouvelles hier.
Jespère que tu vas te rétablir rapidement à la campagne. Donne-moi bien des nouvelles de ta santé.
Vu à linstant Basset de retour de permission seulement maintenant. Il est moins sémillant quà La Rochelle.
Au revoir chère Maman et bonne santé. Embrasse Tante et les cousins bien affectueusement de ma part.............
6 juillet
Réduit dAvocourt. Tranchées dans un état épouvantable. De la boue jusquau-dessus du genou. Journée cependant très calme. Travaux pendant la nuit. Nous pataugeons à 8 à 10 mètres des Boches.
Nous voici donc arrivés à ce fameux bois dA. (Avocourt)) et face à face avec les Boches. Comme te le dit avec beaucoup dhumour mon ami Edouard, nous avons eu un temps épouvantable et sommes dans la boue jusquau cou. Jétais modeste hier en te disant quon avait de leau jusquau genoux dans certains boyaux. Cette fois, mon revolver lui-même en a pris et il a baigné dans leau, cest te dire que le porteur nétait pas très sec.
Le temps rend les Boches plus sages, et je ne les vois attaquant dans des boyaux contenant 1 mètre deau et de boue, mais jamais nous nen avons été si près (6 et 8 mètres). Les mêmes boyaux communiquent et de simples barrages nous séparent.
Malgré cette eau, nous sommes très gais et Edouard et moi, écrivons tous les deux une lettre double qui vous montrera combien il est bon dans ces circonstances pénibles de sentir à coté de soi un vrai ami. Je te quitte, car il est très tard. Jai plusieurs lettres à faire. Embrasse Tante Marie-Louise et Jacques pour moi............
« Chère Madame,
Excusez-moi de la liberté que je prends de vous écrire ainsi, mais me trouvant avec Georges, dans un trou sous trois pieds sous terre, nous avons décidé décrire chacun à nos mamans.
Pour rejoindre de superbe domaine, nous avons eu hier soir une route des plus pénibles à faire. Dabord une pluie abondante, ensuite la route et les boyaux devenus de véritables rivières et par moments nous tombions dans les trous dobus et chacun à notre tour, nous rions réciproquement de nos malheurs. Dans certains boyaux nous avons eu de leau jusquà la ceinture et il était assez risible de nous voir la dedans, ce brave Georges avait sa musette qui flottait, ainsi que sa capote.
Nous espérions trouver un abri en arrivant mais au contraire, il pleut comme dehors, malgré tout cela nous rions et nous disons ensemble: « si ces bonnes mamans nous voyaient, elles seraient éplorées sur santé de leur fils. »
Malgré cela la santé est bonne et je tiens à vous dire, Madame, la profonde admiration que jaie pour Georges qui remplit si bien la tâche pénible de commandant de compagnie. Il fait ladmiration de tous et on peut être fier davoir un pareil ami.
Je vous prie, chère Madame, de vouloir bien accepter mes hommages les plus respectueux.
Edouard Mörch »
7 juillet
Réduit dAvocourt. Temps épouvantable, mais journée calme pour nous. Les cotes 287 et 304 encaissent dur.
Rien de nouveau depuis hier. Journée relativement calme, mais toujours de leau, de la boue jusquau-dessus du genou. Six jours de pieds complètement trempés seront durs à passer, je tassure et je plains bien les hommes encore plus mal que moi.
Reçu aujourdhui une lettre de Mad. contenant des photos de temps de ma permission. Elles sont bonnes, mais quel contraste!!!....................
8 juillet
Réduit dAvocourt. Mr Strohl vient prendre le commandement de la compagnie! Journée encore relativement calme, mais toujours un temps et une boue épouvantables.
Toujours de la pluie, le niveau monte dans nos tranchées et je me demande comment nous allons faire si ce temps continue. Ce matin attaque à notre droite immédiate, les Boches ont pris un élément de tranchée que nous leur avons repris. Personnellement, ils ne nous ont pas attaqués mais il fallait voir les grenades voltiger dune tranchée à lautre!
Je ne suis plus commandant de compagnie, on a envoyé un lieutenant. Devine qui? Mr Strohl, celui que tu as en photo et qui est si gentil pour moi. Jen suis enchanté à tous les points de vue car cela môte de gros soucis, et me met sous les ordres immédiats dun homme aimable, instruit, etc..., etc...
Ces pauvres blessés nont plus figure humaine quand on les emporte. Certains tombent dans des boyaux qui ont 80 cm deau et disparaissent sous la boue. Il est grand temps quelquefois de les relever. Mais les blessures se salissent. Cest affreux de voir chose pareille. Aucun de nous navait vu semblable saleté et jaurai bien cru impossible lexistence dans ces conditions. Et pourtant nous rions, et pourtant les hommes ne rouspètent pas trop et Dieu sait sils en voient. Cest merveilleux après deux années de guerre.
Jattends avec impatience une lettre de toi, depuis mon départ je nai que ta petite carte du 2 juillet. Soigne-toi bien et profite tant que tu pourras de ton voyage à la campagne. Jean ne compte pas venir en permission avant les premiers jours dAoût, tu as le temps, jespère, de te remettre complètement. En tout cas tiens-moi bien au courant de ta santé.
Je te quitte en te priant dembrasser bien affectueusement ton entourage...............
9 juillet
Réduit dAvocourt. Journée calme. Temps horrible. Nervosité pendant toute la nuit.
Rien de nouveau depuis hier. Journée assez calme mais toujours dans leau et la boue jusquau ventre. Bonne santé, les pieds commencent à faire mal et plusieurs homes sont évacués de ce fait, mais « ça se tassera ».
Bons baisers à vous tous au Château Queyron................
10 juillet
Réduit dAvocourt. Le temps est plus beau et la journée est plus agitée. Les 2 artilleries tirent beaucoup. Le soir, vers 7 h., ils nous envoient une vingtaine de torpilles. Ravage énorme où elles tombent. Coups de canon toute la nuit.
Jai reçu hier et ce matin les 2 lettres n°2 et 3. Merci de tes bonnes nouvelles. Continue à te bien soigner pour être vite rétablie.
Aujourdhui, la journée a encore, Dieu merci, été à peu près calme, sauf au lever du jour où les Boches ont fait un simulacre dattaque, sans sortie de leur part.
Madeleine ma écrit un mot très affectueux encore aujourdhui, nous sommes en grande correspondance. Elle ne savait pas encore mon entrevue avec Jean et doit en être ravie car jai donné à son mari des nouvelles fraîches de la mère et de la fille.
Fouché ma également écrit, il est presque rétabli; quant au capitaine Laferrière, il est à Lyon et va aussi bien que possible. Encore la journée de demain et nous serons, nous irons en arrière dans les bois, probablement au même endroit, et jespère bien y rencontrer encore Jean. Si cette journée se passe comme les 5 premières, nous naurons pas eu trop de mal cette fois-ci, 2 ou 3 morts et une dizaine de blessés.
Le lieutenant Strohl, à qui jai passé toutes les consignes de la compagnie et du secteur, est toujours le même homme du monde correct et aimable. Inutile de te dire quil est au mieux avec Mörch qui, entre nous soit dit, est un peu « peloteur » (demande à Tante M.L. la signification du mot si tu ne le comprends pas!!!)
Je nai pas encore eu le temps décrire à Loulou, je compte le faire dès que nous serons en 2° ligne. Rien de nouveau à te dire pour le moment. Nous sommes toujours aux aguets et, si près, nous nous méfions les uns des autres, comme tu le penses.....................
11 juillet
Vers 4 h. le tir augmente dintensité et devient véritable préparation dartillerie (obus, torpilles, etc..). Vers 5 h.1/2, lartillerie diminue, quelques Boches sortent de leurs tranchées, mais nous les chassons à coup de grenades. Combat de grenades pendant 1 h. environ puis calme. Perte: 5 tués, 16 blessés.
Le soir vers 10 h., relevés par le 206, nous gagnons le camp de Verrières sans incidents.
Cette carte est en réalité du 12, car il est 3 h. du matin, mais elle tarrivera aussitôt car nous venons dêtre relevés et jattendais dêtre en sûreté pour te prévenir tout de suite.
Notre 6° et dernier jour na pas été comme les autres. Après une très violente préparation dartillerie qui a duré toute la nuit, les Boches ont déclenché sur le réduit une attaque précédée de liquides enflammés (le communiqué ten parlera probablement demain). Le 234 a été très chic et les a chassés à coups de grenades. Je técrirai cet après-midi plus longuement, mais je vais prendre du jus et me coucher, car je suis bien fatigué, je tassure, après une relève un peu tourmentée.................
12 juillet
Verrières. Mauvais temps. Corvées diverses pour les hommes. Repos. Nous avons un nouveau chef de Bataillon: Mr de Roll: Adjudant-Major, Capitaine Duverdier.
Ce matin mattendait dans mes bois, ton mot n°4 de Bordeaux et ce soir, je viens de recevoir ta lettre n°5.
Comme te la dit ma carte de ce matin, nous avons été relevés après 6 jours de tranchées. La dernière journée a été chaude et nous avons été attaqués par ces sales Boches avec tous leurs procédés nouveaux: liquides enflammés, torpilles, grenades, mitrailleuses, sans compter ces vieux obus que nous connaissons de longue date. Inutile de te dire quils ont été chassés comme des malpropres et sans beaucoup de pertes de notre part.
Maintenant nous revoici pour 6 jours au camp de V. (Verrières) où Jean est venu lautre fois et où je compte bien le voir revenir un de ces jours. Le temps est douteux, et pourtant nous voudrions bien avoir un beau soleil qui nous sécherait et nous réchaufferait. Nous en avons besoin car il y a plusieurs hommes évacués pour « pied des tranchées », sorte de pied gelé, comme en hiver.
Merci des amitiés des différentes Tantes que tu as vues à Bordeaux. Merci à Tante Isabelle de ses recommandations à ce général qui probablement ne seront pas très efficaces. Enfin, on ne peut jamais savoir.
Le capitaine Ney est évacué pour coup de fouet dans la cuisse. On ne sait quand il reviendra. Quant à de Lignerolles, il est affecté au 234, mais reste à la compagnie de dépôt qui est à une vingtaine de kilomètres en arrière.
Je suis bien content des nouvelles que tu me donnes de toi. Continue à te bien soigner. Mad. mécrit souvent et je sais quelles vont bien et quelles se baignent.
Au revoir, chère Maman. Ici, je ne técrirai peut-être pas tous les jours, mais sois sans inquiétude......................
13 juillet
Verrières. Je reçois la visite de Jean qui me promet de revenir le lendemain déjeuner avec nous.
Deux mots simplement pour te dire que tout va toujours bien depuis hier.
Jean est encore venu me voir ce matin, mais nest resté que quelques minutes, il fera son possible pour venir déjeuner demain matin avec nous, mais son médecin-chef est revenu et il va devenir moins libre. Dommage, car nous sommes mieux installés et il aurait été reçu dune façon digne pour fêter le 14 juillet. Enfin, rien nest encore perdu.
En me promenant ce soir, jai été voir avec Mörch, Franck Faustin qui est aspirant à la 21° de ce régiment. Il va bien et est un beau garçon mais il a une tendance à trop grossir, je trouve. Il tenvoie ses respects. Là-dessus, je te quitte car je vais me coucher.
Bons baisers à tous à Quinsac................
14 juillet
Verrières. Déjeuner avec Jean, puis exercice de grenades. Jean vient avec nous. Rencontre du Dr Ferron.
15 juillet
Verrières. Journée fastidieuse et ordinaire dans la boue et sous la pluie.
Je reçois à linstant ta lettre n°7 dans laquelle tu maccuses réception de mon numéro 7 à moi, mais je maperçois que je nai pas reçu de lettre n°6 de toi et en effet tu ne me parles pas ici de la lettre collective de Mörch et de moi datée du 6-7 et portant le n°6. La tienne sest donc égarée, mais la nôtre? Tu seras gentille de lui écrire un petit mot, cela lui fera un grand plaisir, si je me base sur la joie que me ferait à moi, une lettre de sa mère.
Le 13, Jean est venu me voir, je te lai déjà dit, il est venu ensuite déjeuner avec nous le 14, hier et a fait ainsi la connaissance de Mr Strohl. Son médecin-chef est revenu et il allait le soir même rejoindre son bataillon. Il compte maintenant sur sa permission pour le 10 août. Sa visite a été gênée par un exercice de grenades que javais à faire après le déjeuner car tu sais que j'ai lennui dêtre officier grenadier du bataillon. Dans un secteur comme le nôtre où lon ne se sert presque que de cette arme, jai beaucoup à faire.
Nous remontons demain soir toujours au même endroit, et nous voyons avec désolation le mauvais temps continuer, et la pluie ne pas nous quitter, ce qui nous promet encore de bons bains de pied!
Rien de nouveau à part cela. Jean et moi, sommes bien contents de nous voir de temps en temps, mais maintenant quil sera aux avant-postes de son côté et moi du mien, nous aurons beaucoup moins doccasions. Jai de bonnes nouvelles des 2 Mad car tantôt lune, tantôt lautre mécrivent et sont très gentilles avec moi.
Je te quitte car on va se mettre à table. Je suis ennuyé de ne pas avoir cette lettre n°6, enfin elle viendra peut-être avec du retard. Que my disais-tu?....................
16 juillet
Verrières. Nous avons un jour de repos en moins pour que tous les bataillons soient relevés en même temps. Départ à 8 h. pour le même endroit. Relève sans incidents.
Avant de prendre mon « Kolossal » bain de pied, je viens te dire quelques mots. Rien de nouveau depuis hier, le temps est peut-être un peu moins mauvais.
Nous allons donc voir si nos voisins den face ont encore des torpilles, grenades, du « thé chaud », etc................
17 juillet
Réduit dAvocourt. Le beau temps à lair de revenir. Journée assez calme sauf quelques torpilles dans la soirée. Travaux à la lisière Est.
Voila déjà une journée que nous sommes aux tranchées. Nous les avons trouvées dans le même état, c.a.d. aussi défoncées par les obus et aussi remplies deau et de boue. Nous continuons donc à nager et à barboter. Cette nuit règne une petite agitation dans notre secteur. Jaime à croire que cela va sapaiser.
Bonnes nouvelles des 2 Madeleine qui mécrivent assez souvent. Jespère que vous allez tous bien à Quinsac. Pas de nouvelles de Jean C. depuis le 14, jour où il est venu, je te lai dit, déjeuner avec nous..............
18 juillet
Réduit dAvocourt. Calme sauf quelques torpilles. Travaux et Sapes. 3 morts, 5 blessés.
Ta lettre n°8 du 14 juillet, reçue ce matin ne me parle encore pas de ta lettre de Mörch et moi, et je suis de plus en plus ennuyé de la perte de ta lettre n°6. Quelle sale poste nous avons et qui met du temps, je trouve, à transmettre nos lettres! Il me semble que cela allait plus vite autrefois.
Rien de nouveau depuis hier soir. La petite agitation dont je te parlais, venant de ce que les Boches avaient voulu surprendre un petit poste avancé dune compagnie voisine. Ils nont pas réussi et le calme relatif est revenu dans notre secteur.
Nous en profitons pour arranger nos tranchées et boyaux et faire des équilibres avec des tas de boue qui à la première pluie ou au premier obus dans le voisinage, sécroulent et comblent le passage. Alors on recommence etc..., etc... Tu vois la vie intéressante que nous menons dans cette vase continuelle. Au moment où je técris, la pluie recommence à tomber. Cest navrant, en 18 jours, cest notre 16° jours de pluie. Quel mois de juillet!!
Et vous, avez-vous beau temps au moins? Est-ce que vous pouvez vous promener de temps en temps? Te reposes-tu? Ou suis-tu toujours ce régime de légumes bouillis et de bouillies multicolores. Tâche dêtre guérie pour la permission de Jean qui ne peut tarder, je pense (vers le 10 août).
Puisque tu calcules pour me suivre par la pensée, ce dont je te suis bien reconnaissant, je te dirai que nous sommes ici pour 6 jours et que le 2° se terminera dans quelques heures. Calcule donc. Au moment où tu recevras cette lettre, je serai bien près de la relève et du repos pour 6 autres jours.
Ce que tu me dis de Mme Tetlow, ne métonne pas. Elever son enfant abîmerait son beau corps de statue, et elle ne pourrait plus jouer au tennis ou se décolleter sans mettre de corset, ce quelle faisait toujours quand jétais chez elle! Quelle jolie et aimable femme tout de même! Cétait le bon temps!!!
..................
Noublie pas dembrasser mon joli petit cousin Jacques...........
19 juillet
Réduit dAvocourt. Quelques torpilles et grenades. Travaux et Sapes. 2 morts, 3 blessés.
Deux mots seulement pour te dire que tout va bien toujours...mais ce nest pas la faute des Boches qui nous arrosent de torpilles dune façon scandaleuse: Hier 3 morts et 5 blessés. Aujourdhui 2 morts, 3 blessés et tous les jours cest la même chose... quand ils nattaquent pas. Enfin!
Ce qui fait quils sont excités, cest dabord quon les agace par du torpillage et des grenades, ensuite que le temps! enfin!!! se met au beau ce qui nous rend gais et souriants malgré les circonstances plutôt graves (Mr Strohl est vraiment de plus en plus un « copain » épatant).
Le courrier va partir aussi jabrège ma lettre qui, jespère, vous trouvera tous en bonne santé.
Les cochons de Boches mont démoli un petit ouvrage que javais construit la nuit dernière et auquel javais donné tous mes soins. Deux torpilles, en plein dessus, lont complètement fait disparaître. Ah! les rosses, demain matin je vais les arroser de grenades pour les apprendre à vivre..........
P.S. Et ma lettre commune avec Mörch? Las-tu reçu? Ce dernier tenvoie ses respects (Quel gosse agaçant!!!).
20 juillet
Réduit dAvocourt. Temps superbe. Quelques torpilles, grenades, mais tirs violents dartillerie de notre part. 15 blessés. Travaux à la tranchée de doublement. Jeux de cartes!
Rien de sensationnel depuis hier. Bombardement ordinaire du secteur et vie normale.
Reçu ce matin ta longue lettre n°9 du 16-7. Merci. Tu my donnes des détails sur votre vie et, malgré ce que tu en penses, ce qui vous touche mintéresse beaucoup. Les petites font bon ménage et menvoient souvent de leurs nouvelles.
Au revoir, chère Maman, baisers affectueux ainsi quà Tante et Jacquot............
21 juillet
Réduit dAvocourt. Temps superbe. Torpilles. 1 mort, 1 blessé. Jeux de cartes! Travaux et Sapes.
Aujourdhui encore marmitage et « torpillage » soigné et jet de liquides enflammés (thé chaud). Heureusement pas de morts mais 15 blessés dont 2 seulement grièvement atteints.
Le beau temps règne maintenant dune façon continue depuis 3 jours. Nos boyaux sèchent, nos travaux tiennent debout, enfin la vie devient un peu plus agréable, ou tout au moins, moins « lassante » que dans la boue jusquau ventre.
Jai reçu, hier, une longue lettre de Mad. du Sault, écrite dune façon humoristique et très fine. Mad. Chagnaud y a ajouté quelques mots. Elles se taquinent beaucoup mutuellement, mais on voit quelles sentendent très bien.
Quant à nous, nous continuons à être gais dans notre poste de commandement qui retentit de nos chants (Mr Strohl et moi), mais au moment où les torpilles ne tombent pas. Demain soir nous serons relevés et comme lautre fois, je ne técrirai maintenant quune fois arrivé au camp. (repos pour 6 jours).................
22 juillet
Réduit dAvocourt. Toujours des torpilles et des grenades, sans grande importance. Travaux et Sapes. Nous sommes relevés par le capitaine Mörch (206) et allons à Verrières sans incidents.
Comme lautre jour, il est 3 h. du matin (23) et nous sommes relevés. Tout sest bien passé et nous voici au camp pour quelques jours de repos. Reçu hier ta lettre n°10 et une lettre de Jean qui est retourné à son bataillon qui, dit-il, entend les mêmes obus que moi, mais qui nespère pas venir me voir cette fois-ci, se trouvant aux avant-postes lorsque je suis au repos. Enfin nous ferons notre possible......................
23 juillet
Verrières. Nous nous reposons un peu par un temps superbe. Corvées diverses.
24 juillet
Verrières. Je vais à Récicourt accompagner une corvée pour réparer labri du général de division, incendié la nuit par un obus. Je déjeune avec le colonel directeur dartillerie. Vu Lesueur.
