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- 1916 -

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 1 janvier

Permission à La Rochelle. Merveilleux commencement d’année.

2 janvier

Permission à La Rochelle. Arrivée de Jean.

3-4 janvier

Permission à La Rochelle. Reçu Neveux et sa femme.

5 janvier

Permission à La Rochelle. Départ pas trop triste à 9 heures pour Paris. Suis avec Montaussé, Vergne, Meyer et Neveux.

6 janvier

Arrivée à Paris à 7 heures. J’ai passé une agréable journée chez Mimi et Henri. Visité les Invalides. Le soir 8 heures, parti à la gare de l’Est où l’on nous refuse le train express. Parti coucher à Clichy avec Neveux.

7 janvier

Bien dormi à l’hôtel. Le matin, promenades et courses dans Clichy avec Mme Neveux et sa soeur. Déjeuner charmant et départ très gai pour la gare. Nous partons enfin à 2 heures 45. Voyage avec un adjudant des Tirailleurs.

8 janvier

Arrivée à Jarville à 7 heures. Déjeuner dans un petit restaurant puis départ pour Saulxures en voiture. Rien de changé à la Compagnie. Popote chez les Adam. Chambre chez Mlle Louise. Reçu lettres et colis de l’île Maurice.

Je viens d’arriver à Saulxures-lès-Nancy, où se trouve actuellement la Compagnie. Là, pas grand-chose de nouveau, sauf l’adjudant changé.

Je suis passé à Paris, arrivé à 7 heures du matin et je me suis pendu à la sonnette de Mimi (Martin-Balmary) qui ainsi que les deux Henri et les petits bébés, m’a fait fête. Nous nous sommes promenés le matin, ils m’ont fait visiter les Invalides, le soir et je me suis dirigé vers mon train à la gare de l’Est. Celui-ci devait partir à 8 heures. Là, on nous dit (Neveux, Meyer et moi) que ce train ne prenait pas les permissionnaires et qu’il n’y en avait qu’un d’autorisé pour nous, le lendemain à 14 heures 45. Désillusion, puis fou-rire. Emmené de force par la famille de Neveux, j’ai passé la nuit dans un hôtel près de chez eux et la matinée ainsi que le déjeuner chez eux (Clichy). Puis hier nous avons pris le train et sans nouvelles histoires, nous sommes arrivés à Nancy (vide - mort - plus de 50.000 personnes ont été évacuées après ce très sérieux bombardement). A la Compagnie, nous avons été reçus sans un mot de reproche sur notre retard, j’ai expliqué mon cas et tout est arrangé.

Pour le moment, un de mes amis, sous-lieutenant, qui part en permission, vient de me céder une chambre superbe et un excellent lit. Tu vois que pas un moment de cafard n’est encore venu me troubler. J’ai trouvé ici quantité de lettres de Tante M.L. Moreau, Anne, Jean Chagnaud, etc...etc... et un colis monstre de l’Ile Maurice parvenu par le ministère des Affaires Etrangères. Il contenait d’excellentes cigarettes anglaises, du sucre, chocolat, plum-cake énorme, ananas, biscuits, thé, ouate, allumettes, etc... etc...

A ce propos, donne-moi vite l’adresse de Mme de Cayla et dis-moi comment il faut que je l’appelle, Ma Tante, ou Madame. Tu ne peux te figurer combien je suis heureux d’avoir été si bien reçu partout, d’abord chez toi, ensuite chez nos amis, chez les Neveux, chez Mimi. Merci à tous. Vous êtes si bons pour vos « Poilus ». Mais ces derniers vous remercient bien cordialement, soyez-en sûrs.

Au revoir, chère Maman, à bientôt une autre lettre où je te dirai les choses que j’ai certainement oubliées cette fois-ci. Embrasse bien bien fort Jean, Madeleine et la si mignonne Muguette que j’aime tant..................

9 janvier

Garde-police à 7 heures après une excellente nuit dans un bon lit. Tous les soirs « Tee and cakes » avec Louise et Mathilde.

10 janvier

De jour. Corvées diverses. Bruits de nomination de Sous-Lieutenant. Est-ce vrai?

Me voici tout à fait devenu dans le mouvement, maintenant et, comme tous ceux qui reviennent de permission, je n’ai pas été oublié dans la distribution des corvées. C’est ainsi que j’étais de garde hier et que je suis de jour aujourd’hui. Je n’ai rien à dire, car c’est mon tour et que la vie à Saulxures n’est pas dure, je t’assure. Que nous sommes bien dans ce petit village.

Je t’ai dit que nous avions une popote très bien organisée dans la même famille que lorsque je suivais le cours. C’est d’ailleurs moi qui avant de partir avait donné des indications. J’ai une chambre, je te l’ai déjà dit, de sorte que tout va bien et ne me plaignez pas en ce moment. Je suis décidément toqué de tous les gosses que je vois, car les bébés de Mimi m’ont plu presque autant que Muguette. Le petit Jean (Balmary) surtout est extrêmement affectueux et me comblait de caresses. La petite Françoise (Balmary-Rastouil) est plus timide, mais nous sommes de bons amis tout de même. Les connais-tu?

J’ai donc passé chez ma cousine une journée délicieuse, de même celle du lendemain qui, je l’avoue a été du « rabiot » sur lequel je ne m’attendais pas. La famille de Neveux est charmante, en particulier sa jeune belle soeur (veuve à 22 ans). J’ai écrit aux Grouillard, aux Faure, aux Bouillé, pour les remercier de la façon dont j’ai été reçu et m’excuser de ne pas leur avoir rendu visite. Je pense qu’ainsi je suis correct et en règle avec tout le monde.

J’attends ta lettre pour avoir l’adresse de Mme de Cayla et lui écrire aussitôt. Ce colis était épatant vraiment et le contenu (plum-cake en particulier) succulent..................

P.S. Explique bien aux Grouillard que, étant arrivé en retard, je n’ai pu rester une seule minute à Nancy et n’ai pu aller chez Goulette. J’ai cependant fait parvenir la lettre à son adresse!

11 janvier

Lever à 9 heures. De corvée pour accompagner la Compagnie à Velaine. Nous sommes horriblement mouillés. Heureusement que l’on se sèche chez Louise! Fausse manoeuvre car l’exercice fut décommandé.

12 janvier

Temps superbe. Corvée de bois au bois de Pulnoy: véritable promenade. Les bruits se confirment pour ma nomination. Le lieutenant Strohl m’en parle!!

Merci de m’avoir ainsi écrit avant de n’avoir rien reçu de moi. J’espère que maintenant tu as dû recevoir mes deux premières. Rien de nouveau à Saulxures. Toujours beaucoup de boue et un temps légèrement pluvieux, mais bonne installation, ce qui fait passer sur beaucoup de choses. J’ai reçu hier une carte de Jean Triaud de Toulon, une lettre de 4 pages de son frère Maurice dans ses tranchées de Champagne et une longue lettre de Madeleine du Sault, toujours aussi charmante.

Jean C. a du vous quitter hier lui aussi, j’y ai bien pensé, je vous assure, et ai pris une part bien grande à votre chagrin. Bah! consolez-vous, nous en reviendrons tous les deux. Cette permission m’a rendu presque optimiste.

Ta lettre m’apprend encore la mort d’un pauvre camarade. Je n’étais plus très en relation avec lui depuis notre départ du Lycée, mais je me rappelle très bien combien nous étions liés autrefois. Pauvre bougre! Il devait avoir 1 ou 2 ans de plus que moi. Donne-moi des détails lorsque tu en auras. Collectionne aussi toutes les nouvelles de La Rochelle ou des gens que nous connaissons pour me faire une véritable petite gazette.

Je ne t’écris pas plus longuement aujourd’hui, car je ne vois plus rien à te dire. Tout va bien, Nancy n’est plus bombardé pour le moment et les froussards qui en sont partis, reviennent peu à peu...............

13 janvier

Exercice de signalisation avec le lieutenant Brochard.

14 janvier

Repos complet. Je vois le Capitaine Morache qui me confirme que je vais passer officier. Quelle veine! Nous devons partir demain pour Laneuvelotte.

Je suis content que tu aies reçu le colis de Bouxières, je vais aviser Marguerite et la remercier de sa complaisance. Jean a raison, pour le chargeur, il n’y a absolument aucun danger et tu peux en faire ce que tu voudras, sauf le mettre dans le feu naturellement.

Voyons maintenant pour le colis du 20: envoie-moi le pantalon, la flanelle que j’avais à mon arrivée et les 3 mouchoirs. Si tu y as pensé et si tu l’as, envoie-moi aussi le caoutchouc. Si tu n’as pas encore écrit à Bordeaux par oubli, n’écrit pas, je me contenterai de celui que j’ai pour cet hiver. Je ne vois pas autre chose pour le moment.

Sois heureuse! On va encore nous vacciner contre je ne sais fichtre pas quoi, cela devient littéralement la barbe et tout le monde rouspète. Il doit y avoir encore trois ou quatre injections anti-para-typhoïdiques!

Demain nous quittons Saulxures et allons de nouveau à Laneuvelotte pour je ne sais combien de temps. A nous les travaux, à nous la boue, à nous la saleté à présent!!!! Je t’envoie ci-joint une horrible photo prise 2 jours après mon retour ici. C’est la première que j’aie avec le casque. Joins-la aux autres, je te prie, malgré sa laideur. J’espère que les Grouillard auront reçu ma lettre et seront un peu réconciliés avec moi. Si j’avais su tant les vexer, j’aurais bien été leur dire au revoir, mais, que veux-tu, on n’a pas le temps de faire tout ce que l’on veut en 8 jours.

A propos de Mme Bouyé, donne-moi des nouvelles de Paul quand tu en auras, je compte sur toi pour cela maintenant, comme d’ailleurs pour toutes les nouvelles Rochelaises. Allons, je te quitte, je ne t’écrirai maintenant que de Laneuvelotte, probablement dans le marasme, mais sûrement dans la boue..............

15 janvier

En effet, départ pour Laneuvelotte, je pars en avant avec la cuisine roulante pour reconnaître le cantonnement de la Compagnie. Assez bon coin, bonne popote, mais de la boue!

16 janvier

La section est de garde avec Billaud. Je suis donc de repos (messe). Le Capitaine Ney revient de Lunéville.

17 janvier

Laneuvelotte. Nous allons prendre la place du 48° Territorial. Le 2° peloton part le soir pour les avant-postes. Plus de bruits de nomination: cafard.

18 janvier

Je suis de jour. Nous devons partir à 1 heure du soir. Mais contrordre, nous ne partirons que demain matin. Je ne vois rien venir et commence à être inquiet pour mon galon!

Si je ne t’ai pas écrit depuis 4 jours c’est qu’avant-hier j’ai envoyé une lettre à Madeleine qui a du te la communiquer.............

D’abord, je suis furieux car il n’y a moyen de rien te cacher. Je voulais te faire une surprise en te disant tout d’un coup: je suis Sous-Lieutenant, mais je vois que des indiscrétions ont été faites et que tu es au courant de tout. Oui! il vient d’y avoir 2 places d’officier au régiment et mon nom est parti avec le n°1 à l’armée. J’attends donc avec impatience, tu peux le croire, le retour des pièces qui, parait-il est incessant.

Ce qui me fait plaisir c’est que cette fois, le Capitaine Morache lui-même a daigné m’en parler et me dire que c’était imminent. Cette fois-ci ce sera donc peut-être vrai. Pourvu que je n’aie pas encore de nouvelles désillusions! Je t’annoncerai cette nouvelle, tu peux le croire, le plus vite possible.

Merci de l’adresse de Mme de Cayla, je vais lui écrire bientôt. J’affranchirai ma lettre à 25 centimes pour plus de sûreté. Je suis content que Madeleine retourne à l’hôpital. Cela lui changera les idées, ainsi elle change d’établissement à ce qu’il me semble. Pourquoi? Une autre question, tu as déjà changé de bonne, celle-ci ne faisait donc pas l’affaire? Merci de toutes les nouvelles que tu me donnes de La Rochelle et des permissionnaires. Cela me fait toujours plaisir.

Autre nouvelle: nous partons aux avant-postes cette nuit pour remplacer un régiment de Territorial qui va occuper Nancy, comme je le prévoyais. Sois donc tranquille, ce sont des avant-postes de seconde importance et nous n’y avons à craindre que des obus. C’est dans la forêt de Champenoux même, je t’indiquerai quand j’y serai, le point exact qui sera sûrement sur la carte que tu as. Inutile d’en acheter d’autre pour le moment.

Pendant que j’y pense, donne-moi l’adresse de Jean Triaud, ou du moins, dis-moi si elle a changé, car il m’a écrit une carte et il faut que je lui réponde d’ici peu.

Au revoir, ma chère Maman, ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué et ne parle de ma nomination à personne, je te prie...............

19 janvier

Départ à 5 heures avec un chargement épouvantable. Arrivés dans le bois à 500 mètres de « l’Arboritum » à 7 heures. Promenade dans le jardin. Le soir, je vais avec Hidreau reconnaître les avants-postes: La gare de Brinet, le Four à Chaux.

20 janvier

Pluie et cafard. Je fais faire des chemins en rondins dans le cantonnement. Le Capitaine Ney m’annonce que je suis nommé à la 22°. Hip, hip, hurrah!! Je vais voir le Commandant qui me reçoit très gentiment.

J’ai la grande joie de t’annoncer ma nomination de Sous-Lieutenant qui vient d’arriver à l’instant. Je m’y attendais et pourtant cela me suffoque! Je suis à la 22° Compagnie, par conséquent même bataillon, c’est tout ce que je pouvais demander de mieux! Je n’ai pas le temps de t’écrire plus longuement aujourd’hui. Maintenant: Vive la France! Je t’écrirai demain plus longuement.

21 janvier

Suis heureux! Ai couché dans la guitoune des officiers. Le soir, je vais à Amance, voir le Colonel, Capitaine Morache très gentils et Gruyer qui me donne 650 frs. Je demande une permission pour Nancy.

Je te demande pardon de la lettre envoyée hier. Je ne sais ce que j’y ai mis, car j’étais littéralement abruti. Tu le comprends. Aujourd’hui, je suis plus calme et je vais t’écrire plus longuement. Oui! je suis officier! et bien content, je t’assure.

Les officiers m’ont reçu très gentiment et le Capitaine Ney m’a immédiatement invité à dîner hier soir. A la nouvelle Compagnie, j’ai comme capitaine Mr Dutilh, ancien porte-drapeau au départ de La Rochelle. C’est un homme extrêmement gai mais d’une distinction très douteuse (en un mot, le contraire de Mr Ney). Les Lieutenants sont: Mr Laferrière, le frère de celui que tu as connu à La Rochelle et un instituteur, Mr Marsas. Tous m’ont reçu très très gentiment ainsi que le Commandant à qui j’ai été immédiatement présenter mes respects.

Demain, je vais à Nancy pour me faire habiller et équiper. Je vais toucher de l’argent ce soir (probablement 600 frs). Ma nomination date du 17 janvier, mais n’est arrivée qu’hier à la Compagnie. J’aurais voulu te télégraphier, mais il fallait que cela soit signé par mon Colonel, le Général de Brigade et le Général de Division. Trop d’histoires! Je te tiendrai au courant de mes achats, si cela peut t’amuser, mais pendant que j’y pense, fais-moi donc un colis de mes affaires à raser. C’est dans une boite blanche plate que Mad. connaît bien.

Ma chère petite Maman, tu ne peux te figurer combien je suis heureux et fier d’être Officier Français. Il me semble qu’ainsi, je remplace ces pauvres oncles, morts si glorieusement, et pour toi, je suis content aussi, car je sais que cela te fait un grand plaisir. Je te promets de faire mon devoir jusqu’au bout et en toute occasion. Je penserai à toi aux moments difficiles et je serai fort................

P.S. Je viens de changer d’enveloppe pour te dire que je reçois à l’instant ta lettre avec les photos. Merci. Cela m’a fait grand-grand plaisir. Ai répondu à Mme de Cayla.

22 janvier

Journée à Nancy. Nombreux achats et différentes courses. Suis bien muni de tout. Suis vanné en arrivant. J’ai Berger mon ancien camarade d’active comme ordonnance.

23 janvier

Vais le soir avec Marsas reconnaître les travaux du Centre 2, mal placés dans l’axe de tir de la pièce de marine. Je fais quelques gaffes qui m’attirent de petits ennuis.

Comme je te l’ai déjà dit dans ma dernière lettre, j’ai bien reçu ta lettre n°5 ainsi que les photos qui sont très bonnes et m’ont fait grand plaisir. L’autre jour, après t’avoir écrit, j’ai été à Amance me présenter au Colonel qui m’a fait un speech charmant et très flatteur, puis j’ai été trouver l’officier payeur qui m’a donné 650 frs.

Hier j’ai été à Nancy et j’ai là dépensé au moins 500 frs à m’acheter: cantine, uniforme, équipement, revolver, porte-cartes, souliers, trousse à toilette, gants, caoutchouc, papier à lettres, stylo, etc... etc... enfin je suis monté, chiquement et élégamment monté... Le reste de mon argent sera employé au Champagne qu’il est de bon ton d’offrir quand on est promu, et à l’achat d’un uniforme extra-chic pour aller te voir en permission vers le mois de mars, car ma nomination m’avance pour cela d’au moins 3 mois! Hip, hip, hurrah!

Après le Lieutenant d’Olce (23° Compagnie) (promotion Petibon) je suis le plus jeune officier de tout le régiment, mais il n’y en a que 6 ou 7 à passer avant moi pour les permissions! Pour le caoutchouc, si on te l’envoie et s’il est payé, envoie-le moi, j’en ferai cadeau à mon ordonnance (épatant. Ancien domestique dans un château!!!). Les officiers l’ont même pris pour servir à table tellement il est correct!

Je n’ai pas vu de Lignerolles depuis mon retour de permission. Il a fait un stage à Essey-lès-Nancy et n’était pas au régiment.

24 janvier

Travaux dérangés 2 fois par le tir de la pièce de marine. Les Boches tirent sur Nancy d’où bombardement intense des 2 cotés. Je perds 2 outils et me fais engueuler!!

25 janvier

Repos. Marsas est aux travaux.

Avant-hier, j’ai interrompu ma lettre pour le service, et depuis je n’ai pas eu une minute à moi. Je te demande pardon et je continue longuement aujourd’hui.

Hier, j’ai commandé la Compagnie pour aller travailler à un ouvrage fermé qui se trouve à la lisière de la forêt de Champenoux, à coté d’une pièce de gros calibre et surtout dans l’axe de tir des pièces Boches qui tirent sur elle. Or hier matin, tu as dû le voir par les journaux, les Boches ont encore tiré sur Nancy. Cette grosse pièce a pour mission de contre-battre la pièce qui tire sur Nancy, de sorte que toute la journée, nous avons été sous les marmites et au milieu des détonations et de grondements continuels.

Pour comble de malheur, des avions boches sont également venus bombarder ce pauvre Nancy et y incendier un hôpital, de sorte que les canons ont fait une chasse terrible à ces avions. Bref, la journée d’hier a été, pour mes débuts d’officier, très occupée et pendant un moment je me suis ennuyé ferme, les 150 et 210 tombant tout près de mes hommes très mal abrités dans ces embryons de tranchées et d’abris!

Pas de mal, donc tout va bien. Aujourd’hui, je suis de repos et tout est calme à la frontière. De Lignerolles est venu me voir et est resté à déjeuner avec nous. Je lui ai parlé de l’accident de sa belle-soeur qui n’a pas été grand-chose, comme tu me le dis bien, heureusement.

Les officiers de la 21 et de la 22 mangeaient ensemble au début, puis ceux de la 23 ont remplacé ceux de la 21°, de sorte que depuis 2 jours, je suis à la table du Capitaine Martin, toujours le même brave homme, mais vieillissant de caractère, je trouve.

Reçu une carte de Jean Chagnaud de retour de permission sans trop de cafard lui non plus et Mad. a-t-elle supporté la séparation? Le post-scriptum de ta lettre m’a bien fait rire au sujet des Grouillard. Oh oui, ils sont gourmands, mais bien gentils. Arrosez mes galons si cela peut vous faire plaisir, mais nous recommencerons quand j’irai en permission, n’est-ce pas?

Sur ce, chère Maman, je te quitte, car j’ai plusieurs lettres à faire. Tu m’excuseras de ce retard puisque, maintenant, tu sais la cause...................

26 janvier

Travaux. Cette fois-ci les Boches nous laissent travailler! Je reçois au chantier la visite du Général Prax qui trouve les travaux en bonne voie.

27 janvier

Repos. J’écris et je lis toute la journée. Nomination et arrivée de Moreau à la 23°!

En même temps que ta dernière lettre, j’ai reçu aussi la lettre si affectueuse de Mad. à laquelle je vais répondre tout à l’heure. D’après tes lettres, vous avez beau temps en ce moment. Nous, dans notre forêt, avons beau temps le jour, mais la nuit il pleut ou il brume, de sorte que le lendemain, il y a encore plus de boue que la veille, mais les journées sont agréables et pas froides du tout.

Tu me parles du Commandant de la Baume. Je crois que tu te trompes: il est parti du régiment avec, il me semble du moins, les galons de Lieutenant Colonel. C’est le Commandant Gaillard qui l’a remplacé dans le commandement du 5° Bataillon.

Merci de l’adresse de Jean Triaud. Je lui ai écrit hier. Ma chère Maman, je suis bien content que tu sois heureuse de ma nomination, je m’y attendais d’ailleurs. Merci à toi de penser à moi plus qu’à l’ordinaire, le 1° février. Ce sera réciproque, sois en bien assurée. Quant au cadeau que tu veux me faire, je n’ai plus besoin de rien ayant touché une grosse somme qui m’a permis de m’offrir d’abord le nécessaire, et même un peu de superflu. Ce n’est donc plus à toi d’offrir quelque chose, mais à moi, et sitôt que j’aurai un peu d’avance, tu me permettras de t’envoyer un petit souvenir.

Je pense que je ne t’ai pas donné beaucoup de détails sur l’endroit où je me trouvais. Prends donc la carte: tu trouves la partie de la forêt de Champenoux comprise entre la voie ferrée et la grande route nationale n°7, passant par Laneuvelotte, Champenoux, Mazerulles, etc..., etc... Dans cette partie de forêt, tu verras le « rond des Dames ». C’est là, où à quelques centaines de mètres, que se trouvent nos « guitounes ».

Je te quitte pour écrire à Mad. Demande-lui de te lire ma lettre car je vais lui mettre quelques détails sur ma nouvelle installation avec les Officiers. Remercie le Muguet de son petit mot en l’embrassant très très affectueusement de ma part, je te prie.

P.S. Touché: 650 frs. Solde: 270 frs par mois + 2 frs par jour de frais de campagne. Au total près de 4.000 frs par an.

28 janvier

Repos. Ai mal de gorge et me fais remplacer aux travaux par l’adjudant.

29 janvier

Travaux dont je prends la direction, Marsas partant en permission le soir. Sommes prévenus que nous devrons relever la 24° au Haricot le 31 dans la journée.

30 janvier

Assiste à la messe en plein bois. Vais avec le Lieutenant Laferrière reconnaître le Haricot. Je vois Fouché que je n’avais pas vu depuis longtemps. Le soir contre-ordre, nous allons au repos à Champenoux.

Merci d’avoir prévenu tous les parents. Ils ont tous été d’ailleurs très gentils car j’ai reçu des lettres de Mr Lebourg, tante Alice, Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone), tante Lilia et une carte de Mme Guillemin. Je m’attends à en recevoir d’autres: je te tiendrai au courant. Merci des colis, merci du caoutchouc qui fera plaisir à Berger, mon ordonnance, qui est de plus en plus une perfection.

A ce propos, je pense que je ne t’ai pas donné de détails sur mes achats et comme cela te fait plaisir, me dis-tu, je commence. D’abord une tenue très ordinaire (105 frs), une cantine très chic, une trousse à toilette, car je n’avais comme accessoires qu’un savon et une brosse à dent!, un équipement anglais, un revolver browning (réglementaire depuis la guerre), un superbe caoutchouc de 53 frs qui est d’un chic extra, une paire de souliers, un porte-cartes, un stylo, papiers à lettres, linge (1 chemise, 1 flanelle et quelques serviettes), des gants.

J’ai touché à la Compagnie une paire de jumelles à prismes d’une valeur de 150 frs, épatantes! Tu vois que je suis monté pour le moment. Dans quelques semaines, je me ferai faire, sur mesure, une tenue chic comme celle de Jean, je m’achèterai des souliers et des guêtres jaunes pour aller en permission bien habillé. A partir de ma permission, je t’enverrai de l’argent. Je ne pourrai guère le faire avant.

A propos du sabre que tu veux m’offrir. Si ce n’est pas indiscret, j’accepte, cependant je me demande comment tu me le feras parvenir. Prends-le assez grand, pas trop, le fourreau bronzé et avec une dragonne en cuir fauve. Cela me sera un bon souvenir de toi. Mais si tu éprouves une difficulté quelconque, n’insiste pas et je m’en procurerai un à Nancy. Je ne me l’achèterai que lorsque j’aurai ta réponse.

J’apprends à l’instant que nous sommes relevés le 1° février et que nous allons à Champenoux. Je te donnerai des détails plus tard. Pour le moment je ne sais que cela et même de bonne heure car je suis aujourd’hui Commandant de Compagnie, ayant mon Capitaine à Lunéville (suivre un cours), le Lieutenant Marsas en permission et le Lieutenant Laferrière à Nancy!

Je me porte toujours à merveille et les petits bien-être que peut se procurer un officier, contribueront certainement à me maintenir dans cet état. N e t’inquiète donc de moi que quand je te le dirai, et sois gaie et heureuse. C’est tout ce que je souhaite. L’adresse de T. Alice est bien: 50, rue de la Croix Blanche??...................

31 janvier

Le matin, travaux. Le soir, revue et préparation au départ. Le lieutenant Laferrière va reconnaître le cantonnement.

1 février

Le Lt Laferrière étant à Champenoux, je prends le commandement de la Compagnie pour déménager. Arrivée à Champenoux à 11 heures. Bien installé. Popote avec la 23°.

2 février

Champenoux. Je suis de grand jour, m’occupe de la distribution et fais une ronde le soir. R.A.S.

Je reçois à l’instant ta lettre n°9, et j’y réponds installé dans ma confortable chambre dans le village de Champenoux. Décidément c’est épatant. Pas besoin de chercher soi-même une chambre: Mon Fourrier est venu m’y accompagner et je n’ai eu qu’à m’y installer! C’est chez une vieille bonne femme, très propre et très complaisante. (elle vient de m’apporter à l’instant une brique pour me mettre sous les pieds)

Hier, comme je te l’ai dit, nous avons donc déménagé. Mr Laferrière avait été faire le cantonnement et j’étais seul pour commander la Compagnie. Je m’en suis bien tiré et nous avons fait une chic entrée dans le village! Nous mangeons encore en popote avec le 23° c.a.d. avec le Capitaine Martin et le Lieutenant d’Olce. C’est charmant, mais le Capitaine baisse énormément. Il est trop vieux pour faire la guerre comme Commandant de Compagnie.

Aujourd’hui, repos. Je crois que nous commencerons à travailler demain. Je croyais pouvoir aller en permission au mois de Mars car le tour des officiers finira à ce moment là, mais je viens d’apprendre qu’il faut 3 mois entre 2 permissions, donc je ne pourrai pas partir avant le 7 avril, mais enfin cela ne tardera pas, je le crois du moins.

Nous aussi, avons assez beau temps depuis quelques jours, mais tout le monde, en effet, dit que le temps de La Rochelle est charmant en ce moment. Tant mieux pour vous. J’ai reçu une carte de Jean C. et une autre de l’oncle André. Rien de Bordeaux. C’est étonnant. Merci de tes lettres beaucoup plus longues qu’avant ma permission et pleines de détails qui m’intéressent beaucoup. Je sais que ma nomination a paru sur les journaux. Un de mes hommes m’a même donné le bout de papier ci-joint, extrait du courrier de La Rochelle.

 

Nouvelles militaires

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M. Georges Triaud, sergent au 323°

de ligne, 21° compagnie, dont la fa-

mille habite rue Alcide - d’Orbigny,

vient d’être nommé sous-lieutenant au

même régiment, 22° compagnie.

Le nouveau promu, qui est au front

depuis le début de la guerre, est un

officier de mérite, très estimé de ses

hommes.

3 février

Travaux au bois de la Grande Goutte. Départ à 4 h 1/2 du matin, retour à 6 h 1/2 du soir! Belle journée, vue superbe de l’observatoire d’artillerie. Pas d’obus! Vu Lesueur, Maréchal des Logis de Cavalerie.

4 février

Repos. J’écris et je lis toute la journée. R.A.S.

5 février

Exercice de Compagnie près de La Bouzule. Le soir, signalisation. Présenté au Colonel de Montlebert!

6 février

Travaux au bois de la Grande Goutte. Beau temps, pas d’obus. Par contre Champenoux est bombardé. Un 105 tombe à 4 mètres de ma fenêtre.

Pardon d’être resté 4 jours sans te donner de mes nouvelles: celles-ci sont toujours très bonnes. Le courrier m’a apporté aujourd’hui 2 lettres de toi et une lettre de Madeleine suivie du paquet contenant un superbe étui à cigarettes qui m’a fait grand plaisir, je t’assure. Je reçois des lettres d’un peu partout: Mimi, Simone, Jean T., Maurice T., mais rien de Roger T., rien de Ruelle, rien de Quinsac! J’ai un travail fou pour répondre à toutes ces aimables personnes d’autant plus que je suis seul lieutenant depuis 8 jours à la Compagnie et que je m’appuie tout le service.

Aujourd’hui encore, et Dieu merci, j’ai été aux travaux depuis 5 h du matin jusqu’à 6 h du soir. Je dis « Dieu merci » car les Boches se sont mis à bombarder Champenoux où je me trouve actuellement, ce qui ne leur était pas arrivé depuis longtemps et un obus est tombé à 4 mètres de ma fenêtre cassant les vitres!!! Bien entendu, avec ma veine habituelle, j’étais au fond d’une tranchée à 5 km de là!!!!!

Aujourd’hui: rencontre bizarre: Un maréchal des logis du 10° hussard m’aborde au garde-à-vous et me dit: « Pardon, mon lieutenant, est-ce au Lieutenant Triaud que j’ai l’honneur de parler? » Sur ma réponse affirmative, il se présente: « Pierre Lesueur, fils d’Ernest, votre cousin ». Et comme c’est un bavard qui n’a pas son pareil, nous voila partis dans une revue de détail de toute la famille et de toutes les connaissances communes!!!!! A part cela, charmant, mais bavard et excité. (31 ans) Donne-moi quelques tuyaux sur lui et sa famille, je te prie, car il m’a promis de me revoir.

Demain, je vais à Nancy et je vais donc m’acheter un sabre et me commander une tenue extra-chic. Décidément, je ne fais d’économies jusqu’à présent.

J’ai reçu ton colis n°1 contenant le pantalon, linge et biscuits. Merci de tout, le pantalon va épatement!

Pauvre Suire!.... Encore un copain de plus, ou de moins! Que c’est triste!

Bonne Maman, tu veux me faire un cadeau, et bien je ne trouve pas de choses plus utiles que de bons ciseaux de toilette qui me manquent totalement. Je te vois rire d’ici. C’est pourtant bien un cadeau d’une Maman à son fils. Tu achèteras cela bien mieux que moi. Quant au sabre, ne t’en occupes pas et n’en parlons plus. Ce petit cadeau me suffira complètement et je t’en remercie d’avance.

Au revoir, chère Maman, je vais me coucher car je tombe de sommeil..................

7 février

Journée à Nancy. J’y vais en autobus. Retour en vélo. Je me commande une tenue satin et fais quelques emplettes. Déjeuner à La Lorraine. Retour à 5 h. Vu Basset.

8 février

Repos à Champenoux. Vaccination.

9 février

Repos. Les hommes sont tous très fatigués.

10 février

Repos. Nous allons être relevés par la 11° Division (20° corps). Le Lt Laferrière part en permission.

Quel silence! J’attendais déjà hier une lettre de toi, je n’ai rien eu, pas plus aujourd’hui. J’espère que rien d’anormal ne s’est passé chez toi et que vous vous portez toujours aussi bien toutes les trois. Je me suis fait photographier avant-hier par un homme de mon ancienne compagnie. Il vient de m’apporter les épreuves que je t’envoie immédiatement. Je lui en commande une demi-douzaine de chacune et il me donnera les clichés ensuite, que je t’enverrai dans quelques jours.

Comme je te l’ai déjà dit, j’ai été l’autre jour à Nancy. Il pleuvait mais je me suis débrouillé à y aller en auto de sorte que je n’ai pas été mouillé. Je me suis commandé une tenue extra-chic, sur mesure cette fois, à la dernière mode et en tissus épatant, coût: 150 frs.