25 juillet
Verrières. Jai la surprise de voir arriver Jean avec un capitaine du 91. Il a été relevé prématurément et se trouve à Brabant-en-Argonne où je vais le voir, le soir, en vélo. Ecouté la musique du 91, vu Mr Montmain et les amis de Jean. Retour vers 22h.
Au moment où je técris, je viens de quitter Jean qui, à ma grande surprise, est venu me voir ce matin avec un capitaine du 91°. Il a été relevé bien avant la date à laquelle il sy attendait et cantonne dans un village qui est si près de mon camp quil ma invité à dîner. Je vais donc demander la permission dy aller tout à lheure, mais je voulais técrire avant, car voilà déjà deux jours que je nai pu le faire.
Merci de tes lettres 11 et 12 reçues dernièrement. Malgré ce que tu me dis, je nai pas encore reçu ta lettre n°6 et Mörch na pas reçu non plus la lettre que tu lui écris le même jour. Naurais-tu pas oublié de les mettre à la poste, Enfin, peu importe puisque jai des nouvelles plus récentes maintenant.
Nous avons du beau temps depuis 5 ou 6 jours et nous en sommes tous très joyeux. Aujourdhui, cependant, le temps est plus sombre quoique sans pluie. Tu me demandes qui commande la compagnie. Mais cest Mr Strohl, ce dont je suis bien content. Je croyais te lavoir déjà dit.
Ne toccupes pas pour mon manteau, je comptais en effet men acheter un chic pour cet hiver, et dès que je serai dans un pays civilisé, je ferai cet achat.
Hier, jai été commander une corvée de construction dabris pour le Général de Division et jai déjeuné avec le Colonel directeur dartillerie, homme très aimable et qui ma donné des tuyaux très intéressants sur le secteur Boche en face de nous. La santé et le moral, comme tu le vois, sont toujours bons, ne tinquiètes donc pas outre mesure, et embrasse ton entourage de tout coeur de ma part....................
26 juillet
Verrières. Lancement de grenades avec la 13° compagnie. Jean vient déjeuner avec nous. Bridge, puis repart à 15 h. Cest probablement la dernière fois que je le vois ici.
Merci de ta lettre n°13, reçue hier soir. Entre parenthèses Mörch a reçu également celle que tu lui as écrite, ten remercie, te répondra prochainement et te présente ses respects.
Je técris aujourdhui surtout pour te dire que jai été hier à B. en A. (Brabant-en-Argonne) voir Jean à son cantonnement de repos. Jy ai été très bien reçu naturellement, ai vu ses meilleurs amis sauf cependant le capitaine Lambert qui était en ligne. La musique du 91° a donné une aubade et, à mon intention, Mr Montmain a aimablement ajouté à son programme la marche et le chant du 91°. Très chic.
Jean est venu à son tour, ce matin, a déjeuné avec nous, puis a fait, avec nous, une partie de bridge dans laquelle je nai pas brillé et ma quitté en membrassant chaudement, car cest probablement la dernière fois que nous nous voyons dans ce secteur, Jean prévoyant dici peu une relève de son régiment et de son corps darmée.
Dautre part, tout va bien. Je lance des grenades de plus en plus et à tour de bras. Notre cuisinier Archambaud nest plus avec nous depuis la dislocation de notre régiment et je regrette de ne pouvoir donner à Tante Marie-Louise la recette de lexcellent gâteau macaroné.
Soigne-toi bien. Je suis ennuyé de cette entérite invétérée qui ne veut te lâcher. Espérons que ce brave Mr Guillemin te le fera disparaître. Décidément ta lettre n°6 est perdue ainsi que celle de Mörch. Tant pis, nen parlons plus.
Je tembrasse bien affectueusement ainsi que Tante et Jacques...............
27 juillet
Verrières. Temps splendide. Concours de grenades. Travaux divers. Visite du général Prax.
28 juillet
Verrières. Préparation pour la relève. Vu P. Combaud. Le soir relève sans incidents.
Au moment où je pars là-haut, je técris quelques mots pour te dire que tout va toujours bien et que le moral est bon. Je compte bien dailleurs men tirer comme les autres fois. A part les torpilles, ce secteur ma lair de se calmer....
29 juillet
Réduit dAvocourt. Temps superbe. Journée assez calme sauf quelques mines qui blessent plusieurs hommes. Travaux le soir vers la lisière Est et Sapes.
Notre première journée sachève et sest passé dans de bonnes conditions. Calme presque complet des deux cotés.
Jattends une lettre de toi cette nuit, car je navais rien hier. Je te souhaite de te rétablir promptement et de te porter aussi bien que moi en ce moment. Jean ma trouvé une mine excellente..................
30 juillet
Réduit dAvocourt. Toujours des grenades et des torpilles. Travaux et Sapes.
Jai reçu, cette nuit, ta longue lettre n°14 dont je te remercie beaucoup. Ces migraines trop fréquentes sont vraiment bien ennuyeuses et tu devrais profiter de ton séjour aux environs de Bordeaux pour voir un médecin encore plus « calé » que Mr Guillemin, un spécialiste. Sils sont mobilisés, il doit certainement y avoir, parmi les médecins militaires des nombreux hôpitaux de la ville, une célébrité quelconque. Enfin, dune façon ou dune autre, soigne-toi bien et le plus radicalement possible.
Je vois que tu te distrais et vois des personnes amies et aimables; tant mieux, mais voilà 2 ou 3 fois que tu me parles dune dame Juclier que tu nas fait que nommer et je nen ai jamais tant entendu parler, pas plus que sa fille.
Puisque tu comptes rentrer à La Rochelle vers le 4 ou 5 août (entre parenthèse, tu me préciseras ton retour pour mes lettres) jattendrai ce retour pour tenvoyer un mandat de 200 francs inutilisables pour moi dans mon luxueux réduit. Tu les joindras aux autres, en attendant que je puisse les dépenser un jour!
Ton projet dun mois à Ruelle et dun mois à Quinsac, après la permission de Jean, est approuvé hautement par ton fils. La dernière fois que jai vu Jean, nous avons beaucoup parlé de vous toutes, car cest probablement fini, hélas! ces petites rencontres, Jean pensant être relevé dun jour à lautre. Pour linstant, il ne ma encore rien dit, ni écrit de précis et se trouve toujours quelque part à ma gauche immédiate.
Le temps se maintient au beau fixe et il fait même très chaud. Nos boyaux et tranchées sont secs et sy promener était une corvée était une corvée si pénible autrefois, avec de leau jusquaux genoux. Ca devient notre promenade daprès les repas maintenant, quand les grenades et les torpilles ne tombent pas trop dru. Mon petit costume en toile bleue me rend service par cette chaleur, je suis bien content de lavoir.
Mörch va toujours bien et est toujours aussi élégant. Même dans les tranchées de 1° ligne, il a un costume à la dernière mode, du drap le plus chic et toujours neuf. Que de dépenses inutiles! Je tai dit quil avait reçu ta lettre. Tu dois savoir quil est, depuis peu , oncle dune grosse fille (Françoise).
Mes meilleurs baisers à Tante Marie-Louise à qui jécrirai demain et à Jacquot. Prends-en ta bonne part...............
P.S. Ci-joint une vieille photo, retrouvée dans la cantine dun camarade. Elle date de lheureux temps où nous étions sur les péniches.
31 juillet
Réduit dAvocourt. Marmitage un peu plus violent mais pas dattaque.
1 août
Réduit dAvocourt. Journée calme. R.A.S.
Rien de nouveau ici depuis hier. Je vais toujours aussi bien que possible. Le secteur est un peu agité en ce moment, mais rien cependant dextraordinaire...............
2 août
Réduit dAvocourt. Plusieurs torpilles qui blessent des hommes de la 18° compagnie. Travaux au nouveau boyau vers le Point C.
Cela devient assommant. Après ta lettre n°14, je reçois ta lettre n°16. Pas de lettre n°15!! de sorte que hier encore je tai écrit à Quinsac. Enfin jespère que tu ne seras pas trop longtemps sans nouvelles de moi tout de même. Et Loulou, que devient-elle? Tu as du me dire tout cela dans cette lettre perdue. Cest idiot!
Ici, rien de nouveau; comme les autres fois, ma prochaine lettre sera écrite une fois la relève terminée, car nous partons demain toujours pour le même camp...................
3 août
Réduit dAvocourt. Travaux et Sapes. Nous sommes relevés toujours par le capitaine Mörch.
Me voici arrivé au camp de V. (Verrières), complètement en nage avec cette chaleur! Entre 2 gorgées de jus bien chaud, je técris ces quelques mots pour tavertir que je ne suis pas encore mort pour cette fois.
Me voici bientôt avec 2 ans de campagne sur le dos et 3 brisques sur les bras? Sain et sauf. Espérons que cela continuera..............
4 août
Verrières. Hier, relève sans incidents. Nous nous reposons toujours dans la même petite baraque.
Je pense bien quà lheure actuelle, tu es maintenant tout à fait installé chez toi et attendant Jean avec une impatience bien naturelle. Ce dernier ne ma donné signe de vie ni par sa présence, ni par ses lettres depuis le jour où il est venu déjeuner ici, je ne sais dons pas où il est, ni sil y a du retard dans sa permission, ce que je ne souhaite ni pour lui, ni pour vous.
Je viens de recevoir à linstant ta lettre du 31/7 n°17. Le n°15 est définitivement perdu. Il ny a rien que je déteste comme ces pertes de lettres. Je suis très maniaque à ce point de vue là. Je voudrais bien savoir si Loulou ta remplacé à Quinsac ou si elle prolonge son séjour à La Rochelle. Enfin, je compte sur une lettre delle prochainement.
Quant à nous, comme te la indiqué ma lettre dhier ou plutôt de ce matin, nous sommes au repos après un séjour aux premières lignes. Ce stage de 6 jours a été plus calme au point de vue torpilles, mais à chaque instant cétait des petits engagements à la grenade qui chaque fois nous coûtaient des hommes. Les blessures de ces grenades sont vraiment terribles et vous déchiquettent radicalement tellement il y déclats!
Rien de nouveau à part cela. Pas de victimes que tu connaisses. Le capitaine Ney est revenu parmi nous, complètement rétabli. Neveux va très bien, mais a perdu son beau-père (que javais vu à Paris) ce qui lennuie beaucoup étant donné létat de sa femme. Fouché ma écrit dernièrement, me disant quil a eu une rechute et quil est évacué à lintérieur. Je crains bien quil soit perdu pour le régiment. Le capitaine Laferrière donne toujours de ses nouvelles. Il va bien. Mörch, de Lignerolles sont en très bonne santé. Enfin aucune nouvelle sensationnelle à tapprendre.
Les communiqués sont bons? Ca va bien de lautre côté de la M. (Meuse). « On les aura », non « on les a ».
Je te quitte en tembrassant bien affectueusement ainsi que Mad., le Muguet et Loulou si elle est toujours avec vous....
5 août
Verrières. Exercice de grenades avec la 14° compagnie. Repos. Trouve et ramené un cheval abandonné.
6 août
Verrières. Repos. Même exercice que la veille pour les grenadiers de la 15° compagnie.
7 août
Verrières. Suis commandé de corvée dempierrement des routes au Tournant de la Mort et au Camp des Civils. Y vais avec Tourmeret. Je fais du cheval sur une bête que me prête un brigadier dartillerie.
Je ne tai pas écrit ni avant-hier, ni hier, jespère cependant que tu nauras pas été trop inquiète puisque tu me sais au repos au camp de V. (Verrières). Jai reçu depuis 3 lettres de toi: les n°18-19-20. Merci de tes bonnes nouvelles. Je suis bien content que tu sois de nouveau bien installée chez toi. Sais-tu si Loulou a reçu un petit colis contenant un parachute de fusée éclairante et une bague en aluminium? Je lai adressé à La Rochelle. Tu seras bien aimable de le lui faire parvenir à Quinsac, dans le cas où il serait arrivé après son départ de La Rochelle.
Mad. est à Paris! Je la vois dici se promenant et jacassant avec Mimi. Elles doivent sen raconter! Et larrivée de Jean imminente, Mad. doit être dans le ravissement: cest presque le meilleur moment de nos permissions que celui où lon va arriver!
Figure-toi que lautre jour, jai été pris de remords: jécris à beaucoup de gens, mais je néglige beaucoup trop: lOncle Louis, Tante Alice, lOncle André, etc..., etc... Je leur ai écrit, ils vont peut-être trouver très drôle et très bizarre, quen penses-tu?
Merci des nouvelles de Bouscasse. Peste, les « embusqués » ne perdent pas de temps pour se marier. Quant à Jeanne, je suis bien heureux que cette fois-ci la naissance de son bébé ait réussi. Tu serais bien aimable de me donner son adresse à Bordeaux, sans quoi je lui écrirai à Montauban (adresse que jai) pour la complimenter.
Ce pauvre Edouard Mörch vient de marriver en pleurs mapprenant la mort de son cousin germain Maurice Prouteau, tué dune torpille au 123 (Four de Paris). Cest bien triste pour cette pauvre Madame Hivert!
Tu me demandes ce dont jai besoin: de rien sauf cependant une paire de sandales blanches à grands lacets (bains de mer) qui me serviront de pantoufles dintérieur et dextérieur par beau temps. Je vais te quitter, car je nai plus rien à te dire. Le mandat est commandé et je lenverrai vraisemblablement demain (300 frs). Madame Mörch ma aimablement répondu me donnant de très bonnes nouvelles dHarriet et de son héritier.
Bons baisers au Muguet et félicitations pour sa sagesse avec sa grand-mère quand elle est seule. Cest très bien et lOncle Georges est très content...................
8 août
Verrières. Repos. Exercice de grenades avec la 13° compagnie.
Comme je te lai dit hier, je tenvoie ci-inclus un mandat de 300 frs à joindre aux autres. Il reste bien entendu entre nous quils sont à toi si tu en as le moindre besoin. Tu nauras quà les prendre et mavertir.
Jespère quau moment où tu recevras cette lettre, Jean sera parmi vous et que mon mot trouvera toute la maison en fête et en joie. Cest bien naturel et je pense bien à vous. Demain 9, nous montons là-bas; jespère que nous aurons la même veine quavant. Rien de nouveau à part cela depuis hier.
Je vous souhaite beau temps et beaucoup damusements pendant la permission de Jean qui vous racontera mon installation ici.
Au revoir, chère Maman, embrasse la « famille Chagnaud » de ma part...................
P.S. Je tannonce 2 petits colis dici 2 ou 3 jours.
9 août
Verrières. Repos. Nous nous préparons à faire la relève, mais on parle fortement de la grande relève pour dans quelques jours.
10 août
Réduit dAvocourt. La relève sest bien effectuée. Je trouve ma sape très améliorée par le sous-lieutenant Izambart. Ai une couchette épatante. Journée calme.
Aujourdhui 2 ans, jour pour jour que le régiment a quitté La Rochelle! Et la guerre nest pas finie, ni près de finir, je crois. Qui laurait dit à ce moment là? Enfin cela marche, je crois, mieux que cela na jamais marché depuis le début de la guerre: Larmée autrichienne est dans une déroute complète de tous les côtés (le téléphone vient de nous apprendre la prise de Gorizia par les Italiens). Les Russes vont très bien depuis plus dun mois. Les Français et Anglais se maintiennent sur leurs nouvelles positions dans la Somme. Si seulement des succès déclenchaient la Roumanie, les Bulgares recevraient à leur tour leur « tatouille » et nous verrions peut-être la fin de la guerre avant 1917: ce qui serait une bien bonne affaire. Qui vivra, verra!!
Jai reçu ta bonne lettre n°21. Moi aussi jai répondu hier à une aimable carte que javais reçue dernièrement de Madame Mörch. Je lui fais à la fois des compliments et des condoléances.
Nous revoilà aux tranchées depuis cette nuit. On dit!?!? que cest la dernière fois et que nous nous en irions quelques jours au repos! Nous en serions tous enchantés car nous ne savons plus ce que cest quun village!
Ta famille adoptive va encore saugmenter et tu vas avoir encore un autre fils: Louis Le Conte!! Cest très drôle en effet, et la guerre fait apercevoir des situations bien bizarres et souvent très délicates. Tu ne mavais jamais parlé de Mr Coyola, lami des Noailles, mais je le connais, ai dîné lautre jour avec lui et ai causé de choses et dautres! Si javais su, je lui aurais parlé de nos amis communs. Mais je le reverrai. Il est en effet à lapprovisionnement au train régimentaire du régiment, mais avec le grade dadjudant. Il mavait semblé fort riche, car il est aussi chic (quant aux uniformes) que notre ami Edouard.
Ta lettre n°15 ne mest pas arrivée non plus. Elle est certainement égarée. Accuse-moi bien réception du mandat et des petits paquets, je te prie. Achète-moi aussi et envoie-le en même temps que mes sandales, si celles-ci ne sont pas encore parties, un petit coussin en caoutchouc dégonflable et gonflable à volonté à la bouche. Cela me sera très utile. Tu trouveras cela, soit chez Bertin, soit en face de chez Langevin (rue du Palais).
Je me suis fait venir dernièrement de mon tailleur de Nancy, des écussons du 234 et des brisques triples. Il ma envoyé des brisques anglaises du dernier chic! Tu verras. Je te quitte en vous embrassant tous autant que vous serez, car je commence à my perdre. Vous devez être 6 en ce moment de la famille en comptant Louis...........
11 août
Réduit dAvocourt. La nuit dernière, petit engagement à la grenade du coté de la 18°. Une dizaine dhommes hors de combat. Journée calme.
Rien de nouveau depuis hier, si ce nest un petit engagement à la grenade dans la nuit, sans importance. Il y a eu cependant 1 mort et 5 blessés. On parle de plus en plus de la relève: ce serait pour aller au repos aux environs de Ste Menehould puis...... linconnu, probablement pas loin dici.
Et la permission de Jean. Jattends une lettre de toi cette nuit dans laquelle tu men parleras, je pense..............
12 août
Réduit dAvocourt. Même engagement de nuit à la grenade, au même emplacement. Marmitage énorme et torpillage violent. Vers 7h. les Boches sautent dans nos tranchées; combat à la grenade. La 17° fait 2 prisonniers mais a pas mal de pertes. 4 artilleurs des crapouillots réduits en bouillie.
Reçu hier ta lettre n°22. Ce nest pas la peine que je te donne des explications sur ce camp de V. (Verrières) puisque Jean est chez toi. Il te donnera tous les renseignements que tu voudras et bien mieux que je ne pourrais le faire par lettre. Dailleurs, si les bruits qui courent sont vrais, et cest probable, nous ny retournerons plus.
Rien de nouveau. Le même petit engagement la nuit dernière et au même endroit que la veille: quelques blessés. Jai maintenant contre les torpilles un abri de tout repos qui vient dêtre terminé hier. Naturellement! puisque nous quittons le secteur! Merci davoir fait suivre le colis de Loulou. Jai oublié de te dire que des 2 colis que tu recevras ou que tu as même du recevoir: celui qui contient le rouleau de serviette est pour toi qui nas pas eu de bracelet. Lautre contenant un encrier en fusée dobus est pour « moi ». Garde-le moi avec mes souvenirs.
Jai envoyé le même bracelet quà toi, à Loulou directement à Quinsac. Le petit colis contenait une bague et un parachute de fusée éclairante boche en soie blanche..................
13 août
Réduit dAvocourt. Journée calme. Travaux et Sapes. Nous nous installons pour manger dans la sape de la 3° division car notre abri nexiste plus: en bouillie par une torpille.
Je te vois encore inquiète si le communiqué parle de nous, ce qui est probable après la petite affaire dhier au soir. Aussi je viens te rassurer.
Au moment où je cachetais ma lettre dhier, un marmitage soigné accompagné de jet de torpilles très dense commençait sur notre malheureux petit bout de bois. Après 1 h.1/2 de cet enfer, les grenades ont fonctionné et au milieu dune fumée, si opaque que lon ny voyait pas à trois mètres, les Boches ont sauté dans la tranchée de 1° ligne, mais nos braves types les ont encore chassés en en retenant quelques-uns prisonniers. Nous avons eu pas mal de pertes, car jamais ils ne nous avaient tant bombardés: 11 morts et une trentaine de blessés. Le Général de Division, une fois laffaire finie, nous a félicité par T.S.F. (toute communication ayant été coupée, naturellement). Aujourdhui, calme sauf quelques crapouillauds de temps en temps.
Labri du Commandant de Compagnie où nous déjeunions et dînions ordinairement, mais qui était vide pendant le combat, nexiste plus. Une torpille en plein dessus la réduite en bouillie. Notre repas du soir, notre vaisselle, et... tout fichu! Heureusement quil ny avait personne. Je tai dit, je crois, que nous avions maintenant fait faire de bonnes sapes de tout repos. Nous avons eu du nez.
Au milieu de tout ce fourbi et de tout ce désordre, jai reçu, après laffaire, ta bonne lettre n°33 qui ma complètement retapé. Elle mapprend que vous êtes avec Jean jusquà demain dans la tranquille Rochelle. Une lettre de Mimi mapprend également leur emploi du temps à Paris et lentente parfaite entre les 2 ménages.
Tu me demandes le nom de mon nouveau Commandant: cest un ancien capitaine du 206, le Commandant Roll. Connais-tu? Il est vieux mais aimable et poli, très correct, très homme du monde. Je ne sais pas ce quil vaut au point de vue militaire?!?!
A partir du 16, je vous écrirai à Quinsac, à moins de contrordre de ta part; je crois que comme cela, tu ne resteras pas trop longtemps sans nouvelles......................
14 août
Réduit dAvocourt. Journée calme. Travaux et Sapes. Installation dun canon de 37 mm.
Rien de nouveau; tout est calme depuis notre affaire davant-hier. Il est probable que ce dernier séjour va durer plus longtemps que les autres. Ce sera dur, mais après, nous pourrons nous reposer tranquillement. Mr Strohl va partir en permission incessamment, aussi vais-je commander la compagnie encore une douzaine de jours.
Je pense bien à vous ce soir et au départ de Jean de La Rochelle au moment où jécris. Courage! Nous nous retrouverons tous bien contents après la guerre.
Je técrirai encore demain à La Rochelle, puis après-demain à Quinsac, sauf contrordre de ta part.................
15 août
Réduit dAvocourt. Journée calme sauf quelques torpilles. On parle de plus en plus de la relève mais nous ferons probablement du rabiot ici. Le 6° Bataillon est relevé par un bataillon du 55, et nous allons aller prendre la place du 5° Bataillon après-demain.
Drôle de 15 août et nous ne nous apercevons guère dans notre bout de bois où lon chercherait vainement un arbre, que cest un jour de fête partout! Enfin cest calme ou du moins relativement calme. Voici notre 6° jour, mais, comme je te lai dit, ce séjour sera plus long, et nous en avons encore pour plusieurs jours encore.
Hier jai reçu ta longue lettre n°24 à laquelle je vais répondre point par point:
Fait ce que tu veux de largent que je tenvoie, et place-le en bons de la Défense puisque tu es contente de ce placement, jespère quil sera sûr. De cette façon, après la guerre, jaurai une petite réserve qui me sera bien utile, si........ je me marie, par exemple. Je me fie absolument à toi pour le placement et ce que tu fais sera très bien fait, jen suis certain davance.
Quelle famille et quel mouvement au 35 de la rue A. dOrbigny en ce moment; Tu avais Jean, Roger, lautre Jean, Louis Le Conte! Que jaurais été content dy être moi aussi! Roger et Louis vont être ennuyés que tu quittes La Rochelle maintenant. Que fais-tu de « Médéa »? Fermes-tu la maison?
Pauvre Louis, je le plains bien en effet, à son âge et avec son habitude de ses aises, de faire le métier de soldat. Jespère comme toi quil sera pris dans le service auxiliaire. Son chef, Roger, va lui adoucir, jespère, cette vie et le « pistonner » pour lui éviter les corvées les plus fastidieuses.
Cest la dernière lettre que je técris à La Rochelle; demain jadresserai ma lettre à Quinsac où tu la trouveras en arrivant. Continue à bien te repose là-bas. Combien de temps comptes-tu y rester et iras-tu directement à Ruelle sans passer par La Rochelle?
Je te quitte, car jai plusieurs autres lettres à faire. Bons baisers et bon voyage.....................
16 août
Réduit dAvocourt. Journée assez calme. Mr Strohl part en permission et me laisse le commandement. Nous relevons, le soir, la 22° en 1° ligne mais à gauche (Capitaine Bon). Nuit calme.
Rien de nouveau depuis ma lettre dhier que tu as dû recevoir à La Rochelle.
Jespère que tu ne seras pas resté trop longtemps sans nouvelles malgré ce déménagement...............
17 août
Réduit dAvocourt. Le matin vers 5 h., 2 coups de canon dans notre secteur qui tuent Marchais et blessent Daly. Le soir, marmitage très violent sur nos 2° lignes et Niollet est trouvé mort dans un boyau! Pas de veine. Nuit calme, mais Jaunas blessé à la tête dune balle folle.
18 août
Réduit dAvocourt. Torpillage et marmitage très violent pendant toute la journée. Vers 8 h. du soir, attaque à droite, toujours au même point. Nous les repoussons vers 10 h.1/2, après quelques cris. Violente fusillade dans mon secteur et grenades et mitrailleuses. Je demande le tir de barrage et au bout d1 heure, tout sapaise. Le reste de la nuit calme. Nous sommes relevés par le 55 dont 1 officier était venu pendant la journée.
Manque la lettre de ce jour.
19 août
Je pars du Réduit avec les 4 sous-officiers et nous arrivons au bois de Fauchères où je retrouve la compagnie. Baraque pour tous les officiers. Vu un bataillon du 412 et un caporal connaissait Maurice. Je fais citer Peyrignière pour sa conduite épatante.
Ne tinquiètes pas pour moi. Je suis sain et sauf et en sûreté pour le moment. A demain une lettre explicative...........
20 août
Départ du bois de Fauchères à 4h.1/2. Temps brumeux. Je fais toute la route sur Seb-Doum, le cheval de Mr Strohl. Arrivée vers midi à Triaucourt. Mauvaise installation, chambre dans un grenier, pas de bureau, les hommes sont très mal.
Jespère que tu nes pas trop inquiète malgré les communiqués indiquant que nous nous sommes encore agités dans notre coin. Tout sest encore bien passé, mais ces animaux de Boches nous ont envoyés 2 attaques assez fortes la même journée, une le jour, lautre la nuit, 1/2 heure avant dêtre relevé!! Nous y avons laissé quelques hommes encore, cest bien triste au moment daller se reposer. Quels braves gens nous avons et que de héros dont on ne parlera jamais.
Etant commandant de compagnie, jai pu apprécier
cette unité qui est épatante. Tout le monde fait son
devoir dune façon impeccable et le plus petit ordre est
exécuté épatamment
scrupuleusement. Cest touchant de voir comment 160 hommes se
fient à un seul type (même plus jeune queux). On
les a encore eus! tout de même et nous avons passé les
consignes de ce mauvais coin avec un plaisir que tu comprends, car il
ma lair de se gâter.
Maintenant nous sommes au repos dans un village près de Ste Menehould. Nous y avons été à pied en 2 étapes, mais jai tout fait à cheval et ne suis nullement fatigué (car jai oublié de te dire que je me tiens maintenant assez potablement à cheval). Je vais profiter de ce repos et de ce que jai un chic cheval à mon entière disposition pour en faire tous les jours. Cétait la première fois que josais my présenter officiellement et dans le service.
Aujourdhui, vu un soldat du régiment de Jean en permission (il est de la région). Le régiment, tu le sais peut-être, est au camp de M.....y. Quant il y repartira, je lui donnerai un mot pour Jean, si je le revois.
Jai oublié dans toutes mes émotions, et je ne te le cache pas, mes soucis, de taccuser réception de tes colis, le premier (sandales) arrivé depuis 2 jours, le 2° (oreiller) aujourdhui. Epatant loreiller!! Merci des petits « adjutoria » que tu y as mis et qui ont été bien reçus. Je ne me rappelle même plus si je tai dit avoir reçu une boîte de fruits confits et de bonbons, mais jai été troublé pendant ces 9 jours davant-postes vraiment agités et durs.
Reçu tes lettres 25,26,27. Merci. Jespère que tu te reposes bien en ce moment à Quinsac. Ici jai naturellement une chambre, un lit!!!! excellent. Ne ten fais pas pour moi jusquà nouvel ordre. Vu Coyolaet parlé avec lui des Noailles. Vu un bataillon du 412° R.I. et après mille recherches, parlé à un caporal qui a beaucoup connu Maurice. Il parait quil faisait triste figure et quil nest pas militaire, ni à cran pour 2 sous. Pauvre famille Blanchet.
Je te quitte, Maman chérie, car je suis impatient de me mettre dans des draps...............
P.S. Je ris encore à la pensée de lentrée triomphale dans ce grand village. Ton fils à cheval en tête dune compagnie de braves poilus bien sales!! Beaucoup deffet et de chic.
21 août
Triaucourt. Installation dans le cantonnement. Revue du Chef de Bataillon. Promenade à cheval vers Sénard. Très agréable. Nous recevons un sous-lieutenant à la compagnie, Mr Drancès et 10 soldats de renfort.
22 août
Triaucourt. Revues diverses dans la compagnie. Promenade à cheval avec Mörch du coté de Passavant.
23 août
Triaucourt. Le matin, exercice sur la route de Laheycourt. Nous recevons des renforts dont 2 nègres. Bruit de départ de la division pour Fleury où ça chauffe dur.
Je ne tai pas écrit ces 2 jours derniers parce que je tavais dit que jétais au grand repos et je savais que tu nétais pas inquiète.
Nous y sommes encore, et profitant du beau temps, je fais des promenades à cheval tous les jours avec des camarades. Aujourdhui, jai même été très loin, à Passavant où a cantonné Jean lan dernier. Je me perfectionne de plus en plus et me passionne absolument pour ce sport vraiment captivant? Cela marche très bien et le capitaine Ney me dit que jai de très bonnes dispositions et dès maintenant une bonne position. Le fait est quune grande course comme celle daujourdhui ne me fatigue presque plus........ aux fesses!
Jattends une lettre de toi demain matin, car voici 3 jours que je nen ai pas reçu. Dis-moi, je te prie, si Loulou a reçu son coulant de serviette, sa bague et son parachute puisquelle ne daigne pas répondre à toutes les lettres que je lui ai envoyé. Voila près dun mois que je nai rien reçu delle. Elle est peut-être froissée, elle ou sa mère. Je ny comprends rien.
Reçu une bonne carte de Jean de retour de sa permission et installé au camp dont je tai parlé lautre jour. Ici, vie de repos c.a.d. de caserne, embêté comme commandant de compagnie par des tas de petits détails dadministration. Cela me prépare pour plus tard, dans lactive. Nous avons reçu un nouveau camarade, le sous-lieutenant Drancès qui vient dêtre nommé à larrière. Il a lair gentil et des nègres!......................
24 août
Triaucourt. Revue darmes et exercices divers. Lautre brigade est déjà partie pour Fleury. Le colonel nous prévient dun départ probable et prochain.
25 août
Triaucourt. Exercice de la mitrailleuse. Nous voyons partir le rob en camion-auto et nous sommes prévenus que nous partons demain matin en camion. Préparatifs de départ.
26 août
Départ à 7 h. Après 3 heures dauto, nous arrivons au camp Davout dans le bois de Nixéville à 8 km de Verdun. Assez bien installé mais mauvais temps. Que va-t-on faire de nous?
2 mots pour te dire que nous avons quitté notre repos plus tôt que nous croyions. Nous allons je ne sais où encore mais, pas dans un bien bon endroit, je crois. Je te donnerai des tuyaux plus tard................
27 août
Camp Davout. Nuit tranquillement passée. A 3h.1/2 du soir, départ de colonel, du commandant et des commandants de compagnie (dont moi) pour reconnaître le secteur, en auto jusquà la division (Ferme du Cabaret). Traversée de Verdun très abîmé. Division à Brigade par Casernes Marceau et cote 318 (tirs de barrage. Terrain complètement bouleversé) Brigade à Colonel. Le bataillon va prendre les avant-postes au village même de Fleury, mais on ne peut y aller en plein jour. Reconnaissance de mon secteur de compagnie. La compagnie du 88 que je relève, est en train de progresser au moment où je prends les consignes!!! On ne voit rien du village complètement en poussière, que des trous dobus. Inimaginable. Retour très pénible car il pleut et fait noir. Pendant ce temps le bataillon est venu à Verdun où nous le retrouvons.
28 août
Verdun. Nuit passée à la citadelle. Je suis vanné et tout mouillé. Quel secteur. Préparatifs de départ. Quelques obus. Le soir départ à 6 h. Je pars en avant de ma compagnie. Trajet très mouvementé par des tirs de barrage fréquents. Arrivée vers 11 h. du soir. La compagnie me rejoint et prend ses emplacements. Tir de 75. 1 mort, 2 blessés au 88.
Après 4 ou 5 jours de repos, on nous emmène à F. (Fleury) entre louvrage de T. (Tavannes) et la C. Ste F. Tu vois dici le joli petit secteur. Je ne sais combien de temps nous y resterons. Hier, comme commandant de compagnie, jai été reconnaître le secteur. Cest inimaginable et il est inutile que jessaie de ten faire une description. Nous sommes dans le village même dont il ne reste même pas la plus petite ruine. On ne saperçoit pas quon est dans le village. Ce ne sont que cratères noirâtres de 7 à 8 mètres de profondeur.
Ne tinquiètes pas trop si tu ne reçois pas de nouvelles de moi-même de 10 jours, il ny a pas de communication possible avec larrière. Bon courage. Je ferai mon devoir, mais dire quici je suis commandant de compagnie. Quels soucis!
Bons baisers de ton Petit qui taime et priera pour toi. Prie toi aussi et ayons confiance.
Temps épouvantable. Toutes nos affaires sont trempées. Plus de papier, plus de tabac, tous nos effets déchirés et en loque, rien que davoir fait cette reconnaissance. Pour le moment nous sommes dans la citadelle de V. (Verdun) mais nous montons ce soir. Combien en reviendra-t-il?
Ta ville est dans un bien triste état, cest la première fois que jy passe. Mais ils ne lauront pas. Je te quitte car jai beaucoup à faire..................
29 août
Fleury. Quel secteur à ma compagnie. Trous dobus même pas reliés. Peu de munitions. Ravitaillement très pénible et très dangereux à travers ce « paysage lunaire ». Marmitage inouï de part et dautre: 2 morts et 1 blessé à la compagnie. Beaucoup plus à la 13°. Nous sommes à 30 mètres des Boches et les voyons très bien dans leurs trous. Attaque sur la droite mais rien sur nous.
30 août
Fleury. Nuit agitée. Beaucoup de fusées de part et dautres mais journée plus calme à cause du mauvais temps. Jai envoyé Parriat à la Poudrière, faire le ravitaillement. Installation du téléphone dans mon P.C.!!! 1 blessé à la compagnie.
31 août
Fleury. Nuit agitée: 5 blessés à la compagnie par une grenade (Payaud, sergent - Grolleau). Je les fais transporter comme je peux par un temps horrible mais Robert meurt en route. Le matin, arrivée de ce pauvre Mr Strohl, très fatigué. Enfin, je reste avec lui la journée. Attaque sur notre droite et répercussion sur nous. Pas de mal. Mauvais temps, mauvaise nourriture. Cafard.
Vais bien jusquà présent. La liaison est plus facile que je ne pensais puisque jai reçu plusieurs lettres de toi, et celle de Loulou. Jessaie donc de tenvoyer cette carte qui tarrivera peut-être...........................
1 septembre
Fleury. Nuit assez agitée. Toujours des obus, des grenades, des alertes à chaque instant. La 1° section fait un prisonnier: un sous-officier très chic, dégoutté et disant quen face ils sont encore plus mal que nous. Tant mieux. Je reste encore la journée avec Mr Strohl mais Margat étant évacué, je prends provisoirement la 3° section, Drancès gardant la 1°.
2 septembre
Fleury. Toujours même chose. Vie épouvantable presque sans boire ni manger dans cet air vicié et puant le macchabée dune façon horrible (nombre de cadavres incalculable, français et boches. Amas de débris de toutes sortes dont nous faisons collection). Plusieurs blessés et Compain tué en faisant notre ravitaillement. Attaque le soir entre 8 heures et 9 heures.
3 septembre
Fleury. Nuit très agitée et journée terrible. Dès le lever du jour, les Boches font une attaque énorme à notre droite dont nous subissons le contrecoup. Le soir à 6 h., après une préparation dartillerie de 5 h., le 234 et le 212 attaquent. Le 234 fait plus de 300 prisonniers qui se rendent par sections entières. Plusieurs pertes à la compagnie. Que cest-il passé à notre droite?
Je vais toujours très bien. Nos affaires vont très bien aussi, les Boches sont des lâches qui se rendent ou ne font que peu de difficultés pour venir. Nous en avons des tas aujourdhui. On les aura..................
4 septembre
Fleury. Différentes attaques à droite et à gauche. Même vie toujours. De plus le 75 tire trop court et tape dans nos lignes malgré les fusées vertes!! Beaucoup de mal à la 13°. Attaque de 8 h. à 9 h. du soir.
5 septembre
Fleury. Même vie. Nous attendons la relève avec beaucoup dimpatience. Nous sommes très fatigués par lattention continue quil faut faire. Jenvoie un fusil Boche à la maison par Molière.
Rien de nouveau. Vais toujours bien. Nous commençons à trouver le temps long surtout avec la pluie comme cette nuit au milieu de cette installation................
6 septembre
Fleury. Nuit assez mouvementée. Agitation anormale à droite et à gauche de notre secteur. Journée très dure par le marmitage: Sergent Renard tué. Ordonneau - Nogués grièvement blessés. Quand partirons-nous dici?
Vais bien. Bons baisers à tous...............
7 septembre
Fleury. Même vie que précédemment. Quelques permissionnaires rentrent. Enfin un officier du 214 vient visiter le secteur, cest la relève pour ce soir. Relève agitée, grenades, barrages. Je men vais par un chemin détourné, sans incident et la compagnie se rejoint à Verdun. Casernes dAnthouard. Le lieutenant Strohl reste 24 heures de plus. Assez bien installé à lhôpital.
8 septembre
Verdun. Journée de repos. Repas au mess des officiers à la Citadelle avec A. Thomas et Lloyd George. Le soir, au moment où les commandants de compagnie reviennent, ordre de remonter aux abris St Michel le lendemain matin. Ca nous abrutit. Nous sommes pourtant tous bien fatigués. Vu J. Pierron, officier détat-major du Général Aimé, tué hier au fort de Souville.
9 septembre
Départ de Verdun à 7 h. du matin. Traversée de la ville du Fg Pavi (maison du capitaine Ney) et installation aux abris? St Michel. Très mal et pas abrités contre un bombardement. Journée calme. Où va-t-on aller encore? Le capitaine Duverdier part en permission. Quel veinard.
Je vais toujours très bien et suis maintenant un peu plus en arrière, mais je ne sais si cest pour longtemps. Reçu hier une lettre de toi et celle de Tante M.L...........................
10 septembre
Abris St-Michel. Nuit tranquille, mais un peu angoissée. Il parait que la division a eu beaucoup de mal sauf nous, cest pourquoi nous remontons. Les 2 autres bataillons, lautre brigade et une partie du 206 sont partis. Alors? Le soir, ordre de monter au fort de Souville où nous allons sans incidents. Vision des Tourelles!! Mörch et Greffard se font évacuer.
Laisse-moi te donner aujourdhui quelques détails sur ma plutôt triste situation, pendant que jai quelques instants de tranquillité.
Comme je te lai fait pressentir, nous avons passé 10 jours entiers à F. (Fleury) ainsi que toute la division qui, à notre droite et à notre gauche, a été très éprouvée par des attaques et des contre-attaques plusieurs fois journalières. Notre bataillon a été le moins abîmé de tous ceux de la division et, pour cette raison, après 3 jours de repos ? dans des endroits marmités, nous remontons ce soir (dans 2 heures) au fort de S. (Souville) et de là au bois de V.C. (Vaux-Chapitre).
Nous sommes tous un peu démoralisés par les pertes de tous les copains (73 officiers à la division) le colonel du 344 est prisonnier avec 2 bataillons. On na plus de nouvelles de Faustin. Mr Strohl est arrivé quand nous étions à F. (Fleury) et je suis un peu soulagé quoique laidant beaucoup car il y a à faire ici.
Les pertes du bataillon ne sont pas très élevées, avec la veine qui nous caractérise depuis le début (22 morts et une cinquantaine de blessés) mais les autres bataillons du régiment nont plus que 1 ou 2 officiers. Combien de temps allons-nous rester, je ne sais? Ne tinquiètes pas trop si tu nas pas de nouvelles encore dici quelques jours, je técris quand je peux.