Rien de nouveau ici, si ce n’est qu’il y a des bruits de relève. Il parait que toute la division va être relevée. Nous irions dans un camp d’instruction de là...... on ne sait. Qu’y a-t-il de vrai la dedans? Mystère, mais je crois que nous ne sommes pas à Champenoux pour longtemps.

Mon Capitaine est revenu de son cours, et le sous-lieutenant Marsas de permission. Par contre le lieutenant Laferrière est parti en permission. Néanmoins, nous sommes 3 officiers à la Compagnie maintenant, au lieu de 2. Mon tour avance de jour en jour et le milieu de mars nous verra réunis à La Rochelle, je crois, si rien ne change. Quelle avance!!

J’ai reçu beaucoup de lettres:

Mme de Sairigné: répondu.

Loulou du Sault: une simple carte.

Fernand Grouillard: répondu.

Tante Ellen: répondu.

l’Oncle André: répondu.

Roger Triaud: répondu.

Madame Neveux.

Sa soeur de Clichy.

etc... etc... etc...

Ce matin, reçu une longue lettre de Mlle Wizerie, je vais répondre. Je joins également à cette lettre, l’ordre du régiment, m’affectant à ma Compagnie. Je n’en ai pas besoin, ayant sur moi la lettre de service de l’armée, comme pièce d’identité. Mets ce papier dans tes affaires avec mon diplôme de Bachelier, par exemple.

Sur ce, je te quitte, chère Maman, car j’ai plusieurs lettres à faire encore. Je compte sur une lettre de toi, sans faute demain..................

11 février

Repos. Préparation à la relève.

12 février

Relève. Départ à 1 h de l’après-midi. Nous pataugeons. Arrivés à Leyr à 6 h. A 9 h alerte. Nous passons une mauvaise nuit, ne sachant ce qu’il y a. Les environs sont calmes.

13 février

Mauvaise nuit. Toute la journée, alerte. Nous ne savons pas encore pourquoi.

Comme je te l’ai dit, la division entière vient d’être relevée. Où ma division est-elle, Je n’en sais rien. Quant au régiment, il a appuyé tout à fait à gauche de notre ancien secteur de division. Nous sommes dans le S.P. 212 pour combien de temps, je n’en sais rien.

Nous sommes dans un grand village, ni aux avant-postes, ni au repos. Nous devrions y venir pour travailler. Mais voici ce qui vient de nous arriver: (surtout ne t’effraie pas, et ne répand pas de bruits effrayants dans la calme ville de La Rochelle.) Hors donc, nous sommes partis de Champenoux à 13 h. hier et arrivés ici à 7 h. du soir. Nous dînons et allions nous coucher quand on nous téléphone: Alerte! Prêts à partir immédiatement! Au lieu de coucher dans mon bon lit tout blanc qui m’attendait, j’ai dû coucher avec les hommes tout équipé.

Aujourd’hui, ou plutôt ce matin, rien de nouveau, nous devons nous tenir prêts. Mais nous ne savons pas ce qu’il se passe (tout est calme aux environs), ni où nous irons si nous partons, ni comment nous partirons! Mystère. Mystère. C’est ennuyeux, car nos cantines sont dans les voitures. Tout est bouclé. A part cela, tout va bien. Je te donnerai des détails plus tard quand j’en aurai moi-même. Nous sommes tout de même fatigués, nous avons mal dormi. Mais, c’est la guerre!!

J’ai bien reçu ta lettre n°12 contenant le journal de Festy. Je te remercie de me l’avoir communiqué et je te le renvoie immédiatement. Reçu également une carte d’Anne Bernard et une autre de René Gaillot (quelle amabilité!). Pendant que j’y pense, je n’ai pas encore reçu le 2° colis contenant mon rasoir, mais je l’attends d’un jour à l’autre. Je n’ai presque plus de chaussettes. Pourrais-tu m’en envoyer quelques paires. Pas besoin qu’elles soient faites en grosse laine. Tu me parles, dans ta lettre, de Paul Bouyé qui est en permission. Est-il passé officier? Il parait que, jusqu’à présent, ils ne sont pas mal à leur nouveau régiment.

En l’absence de Mr Laferrière, je suis chef de Popote et j’ai bien peur de la conserver par la suite. Ce n’est pas une petite affaire. Nous mangeons en ce moment avec les officiers de la 21, car la 23 n’est plus dans le même village.

Au revoir, chère Maman, ne t’inquiètes donc pas, tout va bien jusqu’à présent. Ecris au nouveau secteur jusqu’à nouvel ordre.....................

Promotions

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Monsieur Georges Triaud, ancien

élève du Lycée de La Rochelle,

sous-officier au 323° de ligne, est

promus sous - lieutenant. Ce jeune

homme, dont la famille habite rue

Alcide d’Orbigny, est le petit-fils du

général Moreau, que tous les Ro-

chelais ont bien connu. Il est aussi

le neveu du capitaine Moreau, tué à

l’ennemi.

Toutes nos félicitations au nouvel

officier ainsi qu’à sa famille.

14 février

Le matin, l’alerte est levée. On craignait une attaque (bombardement de Nomeny (?)). Je retouche mes bagages!

Deux mots seulement pour te rassurer: nous ne sommes plus alertés. On craignait, parait-il, une attaque dans les environs. Tout va donc pour le mieux et l’on va continuer nos vaccinations.

J’ai reçu, hier, ta bonne longue lettre n°13 qui m’a fait bien plaisir et à laquelle je répondrai demain ou après-demain. Reçu aussi le 2° colis intact. Tout y était et en bon état. Berger est content comme un roi du caoutchouc qui lui sert en ce moment car nous avons beaucoup d’eau..................

15 février

Seconde vaccination. Les hommes rouspètent et je les comprends.

Hier soir, également, j’ai reçu les ciseaux de chez Paillé. Ils sont épatants, très bons, et tout à fait comme je les désirais. Je t’en remercie beaucoup. C’est un cadeau qui me sera bien utile.

Nous sommes toujours au même endroit, dans le même village et nous ne commençons pas encore nos travaux car on vient de nous faire, ce matin, la seconde piqûre anti-para-typhique. L’alerte a été levée hier, de sorte que nous avons maintenant toutes nos aises. Dans ce grand village, j’ai une très belle chambre dans une jolie maison, chez des gens aimables. C’est naturellement de là, à coté du feu que mon fidèle Berger entretient avec un soin jaloux, que je t’écris.

Tu as dû recevoir mes photos dans une de mes dernières lettres, je vais t ’envoyer prochainement les pellicules. Je suis content que tu aies vu Magord, c’était un des meilleurs soldats de mon ancienne section. J’avais été voir son frère, quand j’étais en permission, et, comme un sot, j’ai oublié de te prévenir qu’il viendrait te voir.

En effet, les habitants de Penne doivent être très émus de voir partir Pierre. Pourtant, dans les automobiles, il y a moins de dangers que partout ailleurs. Merci des renseignements que tu me donnes sur les Lesueur. Je l’ai revu l’autre jour et un de ses copains nous a pris en photo. Il doit m’en envoyer. Si c’est bon, je te les enverrai. C’est un bon garçon mais qui est très bavard et qui ne m’a pas l’air très très intelligent.

Je ne sais pas si je t’ai dit qu’à ma nouvelle compagnie, j’ai comme caporal: Philippe Tourmeret, mon ancien camarade de Lycée et de jeux au Casino. Nous sommes très bien ensemble car il n’a plus cet air hautain et dédaigneux qu’il avait autrefois avec moi parce que plus âgé que moi de 2 ans. Il m’a donné des nouvelles de Le Garrec avec lequel il est très lié. Ce dernier n’est plus cuirassier! Il est sergent mitrailleur dans un régiment d’Infanterie!

Grandeur et Décadence!

Au revoir, chère Maman, continue, je te prie, à me donner les nouvelles Rochelaises. Embrasse tout le monde autour de toi (pas la bonne!)..............

16 février

Repos. Les hommes souffrent un peu moins que la 1° fois. Je vais à Villers-les-Moivrons avec Brochard. Temps épouvantable.

17 février

Repos. Signalisation. Temps clair. Vue superbe du plateau de La Rochette.

18 février

Repos complet. Je suis à la recherche d’un véhicule pour aller chercher Mr Laferrière à Nancy demain.

Je ne comprends pas ce que veut dire ta dernière lettre dans laquelle tu me mets:

« J’ai été débordée par les soucis matériels et les occupations qui en découlent. »

« Je pense que mes ennuis vont se calmer et que ma déveine va prendre fin. »

« Je commençais à être vraiment fatiguée »

« Mad., indispensable à son hôpital, ne pouvait me venir en aide dans mes malheurs »

Je ne suis au courant de rien et ne sais vraiment pas ce qui t’est arrivé, car je viens de lire attentivement tes lettres précédentes qui sont très calmes et ne me parlent de ces soucis. Renseigne-moi vite, je te prie. J’espère bien que ce n’est rien de grave et, qu’en tout cas, tout est dans l’ordre à l’heure actuelle.

Tu es au courant, je vois, de mes moindres faits et gestes par des sources différentes et inattendues. Garde à moi!!! Oui Mr Laferrière a reçu de La Rochelle d’excellents « Sigurds » de chez Otten et nous nous en sommes régalés au dessert d’un délicieux repas que ces messieurs ont, il est vrai, amélioré à mon intention. Je ne savais pas que de tels détails te parviendraient. Ton agence d’information est décidément parfaite. Je vais justement à Nancy demain, d’abord pour essayer mon costume, ensuite pour que Mr Laferrière qui revient de permission, profite pour rentrer, de la voiture qui m’accompagne à Nancy. (Vois d’ici la différence de la vie d’officier et celle de sous-officier!!!!)

Anne m’a parlé de ce petit protégé artilleur, mais c’est la première fois que tu me parles de ce Mr Sorles, l’ami de Roger. Avec qui va-t-il se marier? Tu me parles, dans ta seconde lettre, de ma photographie reçue dans la lettre n°13. Mais il doit y en avoir 2, ne les aurais-tu pas reçues toutes les 2? Tu ne m’en parles qu’au singulier. Dis-moi s’il n’y en a qu’une et laquelle c’est (tenue de campagne ou tenue de ville). D’ailleurs je vais t’envoyer, un de ces jours, les 2 pellicules de sorte que tu en feras tirer si tu veux.

Je t’en envoie, ci-joint, 3 autres qui sont moins bonnes. Elles sont prises le jour où j’ai fait la connaissance de Lesueur. Je l’ai marquée d’une croix. Elles ont été prises par un richissime châtelain de la Touraine: le Maréchal des Logis de Lichy (vicomte) qui n’est pas un photographe merveilleux n’est-ce pas?

J’espère toujours ma permission pour fin mars. Il n’y a plus que 4 officiers à passer avant moi, mais ceci en comptant que tout ira bien et qu’il n’y aura pas d’interruption. Mme Delon avait raison et son mari lui avait donné, à l’avance, notre nouveau secteur. J’espère que Mad. a de belles relations. Tous mes compliments.

Il parait?? que nous ne sommes là que jusqu’à la fin du mois. Nous irons ensuite pour x temps (3 semaines probablement) dans un camp d’instruction très en arrière de Lunéville. Puis?! Mystère!

Je te quitte, chère Maman, car il faut que j’aille me coucher........................

19 février

Voyage à Nancy par Montenoy, Faulx, Malleloy, Custines, Bouxières-aux-Dames où je m’arrête pour déjeuner. Après-midi à Nancy, dîner à la Viennoise avec Mr Laferrière et retour par Argincourt à minuit. A l’arrière, Berger m’annonce que je vais partir en permission!!

20 février

En effet, je signe ma demande de permission, je vais partir demain. En attendant la Compagnie travaille sur le plateau de La Rochette à des abris de mitrailleuses.

21 février

Patatras! Dupeux est parti à ma place et je suis retardé de 3 ou 4 jours. Philosophiquement, je vais aux travaux. Arrivée de Mr Strohl.

A mon retour de Nancy, j’apprends que je vais partir le lendemain c.a.d. hier en permission. Je n’avais pas le temps de te prévenir. Au moment de partir - retard - de 3 ou 4 jours - ou plus. En tout cas, je crois que cela ne va pas être long. Je t’enverrai une dépêche de Paris.

Reçu tes lettres et le colis de chaussettes. Merci beaucoup. vais toujours bien.................

22 février

Travaux sur le plateau de La Rochette. Neige.

23 février

Le rapport m’annonce que je passe à la 24° Compagnie en remplacement de Maillet allant aux mitrailleuses. C’est ennuyeux, je n’entends plus parler de ma permission! Je me transporte à Villers-les-Moivrons où se trouve la 24°.

24 février

Le Comandant m’annonce que je peux partir en perm. Hip. hip. hurrah! Départ à 2 heures en voiture. Je vais à Nancy chercher ma tenue et j’y couche.

25 février

En allant prendre le train à Champigneulles, je rencontre Moreau qui vient de Saulxures. Le régiment est, parait-il alerté pour aller du coté de Vaux où cela chauffe. Je n’ai reçu aucun ordre et je pars!

26 février

Arrivée à Paris à 10 h.1/2 avec 22 heures de retard (encombrement près de Châlons et de Bar-le-Duc). Vu Mimi, Louis Leconte. Je pars à 9 h. pour La Rochelle.

27 février

Arrivée à La Rochelle avec 2 heures de retard. Délices! Je reçois une dépêche m’appelant immédiatement à mon régiment par Bar-le-Duc! Ca y est, nous allons à Verdun! Triste journée, je pars à 9 h du soir!

28 février

Passage de quelques heures à Paris et départ à midi. Tous les officiers de la 68° division sont rappelés. Arrivée à Bar-le-Duc à minuit. Voyage en auto avec le Capitaine Lacôme du 234°.

29 février

Voyage en auto. Decauville (Houdainville?) et à pied pour rejoindre mon régiment. Je suis absolument éreinté et je couche à la Division, dans la forêt près du fort du Rozellier. Bruits d’attaque pour la Division!! De Bar-le-Duc au régiment, véritable odyssée!

1 mars

Je rejoins enfin mon régiment qui n’a pas attaqué mais qui occupe une sale situation sans tranchées ni abris dans un endroit où nous avons reculé sans combat de 8 à 10 km! Nous nous tenons derrière le talus d’une route et d’une voie ferrée. Nous sommes au pied des Hauts-de-Meuse entre Verdun et les Eparges. Cela canonne très dur partout.

Me voici depuis quelques heures à ma compagnie (24°) après mille peines, mille soucis et aventures qu’il serait trop long de te raconter en détail. Je ne peux te dire où je suis exactement, mais c’est, comme nous le supposions, à 6 km de l’endroit où Grand-Père était Commandant (Verdun). Nous sommes dans un endroit où malheureusement nos lignes ont été reculées, de sorte que nous sommes sans tranchées, ni abris, mais en plein air sous le bombardement continuel.

On m’avait raconté que le régiment avait attaqué hier, ce n’est pas vrai, néanmoins nous avons eu déjà une douzaine de blessés dont le Capitaine Dutilh (22°). Ne t’effraies pas outre mesure. Je suis cette fois à la vraie guerre mais je suis a peu près sûr que ma permission ne comptera pas et que je te reviendrai dès leur rétablissement.

Je t’écris en plein air = excuse donc mon écriture. Pardon pour mon moment de faiblesse à La Rochelle. Il m’a échappé malgré moi, et maintenant que je suis avec mes camarades, je suis gai comme un pinson.

Embrasse bien affectueusement Mad. et Muguet de ma part. Je t’écrirai tous les jours si je peux...............

2 mars

Le Capitaine Dutilh est blessé ainsi qu’une dizaine d’hommes au régiment. A la Compagnie, un homme se blesse accidentellement au pied. Le soir, je vais occuper un poste avancé à la lisière du bois Cherm. Relève mouvementée (fusées). La 23 perd plusieurs hommes (Cubard).

Toujours même situation. Vais très bien...............

3 mars

Nuit calme pour nous mais sous la pluie et le canon tonne partout. Aucun abri ni pour la pluie, ni pour le canon, si nous sommes repérés, nous sommes foutus. Sale position. Journée sans incident, mais notre immobilité dans l’eau nous a gelés. Mon nouvel ordonnance se nomme Greffard.

Toujours même situation pas bien brillante. Je ne peux te donner d’autres détails. Je vais bien quoique n’ayant pas dormi depuis le 25 février.

Donne-moi des nouvelles de Jean C.. Je ne suis pas tout à fait de son coté (plus à droite).

Reçu une longue et aimable lettre de Mme de Cayla..............

4 mars

Deuxième ligne - pluie, froid, canon, etc... Nous dormons tant bien que mal dans l’abri. J’apprends que le sergent Saulard est tué! Le lieutenant Léris, du génie est tué à Moulainville.

Rien de changé encore dans notre situation. Nous commençons tous à être fatigués par le manque de sommeil et par l’inconfort complet dans lequel nous vivons. Je te détaillerai cela plus tard, cela en vaudra la peine. Pas de nouvelles ni de journaux, ni par lettres depuis que nous sommes ici. Que se passe-t-il et comment vont les affaires? Mystère. Nous sommes isolé de tout, tout, tout. Reçois-tu seulement mes cartes? Accuse m’en réception..............

5 mars

Deuxième ligne. Nous ne devons faire les relèves que tous les 3 jours. Le soir: ordre de relève. Le Régiment se forme en profondeur. Nous passons derrière le 5° Bataillon dans des tranchées aux environs du fort de Moulainville. Tir de barrage à la relève. Pas de mal, par miracle.

Nous sommes toujours au même endroit et commençons à nous habituer à notre misère. Les pertes sont en moyennes de 6 à 7 hommes par jour au Régiment. Tu vois qu’il ne faut pas s’exagérer le danger. Dès que je le pourrai, je t’écrirai un peu plus longuement. Je vais toujours très bien et le moral est excellent................

6 mars

Ma section est en réserve à la batterie d’Eix. Je passe la journée dans une casemate avec le Lieutenant Chatelain. Neige. Les hommes sont très mal dans un abris très étroit.

Puisque la situation continue sans aucun changement, je vais prendre un moment pour venir causer avec toi et t’expliquer notre position autant que cela m’est possible. Je vais même t’envoyer une carte de la région, trouvée sur un bulletin des armées, quitte à ma faire casser si ma lettre est ouverte.

Le village souligné est le plus près de l’endroit où je me trouve depuis 8 jours qui est exactement le talus de la voie ferrée. Tu vois maintenant que nous sommes à l’est de V. (Verdun) et tu as pu voir par les communiqués qu’il y a eu ici un repli de 8 à 10 km de notre part et sans combat provenant de la prise de Douaumont au Nord et de Manheulles au sud. C’est ce qui fait que nous n’avons ni abris, ni même de tranchées, et que nous sommes à la merci des bombardements.

Les munitions ne sont ici économisées ni d’un coté ni de l’autre, et jamais de ma vie, je n’avais entendu pareil bombardement - même du 380 et du 420 sur les forts tout près de nous. Ne t’inquiètes pas: tu vois que c’est un rôle défensif que nous jouons encore et je crois bien que si l’on attaque, nous ne serons pas des troupes d’assaut.

Comme pertes, le régiment a la proportion que je t’ai donnée l’autre jour: 6 à 7 par jour. C’est de la veine, car nous pourrions avoir beaucoup plus. Hier, un de mes camarades d’active a reçu un éclat d’obus dans la poitrine qui l’a tué net, pauvre type! Nous jouions souvent au billard ensemble à La Rochelle.

La Compagnie a de la chance et n’a pas eu de morts (5 ou 6 blessés en tout). Tu me diras bien vite si cette lettre t’est bien arrivée, si elle n’a été décachetée, et si tu comprends bien ce que je fais. Vos lettres commencent à arriver. J’ai reçu de toi depuis mon retour: les n° 18, 19 et 20 et celle du 28, n° 21 en même temps que celle de Mad. du 1° mars. Dis, je te prie à cette dernière, que je lui répondrai très prochainement, et qu’elle remercie beaucoup Mlle Genet de son petit souvenir.

J’ai eu hier des nouvelles de mon ancien Capitaine Dutilh qui va aussi bien que possible. Il a eu un éclat d’obus dans la figure, mais ce n’est pas grave. C’est le seul officier touché jusqu’ici.

Je ne te cache pas que nous sommes très fatigués car depuis le 28 au soir - moi le 1° au matin - nous sommes aux avant-postes dangereux, sans pouvoir dormir, à la belle étoile tout le temps, tantôt sous la pluie, tantôt, comme aujourd’hui, sous la neige et le froid; et l’autre nuit avec un vent violent. Ce n’est pas gai mais le moral est bon. Je suis fier de défendre cette ville que tu connais et dont tu as de bons souvenirs.

Vive la France.

7 mars

Batterie d’Eix. Froid. Installation du secteur de la Compagnie qui est très large et pas organisée.

8 mars

Batterie d’Eix. Visite du Général Prax qui approuve les travaux projetés. Canonnade sur Vaux et attaque. Le Colonel du 206 est tué à Moulainville et un Commandant blessé.

Rien de changé depuis la lettre de Mad. Toujours au même endroit, toujours même situation. Je vais toujours bien. Le temps s’est mis au beau mais est très froid.

Le bombardement s’est ralenti sur nous depuis hier mais est devenu terrible sur notre gauche, vers le fort de D. (Douaumont) dont on parlait quand j’étais avec toi et dont je suis assez rapproché.

Bons baisers à toutes les 3. Accuse-moi bien réception de mes cartes car il paraît que vous ne recevez pas tout. Depuis le premier mars, j’ai écrit tous les jours...................

9 mars

Batterie d’Eix. Attaque sur Vaux et à l’est d’Eix violemment bombardé. Le fort de Moulainville reçoit des 380 et des 420 dont les éclats viennent jusqu’à nous.

Rien de changé dans notre situation. J’ai reçu hier ta bonne lettre n°22 qui m’a fait le plus grand plaisir. Par contre, je suis désolé que vous ne receviez pas les nôtres. Comme tu le dis: Patience. Reçu également une carte de Jean C. mais du 25-2. Il rejoignait son régiment...................

10 mars

Batterie d’Eix. Nous nous installons le mieux que nous pouvons dans notre casemate mais nous nous enfumons terriblement. Bombardement à droite et à gauche.

Toujours la même chose. Aujourd’hui le bombardement a été encore plus nourri des 2 cotés et un peu partout. Je me demande comment on peut faire assez de munitions. C’est inouï.

Vais toujours bien quoique mal à la gorge, nez coulant, pieds froids, etc... etc... petits détails............

11 mars

Batterie d’Eix. Le fort de Moulainville est toujours marmité. Sale temps. Le fourrier Roumes est évacué pour pieds gelés ainsi que plusieurs hommes. Le sous-lieutenant Caratch est évacué pour pieds gelés.

12 mars

Batterie d’Eix. Toujours des attaques sur Vaux. Nous n’avons aucuns renseignements. Plus de tabac, plus de bougies, plus d’allumettes. Pas de cafard!!!

Je ne t’ai pas écrit hier, aussi, aujourd’hui, je viens causer plus longuement avec toi. J’ai reçu hier soir ta lettre n°23 du 6 mars et je suis bien ennuyé que vous ne receviez rien. Enfin, il faut se consoler car c’est général. Tous les Rochelais de la Compagnie s’en plaignent et c’est la même chose dans les autres régions.

Nous sommes toujours au pied du fort dont je t’ai parlé, dans les mêmes tranchées. Cela fait le 13° jour et les hommes commencent à être fatigués sérieusement. Avec ces froids, nous avons eu d’ailleurs beaucoup de pieds gelés. Si tu voyais comme nous sommes sales. Je ne me suis ni lavé, ni rasé depuis que je t’ai vu, mais depuis quelques jours je me suis arrangé pour dormir un peu. Comme santé, cela va très bien, ne t’inquiètes pas à ce sujet.

Les ravitaillements arrivent à peu près mais depuis que je suis arrivé, les officiers mangent avec les hommes, c’est te dire si je fais des économies en ce moment. Nous n’avons plus de tabac, plus d’allumettes, aucun confort, plus de bougies, tant il y a de troupes qui s’approvisionnent aux environs de Verdun.

Comme bombardement, cela s’est très calmé sur notre secteur propre, mais au nord, qu’est-ce qu’ils prennent les copains!!! Les coups de canons sont si nombreux qu’on croit à une fusillade de gros modèle. Comme pertes, cela s’est ralenti du fait d’un bombardement moins important, cependant le Colonel et un Commandant du 206 (à coté de nous) ont été blessé.

Je prends ta lettre pour y répondre, mais quand recevras-tu cette réponse? Les Guillemin se sont trompés, le 323 n’est pas en réserve, mais enfin il n’a pas donné. Merci des nouvelles de Maurice. J’espère comme toi, que sa bronchite ne sera pas grave. Je compte sur toi pour me donner des nouvelles.

Qu’est-ce qui se passe pour tes bonnes? La maison est donc repérée? Tachez d’en trouver une rapidement, car je ne voudrais pas que tu te fatigues à faire toi-même ton ménage. Décidément Jean du S. et Daniel (?) sont des types chics au point de vue Patrie, car ils ont l’ardeur et veulent à tout prix aller )au feu. C’est très bien et ce serait une bonne leçon à donner à P. M. (Pierre Martin?) et Cie...............

Une tape amicale à Cadi..............

P.S. Amitiés aux blessés de Madeleine, S.V.P.

13 mars

Batterie d’Eix. Conversations avec le Capitaine de Lumeau et le Lieutenant Chatelain. Bombardements. Promenades et visites aux sections tous les soirs pour surveiller les travaux. J’ai bien mal aux pieds?

14 mars

Batterie d’Eix. Pas de bruits de relève. Maman ne reçoit pas mes lettres. J’ai peur d’avoir les pieds gelés. Deux blessés légèrement à ma section.

J’ai reçu hier ta lettre n°24 du 9 mars. Je suis bien content que tu aies enfin de mes nouvelles. J’espère que maintenant tu as reçu mes autres lettres et que tu sais à peu près où je suis. La journée d’aujourd’hui nous retrouve toujours au même endroit entre le fort de M. (Moulainville) et E. (Eix’) fidèles au poste. Je viens de lire les journaux du 12! qui relatent l’intensité du bombardement que nous avons subi. Tu l’as peut-être vu toi-même. Ils peuvent le faire, car, nom d’un pétard, quel chambard autour de nous!

Le 323 doit être protégé par des Forces Supérieures car il n’y a que peu de pertes, je t’assure. Comme Officier, il n’y a que le Capitaine Dutilh et un sous-lieutenant de l’autre bataillon qui soient blessés. La veille du jour où le 323 a pris le secteur, il y a eu attaque de la part des boches sur E. (Eix) Depuis que nous y sommes, rien que des bombardements, pas d’action d’infanterie. C’est de la veine!!

Je suis un peu plus propre, j’ai réussi à trouver quelques gouttes d’eau avec lesquelles je me suis enlevé le plus gros de ma crasse, mais ce n’est pas encore très brillant. Néanmoins je vais très bien à tous les points de vue. Aujourd’hui il fait un véritable temps de printemps. Cela nous change de notre neige.

Aussi les avions ne font-ils que se battre au-dessus de nous. Nous suivons leurs évolutions à la jumelle. C’est une distraction et Dieu sait si elles sont rares en ce moment! Enfin Mr Chatelain (mon Commandant de Compagnie) et moi devisons ensemble le plus gaiement possible et avons mangé avec délice des gâteaux à lui expédiés par Mme Blanc (Il y a 15 jours que nous n’avions mangé que du boeuf et des pommes de terre). Si tu la vois, tu pourras la remercier de ma part!

J’espère que ta grippe va bien mieux maintenant et que tu as trouvé une bonne. Tiens-moi au courant, je te prie.......

P.S. Je t’écris au crayon car mon stylo est presque vide.

Nous sommes tout de même mieux qu’au début sur notre voie ferrée, car nous avons un peu arrangé nos tranchées; nous pouvons un peu dormir maintenant.

Et Jean C.. Avez-vous des nouvelles plus récentes que le 29-2?

Bonjour aux blessés de Mad. si celle-ci y retourne.

15 mars

Batterie d’Eix. Nous allons être relevés demain, parait-il, mais pour être encore plus mal et aller aux travaux en première ligne. Visite des officiers du 234 qui viennent nous relever. Vergne évacué pour pieds gelés et moi, ça ne va pas fort.

Rien de nouveau depuis hier, si ce n’est un peu plus d’obus, mais sans aucun dommage à la Compagnie du moins. Temps superbe.

Nous nous sommes un peu réapprovisionnés en tabac et avons même un pot de confiture. Grand festin à faire ce soir. Bonne santé toujours.................

16 mars

Batterie d’Eix. Mes pieds vont mieux. Nous serons relevés entre 17 h. et 19 h. Je reste encore à la batterie pour passer les consignes aux nouveaux arrivants. Nuit de bombardement continue.

Ne t’esclaffes pas sur ce papier à lettres, c’est celui de mon Commandant de Compagnie!

J’ai reçu ta lettre n°25 qui me dit que tu n’as rien reçu de moi depuis le 2. Cela commence à devenir dégoûtant, car je viens de compter: cela fait la douzième lettre que j’écris depuis le 2 mars. Tu devrais pourtant bien en recevoir quelques-unes.

Enfin - ce soir nous sommes relevés, mais pour aller à 2 km en arrière seulement, dans un bois, sans aucun abri ni même gourbi de préparé. Il faut se servir des torches de toiles de tentes et coucher dessous, car on va aux travaux nuit et jour et l’on n’a pas le temps de rien construire par nous-mêmes. Les officiers ne touchent pas leur cantine et nous sommes en alerte continuelle. Voila le « repos » qui nous attend. Pour combien de temps? Personne ne sait rien.

J’ai un petit ennui: j’ai un commencement de pieds gelés. Je ne peux marcher qu’avec ma canne et beaucoup de difficulté. Ce sont les bouts de doigts de pied qui sont douloureux. Vergne, le pâtissier de la Grosse-Horloge a la même chose et vient d’être évacué hier. Il était à ma Compagnie et tu peux rassurer sa famille. Ce n’est rien, je pense. Si je ne vais pas plus mal demain, je ne veux pas me faire évacuer, mais dans le cas où je souffrirai un peu plus, je te promets que je n’hésiterai pas. Ne t’inquiètes donc pas.

C’est ce séjour de 17 jours sans se déchausser et avec le froid au pied presque continuellement qui en est la cause. Il est très probable que lorsque tu recevras cette lettre, ce sera complètement terminé, par conséquent il est inutile de te peiner. Si c’est quelque chose, tu auras reçu une dépêche avant cette lettre!

Comme bombardement, après avoir redoublé d’activité hier, les Boches se sont complètement arrêtés ou presque dans notre région aujourd’hui. Leur insistance générale à l’air moindre d’ailleurs autour de Verdun depuis 3 ou 4 jours. Cela va peut-être finir bientôt (l’affaire de Verdun) quoique les journaux ont l’air de ne pas le dire et de ne pas le croire.

Au revoir, chère Maman, je t’écrirai demain je pense et je te donnerai des détails sur notre luxueuse installation..............

17 mars

Nous sommes dans les bois sur les Hauts-de-Meuse au carrefour de la Madeleine. Installation de troglodytes: les hommes par groupe de trois dans une niche creusée dans les pentes d’un ravin. Temps superbe. Nous nous fabriquons une petite guitoune.

18 mars

Carrefour de la Madeleine. Temps superbe. Pendant leur tir contre nos batteries, 2 coups tombent dans le bivouac et font 2 blessés. Le soir, travaux près du fort de Moulainville. Le bombardement continue en première ligne.

Comme je te l’ai déjà dit, nous ne sommes plus aux avant-postes, mais tout près derrière dans un bois. Je n’ai pas encore le temps aujourd’hui de te raconter notre installation ultra-rudimentaire mais qui, par ce beau temps, serait assez amusant sans les marmites vraiment trop nombreuses.

Je vais très bien car mes pieds se sont dégelés en partie et que je peux marcher sans trop souffrir...........

19 mars

Bivouac de la Madeleine. Nous continuons à aménager nos habitations. Le soir, travaux sans encombres.

J’ai reçu hier ta bonne lettre du 13 n°26 qui m’a fait grand plaisir car elle m’annonçait que tu avais enfin des nouvelles de moi, pas bien fraîches, mais enfin très bonnes et rassurantes.

Aujourd’hui, notre installation commence à être à peu près confortable, et j’en profite pour venir causer quelques instants avec toi. Figure-toi une forêt, dans cette forêt un ravin dont les pentes sont très abruptes. Dans ces pentes des trous creusés comme des petites niches pour statues. Une toile de tente comme porte et voila une maison pour trois hommes. La nôtre est un peu plus spacieuse, mieux close et le sol rembourré d’un peu plus de paille, mais est analogue aux autres.