Mörch en a assez et sest fait évacuer. Mr Strohl nétait pas content et la sévèrement réprimandé à son départ. Je ninsiste pas. Mon ordonnance à été légèrement touché et est parti. Quant à moi, je vais toujours très bien malgré 5 éclats dobus qui mont touché, mais dont 1 seul mait fait saigner et sans aucune gravité. Te décrire le champ de bataille par lettre est chose impossible. Quand nous nous reverrons, je te raconterai de biens jolies choses!!!
Reçu des nouvelles de Jean C. qui va bien et tes lettres depuis les n°32 à 39. Jespère que tu recevras toutes les miennes que je numérote le plus exactement possible. La dessus, je te quitte en vous embrassant de tout mon coeur. Quand técrirais-je maintenant. Jespère que cette expédition ne sera pas longue car toute la division est partie sauf nous....................
11 septembre
Fort de Souville. Batterie Est. Paysage aussi abîmé quà Fleury. Journée passée dans une redoute (ventilateur). Ordre de redescendre aux casernes Marceau. Enfin! Nous y bondissons! sans incidents. Un blessé seulement à la 2° section.
12 septembre
Casernes Marceau. Repos aux Casernes mais mal installés. Nous attendons les ordres et les tuyaux avec impatience. Enfin, ils viennent: cest pour aller au camp Davout. Cette fois nous y sommes!! Retour à 10 h. et marche très rapide, traversée de Verdun et arrivée par un superbe clair de lune au camp à 3 h. du matin.
13 septembre
Camp Davout. Le matin, visite du Colonel qui nous félicite et nous annonce notre départ prochain pour le repos. 8 h. du soir. La Tuile. Alerte, se tenir prêts à partir à la disposition de la division de Marceau. Nous sommes tous atterrés. Nuit tranquille cependant.
Encore quelques jours de faits sans casse pour moi. Pour le moment, je ne suis pas en danger, mais nous pouvons remonter dun moment à lautre.
Reçu tes bonnes lettres et ton succulent colis dont je te remercie beaucoup....................
14 septembre
Camp Davout. Nous attendons toujours des ordres de départ qui arrivent vers midi. Nous reprenons la route de Verdun à 4 h. Cantonnement au quartier dAnthouard. Repas à la Citadelle. Nuit calme.
15 septembre
Verdun. Journée tranquille. Lettres, journaux et repos. Les officiers des 5° et 6° bataillons vont reconnaître leur secteur à V.C. (Vaux-Chapitre). Nous. Rien.
16 septembre
Verdun. Journée tranquille. Le soir, les 5° et 6° bataillons montent à V.C. (Vaux-Chapitre). Nous, aux abris St-Michel où nous reprenons nos mêmes places.
Cest de ta ville même que je técris et je vais te raconter un peu ce qui nous est arrivé et ce qui nous arrive, car tu dois être un peu inquiète de la brièveté de mes lettres depuis une quinzaine de jours.
Et dabord, jai reçu ces jours-ci un colis de toi (gâteaux, tabac, conserves). Merci beaucoup, il est tombé au bon moment. Jai également reçu 2 lettres de toi les n°40 et 41. Félicite chaudement Jean du Sault et toute sa famille pour cette croix de guerre bien gagnée. Il peut au moins la porter fièrement, car il la mérite plus que dautres qui ne devraient pas se permettre de la porter sur leur poitrine. Je suis bien content pour lui, je tassure.
Or donc, après avoir passé 10 jours entiers à F. (Fleury), comme je te lai dit et avoir eu, dans la division, les pertes que tu sais, les 3 autres régiments sont partis. Nous nous croyions également relevés (cétait le 7 septembre) mais le commandement trouvant que nous navions pas assez de pertes, nous retint et nous envoya au repos? à V. (Vaux) et dans des camps de 2° ligne fortement bombardés puis au fort de S. (Souville) où nous avons eu quelques pertes encore.
De là, nous fûmes relevés le 13 et envoyés à 10 km en arrière. Nous croyions bien que notre période de tranchées était finie cette fois-ci et que les autres allaient venir nous chercher pour aller rejoindre au grand repos le reste de notre division (nous avons eu un bataillon anéanti et les 2 autres très abîmés). Pas du tout: après 2 jours de ce repos on nous fait remonter à V. (Vaux) où je suis actuellement et ce soir nous remontons vers le bois de V.C. (Vaux-Chapitre).
Personne ne comprend rien à ce régiment baladeur étranger à toutes les divisions ici présentes. Enfin, nous faisons ce que lon nous ordonne, mais nous sommes bien fatigués. Les effectifs des compagnies sont de moitié par suite des pertes et des évacuations! Enfin, à la grâce de Dieu! Quant à la croix de guerre que tu me prédis, ny compte pas encore, jai fait ce que tout le monde aurait fait à ma place et rien de plus. Comme je te lai dit, Mr Strohl est revenu et je mène ma section simplement ce qui est plus facile que commander une compagnie dans ces secteurs.
Que Tante, Loulou et Mad. ne se vexent pas si je ne leur réponds pas, mais au repos, je me rattraperai. En ce moment, je nécris uniquement que quelques petits mots que tu reçois de temps en temps.
Comme ravitaillement, cest au-dessous de tout bien entendu et il ny a quavant-hier et hier que nous avons pu prendre quelque chose de chaud depuis le 27 août. Etant donné le tir de lartillerie ennemie, on nous ravitaille comme on peut à dos de mulet (dont la moitié narrive pas) et lon nous apporte chocolat, sardines, pain, singe et fromage, mais nous navons que des demi-rations, car les Boches ne permettent pas à tout darriver et les environs des premières lignes sont jonchés de cadavres dhommes et de mulets chargés de ravitaillement. (Cest ça qui est une corvée).
Quant au paysage de ces secteurs de lutte continue, cest unique et je crois quil ne me sera jamais donné de revoir des choses pareilles. Figure-toi des photos de la lune (agrandissement) cest cela. Plus de routes, plus de bois, plus de maisons, même plus de ce village. Rien, rien, rien, pas même un indice qui dirait quil y avait un village. Le terrain seul est un peu plus blanc à cause de la poussière de pierres. Ajoute à cela un tir continu et ininterrompu des 2 artilleries. Cest à se demander comment des hommes peuvent aller et venir à ces 1° lignes et sy tenir.
Quant aux premières lignes elles-mêmes, je ne peux te les décrire, on se tient comme on peut dans des trous que lon tâche de réunir entre eux. Quand les boches viennent, on se défend avec tout ce que lon peut, car les munitions sont maigres, toujours pour la même raison: il faut quelles arrivent. Cette fois-ci, chère Maman, cest la vraie guerre, et si ce nétait pas si dangereux, ce serait vraiment curieux.
Maintenant ta ville est dans un piteux état. Jai été la visiter, vu la cathédrale où tu as fait ta 1° communion, enfin je pense à toi quand je my promène. Nous sommes dans la Citadelle et lautre jour, jy ai vu Albert Mesnard et Lloyd George. Voilà donc quelques détails qui tintéresseront un peu. Le régiment, en somme, a eu de la veine en comparaison des autres de la division, mais on la lui fait payer et tout nest pas fini mais je ne peux pas croire que lon y reste encore bien longtemps, surtout si nous allons nous y faire encore abîmer. Ne tinquiètes pas outre mesure, jai toujours une veine insolente et suis "tabou", mais évidemment ça passe bien près souvent.
Bonnes nouvelles de Mörch dans un hôpital à Chaumont, soigné par de gentilles infirmières. Quel type! Mr Strohl est toujours aussi mécontent de lui et ne la même pas proposé pour sous-lieutenant, lui qui serait passé 1° du régiment. Tant pis pour lui..................
P.S. Dis-moi bien ce que tu reçois de moi depuis le n°47. Je nai pas ladresse de Roger, mais je lui ai fait dire que jenvoyais par un permissionnaire, un fusil allemand avec sa baïonnette. Il faut quil aille le chercher chez Mme Molière, 11, rue du Collège. Dis-lui encore de sen occuper. Jai dailleurs ramassé plusieurs bricoles Boches dont je ferai faire une panoplie à ma prochaine permission............
17 septembre
Abris St-Michel. Bombardement des 2 artilleries. Mauvais temps. Pas dalerte pour nous. Japprends que Jean C. est à 3 galons. Cest très bien!
18 septembre
Abris St-Michel. Très mauvais temps. Lordre arrive de monter le soir à V.C. (Vaux-Chapitre) à la gauche des 2 autres bataillons, en remplacement de ce qui reste de 2 bataillons, 1 du 283, lautre du 288, décimé par le bombardement et par notre 75!!! Nous partons par un temps abominable. Route épouvantable. La relève pourtant seffectue bien, mais quel secteur. Nous sommes entourés de tout cotés (nous formons une pointe).
Je reçois à linstant ta lettre n°43 ce qui me prouve que la lettre 42 est perdue. Je trouve que lorsque tu es à Quinsac, il se perd beaucoup de lettre venant de toi. Cela doit venir du bureau, car de La Rochelle toutes arrivent. Je suis bien content de la nouvelle que tu mapprends: le 3° galon de Jean. On a mis le temps à lui donner, mais ça y est tout de même. Jattends davoir sa nouvelle adresse pour le féliciter, mais dis à Mad. combien je suis heureux pour eux deux?
Depuis ma dernière lettre, nous navons été et ne sommes encore quen 2° ligne, mais ce soir nous montons à V.C. (Vaux-Chapitre) par un bien mauvais temps. Pour combien de temps, je ne sais? Merci de tes prières qui, comme tu le vois, sont exaucées. Puisse cela continuer. Après cette tournée en 1° ligne, nous comptons fermement cette fois aller au repos et prendre ensuite un autre secteur qui ne sera pas V. (Verdun) (la division a en ce moment, le record de durée de V. (Verdun), près de 7 mois!).
Continuez à bien vous porter et à vous distraire le plus possible. Jespère tapprendre notre relève dici quelques jours maintenant car notre compagnie est à 95 hommes au lieu de 180. Au revoir, ma chère Maman, tu ne recevras maintenant que des cartes pendant quelques jours.....................
19 septembre
Vaux-Chapitre. Au jour, je commence à morienter un peu. Je suis dans un trou dobus avec de leau jusquaux genoux. Impossible de bouger. Nous sommes trop vus. Le mauvais temps rend la journée calme! Heureusement. Le soir tout le régiment est relevé par le 401 (1 section va chez les Boches et provoque un combat d1 heure). Je suis désigné pour rester passer les consignes 1 jour de plus!!! 1 blessé seulement à la compagnie. Plus de mal ailleurs (le régiment va au camp de Vomorin).
20 septembre
Vaux-Chapitre. Toujours dans leau, hier le 401 a eu 10 morts et 15 blessés à la relève! Journée plus agitée quhier, attaque à droite et à gauche, mais que quelques grenades sur nous. Le soir à 7 h., je file comme un lièvre malgré ma fatigue et trouve un camion aux casernes Marceau qui me conduit jusquau camp. Mr Strohl va mieux!
21 septembre
Camp de Vomorin. Enfin, cette fois, cest la bonne, je pense, et nous allons aller au repos. En effet, départ vers 6h. du soir pour aller sembarquer à minuit vers Nixéville. Voyage sous bois et embarquement qui se fait attendre. Enfin vers 24 h., on part par Dombasle, Récicourt, Clermont, Ste Menehould, etc... mais je mendors.
Suis sorti de là-bas. Nous partons pour de bon cette fois....................
22 septembre
Réveil en gare de à 6 h. du matin. On débarque et on va à pied à Villers-le-Sec (7 km). Je vois Voisin au D.D. qui se trouve à un village voisin du mien (Alliancelles). Bien installés à Villers-le-Sec. Nous allons nous y reposer et nous reformer. Je reprends ma 1° section qui est de 18 hommes! Magniez vient nous voir chez nous. Il a grossi.
Ouf, ouf, ouf, vingt-cinq mille fois ouf! Nous sommes enfin complètement partis de ce terrible coin, et je técris à des tas de kilomètres en arrière, dans un petit village près de « Sermaize » (Marne) sur la grande ligne Paris-Nancy. Jai aussi la grande joie de tapprendre que je suis cité à lordre de division pour lattaque dAvocourt (la dernière avant de partir). Cest certainement encore une attention délicate de Mr Strohl qui vraiment est pour moi plus quun camarade, un véritable ami (ci-joint une copie de lordre que je garde). Jai donc enfin cette croix de guerre que je désirais tant.
Depuis ma lettre du 18, voici ce que nous avons fait: Nous sommes montés à ce fameux bois de Vaux-Chapitre si justement réputé, et nous avons encore eu la veine qui nous suit partout: il a fait un temps de chien, une véritable tempête extrêmement forte qui nous a donné ces 2 avantages:
1°/ de ny rester quun jour.
2°/ de ne pas attaquer ou être attaqué, ce qui se fait tous les jours sans exception là-bas.
Dun autre coté, nous étions dans un
état pitoyable, complètement trempés
jusquaux os et vautrés dans une boue infecte et gluante.
Mr Strohl qui, comme tous les commandants de compagnie, devait rester
24 heures de plus dans le secteur, était tellement souffrant
que je lai remplacé; jai donc fait le double de
temps durée, mais le temps a
été moins mauvais dans la journée du 20 qui, de
ce fait, a été très dure, mais je men suis
tiré comme tu le vois.
Depuis, nous sommes revenus et sommes au repos dans ce gentil petit village où je suis comme un roi, dans une grande chambre très gaie. Jespère que nous allons y rester quelque temps. Je tavoue que jamais je ne me suis senti littéralement si « vidé ». Je ne puis plus marcher sans avoir des douleurs dans les cotés et le dos, mais bah! ça passera.
Comme camarades officiers, en somme que tu connaisses et qui sont mort, nous avons le lieutenant Marsas (avec qui je suis photographié en février dernier) et Garraud, lieutenant également, avec qui javais été au lycée pendant 4 ou 5 ans. Les autres, tu ne les connais pas. Ce pauvre Basset, tu as du le savoir, a reçu une balle en pleine tête, a été trépané mais va le mieux possible maintenant.
Hier jai été demandé par le capitaine Gaillot (81°) qui en me voyant arriver, ma serré dans ses bras et embrassé comme son fils. Jai été très touché. Il ma appris que Paul Bouyé était amputé du bras droit!! Le savais-tu? La division vient en somme de recevoir le plus fort étrillage quelle na jamais eu même au début et il faut sestimer heureux quà la compagnie, nous ayons aucune perte dofficiers, mais les hommes ont écopé. Ma section a été réduite en 20 jours de 46 à 18 hommes! et tous les régiments dans les mêmes proportions....... ou plus.
Selon nos conventions, je compte que tu voudras bien menvoyer une croix de guerre avec étoile dargent en échange de celle que lon me remettra et que je tenverrai de suite. Ajoutes-y une petite barrette. Merci davance (autant que possible, un ruban court).
Bonnes nouvelles de Mörch. Rien de plus à te dire. Sois tranquille à mon sujet dici quelque temps maintenant. Je vais remettre ma correspondance à jour et faire du cheval! Hip, hip, hurrah!
Bons baisers à tous de la part dun homme heureux..................
P.S. Ta lettre 44 mest arrivée avec du retard car tu avais mis S.P. 59. Cest toujours 136 pour moi.
Pauvre Mme Boutiron. Je la regrette beaucoup moi aussi et je comprends très bien ton chagrin que je partage bien, je tassure.
Je ne te parle pas du secteur V.C. (Vaux-Chapitre). Cest encore plus terrible que F. Cest inimaginable et je ne veux même plus y penser.
Au moment de cacheter ma lettre, mon ordonnance mapporte mon courrier: ta bonne lettre n°45 à laquelle je réponds tout de suite et une carte de Jean Ch.
- La Cathédrale de V. (Verdun) na pas beaucoup souffert et une seule des 2 tours na reçu, jusquà présent, quun gros calibre.
- Pour le froid, je te serai reconnaissant de menvoyer des caleçons de coton, des chemises, chaussettes chaudes et mon cache-nez. Je tenverrai dici peu mon linge dété par un colis. Nenvoie pas le gros caleçon de laine.
- Merci des nouvelles Faustin, je ne savais rien de ce que tu me dis. Tant mieux si ce nest pas grave.
- Pour Bouyé, je viens de te lécrire.
- Je nai pas reçu la lettre de Mad. contenant les photos. Ah! quelle sale poste que celle de Quinsac. N. d. D. cest à rouspéter vraiment depuis quelque temps.
- Je pense bien que ce fusil est pour moi!!!!! conserve-le moi précieusement. Je suis sûr quil est arrivé 11, rue du Collège, car le permissionnaire vient de revenir à linstant et ma dit quil avait attendu en vain Roger, mais que mon fusil était chez lui et prêt a être donné à qui viendrait le chercher. Envoie-le, à mes frais, le faire nettoyer par un armurier! Quon ne me le barbotte pas et quon ne me le change pas pour un autre. Jy tiens absolument. Cest un de mes plus précieux souvenirs.
Où tadresser mes lettres? à Quinsac ou à Ruelle. Tu ne me le dis pas? et je ne sais plus quelles sont tes intentions.............
23 septembre
Villers-le-Sec. Repos. Nous commençons à recevoir des renforts. Je vais à cheval visiter Sermaize avec Voisin. Journée superbe. Mr Strohl mapporte lextrait de la décision annonçant que je suis cité à la Division. Allons, tant mieux!!! Le soir, Piano.
De retour dune promenade à cheval délicieuse dans le village ci-contre, je tenvoie ces quelques mots pour te dire que tout va bien. Jai reçu ton colis hier. Bien quici jai tout ce quil me faut, il a été le bienvenu et je te le garde pour des temps moins heureux. Envoie-moi des lainages quand tu voudras, des chemises de flanelle, des chaussettes de aline, des caleçons chauds, mon cache-nez et des gilets de flanelle. Je vais tâcher de tenvoyer mon linge dété et mon costume de toile qui encombrent ma cantine................
24 septembre
Villers-le-Sec. Toujours des renforts. Messe, puis déjeuner avec Sandaran à Alliancelles avec les camarades du D.D. Retour et organisation de la compagnie.
Je reçois à linstant ta lettre n°46 du 20 contenant la photo de Madeleine, dont je te remercie beaucoup. Dis-lui, je te prie, que je vais lui écrire très prochainement pour la remercier directement.
Aujourdhui, dimanche, jai assisté à la messe et une jeune femme du village ma prié de chanter, ce que jai fait (dans les choeurs, bien entendu). Jai également assisté aux vêpres et ai bien entendu remercié Dieu de mavoir protégé pendant cette période véritablement si dure et si terrible!
Ne tinquiètes pas si de quelques jours, tu ne reçois rien de moi, car nous allons déménager. Demain, nous prenons le train pour gagner les environs de notre futur secteur (Lorraine ou Vosges). Nous jubilons tous de quitter enfin Verdun. Cest notre division qui a le record de durée dans ce secteur.
Je tenvoie ci-joint quelques photos que tu as peut-être déjà eues par Jean. Ce sont celles quil a prises au camp de V. (Verrières) quand il est venu nous voir. Plus rien à te mettre: je me repose par un beau temps dans un joli pays. Cest idéal................
P.S. Jai oublié de te dire que pendant cette période, jai reçu un gros colis de lîle Maurice. Je vais écrire pour remercier.
25 septembre
Villers-le-Sec. Repos et organisation de la compagnie. A 10 h. nous partons pour aller au repos derrière notre prochain secteur. Où? Personne ne le sait. Embarquement à 6 h. du soir. Nous sommes très joyeux tous!
26 septembre
Arrivée à 6 h. du matin à Lincourt près de Lunéville. Nous allons reprendre notre ancien secteur de Lorraine!!! et allons le rejoindre par étapes. Nous partons pour Blainville. Arrivée à 11 h. du matin. Repos. Zonzon!! Bien installé! Village superbe.
27 septembre
Départ de Blainville à 6 h. du matin. Je suis très vaseux!! et arrivée à Drouville vers 2 h. de laprès-midi après une grande halte près de Haraucourt. Mal installés. Chambre à quatre. Je suis très mal fichu et dois avoir de la fièvre. Bah! ça passera.
28 septembre
Drouville. Repos. Je profite du voisinage pour aller à Hoéville voir danciennes connaissances. Suis très bien reçu par Rose devenue une jolie fille de 18 ans. En rentrant, suis fatigué. Quelle barbe. Péré est nommé adjudant. Chemin, sergent-major. Parriat, fourrier.
Si jai bien calculé, tu as de recevoir juste avant ton départ de Quinsac ma carte 59 bis tannonçant cette lettre-ci et te promettant des détails: les voici.
Mais dabord, jai reçu dernièrement tes deux lettres n°47 et 48, me donnant de vos bonnes nouvelles à tous. Je pensais bien que cétait pour Ruelle que tu partais. Pour combien de temps? Si je te demande cela, cest que ma permission approche à grands pas et je serai à toi au plus tard vers la Toussaint c.a.d. dans un mois. Maintenant, ma citation me donnant 2 jours de plus, jen passerai probablement un à Paris pour me nipper, car cette campagne de Verdun ma usé mes effets sans me permettre de men procurer dautres. Je te rejoindrai de là, où tu voudras, à Ruelle si tu veux, à la condition que je passerai tout de même 4 ou 5 jours à La Rochelle.
Or donc, nous avons déménagé et sommes actuellement............... dans cette brave vieille Lorraine dautrefois, ce bon secteur si calme. Nous allons prendre le secteur que nous avions en janvier-février 1915. Tu vois cela dici!!
Le voyage sest effectué par chemin de fer et par étapes à pied. Jespère que tu nauras pas été trop inquiète de ne pas avoir de nouvelles de moi pendant quelques jours. Je tavais prévenu que je ne risquais absolument rien.
Jai reçu hier une carte de ce brave Basset allant aussi bien que possible. Soigné à St-Florentin (Yonne). Il tenvoie ses respects, ainsi quà Madeleine.
Que te dire de plus, si ce nest que nous croyons rêver de retrouver nos anciens villages connus, nos anciens amis et ..... amies, nos anciennes habitudes et surtout, le coin aussi tranquille que par le passé, ce qui nous change, je te le jure.
Je vais écrire une carte à Roger pour le remercier davoir été chercher le fusil. Je suppose que cest lui car le soldat Molière ma dit que sa femme lui avait écrit quon était venu le chercher de ma part chez lui.
Je te quitte, chère Maman, en te priant dembrasser tendrement Mad. et Muguet. Jécrirai à Mad. prochainement, mais je suis surchargé de correspondance, après un mois sans avoir écrit quà toi. Mes meilleurs baisers à loncle Louis, Tante Marie-Louise, Ninette, etc... etc... et tous ceux avec qui tu es.............
Je técris à la fois à Quinsac et à Ruelle. Ma lettre 59 tattendra donc là-bas, te donnant des détails sur notre nouvelle installation.
Vais toujours très bien, surtout depuis quaucun soucis nexiste plus. Avant de partir, bons baisers à tous ceux que tu laisses de ma part. Je leur écrirai très prochainement..............
29 septembre
Drouville. Les officiers vont faire la reconnaissance du secteur (nous prenons la gare de Moncel avec repos à Mazerulles). Mr Strohl me laisse pour surveiller la compagnie. Je nen suis pas fâché, car ça ne va pas fort. Jai 37,7 de fièvre.
30 septembre
Drouville. Je fais venir Bader qui, me trouvant 38,2 de fièvre, mévacue! Je pars en auto et suis dirigé sur le sanatorium de Lay-St-Christophe. Bien installé, mais ça ne vas pas. Le régiment monte ce soir aux avant-postes.
1 octobre
Sanatorium. Soin et Repos. Fièvre. Lit. Diète. Connaissance de lofficier dadministration. Mr Campan, fort aimable.
Ne tinquiètes pas par ce titre dambulance et les cachets qui probablement couvrent ma lettre. Voici ce qui marrive. Depuis 3 ou 4 jours jétais fiévreux, ayant attrapé un gros rhume à V.C. (Vaux-Chapitre) par ce sale temps. Or hier, je me suis réveillé avec plus de fièvre que dhabitude (38,2) et le médecin na pas voulu me laisser monter aux avant-postes, car le régiment est remonté hier soir, mais dans un chic coin, avec cette fièvre et ma évacué séance tenante. Jai été dirigé en auto à 2 km de Nancy dans un sanatorium dont je tai parlé autrefois, je crois, où comme officier je suis très bien installé naturellement.
Cest le médecin-chef qui me soigne lui-même, il ma fichu à la diète avec défense de sortir du lit, car javais de la fièvre encore ce matin. En somme, cest une petite bronchite que jai, sans plus de gravité.
Je técris de mon lit et je ne suis pas merveilleusement installé. Les infirmiers sont complaisants, mais, naturellement, je tombe sur une ambulance où il ny a pas dinfirmières!!!! Cest bien ma veine. Il ny a que quelques soeurs âgées qui lavent le linge et entretiennent la lingerie.
Le site est superbe, en pleine campagne. Létablissement donne en plein vers le sud et est abrité par des accidents du sol très prononcés, des vents du nord. Est et Ouest! Cest à deux pas de Bouxières-aux-Dames où jirai me promener dès que je pourrai sortir. Je vais tâcher de profiter de mon passage ici pour me faire arranger les dents qui se creusent de plus en plus.
Maintenant, ma permission que va-t-elle devenir là dedans? Probablement cela ne changera rien, car si je reste longtemps ici, jaurai une convalescence de 7 jours, si je rentre au régiment, jai ma permission qui mattend à la fin du mois. Pour bien faire, il aurait fallu que je sois évacué après ma permission car, ainsi, jen aurai eu deux, dont une naurait pas compté. Enfin, on ne choisit et je suis furieux davoir été évacué, moi qui voulais faire toute la campagne debout. Mais le fait est que je ne me vois pas aux avant-postes aujourdhui, je suis comme un poulet sans forces.
Au revoir, ma chère Maman, ne tinquiètes pas, ce nest rien de grave, tu vois et je rejoindrai rapidement les copains....................
2 octobre
Sanatorium. Idem. R.A.S. Visite du médecin inspecteur.
Rien de changé. Ai toujours un peu de fièvre, aussi: diète et lit, mais je pense me lever demain. Ce qui mennuie le plus, cest le gros retard que va avoir ma correspondance du fait de ce déplacement. Enfin!..............
3 octobre
Sanatorium. Toujours de la fièvre. R.A.S.
Ca va un peu mieux, ce matin. Jai moins de fièvre et au lieu de navoir que du bouillon et du lait, comme les jours précédents, jai mangé aujourdhui un oeuf et du riz au lait (malheureusement je ne laime pas!)
Je suis très bien soigné et linfirmier chargé de mon service (il est de Bordeaux et un peu, hé! le gonze!!) me demande ce matin si jétais parent au Dr Triaud de la rue Camille Godard (il habite 22, rue du Jardin Public). Ah! je pense bien que je le connais à votre Oncle. Hé! je le vois passer tous les jours devant chez moi, et même que je connais ses fils quil y en a un qui porte un lorgnon!
Il mamuse ce type avec son accent. Je ne peux toujours pas me lever ce qui mennuie car je ne mamuse pas et ne prends pas de forces. Quelle patraque je suis. Quest-ce que je peux bien avoir dans le coffre, je ne souffre de rien quun peu dans le dos, aussi on my colle des ventouses « en pagaille ». Je ne sais que faire, je lis et je rêve. Dehors, jai une vue superbe, je vois la grande ville au fond du couloir entre 2 hauteurs. En bas de ces hauteurs serpente la Meurthe. Je vois tout cela de mon lit, cest très chic, mais pas drôle tout de même. Jen ai déjà assez de cette vie, ça ne me va pas et vivement que je démarre retrouver les copains. On rit au moins, tandis quici tout seul dans une chambre dofficier, je me morfonds entre 4 murs. Si seulement javais une gentille infirmière. Je ten fiche, cest un poilu qui se met au garde-à-vous pour me passer le pot!!!!
Il y a dans ce sanatorium un jeune médecin qui a été autrefois sous-officier avec moi. Il vient me voir et mapporte quelques livres. Puis jai les journaux. Enfin la journée passe, mais cest bien long. On vantait tant les hôpitaux en disant que cétait merveilleux, quon y était dorloté, bien à tous points de vue. Evidemment, je suis bien soigné et jai ce que je veux immédiatement, mais je membête bigrement. Il ne faudrait pas que je reste là-dedans longtemps pour devenir neurasthénique. Enfin quand je pourrai sortir, jirai à Bouxières-aux-Dames voir Marguerite. Ca me distraira.
Je te quitte, car je ne sais plus quoi te mettre et que ce nest pas commode décrire au lit................
P.S. Excuse cette lettre, sans fond et sans forme!
4 octobre
Sanatorium. Vais mieux. Je mange un peu plus et me lève quelques heures. Moins de fièvre.
Tout dabord, je vais beaucoup mieux. Je nai plus de fièvre ce matin, ai mangé plus que ces derniers jours, et me sens mieux à tous les points de vue. Ne tinquiètes donc pas à mon sujet, cela nen vaut pas la peine. Je suis debout et me suis levé quelques heures pour écrire. Je suis bien installé sur une table, quelle superbe vue jai de la fenêtre de ma chambre.
Ce matin, grande émotion: jai entendu le canon pour la 1° fois depuis que je suis revenu dans le secteur. Et encore cétait sur 4 malheureux avions Boches qui, sans doute, voulaient venir lâcher leurs crottes sur Nancy. Ils nont pas fait cette saleté, car nos valeureux artilleurs!!! leur ont fait faire 1/2 tour.
Je continue toujours à membêter, moins, car je suis levé. Quand je pourrai sortir, je me trouverai probablement très bien ici. Je lis en ce moment la vie de Julie de Lespinasse par le Marquis de Ségur..... et lEcho de Paris sur lequel je constate que les types qui nous ont relevés là-bas, nen fichent pas une secousse!! On ne parle plus de ces intéressants patelins sur le communiqué..................
5 octobre
Sanatorium. Mieux. Je me lève, mais ne sort pas, il fait un temps affreux.
6 octobre
Sanatorium. Rencontre de Chatellier qui a une entorse au genou. Nous nous faisons mettre dans la même chambre et prenons nos repas ensemble.
Jespère que tu ne te seras pas inquiété hier de ne point avoir de lettre de moi. Je vais mieux, beaucoup mieux. Je me lève tous les jours et suis au « petit régime » nayant plus de fièvre. Jespère même, si le temps le permet, sortir demain dans le parc.
Ce qui mennuie, cest que je nai pas encore ma correspondance, ni directement, ni les lettres en retard par la compagnie. Cest très étonnant car jai reçu un colis avec adresse corrigée (pas par toi, je suppose) et contenant 1 cache-nez, une chemise et une flanelle. Merci en tous cas de cet envoi. Je croyais que la croix était dedans, mais je nai rien trouvé!
Le temps qui, hier, était très mauvais, est assez beau aujourdhui. Quelle région calme, en comparaison de ce que nous venons de quitter. On se sent heureux de vivre dans un pays comme celui-ci où lon na pas les oreilles sans cesse cassées par le bruit du canon.
Je mennuie un peu moins et même plus du tout. Figure-toi quil est venu à lambulance un de mes anciens camarades dactive, sergent en même temps que moi à La Rochelle et que je navais pas vu depuis. Il est sous-lieutenant au 344 maintenant après avoir été blessé au 123. Il connaît très bien Roger. Nous avions été ensemble à Bordeaux et à Limoges, passer lexamen dE.O.R.. Nous sommes, sur notre demande, dans une chambre à 2 lits et je ne mennuie plus du tout.....................
7 octobre
Sanatorium. Tout à fait rétabli, je sors et vais à Bouxières. Je prépare une chambre pour Mme Chatellier qui va venir.
Mon courrier ne ma pas encore rejoint et je nai aucune nouvelle depuis 7 jours, je ny comprends rien et suis bien ennuyé. Je vais beaucoup mieux et suis complètement tiré daffaire. Je vais tâcher de faire soigner mes dents pendant que je suis ici.
Jai pu aller, pour ma première sortie, à Bouxières. Je tai écrit que jen étais tout près. Jai trouvé tout mon monde en excellente santé et bien content de me revoir. Tout le monde a grandi ou embelli, enfin je suis revenu enchanté de ma promenade. Jai bien envie de laisser mon linge dété (2 chemises et 3 caleçons, jai jeté le reste qui était en très mauvais état) et mon petit uniforme chez Marguerite, elle me lenverra, ou, si je suis dans la région, je lenverrai chercher aux prochaines chaleurs. Cela évitera des colis à faire et à expédier. Je lui demanderai demain si cela ne la gêne pas.
Jespère que vous avez de bonnes nouvelles de Jean C. Je suis comme isolé depuis 7 jours, cest bien ennuyeux, je tassure....................
8 octobre
Sanatorium. Journée passée à Bouxières-aux-Dames. Je déjeune chez Jacquot et passe la journée très gaiement avec eux et Marguerite.
Enfin, jai reçu hier ma correspondance en retard (15 lettres dont 4 de toi: les n°51, 52, 53 et 55) encore une de perdue, cest désolant. Daprès les dates, ce devrait être ta première de Ruelle ou ta dernière de Quinsac, celle enfin, mannonçant la réception de mes n°59 et 59bis dont tu ne me parles pas dailleurs. De plus, le second paquet, contenant la croix de guerre, mest arrivé et je te remercie beaucoup du linge. La croix est très bien, cest tout à fait ce que je voulais comme accessoires, cest parfait. Le petit bout de ruban est commode aussi et javais lintention de men acheter ainsi. Cest donc pour le mieux. Merci.
Ici, rien de nouveau, je vais tout à fait bien, je suis au grand régime et sors tous les jours; quand il fait beau, je vais à Bouxières.
Tu ne me parles pas, il est vrai que cest peut-être dans la lettre perdue, de ce que je devrais faire si ma permission venait avant la Toussaint. Redis-le moi, je te prie, au reçu de ma carte. Reçu des cartes de félicitations de Tante Marguerite, Loulou, etc... une bonne lettre bien aimable de Mr Strohl, me disant de revenir vite, 3 lettres de Mörch, etc... etc...
Au revoir, ma chère Maman, je ne souffre plus de rien et suis tout à fait convalescent maintenant. le traitement de mes dents nest pas encore commencé...................
9 octobre
Sanatorium. Je commence à me faire soigner les dents.
10 octobre
Sanatorium. R.A.S.
Je reçois à linstant ta lettre n°57 (le n°56 est encore perdu) mannonçant la 2° blessure de ce pauvre Daniel; il na vraiment pas de chance, et contenant le petit mot de Tante Lilia. Tu ne me parles pas encore de lendroit où je dois aller en permission, mais daprès une phrase où tu me parles de riz au lait dAmélie, jai cru comprendre que si jobtenais ma permission avant le 1° novembre, tu me donnais rendez-vous à Ruelle. Si ma perm. nétait quaprès la Toussaint, la question ne se poserait pas et jirai directement à La Rochelle. Autre chose: si je vais à Ruelle, ce ne sera pas pour longtemps, je te prie, car je tiendrai à aller à La Rochelle, le plus de temps possible.
Je vais très bien maintenant, et le Médecin-Chef ne soccupe presque plus de moi; plus de fièvre, ne toussant presque plus: je suis maintenant entre les mains du dentiste qui a 2 dents à me réparer, tu le sais. Jusquà présent, je nai pas souffert.
Comme tu dis, ce nétait pas la peine que tu viennes ici, jaurais été guéri avant ton arrivée, et tu naurais pu coucher à lambulance. Il aurait fallu prendre une chambre à Bouxières, ce qui aurait été facile, mais nous nous serions peu vus. Dici peu, maintenant, jirai moi même tembrasser, cela vaudra mieux. Une lettre dAnne, passée par tes mains dailleurs, me dit que Daniel est soigné à Deauville. Cest chic! et que ce nest pas grave. Tant mieux.
Je te quitte, jécrirai à Mad. demain........................
P.S. Le colonel Delon est nommé Colonel ainsi que le mien qui, lui aussi, nétait que lieutenant-colonel.
11 octobre
Sanatorium. Arrivée de Mme Chatellier! Tableau! Elle reste toute la journée avec nous et prend le 1° repas à notre table.
12 octobre
Sanatorium. Je vais passer quelques heures à Bouxières.
13 octobre
Sanatorium. Je vais à Nancy en fraude pour faire quelques courses pour Campan et moi.
Vite un mot, avant de me coucher. Je vais très, très bien et seul le traitement de mes dents continue. Jai aujourdhui eu loccasion daller à Nancy et my suis commandé un manteau, selon tes instructions, pour aller en permission. La grande ville na pas beaucoup changé. Je la trouve cependant un peu vide ayant été évacuée de nombreux habitants effrayés par les 380 qui y pleuvaient assez dru il y a quelques mois.
Ici, la vie continue bien monotone et jai hâte daller retrouver les copains. Mon camarade a fait venir sa femme et cette jeune Libournaise avec son petit accent gascon, nous distrait énormément. Cest moi qui lai installée à Bouxières dans une maison connue, qui lai accompagnée, son mari étant immobilisé par une entorse du genou (elle est dailleurs fort mal).
Pas encore de lettre de toi, cest désespérant à la longue. Ca ne marche pas le courrier depuis quelque temps. Allons, je te quitte car je meurs de sommeil. Bons baisers à tout ce qui sappelle Triaud et Chagnaud...................
14 octobre
Sanatorium. Mr Campan vient toujours causer avec nous après le repas ainsi que le caporal. Prêtre. Rod - Ger -
Enfin aujourdhui, je reçois 3 lettres de toi: ta lettre 58 du 9 octobre et aussi tes 2 lettres en retard 54 et 56. Je ny comprends rien et ne vois pas du tout quel itinéraire elles ont pu suivre. Enfin je les ai et cest entendu, si je vais en permission avant le 1° novembre, je passerai te prendre à Ruelle; sinon, à moins dordres contraires, je vais directement à La Rochelle après le 1° novembre.
Je tai annoncé réception, et tu dois le savoir à lheure actuelle, des 2 colis dont je te remercie beaucoup. Maintenant, à part de grosses chaussettes que tu menverras après ma permission, à moins que je ne les emporte moi-même, je nai besoin de rien. Ne menvoie plus rien sans que je te le demande, cest inutile.
On continue à me soigner les dents dont lune sera définitivement plombée bientôt, mais lautre: ce sera très long, et lon me préparera seulement lemplacement pour une couronne artificielle en or que lon me posera plus tard, quand elle sera faite. De toute façon, je ne crois pas être pour longtemps ici maintenant, et je ne demande quà rejoindre les copains et menvoler ensuite vite vers Ruelle ou La Rochelle.
Joubliais de te dire que jai reçu un petit mot de Tante Marie-Thérèse dont ladresse était mise par toi dailleurs. Je lui répondrai dici peu.
Au revoir, chère Maman, mille baisers à tes hôtes et pour vous trois, les meilleures caresses de ton fils qui vous aime.
15 octobre
Sanatorium. Messe puis journée à Bouxières avec mes amis Jacquot et Marguerite.
16 octobre
Sanatorium. Je continue à me faire saigner les dents: lune delle à besoin de soins délicats qui me tiendront encore quelques jours. Je vais très bien par ailleurs.
Hier, reçu ta lettre n°59 du 10. Je ny ai pas répondu, car aujourdhui, je viens te dire que je vais tout à fait bien. Le médecin-chef ne me regarde même plus.
Quant aux dents, ils ne me regardent que trop et aujourdhui mont invité à les voir 2 fois. Ils mont fait, ce soir, une séance très longue et fort ennuyeuse où, malgré leurs efforts, ils nont pas réussi à me faire mal. Mais ils mont scié une dent en deux pour y mettre une couronne en or plus tard et je tassure que ce nétait pas très agréable. Quelle veine jai de ne pas souffrir des dents: Mon pauvre camarade sen fait arranger 3, arracher 6 et souffre toute la journée. Moi, je ne mennuie que chez le dentiste, je ne sens rien quand les soins sont finis.
Pour ma permission, je ne crois pas, et jen suis presque sûr, avoir un congé de convalescence, car ce « rabiot » que je fais à lambulance en tient lieu. Je serais déjà parti depuis 3 ou 4 jours sans mes dents.
Il faudra donc attendre que je rentre à ma compagnie pour partir ensuite à mon tour qui, très probablement, sera arrivé. Je partirai donc, selon toutes vraisemblances quelques jours seulement après mon départ dici, à moins de changements survenus pendant mon absence du corps.
Je vous souhaite à R. (Ruelle) un plus beau temps quici où il ne fait que pleuvoir depuis quelques jours. Au revoir, chère Maman, ne te fais plus de bile à mon sujet: je suis tout à fait retapé maintenant................