Nous sommes bien car le temps depuis 3 jours est splendide (on sent le printemps arriver), mais s’il pleuvait, le bivouac serait bien pénible. J’aurais voulu t’envoyer des photos, mais Jean C. a du vous le dire aussi, qu’une circulaire du général en chef venait de paraître, interdisant le port des appareils photographiques à tout militaire, et l’envoi de photos représentant des défenses, des installations de troupes, des effets de destruction par projectiles, etc... etc... serait puni par le conseil de guerre. Si donc j’ai des photos intéressantes, je les garderai dans ma cantine et te les ferai parvenir par des permissionnaires ou par un moyen quelconque.

Bref, notre bivouac dont l’aspect est original et pittoresque, serait à peu près potable sans ces trouble-fête détestés que l’on appelle « Boches » et qui trouvent très intéressant de nous envoyer des marmites de temps en temps. Comme nous n’avons, tu le vois, que peu ou pas d’abris, ça fait du mal là où ça tombe. Hier, nous avons eu ainsi quelques blessés.

La nuit, nous allons travailler aux premières lignes, et jusqu’à présent, il n’y a pas eu de grabuge comme au régiment précédent (toujours l’incroyable veine du 323). A part cela, je vais toujours très bien, mon pied est tout à fait guéri maintenant grâce à ce beau temps, mais si le froid avait continué, je n’y coupais pas, car je ne sentais pas une piqûre d’épingle au bout de mes orteils (le soir du jour où je t’ai écrit cette lettre que je regrette car je t’ai inquiété bien inutilement)

Je t’envoie 2 ou 3 petites fleurs cueillies dans ces bois sur les Hauts-de-Meuse d’où l’on a une vue superbe et qui doit être un bien beau pays quand les villages ne flambent pas et que l’on n’entend pas un bombardement aussi formidable et d’une façon aussi continu. Il me semble que quand nous serons au repos, tout me semblera silencieux.

J’attends les photos du Muguet avec grande impatience et vous remercie bien de penser à moi. J’espère comme toi, que la pleurésie de Maurice sera vite guérie. Ils n’ont pas de veine dans cette famille. A ce propos, j’ai reçu, hier, une carte collective venant de Penne et signée de Jeanne Malbec, Maurice (Triaud), Martin, Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone), Ninette , M. Malbec?, Madeleine Malbec?, Roger Triaud, André Malbec?, Tante M.L. Triaud et une signature illisible. Ils sont gentils de penser à moi mais peux-tu me donner quelques tuyaux d’abord sur ce déménagement de Ruelle à Penne et sur les charmantes personnes que je ne connais pas?

Sur ce, je te quitte car je n’ai plus de place sur mon papier, et que celui-ci même se fait rare chez nous. Il est temps à tous les points de vue que nous prenions du repos. Les hommes commencent à être fatigués, mais sont très courageux tout de même. Le moral est bon et comme tu dis: Ils n’auront pas V. (Vaux) et nous les aurons!

Bons baisers à toutes les trois de la part de votre poilu qui est bien sale, je t’assure.

20 mars

Bivouac de la Madeleine. Aménagement des « guitounes ». Promenade à Belrupt. C’est mon tour de repos pour les travaux. J’en profite pour changer de linge!!

21 mars

Bivouac de la Madeleine. Travaux le soir.

La correspondance commence à aller mieux maintenant. Ce n’est pas trop tôt et j’en suis content pour vous. Les lettres de Jean vous viennent-elles comme les miennes?

Nous sommes au même endroit, toujours dans nos mêmes trous à lapin. Tous les soirs nous allons aux travaux en 1° ligne. Jusqu’à présent, malgré le bombardement, il n’y a pas de mal au bataillon. Il n’en est pas de même à la 5° qui a eu, hier encore, huit morts et blessés d’un seul obus tombé dans un trou.

Le temps se maintient au beau, heureusement pour nous. Dans notre demi-repos, nous avons envoyé un ordonnance à l’endroit où nous avons nos cantines, de sorte qu’il a pu nous apporter du linge et quelques bricoles.

Je suis rassuré, maintenant que vous avez reçu la lettre qui vous disait l’endroit où je me trouvais. Nous sommes toujours au même endroit ou dans les environs. Les hommes sont fatigués quoique pleins de bonne volonté, mais nous avons beaucoup d’évacués pour pieds gelés et fatigue générale. Cela se comprend depuis 23 jours de premières lignes.

Tu me dis que Muguette a moins peur du canon que son chien. Est-ce que par hasard, le canon tonnerait à La Rochelle, cette paisible citée?

Le cycliste s’en va et je le retarde un peu pour qu’il prenne ma lettre......................

22 mars

Bivouac de la Madeleine. Le soir: travaux. Quelques obus viennent nous trouver. Le 5° bataillon écope plus que nous.

Rien de nouveau à te dire depuis hier. Comme dit le communiqué « situation inchangée ». Reçu ta lettre n°29, hier, qui m’a fait grand plaisir.

Le courrier part et je vous embrasse.............

23 mars

Bivouac de la Madeleine. Même situation. Le temps se met à la pluie d’où boue épouvantable dans les chemins.

24 mars

Bivouac. Nous commençons à pouvoir nous ravitailler (par Verdun).

La situation n’a pas changé depuis ma dernière lettre, sauf que le temps qui s’est mis au froid et à la pluie. Avec ce temps nous sommes tous les 3 plus ou moins enrhumés et ton colis nous a fait le plus grand plaisir. Merci. Tu seras même bien aimable d’en envoyer un autre contenant: des pastilles semblables, en plus grande quantité, des cure-dents, du tabac jaune et des allumettes. Si tu me l’envoies, tu me sauveras la vie et je suis sur que tu ne voudras pas nous laisser périr!!! Le moral est toujours excellent, ainsi que le physique d’ailleurs..................

25 mars

Bivouac. Temps épouvantable. Travaux sans y voir et dans la boue.

Comme je te l’ai dit hier dans ma carte, j’ai reçu ta lettre n°30 et la veille ton petit colis de tabac et de pastilles qui a été le bienvenu, je t’assure. Tellement le bienvenu que mon Commandant de Compagnie, le lieutenant Chatelain, qui est gourmand comme une chatte, a tapé dedans jusqu’à extinction. Il te fait même dire d’en envoyer d’autres, surtout des blanches, et je joins ma demande à la sienne. Il reçoit des colis également et entre lui, Fouché et moi, ce que nous avons est aux autres. Envoie du tabac et des cigarettes jaunes ainsi que des cure-dents, je te prie, choses que nous ne pouvons trouver ici.

Notre situation ne s’est pas améliorée, au contraire, et cela à cause du temps. Depuis 3 ou 4 jours, nous avons vent, pluie, grêle, froid et même de l’orage. Nos guitounes sous terre se remplissent d’eau. La nuit, il faut aller aux travaux en pleine obscurité sous bois, et nous ne sommes éclairés que par les éclairs des coups de canon (départ ou arrivées).

La veine continue à se maintenir à la 24°, nous n’avons pas de victimes comme aux autres Compagnies depuis quelque temps, mais nous avons pas mal d’évacués pour pieds gelés et maladies. Personnellement, je vais bien et suis bien content d’avoir une santé pareille pour traverser ces moments vraiment durs depuis le 1° de ce mois.

On ne parle pas de relève, au contraire. Il faut se mettre évidemment à la portée de ceux qui commandent et qui n’ont pas trop de troupes à leur disposition pour relever les régiments qui donnent. Notre secteur étant calme relativement à ce qui se passe à notre gauche immédiate, il est certain que nous devons tenir encore quelque temps.

Et Jean, comment va-t-il? Tu me dis qu’il m’envie, mais détrompe-le. Le 323 n’a pas donné, il occupe un secteur comme en Lorraine avec cette différence que ce secteur est plus bombardé et pas organisé du fait du recul, d’où travaux, fatigues supplémentaires et danger un peu plus grand. Mais, jamais depuis un mois, nous avons attaqué ni même été attaqués. Dis-le lui bien et sache le bien toi-même.

J’attends toujours les photos de Muguette pour voir sa nouvelle coiffure. Je me suis commandé une montre-bracelet à cadran lumineux. Quand je l’aurai, vers le commencement d’avril, je t’enverrai celle que j’ai et aussi 100 frs d’économies que tu emploieras si tu en as besoin. Ne te gêne pas surtout, promets-le moi bien.

Excuse mon écriture, mais je voudrais par curiosité que tu sois là pour voir la position que j’ai dans mon trou obscur pour t’écrire. Il pleut et je ne peux écrire dehors..................

26 mars

Bivouac. Le canon tonne toujours vers Douaumont - Vaux.

Rien de nouveau depuis hier. J’ai reçu tes deux lettres 31 et 32 ainsi que le colis de gâteaux en excellent état, qui a été fêté avec tous les honneurs dus à son rang.

Temps froid. Pas de relève à l’horizon. Le courrier s’en va et nous allons prendre notre repas, aussi je te quitte rapidement...................

27 mars

Bivouac. Bombardement continuel du carrefour.

Je reçois à l’instant ta bonne lettre n°33. Je te remercie de m’écrire aussi souvent en ce moment. Ces petits mots me font grand plaisir. Tu ne m’as pas accusé réception des lettres n°30 et 31. Les as-tu bien reçues? Remercie bien la grande infirmière des conseils qu’elle me donne pour mes pieds. Je m’en souviendrai si le mal me reprend, mais pour le moment je vais très bien à tous les points de vue: ni rhume, ni gelure.

Ton colis de gâteaux dont je t’ai déjà accusé réception hier, nous a fait le plus grand plaisir, il est tombé un jour de grand gala: un obus ayant blessé un de nos chevaux, on l’a abattu et............. mangé. C’était délicieux, c’était un beefsteack sur le gril d’une « tendresse » remarquable.

Tu diras à Mademoiselle Genet que l’épithète d’imbécile qu’elle me décerne est peut-être un peu forte. Ma gelure n’était pas gangreneuse au point de me faire couper le pied. La preuve! N’empêche que c’est bigrement douloureux!

Il y a plusieurs citations à l’ordre du régiment. J’ai fait citer mon agent de liaison qui était venu me porter des renseignements dans des conditions vraiment périlleuses. Ce type-là maintenant, se ferait tuer pour moi et comme homme il se pose un peu là. C’est un Toulousain petit et trapu. Tu vois d’ici le type.

Pas de bruits de relève jusqu’à présent. Tu me parles d’avions, je ne sais pas pourquoi, Te souviens-tu d'avoir lu dans les journaux cette descente d’un observateur en parachute depuis son ballon captif? C’était à petite distance de nous qu’il est tombé. Nous aussi avons des avions au-dessus de nous en masse. C’est une bataille aérienne continuelle. En somme, malgré le bombardement toujours respectable autour de nous, ça m’a l’air de se calmer par ici du moins.

Je connaissais ce Mr Serres dont tu me parles...................

P.S. Je n’ai pas besoin de chaussettes pour le moment. Merci.

Respect de la part de Neveux, toujours fidèle au poste.

J’ai des nouvelles de Vergne qui est soigné dans la Drôme. Il ne va pas mal du tout.

28 mars

Bivouac. R.A.S.

Je reçois à l’instant ta bonne lettre n°34 qui me prouve que tu as tout à fait compris où j’étais. Je suis tout près, tout près de cette grande route dont tu me parles et qui est maintenant près de E. (Eix) littéralement creusée par les obus. Tu verrais du changement si tu revenais ici en ce moment, pauvre Maman!

Toujours même situation, mais un temps épouvantable. Avec le luxe dont nous jouissons, tu peux te faire une idée de notre saleté, tant sur nos capotes que sur nous-même. Il faut le voir pour le croire. Ce n’est plus de la boue pâteuse dans laquelle nous sommes, c’est de l’eau boueuse. Notre maison n’est pas imperméable et notre paille est devenue fumier humide. Juge de ce que sont celles des hommes! Ma capote est une guenille quelconque dont je ne pourrais te dire exactement la couleur. Il y a un peu de bleu, un peu de jaune, un peu de noir, enfin c’est une loque infecte.

Les obus tombent toujours aux environs, mais les Boches n’ont pas encore repéré notre bivouac. Les obus qui tombent dedans ne nous sont pas destinés - c’est une consolation - mais bien aux batteries innombrables qui nous entourent (la grande distraction à la mode est, pour les fantassins, d’aller tirer la ficelle pour faire partir le coup de canon). Personnellement, j’ai tiré un peu de tous les calibres.

A part cela, bonne santé toujours et moral des troupes assez bon. Je dis assez parce que la pluie les fait grogner, ce qui se comprend. Revienne le soleil et la bonne humeur reviendra. Merci des tuyaux sur la famille Malbec. Je reçois par le même courrier une gentille lettre de Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone) et une carte de Marguerite de Bouxières-aux-Dames (Nous en sommes loin!!!!!!!!!)...................

29 mars

Bivouac. R.A.S.

30 mars

Bivouac. R.A.S.

J’ai reçu ta lettre n°35 du 25. La correspondance est maintenant rétablie presque comme avant et cela fait bien plaisir des deux côtés, n’est-ce pas? Le même courrier m’apportait également une carte de Jean Chagnaud qui a mis 10 jours pour me trouver car ce phénomène s’est trompé de S.P.

Toujours dans nos trous à lapin, mais le temps épouvantable depuis 5 jours à l’air de s’être mis au beau aujourd’hui, ce qui fait sortir un peu les lapins que nous sommes. Rien de nouveau, vie monotone, toutes les nuits, mêmes travaux, le jour repos assez agréable par ce temps et sans marmites. Les 2 conditions sont rarement obtenues en même temps.

Nous commençons à recevoir quelques journaux et je vois qu’on y parle des bombardements qui se passent ici. Ne t’inquiète pas, malgré tout, car il n’y a pas eu d’attaque de tout le mois de mars à cet endroit proprement dit.

Mes félicitations à Mad. pour ses débuts sur l’harmonium. D’après le tableau que tu m’en fais, je vois d’ici que la 1° séance a du être assez comique! Mais avec le talent de Mad. cela n’a pas du durer longtemps.

J’ai connu le sergent Castagnet, qui était caporal à la même Compagnie que moi dans l’active. C’est un beau garçon mais qui m’a l’air efféminé et un peu mou. C’était un gentil camarade bien élevé.

Tante Marie-Louise T. va être bien contente d’avoir 2 de ses garçons auprès d’elle pendant au moins 2 mois..........

31 mars

Bivouac. En allant aux travaux, la 21° a un mort (Caporal Raballaud) et 2 blessés.

1° avril

Bivouac de la Madeleine. Les Boches ont l’air de nous avoir repéré car ils nous bombardent copieusement: 3 blessés chez nous, 2 à la 21° (Marsaud et Fournier), chez moi Guillon a le bras perdu. Attaques sur Vaux à notre gauche.

Reçu ta lettre n°34 qui m’a trouvé au même endroit et toujours en excellente santé. Bombardement peut-être un peu plus violent hier, mais sans victimes à ma Compagnie. Il n’en est pas de même à mon ancienne 21° malheureusement. Le temps s’est remis au beau et alors, comme par enchantement, le cafard disparaît chez tout le monde.

Je suis ennuyé que Jean soit à A. car ça chauffe en ce moment de ce coté. Enfin, la veine est sur nous deux. Elle continue.................

2 avril

Bivouac. Bombardement du bivouac, mais sans victimes. Le soir à 8 h. nous nous couchions: alerte. Nous sommes à la disposition de la 34° division. Nous nous dirigeons vers Belrupt. Les Allemands ont tapé sur Vaux dans la journée, c’est peut-être pour y aller.

Beau temps, mais bombardement violent. La veine n’a pas continué à la Compagnie. Nous avons des blessés dont plusieurs à ma section. C’est idiot d’être touché ainsi en deuxième ligne. Ca ne sert à rien.

Bonne santé et bon moral toujours chez nous. Qu’il en soit de même chez vous. Tout ira bien.............

3 avril

Journée passée à Belrupt en cantonnement d’alerte. Temps superbe et journée agréablement passée avec les camarades. Différents canards. Le soir à 11 h. alerte, le 266° revient à son cantonnement et nous partons dans la direction du fort de Tavannes. Boyaux sans fin.

Je réponds aujourd’hui à tes deux lettres n°27 et 38 reçues tout dernièrement. Dans la dernière j’ai trouvé les 2 photos du Muguet et je t’en renvoie une. En bon militaire qui sait que l’on doit exécuter l’ordre d’abord, et réclamer ensuite, j’exécute, et je t’envoie la photo. Maintenant je réclame. Pourquoi ne pas me laisser ces deux photos? J’ai été très embarrassé de choisir car sur l’une on la voit très bien, sur l’autre elle est amusante au possible avec son air sévère pour le pauvre Cadi. J’ai été obligé de demander l’avis à mes 2 camarades qui tous les deux m’ont fait choisir pour celle que j’ai gardée. Eux aussi ont trouvé ma nièce rudement bien bâtie. Et cela sans blague et sans que je les pousse à le dire. Cela leur est venu au premier coup d’oeil jeté sur la photo. Ah! la jolie petite gosse. Je l’aime comme si elle était à moi. Tu peux le dire à Mad. Que sera-ce quand j’en aurai vraiment une à moi? Il me semble que je la mangerai!!!!! Blague à part, tâche de m’envoyer cette photo si tu le peux.

Pour parler de la guerre et de moi, voici ce qui vient de nous arriver: Hier soir, nous nous préparerions à aller aux travaux (ce que, entre parenthèses, n’est pas drôle car il y a souvent de la casse) lorsqu'on nous prévient qu’il y a alerte, départ dans un quart d’heure. Malgré l’habitude que nous avons, c’est toujours avec un petit serrement de coeur que l’on se prépare à partir. Où va-t-on? Que se passe-t-il? Va-t-on se battre? etc... etc... Nous fûmes dirigés vers un petit village aux environs de l’endroit où nous étions. Là, cantonnement d’alerte et attente.

Au moment où je t’écris, nous attendons encore. C’est la première nuit que je couche sous un vrai toit depuis que je vous ai quitté. Et dans des conditions: le village assez bombardé et couché tout équipé. Enfin, nous sommes mieux que dans notre satané bivouac où nous avions tous les jours des accidents.

Comme je te l’ai dit, la 24°, veinarde jusque là, a eu coup sur coup plusieurs blessés dont 2 grièvement atteints à ma section. La 21° a trinqué aussi, en particulier mon ancienne section qui a eu un mort. Mais qu’est-ce que tout cela en comparaison d’une attaque? Ne t’inquiètes donc pas.

Je profite de ce que j’ai une table à ma disposition aujourd’hui pour t’écrire un peu plus longuement. J’aurais tant de chose à te dire, si j’avais le temps et toutes mes aises. J’ai reçu hier tes deux colis qui nous ont comblés de joie, comme tous ceux que nous recevons tous les trois.

A propos de « tous les trois », je réponds à ta question. Mon lieutenant-capitaine (cette expression m’amuse beaucoup) est le lieutenant Chatelain, gentilhomme haut-marnais très chic et très distingué. Ses parents habitent la campagne et sont « chatelains » sans faire de jeux de mots (Lui est contrôleur des Contributions Directes). C’est celui que connaît Mme Blanc car il était son locataire en faisant ses 6 mois d’officier de réserve à La Rochelle.

L’autre c’est le sous-lieutenant Fouché que tu connais bien puisque nous étions sergents tous les 2 à la même section au départ de La Rochelle. Tu l’as eu en photo avec Boussiron et de Lignerolles (la 1° photo que je t’ai envoyée pendant la guerre). C’est un instituteur de la Charente Inférieure dont les parents habitent Royan et qui est marié près de St-Jean-d’Angely. C’est un gentil camarade que je connais beaucoup et à qui je reproche un peu la trop grande taquinerie, peu de distinction et l’esprit trop « instituteur ».

Or donc, tes paquets ont plu. Ils étaient intacts et je te remercie beaucoup d’avoir scrupuleusement mis ce que je te demandais. Tu es une bien bonne Maman!

Je suis content que le « Sens de la Mort » t’ait plu. Je l’avais trouvé très bien, mais j’aime mieux avoir ton avis.

Différents « canards » courent depuis déjà longtemps dans la division. D’aucuns prétendent que nous allons être relevés incessamment pour retourner en Lorraine. D’autres disent que nous sommes là pour un mois encore. D’autres enfin disent que nous allons aller un peu en arrière, mais que nous n’irons jamais plus à Nancy. On dit que nous sommes attachés à un corps d’armée qui va aller en Alsace. J’écoute tout et ne crois rien. Je croirai que ce qui est officiel. Pour le moment, nous sommes dans un village, en alerte, et nous ne savons ce que nous ferons même d’ici 1/2 heure!...........................

P.S. Ne t’occupe plus de mes pieds. Je ne sens absolument plus rien. Il fait d’ailleurs depuis hier un vrai temps d’été, les fleurs commencent à éclore sur les arbres. Vive le Printemps et le Soleil! Avec cela, tout cafard disparaît.

4 avril

Du fort de Tavannes, nous nous dirigeons vers la redoute de Vaux, au-dessus du village de Vaux où nous devons prendre les avant-postes. Mais il est trop clair pour y aller, nous retournons nous abriter dans le tunnel de Tavannes. Bombardement continuel et partout. Le soir départ à 9 h. pour les avant-postes de la Redoute.

5 avril

Nous arrivons à 1 h. du matin. Pendant la marche dans les boyaux, 1 blessé à la 3° section. Tous les retranchements de la Redoute sont éboulés et nous habitons les ruines et les trous d’obus. Bombardement mais journée assez calme. Nous relevons le 158°. Bigeon blessé.

Je ne pense pas t’écrire longuement aujourd’hui, car nous sommes aux avant-postes et je te garantis qu’il faut ouvrir l’oeil et le bon. Je te raconterai cela plus tard. Temps: entre les deux. Moral: bon. Santé: excellente. Habitation: trous d’obus. Nourriture: singe et biscuit. Boisson: néant.

Juge toi-même de la situation mais ne t’effraie pas. Ca se tassera...............

 6 avril

Nuit assez calme. Dans la journée, bombardement partout et coups de torpilles. Pas de vivres, plus d’eau. Fouché a un mort: le caporal Texier. L’aspirant Magniez, un blessé. Chez moi, Mulon grièvement atteint au coté. Le sous-lieutenant Viala grièvement blessé à la cuisse. Le Colonel légèrement atteint.

Toujours aux avant-postes dans les mêmes conditions. Pas gai! Jean n’aura plus à se moquer du 323, car je crois que comme secteur, nous sommes soignés cette fois-ci.

Je ne t’écris toujours qu’un mot, attendant à plus tard, quand je ne serai plus au fond d’un trou de 210 pour te donner des détails. Je vais bien et j’espère que Jean est comme moi. Reçu tes lettres..............

7 avril

Nuit assez calme. Les vivres sont venus, mais pas beaucoup de boisson. L'eau manque presque à la Redoute. Bombardement continuel ordinaire. Le soir attaque française au bois de la Caillette à notre gauche. Ca barde! Je passe la journée à l’abri du ravin. Spectacle repoussant.

Je vais toujours bien. Bons baisers à toutes les trois de la part de ton fils qui vous aime. « Situation inchangée ». A bientôt la relève, je crois.................

8 avril

Nuit agitée et fiévreuse. Petites attaques partout. Fusil, grenades, torpilles, canon. Pas de vivre, ni de boisson. Forget et son équipe de cuistots a eu du mal (4 blessés sérieusement). De nouveau un cran à la ceinture, mais c’est la soif qui nous fait souffrir. Nous devons être relevés cette nuit par le 24°. Ouf! encore 2 blessés.

9 avril

Abri au ravin. le 24° s’est perdu et n’a pas pu nous relever. Encore une journée sans vivres et sans eau! Le soir je vais de nouveau en 1° ligne et vers 9 h. nous sommes relevés. Tirs de barrage sérieux pendant la relève mais pas de mal. Nous revenons à Belrupt par la clairière et non par le boyau de Tavannes.

10 avril

Arrivée à Belrupt à 1 h. du matin. Souper chaud avec le Commandant et sur un matelas. Pendant la journée, repos bien gagné. Je suis las et fatigué, comme tout le monde d’ailleurs. Le soir (19 h.) nous allons habiter le bois de Sommedieue.

Que je suis heureux de pouvoir causer longuement aujourd’hui avec toi! Maintenant que c’est passé, je peux te raconter par le détail ce que nous venons de traverser. Je ne connais pas l’enfer, mais c’est certainement dans une de ses succursales que nous sommes tombés cette fois-ci! Rassure-toi d’abord. Je suis pour le moment au repos dans un petit village, le même d’où je t’ai écrit l’autre jour et selon toutes probabilités, nous ne reviendrons jamais d’où nous venons.

Tu te rappelles l’alerte que nous avons eu, c’était comme nous nous en doutions pour aller à Vaux attaqué sérieusement par les Boches. Encore une fois, le régiment a eu sa veine accoutumée, car nous avons passé six jours dans un secteur où depuis le 1° mars, les troupes qui l’occupaient étaient anéanties au bout de 48 heures. Nous nous en sommes tirés avec 50 à 60 morts et blessés au bataillon (mets le double pour le régiment, dont 2 officiers). Je ne sais comment te décrire ce que j’ai vu tellement c’est épouvantable et tellement c’est inimaginable pour qui ne l’a pas vu.

D’abord la relève qui dure 48 heures à travers un unique boyau de 8 à 10 km, battu constamment, et de quelle façon? par les Boches. Dans ce boyau, il faut marcher sur les morts qui l’encombrent, bousculer les blessés qui reviennent par leurs propres moyens à l’arrière. Ceux qui ne peuvent pas marcher, crèvent sans secours. On n’a pas le temps de s’occuper d’eux et surtout de les transporter. Le bois traversé par ce boyau a 4 km de profondeur. C’est une pépinière de poteaux télégraphiques, de branches: point, si ce n’est par terre, je ne peux les dépeindre, ces bois (Tu as vu dans les illustrations). Ce n’est rien en comparaison de ceux que nous avons vus et cela au dire de tous les chasseurs et autres troupes ayant vu des secteurs dangereux. Pas un mètre carré de terre qui ne soit touché par un obus.

Avant-postes. Quand enfin on arrive aux avant-postes, on cherche les tranchées: il n’y en a plus. Ce sont les trous d’obus que l’on habite. Nous nous trouvions sur la pente du fort de Vaux, à 50 m des trous d’obus occupés par les Boches et à 100 m à droite du village de Vaux, occupé également par eux. Là impossible de bouger le jour et la nuit c’est presque la même chose tant les fusées sont nombreuses. Marmitage continu par grenades, torpilles, obus. Attaques partielles par liquides enflammés, gaz asphyxiants, lacrymogène. Enfin tout est réuni là par les Boches, tant ils veulent le fort à tout prix.

Vois six jours dans ces conditions. Nous ne devions faire que 5 jours, si nous pouvions tenir, et pour comble de malheur, le régiment qui nous a relevés s’est tellement fait massacrer dans les boyaux pour venir qu’il a eu 1 jour de retard! Vois la veine du 323 qui a perdu en six jours moins d’hommes que ce régiment, rien qu’en venant prendre sa place!! C’est inouï.

Ravitaillement. C’est simple rien. La corvée qui était chargée de nous apporter quelques vivres s’est fait anéantir dans ces maudits boyaux dès le premier jour et nous avons dû rester 6 jours avec le peu de vivres que nous avions sur nous! La soif nous a fait souffrir et plusieurs de nos hommes se sont fait tuer pour aller chercher quelques gouttes d’eau dans des trous d’obus environnants.

Ce qui m’a fait le plus d’impression, à moi personnellement, c’est le fait suivant: un obus de gros calibre est tombé à coté de moi engloutissant 2 hommes en plein jour. Comme j’entendais sous terre quelques gémissements, je gratte avec mes ongles et mets le visage des 2 hommes à l’air. Ils n’étaient pas blessés mais enterrés et ils ont été obligés d’attendre ainsi la nuit pour qu’on puisse venir à leur secours et les déterrer. Ils sont restés 5 heures ainsi, le corps en terre et la figure à l’extérieure. Heureusement pour eux que j’étais à leur portée et que, sans trop me montrer, j’ai pu les faire respirer. Et combien de cas semblables. Tous ont leur petite anecdote.

Ne t’affoles pas de cette lettre, je t’ai dit que je te dirai la vérité, d’ailleurs tout est fini maintenant et nous ne retournerons pas là-bas car ce n’est pas notre secteur. N’affole pas non plus nos connaissances: personne que tu connaisses n’est mort, je crois. Basset, légèrement blessé à la main, le bruit court que le Colonel a été un peu touché, je ne sais si c’est vrai. Meyer va bien, le Capitaine Martin aussi, Neveux également.

Tout le monde est outré du service de santé qui dans cette région s’est conduit comme un cochon. Ah! les docteurs ne risquent pas d’être touchés. Il n’y en a pas!!! Le premier que nous rencontrons est un pauvre médecin auxiliaire, envoyé par ordre et encore à 1 km de nous. Les blessés crèvent partout et on ne fait pas un pas sans heurter un cadavre. Oh! cette pente de Vaux. C’est par milliers qu’on peut les compter (Horrible)

Nous sommes revenus hier soir, nous étions étonnés de nous retrouver. Nous avons dévoré et bu comme des ogres!! Cela ne t’étonne pas! Aujourd’hui nous nous sommes retapés et ça va tout à fait. Nous avons bien maigri. Où sont mes joues!

Le cafard n’existe plus et quelques jours de repos feront tout disparaître. Nous n’avons pas été attaqués en grand, heureusement. Nous n’avons reçu que des marmites, mais en quel nombre! Grand Dieu.

Au retour, j’ai reçu tes bonnes lettres qui m’ont fait bien plaisir, je t’assure. Ce sont les numéros 40, 41, 42, 43. Merci des bonnes nouvelles que tu me donnes. Je vais toujours merveilleusement bien et heureux de vivre, je t’assure. Je te quitte car le courrier part et je veux que cette lettre y soit.............

Ne crois pas que je sois affolé. Je suis très calme et c’est froidement que je t’écris tout ceci.............

11 avril

Dans les bois, à un endroit non battu. Belle journée de repos et de printemps. Installation assez agréable et assez confortable. Visite du Général Prax qui nous félicite! Le Lieutenant Chatelain est évacué pour ses furoncles. Depuis hier, je suis seul avec Fouché.

De nouveau dans les bois tout près de l’endroit où nous bivouaquions précédemment. Les feuilles commencent à repousser et ce beau temps nous remet tout à fait d’aplomb!

Demain, je pense avoir le temps de répondre à tes nombreuses lettres, chose que je n’ai pas fait hier malgré la longueur de ma lettre.

Toujours en excellente santé.................

12 avril

Même endroit. Mauvais temps. Jeux de cartes et motifs de citation pour quelques hommes de la Compagnie.

Je mets aujourd’hui un peu d’ordre dans ma correspondance qui en a besoin et je vais répondre à toutes tes lettres. J’ai reçu hier tes lettres n°44 et 45. Merci de la photo du petit Muguet. Elle me fait grand plaisir.

Il va y avoir encore quelques citations au Régiment après notre affaire de Vaux, mais personnellement, je n’ai fait que mon devoir et n’en mérite pas.

Pour Jean du S., tu me dis qu’il est au train et que sa soeur, qui m’écrit dernièrement, me dit qu’il est passé depuis dans l’artillerie. En voilà un qui goûtera de tout, dans la ville comme dans le militaire.

Le temps qui s’est mis au beau, s’est gâté hier et aujourd’hui. Il pleut et il fait froid (mon écriture te le prouve). Cette nuit, le canon a redoublé d’activité près de nous, je ne sais ce qui s’est passé en 1° ligne, mais ça a dû chauffer.

Remercie bien toutes les aimables personnes qui s’informent de moi. Je n’ai le temps que d’écrire tes lettres. Quand je serai mieux installé, je reprendrai mon courrier de ministre que j’avais en Lorraine.

Tu me dis que je ne te parle pas nommément des pertes. C’est inutile, tu ne les connais pas. Il y en a une qui m’a fait plus de peine encore que les autres. C’est mon 1° caporal quand je suis venu au régiment en octobre 1912. Il était encore caporal quand je suis venu au régiment en octobre 1912. Il était encore caporal et avait son « bleu » comme sous-lieutenant. Il était pourtant bien fier et bien content de dire aux autres que c’était lui qui m’avait « dressé »!! Pauvre bougre!

Le lieutenant Chatelain et le lieutenant Laferrière sont évacués pour fatigue. Cela se comprend après de telles journées, mais je crois qu’ils reviendront prochainement. Pour le moment, Fouché et moi sommes seuls à la compagnie et il y a des choses à régler!!!