17 octobre
Sanatorium. R.A.S.
18 octobre
Sanatorium. R.A.S.
Reçu ta bonne lettre du 12, n°60, contenant la carte de ma gentille cousine Jeanne Malbec.
Je continue à bien me porter et à me faire soigner les dents. Ne tinquiètes donc pas sur mon compte, je ne souffre pas et attends patiemment le moment proche, je lespère, où le dentiste me donnera mon « Exceat ».
Les journées, pluvieuses depuis un certain temps, passent monotones. Elles sont un peu égayées par la visite quotidienne de la femme de mon camarade. Elle apporte avec son accent, un peu de soleil du Midi et moi qui aime beaucoup taquiner les femmes, je mexerce à ce sport favori dont je suis sevré pourtant depuis longtemps.
Les nouvelles que tu me donnes de Maurice ne sont point bonnes et je plains bien mon pauvre cousin dêtre arrêté si longtemps. Quant à Roger, ne dis pas cela à ses parents, ni à lui-même, ce que tu mas dit ma fait bondir: Quoi! il va passer sous-lieutenant. Et bien, ce nest pas la peine de se faire casser la g... si ceux qui sont à larrière depuis 2 ans, ont les mêmes avantages et le même avancement. Cest honteux et mon camarade qui connaît Roger et à qui je nai pu mempêcher de lire le passage de ta lettre en est outré au même point que moi. Enfin, cest bien toujours la même chose.
Jai reçu aujourdhui une carte de Jean C. qui va bien et était au repos après sa grosse affaire....................
19 octobre
Sanatorium. R.A.S.
Je viens de recevoir à linstant ta lettre n°61 du 14. Ici, rien de nouveau, je vais toujours aussi bien, je sors des mains du dentiste qui ma dit que demain tout serait fini. Il va me mettre une couronne en or et me plombe simplement lautre dent. Par exemple, il me faut payer 30 frs et me dit doublier ce prix dans le civil. Quest-ce que ça doit être alors!!!
A partir du moment où tu recevras cette lettre, écris-moi à la compagnie car jy serai certainement, sinon le 21, de moins le 22. Elle est en première ligne en ce moment et jirai la rejoindre, à moins que jai un congé de convalescence, ce que je ne crois pas comme je te lai déjà dit.
Quel sale temps depuis quelques jours, il ne fait que pleuvoir continuellement et la femme de mon camarade en est toute chagrinée; elle ne connaît que rarement ce temps-là.
Je tai dit hier que javais eu hier une carte de Jean C. qui me donnait les mêmes nouvelles que toi. Tant mieux: il sen est encore tiré, le pauvre bougre. Je suis content quil soit médecin, il sen tirera peut-être, mais la guerre ne finira maintenant que quand tous les combattants y seront passés. Jai bien peur que ça ne marche pas bien, bien, bien en Orient. Que ten semble?
Allons, je te quitte, en te priant dembrasser toute la Famille de ma part et en particulier les deux Petites.............
20 octobre
Sanatorium. R.A.S.
21 octobre
Sanatorium. Mes soins sont terminés et je vais men aller demain rejoindre mes camarades aux avant-postes.
Ca y est. Mes dents sont réparées et en très bon état maintenant. Jai une dent en or sur le coté, « un plombage » au ciment à lautre, de plus le dentiste très gentiment ma fait un nettoyage complet de ma mâchoire qui est blanche comme du lait!!! Tout cela sans aucune souffrance: cest épatant.
Je vais donc, demain matin dimanche, quitter ce sanatorium où je me suis complètement retapé et où jai engraissé. Je vais rejoindre ma compagnie ma compagnie aux avant-postes et me débrouiller à obtenir ma permission. Ce que cest dêtre officier: le médecin-chef a téléphoné au service automobile de mettre une voiture à ma disposition demain pour me conduire a mon régiment. Si javais été simple poilu ou même sous-officier, je me mettais mon sac sur mon dos, mon fusil sur lépaule et en avant, une.. deux.. pédibus cum jambis, jaurais dû rejoindre!
Reçu aujourdhui ta lettre 63. Le n°62 ayant suivi lécole buissonnière, je le retrouverai peut être un jour! Quelle salle poste, tout de même.
Merci des nouvelles de Jean C.. Tu sais combien elles mintéressent toujours et je te suis bien reconnaissant de men parler dans chacune de tes lettres. Le coulant de serviette de Mad. est fait et elle choisira entre 2 dessins..................
P.S. Je ne técrirai plus quune fois à la compagnie maintenant.
22 octobre
A 9 h. Messe. A 10 h. une auto vient me chercher et me mène à Erbéviller où je déjeune avec le Colonel. Je rejoins Sornéville à 2 h. et y reste à dîner chez le Commandant qui me fait jouer au bridge. Japprends que le lieutenant dOlce est nommé Capitaine et que le capitaine Ney est adjudant-major du 5° bataillon.
23 octobre
Je rejoins dans la matinée la compagnie qui se trouve au Poirier, commandée par Simon (Mr Strohl suit un cours à Essey, Sandaran en permission et Mörch, revenu, est à Saulxures). Secteur très étendu mais calme et de toute sécurité. Je me mets au courant du service.
Comme je te lai dit, je suis à lheure actuelle à la compagnie qui pendant mon absence a subi des tas de changements, au point de vue gradés. Le lieutenant Strohl, commandant de compagnie suit un cours. Sandaran est en permission. Il ne restait donc plus que Drancès, trop jeune officier pour commander la compagnie. On a donc fait venir un officier dune autre compagnie. Quel méli-mélo.
Enfin je me trouve en première ligne mais dans un secteur!!!... de mères de famille. Jirai cependant dans 2 jours occuper un P.P. (petit poste) très avancé et très important sur les bords dune rivière (dans une tranchée faites à lemplacement dun moulin) mais qui nest guère dangereux quen cas de surprise nocturne. Peu de balles, peu dobus, pas de grenades. Tranquilles et propres (car le secteur est merveilleusement organisé depuis le temps quon ne sy bat pas). Sois donc tranquille.
Mon déménagement sest très bien effectué. Parti du Sanatorium vers 10 h. du matin en auto, jai été retenu à déjeuner par le Colonel à qui jai été me présenter, puis à dîner par mon Chef de Bataillon qui ensuite m'a engagé à ne rejoindre les 1° lignes que le lendemain au jour (car on peut se promener le jour tellement cest calme, tellement les boyaux sont bien faits et tellement nous sommes éloignés de lennemi (800 à 1200 mètres). Jai donc fait un bridge avec le docteur, le Capitaine adjudant-major et lui, puis ai couché chez lui.
Ce matin, jai rejoint tranquillement ma compagnie dont je viens de visiter le secteur de fond en comble (et il est grand). Et voilà, nous attendons Mr Strohl et Sandaran, je ne partirai certainement pas en permission avant larrivée de lun des deux (commission de novembre).
Mörch, de retour de convalescence, a fait des pieds et des mains pour revenir à la 14°. Il y a réussi, je crois, mais suit en ce moment un cours dE.O.
Le capitaine Ney nous a quittés: nommé Capitaine adjudant-major dun autre bataillon et le lieutenant dOlce (23 ans) est passé Capitaine. Voici les nouvelles.
Et sur ce, je vais dîner car jai faim, métant beaucoup promené aujourdhui par un temps superbe..................
24 octobre
Poirier. La compagnie fournira, à partir de demain, une section au moulin de Moncel; jy vais avec la troisième section à partir de demain soir; japprends que je dois partir en permission après le retour de Sandaran.
Deux mots seulement pour te dire que tout va aussi bien que possible: Bonne santé, beau temps, bon secteur, etc... etc... Jai reçu hier une note du colonel me disant que je partirai en permission aussitôt le retour de Sandaran. Hors ce dernier arrive le 2 ou 3 novembre. Je partirai donc dici le 3 ou le 4 et irai directement à La Rochelle où vous serez daprès les derniers renseignements que jai reçus de toi.
Je regrette de ne pas passer par Ruelle où jaurais été heureux de voir mes Parents mais jaime autant aller passer ma permission à La Rochelle. Dailleurs, au reçu de cette lettre, et en me répondant immédiatement, tu peux encore me donner des instructions car je recevrai cette lettre avant mon départ. Ce seront les « derniers ordres » auxquels jobéirai: dis-moi donc dans cette réponse ton avis et tes désirs.
Rien de nouveau à tapprendre, je ne técrirai maintenant que de mon P.P. et je te décrirai mon installation............
25 octobre
Dans la journée, je pars reconnaître le secteur et la section me rejoindra à la nuit. Installé dans les décombres du moulin: Poste peu sûr et pouvant se faire enlever très facilement, mais les Boches sont sages.
26 octobre
Moulin. Je ny reste que la nuit, y laissant une escouade et 1 sergent le jour. Je prends mes repas à Moncel à la popote de la 13° compagnie. Je dors le matin, et le soir je surveille les travaux de ma section dans les boyaux du Moulin et dépendances.
Depuis ma dernière lettre, jai reçu de toi 3 lettres: n°62, retardataire; puis 64 et 65 bis. Le n°65 aura été retardé par son passage au sanatorium.. Merci de toutes tes bonnes nouvelles. Aucun changement de prévu pour ma permission. Je compte toujours partir vers 3-4 ou 5 novembre, au retour de mon camarade et te rejoindre directement à La Rochelle sauf contrordre de ta part.
Suivant tes conseils, jaurais bien écrit à Maurice pour le réconforter, mais jignore son adresse exacte à Jonzac. Je lui écrirai donc une fois arrivée à La Rochelle.
Quant au petit objet de Ninette, je vais tacher de lui acheter une petite bêtise quelconque que je lui enverrai, mais pour le moment, je suis aux avant-postes jusquà mon départ et ne pourrai le faire. Si je reste quelques heures à Nancy, avant de partir, je tâcherai dy penser. Reçu la carte de Mimi, dont tu me parles, mais elle est datée du 30 septembre et je ne lai reçu quavant-hier. Je lui ai dailleurs écrit il y a 7 ou 8 jours. Merci de mavoir écrit en double: tu vois que cela a servi puisque je nen ai reçu quune.
Je suis donc installé dans ce P.P. où mon Dieu, je ne suis pas mal: beaucoup de gouttières, mais un poêle pour se chauffer la nuit. Je suis dans un ancien moulin assez avancé et éloigné de tous les autres postes, mais bien entouré de fil de fer: je crois ne rien risquer avec de la prudence, mais les Boches tentent de temps en temps des coups de main pour enlever ce poste isolé, lesquels ratent 9 fois sur 10. Rassure-toi donc et puis jai loeil.
Cette nuit a été très calme, mais très pluvieuse, ce qui fatigue beaucoup mes sentinelles qui ont beaucoup de service et dont la surveillance près dune chute deau est assez pénible. Enfin tout cela ne se compare pas avec Fleury et Vaux-Chapitre. A propos, tu as vu ce beau coup!! Jai jubilé: cétait en plein où nous étions quils ont avancé, quelle avance. A lheure actuelle, je ne sais pas encore si le fort de Vaux est pris, mais la prise du fort de Douaumont est un véritable succès. En une après-midi, nous avons pris ce quils avaient mis 5 mois à nous grignoter. Cest très beau, pourvu que nous gardions tout. Attention aux contre-attaques!!
Sur ce, je te quitte. Le temps va me durer, tu penses, jusquau 3. Enfin tout arrive à qui sait attendre.............
P.S. Jai vu Neveux qui revient de permission de 3 jours pour la naissance de son petit « Georges ». Il faudra vraiment que Mad. et moi allions à Fouras cette fois-ci (toi aussi dailleurs si tu veux!).
27 octobre
Moulin de Moncel. Nuit et journée calmes. Le capitaine Strohl et Mörch reviennent de leurs cours où ils se sont bien amusés. Ils viennent me voir à Moncel.
28 octobre
Moulin de Moncel. R.A.S.
29 octobre
Moulin de Moncel. R.A.S.
Jai reçu hier tes 2 lettres n°65 et 66. Nous voici donc en liaison directe sans passer par lambulance.
Ici, rien de nouveau, les Boches sont sages, nous aussi, nous sommes les uns et les autres très ennuyés par le mauvais temps continuel (heureusement que nous ne sommes pas dans la boue jusquau genoux comme à Avocourt). Rien de nouveau non plus pour ma permission que jattends avec une impatience que tu dois timaginer. Cest toujours pour le 4-5 ou plus tard.
Reçu également laimable carte de Mad. à laquelle je ne réponds pas puisque dans 8 jours, je compte fermement vous embrasser toutes les trois. Létat de Maurice est vraiment très ennuyeux et loncle Louis doit être préoccupé de ses 2 fils. Heureusement que Jean va bien. Est-il reparti sur son navire? Merci des nouvelles de Jean C. Celui-là est toujours fidèle au poste.
Je ne vois rien dautre à te dire. Jai ici tout le confortable que lon puisse souhaiter dans les avant-postes. Je somnole la nuit dans un « voltaire », je dors le matin jusquau déjeuner et surveille mes travailleurs dans laprès-midi, et je recommence. Je suis un meunier bizarre!
Allons au revoir et bonne santé à tous. A bientôt le plaisir de vous embrasser. Je suis bien content de voir Roger à cette permission...............
30 octobre
Moulin de Moncel. R.A.S.
31 octobre
Moulin de Moncel. R.A.S.
Puisque définitivement, tu seras à La Rochelle le 2 novembre, cette lettre ty trouvera très vraisemblablement. En tous cas, je ne ten ai pas envoyé à Ruelle depuis mon n°77 du 29. Jai reçu hier ta lettre n°67 contenant sur le côté lautographe de Muguet qui ma fait grand plaisir. Selon tes ordres, jirai donc à La Rochelle directement mais tu seras prévenue la veille par une dépêche de Paris, comme dhabitude. Peut-être, si Mad. le veut, irais-je chercher Cadi à Quinsac pendant une petite absence de 1 ou 2 jours, mais nous verrons cela une fois ensemble.
Ici, le plus grand calme. Les Boches sont sages et nous ne nous faisons mutuellement pas grand mal. Les coups de fusils sont rares, les coups de canon plus rare encore. De lavis de tous, ce secteur est encore plus calme quautrefois quand nous lavons quitté. Verdun et la Somme expliquent très bien ce fait.
Les bonnes nouvelles que tu me donnes de vous trois en général, et de ton estomac en particulier, mont fait grand plaisir et comme tu le dis, je serai très heureux de te voir manger comme tout le monde.
Mr Strohl va revenir ce soir ou demain, il vient de recevoir son 3° galon. Je suis bien content pour lui car cet homme est plus instruit et a plus de jugement que beaucoup de gradés plus galonnés. Jai reçu hier une lettre touchante. Cest dun de mes hommes grièvement blessé à loeil à Fleury. Il menvoie même sa photo montrant son pauvre visage mutilé (il a subi lénucléation de loeil). Je vous ferai voir cette photo.
Le temps me manque maintenant, dici ma permission, pour faire faire quelque chose à Ninette, mais aussitôt de retour je men occuperai.
Au revoir, chère Maman, je compte que je ne técrirai plus quune fois maintenant avant de partir. Après, jirai te donner des baisers directement. Bons baisers à Mad. et au gentil Muguet que son oncle Georges aime tant et qui va faire son possible pour lui faire plaisir en permission...............
1 novembre
Moulin de Moncel. R.A.S.
2 novembre
Moulin de Moncel. R.A.S.
Voici très probablement la dernière lettre que tu reçois de moi, avant de voir arriver le personnage lui-même. Sandaran a donné de ses nouvelles. Il arrive demain, 3, à la compagnie. Je pars donc le 4 de la compagnie, le 5 au matin de Nancy et arriverai très vraisemblablement le 6 au matin à La Rochelle. Mais ne te déplace pas tant que tu nauras pas reçu une dépêche de Paris.
Jai reçu avant-hier ta lettre n°68 et je pense quà lheure actuelle tu dois rouler dans un wagon. Vivement que ce soit mon tour. On ma remis ma croix de guerre ce qui fait que je pourrai la porter en permission. Je te la donnerai à mon arrivée, ainsi que de largent (nous ferons dailleurs nos comptes car je te dois, du linge, un oreiller, des sandales, etc... etc...)
Mörch est revenu de son cours et est venu me voir à mon poste. Toujours le même, gai camarade et bon garçon mais bombeur en diable (il a dépensé 1800 frs dans ses 15 jours de cours. Sa mère va me demander des explications et je serai très ennuyé!!)
Rien de nouveau au point de vue secteur, ennemi et guerre. Nous sommes toujours très tranquilles. Espérons que cela durera encore 2 jours et jaurai le bonheur de vous voir.
Au revoir donc et à bientôt cette fois...................
3 novembre
Moulin de Moncel. Péré, revenu de permission vient reprendre le commandement de sa section et je reviens au Poirier causer un peu avec le capitaine Strohl et me préparer à partir en permission. Hip, hip, hurrah!!!
4 novembre
Départ à 8 h. du Poirier. je rencontre Sandaran dans le boyau. Il est vaseux. Je fais ma toilette à Sornéville, pars en voiture avec Brochard et passe la nuit à Nancy après avoir été chercher mon manteau et képi rouge.
5 novembre
Départ de Nancy à 7 h.1/2. Arrivée à Paris où je ne trouve pas Mimi, sortie en ville. Ils me font rester le lendemain.
6 novembre
Paris. Courses. Promenades, etc... etc... Je pars le soir à 9 h. et trouve Basset et sa famille à la gare Montparnasse. Il va mieux mais a été trépané 2 fois.
7 novembre
Arrivée à La Rochelle à 7 h. du matin. Maman et Mad. à la gare. Tout va bien.
8 novembre
Permission à La Rochelle.
9 novembre
Permission à La Rochelle.
10 novembre
Permission à La Rochelle.
11 novembre
Permission à La Rochelle. Voyage à Bordeaux avec Madeleine.
12 novembre
Permission à La Rochelle. Vu Schenck et plusieurs copains.
13 novembre
Permission à La Rochelle. Voyage à Fouras où nous baptisons le petit Neveux.
14 novembre
Permission à La Rochelle.
15 novembre
Permission à La Rochelle.
16 novembre
Permission à La Rochelle. Départ à 9 h. avec Madeleine jusquà Paris. Pas de cafard.
17 novembre
Matinée à Paris. Départ à midi et arrivée à Nancy le soir. Jy couche.
18 novembre
Le matin, rencontre de Trémont qui me présente à la Préfecture. Matinée occupée à faire des courses en auto avec Mlles Mirman qui nous retiennent à déjeuner. Famille charmante qui me fait accompagner à Laneuvelotte en auto, chargé de cadeaux pour les hommes. Neige.
Tiré de: "Histoire de Nancy", Privat 1987.
Août 1914.
Depuis quelques jours, le préfet Reboul, épuisé nerveusement, a été remplacé par Léon Mirman, ancien député socialiste, saisi par un patriotisme passionné, organisateur efficace, caractère énergique qui veut tout connaître et trancher par lui-même. Il obtient du général de Castelnau, commandant la 2° armée, que les positions du Grand-Couronné seront défendues avec résolution, et de son subordonné, le général Léon Durand, commandant le groupe de divisions de réserve, une proclamation pour rassurer la population: "Ne prêtez pas l'oreille aux bruits alarmants qui circulent. Mes troupes et moi sommes là. Comptez sur nous." Pendant quinze jours, on se bat sur le Grand-Couronné et entre Seichamps et Champenoux, à douze kilomètres à l'est de la ville. Puis la victoire de la Marne, qui est annoncée le 12 septembre, interrompt l'assaut allemand sur Nancy.
..........Nancy subit directement les bombardements répétés de l'ennemi, par avions, par Zeppelins ou par pièce d'artillerie lourde à longue portée. Si chaque tir ne comporte que quelques coups, l'attente incertaine suscite une anxiété lancinante. Au total la ville reçoit 1.210 projectiles, obus, bombes ou torpilles, qui font 177 tués (dont 120 civils et 300 blessés, et qui touchent un millier d'immeubles, dont l'église Saint-Evre, la Bibliothèque universitaire, les Magasins Réunis, l'immeuble neuf de l'Est Républicain et plusieurs écoles. Les alertes, signalées par le tocsin et par les sirènes, obligent à descendre de nuit dans les abris. Sur la place Stanislas on protège les fontaines par des sacs de sables et on expose comme trophées de guerre quelques avions ennemis abattus.
.......... En janvier 1918, une seconde alerte ébranle cet équilibre précaire. Des renseignements reçus par l'état-major laissent alors prévoir que la grande attaque allemande, qu'on attend après l'effondrement russe, pourrait se déclencher sur le front de Lorraine, dont les positions défensives sont plus sommaires. Mirman, convoqué le 20 par Clémenceau en gare de Frouard, est informé en présence de Pétain que pour tenir compte de cette éventualité, il faut réduire immédiatement la population civile de Nancy qui comporte encore 45.000 habitants (contre 75.000 avant-guerre). Son amertume est vive: "Je vais être maintenant l'organisateur de l'exode, l'entrepreneur du déménagement... mon honneur personnel est en cause".......... Cependant Mirman fait partir 30.000 personnes en un mois.
......... Les archives départementales conservent de nombreux rapports du préfet Mirman.
19 novembre
Le bataillon finit son repos et part le soir pour les avant-postes. La compagnie reste en réserve à Mazerulles. Journée passée à Laneuvelotte et exercice de grenades. Accident heureusement paré. Jai ma chambre avec Sandaran au presbytère. Drancès suit un cours de fusilier.
Je nai pu técrire hier car, comme tu vas le voir tout à lheure, ma journée a été très occupée mais, aujourdhui, je tiens à venir te dire que je suis arrivé à bon port, sans aucun incident ou du moins incident malheureux.
Mad. et moi, sommes arrivés sains et saufs à Paris malgré une nuit très froide mais qui ne nous a pas fait souffrir grâce à des couvertures; trouvés Henri et Mimi en bonne santé. Je suis parti à midi, arrivé à Nancy à 7 h.1/2. Couché à Nancy. Le matin, comme jallais chercher un moyen de locomotion quelconque pour rejoindre mon régiment, je rencontre un camarade qui me dit: « Viens avec moi, je vais demander à la Préfecture de nous faire transporter ». Je me souvins alors que le dit camarade avait été blessé et soigné lan dernier à Nancy par Mlle Mirman, fille du Préfet. Nous entrâmes et fûmes reçus par Mlle Lucette qui nous offrit immédiatement (il était 8 h. du matin) un bain et un petit déjeuner en famille (comme nous). Cest là quà ma grande stupéfaction, je fus présenté au Préfet et à Madame Mirman en peignoir, aux quatre autres demoiselles Mirman et que le Préfet nous retint à déjeuner, nous promettant de nous faire conduire dans son auto à notre corps.
Après discussion, nous acceptâmes et passâmes la matinée à aller en auto avec 2 des demoiselles visiter des hôpitaux, des blessés, des réfugiés, etc... etc... dans Nancy et les environs. A 1 heure nous nous mîment à table dans cette famille du bon Dieu où les femmes ne pensent quà une chose: travailler pour les blessés, les réfugiés et les familles de « poilus » (il y avait des huîtres!!!!!!! Catastrophe).
En nous quittant, Madame et Mademoiselle Lucette Mirman mont fait promettre que chaque fois que jirai à Nancy, je déjeunerai chez elles et comme récompense, jaurai chaque fois lauto remplie dobjets pour les hommes qui me raccompagnerait. Je ne te décrirai pas mon arrivée au bataillon dans la somptueuse limousine préfectorale, tout le monde restait « baba » et javais lair du « Père Noël » distribuant ses cadeaux.
Ce soir, nous partons aux avant-postes par un bien vilain temps, mais ma compagnie ne va quen 2° ligne cette fois et nous avons un poste épatant. Rien de nouveau à la compagnie. Tout le monde en bonne santé! Mörch allant bien, mais subissant une punition de 8 jours darrêts de rigueur pour être allé coucher à Nancy sans permission. Ca le calmera peut-être. Nen dit rien à sa famille qui en serait ennuyée.
Que dis-tu de cette famille Mirman, jy ai été reçu les bras ouverts. Ils sont tous la bonté même et le Préfet est le bon père de famille par excellence. Madame M. est une femme qui ne pense quaux bonnes oeuvres: la préfecture est un véritable entrepôt de lainages, épicerie, travaux manuels, etc... etc... Les jeunes filles sont Lucette (21 à 23 ans) Rose, Louise et X... (19-17 et 15 ans) puis un petit garçon de 9 ans et une petite fille de 4 ans, ressemblant à Muguette comme 2 gouttes deau (elle sappelle Huquette). Elle a demandé à sasseoir à coté de moi à table!!! ce qui a été accordé.
Le camarade qui ma présenté est le fils dun gendarme, sans aucune éducation et je suis à me demander comment il est si bien dans une famille si distinguée. Inutile de te dire que ton fils, qui était dans ses petits souliers, a par sa distinction, son tact et son chic naturel, fait un gros contraste avec lui à table et dans la promenade. On ma supplié de revenir le plus souvent possible: je ne dérangerai jamais!!!!!! Les jeunes filles ne sont jolies, ni les unes, ni les autres, mais fort aimables, distinguées et élégantes. Voilà. Tu vas te dire que ton fils sest encore emballé. Pas de tout, mais je suis content davoir une maison chez qui aller à Nancy............
P.S. Merci mille fois de la bonne permission passée chez toi, et des gâteries dont tu mas comblé.
Respect dEdouard qui vient me troubler dans la fin de ma lettre.
20 novembre
Mazerulles. Aucune surveillance. La compagnie ne fournit quune patrouille la nuit et des travailleurs le jour. Mon chantier est un boyau de Bois-le-Comte. Visite au chantier et écriture dans notre chambre. Popote avec le Chef de Bataillon.
21 novembre
Mazerulles. Même vie. Temps gris mais sans pluie.
Je viens de me procurer ces quelques cartes de Verdun qui tintéresseront probablement beaucoup. Ici, vie épatante, nous sommes, comme je te lai dit aux avant-postes, mais en 2° ligne dans un village à moitié en ruines où cependant nous avons chambre, lit (sans draps), popote abondante, peu de travail et surtout pas de surveillance des 1° lignes. Tu vois que nous pouvons tenir pour le moment. Nous sommes ici, vraisemblablement pour une vingtaine de jours et pour nous reposer, nous irons faire de lexercice un peu en arrière.
As-tu des nouvelles de Mad.? Tiens-moi au courant de ce que vous faites et de larrivée de Jean.
En arrivant ici, un énorme colis de lîle Maurice mattendait, contenant toutes sortes de bonnes choses (beaucoup de sucre, elle pourrait ten envoyer!!!) Tu serais bien bonne de me redonner son adresse que jai oubliée et qui a changée, je crois, depuis que je lui ai écrit.
Jai écrit dernièrement à Madame Mirman pour la remercier de son aimable hospitalité et de ses dons pour mes poilus.
Comment va la famille Maurice, Jean d. S., etc... etc... Jattends tes lettres avec impatience. Ne tinquiètes pas à mon sujet, en ce moment. Nous sommes « on ne peut mieux ». Hier soir encore, jai joué au bridge avec le Commandant et jai gagné 3 sous!! Bons baisers au Muguet..................
P.S. Respects de Mörch et de Lignerolles.
22 novembre
Mazerulles. R.A.S. Suis nommé à titre définitif à la date du 24 octobre.
Reçu hier ta lettre n°1 du 18-11. Merci de mavoir donné de tes nouvelles, pauvre solitaire! Jespère quà lheure actuelle, tu nes plus seule, que Jean et Mad. sont de retour à La Rochelle ou, quen tous cas tu sais déjà la date de leur arrivée chez toi.
Ici, rien de nouveau. Voici mon emploi du temps:
= lever 7 heures: petit déjeuner, toilette, etc...:
= visite à mes chantiers (assez éloignés, ce qui me fait prendre de lexercice):
= 10 h. retour dans ma chambre, lecture ou écriture:
= 11 h.1/2, déjeuner à la Popote du Chef de Bataillon avec le Commandant; le Capitaine, adjudant-major; le "toubib"; le Capitaine Strohl; Sandaran; le Commandant de Compagnie de Mitrailleurs; et cest tout.
= Après le déjeuner, bridge:
= 2 h., re-visite aux chantiers jusquà 5 h..
= Retour à la chambre: écriture, lecture:
= 6 h.1/2, dîner, puis bridge ou courrier jusquà 11 h.
= Coucher.
Comme tu le vois, pas de surveillance puisquen 2° ligne. Peu dobus. Cest charmant. Le temps est brumeux, mais pas trop de pluie depuis que nous sommes ici.
Et toi, je suis ennuyé de te savoir ainsi seule et serai content lorsque je saurai le retour de ta fille « prodigue ». Heureusement que tu as cette brave petite Muguette qui te distrait. Embrasse-la bien, bien tendrement de la part de son oncle « Georges » qui laime tant................
P.S. Mr Strohl est là dans ma chambre qui chante une chanson de Botrel. Quel brave, brave homme. Joins-le à moi dans tes prières pour quil revienne lui aussi. Respect de Mörch, toujours gosse. Quelle sale colle!!
23 novembre
Mazerulles. Jai un nouveau chantier dans le secteur de la 15°, au boyau de jonction. Cest loin et du vilain travail.
24 novembre
Mazerulles. R.A.S. Bombardement de Nancy. Tir de la pièce de Marine. Réponse aux Boches.
25 novembre
Mazerulles. Je déjeune avec Moresmeau à son P.C. de Bois-le-Comte.
Rien de toi depuis ta lettre du 18 qui mest parvenue très rapidement. Je compte cependant en avoir une ce soir, et je suis bien impatient de savoir ce quest devenue ma soeur. De ce coté-là, silence complet: Elle samuse trop avec nos aimables cousins, et na pas le temps décrire à son Frère. Elle est dailleurs toute excusée.
Jai une bonne nouvelle à tannoncer. Je suis nommé sous-lieutenant de réserve à titre définitif à la date du 24 octobre 1916. Jen ai été tout surpris lorsquon est venu me le dire, car plusieurs camarades, beaucoup plus anciens que moi (Fourché par exemple qui a 8 mois de grade de plus) ne sont pas encore titularisés. Un de mes camarades, peu délicat, ma même lancé en pleine figure « Le piston est une belle chose ». Dieu sait pourtant que pour cela, je nai absolument rien fait.
Jen suis néanmoins fort heureux, car cela mavance pour ce que je veux faire après la guerre: dans ce but et pour avoir de plus amples renseignements sur ces questions embarrassantes et très compliquées, je demande à un journal spécial « La France Militaire », si je dois demander tout de suite à passer dans lactive, ou si, lavancement étant plus rapide dans la réserve, je dois me laisser figurer sur les listes de réserve, et ne demander quaprès la guerre, mon passage dans les cadres actifs. Il y a une question de date dancienneté qui membarrasse et que je ne connais pas à fond. Lorsque je serai renseigné par ce journal, je prendrai la solution la plus avantageuse, bien entendu.
Ici, rien de nouveau, de Lignerolles est venu voir Mörch et moi, hier, il sest joint à moi pour savonner la tête de ce pauvre Edouard qui naime pas beaucoup les sermons. De Lignerolles vient dêtre nommé lui aussi à T.D. mais est beaucoup plus ancien que moi, comme grade.
Linfanterie Boche est calme, comme nous, mais leurs artilleurs, comme les nôtres, sagitent énormément, et hier encore, ce pauvre Nancy a hérité de 3 énormes dragées.
Pour mes effets ou linge, ne menvoie rien, à part ce caleçon: ma cantine, pourtant très grande, est tellement pleine, que je suis obligé de faire faire une caisse que je mettrai dessus. Cest effrayant et tout le monde me taquine. heureusement quau Bataillon, Mr Strohl et Mörch sont dans le même cas: (les 3 gens chics).
Au revoir, chère Maman, continue à ne pas tennuyer trop, jespère dailleurs que tu nes pas seule. Hier jai reçu une longue lettre de M. du S. qui mécrit la première: je suis absolument confus. Elle est bien aimable, je trouve?!?!?....................
26 novembre
Mazerulles. Visite de de Lignerolles. Arrivée de Drancès. Nous voici au complet.
27 novembre
Mazerulles. R.A.S.
Voilà que cela recommence: après avoir bien pesté contre toi, je reçois, ce matin, ta lettre n°3 sans avoir reçu ta lettre n°2. Cest ennuyeux, car je ne savais rien de Madeleine, rien de la permission de Jean, enfin jétais furieux.
Enfin cette longue lettre dont je te remercie, mapprend que tu nes plus seule et que Madeleine na pas été déçue dans son attente à Paris. Je suis content des bonnes nouvelles que tu me donnes de Jean, en effet il est dans un chic secteur et doit vivre dans un bien joli pays. Dis à Madeleine que je leur écrirai à tous les deux, demain.
Il tombe mal en permission, car je vois partout quil va y avoir à larrière 2 journées par semaine sans viande, et que les pâtissiers vont être très surveillés dans la fabrication de leurs gâteaux. Ces nouvelles mesures sont-elles déjà en vigueur à La Rochelle. Non, je lespère pour Jean qui pourra, encore cette fois-ci, bien se caler les jours.
Merci de la carte de P. Martin, je vais lui répondre tout à lheure. Jai en effet oublié de te dire que je savais par Mad. du Sault, la demande de son frère au sujet des « Tanks ». Il est à Marly, occupé à suivre des cours et jai écrit à sa soeur mon avis sur son nouveau rôle qui se résume à ceci: Rien pour cet hiver; plus tard: très fort, mais pas souvent.
Comment as-tu fait pour mannoncer à ton amie, Madame Adrien, si tu ne sais pas si elle est à Nancy en ce moment? Enfin, je me pendrai au 82 de la rue St-Georges la prochaine fois que jirai dans la grande ville.
Meyer, dont tu me demandes des nouvelles est employé à la C.H.R. à quelque chose comme les canons de 37. Cest toujours un timide mais qui pour une fois a une bonne place et ne va souvent aux tranchées.
Je te quitte, chère Maman, car il ny a rien de nouveau ici. Mr Strohl va aller en permission, je prendrai le commandement de la compagnie mais ici, cest moins terrible que là-bas. Mes respects à Monsieur le Major, bons baisers à sa Femme, à sa Fille et à sa Belle-Maman.............
P.S. Hommages de Mörch. De Lignerolles est officier téléphoniste à la Brigade: Filon!
Ne te trompe pas dans mon adresse, cest peut-être une cause de la perte des lettres, lautre jour, tu avais mis 323, un autre jour S.P. 10. Ca revient quelquefois, mais cela peut se perdre. Nous en avons des preuves.
28 novembre
Mazerulles. R.A.S.
Je reçois aujourdhui seulement ta lettre n°2 arrivée bien en retard. Rien de nouveau ici depuis hier, si ce nest quil ne fait pas chaud.
Amusez-vous bien pendant la permission de Jean à qui jécrirai demain seulement, je nai pas le temps aujourdhui...............
29 novembre
Mazerulles. R.A.S.
30 novembre
Mazerulles. Départ de Mr Strohl en permission.
1 décembre
Mazerulles. Visite des chantiers de Sandaran qui sen va lui aussi suivre un cours à Essey.
2 décembre
Mazerulles. Seul avec Drancès. Bombardement de Nancy et de Champenoux.
Reçu hier ta lettre n°5 contenant la lettre de Mme Adrien que je te renvoie aussitôt. Merci de me lavoir communiquée, je te réitère ma promesse dy aller à mon prochain passage à Nancy. Cest, je crois une de tes anciennes amies de pension de Verdun? En tout cas, je me rappelle avoir été voir autrefois à La Rochelle, entre la Place dArmes et St-Maurice, une dame Adrien, femme dun officier de Marine.
Mon emploi du temps ici a un peu changé en ce sens que Mr Strohl est parti en permission depuis avant-hier et que je commande la compagnie. Il y a plus de travail de bureau, et je vais aux chantiers quand je veux. Le Colonel ma envoyé une note me disant de faire ma demande de passage dans lactive. Je la fais partir avec avis favorable.
Tous les soirs, ici, cest un bridge jusque tard dans la nuit: sans blaguer, jouant avec ces Messieurs qui sont de toute première force, je commence à faire des progrès et ne fais plus de ces fautes énormes du début. Le commandant de Roll lui-même ma dit hier soir que je pouvais très bien jouer dans un salon maintenant, car il est rare de trouver des gens comme Mr Strohl ou le lieutenant mitrailleur Vérit qui ne laissent pas passer une seule faute et sont dune force peu commune depuis le temps quils y jouent. Te voilà donc contente.
Je prévois que Jean sera parti quand tu recevras cette lettre. Vous serez toutes les deux dans la tristesse et « létonnement » de vous trouver seules. Pauvres femmes, vous devez en avoir lhabitude maintenant. Consolez-vous en vous disant que nous pensons bien à vous dici et que, à part le danger, nous comprenons très bien que vous vous ennuyez plus que nous.
Pauvre petit Muguet, ta lettre ma apitoyé sur son malheureux sort, mais cest égal vous avez raison car, comme tu dis, elle le mérite: Jadmirais tout en elle, sauf sa façon de dire sa prière qui me choquait vraiment. Elle ne sapplique certainement pas autant quelle le pourrait et mérite par conséquent une punition.
Jean du S. na pas fini, en effet, de faire du « chiqué » dans ses Tanks, mais je métonne quil soit parmi les « as ». Il ny a que peu « das » en France; ce sont seulement les aviateurs ayant abattu plus de 5 avions. Enfin, il dépensera un peu plus dargent à sa mère! Gare la dot de sa soeur!!!!
Au revoir, ma chère Maman, bons baisers à Madeleine de ma part. Dis au Muguet que si elle aime son oncle Georges, il lui fait dire de bien faire sa prière pour lui faire plaisir. Il la récompensera sil constate du mieux à sa prochaine permission..................
P.S. Jean et Mad. ont-ils reçu ma lettre avant le départ de Jean?
3 décembre
Mazerulles. R.A.S.
4 décembre
Mazurulles. R.A.S. Pluie et neige.
Hier, mest arrivée ta lettre n°6 contenant la carte autographe du Muguet. Remercie-la pour moi, je te prie, en lembrassant bien tendrement.
Ici, rien de nouveau si ce nest le bombardement répété de Nancy et le tir des deux artilleries; les fantassins encaissent mais ne remuent pas. Je pense bien, en entendant le gros roulement de tonnerre que fait le « 380 » en éclatant, à la famille Adrien et à ma petite amie « Lucette » et à ses parents et je menquiers vite du quartier atteint jusquà présent tout va bien de ce coté.
Notre repos avance: vers le 10 et je compte aller à Nancy faire ces 2 visites dont je te rendrai compte. Et les photos de Bordeaux? Elles sont bien longues à arriver. Jécris par le même courrier à Roger Martin pour me tenir en liaison avec lui.
Je viens de mettre 8 jours de prison à un de mes hommes, arrivé très en retard dune permission. Pauvre bougre, mais que veux-tu, il le mérite et il faut un exemple. Ca ne marrive pourtant pas souvent depuis la guerre, de punir.
Respects dEdouard et baisers de ton fils pour vous trois...............
5 décembre
Mazerulles. Neige.
6 décembre
Mazerulles. R.A.S. Peu de travaux à cause de la pluie.
Reçu hier ta carte-lettre n°7 et ce matin le colis contenant le caleçon. Maintenant, ne menvoie plus deffets sans que je te le demande. Jai absolument tout ce quil me faut.
Rien de nouveau ici, tout marche bien à la compagnie et je nai aucun ennui. Le temps devient mauvais et depuis deux jours, il ne fait que neiger. Quels jolis spectacles nous avons dans ce pays superbe! Jai reçu aujourdhui également une lettre de Jane Bouillon à qui javais écrit; sa lettre est très très aimable. Elle me parle des Neveux et de mon filleul qui va très bien. Jai dailleurs de ses nouvelles par son papa que je vois souvent.
Il y a dans le village où je suis un capitaine de Territoriaux qui, étant de Nancy, connaît les Adrien (de vue seulement). Il ma dit que les jeunes filles étaient gentilles, une surtout. Si ça pouvait être mon affaire!! Il me tarde daller faire leur connaissance.
Je ne vois plus rien à te dire, tellement ma vie est calme. Je joue au bridge au moins 3 ou 4 heures par jour et je crois que je suis plus fort que le Commandant!!! Je cause beaucoup avec Mörch qui est bien gosse par exemple!! Il tenvoie ses respects..................
7 décembre
Mazerulles. R.A.S.
8 décembre
Mazerulles. R.A.S. Tout le séjour à Mazerulles: Bridge avec le Commandant, tous les soirs.
9 décembre
Mazerulles. A midi arrive le Capitaine Bon à qui je passe les consignes de la compagnie et des travaux.