Continuez à vous distraire autant que vous le pouvez, vous le méritez bien, allez! Moi, je vais toujours très bien et cette vie sous bois est saine et agréable quand il fait beau. Mais aujourd’hui, j’ai trop froid aux doigts et je termine ma lettre en vous embrassant affectueusement tous les trois............

13 avril

Bois de Sommedieue. Mauvais temps. Jeux de cartes. Dossier de l’affaire Constantin accusé d’abandon de poste devant l’ennemi.

Toujours au bivouac dans nos bois. Rien de changé. Temps pluvieux. Bonne santé. Pas de courrier hier. Continue à me donner des nouvelles de Jean, car cela chauffe toujours autant de son côté et qu’il n’a pas écrit depuis longtemps.

Affectueux baisers au Muguet et à sa Maman. Je pense bien souvent à vous, soyez-en sûres.............

14 avril

Bois de Sommedieue. Mauvais temps. Bruits de relève. Travaux de fascines et de clayonnages.

J’ai reçu hier soir ta lettre du 9, n°46. J’espère que maintenant tu as des nouvelles de moi et qu’après ces jours passés, tu es rassurée sur mon compte.

Comme te le disent mes précédentes lettres, je suis dans un bois (tout à côté de mon ancien bivouac, mais moins marmitté et plus confortablement installé). Ce n’est plus un trou que j’habite, mais une petite maisonnette en branches d’arbres. Malheureusement, il n’a fait que pleuvoir depuis que nous y sommes, et le temps est assez froid.

La santé est toujours excellente ainsi que celle de Fouché. Pas de nouvelles de Chatelain, parti depuis bientôt 5 jours.

Hier, reçu une carte-lettre de Jean C. qui ne me dit rien d’intéressant, et me recommande d’être discret dans mes lettres. Il me raconte sa mésaventure.

Rien de nouveau si ce n’est que nous commençons à avoir des nouvelles de nos blessés. Quatre d’entre eux sont amputés d’un membre. Pauvres gars! Enfin ils sont sûrs de revenir au moins eux!

Deux bruits courent en ce moment:

1°) La division serait relevée d’ici quelques jours.

2°) Nous irions en première ligne relever un régiment de la Division.

Lequel croire? Nous ne savons absolument rien sur ce que l’on fera de nous.

En attendant, je vous embrasse....................

Mon petit Muguet chéri.

Je viens de me promener dans des bois que ta bonne Grand-Mère a connu autrefois bien jolis et bien riants. La destinée à voulu que je les vois sous un tout autre aspect brutal et sauvage. Au milieu des branches cassées et déchiquetées quelques humbles petites violettes apparaissent. Je les ai ramassées car je pensais à toi à ce moment-là, chose que je fais bien souvent d’ailleurs. Gardes-les, je te prie et, lorsque je serai vieux, tu me feras penser à ces tristes moments!

Embrasse de tout ton petit coeur ta Grand-Mère et ta Maman, en entourant leur cou de tes 2 petits bras, comme tu me faisais quand j’étais en permission. Tu leur diras que c’est de ma part et ce baiser, si gentiment donné, leur fera plaisir, j’en suis sûr. Pauvre petit Muguet; on te dira plus tard que ton oncle « Jor » t’aimait bien. Puisse-t-il te le redire lui-même.

Au revoir, mon amour chéri. Je t’embrasse et je mets dans ce baiser tout l’amour que j’ai pour vous trois.

Ci-joint: nombreuses violettes.

15 avril

Bois de Sommedieue. Mauvais temps. Jeux de cartes avec Brochard.

Rien de nouveau depuis hier. Temps toujours aussi froid et aussi pluvieux. Obus de plus en plus rares dans notre nouveau bivouac; nous ne nous en plaignons pas, tu peux me croire.

Pas de nouvelles de relève. Moral et physique excellents. Je viens de voir Neveux qui vous envoi ses respects. Il va très bien...............

16 avril

Bois de Sommedieue. Je vais aux travaux avec Brochard aux boyaux de la Croix-Braudier. Nous devons relever le 204 au Manesel demain soir.

17 avril

Préparatifs de la relève. Nous allons au Manesel par un sentier défilé non battu, au lieu de passer par Moulainville très bombardé. Arrivée aux tranchées 23 h. R.A.S.

Je ne t’ai pas écrit hier, car je n’avais rien de particulier à te dire. Rien de changé et toujours au même endroit en excellente santé. Aujourd’hui c’est différent.

Drôle de relève. Au lieu d’être relevés, c’est nous qui retournons cette nuit aux avant-postes relever un autre régiment. Mais ce n’est plus à Vaux. C’est à cette même voie de chemin de fer du début. J’espère et souhaite qu’elle soit un peu mieux organisée qu’il y a un mois 1/2, car nous avons depuis 4 ou 5 jours un temps épouvantable, et depuis hier de la neige!

Je t’envoie ci-joint l’ordre du Régiment contenant la lettre de félicitations du Général commandant le secteur de Vaux. Garde cela dans mes archives.

Je suis ennuyé, car je ne sais comment faire venir le costume (porté 15 jours) que j’ai laissé chez mon tailleur à Nancy. En cas de malheur, j’aime mieux t’envoyer son adresse, tu sauras qu’il a un uniforme à moi

Mr Haumaut. Tailleur

30, rue Stanislas. Nancy

Je comptais toujours que nous reviendrions dans la région, mais nous n’en prenons pas du tout le chemin. Enfin je verrai, mais pour le moment, je suis habillé comme un pauvre (pour se traîner dans la boue, c’est assez bon) mais ces vieux vêtements de sergent commencent à être usés. Nous reparlerons de cela. Si tu vois une idée, communique-la moi.

Je t’écrirai maintenant des 1° lignes. En attendant, je vous embrasse toutes les trois de tout coeur.............

Le Général de Boissoudy

Commandant la 43° Division d’Infanterie

à M. le Lt Colonel Commandant le 323° R.I.

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Par ordre du général commandant le groupement,

le 323° R.I. (Lt-Colonel Delon) est relevé dans la nuit du 8 au 9 avril et remise à la disposition du Général Barret. Le Général Commandant le secteur ne veut pas se séparer de ces belles troupes sans leur donner le témoignage de sa plus entière satisfaction, pour l’entrain que chefs et soldats ont apporté à accomplir la rude mission qui leur était imposée.

Placés en 1° ligne dans un secteur des plus sévères, exposés nuit et jour à un bombardement d’une violence inouïe, établis dans des tranchées sans cesse à reconstruire, les 2 Bataillons du 323, ont non seulement vaillament tenu, mais ont amélioré de façon efficace les lignes de défenses qu’ils occupaient.

La 43° Division est fière d’avoir compté pendant quelques jours, dans ses rangs les braves du 323.

Le souvenir de leur héroïque ténacité sur le front de Vaux restera associé aux pages les plus glorieuses des Bataillons de la Division.

Tous regrettent leur départ et leur souhaitent gloire et succès au cours des combats à venir.

signé:

De Boissoudy

18 avril

Tranchées de soutien du Manesel. Temps épouvantable. Pluie, vent et boue. Impossible d’aller aux travaux.

Nous voici aux avant-postes, un peu mieux installés qu’autrefois, mais rien de fameux encore. Heureusement que le secteur est plus calme que notre dernier, ce n’est pas dommage.

Ce qui est assommant c’est cette pluie continuelle depuis huit jours qui fait que nous sommes sales et pleins de boue des pieds à la tête.

Bonne santé toujours, c’est le principal...............

19 avril

Mêmes tranchées. Même temps horrible. Nous allons cependant travailler à épuiser des tranchées pleines d’eau et nous traversons une prairie complètement inondée. Secteur calme.

20 avril

Mêmes tranchées. Même temps. Beaucoup d’hommes malades ce qui n’est pas étonnant. Travaux comme hier soir.

Après un silence de 2 jours de ta part, j’ai reçu hier, par le même courrier, deux lettres de toi. Ce sont le n°48 et 49 auxquelles je réponds ce soir.

Comme je te l’ai dit, nous sommes aux avant-postes. Nous passons 4 jours en soutien de 1° ligne, demain soir nous irons en 1° ligne pour 4 jours, puis 8 jours en seconde ligne.

Nous avons de la pluie depuis le 11 avril, sans discontinuité, de sorte que tu ne peux t’imaginer, dans ce bas des côtes, l’eau et la boue dans lesquelles nous pataugeons. Nous tenons notre record de saleté. La boue que nous avons eue en mars n’étant rien en comparaison de celle-ci. Entre nos tranchées de soutien et la voie ferrée (1° ligne), il y a une grande prairie complètement inondée, et c’est là que toute la nuit mes hommes font des corvées et des travaux. Tu vois d’ici les rhumes, les évacuations et maladies plus sérieuses. De 54 hommes que j’avais le 1° mars, je n’en ai plus que 38 et c’est ainsi dans toutes les sections.

Personnellement, je suis très très enrhumé et je demande même à ne pas surveiller les travaux cette nuit, car j’y attraperais la crève. Oh! quel temps et surtout quelle obstination il met à être à la pluie continuelle. C’est égal, le secteur est très calme, bien plus qu’au début de mars, et aussi un peu mieux organisé. Nous avons quelques tranchées et quelques abris (des petites maisons creusées dans le talus).

Je suis content que tu aies connaissance des dépêches du Colonel. Cela te donne un peu de mes nouvelles plus tôt que mes lettres. Tu me demandes des nouvelles de mes déterrés. L’un avait une côte démise et a été évacué. Le 2° vient d’être évacué pour bronchite, il y a 2 ou 3 jours.

Merci de m’avoir annoncé la naissance de la nièce de Madeleine. Félicite la Maman ou envoie-moi l’adresse dont je ne me souviens plus.

Je vais te quitter, car je suis installé en « tailleur » pour t’écrire du fond de mon abri, avec une bougie sur une baïonnette, et j’ai des crampes dans les jambes. Ne me plains pas car nous ne sommes pas en danger ici. Souhaite-nous un peu de soleil, c’est tout ce que nous demandons. Je voudrais un peu que tu nous voies, tu ne pourrais t’empêcher de rire. Le médecin auxiliaire qui vient nous voir de temps en temps est tombé dans cette boue-eau et n’a été reçu à son arrivée que par des éclats de rire. J’aurais voulu que tu le voies! Il n’était pas à prendre avec des pincettes..........

21 avril

Mêmes tranchées. Pluie continuelle. Le soir nous allons en 1° ligne, à la voie ferrée relever la 22°. Quelle boue pour s’y rendre. Installation des hommes aux avant-postes et aux postes d’écoute.

Toujours de la pluie, toujours dans la boue. Nous allons aux avant-postes (1° ligne) ce soir. Quel pataugeage! C’est insensé.

Je n’ai rien eu de toi, hier soir, j’espère avoir une lettre ce soir. Rien de nouveau pourtant à te dire si ce n’est que je suis toujours très enrhumé: je mouche, je tousse, je crache comme un vieux rachitique. Que veux-tu, le contraire serait étonnant avec une pareille existence.

J’ai oublié de te parler hier des récompenses données au Régiment après Vaux: Pas mal de croix de guerre, d’ailleurs plus ou moins méritées. Châtelain est cité à la Brigade, pour avoir gardé le commandement de la compagnie bien que malade. Je t’ai dit qu’il était évacué depuis le 10. Le commandant Millet est cité. Le capitaine Martin est cité à la Division (ça, c’est absolument honteux et tout le monde en est furieux). Au 5° bataillon, le capitaine Mörch est cité. C’est le seul que tu connaisses ainsi que le commandant Gaillard, cité aussi. Plusieurs sous-officiers et hommes ont été cités au Régiment, enfin presque une pluie de croix de guerre.

Encore une fois, personnellement, j’ai fait mon devoir, mais rien de plus et ne mérite rien. Je vais te quitter pour faire mes préparatifs de départ.................

22 avril

Tranchée de la voie ferrée. Temps épouvantable. Secteur calme, cependant un obus malheureux blesse le sergent Bellet et le téléphoniste. La 21° a également un blessé.

Merci de ta lettre du 17, n°50 et des bons souhaits de fête qu’elle contenait. J’ai reçu également hier un colis de toi contenant un gâteau macaroné et une palme en excellent état et d’un goût délicieux. Merci beaucoup.

Le temps est toujours aussi mauvais. C’est inouï la bouillie et la saleté dans laquelle nous sommes à la voie ferrée.

Je pense que j’écrirai à Mad. demain..................

23 avril

Voie ferrée. Toujours le même sale temps. Un obus tombe sur notre poste de commandement et démoli tout. Personne n’est touché par miracle. Ce soir je dois faire une reconnaissance en avant des réseaux. Greffard est évacué pour bronchite.

24 avril

Voie ferrée. De 11 h. à 2 h. cette nuit, je vais tendre une embuscade aux Boches, mais personne ne se présente. Quelques coups de fusil. Aujourd’hui soleil superbe et très chaud. Enfin!

Je ne t’ai pas écrit hier, Madeleine te donnera de mes nouvelles, car je lui ai écrit assez longuement. Mon rhume se maintient et m’ennuie considérablement; j’aime à croire qu’il va disparaître d’ici quelques jours car il devient importun et gênant.

Enfin, nous voyons le soleil! Depuis 13 jours il n’avait pas daigné se faire voir. C’est sans doute pour se faire plus beau car aujourd’hui il est superbe et très chaud. Cela vous remet un homme d’aplomb, surtout dans notre situation. Hier la journée de Pâques a été épouvantable, il a plu tout le temps, et cette nuit j’ai été chargé d’aller en avant des lignes françaises tendre une embuscade à M.M. les Boches. Je suis resté sur une route, à courte distance de leur tranchée pendant 3 heures (de 11 h. à 2 h.) mais rien ne s’est présenté et je suis revenu bredouille..... et mouillé. (Heureusement que l’on peut se sécher aujourd’hui).

Greffard, mon ordonnance, était mal fichu hier toute la journée. Je l’ai envoyé voir le médecin, il avait 39°8 de fièvre et a été évacué. Me voilà tout seul et obligé de chercher un remplaçant. Je le regrette, c’était un bon vieux paysan de 35 ans qui me soignait comme son fils. C’est égal: blessures, évacuations, ma section s’émiette peu à peu, la Compagnie aussi et le Régiment également. Ce n’est pas possible qu’on nous laisse là un temps infini, et pourtant on ne parle pas de relève.

Il parait que le 123 et une division du 18° C.A. sont dans les environs, je voudrais bien les voir, car je verrais des copains! Enfin nous attendons.....patiemment, c’est la seule chose que nous ayons à faire. Demain soir, nous allons aller en 2° ligne. Si ce temps continue, on se séchera un peu.

J’ai répondu hier à Tante Lilia. Cette bonne vieille pense à toutes les fêtes. C’est très aimable à elle, à moins que ce ne soit toi qui lui ait dit. A ce propos, merci mille fois de ces bons gâteaux arrivés tout à fait au bon moment. Fouché et moi, les avons savourés avec délice. Mais je n’ai pas reçu le colis annoncé précédemment. Il est vrai qu’il vient par le dépôt.

Toujours en correspondance avec Mimi Balmary. je leur ai envoyé 2 bagues en aluminium pour les remercier de leur bon accueil passé et, j’espère......... à venir. Celle de mimi représente une rose très bien travaillée. Celle d’Henri est curieuse car elle n’a pas été coulée et a encore le filetage de la fusée. Je n’ai pas encore eu l’accusé de réception.

Fouché, les ordonnances et moi, avons tous failli y passer hier: les Boches tirent relativement peu ici, cependant ils avaient toutes les 10 minutes un ou 2 coups qui sont toujours très pointés. Or, hier, à pareille heure (2 h. de l’après-midi), j’écrivais à tante Lilia, lorsqu’un obus est tombé en plein sur notre abri. J’ai été aspergé de bouts de planches, de pierres et la « cania » remplie de fumée. Ils nous ont cassé toute notre modeste vaisselle et gâté une sauce qui attendait 6 h. pour être mangée. Les salauds.

Puis une gouttière s’est déclarée coulant comme un robinet. Nous avons failli être noyé! Oh mon Dieu! A la nuit tombante tout était réparé. J’en ai été quitte pour recommencer ma lettre complètement maculée. Heureusement que nous avions quelques rails de la voie ferrée pour nous servir de plafond et que cela a résisté. Avant-hier, un autre obus était tombé dans la « guitoune » de 2 hommes et les avait blessés. C’est la guerre que veux-tu? Mais nous respirons ici en comparaison de là-bas!.....................

25 avril

Pendant la nuit, le capitaine Mörch et Izambart viennent reconnaître les avant-postes pour nous relever. Journée belle et calme. Le soir, relève sans incidents. Nous allons au camp Joffre.

Reçu ta longue lettre n°52. Merci. L’aventure de Jean C. m’a bien fait rire. Ce sont cependant des choses qui nous arrivent de temps en temps, moins la douche.

Aujourd’hui, temps superbe, aussi mon rhume à l’air de se guérir. Ce ne sera pas trop tôt car il me tient depuis assez longtemps.

Bonne santé pour vous autres, ....................

26 avril

Camp Joffre. Temps superbe, installation quelconque. Abri et cabane. Peu d’obus et seulement aux environs. Le soir travaux, mais je n’y vais pas.

J’ai reçu hier ta lettre n°53 du 21 et aujourd’hui le colis du dépôt, arrivé en excellent état et contenant: une boite de biscuits, 2 boites d’excellents bonbons et du tabac. Je te remercie beaucoup. Tous les colis tombent bien en ce moment. D’ailleurs, nous ne sommes à plaindre à ce point de vue, en ce moment car en même temps que le tien, m’en parvenait un autre plus volumineux de l’Ile Maurice et contenant toutes sortes de choses, toutes meilleures les unes que les autres: chocolat, sucre, cakes, thé, cacao, lait, bougies, confitures, ananas, etc... etc... Cette Madame de Cayla est vraiment trop gentille et je vais encore la remercier d’une façon bien sentie. C’est bien agréable de recevoir ces choses surtout en ce moment. Cela fait 2 fois plus plaisir que dans le secteur de Lorraine où, mon Dieu, avec de l’argent, on pouvait avoir tout ce que l’on voulait.

Mon rhume suit son cours, ne te fais pas de bile pour lui.

J’ai réfléchi pour ma tenue et voici ce que j’ai décidé; j’écris par le même courrier à mon tailleur de te l’envoyer puis lorsque tu l’auras, envoies-le moi au dépôt (bien emballé et imperméablement, car les colis sont souvent mal traités). Je compte d’ailleurs sur toi la dessus. Tu recevras donc mon colis un de ces jours. Envoie le, le plus vite possible, car je suis miteux.

Merci de tes bonnes lettres, fréquentes et affectueuses. Elles me réconfortent toujours quand je les lis, ce qui ne veut pas dire que mon moral est atteint!!

Toujours gais à la 24!! (Devise)

Je ne t’écrirai pas demain car nous ne sommes pas en danger, ni très malheureux ici................

P.S. Pendant que j’écrivais cette lettre, mon camarade Fouché, assis à coté de moi, faisait le croquis ci-joint. Garde-le, je te prie.

27 avril

Camp Joffre. Nous touchons nos cantines. Temps superbe, peu d’obus. Le soir travaux entre la route et la voie ferrée. Itinéraire par le boyau du ravin de Moulainville. Pas gai. Retour à 2 h. du matin.

28 avril

Camp Joffre. Journée calme Le soir même travaux: il faut un officier et je me les envoie encore. Conversation avec le Commandant Gaillard.

Je t’écris aujourd’hui 29 à 2 h. du matin, c’est pourquoi j’ai daté ma lettre du 28, car elle t’arrivera comme si je l’avais écrite hier dans la journée. Je reviens du travail en 1° ligne et comme j’ai très chaud, je ne veux pas aller me coucher ainsi. J’occupe donc de moment en venant causer un peu avoir toi.

Hier m’est arrivée ta lettre n°54 dont je te remercie beaucoup. En même temps qu’elle me parvenait un mot de Jean C. qui est en effet au repos, lui, quel veinard et quand cela nous arrivera-t-il? Il me dit pour me retourner le fer dans la plaie qu’il a vu des jeunes filles fraîches et jolies. Mon Dieu est-ce que cela existe encore, voilà 60 jours que je n’ai pas vu de femme, même de 60 ans, le seul village où nous ayons été étant évacué depuis le commencement de la bataille. Je ne te parle ni de V. (Vaux), ni de M. (Moulainville), ni de E. (Eix) qui ne sont que des tas de cailloux agglomérés!

Quel beau temps et comme il ferait bon de pouvoir se promener un peu au jour, nous ne sortons que la nuit, ou le jour avec d’extrêmes précautions.

Rien de nouveau à te dire. Le 5° Bataillon a encore eu un peu de casse hier, mais pas grand-chose. Le capitaine Mörch et le Commandant Gaillard que je viens de voir à l’instant, se sont informés de ma famille fort aimablement. Mon rhume ne veut pas me quitter. C’est certainement le plus opiniâtre de cet hiver. Il finira bien par se fatiguer et partir.

Quel est l’endroit où Jean devait aller quand il a été nommé à Verdun? Peut-être que je le connais maintenant?

Je m’en vais te quitter, chère Maman, car je commence à m’endormir. Embrasse bien affectueusement Mad. et Muguet de ma part. Garde pour toi, les meilleurs baisers de ton fils qui t’aiment......

P.S. Les derniers bonbons que tu m’as envoyés sont d’une finesse exquise et appréciés par tous les officiers du Bataillon.

29 avril

Même situation, même temps, même travaux. Nous sommes bombardés pendant ces travaux. Visite du Général Prax sur le chantier.

Rien de nouveau depuis ce matin. Bombardement toujours assez intense, mais pas de casse chez nous.

Reçu aujourd’hui ta lettre 55. Merci des nouvelles de Jean.

Ici, le beau temps continue et les bois deviennent superbes. C’est notre seule distraction de les voir verdir peu à peu. Ma montre est arrivée, elle est très bien, j’espère qu’elle sera bonne. Je t’enverrai l’autre un de ces jours............

30 avril

Camp Joffre. Nous nous préparons à aller relever la 22 et 23 à Moulainville, mais il faut aller aux travaux tout de même. Nous portons les sacs à l’avance et en revenant, restons à Moulainville. Je reçois ma montre bracelet.

1 mai

Moulainville. Tous les officiers des 21 et 24 sont ensemble dans une cave solide. Très gais. Jeux et plaisanteries dans la journée, la nuit, travaux de transport. Bombardement assez sérieux du village.

Ne t’inquiètes pas si tu n’as pas eu de nouvelles de moi depuis 2 jours, car je ne t’ai pas écrit hier et la lettre d’aujourd’hui mettra un jour de plus à te parvenir. Voici pourquoi: nous sommes toujours en deuxième ligne, mais au lieu d’être dans des bois, nous sommes dans des caves du village de M. (Moulainville) toujours violemment bombardé. Comme les communications ne se font que rigoureusement la nuit, le courrier part à 23 h. au lieu de midi.

La cave des officiers est bonne et a été éprouvée, car plusieurs obus de gros calibres sont tombés en plein dessus sans la détériorer. Sois donc sans inquiétude. Le malheur c’est qu’après les pluies diluviennes du mois dernier, le niveau de l’eau y est constamment de 50 cm et que nous sommes installés sur « pilotis ». Je voudrais que tu voies cette installation, c’est à mourir de rire. Nous sommes là dedans pour 5 jours, 5 officiers et 5 ordonnances dans une petite cave. Il n’y en a qu’un qui peut bouger à la fois. Très amusant parce que tous très gais: Mr Ney. Mr Strohl (lieutenant, inspecteur de la Banque de France, connaissant bien Mr de Larrard et Roger Triaud qu’il a vu à St Médard et qu’il n’estime pas beaucoup au point de vue militaire. Très chic, très aimable et quoiqu’ayant 10 ans de plus que moi, est très bon camarade. A beaucoup insister pour me faire nommer officier). Mon ami Brochard, sous-lieutenant. Fouché et moi.

Nous fumons, lisons, chantons, la nuit quand nous n’allons pas aux travaux, de 4 h. à 11 h. sommeil - 11 h./12 h., déjeuner - 12 h./7 h., rechansons, rebêtises, relecture - 7 h./9 h., sortie (il fait noir et entre 2 rafales on va mettre le nez dehors, que de ruines!) - 9 h. à 10h., repas - 10 h. à 4 h. du matin: travaux, surveillance et repos chacun son tour pour dormir. Voilà notre vie, maintenant tu vois notre emploi du temps comme si tu étais avec nous.

Le moral est bon, c’est tout ce qu’il faut et heureusement que le cafard ne m’a jamais atteint ou du moins peu de temps. C’est bien pénible pour ceux qui l’ont, mais à l’instar des officiers du 3° Bataillon du 91° R.I., les officiers du 6° Bataillon du 323° R.I. sont très gais.

Je n’ai rien reçu de toi depuis ta lettre 55, j’espère en avoir une cette nuit. Comme je te l’ai dit, j’ai reçu ma montre lumineuse qui est épatante. C’est une montre-poignet de très bonne qualité, elle vient de chez Jannel dont le fils est soldat à ma Compagnie. Tu la verras à ma prochaine permission. Quant à l’autre, je te l’enverrai prochainement, quand nous serons au bivouac, après ces 5 jours.

Rien de plus à te dire aujourd’hui. Mon rhume ne m’a pas complètement quitté, il s’est un peu atténué, mais ce séjour dans une cave, avec de l’eau sous nous, continuellement, ne contribuera pas à le faire partir. Je n’en souffre pas d’ailleurs plus que ça!

Encore des bruits de relève! Sont-ils bons ceux-là? Mystère. Attendons..............

2 mai

Moulainville. Journée passée avec de Lignerolles et Voisin luxueusement installés. Vu et parlé au Colonel, très aimable. Le soir, travaux de transport. Bombardement normal. Beau temps.

Rien de nouveau depuis ma lettre d’hier. Emploi du temps tel que je te l’ai écrit. Je me lance même à jouer au bridge, car on me persécute pour que je fasse un quatrième. Reçu ta bonne lettre n°56. Merci. Je suis bien content que vous soyez toutes en bonne santé. Mon rhume redouble malgré le temps superbe dont hélas! nous ne pouvons profiter....

3 mai

Moulainville. Journée calme et monotone. Chants. Bridge. Le soir: travaux et combat avec les rats (énormes) qui sont dans notre cave.

4 mai

Moulainville. Même vie. Peu d’obus. Nous apprenons la mort du lieutenant Bonnet qui nous avait quitté il y a 4 jours!

J’ai reçu hier ta bonne lettre n°57 du 28 avril et j’y réponds aujourd’hui toujours du fond de ma cave. Notre situation est toujours la même: beau temps dont nous ne profitons pas, marmitage qui nous laisse froid parce que bien abrités, etc... etc... La gaieté continue.

Hier j’ai été voir le lieutenant Voisin, mon ancien chef de section qui est maintenant porte-drapeau. Le Colonel est venu dans son abri et me voyant: « Tiens! Bonjour Triaud, va bien? » Il m’a serré la main, ce qui au régiment est considéré comme un grand et rare honneur. Le capitaine Morache était avec lui et s’est informé de vous très aimablement. Le pauvre homme traîne toujours la patte et fait pitié tant il est visiblement marri de ne pas voir de jupons!! Il n’est pas le seul.

Les sergents-majors qui sont en arrière, ont vu passer le 123 dont les cuisines roulantes sont dans le même village que les nôtres. Il prend, parait-il, les avant-postes aux environs de l’endroit où nous les avons pris, il y a un mois, avec tant de veine. Pourvu qu’il ait lui aussi de la chance! Lorsque nous serons un peu en arrière, je ferai mon possible pour aller voir le Commandant Gombeaud, Gaillot et les anciens camarades. Je te tiendrai au courant.

Singulière idée que tu as eue d’écrire en plein air. Veux-tu, toi aussi t’habituer à écrire dans toutes les positions? Ne te fatigue pas surtout.

Alors Roger est repris dans le service actif. Tâche de le décider à demander le 323. Cela vaudra toujours mieux que le 123. Je ferai mon possible pour le faire venir à la 24. Il aura un Commandant de Compagnie un peu grincheux pour les sous-officiers, mais cela se tassera. On verra à s’arranger. En tout cas, je suis à sa disposition, s’il a besoin de moi. Et Maurice, comment va-t-il? J’ai reçu une carte de Mimi Balmary me remerciant des bagues qui leur ont fait plaisir.

C’est une bonne idée que vous avez pour cette petite table de Muguette. Faites la faire chic et commode puisque tu dis que ça amuse beaucoup les enfants. Nous ne savons rien pour les permissions et rien ne dit qu’elles vont être rétablies par ici. C’est ennuyeux, car je serais un des premiers à partir au régiment, et j’ai bien hâte d’aller vous voir. Pauvre Cadi! Je le plains bien. Je l’emmènerai si j’arrive avant Jean!! (Je dis cela pour plaisanter car Jean m’arracherait bien les yeux)..................

5 mai

Moulainville. Nous devons être relevés ce soir, mais ne le sommes pas. Pourquoi? Le soir: travaux.

Aujourd’hui devait être la fin de notre séjour à M. (Moulainville), mais l’on vient de nous prévenir que nous n’étions pas relevés et que nous devions y rester. Combien de temps? Je ne le sais. Ma foi, après tout, nous ne sommes pas plus mal qu’ailleurs et continuons à ne pas nous ennuyer.

J’ai reçu ta lettre n°58 et celle de Mad. à qui je répondrais un de ces jours. Madame Neveux m’a également écrit une carte très aimable, m’annonçant, chose que je sais déjà, l’attente d’un bébé pour fin septembre et me demandant d’être le parrain. La marraine sera la belle soeur de Neveux, la soeur de Mme, cette jeune veuve de 22 ans dont j’ai fait la connaissance à Paris au retour de ma permission.

Je viens de voir dans les journaux, la grosse catastrophe qui vient d’avoir lieu à La Pallice. L’avez-vous entendue et vos vitres sont-elles cassées comme le dit le journal? Y a-t-il des victimes que nous connaissions.

Nous avons hier appris une mauvaise nouvelle: la mort d’un de nos camarades, le lieutenant Bonnet, mort à l’hôpital, des suites d’une maladie contractée aux tranchées. Il nous avait quittés le 30 avril dernier. Il n’a pas fait long feu! le pauvre!

Pas d’autres nouvelles du 18° C.A.. Schenck est bien au 57°? Si je peux le voir, je le ferai. Beau temps toujours, mon rhume va bien mieux. Rien de plus à te dire. Nous nous sommes fait photographier au milieu des ruines. Je tâcherai de t’en faire parvenir..............

6 mai

Moulainville. Nous continuons à passer le plus gaiement notre temps au fond de notre cave. Journée relativement calme. Le soir: travaux.

7 mai

Toujours dans notre cave. Jusqu’à nouvel ordre, nous devons aller en 1° ligne demain soir, au lieu du repos! R.A.S.

J’ai reçu ta lettre n°59 me donnant des détails sur la terrible explosion de La Pallice. En effet, d’après ce que tu me dis et d’après ce que j’ai lu dans les journaux, c’est un accident épouvantable. Heureusement que nous n’y connaissons personne. Plusieurs hommes du régiment ont de parents là-bas qui ont été tués ou blessés, entre autres l’adjudant Richarme qui était sergent rengagé à La Rochelle, y a perdu son beau-père. Il a fallu que ce soit d’une violence inouïe pour casser ainsi des vitres jusqu’à La Rochelle et l’Ile de Ré et casser des portes et fenêtres chez Mme Boutiron. La pauvre femme va encore être obligée de s’occuper de réparations, elle que ces choses ennuyaient tant!

Quant à nous, nous sommes toujours au fond de notre cave, ne sachant plus quand nous allons être relevé pour s’en aller au 1/2 repos dans un bivouac. Qu’est-ce qui se passe, nous n’en savons rien. Toujours est-il que cela bombarde terriblement à notre gauche vers V. (Vaux) et D. (Douaumont). Le 123 y est parait-il et on nous a affirmé que dans un bataillon, il n’est revenu que 4 officiers! Mais est-ce vrai? Est-ce un canard, nous ne savons au juste!

Je t’envoie la photo prise avant-hier qui te montre les habitants de la cave. Nous continuons tous à être très gais. Je joue au bridge comme un enragé. On ne reconnaîtrait certes pas un ennemi des cartes! Je comprends très bien que l’on puisse s’y passionner. Aujourd’hui encore nous avons pris quelques vues, mais comme elles représentent des coins du village, je ne pourrai te les envoyer. Tu les verras à ma prochaine permission.

Au sujet de ta question sur l’accomplissement de mon devoir pascal, je te répondrai que je n’ai absolument pas pu. Nous n’avons aucune facilité, d’ailleurs nous tenons les avant-postes depuis le 17 avril et le prêtre qui est au bataillon a dû rester dans les tranchées comme les autres et n’a rien pu faire. Je verrai quand nous serons au repos au bivouac et dès que possible, je le ferai. Que veux-tu? L’année dernière j’ai pu, nous étions dans un village bombardé, c’est vrai, mais nos prêtres-soldats ont fait le nécessaire. Ici la guerre est raison majeure et Dieu le comprendra.

Je pense que vous avez toujours de bonnes nouvelles de Jean C. et Jean T.. Roger et Maurice, que deviennent-ils. Parle m’en un peu.................

8 mai

Moulainville. Préparatifs de relève. Le soir nous allons prendre nos positions: la 24 au Manesel, sauf ma section qui va à la route à droite du P.C. Relève sans incidents. Le capitaine Chevillard blessé grièvement à la porte de notre abri.

Voici notre dernière journée dans la cave de M. (Moulainville), mais nous en partons, non pour aller au bivouac, mais bien en 1° ligne, derechef. Je ne comprends plus rien au mouvement des régiments dans la Division. En tout cas, nous ne sommes pas relevés, c’est tout ce que je vois de plus clair. Sortant d’une cave, je vais donc aller passer quelques jours sous une route. Quel drôle de métier.

J’ai reçu une lettre de mon tailleur de Nancy m’annonçant que mon uniforme est parti pour La Rochelle, le 2 mai. Il est probable que tu l’auras avant cette lettre. Fais-en donc un paquet solide, je te prie, et envoie-le-moi le plus rapidement possible, car j’en presse en ce moment. Ci-joint le papier de la gare qui t’est peut-être utile.

A part cela, rien de nouveau. Mon rhume est terminé, mais comme nous allons aux avant-postes, le temps se met à la pluie - naturellement...................

9 mai

Poste de la Route. Je suis là pour faire faire des abris, des niches et un poste de secours dans le talus de la route. Visite de tout le secteur avec le commandant Millet en plein jour. Je dîne avec le Dr Manahiloff qui partage ma solitude.

10 mai

Poste de la route. Continuation des travaux. Magniez est nommé sous-lieutenant et reste à la Compagnie. Quelle veine! Sandaran passe à la 22°. Desplan passe à la 21°. Vu Neveux que je garde à dîner avec moi.

Reçu ta lettre n°60. Rien de nouveau depuis avant-hier. Comme je te l’ai dit, je suis isolé sous une route avec ma section. Moral et physique excellent. Pas de bruits de relève! Canonnade continue un peu partout? Pas de mal au bataillon, mais un capitaine blessé au 5° (je viens de l’apprendre et n’ai pas de détails).....................

11 mai

Poste de la route. Travaux. Les Boches bombardent la 23 avec des obus asphyxiants. Un blessé grièvement est soigné au Poste de Secours. Les 2 hommes qui étaient dans le même abri que lui, sont tués par asphyxie.

Je réponds aujourd’hui à tes deux lettres 60 et 61. La dernière m’annonçant la mort du pauvre Georges Dumas. C’est bien triste! un fils unique. Il était, je crois, un peu plus jeune que moi.

Alors Madeleine a encore voyagé! et toi aussi naturellement. Tu n’en avais pas l’air bien décidée mais je suis sûr qu’à l’heure actuelle, c’est une affaire entendue. En tout cas, je t’y engage vivement.

Je viens d’interrompre ma lettre, car on vient d’amener au poste de secours qui est à proximité de ma section des blessés de la 23°. Le médecin et les infirmiers ont été obligés de prendre leurs masques tellement ils sentaient les gaz. En effet, les Boches viennent d’envoyer sur cette pauvre Compagnie plusieurs rafales d’obus suffocants. Il y a plusieurs morts et le bombardement continue. Sur mon poste - rien, que des éclats et une vague odeur d’éther, assez agréable de loin mais qui nous gênait rudement à V. (Vaux).

Les nouveaux masques que nous avons, sont, heureusement, absolument épatants et mis très rapidement. Où est notre Lorraine où l’on ne connaissait pas ces violents bombardements et ces gaz?! Enfin, nous nous y sommes habitués, comme les autres.

Tu me parles des péniches sur la Meuse. Tu es en effet très bien renseignée.

Il parait que nous ne serons pas relevés et que l’endroit où nous sommes est maintenant notre secteur définitif. Comme suprême consolation, les régiments iraient, à tour de rôle, se reposer pendant 4 ou 5 jours sur des péniches. Par beau temps, ce serait assez agréable quoique très rudimentaire comme installation. Le bruit courait cependant que nous n’irions pas, car les Boches avaient découvert ce lieu de repos avec leurs avions, et avaient déjà coulé plusieurs de ces péniches avec des obus. Je ne sais ce que nous ferons.

J’ai encore une fois interrompu cette malheureuse lettre, car les Boches tapent. Ces idiots-là étaient tranquilles jusqu’à présent. Ils se mettent à nous embêter. Bah! ce n’est qu’une crise, car c’est déjà fini.

Figure-toi, dis cela à Mad. cela l’amusera, que j’ai moi aussi un chien depuis 4 jours. C’est un pauvre petit abandonné de M. (Moulainville). Je ne sais s’il restera longtemps avec moi, cependant il me suit bien. Il est très joli, très propre, tout petit à poil long. Il est couleur « or » et a une petite frimousse de renard. Il est à côté de moi, en train de gober des mouches, car il n’a pas l’air de les aimer, pas plus que les obus d’ailleurs.

Rhume fini. Moral et physique excellents. Je crois que Mr Chatelain va revenir bientôt ainsi que mon ordonnance. Notre aspirant vient d’être nommé sous-lieutenant et reste à la compagnie. Nous serons donc 4 officiers. Ce sera rudement chic pour le service!

Excuse toujours mon écriture, mais je suis sous ma route, accroupi dans mon abri. Meilleurs baisers à toutes les trois et bon voyage pour Mad. Qu’elle m’écrive et me donne son adresse.................

P.S. Par qui les Vast Vimeux sont-elles si bien renseignées et qui leur écrit au 323?

12 mai

Poste de la Route. Journée plus calme qu’hier. Nous travaillons toujours à nos abris. Patrouille de Marsac qui tue 2 Boches, ramène prisonniers: 1 officier et 1 Boche. Pluie continuelle.

Rien de nouveau depuis hier. Aujourd’hui, la journée a été plus beaucoup calme que celle d’hier.

Le beau temps continue et la campagne est superbe. Juste devant la porte de ma niche, il y a un buisson d’aubépine qui commence à fleurir. C’est de toute beauté.

Bonne santé toujours et moral excellent......................

13 mai

Poste de la Route. Nous sommes relevés par le 257 et allons à la Chiffour au repos sous une pluie battante (9 km). Le lieutenant Chatelain est revenu, nous sommes au grand complet.

14 mai

La Chiffour. Mauvais temps mais installation assez agréable. Visite du Commandant Gombeaud qui est très aimable avec moi. Il nous apprend les pertes du 123 qui sont fortes (1200 h., 36 officiers).

15 mai

La Chiffour. Repos. R.A.S.

Avant que le courrier parte, je n’ai le temps que de t’écrire une carte. A demain une longue lettre. Nous sommes dans les bois maintenant au 1/2 repos.

Vu, hier, le commandant Gombeaud qui va bien. Je te donnerai des détails sur le 123°. Bonne santé toujours............

Comme il y avait déjà quelques jours que je ne t’avais pas écrit, pour te rassurer, je t’ai envoyé une carte rapidement écrite ce matin. Ce soir, je prends mon temps et t’écris une longue lettre pour te dire un peu ce que je deviens.

Nous ne sommes plus aux avant-postes depuis hier. Nous bivouaquons dans un bois superbe, mais malheureusement, nous avons un temps épouvantable depuis 3 jours. En particulier pour la relève, nous avons eu une pluie diluvienne et étions trempés jusqu’aux os. Quel dommage, ce serait si chic de se balader dans ces belles forêts remplies de fleurs.

J’ai des nouvelles fraîches du 123 par le commandant Gombeaud qui, hier, est venu dans notre bivouac. Ce pauvre régiment, tout près de l’endroit où nous avons été au début avril, a été décimé. Il a perdu 1200 hommes, c.a.d. la moitié de son effectif. Parmi ces pertes, 47 officiers dont 7 morts. Le commandant Gombeaud va très bien, toujours très gai, plein d’entrain, peut-être même un peu trop. Il a rajeuni, je trouve, et a été très gentil pour moi, s’informant de vous tous, très aimablement.

Hier également, j’ai causé avec le capitaine Morache, nouvellement décoré de la Légion d’honneur. Il m’a dit que le capitaine Petitbon venait de perdre un oeil et que l’autre était en bien mauvais état. Pauvre vieux. C’était bien la peine d’arriver si vite.

J’ai reçu tes deux lettres n°62 et 63. Mme D. (Delon?), pour une fois, a été mal renseignée car, au moment où tu me l’as écrit nous n’étions pas encore au bois. J’attends mon uniforme avec impatience et je te préviendrai dès que le colis me sera parvenu.

Comme tu le dis, j’ai accepté l’aimable demande de Mme Neveux. Je ne savais pas qu’on ne pouvait pas se marier entre compère et commère - je ne comprends même pas pourquoi - mais rassure-toi, je n’ai aucune idée matrimoniale vis à vis de cette jeune et jolie veuve. Monsieur Chatelain est revenu, de sorte que nous sommes maintenant au grand complet. Nous avons touché nos cantines et pouvons ainsi nous nettoyer à notre aise.

Alors, tu restes décidément à La Rochelle pendant l’absence de Mad. Fais ce qui te plaît le plus, mais j’aurais parié que tu aurais été à Quinsac. Tant mieux si la blessure de Gaillot n’est que superficielle. Il pourra ainsi reprendre sa place rapidement. A-t-il son deuxième galon? Le capitaine Mörch est, avec son bataillon, aux fameuses péniches dont il a parlé lui-même. Je crois que dans 2 ou 3 jours nous irons les remplacer. Pourvu qu’il fasse un temps meilleur. C’est désolant, en cette saison, d’avoir un temps pareil.

Continue à me donner des nouvelles de tous les gens que nous connaissons, et en particulier du 123. Par Roger, tu vas peut-être avoir des tuyaux. Dis-lui de te nommer les camarades que je pouvais connaître.

Au revoir, chère Maman, porte-toi bien toujours et surtout ne t’ennuie pas toute seule à La Rochelle. Va-t’en si tu sens le cafard venir. Je vous embrasse de tout mon coeur toutes les trois, si les deux voyageuses sont encore avec toi..........

16 mai

La Chiffour. Le soir distribution des Croix de Guerre du Bataillon. Temps superbe.

17 mai

La Chiffour. Le 5° Bataillon vient prendre notre place et nous allons le remplacer aux péniches. Marche assez pénible à cause de la chaleur. Installation épatante dans les cabines. Greffard est revenu à la Compagnie.

Tout va bien. Rien à signaler. T’écrirai longuement demain. Installé à l’endroit dont a parlé le capitaine M. (Morache)

18 mai

Péniches. Repos complet. Je fais du canot avec Fouché toute la journée. Charmant séjour.

Nous voici donc depuis hier soir dans ce lieu de délices que l’on nous a fait entrevoir depuis si longtemps c.a.d. les péniches sur la Meuse. Le fait est que nous sommes rudement bien et voilà bientôt 3 mois que nous n’avions pas eu un luxe pareil. Les hommes sont très bien installés, proprement et largement. Quant aux officiers, nous habitons les cabines qui sont d’un luxe presque égal aux cabines de 1° classe d’un paquebot.

Nous avons un temps magnifique, presque trop chaud, nous n’entendons le canon que comme un grondement sourd et lointain. Malheureusement, nous ne sommes là que pour trois jours et lorsque tu liras cette lettre, nous serons retournés dans nos bois et sous les marmites!

Ce matin, à mon réveil, j’ai fait une partie de canot avec Fouché, nous avons ramé jusqu’au déjeuner et avons les mains en sang. Cette nuit, au clair de lune, nous recommencerons. Les poilus lavent leur linge, se lavent et pêchent. Mais c’est une pêche de guerre. On tue les carpes et les brochets à coups de grenades apportées à cet effet des tranchées de 1° ligne.

Quelle chaleur, nous avons; heureusement que, dans la vallée de la Meuse, il y a un courant d’air qui nous fait grand bien. A propos de la chaleur, je t’expédierai, quand je le pourrai, un gros colis de lainages et je te serai reconnaissant de m’envoyer:

1°) des chaussettes légères.

2°) des caleçons coupés.

3°) des chemises d’été.

4°) 2 cravates de chasse que je dois avoir dans mes affaires.

Je n’ai pas reçu mon costume et je l’attends impatiemment.

Pas de nouvelles de relève jusqu’à présent. Nous allons changer de secteur et allons prendre à gauche de M. (Moulainville) où nous étions, entre les villages de E. (Eix) et de D....p (Damloup). Le secteur est moins bon que celui que nous quittons, mais moins mauvais cependant que V. (Vaux).

Greffard, mon ordonnance, est revenue après avoir passé 8 jours chez lui, en Vendée. Quel veinard. Que ne puis-je avoir moi aussi un accès de fièvre comme lui! C’est le seul moyen d’avoir une permission car on n’en parle pas du tout par ici et rien ne fait prévoir qu’elles reprennent de sitôt.

N’envoie pas d’argent au tailleur, je lui ai envoyé le montant de ce que je lui devais et il m’en a accusé réception. Je suis en règle avec tout le monde et ne dois pas un sou à personne. J’ai tes principes à ce sujet et m’en trouve très bien. Hier, le courrier m’a apporté une carte de Jean C. qui mène, dit-il, la vie calme d’un vieux territorial. Tant mieux. Inquiétudes de moins pour vous.

Je viens d’apprendre la mort de 3 ou 4 copains, blessés à V. (Vaux) ou depuis et qui n’avaient pourtant que de biens petites blessures. Ces obus asphyxiants sont vraiment mauvais et empoisonnent les blessures! Sauvages!

Merci de ta lettre 64. C’est à elle que je répondais aujourd’hui. Je te quitte car une grenade vient de procurer à notre popote une pièce de choix..............

P.S. Je voudrais bien avoir l’adresse de Mad. Envoie-la moi, je te prie.

19 mai

Péniches. Même emploi du temps. Le soir, suis prévenu que, au lieu d’aller à La Madeleine, je vais suivre un cours dans la Haute-Marne. Hip, hip, hurrah! Je pars demain matin.

20 mai

Départ des péniches à 5 h. Voyage en auto jusqu’à Bar-le-Duc, en chemin de fer jusqu’à St-Dizier. Coucher à St-Dizier. J’ai avec moi Greffard et ma cantine.

J‘ai quitté le régiment pour une quinzaine de jours et vais suivre un cours dans la Haute-Marne. Te donnerai des tuyaux plus tard....................

21 mai

Départ de St-Dizier à 9 h. J’y ai acheté un costume léger car la chaleur est accablante. Arrivée à Ancerville-Gué. A pied jusqu’à Cousances-aux-Forges. Déjeuner à la table du colonel Desthieux. Installation épatante à Chamouilley.

C’est vraiment du Paradis lui-même que je t’écris! Figure-toi que je suis désigné pour suivre un cours de grenadier (10 jours) dans la Haute-Marne! c.a.d. dans un pays où l’on entend pas plus le canon qu’à La Rochelle.

J’ai fait un voyage naturellement mouvementé étant donnés la difficulté de voyager quand il n’y a de chemins de fer qu’à Bar-le-Duc, et mouvement inouï sur les routes de terre et de fer! Je suis donc arrivé, un peu en avance, à Cousances-aux-Forges où se trouve le cours, reçu et invité par le Général, directeur des différents cours de la région, à déjeuner, car j’étais seul; puis conduite en auto à « Chamouilley », petit ou du moins grand village aux environs, où je loge et mange. J’ai une chambre superbe chez le receveur des Contributions Indirectes!!!!!!!!!

J’ai avec moi mon ordonnance (Greffard) et ma cantine, enfin je suis aux anges! Les jeunes filles sont ici nombreuses, jolies, gaies et très affables!!! ce qui, pour un habitant de Moulainville, des péniches ou du Tunnel de Tavannes, est à considérer.

Je suis au mieux avec le garde-champêtre qui a cru voir en moi un fils d’un de ses chefs et qui de ce fait m’a soigné comme cantonnement. Voyant son erreur mais ma tête sympathique! Il m’a accordé tout de même son amitié!! J’en suis flatté!!!!!

Malheureusement, je ne reçois pas mon courrier. Aussi pour avoir de tes nouvelles, écris-moi comme à un civil sans mettre mon grade à l’adresse ci-dessous, pendant 3 jours de suite (si tu écrivais plus longtemps, je calcule que je serais parti).

Monsieur Georges Triaud

chez Monsieur Jules Guillemin

Receveur des Contributions Indirectes

Chamouilley (Haute-Marne)

Sur ce, sois sans inquiétude pour moi, je suis rudement bien........................

22 mai

Première journée de cours. Des autos nous conduisent au terrain 4 fois par jour. Pays superbe. Cours intéressants et amusants. Vie agréables à tous les points de vue.

23 mai

Chamouilley. Cours. Amusements. Chahut. Bombe. etc... etc...

Quel rêve, et quelle vie douce et agréable je mène depuis dimanche, je crois rêver!! Un excellent lit, une table de rois, un pays de toute beauté (on prendrait le bois pour des jardins d’un grand château, tellement il y a de petits cours d’eau, de ponts, etc... etc...)

Le cours de grenadiers se passe aux environs d’un grand village, Cousances-aux-Forges et j’habite un autre village distant de 10 km du 1° environ. Ceci fait, car nous sommes beaucoup d’officiers. Des automobiles nous transportent 4 fois par jour au terrain d’exercice et retour.

Là, par exemple, ce n’est que du sport pendant 8 heures par jour. Aujourd’hui, 3° jour du cours, nous sommes tous courbaturés. Ce que nous faisons consiste à faire de la gymnastique et une quantité de jeux olympiques destinés à nous entraîner au lancement de la grenade. Les Anglais, gens pratiques, en ont fait un véritable sport et nous les imitons en installant des cours analogues aux leurs.

A partir de 6 h. du soir nous sommes libres jusqu’au lendemain 5 h. du matin, et comme il y a un parc d’autos à côté du village, nous allons à Bar ou St-Dizier dans les limousines des généraux!!!

Le village où je suis (Chamouilley) est arrosé par la Marne et traversé également par le canal de la Marne à la Saône, c’est te dire qu’il y a de l’eau, des bois, de la verdure, de l’ombre! Un temps radieux depuis le début. Ce sont 10 jours de congé que je passe ici.

Le 9° bataillon du 91° cantonne ici et ce sont des cuisiniers du 91 qui nous servent. Ce sont des bleuets de la classe 16 qui ne connaissent naturellement pas Jean C.

Tu penses si cette vie plutôt active et sportive me fait du bien en sortant de mes 3 mois de Verdun. Au revoir, chère Maman, donne-moi des nouvelles de Mad. à qui d’ailleurs il faut que j’écrive. Ne m’écris plus ici à partir du 26, recommence à m’écrire au S.P. 136.............

24 mai

Chamouilley. R.A.S.

25 mai

(Geneviève )

Chamouilley. R.A.S. D’après les journaux, les camarades ne doivent pas s’amuser à 304, Cumières (le Mort-Homme), Douaumont.

26 mai

Chamouilley. R.A.S.

27 mai

Chamouilley. R.A.S. Pêche à la grenade.

Tu vois que j’ai bien fait de t’envoyer mon adresse et de timbrer mes lettres, car la correspondance va beaucoup plus vite. J’ai reçu hier 26 ta lettre n°70 qui a mis 2 jours.

Rien de nouveau ici, tout va bien et malgré la vie sportive que je mène, je me repose. Je vois dans les journaux que les camarades ne doivent pas beaucoup s’amuser, car on a l’air de s’agiter encore fortement du coté de Verdun. Pourvu que je les retrouve encore tous au complet!

J’espère que tu ne t’ennuies pas trop toute seule. Ici, c’est une vie très gaie que j’ai et je vois avec ennui la fin du cours arriver à grands pas.

J’aurais été bien heureux de te voir, je n’y ai pas du tout pensé, car j’aurais pu t’offrir ce voyage. Excuse-moi, ce sera pour une autre fois..............

28 mai

Chamouilley. R.A.S.

Merci de ta lettre n°71, reçue hier soir. Elle est datée du 26 et je l’ai reçue le 27, c’est épatant. Ici, même vie, toujours agréable.

Chère Maman, soit contente, j’ai communié ce matin, mais je t’assure que cela n’a pas été chose simple. Enfin je pense que je n’ai pas été trop en retard pour mes Pâques, et puis, je ne pouvais le faire plus tôt pour raison majeure.

Rassure toi pour ces grenades. Je sais bien les manier et suis prudent. Il n’y a d’ailleurs eu qu’un officier légèrement blessé depuis le commencement du cours, sur plus de 100 que nous sommes. Tu vois qu’il n’y a pas trop d’accidents. Je suis plus en sûreté ici que sur le front!!

Je suis bien content de ce que t’a dit Madame Delon. Espérons que ce sera vrai et que d’ici peu de temps j’irai te voir à La Rochelle. Quel bonheur, après cette mauvaise période. Ah! Roger continue à faire sa guerre dans l’ouest! Pourvu que les Allemands ne lui fassent pas trop de mal, le pauvre petit. Heureusement qu’il va s’incruster dans les Landes pour plusieurs mois!!!!!!! Je deviens méchant! hein! Mais que veux-tu, quand je vois la bombe qui se fait à l’intérieur, même dans des patelins pas très loin du front comme Chamouilley, pendant que les pauvres imbéciles se font casser la g....., ça me fait bondir!

Je vais t’envoyer, demain ou après-demain, un colis de lainages, et ma montre. Tu me renverras ces lainages au commencement des froids, pour ma 3° campagne d’hiver! Quel métier.

Au revoir, ma chère Maman, je te quitte car je vais faire une petite promenade dans ce superbe pays. Le temps s’est mis au beau et il fait un temps très agréable..............

29 mai

Chamouilley. R.A.S. Réception à notre table du capitaine Reix (68°), notre instituteur.

30 mai

Chamouilley. R.A.S.

31 mai

Chamouilley. Le cours est terminé et nous partons demain à notre grand regret.

Je n’ai pas reçu de lettre de toi depuis le n°71 du 26 mai. Comme tu m’en avais annoncé trois et que je n’en ai reçu que deux. J’attendais toujours à tous les courriers. J’espère que rien de malheureux n’est arrivé.

Ici tout va bien, le cours est terminé et nous repartons demain en auto pour les 1° lignes. Un bruit courait dernièrement que ma division était relevée, mais je n’ai reçu aucun avis, ni aucune confirmation. Je ne t’écrirai plus maintenant qu’une fois arrivé à ma compagnie. Je souhaite la trouver en bon état.

Hier, j’ai mis à la gare un colis de lainages, et avant-hier à la poste, un petit paquet contenant ma montre. Tu seras bien bonne de m’accuser réception de tout cela pour ma tranquillité.

Ces 10 jours de sport m’ont fait grand bien au physique, et cette détente, grand bien au moral. Je suis très dispos pour retourner aux tranchées. Attendons maintenant le plus patiemment possible, et la relève, et la permission qui ne peut tarder, du moins je suppose.

J’ai pris mes précautions maintenant, de sorte que tu n’as plus besoin de m’envoyer ni tabac, ni papier à lettres dans tes lettres. Je pense pouvoir t’envoyer un mandat dans les premiers jours de Juin, je voulais le faire à la fin de ce mois, mais cette villégiature m’a fait dépenser plus que d’habitude. (A ce propos, j’ai acheté un costume d’été en coutre, lavable et assez chic. Je l’ai payé 35 frs, ce qui n’est pas exorbitant)

J’espère que tu as de bonnes nouvelles de Mad., ainsi que de son mari. Je compte d’ailleurs avoir de nombreuses lettres d’un peu partout, à mon arrivée au corps. Sur ce, chère Maman, je vais te quitter pour aller me mettre à table et faire le dernier repas à Chamouilley. Avant de nous séparer, nous voulons faire une petite noce et nous soigner.

J’ai oublié de te dire que l’autre jour nous avons invité le Capitaine instructeur à notre table. Je t’envoie ci-inclus le menu qui cependant n’a rien d’extraordinaire..........

Menu

Hors d’oeuvre

Sardines Beurre

Asperges vinaigrette

Poulet marengos

Pommes de terre nouvelles

Rôti de veau

Salade

Crème renversée

Brioches

Desserts

Café. Cognac

1 juin

Départ de Chamouilley à 6 h. Nous passons à Cousances où les autos viennent nous prendre. Déjeuner à Bar-le-Duc. A 1 h. de l’après-midi, des avions lancent des bombes sur la ville. Panique. Arrivée à Ancemont à 4 h. Arrivée à Belrupt à 8 h. Parti avec la cuisine roulante, nous passons par le Tillat très bombardé et j’arrive aux tranchées à minuit passé.

Je suis de retour au régiment. Tout va bien, sauf un incident à B.l.D. (Bar-le-Duc) que tu verras dans les journaux. Vais aux tranchées dans une 1/2 heure, mais irai t’embrasser très prochainement!!

En attendant, je t’embrasse de tout coeur...............

2 juin

Retrouvé les camarades dans les tranchées, sur la route Verdun-Etain. Le secteur est très mouvementé surtout à notre gauche. Beaucoup de gaz. On ne peut sortir sans le masque. J’ai eu 2 blessés à ma section pendant mon absence. Dans la journée, alerte, les Boches ont pris Damloup et marchent sur la ferme de Décourt (1 km de nous). L’artillerie les arrête. Reste de la journée sans incidents.

Me voici donc aux tranchées de 1° ligne, comme je te l’ai dit, un peu plus à gauche qu’avant, et je t’assure que le secteur est loin de valoir l’ancien et d’être aussi calme qu’avant mon départ. Quelle agitation surtout à notre gauche (3 km) au village de D. (Damloup). Enfin à la grâce de Dieu!

J’ai trouvé hier en arrivant une grande quantité de lettres, dont plusieurs de toi: les n°66, 67, 68 et 72. Merci de m’avoir écrit si souvent. Je vais y répondre, mais avant je vais te dire ce qui m’est arrivé hier pendant mon déjeuner à B. l. D. (Bar-le-Duc). Les Boches ont envoyé 4 avions sur la ville, et ceux-ci ont lâché plusieurs bombes. Si tu avais vu la panique produite dans l’hôtel et dans les rues. C’était un spectacle triste, émouvant, mais pour un type du front presque comique.

Les petites femmes viennent se serrer contre les officiers, croyant, les pauvres, qu’elles sont plus en sécurité. Que peut-on y faire? Rien, il n’y a qu’à espérer que les bombes tombent à coté. C’est ce qui m’est arrivé quoique l’une d’elle soit tombée à environ 25 mètres de nous. Ah! les embusqués avec leurs brisques et leurs dorures pleins les bras. Je t’assure qu’ils ne crânaient plus!!! Je suis parti aussitôt après car les autos étaient pressées, de sorte que je ne sais pas s’il y a eu beaucoup de victimes. Je verrai cela dans les journaux.

Aujourd’hui, nous recevons beaucoup plus d’obus, et il n’y a pas de panique. J’ai eu 2 blessés encore à ma section pendant mon absence et 2 évacués, mon effectif diminue toujours. C’est désolant.

Je crois que la relève de la division n’est pas éloignée maintenant, de même que ma permission. J’aurai donc le plaisir d’aller t’embrasser d’ici peu. Mais verrai-je Madeleine?

Merci des nouvelles que tu me donnes d’un peu tout le monde. J’ai eu des nouvelles directes de Quinsac et de Ruelle. Tu me parles de Daniel Bernard. Est-il sous-lieutenant? Je me rappelle plus de ce que tu m’as écrit à son sujet.

Reçu des nouvelles de Jean Chagnaud qui est retourné à son secteur de février-mars! Madeleine m’a également envoyé 2 cartes postales. En somme la correspondance a bien marché sauf le n°69 que je n’ai pas reçu. J’allais oublier de te dire que j’ai trouvé, à mon arrivée, le gros colis contenant mon costume en très bon état, et les excellents bonbons. Merci beaucoup. Il ne me reste plus qu’à recevoir le linge d’été.

Au revoir, chère Maman, et à bientôt j’espère. Je t’enverrai une dépêche de Paris, comme la dernière fois, mais ne t’impatiente pas, je ne sais pas encore exactement la date de mon départ............

P.S. J’avais reçu 70 et 71 à Chamouilley. Il ne reste donc que 69.

3 juin

Pendant la nuit canonnade inouïe sur Vaux et Damloup. Les Boches sont dans les fossés du fort, et malgré le tir inouï de notre artillerie, ne se cachent pas. Nous les voyons très bien dans Damloup. Assez calme dans notre secteur. Temps épouvantable.

Hier, Greffard, un peu troublé par le marmitage assez intense a complètement oublié de donner aux cuisiniers ma lettre du 2, par conséquent tu devras recevoir en même temps que celle-ci. Rien de nouveau, si ce n’est des attaques Boches assez sérieuses, et surtout beaucoup de marmites, mais j’ai un excellent abri, je m’empresse de te le dire.

Merci des nouvelles de G. Schenck. Quant à Edouard Mörch, je sais qu’il est aspirant au 323, et à la compagnie de son cousin, mais je ne l’ai pas encore aperçu. Avec son nom, il ne tardera probablement pas à passer sous-lieutenant.

Le bruit court (c’est mon commandant de compagnie qui vient de me le dire) que les permissions sont de nouveau supprimées, étant donné ce qui se passe par ici. C’est dommage car j’étais le premier à partir et certainement, sans mon cours, je serais à La Rochelle à l’heure actuelle.

Je te quitte car on m’appelle ailleurs..................

4 juin

Tranchées Mars-la-Tour. Combats acharnés à Vaux et Damloup. Cela ne m’étonnerait pas que le fort soit aux mains des Boches mais nous ne savons rien de précis et nous tenons sur nos gardes.

Je suppose que les journaux parlent un peu de ce qui se passe ici, je dis, je suppose, car nous n’en voyons pas. Ma parole dans cette bataille de V. (Verdun), plus cela va, plus cela devient terrible. Ma compagnie a une position d’où elle voit merveilleusement de tout cotés et très bien. Te dire ce que je vois, c’est au-delà de toute imagination. D’après ce que nous voyons, cela n’a pas l’air d’aller pour nous car nous voyons des Boches dans le fort de V. (Vaux) et dans le village de D. (Douaumont) dont nous sommes tout près, mais comme nous n’avons aucune confirmation, je ne sais que penser.

Les Boches sont terribles et incroyables de ténacité. Ils attaquent continuellement et lorsque nous voyons une de leur vague complètement abîmée, une autre sort et ainsi de suite. Il faut voir nos tirs de barrage et leurs tirs de préparation. Je n’ai pas de mots pour te dire ma façon de penser.

Je m’empresse de te dire qu’avec notre veine légendaire, ils n’ont pas attaqué notre secteur, mais immédiatement à notre gauche. Inutile de te dire que nous nous tenons sur nos gardes, et que le marmitage est soigné! Mais je finis par en dire trop long. Ce que je vois est tellement intéressant, mais aussi combien écoeurant.

Ne m’attends pas tout de suite en permission comme je te l’avais dit précédemment. D’abord elles sont suspendues pour le moment et puis le commandant vient de me dire qu’il faisait passer 3 autres officiers avant moi car je venais d’avoir 10 jours de repos C’est un peu vrai et je m’incline. Je compte y aller cependant fin juin (tout dépend de la longueur de la suspension).

J’espère que tu as de bonnes nouvelles de toute la famille. Comment va Madame Boutiron?.....................

5 juin

Mars-la-Tour. Mêmes combats à notre gauche. Beaucoup d’artillerie sur nous. Le 416° va venir nous relever et la division s’en va parait-il au grand repos. Ce n’est pas trop tôt.

J’ai reçu ta lettre n°74. N’oublie pas de m’accuser réception de toutes mes lettres, car je peux croire qu’il s’en perd. Il est vrai que par les numéros, tu peux le voir mieux que moi.

Demain, nous sommes relevés. Ce n’est pas trop tôt pour les camarades qui sont aux tranchées depuis plus de 10 jours et cela barde. D’après les tuyaux, c’est la relève sérieuse de toute la division, mais est-ce vrai?!