Une lettre de Mr Strohl au Commandant, annonce quil est tombé malade chez lui. Boum! La compagnie est relevée le soir mais je reste jusquà demain.
Reçu hier ta lettre n°8 du 4 décembre. Merci des nouvelles détaillées que tu me donnes de Jean et de votre emploi du temps pendant sa permission.
Ici rien de neuf, nous sommes relevés ce soir, et allons au repos (exercices) pendant une dizaine de jours.
Jai reçu hier une aimable lettre de Mr Strohl qui passe sa permission au lit! Ce nest pas gai. Il a attrapé une grippe et a de la fièvre. Cest assez inquiétant, car il na pas une brillante santé. Enfin il doit rentrer demain dimanche, sil est guéri.
Daprès ta lettre, je me suis mal débrouillé pour que Jean reçoive ma lettre avant de partir. Je lai écrit trop tard, aussi vais-je lui écrire pour mexcuser. Et Madeleine, dis-lui quelle mécrive un peu. Elle me fera grand plaisir.
A table, avec le chef de bataillon qui est excessivement pessimiste, nous navons pas de conversation très gaie et si nous le croyons, il nous ferait entrevoir lavenir et laprès-guerre sous un aspect bien décourageant...............
10 décembre
Visite des chantiers avec le capitaine Bon. A 10 h. départ sur Seb-Doum et arrive à 11 h.1/2 à Laneuvelotte. Le soir. Musique. Travaux au bureau. Mr Strohl mécrit quil ne sait quand il pourra revenir.
Nous voici, depuis hier soir au repos dans un village à peu près potable où il ne pleut pas dobus du tout: L....tte. De ma personne, comme commandant de compagnie, je suis resté jusquà ce matin 10 h. aux avant-postes pour passer les consignes. A propos de commandant de compagnie, ce qui devait arriver est arrivé. Ce pauvre Mr Strohl est tombé tout à fait malade et est entré au Val de Grâce!!
Que va-t-on faire? Va-t-on me laisser à la tête de la compagnie ou en nommer un autre. Je ne sais. Ce provisoire peut durer longtemps, jen prends mon parti puisque, avec un peu dapplication, jarrive à men tirer à peu près. Or donc, jai fait venir, ce matin, le cheval du Capitaine jusquaux avant-postes et suis revenu dessus. Jai, au village, une très jolie et très agréable chambre.
Depuis que le régiment est à 3 bataillons, nous avons, comme le 91°, une musique qui, aujourdhui dimanche, est venue jouer chez nous. Cest la première fois que je lentends car elle navait joué au bataillon que pendant mon évacuation et ma permission. Ci-joint le programme que lon ma envoyé. Elle est bonne, mais ne vaut pas celle du 91° entendue avec Jean à Brabant-en-Argonne.
Je ne sais si jaurai le loisir daller à Nancy avec cette tuile qui me tombe sur le dos, car jai à régler beaucoup de choses à la compagnie, choses dont je ne moccupais que sommairement pour 10 jours, mais quil faut que japprofondisse puisque je peux commander longtemps la compagnie.
Reçu, hier, la lettre de Mad. que je remercierai un de ces jours. Reçu, ce matin, une lettre de Mimi Balmary qui se porte très bien et de Tante Marie-Louise qui mannonce le passage de Jean à 2 galons. Donne-moi son adresse, je te prie.
Voici la vie. Je vais faire pas mal de cheval. Il y avait longtemps que je navais pas monté, car jai lintention daller à tous les exercices de la compagnie sur ce brave « Seb-Doum » qui commence à me connaître. Je tâcherai pourtant bien daller faire ces 2 visites à Nancy.
Mörch et Neveux vont aller en permission dici peu. Tu recevras la visite sûrement du premier, peut-être de lautre sil va à La Rochelle. Respect de Mörch qui se chauffe les pieds chez moi. Au revoir, chère Maman, je vais me coucher dans de beaux draps blancs...............
Programme du 10 Décembre 1916
1 - Le Roi des Airs (pas redoublé) Furgeot2 - Ouverture Italienne Zercu
3 - Manon Léledias (prélude et 1° acte) Massenet
4 - Recueillement (andantes) Vignaute
5- La Housarde (valse militaire) Ganne
11 décembre
Laneuvelotte. Revues et travaux au champ de manoeuvre de Velaine. Ma chambre est à la cure (avec Drancès).
12 décembre
Laneuvelotte. Théorie et exercices divers. Bridge. Je vais voir Sandaran à Pulnoy et Fouché à Saulxures à cheval.
13 décembre
Laneuvelotte. Travaux au bureau. Exercice avec avion! Bridge.
Reçu ta lettre n°9. Merci. Ici rien de nouveau. Mr Strohl est toujours malade; il ma écrit encore hier quil avait 39 et des dixièmes de fièvre: je ne lattends pas pour tout de suite. Ce qui fait que je le remplace et que je signe des permissions à Mörch pour aller à Nancy!! et que moi je suis presque prisonnier. Nous ne sommes en effet que 2 officiers à la compagnie en ce moment. Je tâcherai pourtant de méchapper dimanche.
Pendant que jy pense, nous allons passer Noël et le jour de lan aux tranchées. Mon camarade recevra un colis de victuailles pour Noël. Ne pourrais-tu pas men envoyer un composé des meilleures choses pour la seconde fête. Tu sais que tu as le droit à un colis de 1 kilo expédié gratuitement. Tu pourrais donc menvoyer de bonnes choses, comme par exemple un pâté de foie gras truffé, un bon gâteau et des bonbons (tu sais que les truffes en chocolat ne me déplaisent pas... au contraire... il y en a chez Fuzeau au coin de la rue du Minage et de la rue Dauphine. Jespère que tu trouveras).!!! Nous fêterons ainsi le commencement de lannée 1917!
Aujourdhui, nous avons fait, avec des avions, un exercice fort intéressant de liaison. Je men suis bien tiré à la tête de mes Poilus! Mörch était à Nancy! Quel type, il est indécrottable.
Reçu une lettre de Jean C. qui va bien..........
P.S. Excuse cette fin de lettre, mais des camarades viennent me chercher pour se promener!
14 décembre
Laneuvelotte. Exercices. Bridge.
15 décembre
Laneuvelotte. Exercice avec le canon de 37. Bridge.
Une permission mest accordée pour Nancy pour demain. Le soir, nous apprenons que nous déménageons:
13° Sornéville.
14° Arboritum.
15° Mazerulles. 4° CM. B. Morel.
16 décembre
Quelle déveine! Je moccupe hâtivement du déménagement de la compagnie et le soir, vers 4 heures, nous partons pour lArboritum (mêmes baraques quau début de lannée). Cest le 206, relevé par une régiment du 20° corps, qui nous remplace à Laneuvelotte.
17 décembre
Arboritum. Assez bien installés. Visite du Commandant.
Voila 4 jours que je ne tai pas écrit et je ten demande pardon. Il y a bien un peu de ma faute, mais jai eu aussi beaucoup doccupations. Entre-temps, jai reçu de toi, tes lettres n°10 et 11, ainsi que le colis de truffes, que jai trouvées toujours aussi bonnes que par le passé et qui ont eu, parmi mes camarades, les honneurs auxquelles elles avaient droit et dont enfin, je te remercie beaucoup.
Je ne sais si lon prépare quelque chose de notre coté, mais il y a plusieurs changements, et des troupes étant venues occuper notre village de repos, nous avons déménagé hier dare-dare. Le bataillon occupe 3 endroits éloignés chacun de 8 à 10 kilomètres. Je suis donc dans les bois, habitant de baraquements (les mêmes que là où jétais au moment de ma nomination). Je suis chef de détachement et jai là toute ma compagnie, mes 4 voitures, mes 9 chevaux, etc... etc... Je suis mon petit maître puisque je suis à 10 km de mon chef de bataillon avec lequel je ne suis en relation que par téléphone.
Allons-nous reprendre les tranchées après-demain comme nous devions le faire, je ne sais. Enfin tout est calme et nous sommes très tranquilles. Avant-hier, jai reçu une lettre du capitaine Strohl qui ne va pas mieux du tout et est toujours à lhôpital avec la fièvre. Cest très ennuyeux.
Je métais arrangé avec mon camarade Drancès et avais demandé une permission pour Nancy qui métait accordée pour la journée dhier, mais ce déménagement subit et imprévu ma empêché dy aller. Cest navrant et je ne pourrais pas y aller de sitôt maintenant.
Tu me parles des événements peu encourageants de la Roumanie et de la Grèce, cest vrai, mais regarde ce beau succès que nous venons de remporter encore devant Verdun. « Ta Ville » est sauvée maintenant, je pense! Ginette est bien aimable de penser à moi pour un colis, elle me lavait dailleurs promis lors de notre visite chez eux. Je ne me souviens plus du nom du soldat qui les connaît. Je men informerai dès que je le verrai.
Je vais maintenant te quitter, chère Maman, car il faut que jaille au bureau signer des pièces. A nous la boue, le froid, la neige et la pluie, dans ces baraquements en bois, en pleine forêt. Excuse lécriture, mais jai froid aux doigts..........
18 décembre
Arboritum. R.A.S.
19 décembre
Arboritum. Nous relevons ce soir la 17° compagnie au Poirier. Je vais en avant au secteur, vers midi, et passe la journée avec le capitaine Bouires. Vu Chatellier. Le soir, arrivée de la compagnie. R.A.S. sous la conduite de Sandaran revenu de Pulnoy.
20 décembre
Poirier. Installation. Visite aux sections et aux chantiers avec le capitaine Bouires. Accident mortel pour un brancardier (Godart) au moulin (Turpeau).
Jai reçu hier ton petit mot n°12. La visite de lOncle Georges est une visite bien inattendue et jai été tout étonnée de lapprendre. Les bonnes nouvelles que tu me donnes de vous et de Jean me font bien plaisir. Quels soucis de moins de vous savoir tous en si bonne santé.
Me voici aux avant-postes avec ma compagnie et cette fois-ci en vraie première ligne. Jai un secteur, très calme bien entendu, mais assez délicat pour beaucoup de raisons quil mest interdit de técrire et le Chef de Bataillon vient de me faire une longue visite pour me donner des détails et des conseils précieux. Il mest arrivé, cette nuit, une fort fâcheuse affaire: une de mes sentinelles, dans un moment de frousse, a tué un de ses camarades par accident: cest déplorable et jai je ne sais combien de rapports fort ennuyeux à faire. Cest encore plus ennuyeux pour la famille de ce pauvre garçon qui avait des enfants. Heureusement quelle ne saura pas comment cest arrivé!
Mr Strohl vient de mécrire aujourdhui, il va beaucoup mieux et compte revenir, attendu quil est sorti de lhôpital et quil est en congé de convalescence: cest un débrouillard, mais il est si connu à Paris! et compte revenir vers le 27 courant à la tête de la compagnie. A ce moment-là, je suis désigné par le chef de bataillon pour suivre à Essey-lès-Nancy (2 kilomètres de Nancy et relié par le tramway électrique) le cours des Elèves Commandants de Compagnie, le même cours que suivait Mr Strohl au moment où jétais à lambulance.
Cest un cours très sérieux celui-là (beaucoup plus que ceux que jai déjà suivi). Il dure 21 jours (27 décembre-16 janvier) et est très agréable car les officiers ont toutes facilités pour aller à Nancy aussi souvent quils le désirent. Cest une occasion pour moi daller voir les deux familles dont je tai parlé. Je vais me perfectionner dans léquitation car on en fait beaucoup (3 fois par semaine, je crois) et les leçons sont données par des officiers de cavalerie.
Je suis content que mon fusil soit revenu, et daprès ce que tu dis, en bon état. Tu ne mas pas dit combien tu avais payé pour le nettoyage (prends la somme en note pour me le faire payer à ma prochaine permission).
Je vais tâcher de me procurer ladresse à laquelle tu devras mécrire avant dy aller, de façon à ce que les lettres ne fassent pas de chemin inutile puis là-bas, je te donnerai probablement ladresse de ma propriétaire de façon à ce que tu puisses my écrire en affranchissant ta lettre.
Mörch part en permission le 30, sera 1° janvier à La Rochelle et ira vous donner souvent de bonnes nouvelles..........
P.S. Jattends la photo avec impatience.
21 décembre
Poirier. Visite au bois de Hailley-Fouilly de la compagnie du lieutenant Davy du 344 en liaison avec moi.
22 décembre
Poirier. Visite à Moncel.
23 décembre
Poirier. Visite du colonel de Montlebert et du colonel de Latour. R.A.S.
Je técris ce soir de mon P.C. Il fait une tempête épouvantable en ce moment, le vent souffle comme un ouragan, la pluie tombe serrée. Je viens de sortir à linstant quelques minutes, on ny voit pas à 50 centimètres. Tout est calme, mais les sentinelles sont là, sous la pluie, à essayer dapercevoir quelque chose au milieu de cette obscurité, dentendre quelque chose au milieu du bruit de la tempête. Dur métier, triste vie.
Par contre, je suis dans mon abri, tranquille. Il fait bon à coté de mon poêle qui ronfle, et je viens causer quelques instants avec toi. Et dabord, les cours de Commandants de Compagnie viennent dêtre brusquement suspendus, je ne sais pourquoi, de sorte que tous mes beaux projets de distraction et de vie civilisée sont envolés. Pas de veine, décidément quand je projette quelque chose.
Reçu ta longue lettre n°13 à laquelle je vais répondre. Roger Martin ma répondu lautre jour. Il a en effet changé de secteur, et heureusement pour lui, il nétait plus à la côte du Poivre au moment de lattaque. Le village que tu avais trouvé sur la carte était bien celui où nous étions, mais tu sais par mes précédentes lettres que nous en sommes brusquement partis.
Jattends toujours la photographie que tu mannonces. Très probablement, je te la renverrai car je nen ai que faire ici. La liste que tu as eu la bonté de faire et de me soumettre est parfaite. Je ne vois que Mimi Balmary oubliée, mais tu le fais peut-être avec intention. Merci de menvoyer ce colis. Il sera le bienvenu dans le P.C. et jespère que Mr Strohl sera là pour y goûter.
Oui, ce que tu me dis, je ne le vois que trop dans les journaux. On commence à sapercevoir de la guerre à larrière: « Il nest que temps » disent tous ceux du front. Vie chère, plus de lumière, ce doit être gai. Et ces bruits de paix? et la note de Wilson? Il me semble que cette grave et intéressante question commence à être agitée sérieusement. Ce nest, je crois, pourtant pas encore le moment et il semble quen faisant encore de gros sacrifices, nous arriverons à un résultat meilleur et surtout plus durable. Quen penses-tu?
Merci des quelques nouvelles Rochelaises que tu me donnes, et de ladresse de Jean Triaud. Jespère que vous avez toujours de bonnes nouvelles de Jean C. Voilà longtemps que je nai rien reçu de lui, mais jai vu avec fierté fraternelle la 5° citation du 152°. Au rabiot!!
Au revoir, chère Maman, bons baisers à Mad. et à Muguette. Je suis vexé de ne pas aller à ce cours. Enfin ce sera pour une autre fois...............
P.S. Mörch sort de chez moi. Il tenvoie ses respects. Je lui donnerai une lettre pour toi quand il partira (toujours le 1° janvier) à La Rochelle.
24 décembre
Poirier. Travaux. Je fais une ronde pendant la nuit dans toute la compagnie.
25 décembre
Poirier. Triste Noël, les Boches ont été sages cette nuit.
26 décembre
Poirier. R.A.S.
27 décembre
Poirier. Mr Strohl mécrit quil revient le 30 courant. Tant mieux car je mempêtre dans les permissions. Système NCC!!
Si je ne tai pas écrit depuis le 23, cest parce que, entre-temps, jai écrit à Madeleine qui, sans doute, taura communiqué la lettre. Je la félicitais de la deuxième palme de son mari qui, sil continue, sera pire quun canard! Sa citation est datée du 16 octobre. Il ne lavait donc pas à sa permission car tu ne me las annoncé que brusquement dans ta dernière lettre.
Ici, tout va bien, je me porte à merveille quoique traînant un petit rhume de peu dimportance. Le secteur continue à être très calme, un de mes camarades cependant, le sous-lieutenant Brochard, a été blessé bêtement par un obus qui a éclaté trop près de lui. Ce sont des choses qui peuvent arriver mais qui, fort heureusement sont bien rares dans notre petit coin. Sa blessure dailleurs nest pas grave.
Une lettre de Mr Strohl, aujourdhui, mapprend quil arrivera, sans faute cette fois-ci, le 30 courant. Il me charge de lui envoyer la voiture de compagnie à sa rencontre, cest donc sûr cette fois-ci. Cela lui aura fait un repos dun mois.
Les cours de Commandants de Compagnie qui ont été, comme je te lai dit, suspendus, vont reprendre à partir du 8 janvier, mais hélas!, ils ne sont plus à Essey-lès-Nancy mais à Lunéville, ce qui est beaucoup moins agréable. Cest probablement moi qui de nouveau serai désigné pour le suivre mais il ne faut pas vendre la peau de lours avant de lavoir tué et je ne suis sûr de rien.
Merci de la photo que tu mas envoyée. Elle est épouvantable. Je me trouve très mal et, à ma prochaine permission, si je suis en fond, je recommencerai lexpérience. Merci aussi du petit livre de messe contenu dans ta dernière lettre. Je men servirai quand jen aurai loccasion.
Ma chère Maman, cette lettre est la dernière que tu recevras de moi cette année-ci. La prochaine te sera remise directement par Mörch dans les tout premiers jours de janvier. Tu voudras donc bien trouver dans celle-ci tous mes voeux de bonheur et de bonne santé que je peux faire pour toi et pour les deux femmes aimées qui vivent avec toi. Puisse cette année-ci amener la fin de cette guerre, nous réunir tous les cinq ensemble pour toujours. Alors, je songerai à faire, moi aussi, mon petit programme dexistence, maintenant que celui de Madeleine est fait. Et toi, chère Maman, au milieu de tes deux ménages, de tes quatre enfants que tu verras souvent et chez lesquels tu alterneras tes visites, tu passeras une vieillesse heureuse, douce et tranquille. Tels sont les voeux bien sincères de ton fils qui taime beaucoup et qui voudrait bien revenir vivre une vie normale au milieu des siens................
28 décembre
Poirier. R.A.S.
29 décembre
Poirier. R.A.S. Mörch me fait ses adieux, il part en permission à La Rochelle. Ce veinard.
Jai reçu hier ta lettre n°15 contenant la lettre de Madeleine et 2 clefs pour boîte de conserves qui faisaient prévoir quelque chose de bon. En effet, ce matin, je reçois deux gros colis qui ont été les bienvenus. Merci du tien, il sera mangé avec les honneurs qui lui sont dus le 1° janvier. Cette lettre en contient une autre pour Madeleine que je remercie énormément de son gros colis de bonbons.
Cette lettre te sera portée par Edouard ou son domestique à son arrivée à La Rochelle mais jai bien peur que tu ne la reçoives pas plus tôt que par la poste car il est fort probable que notre jeune ami fera des pauses à Nancy! et à Paris! Il part demain matin et est fou de joie. Je le fais partir par la voiture qui va chercher le capitaine.
Rien de nouveau depuis ma dernière lettre. Jai reçu hier la visite de grosses huiles qui ont trouvé mon secteur bien tenu, mais il est si long (1900 mètres de front, rien que pour la compagnie)! que des éboulements ont lieu partout avec cette pluie continuelle. Rien de nouveau pour mon cours. Il se confirme que cest moi qui serai désigné, mais rien nest sûr.
Que dis-tu de cette mise à pied............ adroite et élégante de notre pauvre Joffre! Dire que maintenant cest notre ministre de la guerre qui est en somme généralissime puisque Sarrail et Nivelle sont directement sous ses ordres. Lyautey, lui, ne marchera pas daccord avec les députés. Voila donc les médecins et les avocats qui vont commencer les attaques! Pauvre France! Ce remaniement du haut commandement me dégoûte.
Je te dis tout cela car cette lettre ne passera pas par la censure. Mörch te dira dailleurs tous les détails que tu voudras et que tu ne peux me demander par lettre. Au revoir, chère Maman, je renouvelle les voeux de ma dernière lettre et te remercie encore de toutes les gâteries que tu mas envoyées.................
30 décembre
Poirier. Mr Strohl arrive à Sorneville, mais ne reviendra que demain ici.
31 décembre
Poirier. Arrivée du capitaine à qui je passe les consignes. Calme!