Je t’ai dit et je te confirme que je suis le 3° et 4° à aller en permission, de sorte que dès que celles-ci seront rétablies au régiment, je ne serai pas long à aller t’embrasser. Sans ce cours, j’y serais en ce moment, peut-être même sur le point de partir. Il ne faut donc pas se désoler. J’aime à croire que, au repos, elles seront rétablies promptement.

Ici, rien de nouveau, pas trop de grabuge au régiment protégé, mais quelle bataille encore par ici! Tu dois le voir dans les journaux! Je te quitte en t’embrassant bien affectueusement. Ne t’ennuie pas trop toute seule. Mad. va sans doute bientôt revenir......................

6 juin

Tranchées. Le lieutenant Laferrière est nommé Capitaine. Voisin et Marsas à 2 galons. Lestrade nommé sous-lieutenant. Nous attendons la relève pour demain soir.

Encore rien de cassé pour aujourd’hui. La relève qui devait avoir lieu ce soir, est remise à demain, mais je crois de plus en plus que c’est la grande relève. Tu n’auras pas de lettre demain, car notre cuisine ne viendra pas et qu’il n’y a, de ce fait, pas de courrier.

La bataille continue par ici, acharnée et de plus belle. Quel carnage!! et ce fort de V.... (Vaux) fait périr bien des hommes. Quelles misères voient ceux qui sont à 1 km à notre gauche. Pendant ce temps nous autres sommes presque tranquilles!!

Hier, reçu une lettre de Mad. qui me dit de la prévenir quand j’irai en permission. Chic! je la verrai donc. Je n’ai pas le temps de t’écrire plus longtemps.....................

7 juin

Combats aussi furieux à notre gauche. Nous avons la chance de ne pas être attaqués par ici. Le 416 vient, mais est tout mouillé, étant passé par le boyau complètement inondé. Nous partons à notre tour sous les tirs de barrage et la pluie.

8 juin

Relève épouvantable par le tir et le temps. Nous arrivons à Belrupt trempés jusqu’aux os et crottés jusqu’aux épaules. Belrupt à Diene. (Mörch). Embarquement en auto à Diene à 2 h. Traversé Bar-le-Duc par un orage épouvantable et arrivé à Guerpont à 7 h. du soir. Gentil petit village.

 9 juin

Guerpont. Grand repos. Mr Chatelain est rappelé par son administration des Contributions Directes et nous quitte définitivement. Mr Strohl prend le commandement de la 24°. Me promène beaucoup avec Mörch.

Je te demande pardon de ne pas t’avoir écrit depuis 3 jours et pendant une mauvaise période mais je n’ai pas eu le temps.

D’abord, que je te rassure, nous sommes au grand repos à quelques kilomètres de B. l. D. (Bar-le-Duc) où nous n’entendons plus le canon. Malheureusement nous sommes dans un petit village trop petit pour contenir tout le régiment, et je n’ai pas de chambre (seul les capitaines en ont). Par contre, chic popote et nous mangeons bien. Je peux te dire, maintenant que c’est passé que le 323 était depuis le 1 juin dans un secteur comparable au précédent près de V. (Vaux) dont d’ailleurs nous étions très rapprochés. Nous avons eu quelques pertes, mais pas d’une façon exagérée. La relève a été très pénible car il y a un marmitage insensé et au-delà de toute imagination, de part et d’autre.

J’ai vu Edouard Mörch, très gentil camarade. Tu peux dire à sa mère que nous nous voyons beaucoup, car il est à mon bataillon (22° compagnie).

J’ai reçu un colis de linge d’été. Merci. Egalement tes lettres n°75, 76, 77 me sont parvenues et je t’en remercie beaucoup. Les permissionnaires vont partir et cela avance mon tour. Je compte être chez toi d’in une quinzaine de jours au plus tard.

Quel joli pays par ici, mais les gens sont moins aimables qu’à Chamouilley.

Tu as vu dans les journaux que le pauvre fort de V. est tombé. Cela ne m’étonne pas, si tu voyais comme les Boches l’entouraient et de près. J’en aurai des choses intéressantes et des détails à vous raconter! Que de bonnes soirées en perspective pendant cette permission.

Nous ne savons pas si, après ce repos, nous remonterons à Verdun ou si nous irons sur un autre point du front? Je te quitte, car les camarades m’appellent, j’aurais pourtant bien des choses à te dire. Enfin dans 15 jours!............

10 juin

Guerpont. Grand repos. Je n’avais pas de lit, mais vais prendre celui de Mr Chatelain.

11 juin

Guerpont. Grand repos. Départ de Mr Chatelain. Nous sommes plusieurs à l’accompagner. Quel veinard. Quant à moi, je passe à la 22° compagnie et prends la 1° section.

Toujours au repos dans le même village, mais j’ai maintenant une chambre car il se passe de grands changements au Bataillon, ce qui donne un peu d’avancement. Voici:

Je passe sous-lieutenant en 1° à la 22° compagnie où j’étais comme sous-lieutenant en 3° à ma nomination. Je suis sous les ordres de Mr Laferrière, nommé capitaine et le 2° lieutenant est mon ancien sergent-major de la 24°: Mr Sandaran. J’ai sous mes ordres et dans mon peloton l’aspirant Mörch qui est enchanté, tu penses que je suis content moi aussi, bien qu’il n’ait pas beaucoup l’esprit militaire et qu’on m’ait chargé de le dresser un peu.

Ces changements viennent de ce que Mr Chatelain et un autre Commandant de Compagnie sont rappelés à leur administration civile (Contributions Directes) pour l’impôt. Cela a fait des nominations et cet avancement pour moi. Je trouve que je n’ai pas moisi comme lieutenant en 3° et en second. J’espère être à la hauteur de ma tâche. En tout cas, je ferai mon possible.

Reçu ta lettre n°78 et ton colis contenant du linge, de l’alcool de menthe et un col (chic idée, car il n’est pas commode de se faire repasser les cols ici). Merci. Je suis bien monté maintenant.

Quant à ma permission, au milieu de tout cela, elle arrivera quand Sandaran qui vient de partir, rentrera, c.a.d. une dizaine de jours, je pense.

Très bonne idée: Chatelaillon!!

Je te quitte, car j’ai un déménagement à faire dans ma chambre. Tu peux dire à Madame Mörch que ces jours-ci je couchais dans la paille, à coté de son fils. Nous n’étions pas trop mal..................

12 juin

Guerpont. Toujours au repos. Ce serait charmant sans le mauvais temps continuel. Le Commandant me charge de l’équipe des grenadiers du bataillon et me charge aussi de faire une conférence sur les grenadiers, un de ces jours!

13 juin

Guerpont. Suis fiévreux et mal fichu. Journée de repos, mais sale temps.

Je reçois à l’instant ta lettre n°79. Nous sommes toujours à ce même village de repos et maintenant que j’ai une chambre, je suis comme un roi. Mad. m’a écrit également une carte me disant qu’elle rentrait à La Rochelle. J’en suis content car ainsi je la verrai en permission. Très vraisemblablement je partirai d’ici le 21 et arriverai vers le 23 chez toi. J’enverrai une dépêche de Paris où je m’arrêterai, ayant plusieurs choses à acheter.

Je suis un peu fiévreux aujourd’hui, aussi ai-je gardé la chambre, mais ce n’est rien. Mörch va toujours bien, mais quel diable. J’aurai du mal à en faire un soldat!!!!..................

14 juin

Je suis vraiment malade et le docteur Manahiloff me soigne très gentiment. Ce sera une grippe.

15 juin

Guerpont. Vais beaucoup mieux, mais garde cependant la chambre. Aline et Jeannette.

J’espère que ma dernière carte ne t’a pas inquiétée. J’ai eu, le lendemain, un fort accès de fièvre, et un petit rhume. Le tout est devenu une grippe qui va guérir et qui ne m’empêchera pas d’aller t’embrasser très prochainement maintenant.

Comme officier, on est très bien soigné et j’ai gardé la chambre depuis 3 jours, ce qui m’a retapé presque tout de suite. Ces messieurs m’ont fait la blague de faire venir dans ma chambre, à la fois, les 5 médecins du régiment, même le médecin-chef, pour voir la tête que je ferai. Nous sommes très gais comme tu le vois.

J’espère qu’il fera un temps meilleur quand je serai à La Rochelle car pour le moment, nous avons de la pluie tous les jours.

J’ai reçu une lettre de Jean C. qui va bien. Malheureusement, cette fois-ci, nous ne pourrons pas avoir notre permission ensemble. Au revoir, chère Maman, Mad. doit être avec toi, embrasse-la ainsi que le Muguet de ma part..............

P.S. Mörch va toujours très bien et t’envoie ses hommages.

16 juin

Guerpont. Exercice, mais je n’y vais pas encore. Le temps se met au beau et le séjour devient agréable.

17 juin

Guerpont. Exercice. La 24° est dissoute et passe compagnie de dépôt du Bataillon à 3 Compagnies. Fouché passe comme moi à la 22°. Je fais ma conférence sur les grenades et ne m’en tire pas trop mal.

18 juin

Guerpont. Repos complet et promenades. Je vais partir sous peu en permission. Joie!

Je m’empresse de te dire que mon indisposition est maintenant complètement passée. Je n’ai plus qu’un rhume qui guérira vite, surtout en cette saison.

Un gros chambardement nous arrive; le 323 est dissous; le 5° Bataillon passe au 206 et nous au 234! Je n’aurai donc plus le colonel D. (Desthieux). C’est désolant, mais le plus ennuyeux, c’est que je ne sais pas ce qui va advenir de ma permission. Enfin, ayons bon espoir.

Toujours au repos dans le même petit village où nous sommes très bien....................

19 juin

Matin: Exercice. Soir: Promenade à Ligny-en-Barrois où je fais des achats (bottes). Le 323° est dissous. Le 5° Bataillon passe au 206 et la 6° au 234°. Nous sommes tous désolés!! Blessure du capitaine Ney à l’exercice.

20 juin

Exercice. Le soir, on nous prévient que le régiment va s’en aller le 22 au bois d’Avocourt et des officiers vont reconnaître les tranchées, en auto. J’en profite, ma perm. signée, pour m’en aller en vitesse avec le sous-lieutenant Maillet. Guerpont à Bar-le-Duc à pied, en pleine nuit.

21 juin

Journée de voyage et après-midi à Paris. Achats et courses diverses avec Mimi. Vu la famille Leddet.

22 juin

Arrivée à La Rochelle. On est venu me chercher à la gare. Tante Marie-Louise et Loulou vont arriver aussi. C’est charmant. Suis très joyeux naturellement.

23 juin

Permission à La Rochelle.

24 juin

Permission à La Rochelle Arrivée du drapeau du 323 avec Voisin. Visite de Voisin et le capitaine Dutilh.

25 juin

Permission à La Rochelle. Jean d. S. obtient une permission pour venir me voir.

26 juin

Permission à La Rochelle.

27 juin

Permission à La Rochelle.

28 juin

Permission à La Rochelle

29 juin

Le soir, départ légèrement triste, étant donné le lieu où je vais, passablement agité pendant ma permission

30 juin

Paris. Bar-le-Duc. Revigny où nous couchons au poste de secours, grâce à la présence des docteurs Ferron et Lapeyronie avec qui j’ai voyagé.

1 juillet

Revigny. Fleury-sur-Aire où j’apprends: commandant Millet: mort, capitaine Laferrière: blessé. capitaine Martin: blessé, Fouché: blessé, etc... Le bataillon a trinqué dur. Je couche à Bois-le-Comte (avec l’officier de détails du 234 (Doucet). Le Bataillon est commandé par lieutenant Vérit.

Je suis entre B. l. D. (Bar-le-Duc) et les avant-postes et près de la 2° ligne. J’apprends d’affreuses nouvelles: commandant Millet: tué, capitaine Laferrière (le mien): tué, le capitaine Martin: grièvement blessé, beaucoup d’officiers tués ou blessés et encore plus d’hommes. Le régiment est relevé et je vais le trouver d’ici une heure, je te donnerai des détails.

Le canon gronde effroyablement et ce que ça doit chauffer là-haut!

Comment vais-je retrouver le bataillon et ma compagnie; et dire que je n’y étais pas. J’en suis honteux et ne sais comment je vais me présenter aux camarades. A bientôt de mes nouvelles. Ne t’en fais pas trop et espérons en Dieu.

Ton fils qui t’aime beaucoup et t’embrasse ainsi que Tante Marie-Louise.

2 juillet

Vais avec le ravitaillement et rejoint ma compagnie dont je prends le commandement. Nous sommes au camp de Verrières, peu marmité. Un cycliste de Jean m’annonce l’arrivée de Jean pour le lendemain. Quelle veine.

Je recommence les numéros, car je ne sais plus où j’en suis (lettre n°1 envoyée avec un point d’interrogation!).

J’ai retrouvé mon nouveau régiment et mon ancien bataillon en 2° ligne et comme je te l’ai dit, assez éprouvé. Le commandant Millet est tué (coupé en deux par une torpille). Le capitaine Laferrière, si grièvement blessé qu’on le dit mort (bruit qui n’est pas confirmé). Le capitaine Martin a une jambe cassée. Le régiment a soutenu victorieusement une attaque allemande et s’est battu au couteau et à l’arme blanche.

Nous sommes bien au réduit d’A. (Avocourt) près de Jean dont j’ai eu des nouvelles hier par un de ses hommes. Il est à 10 km en arrière et ne risque rien pour le moment.

Quant à moi, je commande la Compagnie puisque le plus ancien. On ne parle pas de m’enlever ce commandement. Dans un secteur comme celui-ci, c’est une bien grosse responsabilité, je t’assure. Le Bataillon est commandé par un jeune lieutenant qui lui aussi est effrayé de cette responsabilité, mais qui est le plus ancien de nous tous et qui fera, comme moi, son devoir.

Quelle différence avec La Rochelle si calme! Nous allons remonter aux 1° lignes dans 3 jours.Prie pour nous tous.

Fouché, légèrement blessé est évacué. Je n’ai plus comme chef de section qu’un tout jeune sous-lieutenant, un adjudant et Mörch qui, d’ailleurs a eu une jolie conduite et que je vais tâcher de faire citer (n’en parle pas encore chez lui).

Le voyage s’est bien effectué, mais fatiguant par suite de la chaleur et des mille difficultés que l’on rencontre. Mimi est en très bonne santé, ses enfants aussi. Ils te remercient tous de tes langoustines et doivent t’écrire.

Au revoir, chère Maman, bonne santé et tâche de te guérir. Ne te fais pas trop de mauvais sang pour moi. Excuse mon écriture, mais je ne suis pas dans un bureau!!..................

3 juillet

Verrières. Arrivée de Jean qui déjeune avec nous. Toujours le même, plein d’entrain. Il me quitte à 4 h. du soir. Occupations diverses. Temps horrible, boue épouvantable. Orn tué à la compagnie par un accident de grenade. Lieutenant Lestrade blessé à l’oeil.

J’ai eu, ce matin, le grand bonheur de voir arriver Jean à notre bivouac. Nous avons déjeuné ensemble sous une pluie battante et avec un confortable très douteux. Inutile de te dire que nous étions bien heureux malgré tout. Tous les deux d’ailleurs, nous allons très bien et sommes gais.

Je te quitte pour laisser un peu de place sur cette carte où Jean veut t’écrire quelques mots..............

« Ma chère maman,

Retrouvé Georges ce matin. Nous nous réunissons dans une même pensée pour vous embrasser de tout coeur.

Dr Chagnaud »

4 juillet

Verrières. Installation de fortune sous la tente, peu agréable par ce temps!

Rien de nouveau depuis hier. Toujours en 2° ligne et pas au danger. Nous remontons aux tranchées demain soir. Je m’étonne qu’on me laisse si longtemps le commandement de la Compagnie.

Encore sous l’heureuse impression causée par la visite de Jean qui est un type à enlever le cafard en 5 minutes à un Corps d’Armée, par son entrain!

Le capitaine Laferrière n’est pas mort et va aussi bien que possible. Tant mieux. Pas de nouvelles du capitaine Martin.

A demain une plus longue lettre..................

5 juillet

Verrières. Temps épouvantable. Visite de Jean. Départ le soir pour le réduit d’Avocourt sous une pluie d’orage. Relève dans les boyaux où l’on enfonce jusqu’aux fesses. Pas d’incidents. Nuit calme, mais nous sommes littéralement trempés extérieurement et intérieurement.

Je viens de recevoir et de donner des ordres pour la relève de ce soir. Je suis prêt et dans deux heures nous allons partir pour là-haut. D’après les tuyaux, les Boches ont été calmés depuis quelques jours et nous allons peut-être être très tranquilles. En tout cas nous serons sales, cart il a plu continuellement depuis 3 jours et nos bois sont épouvantables. Les routes sont des sortes de rivières ou d’étangs suivant le degré de leurs pentes et l’on y enfonce jusqu’aux genoux sans exagération (demande à Jean). Quant aux boyaux que nous allons suivre, il parait qu’il est impossible de les décrire.

J’aurai pendant ces 6 jours de tranchées beaucoup à faire et ne t’écrirai que des mots très courts. Ne sois donc pas inquiète. Je te donnerai des détails au retour.

Tu sais que Jean est revenu me voir! Sa visite a été un peu gâtée par un accident de grenades survenu une heure avant. J’ai eu 1 tué et 1 blessé à ma compagnie et pendant la visite de Jean, j’ai été prononcer quelques paroles à son inhumation.

Jean est revenu à cheval ce matin mais, très pressé n’est resté que 1/2 heure. Ils sont tout près de nous et je compte le voir de temps en temps. J’ai reçu ce matin ta lettre du 2 juillet. Merci. Rien encore de Madeleine.

Le colonel de Latour du 234 est un homme charmant et avec lequel on peut causer plus librement qu’avec le colonel Delon. Nous avons causé longuement. Il me laisse jusqu’à nouvel ordre le commandement de la compagnie. C’est un honneur, mais c’est rudement délicat par ici! Enfin, jusqu’à présent pas trop d’ennuis.

Le capitaine Laferrière et Fouché vont le mieux possible. Nous en avons reçu des nouvelles hier.

J’espère que tu vas te rétablir rapidement à la campagne. Donne-moi bien des nouvelles de ta santé.

Vu à l’instant Basset de retour de permission seulement maintenant. Il est moins sémillant qu’à La Rochelle.

Au revoir chère Maman et bonne santé. Embrasse Tante et les cousins bien affectueusement de ma part.............

6 juillet

Réduit d’Avocourt. Tranchées dans un état épouvantable. De la boue jusqu’au-dessus du genou. Journée cependant très calme. Travaux pendant la nuit. Nous pataugeons à 8 à 10 mètres des Boches.

Nous voici donc arrivés à ce fameux bois d’A. (Avocourt)) et face à face avec les Boches. Comme te le dit avec beaucoup d’humour mon ami Edouard, nous avons eu un temps épouvantable et sommes dans la boue jusqu’au cou. J’étais modeste hier en te disant qu’on avait de l’eau jusqu’au genoux dans certains boyaux. Cette fois, mon revolver lui-même en a pris et il a baigné dans l’eau, c’est te dire que le porteur n’était pas très sec.

Le temps rend les Boches plus sages, et je ne les vois attaquant dans des boyaux contenant 1 mètre d’eau et de boue, mais jamais nous n’en avons été si près (6 et 8 mètres). Les mêmes boyaux communiquent et de simples barrages nous séparent.

Malgré cette eau, nous sommes très gais et Edouard et moi, écrivons tous les deux une lettre double qui vous montrera combien il est bon dans ces circonstances pénibles de sentir à coté de soi un vrai ami. Je te quitte, car il est très tard. J’ai plusieurs lettres à faire. Embrasse Tante Marie-Louise et Jacques pour moi............

« Chère Madame,

Excusez-moi de la liberté que je prends de vous écrire ainsi, mais me trouvant avec Georges, dans un trou sous trois pieds sous terre, nous avons décidé d’écrire chacun à nos mamans.

Pour rejoindre de superbe domaine, nous avons eu hier soir une route des plus pénibles à faire. D’abord une pluie abondante, ensuite la route et les boyaux devenus de véritables rivières et par moments nous tombions dans les trous d’obus et chacun à notre tour, nous rions réciproquement de nos malheurs. Dans certains boyaux nous avons eu de l’eau jusqu’à la ceinture et il était assez risible de nous voir la dedans, ce brave Georges avait sa musette qui flottait, ainsi que sa capote.

Nous espérions trouver un abri en arrivant mais au contraire, il pleut comme dehors, malgré tout cela nous rions et nous disons ensemble: « si ces bonnes mamans nous voyaient, elles seraient éplorées sur santé de leur fils. »

Malgré cela la santé est bonne et je tiens à vous dire, Madame, la profonde admiration que j’aie pour Georges qui remplit si bien la tâche pénible de commandant de compagnie. Il fait l’admiration de tous et on peut être fier d’avoir un pareil ami.

Je vous prie, chère Madame, de vouloir bien accepter mes hommages les plus respectueux.

Edouard Mörch »

7 juillet

Réduit d’Avocourt. Temps épouvantable, mais journée calme pour nous. Les cotes 287 et 304 encaissent dur.

Rien de nouveau depuis hier. Journée relativement calme, mais toujours de l’eau, de la boue jusqu’au-dessus du genou. Six jours de pieds complètement trempés seront durs à passer, je t’assure et je plains bien les hommes encore plus mal que moi.

Reçu aujourd’hui une lettre de Mad. contenant des photos de temps de ma permission. Elles sont bonnes, mais quel contraste!!!....................

8 juillet

Réduit d’Avocourt. Mr Strohl vient prendre le commandement de la compagnie! Journée encore relativement calme, mais toujours un temps et une boue épouvantables.

Toujours de la pluie, le niveau monte dans nos tranchées et je me demande comment nous allons faire si ce temps continue. Ce matin attaque à notre droite immédiate, les Boches ont pris un élément de tranchée que nous leur avons repris. Personnellement, ils ne nous ont pas attaqués mais il fallait voir les grenades voltiger d’une tranchée à l’autre!

Je ne suis plus commandant de compagnie, on a envoyé un lieutenant. Devine qui? Mr Strohl, celui que tu as en photo et qui est si gentil pour moi. J’en suis enchanté à tous les points de vue car cela m’ôte de gros soucis, et me met sous les ordres immédiats d’un homme aimable, instruit, etc..., etc...

Ces pauvres blessés n’ont plus figure humaine quand on les emporte. Certains tombent dans des boyaux qui ont 80 cm d’eau et disparaissent sous la boue. Il est grand temps quelquefois de les relever. Mais les blessures se salissent. C’est affreux de voir chose pareille. Aucun de nous n’avait vu semblable saleté et j’aurai bien cru impossible l’existence dans ces conditions. Et pourtant nous rions, et pourtant les hommes ne rouspètent pas trop et Dieu sait s’ils en voient. C’est merveilleux après deux années de guerre.

J’attends avec impatience une lettre de toi, depuis mon départ je n’ai que ta petite carte du 2 juillet. Soigne-toi bien et profite tant que tu pourras de ton voyage à la campagne. Jean ne compte pas venir en permission avant les premiers jours d’Août, tu as le temps, j’espère, de te remettre complètement. En tout cas tiens-moi bien au courant de ta santé.

Je te quitte en te priant d’embrasser bien affectueusement ton entourage...............

9 juillet

Réduit d’Avocourt. Journée calme. Temps horrible. Nervosité pendant toute la nuit.

Rien de nouveau depuis hier. Journée assez calme mais toujours dans l’eau et la boue jusqu’au ventre. Bonne santé, les pieds commencent à faire mal et plusieurs homes sont évacués de ce fait, mais « ça se tassera ».

Bons baisers à vous tous au Château Queyron................

10 juillet

Réduit d’Avocourt. Le temps est plus beau et la journée est plus agitée. Les 2 artilleries tirent beaucoup. Le soir, vers 7 h., ils nous envoient une vingtaine de torpilles. Ravage énorme où elles tombent. Coups de canon toute la nuit.

J’ai reçu hier et ce matin les 2 lettres n°2 et 3. Merci de tes bonnes nouvelles. Continue à te bien soigner pour être vite rétablie.

Aujourd’hui, la journée a encore, Dieu merci, été à peu près calme, sauf au lever du jour où les Boches ont fait un simulacre d’attaque, sans sortie de leur part.

Madeleine m’a écrit un mot très affectueux encore aujourd’hui, nous sommes en grande correspondance. Elle ne savait pas encore mon entrevue avec Jean et doit en être ravie car j’ai donné à son mari des nouvelles fraîches de la mère et de la fille.

Fouché m’a également écrit, il est presque rétabli; quant au capitaine Laferrière, il est à Lyon et va aussi bien que possible. Encore la journée de demain et nous serons, nous irons en arrière dans les bois, probablement au même endroit, et j’espère bien y rencontrer encore Jean. Si cette journée se passe comme les 5 premières, nous n’aurons pas eu trop de mal cette fois-ci, 2 ou 3 morts et une dizaine de blessés.

Le lieutenant Strohl, à qui j’ai passé toutes les consignes de la compagnie et du secteur, est toujours le même homme du monde correct et aimable. Inutile de te dire qu’il est au mieux avec Mörch qui, entre nous soit dit, est un peu « peloteur » (demande à Tante M.L. la signification du mot si tu ne le comprends pas!!!)

Je n’ai pas encore eu le temps d’écrire à Loulou, je compte le faire dès que nous serons en 2° ligne. Rien de nouveau à te dire pour le moment. Nous sommes toujours aux aguets et, si près, nous nous méfions les uns des autres, comme tu le penses.....................

11 juillet

Vers 4 h. le tir augmente d’intensité et devient véritable préparation d’artillerie (obus, torpilles, etc..). Vers 5 h.1/2, l’artillerie diminue, quelques Boches sortent de leurs tranchées, mais nous les chassons à coup de grenades. Combat de grenades pendant 1 h. environ puis calme. Perte: 5 tués, 16 blessés.

Le soir vers 10 h., relevés par le 206, nous gagnons le camp de Verrières sans incidents.

Cette carte est en réalité du 12, car il est 3 h. du matin, mais elle t’arrivera aussitôt car nous venons d’être relevés et j’attendais d’être en sûreté pour te prévenir tout de suite.

Notre 6° et dernier jour n’a pas été comme les autres. Après une très violente préparation d’artillerie qui a duré toute la nuit, les Boches ont déclenché sur le réduit une attaque précédée de liquides enflammés (le communiqué t’en parlera probablement demain). Le 234 a été très chic et les a chassés à coups de grenades. Je t’écrirai cet après-midi plus longuement, mais je vais prendre du jus et me coucher, car je suis bien fatigué, je t’assure, après une relève un peu tourmentée.................

12 juillet

Verrières. Mauvais temps. Corvées diverses pour les hommes. Repos. Nous avons un nouveau chef de Bataillon: Mr de Roll: Adjudant-Major, Capitaine Duverdier.

Ce matin m’attendait dans mes bois, ton mot n°4 de Bordeaux et ce soir, je viens de recevoir ta lettre n°5.

Comme te l’a dit ma carte de ce matin, nous avons été relevés après 6 jours de tranchées. La dernière journée a été chaude et nous avons été attaqués par ces sales Boches avec tous leurs procédés nouveaux: liquides enflammés, torpilles, grenades, mitrailleuses, sans compter ces vieux obus que nous connaissons de longue date. Inutile de te dire qu’ils ont été chassés comme des malpropres et sans beaucoup de pertes de notre part.

Maintenant nous revoici pour 6 jours au camp de V. (Verrières) où Jean est venu l’autre fois et où je compte bien le voir revenir un de ces jours. Le temps est douteux, et pourtant nous voudrions bien avoir un beau soleil qui nous sécherait et nous réchaufferait. Nous en avons besoin car il y a plusieurs hommes évacués pour « pied des tranchées », sorte de pied gelé, comme en hiver.

Merci des amitiés des différentes Tantes que tu as vues à Bordeaux. Merci à Tante Isabelle de ses recommandations à ce général qui probablement ne seront pas très efficaces. Enfin, on ne peut jamais savoir.

Le capitaine Ney est évacué pour coup de fouet dans la cuisse. On ne sait quand il reviendra. Quant à de Lignerolles, il est affecté au 234, mais reste à la compagnie de dépôt qui est à une vingtaine de kilomètres en arrière.

Je suis bien content des nouvelles que tu me donnes de toi. Continue à te bien soigner. Mad. m’écrit souvent et je sais qu’elles vont bien et qu’elles se baignent.

Au revoir, chère Maman. Ici, je ne t’écrirai peut-être pas tous les jours, mais sois sans inquiétude......................

13 juillet

Verrières. Je reçois la visite de Jean qui me promet de revenir le lendemain déjeuner avec nous.

Deux mots simplement pour te dire que tout va toujours bien depuis hier.

Jean est encore venu me voir ce matin, mais n’est resté que quelques minutes, il fera son possible pour venir déjeuner demain matin avec nous, mais son médecin-chef est revenu et il va devenir moins libre. Dommage, car nous sommes mieux installés et il aurait été reçu d’une façon digne pour fêter le 14 juillet. Enfin, rien n’est encore perdu.

En me promenant ce soir, j’ai été voir avec Mörch, Franck Faustin qui est aspirant à la 21° de ce régiment. Il va bien et est un beau garçon mais il a une tendance à trop grossir, je trouve. Il t’envoie ses respects. Là-dessus, je te quitte car je vais me coucher.

Bons baisers à tous à Quinsac................

14 juillet

Verrières. Déjeuner avec Jean, puis exercice de grenades. Jean vient avec nous. Rencontre du Dr Ferron.

15 juillet

Verrières. Journée fastidieuse et ordinaire dans la boue et sous la pluie.

Je reçois à l’instant ta lettre n°7 dans laquelle tu m’accuses réception de mon numéro 7 à moi, mais je m’aperçois que je n’ai pas reçu de lettre n°6 de toi et en effet tu ne me parles pas ici de la lettre collective de Mörch et de moi datée du 6-7 et portant le n°6. La tienne s’est donc égarée, mais la nôtre? Tu seras gentille de lui écrire un petit mot, cela lui fera un grand plaisir, si je me base sur la joie que me ferait à moi, une lettre de sa mère.

Le 13, Jean est venu me voir, je te l’ai déjà dit, il est venu ensuite déjeuner avec nous le 14, hier et a fait ainsi la connaissance de Mr Strohl. Son médecin-chef est revenu et il allait le soir même rejoindre son bataillon. Il compte maintenant sur sa permission pour le 10 août. Sa visite a été gênée par un exercice de grenades que j’avais à faire après le déjeuner car tu sais que j'ai l’ennui d’être officier grenadier du bataillon. Dans un secteur comme le nôtre où l’on ne se sert presque que de cette arme, j’ai beaucoup à faire.

Nous remontons demain soir toujours au même endroit, et nous voyons avec désolation le mauvais temps continuer, et la pluie ne pas nous quitter, ce qui nous promet encore de bons bains de pied!

Rien de nouveau à part cela. Jean et moi, sommes bien contents de nous voir de temps en temps, mais maintenant qu’il sera aux avant-postes de son côté et moi du mien, nous aurons beaucoup moins d’occasions. J’ai de bonnes nouvelles des 2 Mad car tantôt l’une, tantôt l’autre m’écrivent et sont très gentilles avec moi.

Je te quitte car on va se mettre à table. Je suis ennuyé de ne pas avoir cette lettre n°6, enfin elle viendra peut-être avec du retard. Que m’y disais-tu?....................

16 juillet

Verrières. Nous avons un jour de repos en moins pour que tous les bataillons soient relevés en même temps. Départ à 8 h. pour le même endroit. Relève sans incidents.

Avant de prendre mon « Kolossal » bain de pied, je viens te dire quelques mots. Rien de nouveau depuis hier, le temps est peut-être un peu moins mauvais.

Nous allons donc voir si nos voisins d’en face ont encore des torpilles, grenades, du « thé chaud », etc................

17 juillet

Réduit d’Avocourt. Le beau temps à l’air de revenir. Journée assez calme sauf quelques torpilles dans la soirée. Travaux à la lisière Est.

Voila déjà une journée que nous sommes aux tranchées. Nous les avons trouvées dans le même état, c.a.d. aussi défoncées par les obus et aussi remplies d’eau et de boue. Nous continuons donc à nager et à barboter. Cette nuit règne une petite agitation dans notre secteur. J’aime à croire que cela va s’apaiser.

Bonnes nouvelles des 2 Madeleine qui m’écrivent assez souvent. J’espère que vous allez tous bien à Quinsac. Pas de nouvelles de Jean C. depuis le 14, jour où il est venu, je te l’ai dit, déjeuner avec nous..............

18 juillet

Réduit d’Avocourt. Calme sauf quelques torpilles. Travaux et Sapes. 3 morts, 5 blessés.

Ta lettre n°8 du 14 juillet, reçue ce matin ne me parle encore pas de ta lettre de Mörch et moi, et je suis de plus en plus ennuyé de la perte de ta lettre n°6. Quelle sale poste nous avons et qui met du temps, je trouve, à transmettre nos lettres! Il me semble que cela allait plus vite autrefois.

Rien de nouveau depuis hier soir. La petite agitation dont je te parlais, venant de ce que les Boches avaient voulu surprendre un petit poste avancé d’une compagnie voisine. Ils n’ont pas réussi et le calme relatif est revenu dans notre secteur.

Nous en profitons pour arranger nos tranchées et boyaux et faire des équilibres avec des tas de boue qui à la première pluie ou au premier obus dans le voisinage, s’écroulent et comblent le passage. Alors on recommence etc..., etc... Tu vois la vie intéressante que nous menons dans cette vase continuelle. Au moment où je t’écris, la pluie recommence à tomber. C’est navrant, en 18 jours, c’est notre 16° jours de pluie. Quel mois de juillet!!

Et vous, avez-vous beau temps au moins? Est-ce que vous pouvez vous promener de temps en temps? Te reposes-tu? Ou suis-tu toujours ce régime de légumes bouillis et de bouillies multicolores. Tâche d’être guérie pour la permission de Jean qui ne peut tarder, je pense (vers le 10 août).

Puisque tu calcules pour me suivre par la pensée, ce dont je te suis bien reconnaissant, je te dirai que nous sommes ici pour 6 jours et que le 2° se terminera dans quelques heures. Calcule donc. Au moment où tu recevras cette lettre, je serai bien près de la relève et du repos pour 6 autres jours.

Ce que tu me dis de Mme Tetlow, ne m’étonne pas. Elever son enfant abîmerait son beau corps de statue, et elle ne pourrait plus jouer au tennis ou se décolleter sans mettre de corset, ce qu’elle faisait toujours quand j’étais chez elle! Quelle jolie et aimable femme tout de même! C’était le bon temps!!!

..................

N’oublie pas d’embrasser mon joli petit cousin Jacques...........

19 juillet

Réduit d’Avocourt. Quelques torpilles et grenades. Travaux et Sapes. 2 morts, 3 blessés.

Deux mots seulement pour te dire que tout va bien toujours...mais ce n’est pas la faute des Boches qui nous arrosent de torpilles d’une façon scandaleuse: Hier 3 morts et 5 blessés. Aujourd’hui 2 morts, 3 blessés et tous les jours c’est la même chose... quand ils n’attaquent pas. Enfin!

Ce qui fait qu’ils sont excités, c’est d’abord qu’on les agace par du torpillage et des grenades, ensuite que le temps! enfin!!! se met au beau ce qui nous rend gais et souriants malgré les circonstances plutôt graves (Mr Strohl est vraiment de plus en plus un « copain » épatant).

Le courrier va partir aussi j’abrège ma lettre qui, j’espère, vous trouvera tous en bonne santé.

Les cochons de Boches m’ont démoli un petit ouvrage que j’avais construit la nuit dernière et auquel j’avais donné tous mes soins. Deux torpilles, en plein dessus, l’ont complètement fait disparaître. Ah! les rosses, demain matin je vais les arroser de grenades pour les apprendre à vivre..........

P.S. Et ma lettre commune avec Mörch? L’as-tu reçu? Ce dernier t’envoie ses respects (Quel gosse agaçant!!!).

20 juillet

Réduit d’Avocourt. Temps superbe. Quelques torpilles, grenades, mais tirs violents d’artillerie de notre part. 15 blessés. Travaux à la tranchée de doublement. Jeux de cartes!

Rien de sensationnel depuis hier. Bombardement ordinaire du secteur et vie normale.

Reçu ce matin ta longue lettre n°9 du 16-7. Merci. Tu m’y donnes des détails sur votre vie et, malgré ce que tu en penses, ce qui vous touche m’intéresse beaucoup. Les petites font bon ménage et m’envoient souvent de leurs nouvelles.

Au revoir, chère Maman, baisers affectueux ainsi qu’à Tante et Jacquot............

21 juillet

Réduit d’Avocourt. Temps superbe. Torpilles. 1 mort, 1 blessé. Jeux de cartes! Travaux et Sapes.

Aujourd’hui encore marmitage et « torpillage » soigné et jet de liquides enflammés (thé chaud). Heureusement pas de morts mais 15 blessés dont 2 seulement grièvement atteints.

Le beau temps règne maintenant d’une façon continue depuis 3 jours. Nos boyaux sèchent, nos travaux tiennent debout, enfin la vie devient un peu plus agréable, ou tout au moins, moins « lassante » que dans la boue jusqu’au ventre.

J’ai reçu, hier, une longue lettre de Mad. du Sault, écrite d’une façon humoristique et très fine. Mad. Chagnaud y a ajouté quelques mots. Elles se taquinent beaucoup mutuellement, mais on voit qu’elles s’entendent très bien.

Quant à nous, nous continuons à être gais dans notre poste de commandement qui retentit de nos chants (Mr Strohl et moi), mais au moment où les torpilles ne tombent pas. Demain soir nous serons relevés et comme l’autre fois, je ne t’écrirai maintenant qu’une fois arrivé au camp. (repos pour 6 jours).................

22 juillet

Réduit d’Avocourt. Toujours des torpilles et des grenades, sans grande importance. Travaux et Sapes. Nous sommes relevés par le capitaine Mörch (206) et allons à Verrières sans incidents.

Comme l’autre jour, il est 3 h. du matin (23) et nous sommes relevés. Tout s’est bien passé et nous voici au camp pour quelques jours de repos. Reçu hier ta lettre n°10 et une lettre de Jean qui est retourné à son bataillon qui, dit-il, entend les mêmes obus que moi, mais qui n’espère pas venir me voir cette fois-ci, se trouvant aux avant-postes lorsque je suis au repos. Enfin nous ferons notre possible......................

23 juillet

Verrières. Nous nous reposons un peu par un temps superbe. Corvées diverses.

24 juillet

Verrières. Je vais à Récicourt accompagner une corvée pour réparer l’abri du général de division, incendié la nuit par un obus. Je déjeune avec le colonel directeur d’artillerie. Vu Lesueur.

25 juillet

Verrières. J’ai la surprise de voir arriver Jean avec un capitaine du 91. Il a été relevé prématurément et se trouve à Brabant-en-Argonne où je vais le voir, le soir, en vélo. Ecouté la musique du 91, vu Mr Montmain et les amis de Jean. Retour vers 22h.

Au moment où je t’écris, je viens de quitter Jean qui, à ma grande surprise, est venu me voir ce matin avec un capitaine du 91°. Il a été relevé bien avant la date à laquelle il s’y attendait et cantonne dans un village qui est si près de mon camp qu’il m’a invité à dîner. Je vais donc demander la permission d’y aller tout à l’heure, mais je voulais t’écrire avant, car voilà déjà deux jours que je n’ai pu le faire.

Merci de tes lettres 11 et 12 reçues dernièrement. Malgré ce que tu me dis, je n’ai pas encore reçu ta lettre n°6 et Mörch n’a pas reçu non plus la lettre que tu lui écris le même jour. N’aurais-tu pas oublié de les mettre à la poste, Enfin, peu importe puisque j’ai des nouvelles plus récentes maintenant.

Nous avons du beau temps depuis 5 ou 6 jours et nous en sommes tous très joyeux. Aujourd’hui, cependant, le temps est plus sombre quoique sans pluie. Tu me demandes qui commande la compagnie. Mais c’est Mr Strohl, ce dont je suis bien content. Je croyais te l’avoir déjà dit.

Ne t’occupes pas pour mon manteau, je comptais en effet m’en acheter un chic pour cet hiver, et dès que je serai dans un pays civilisé, je ferai cet achat.

Hier, j’ai été commander une corvée de construction d’abris pour le Général de Division et j’ai déjeuné avec le Colonel directeur d’artillerie, homme très aimable et qui m’a donné des tuyaux très intéressants sur le secteur Boche en face de nous. La santé et le moral, comme tu le vois, sont toujours bons, ne t’inquiètes donc pas outre mesure, et embrasse ton entourage de tout coeur de ma part....................

26 juillet

Verrières. Lancement de grenades avec la 13° compagnie. Jean vient déjeuner avec nous. Bridge, puis repart à 15 h. C’est probablement la dernière fois que je le vois ici.

Merci de ta lettre n°13, reçue hier soir. Entre parenthèses Mörch a reçu également celle que tu lui as écrite, t’en remercie, te répondra prochainement et te présente ses respects.

Je t’écris aujourd’hui surtout pour te dire que j’ai été hier à B. en A. (Brabant-en-Argonne) voir Jean à son cantonnement de repos. J’y ai été très bien reçu naturellement, ai vu ses meilleurs amis sauf cependant le capitaine Lambert qui était en ligne. La musique du 91° a donné une aubade et, à mon intention, Mr Montmain a aimablement ajouté à son programme la marche et le chant du 91°. Très chic.

Jean est venu à son tour, ce matin, a déjeuné avec nous, puis a fait, avec nous, une partie de bridge dans laquelle je n’ai pas brillé et m’a quitté en m’embrassant chaudement, car c’est probablement la dernière fois que nous nous voyons dans ce secteur, Jean prévoyant d’ici peu une relève de son régiment et de son corps d’armée.

D’autre part, tout va bien. Je lance des grenades de plus en plus et à tour de bras. Notre cuisinier Archambaud n’est plus avec nous depuis la dislocation de notre régiment et je regrette de ne pouvoir donner à Tante Marie-Louise la recette de l’excellent gâteau macaroné.

Soigne-toi bien. Je suis ennuyé de cette entérite invétérée qui ne veut te lâcher. Espérons que ce brave Mr Guillemin te le fera disparaître. Décidément ta lettre n°6 est perdue ainsi que celle de Mörch. Tant pis, n’en parlons plus.

Je t’embrasse bien affectueusement ainsi que Tante et Jacques...............

27 juillet

Verrières. Temps splendide. Concours de grenades. Travaux divers. Visite du général Prax.

28 juillet

Verrières. Préparation pour la relève. Vu P. Combaud. Le soir relève sans incidents.

Au moment où je pars là-haut, je t’écris quelques mots pour te dire que tout va toujours bien et que le moral est bon. Je compte bien d’ailleurs m’en tirer comme les autres fois. A part les torpilles, ce secteur m’a l’air de se calmer....

29 juillet

Réduit d’Avocourt. Temps superbe. Journée assez calme sauf quelques mines qui blessent plusieurs hommes. Travaux le soir vers la lisière Est et Sapes.

Notre première journée s’achève et s’est passé dans de bonnes conditions. Calme presque complet des deux cotés.

J’attends une lettre de toi cette nuit, car je n’avais rien hier. Je te souhaite de te rétablir promptement et de te porter aussi bien que moi en ce moment. Jean m’a trouvé une mine excellente..................

30 juillet

Réduit d’Avocourt. Toujours des grenades et des torpilles. Travaux et Sapes.

J’ai reçu, cette nuit, ta longue lettre n°14 dont je te remercie beaucoup. Ces migraines trop fréquentes sont vraiment bien ennuyeuses et tu devrais profiter de ton séjour aux environs de Bordeaux pour voir un médecin encore plus « calé » que Mr Guillemin, un spécialiste. S’ils sont mobilisés, il doit certainement y avoir, parmi les médecins militaires des nombreux hôpitaux de la ville, une célébrité quelconque. Enfin, d’une façon ou d’une autre, soigne-toi bien et le plus radicalement possible.

Je vois que tu te distrais et vois des personnes amies et aimables; tant mieux, mais voilà 2 ou 3 fois que tu me parles d’une dame Juclier que tu n’as fait que nommer et je n’en ai jamais tant entendu parler, pas plus que sa fille.

Puisque tu comptes rentrer à La Rochelle vers le 4 ou 5 août (entre parenthèse, tu me préciseras ton retour pour mes lettres) j’attendrai ce retour pour t’envoyer un mandat de 200 francs inutilisables pour moi dans mon luxueux réduit. Tu les joindras aux autres, en attendant que je puisse les dépenser un jour!

Ton projet d’un mois à Ruelle et d’un mois à Quinsac, après la permission de Jean, est approuvé hautement par ton fils. La dernière fois que j’ai vu Jean, nous avons beaucoup parlé de vous toutes, car c’est probablement fini, hélas! ces petites rencontres, Jean pensant être relevé d’un jour à l’autre. Pour l’instant, il ne m’a encore rien dit, ni écrit de précis et se trouve toujours quelque part à ma gauche immédiate.

Le temps se maintient au beau fixe et il fait même très chaud. Nos boyaux et tranchées sont secs et s’y promener était une corvée était une corvée si pénible autrefois, avec de l’eau jusqu’aux genoux. Ca devient notre promenade d’après les repas maintenant, quand les grenades et les torpilles ne tombent pas trop dru. Mon petit costume en toile bleue me rend service par cette chaleur, je suis bien content de l’avoir.

Mörch va toujours bien et est toujours aussi élégant. Même dans les tranchées de 1° ligne, il a un costume à la dernière mode, du drap le plus chic et toujours neuf. Que de dépenses inutiles! Je t’ai dit qu’il avait reçu ta lettre. Tu dois savoir qu’il est, depuis peu , oncle d’une grosse fille (Françoise).

Mes meilleurs baisers à Tante Marie-Louise à qui j’écrirai demain et à Jacquot. Prends-en ta bonne part...............

P.S. Ci-joint une vieille photo, retrouvée dans la cantine d’un camarade. Elle date de l’heureux temps où nous étions sur les péniches.

31 juillet

Réduit d’Avocourt. Marmitage un peu plus violent mais pas d’attaque.

1 août

Réduit d’Avocourt. Journée calme. R.A.S.

Rien de nouveau ici depuis hier. Je vais toujours aussi bien que possible. Le secteur est un peu agité en ce moment, mais rien cependant d’extraordinaire...............

2 août

Réduit d’Avocourt. Plusieurs torpilles qui blessent des hommes de la 18° compagnie. Travaux au nouveau boyau vers le Point C.

Cela devient assommant. Après ta lettre n°14, je reçois ta lettre n°16. Pas de lettre n°15!! de sorte que hier encore je t’ai écrit à Quinsac. Enfin j’espère que tu ne seras pas trop longtemps sans nouvelles de moi tout de même. Et Loulou, que devient-elle? Tu as du me dire tout cela dans cette lettre perdue. C’est idiot!

Ici, rien de nouveau; comme les autres fois, ma prochaine lettre sera écrite une fois la relève terminée, car nous partons demain toujours pour le même camp...................

3 août

Réduit d’Avocourt. Travaux et Sapes. Nous sommes relevés toujours par le capitaine Mörch.

Me voici arrivé au camp de V. (Verrières), complètement en nage avec cette chaleur! Entre 2 gorgées de jus bien chaud, je t’écris ces quelques mots pour t’avertir que je ne suis pas encore mort pour cette fois.

Me voici bientôt avec 2 ans de campagne sur le dos et 3 brisques sur les bras? Sain et sauf. Espérons que cela continuera..............

4 août

Verrières. Hier, relève sans incidents. Nous nous reposons toujours dans la même petite baraque.

Je pense bien qu’à l’heure actuelle, tu es maintenant tout à fait installé chez toi et attendant Jean avec une impatience bien naturelle. Ce dernier ne m’a donné signe de vie ni par sa présence, ni par ses lettres depuis le jour où il est venu déjeuner ici, je ne sais dons pas où il est, ni s’il y a du retard dans sa permission, ce que je ne souhaite ni pour lui, ni pour vous.

Je viens de recevoir à l’instant ta lettre du 31/7 n°17. Le n°15 est définitivement perdu. Il n’y a rien que je déteste comme ces pertes de lettres. Je suis très maniaque à ce point de vue là. Je voudrais bien savoir si Loulou t’a remplacé à Quinsac ou si elle prolonge son séjour à La Rochelle. Enfin, je compte sur une lettre d’elle prochainement.

Quant à nous, comme te l’a indiqué ma lettre d’hier ou plutôt de ce matin, nous sommes au repos après un séjour aux premières lignes. Ce stage de 6 jours a été plus calme au point de vue torpilles, mais à chaque instant c’était des petits engagements à la grenade qui chaque fois nous coûtaient des hommes. Les blessures de ces grenades sont vraiment terribles et vous déchiquettent radicalement tellement il y d’éclats!

Rien de nouveau à part cela. Pas de victimes que tu connaisses. Le capitaine Ney est revenu parmi nous, complètement rétabli. Neveux va très bien, mais a perdu son beau-père (que j’avais vu à Paris) ce qui l’ennuie beaucoup étant donné l’état de sa femme. Fouché m’a écrit dernièrement, me disant qu’il a eu une rechute et qu’il est évacué à l’intérieur. Je crains bien qu’il soit perdu pour le régiment. Le capitaine Laferrière donne toujours de ses nouvelles. Il va bien. Mörch, de Lignerolles sont en très bonne santé. Enfin aucune nouvelle sensationnelle à t’apprendre.

Les communiqués sont bons? Ca va bien de l’autre côté de la M. (Meuse). « On les aura », non « on les a ».

Je te quitte en t’embrassant bien affectueusement ainsi que Mad., le Muguet et Loulou si elle est toujours avec vous....

5 août

Verrières. Exercice de grenades avec la 14° compagnie. Repos. Trouve et ramené un cheval abandonné.

6 août

Verrières. Repos. Même exercice que la veille pour les grenadiers de la 15° compagnie.

7 août

Verrières. Suis commandé de corvée d’empierrement des routes au Tournant de la Mort et au Camp des Civils. Y vais avec Tourmeret. Je fais du cheval sur une bête que me prête un brigadier d’artillerie.

Je ne t’ai pas écrit ni avant-hier, ni hier, j’espère cependant que tu n’auras pas été trop inquiète puisque tu me sais au repos au camp de V. (Verrières). J’ai reçu depuis 3 lettres de toi: les n°18-19-20. Merci de tes bonnes nouvelles. Je suis bien content que tu sois de nouveau bien installée chez toi. Sais-tu si Loulou a reçu un petit colis contenant un parachute de fusée éclairante et une bague en aluminium? Je l’ai adressé à La Rochelle. Tu seras bien aimable de le lui faire parvenir à Quinsac, dans le cas où il serait arrivé après son départ de La Rochelle.

Mad. est à Paris! Je la vois d’ici se promenant et jacassant avec Mimi. Elles doivent s’en raconter! Et l’arrivée de Jean imminente, Mad. doit être dans le ravissement: c’est presque le meilleur moment de nos permissions que celui où l’on va arriver!

Figure-toi que l’autre jour, j’ai été pris de remords: j’écris à beaucoup de gens, mais je néglige beaucoup trop: l’Oncle Louis, Tante Alice, l’Oncle André, etc..., etc... Je leur ai écrit, ils vont peut-être trouver très drôle et très bizarre, qu’en penses-tu?

Merci des nouvelles de Bouscasse. Peste, les « embusqués » ne perdent pas de temps pour se marier. Quant à Jeanne, je suis bien heureux que cette fois-ci la naissance de son bébé ait réussi. Tu serais bien aimable de me donner son adresse à Bordeaux, sans quoi je lui écrirai à Montauban (adresse que j’ai) pour la complimenter.

Ce pauvre Edouard Mörch vient de m’arriver en pleurs m’apprenant la mort de son cousin germain Maurice Prouteau, tué d’une torpille au 123 (Four de Paris). C’est bien triste pour cette pauvre Madame Hivert!

Tu me demandes ce dont j’ai besoin: de rien sauf cependant une paire de sandales blanches à grands lacets (bains de mer) qui me serviront de pantoufles d’intérieur et d’extérieur par beau temps. Je vais te quitter, car je n’ai plus rien à te dire. Le mandat est commandé et je l’enverrai vraisemblablement demain (300 frs). Madame Mörch m’a aimablement répondu me donnant de très bonnes nouvelles d’Harriet et de son héritier.

Bons baisers au Muguet et félicitations pour sa sagesse avec sa grand-mère quand elle est seule. C’est très bien et l’Oncle Georges est très content...................

8 août

Verrières. Repos. Exercice de grenades avec la 13° compagnie.

Comme je te l’ai dit hier, je t’envoie ci-inclus un mandat de 300 frs à joindre aux autres. Il reste bien entendu entre nous qu’ils sont à toi si tu en as le moindre besoin. Tu n’auras qu’à les prendre et m’avertir.

J’espère qu’au moment où tu recevras cette lettre, Jean sera parmi vous et que mon mot trouvera toute la maison en fête et en joie. C’est bien naturel et je pense bien à vous. Demain 9, nous montons là-bas; j’espère que nous aurons la même veine qu’avant. Rien de nouveau à part cela depuis hier.

Je vous souhaite beau temps et beaucoup d’amusements pendant la permission de Jean qui vous racontera mon installation ici.

Au revoir, chère Maman, embrasse la « famille Chagnaud » de ma part...................

P.S. Je t’annonce 2 petits colis d’ici 2 ou 3 jours.

9 août

Verrières. Repos. Nous nous préparons à faire la relève, mais on parle fortement de la grande relève pour dans quelques jours.

10 août

Réduit d’Avocourt. La relève s’est bien effectuée. Je trouve ma sape très améliorée par le sous-lieutenant Izambart. Ai une couchette épatante. Journée calme.

Aujourd’hui 2 ans, jour pour jour que le régiment a quitté La Rochelle! Et la guerre n’est pas finie, ni près de finir, je crois. Qui l’aurait dit à ce moment là? Enfin cela marche, je crois, mieux que cela n’a jamais marché depuis le début de la guerre: L’armée autrichienne est dans une déroute complète de tous les côtés (le téléphone vient de nous apprendre la prise de Gorizia par les Italiens). Les Russes vont très bien depuis plus d’un mois. Les Français et Anglais se maintiennent sur leurs nouvelles positions dans la Somme. Si seulement des succès déclenchaient la Roumanie, les Bulgares recevraient à leur tour leur « tatouille » et nous verrions peut-être la fin de la guerre avant 1917: ce qui serait une bien bonne affaire. Qui vivra, verra!!

J’ai reçu ta bonne lettre n°21. Moi aussi j’ai répondu hier à une aimable carte que j’avais reçue dernièrement de Madame Mörch. Je lui fais à la fois des compliments et des condoléances.

Nous revoilà aux tranchées depuis cette nuit. On dit!?!? que c’est la dernière fois et que nous nous en irions quelques jours au repos! Nous en serions tous enchantés car nous ne savons plus ce que c’est qu’un village!

Ta famille adoptive va encore s’augmenter et tu vas avoir encore un autre fils: Louis Le Conte!! C’est très drôle en effet, et la guerre fait apercevoir des situations bien bizarres et souvent très délicates. Tu ne m’avais jamais parlé de Mr Coyola, l’ami des Noailles, mais je le connais, ai dîné l’autre jour avec lui et ai causé de choses et d’autres! Si j’avais su, je lui aurais parlé de nos amis communs. Mais je le reverrai. Il est en effet à l’approvisionnement au train régimentaire du régiment, mais avec le grade d’adjudant. Il m’avait semblé fort riche, car il est aussi chic (quant aux uniformes) que notre ami Edouard.

Ta lettre n°15 ne m’est pas arrivée non plus. Elle est certainement égarée. Accuse-moi bien réception du mandat et des petits paquets, je te prie. Achète-moi aussi et envoie-le en même temps que mes sandales, si celles-ci ne sont pas encore parties, un petit coussin en caoutchouc dégonflable et gonflable à volonté à la bouche. Cela me sera très utile. Tu trouveras cela, soit chez Bertin, soit en face de chez Langevin (rue du Palais).

Je me suis fait venir dernièrement de mon tailleur de Nancy, des écussons du 234 et des brisques triples. Il m’a envoyé des brisques anglaises du dernier chic! Tu verras. Je te quitte en vous embrassant tous autant que vous serez, car je commence à m’y perdre. Vous devez être 6 en ce moment de la famille en comptant Louis...........

11 août

Réduit d’Avocourt. La nuit dernière, petit engagement à la grenade du coté de la 18°. Une dizaine d’hommes hors de combat. Journée calme.

Rien de nouveau depuis hier, si ce n’est un petit engagement à la grenade dans la nuit, sans importance. Il y a eu cependant 1 mort et 5 blessés. On parle de plus en plus de la relève: ce serait pour aller au repos aux environs de Ste Menehould puis...... l’inconnu, probablement pas loin d’ici.

Et la permission de Jean. J’attends une lettre de toi cette nuit dans laquelle tu m’en parleras, je pense..............

12 août

Réduit d’Avocourt. Même engagement de nuit à la grenade, au même emplacement. Marmitage énorme et torpillage violent. Vers 7h. les Boches sautent dans nos tranchées; combat à la grenade. La 17° fait 2 prisonniers mais a pas mal de pertes. 4 artilleurs des crapouillots réduits en bouillie.

Reçu hier ta lettre n°22. Ce n’est pas la peine que je te donne des explications sur ce camp de V. (Verrières) puisque Jean est chez toi. Il te donnera tous les renseignements que tu voudras et bien mieux que je ne pourrais le faire par lettre. D’ailleurs, si les bruits qui courent sont vrais, et c’est probable, nous n’y retournerons plus.

Rien de nouveau. Le même petit engagement la nuit dernière et au même endroit que la veille: quelques blessés. J’ai maintenant contre les torpilles un abri de tout repos qui vient d’être terminé hier. Naturellement! puisque nous quittons le secteur! Merci d’avoir fait suivre le colis de Loulou. J’ai oublié de te dire que des 2 colis que tu recevras ou que tu as même du recevoir: celui qui contient le rouleau de serviette est pour toi qui n’as pas eu de bracelet. L’autre contenant un encrier en fusée d’obus est pour « moi ». Garde-le moi avec mes souvenirs.

J’ai envoyé le même bracelet qu’à toi, à Loulou directement à Quinsac. Le petit colis contenait une bague et un parachute de fusée éclairante boche en soie blanche..................

13 août

Réduit d’Avocourt. Journée calme. Travaux et Sapes. Nous nous installons pour manger dans la sape de la 3° division car notre abri n’existe plus: en bouillie par une torpille.

Je te vois encore inquiète si le communiqué parle de nous, ce qui est probable après la petite affaire d’hier au soir. Aussi je viens te rassurer.

Au moment où je cachetais ma lettre d’hier, un marmitage soigné accompagné de jet de torpilles très dense commençait sur notre malheureux petit bout de bois. Après 1 h.1/2 de cet enfer, les grenades ont fonctionné et au milieu d’une fumée, si opaque que l’on n’y voyait pas à trois mètres, les Boches ont sauté dans la tranchée de 1° ligne, mais nos braves types les ont encore chassés en en retenant quelques-uns prisonniers. Nous avons eu pas mal de pertes, car jamais ils ne nous avaient tant bombardés: 11 morts et une trentaine de blessés. Le Général de Division, une fois l’affaire finie, nous a félicité par T.S.F. (toute communication ayant été coupée, naturellement). Aujourd’hui, calme sauf quelques crapouillauds de temps en temps.

L’abri du Commandant de Compagnie où nous déjeunions et dînions ordinairement, mais qui était vide pendant le combat, n’existe plus. Une torpille en plein dessus l’a réduite en bouillie. Notre repas du soir, notre vaisselle, et... tout fichu! Heureusement qu’il n’y avait personne. Je t’ai dit, je crois, que nous avions maintenant fait faire de bonnes sapes de tout repos. Nous avons eu du nez.

Au milieu de tout ce fourbi et de tout ce désordre, j’ai reçu, après l’affaire, ta bonne lettre n°33 qui m’a complètement retapé. Elle m’apprend que vous êtes avec Jean jusqu’à demain dans la tranquille Rochelle. Une lettre de Mimi m’apprend également leur emploi du temps à Paris et l’entente parfaite entre les 2 ménages.

Tu me demandes le nom de mon nouveau Commandant: c’est un ancien capitaine du 206, le Commandant Roll. Connais-tu? Il est vieux mais aimable et poli, très correct, très homme du monde. Je ne sais pas ce qu’il vaut au point de vue militaire?!?!

A partir du 16, je vous écrirai à Quinsac, à moins de contrordre de ta part; je crois que comme cela, tu ne resteras pas trop longtemps sans nouvelles......................

14 août

Réduit d’Avocourt. Journée calme. Travaux et Sapes. Installation d’un canon de 37 mm.

Rien de nouveau; tout est calme depuis notre affaire d’avant-hier. Il est probable que ce dernier séjour va durer plus longtemps que les autres. Ce sera dur, mais après, nous pourrons nous reposer tranquillement. Mr Strohl va partir en permission incessamment, aussi vais-je commander la compagnie encore une douzaine de jours.

Je pense bien à vous ce soir et au départ de Jean de La Rochelle au moment où j’écris. Courage! Nous nous retrouverons tous bien contents après la guerre.

Je t’écrirai encore demain à La Rochelle, puis après-demain à Quinsac, sauf contrordre de ta part.................

15 août

Réduit d’Avocourt. Journée calme sauf quelques torpilles. On parle de plus en plus de la relève mais nous ferons probablement du rabiot ici. Le 6° Bataillon est relevé par un bataillon du 55, et nous allons aller prendre la place du 5° Bataillon après-demain.

Drôle de 15 août et nous ne nous apercevons guère dans notre bout de bois où l’on chercherait vainement un arbre, que c’est un jour de fête partout! Enfin c’est calme ou du moins relativement calme. Voici notre 6° jour, mais, comme je te l’ai dit, ce séjour sera plus long, et nous en avons encore pour plusieurs jours encore.

Hier j’ai reçu ta longue lettre n°24 à laquelle je vais répondre point par point:

Fait ce que tu veux de l’argent que je t’envoie, et place-le en bons de la Défense puisque tu es contente de ce placement, j’espère qu’il sera sûr. De cette façon, après la guerre, j’aurai une petite réserve qui me sera bien utile, si........ je me marie, par exemple. Je me fie absolument à toi pour le placement et ce que tu fais sera très bien fait, j’en suis certain d’avance.

Quelle famille et quel mouvement au 35 de la rue A. d’Orbigny en ce moment; Tu avais Jean, Roger, l’autre Jean, Louis Le Conte! Que j’aurais été content d’y être moi aussi! Roger et Louis vont être ennuyés que tu quittes La Rochelle maintenant. Que fais-tu de « Médéa »? Fermes-tu la maison?

Pauvre Louis, je le plains bien en effet, à son âge et avec son habitude de ses aises, de faire le métier de soldat. J’espère comme toi qu’il sera pris dans le service auxiliaire. Son chef, Roger, va lui adoucir, j’espère, cette vie et le « pistonner » pour lui éviter les corvées les plus fastidieuses.

C’est la dernière lettre que je t’écris à La Rochelle; demain j’adresserai ma lettre à Quinsac où tu la trouveras en arrivant. Continue à bien te repose là-bas. Combien de temps comptes-tu y rester et iras-tu directement à Ruelle sans passer par La Rochelle?

Je te quitte, car j’ai plusieurs autres lettres à faire. Bons baisers et bon voyage.....................

16 août

Réduit d’Avocourt. Journée assez calme. Mr Strohl part en permission et me laisse le commandement. Nous relevons, le soir, la 22° en 1° ligne mais à gauche (Capitaine Bon). Nuit calme.

Rien de nouveau depuis ma lettre d’hier que tu as dû recevoir à La Rochelle.

J’espère que tu ne seras pas resté trop longtemps sans nouvelles malgré ce déménagement...............

17 août

Réduit d’Avocourt. Le matin vers 5 h., 2 coups de canon dans notre secteur qui tuent Marchais et blessent Daly. Le soir, marmitage très violent sur nos 2° lignes et Niollet est trouvé mort dans un boyau! Pas de veine. Nuit calme, mais Jaunas blessé à la tête d’une balle folle.

18 août

Réduit d’Avocourt. Torpillage et marmitage très violent pendant toute la journée. Vers 8 h. du soir, attaque à droite, toujours au même point. Nous les repoussons vers 10 h.1/2, après quelques cris. Violente fusillade dans mon secteur et grenades et mitrailleuses. Je demande le tir de barrage et au bout d’1 heure, tout s’apaise. Le reste de la nuit calme. Nous sommes relevés par le 55 dont 1 officier était venu pendant la journée.

Manque la lettre de ce jour.

19 août

Je pars du Réduit avec les 4 sous-officiers et nous arrivons au bois de Fauchères où je retrouve la compagnie. Baraque pour tous les officiers. Vu un bataillon du 412 et un caporal connaissait Maurice. Je fais citer Peyrignière pour sa conduite épatante.

Ne t’inquiètes pas pour moi. Je suis sain et sauf et en sûreté pour le moment. A demain une lettre explicative...........

20 août

Départ du bois de Fauchères à 4h.1/2. Temps brumeux. Je fais toute la route sur Seb-Doum, le cheval de Mr Strohl. Arrivée vers midi à Triaucourt. Mauvaise installation, chambre dans un grenier, pas de bureau, les hommes sont très mal.

J’espère que tu n’es pas trop inquiète malgré les communiqués indiquant que nous nous sommes encore agités dans notre coin. Tout s’est encore bien passé, mais ces animaux de Boches nous ont envoyés 2 attaques assez fortes la même journée, une le jour, l’autre la nuit, 1/2 heure avant d’être relevé!! Nous y avons laissé quelques hommes encore, c’est bien triste au moment d’aller se reposer. Quels braves gens nous avons et que de héros dont on ne parlera jamais.

Etant commandant de compagnie, j’ai pu apprécier cette unité qui est épatante. Tout le monde fait son devoir d’une façon impeccable et le plus petit ordre est exécuté épatamment scrupuleusement. C’est touchant de voir comment 160 hommes se fient à un seul type (même plus jeune qu’eux). On les a encore eus! tout de même et nous avons passé les consignes de ce mauvais coin avec un plaisir que tu comprends, car il m’a l’air de se gâter.

Maintenant nous sommes au repos dans un village près de Ste Menehould. Nous y avons été à pied en 2 étapes, mais j’ai tout fait à cheval et ne suis nullement fatigué (car j’ai oublié de te dire que je me tiens maintenant assez potablement à cheval). Je vais profiter de ce repos et de ce que j’ai un chic cheval à mon entière disposition pour en faire tous les jours. C’était la première fois que j’osais m’y présenter officiellement et dans le service.

Aujourd’hui, vu un soldat du régiment de Jean en permission (il est de la région). Le régiment, tu le sais peut-être, est au camp de M.....y. Quant il y repartira, je lui donnerai un mot pour Jean, si je le revois.

J’ai oublié dans toutes mes émotions, et je ne te le cache pas, mes soucis, de t’accuser réception de tes colis, le premier (sandales) arrivé depuis 2 jours, le 2° (oreiller) aujourd’hui. Epatant l’oreiller!! Merci des petits « adjutoria » que tu y as mis et qui ont été bien reçus. Je ne me rappelle même plus si je t’ai dit avoir reçu une boîte de fruits confits et de bonbons, mais j’ai été troublé pendant ces 9 jours d’avant-postes vraiment agités et durs.

Reçu tes lettres 25,26,27. Merci. J’espère que tu te reposes bien en ce moment à Quinsac. Ici j’ai naturellement une chambre, un lit!!!! excellent. Ne t’en fais pas pour moi jusqu’à nouvel ordre. Vu Coyolaet parlé avec lui des Noailles. Vu un bataillon du 412° R.I. et après mille recherches, parlé à un caporal qui a beaucoup connu Maurice. Il parait qu’il faisait triste figure et qu’il n’est pas militaire, ni à cran pour 2 sous. Pauvre famille Blanchet.

Je te quitte, Maman chérie, car je suis impatient de me mettre dans des draps...............

P.S. Je ris encore à la pensée de l’entrée triomphale dans ce grand village. Ton fils à cheval en tête d’une compagnie de braves poilus bien sales!! Beaucoup d’effet et de chic.

21 août

Triaucourt. Installation dans le cantonnement. Revue du Chef de Bataillon. Promenade à cheval vers Sénard. Très agréable. Nous recevons un sous-lieutenant à la compagnie, Mr Drancès et 10 soldats de renfort.

22 août

Triaucourt. Revues diverses dans la compagnie. Promenade à cheval avec Mörch du coté de Passavant.

23 août

Triaucourt. Le matin, exercice sur la route de Laheycourt. Nous recevons des renforts dont 2 nègres. Bruit de départ de la division pour Fleury où ça chauffe dur.

Je ne t’ai pas écrit ces 2 jours derniers parce que je t’avais dit que j’étais au grand repos et je savais que tu n’étais pas inquiète.

Nous y sommes encore, et profitant du beau temps, je fais des promenades à cheval tous les jours avec des camarades. Aujourd’hui, j’ai même été très loin, à Passavant où a cantonné Jean l’an dernier. Je me perfectionne de plus en plus et me passionne absolument pour ce sport vraiment captivant? Cela marche très bien et le capitaine Ney me dit que j’ai de très bonnes dispositions et dès maintenant une bonne position. Le fait est qu’une grande course comme celle d’aujourd’hui ne me fatigue presque plus........ aux fesses!

J’attends une lettre de toi demain matin, car voici 3 jours que je n’en ai pas reçu. Dis-moi, je te prie, si Loulou a reçu son coulant de serviette, sa bague et son parachute puisqu’elle ne daigne pas répondre à toutes les lettres que je lui ai envoyé. Voila près d’un mois que je n’ai rien reçu d’elle. Elle est peut-être froissée, elle ou sa mère. Je n’y comprends rien.

Reçu une bonne carte de Jean de retour de sa permission et installé au camp dont je t’ai parlé l’autre jour. Ici, vie de repos c.a.d. de caserne, embêté comme commandant de compagnie par des tas de petits détails d’administration. Cela me prépare pour plus tard, dans l’active. Nous avons reçu un nouveau camarade, le sous-lieutenant Drancès qui vient d’être nommé à l’arrière. Il a l’air gentil et des nègres!......................

24 août

Triaucourt. Revue d’armes et exercices divers. L’autre brigade est déjà partie pour Fleury. Le colonel nous prévient d’un départ probable et prochain.

25 août

Triaucourt. Exercice de la mitrailleuse. Nous voyons partir le rob en camion-auto et nous sommes prévenus que nous partons demain matin en camion. Préparatifs de départ.

26 août

Départ à 7 h. Après 3 heures d’auto, nous arrivons au camp Davout dans le bois de Nixéville à 8 km de Verdun. Assez bien installé mais mauvais temps. Que va-t-on faire de nous?

2 mots pour te dire que nous avons quitté notre repos plus tôt que nous croyions. Nous allons je ne sais où encore mais, pas dans un bien bon endroit, je crois. Je te donnerai des tuyaux plus tard................

27 août

Camp Davout. Nuit tranquillement passée. A 3h.1/2 du soir, départ de colonel, du commandant et des commandants de compagnie (dont moi) pour reconnaître le secteur, en auto jusqu’à la division (Ferme du Cabaret). Traversée de Verdun très abîmé. Division à Brigade par Casernes Marceau et cote 318 (tirs de barrage. Terrain complètement bouleversé) Brigade à Colonel. Le bataillon va prendre les avant-postes au village même de Fleury, mais on ne peut y aller en plein jour. Reconnaissance de mon secteur de compagnie. La compagnie du 88 que je relève, est en train de progresser au moment où je prends les consignes!!! On ne voit rien du village complètement en poussière, que des trous d’obus. Inimaginable. Retour très pénible car il pleut et fait noir. Pendant ce temps le bataillon est venu à Verdun où nous le retrouvons.

28 août

Verdun. Nuit passée à la citadelle. Je suis vanné et tout mouillé. Quel secteur. Préparatifs de départ. Quelques obus. Le soir départ à 6 h. Je pars en avant de ma compagnie. Trajet très mouvementé par des tirs de barrage fréquents. Arrivée vers 11 h. du soir. La compagnie me rejoint et prend ses emplacements. Tir de 75. 1 mort, 2 blessés au 88.

Après 4 ou 5 jours de repos, on nous emmène à F. (Fleury) entre l’ouvrage de T. (Tavannes) et la C. Ste F. Tu vois d’ici le joli petit secteur. Je ne sais combien de temps nous y resterons. Hier, comme commandant de compagnie, j’ai été reconnaître le secteur. C’est inimaginable et il est inutile que j’essaie de t’en faire une description. Nous sommes dans le village même dont il ne reste même pas la plus petite ruine. On ne s’aperçoit pas qu’on est dans le village. Ce ne sont que cratères noirâtres de 7 à 8 mètres de profondeur.

Ne t’inquiètes pas trop si tu ne reçois pas de nouvelles de moi-même de 10 jours, il n’y a pas de communication possible avec l’arrière. Bon courage. Je ferai mon devoir, mais dire qu’ici je suis commandant de compagnie. Quels soucis!

Bons baisers de ton Petit qui t’aime et priera pour toi. Prie toi aussi et ayons confiance.

Temps épouvantable. Toutes nos affaires sont trempées. Plus de papier, plus de tabac, tous nos effets déchirés et en loque, rien que d’avoir fait cette reconnaissance. Pour le moment nous sommes dans la citadelle de V. (Verdun) mais nous montons ce soir. Combien en reviendra-t-il?

Ta ville est dans un bien triste état, c’est la première fois que j’y passe. Mais ils ne l’auront pas. Je te quitte car j’ai beaucoup à faire..................

29 août

Fleury. Quel secteur à ma compagnie. Trous d’obus même pas reliés. Peu de munitions. Ravitaillement très pénible et très dangereux à travers ce « paysage lunaire ». Marmitage inouï de part et d’autre: 2 morts et 1 blessé à la compagnie. Beaucoup plus à la 13°. Nous sommes à 30 mètres des Boches et les voyons très bien dans leurs trous. Attaque sur la droite mais rien sur nous.

30 août

Fleury. Nuit agitée. Beaucoup de fusées de part et d’autres mais journée plus calme à cause du mauvais temps. J’ai envoyé Parriat à la Poudrière, faire le ravitaillement. Installation du téléphone dans mon P.C.!!! 1 blessé à la compagnie.

31 août

Fleury. Nuit agitée: 5 blessés à la compagnie par une grenade (Payaud, sergent - Grolleau). Je les fais transporter comme je peux par un temps horrible mais Robert meurt en route. Le matin, arrivée de ce pauvre Mr Strohl, très fatigué. Enfin, je reste avec lui la journée. Attaque sur notre droite et répercussion sur nous. Pas de mal. Mauvais temps, mauvaise nourriture. Cafard.

Vais bien jusqu’à présent. La liaison est plus facile que je ne pensais puisque j’ai reçu plusieurs lettres de toi, et celle de Loulou. J’essaie donc de t’envoyer cette carte qui t’arrivera peut-être...........................

1 septembre

Fleury. Nuit assez agitée. Toujours des obus, des grenades, des alertes à chaque instant. La 1° section fait un prisonnier: un sous-officier très chic, dégoutté et disant qu’en face ils sont encore plus mal que nous. Tant mieux. Je reste encore la journée avec Mr Strohl mais Margat étant évacué, je prends provisoirement la 3° section, Drancès gardant la 1°.

2 septembre

Fleury. Toujours même chose. Vie épouvantable presque sans boire ni manger dans cet air vicié et puant le macchabée d’une façon horrible (nombre de cadavres incalculable, français et boches. Amas de débris de toutes sortes dont nous faisons collection). Plusieurs blessés et Compain tué en faisant notre ravitaillement. Attaque le soir entre 8 heures et 9 heures.

3 septembre

Fleury. Nuit très agitée et journée terrible. Dès le lever du jour, les Boches font une attaque énorme à notre droite dont nous subissons le contrecoup. Le soir à 6 h., après une préparation d’artillerie de 5 h., le 234 et le 212 attaquent. Le 234 fait plus de 300 prisonniers qui se rendent par sections entières. Plusieurs pertes à la compagnie. Que c’est-il passé à notre droite?

Je vais toujours très bien. Nos affaires vont très bien aussi, les Boches sont des lâches qui se rendent ou ne font que peu de difficultés pour venir. Nous en avons des tas aujourd’hui. On les aura..................

4 septembre

Fleury. Différentes attaques à droite et à gauche. Même vie toujours. De plus le 75 tire trop court et tape dans nos lignes malgré les fusées vertes!! Beaucoup de mal à la 13°. Attaque de 8 h. à 9 h. du soir.

5 septembre

Fleury. Même vie. Nous attendons la relève avec beaucoup d’impatience. Nous sommes très fatigués par l’attention continue qu’il faut faire. J’envoie un fusil Boche à la maison par Molière.

Rien de nouveau. Vais toujours bien. Nous commençons à trouver le temps long surtout avec la pluie comme cette nuit au milieu de cette installation................

6 septembre

Fleury. Nuit assez mouvementée. Agitation anormale à droite et à gauche de notre secteur. Journée très dure par le marmitage: Sergent Renard tué. Ordonneau - Nogués grièvement blessés. Quand partirons-nous d’ici?

Vais bien. Bons baisers à tous...............

7 septembre

Fleury. Même vie que précédemment. Quelques permissionnaires rentrent. Enfin un officier du 214 vient visiter le secteur, c’est la relève pour ce soir. Relève agitée, grenades, barrages. Je m’en vais par un chemin détourné, sans incident et la compagnie se rejoint à Verdun. Casernes d’Anthouard. Le lieutenant Strohl reste 24 heures de plus. Assez bien installé à l’hôpital.

8 septembre

Verdun. Journée de repos. Repas au mess des officiers à la Citadelle avec A. Thomas et Lloyd George. Le soir, au moment où les commandants de compagnie reviennent, ordre de remonter aux abris St Michel le lendemain matin. Ca nous abrutit. Nous sommes pourtant tous bien fatigués. Vu J. Pierron, officier d’état-major du Général Aimé, tué hier au fort de Souville.

9 septembre

Départ de Verdun à 7 h. du matin. Traversée de la ville du Fg Pavi (maison du capitaine Ney) et installation aux abris? St Michel. Très mal et pas abrités contre un bombardement. Journée calme. Où va-t-on aller encore? Le capitaine Duverdier part en permission. Quel veinard.

Je vais toujours très bien et suis maintenant un peu plus en arrière, mais je ne sais si c’est pour longtemps. Reçu hier une lettre de toi et celle de Tante M.L...........................

10 septembre

Abris St-Michel. Nuit tranquille, mais un peu angoissée. Il parait que la division a eu beaucoup de mal sauf nous, c’est pourquoi nous remontons. Les 2 autres bataillons, l’autre brigade et une partie du 206 sont partis. Alors? Le soir, ordre de monter au fort de Souville où nous allons sans incidents. Vision des Tourelles!! Mörch et Greffard se font évacuer.

Laisse-moi te donner aujourd’hui quelques détails sur ma plutôt triste situation, pendant que j’ai quelques instants de tranquillité.

Comme je te l’ai fait pressentir, nous avons passé 10 jours entiers à F. (Fleury) ainsi que toute la division qui, à notre droite et à notre gauche, a été très éprouvée par des attaques et des contre-attaques plusieurs fois journalières. Notre bataillon a été le moins abîmé de tous ceux de la division et, pour cette raison, après 3 jours de repos ? dans des endroits marmités, nous remontons ce soir (dans 2 heures) au fort de S. (Souville) et de là au bois de V.C. (Vaux-Chapitre).

Nous sommes tous un peu démoralisés par les pertes de tous les copains (73 officiers à la division) le colonel du 344 est prisonnier avec 2 bataillons. On n’a plus de nouvelles de Faustin. Mr Strohl est arrivé quand nous étions à F. (Fleury) et je suis un peu soulagé quoique l’aidant beaucoup car il y a à faire ici.

Les pertes du bataillon ne sont pas très élevées, avec la veine qui nous caractérise depuis le début (22 morts et une cinquantaine de blessés) mais les autres bataillons du régiment n’ont plus que 1 ou 2 officiers. Combien de temps allons-nous rester, je ne sais? Ne t’inquiètes pas trop si tu n’as pas de nouvelles encore d’ici quelques jours, je t’écris quand je peux.

Mörch en a assez et s’est fait évacuer. Mr Strohl n’était pas content et l’a sévèrement réprimandé à son départ. Je n’insiste pas. Mon ordonnance à été légèrement touché et est parti. Quant à moi, je vais toujours très bien malgré 5 éclats d’obus qui m’ont touché, mais dont 1 seul m’ait fait saigner et sans aucune gravité. Te décrire le champ de bataille par lettre est chose impossible. Quand nous nous reverrons, je te raconterai de biens jolies choses!!!

Reçu des nouvelles de Jean C. qui va bien et tes lettres depuis les n°32 à 39. J’espère que tu recevras toutes les miennes que je numérote le plus exactement possible. La dessus, je te quitte en vous embrassant de tout mon coeur. Quand t’écrirais-je maintenant. J’espère que cette expédition ne sera pas longue car toute la division est partie sauf nous....................

11 septembre

Fort de Souville. Batterie Est. Paysage aussi abîmé qu’à Fleury. Journée passée dans une redoute (ventilateur). Ordre de redescendre aux casernes Marceau. Enfin! Nous y bondissons! sans incidents. Un blessé seulement à la 2° section.

12 septembre

Casernes Marceau. Repos aux Casernes mais mal installés. Nous attendons les ordres et les tuyaux avec impatience. Enfin, ils viennent: c’est pour aller au camp Davout. Cette fois nous y sommes!! Retour à 10 h. et marche très rapide, traversée de Verdun et arrivée par un superbe clair de lune au camp à 3 h. du matin.

13 septembre

Camp Davout. Le matin, visite du Colonel qui nous félicite et nous annonce notre départ prochain pour le repos. 8 h. du soir. La Tuile. Alerte, se tenir prêts à partir à la disposition de la division de Marceau. Nous sommes tous atterrés. Nuit tranquille cependant.

Encore quelques jours de faits sans casse pour moi. Pour le moment, je ne suis pas en danger, mais nous pouvons remonter d’un moment à l’autre.

Reçu tes bonnes lettres et ton succulent colis dont je te remercie beaucoup....................

14 septembre

Camp Davout. Nous attendons toujours des ordres de départ qui arrivent vers midi. Nous reprenons la route de Verdun à 4 h. Cantonnement au quartier d’Anthouard. Repas à la Citadelle. Nuit calme.

15 septembre

Verdun. Journée tranquille. Lettres, journaux et repos. Les officiers des 5° et 6° bataillons vont reconnaître leur secteur à V.C. (Vaux-Chapitre). Nous. Rien.

16 septembre

Verdun. Journée tranquille. Le soir, les 5° et 6° bataillons montent à V.C. (Vaux-Chapitre). Nous, aux abris St-Michel où nous reprenons nos mêmes places.

C’est de ta ville même que je t’écris et je vais te raconter un peu ce qui nous est arrivé et ce qui nous arrive, car tu dois être un peu inquiète de la brièveté de mes lettres depuis une quinzaine de jours.

Et d’abord, j’ai reçu ces jours-ci un colis de toi (gâteaux, tabac, conserves). Merci beaucoup, il est tombé au bon moment. J’ai également reçu 2 lettres de toi les n°40 et 41. Félicite chaudement Jean du Sault et toute sa famille pour cette croix de guerre bien gagnée. Il peut au moins la porter fièrement, car il la mérite plus que d’autres qui ne devraient pas se permettre de la porter sur leur poitrine. Je suis bien content pour lui, je t’assure.

Or donc, après avoir passé 10 jours entiers à F. (Fleury), comme je te l’ai dit et avoir eu, dans la division, les pertes que tu sais, les 3 autres régiments sont partis. Nous nous croyions également relevés (c’était le 7 septembre) mais le commandement trouvant que nous n’avions pas assez de pertes, nous retint et nous envoya au repos? à V. (Vaux) et dans des camps de 2° ligne fortement bombardés puis au fort de S. (Souville) où nous avons eu quelques pertes encore.

De là, nous fûmes relevés le 13 et envoyés à 10 km en arrière. Nous croyions bien que notre période de tranchées était finie cette fois-ci et que les autres allaient venir nous chercher pour aller rejoindre au grand repos le reste de notre division (nous avons eu un bataillon anéanti et les 2 autres très abîmés). Pas du tout: après 2 jours de ce repos on nous fait remonter à V. (Vaux) où je suis actuellement et ce soir nous remontons vers le bois de V.C. (Vaux-Chapitre).

Personne ne comprend rien à ce régiment baladeur étranger à toutes les divisions ici présentes. Enfin, nous faisons ce que l’on nous ordonne, mais nous sommes bien fatigués. Les effectifs des compagnies sont de moitié par suite des pertes et des évacuations! Enfin, à la grâce de Dieu! Quant à la croix de guerre que tu me prédis, n’y compte pas encore, j’ai fait ce que tout le monde aurait fait à ma place et rien de plus. Comme je te l’ai dit, Mr Strohl est revenu et je mène ma section simplement ce qui est plus facile que commander une compagnie dans ces secteurs.

Que Tante, Loulou et Mad. ne se vexent pas si je ne leur réponds pas, mais au repos, je me rattraperai. En ce moment, je n’écris uniquement que quelques petits mots que tu reçois de temps en temps.

Comme ravitaillement, c’est au-dessous de tout bien entendu et il n’y a qu’avant-hier et hier que nous avons pu prendre quelque chose de chaud depuis le 27 août. Etant donné le tir de l’artillerie ennemie, on nous ravitaille comme on peut à dos de mulet (dont la moitié n’arrive pas) et l’on nous apporte chocolat, sardines, pain, singe et fromage, mais nous n’avons que des demi-rations, car les Boches ne permettent pas à tout d’arriver et les environs des premières lignes sont jonchés de cadavres d’hommes et de mulets chargés de ravitaillement. (C’est ça qui est une corvée).

Quant au paysage de ces secteurs de lutte continue, c’est unique et je crois qu’il ne me sera jamais donné de revoir des choses pareilles. Figure-toi des photos de la lune (agrandissement) c’est cela. Plus de routes, plus de bois, plus de maisons, même plus de ce village. Rien, rien, rien, pas même un indice qui dirait qu’il y avait un village. Le terrain seul est un peu plus blanc à cause de la poussière de pierres. Ajoute à cela un tir continu et ininterrompu des 2 artilleries. C’est à se demander comment des hommes peuvent aller et venir à ces 1° lignes et s’y tenir.

Quant aux premières lignes elles-mêmes, je ne peux te les décrire, on se tient comme on peut dans des trous que l’on tâche de réunir entre eux. Quand les boches viennent, on se défend avec tout ce que l’on peut, car les munitions sont maigres, toujours pour la même raison: il faut qu’elles arrivent. Cette fois-ci, chère Maman, c’est la vraie guerre, et si ce n’était pas si dangereux, ce serait vraiment curieux.

Maintenant ta ville est dans un piteux état. J’ai été la visiter, vu la cathédrale où tu as fait ta 1° communion, enfin je pense à toi quand je m’y promène. Nous sommes dans la Citadelle et l’autre jour, j’y ai vu Albert Mesnard et Lloyd George. Voilà donc quelques détails qui t’intéresseront un peu. Le régiment, en somme, a eu de la veine en comparaison des autres de la division, mais on la lui fait payer et tout n’est pas fini mais je ne peux pas croire que l’on y reste encore bien longtemps, surtout si nous allons nous y faire encore abîmer. Ne t’inquiètes pas outre mesure, j’ai toujours une veine insolente et suis "tabou", mais évidemment ça passe bien près souvent.

Bonnes nouvelles de Mörch dans un hôpital à Chaumont, soigné par de gentilles infirmières. Quel type! Mr Strohl est toujours aussi mécontent de lui et ne l’a même pas proposé pour sous-lieutenant, lui qui serait passé 1° du régiment. Tant pis pour lui..................

P.S. Dis-moi bien ce que tu reçois de moi depuis le n°47. Je n’ai pas l’adresse de Roger, mais je lui ai fait dire que j’envoyais par un permissionnaire, un fusil allemand avec sa baïonnette. Il faut qu’il aille le chercher chez Mme Molière, 11, rue du Collège. Dis-lui encore de s’en occuper. J’ai d’ailleurs ramassé plusieurs bricoles Boches dont je ferai faire une panoplie à ma prochaine permission............

17 septembre

Abris St-Michel. Bombardement des 2 artilleries. Mauvais temps. Pas d’alerte pour nous. J’apprends que Jean C. est à 3 galons. C’est très bien!

18 septembre

Abris St-Michel. Très mauvais temps. L’ordre arrive de monter le soir à V.C. (Vaux-Chapitre) à la gauche des 2 autres bataillons, en remplacement de ce qui reste de 2 bataillons, 1 du 283, l’autre du 288, décimé par le bombardement et par notre 75!!! Nous partons par un temps abominable. Route épouvantable. La relève pourtant s’effectue bien, mais quel secteur. Nous sommes entourés de tout cotés (nous formons une pointe).

Je reçois à l’instant ta lettre n°43 ce qui me prouve que la lettre 42 est perdue. Je trouve que lorsque tu es à Quinsac, il se perd beaucoup de lettre venant de toi. Cela doit venir du bureau, car de La Rochelle toutes arrivent. Je suis bien content de la nouvelle que tu m’apprends: le 3° galon de Jean. On a mis le temps à lui donner, mais ça y est tout de même. J’attends d’avoir sa nouvelle adresse pour le féliciter, mais dis à Mad. combien je suis heureux pour eux deux?

Depuis ma dernière lettre, nous n’avons été et ne sommes encore qu’en 2° ligne, mais ce soir nous montons à V.C. (Vaux-Chapitre) par un bien mauvais temps. Pour combien de temps, je ne sais? Merci de tes prières qui, comme tu le vois, sont exaucées. Puisse cela continuer. Après cette tournée en 1° ligne, nous comptons fermement cette fois aller au repos et prendre ensuite un autre secteur qui ne sera pas V. (Verdun) (la division a en ce moment, le record de durée de V. (Verdun), près de 7 mois!).

Continuez à bien vous porter et à vous distraire le plus possible. J’espère t’apprendre notre relève d’ici quelques jours maintenant car notre compagnie est à 95 hommes au lieu de 180. Au revoir, ma chère Maman, tu ne recevras maintenant que des cartes pendant quelques jours.....................

19 septembre

Vaux-Chapitre. Au jour, je commence à m’orienter un peu. Je suis dans un trou d’obus avec de l’eau jusqu’aux genoux. Impossible de bouger. Nous sommes trop vus. Le mauvais temps rend la journée calme! Heureusement. Le soir tout le régiment est relevé par le 401 (1 section va chez les Boches et provoque un combat d’1 heure). Je suis désigné pour rester passer les consignes 1 jour de plus!!! 1 blessé seulement à la compagnie. Plus de mal ailleurs (le régiment va au camp de Vomorin).

20 septembre

Vaux-Chapitre. Toujours dans l’eau, hier le 401 a eu 10 morts et 15 blessés à la relève! Journée plus agitée qu’hier, attaque à droite et à gauche, mais que quelques grenades sur nous. Le soir à 7 h., je file comme un lièvre malgré ma fatigue et trouve un camion aux casernes Marceau qui me conduit jusqu’au camp. Mr Strohl va mieux!

21 septembre

Camp de Vomorin. Enfin, cette fois, c’est la bonne, je pense, et nous allons aller au repos. En effet, départ vers 6h. du soir pour aller s’embarquer à minuit vers Nixéville. Voyage sous bois et embarquement qui se fait attendre. Enfin vers 24 h., on part par Dombasle, Récicourt, Clermont, Ste Menehould, etc... mais je m’endors.

Suis sorti de là-bas. Nous partons pour de bon cette fois....................

22 septembre

Réveil en gare de à 6 h. du matin. On débarque et on va à pied à Villers-le-Sec (7 km). Je vois Voisin au D.D. qui se trouve à un village voisin du mien (Alliancelles). Bien installés à Villers-le-Sec. Nous allons nous y reposer et nous reformer. Je reprends ma 1° section qui est de 18 hommes! Magniez vient nous voir chez nous. Il a grossi.

Ouf, ouf, ouf, vingt-cinq mille fois ouf! Nous sommes enfin complètement partis de ce terrible coin, et je t’écris à des tas de kilomètres en arrière, dans un petit village près de « Sermaize » (Marne) sur la grande ligne Paris-Nancy. J’ai aussi la grande joie de t’apprendre que je suis cité à l’ordre de division pour l’attaque d’Avocourt (la dernière avant de partir). C’est certainement encore une attention délicate de Mr Strohl qui vraiment est pour moi plus qu’un camarade, un véritable ami (ci-joint une copie de l’ordre que je garde). J’ai donc enfin cette croix de guerre que je désirais tant.

Depuis ma lettre du 18, voici ce que nous avons fait: Nous sommes montés à ce fameux bois de Vaux-Chapitre si justement réputé, et nous avons encore eu la veine qui nous suit partout: il a fait un temps de chien, une véritable tempête extrêmement forte qui nous a donné ces 2 avantages:

1°/ de n’y rester qu’un jour.

2°/ de ne pas attaquer ou être attaqué, ce qui se fait tous les jours sans exception là-bas.

D’un autre coté, nous étions dans un état pitoyable, complètement trempés jusqu’aux os et vautrés dans une boue infecte et gluante. Mr Strohl qui, comme tous les commandants de compagnie, devait rester 24 heures de plus dans le secteur, était tellement souffrant que je l’ai remplacé; j’ai donc fait le double de temps durée, mais le temps a été moins mauvais dans la journée du 20 qui, de ce fait, a été très dure, mais je m’en suis tiré comme tu le vois.

Depuis, nous sommes revenus et sommes au repos dans ce gentil petit village où je suis comme un roi, dans une grande chambre très gaie. J’espère que nous allons y rester quelque temps. Je t’avoue que jamais je ne me suis senti littéralement si « vidé ». Je ne puis plus marcher sans avoir des douleurs dans les cotés et le dos, mais bah! ça passera.

Comme camarades officiers, en somme que tu connaisses et qui sont mort, nous avons le lieutenant Marsas (avec qui je suis photographié en février dernier) et Garraud, lieutenant également, avec qui j’avais été au lycée pendant 4 ou 5 ans. Les autres, tu ne les connais pas. Ce pauvre Basset, tu as du le savoir, a reçu une balle en pleine tête, a été trépané mais va le mieux possible maintenant.

Hier j’ai été demandé par le capitaine Gaillot (81°) qui en me voyant arriver, m’a serré dans ses bras et embrassé comme son fils. J’ai été très touché. Il m’a appris que Paul Bouyé était amputé du bras droit!! Le savais-tu? La division vient en somme de recevoir le plus fort étrillage qu’elle n’a jamais eu même au début et il faut s’estimer heureux qu’à la compagnie, nous ayons aucune perte d’officiers, mais les hommes ont écopé. Ma section a été réduite en 20 jours de 46 à 18 hommes! et tous les régiments dans les mêmes proportions....... ou plus.

Selon nos conventions, je compte que tu voudras bien m’envoyer une croix de guerre avec étoile d’argent en échange de celle que l’on me remettra et que je t’enverrai de suite. Ajoutes-y une petite barrette. Merci d’avance (autant que possible, un ruban court).

Bonnes nouvelles de Mörch. Rien de plus à te dire. Sois tranquille à mon sujet d’ici quelque temps maintenant. Je vais remettre ma correspondance à jour et faire du cheval! Hip, hip, hurrah!

Bons baisers à tous de la part d’un homme heureux..................

P.S. Ta lettre 44 m’est arrivée avec du retard car tu avais mis S.P. 59. C’est toujours 136 pour moi.

Pauvre Mme Boutiron. Je la regrette beaucoup moi aussi et je comprends très bien ton chagrin que je partage bien, je t’assure.

Je ne te parle pas du secteur V.C. (Vaux-Chapitre). C’est encore plus terrible que F. C’est inimaginable et je ne veux même plus y penser.

Au moment de cacheter ma lettre, mon ordonnance m’apporte mon courrier: ta bonne lettre n°45 à laquelle je réponds tout de suite et une carte de Jean Ch.

- La Cathédrale de V. (Verdun) n’a pas beaucoup souffert et une seule des 2 tours n’a reçu, jusqu’à présent, qu’un gros calibre.

- Pour le froid, je te serai reconnaissant de m’envoyer des caleçons de coton, des chemises, chaussettes chaudes et mon cache-nez. Je t’enverrai d’ici peu mon linge d’été par un colis. N’envoie pas le gros caleçon de laine.

- Merci des nouvelles Faustin, je ne savais rien de ce que tu me dis. Tant mieux si ce n’est pas grave.

- Pour Bouyé, je viens de te l’écrire.

- Je n’ai pas reçu la lettre de Mad. contenant les photos. Ah! quelle sale poste que celle de Quinsac. N. d. D. c’est à rouspéter vraiment depuis quelque temps.

- Je pense bien que ce fusil est pour moi!!!!! conserve-le moi précieusement. Je suis sûr qu’il est arrivé 11, rue du Collège, car le permissionnaire vient de revenir à l’instant et m’a dit qu’il avait attendu en vain Roger, mais que mon fusil était chez lui et prêt a être donné à qui viendrait le chercher. Envoie-le, à mes frais, le faire nettoyer par un armurier! Qu’on ne me le barbotte pas et qu’on ne me le change pas pour un autre. J’y tiens absolument. C’est un de mes plus précieux souvenirs.

Où t’adresser mes lettres? à Quinsac ou à Ruelle. Tu ne me le dis pas? et je ne sais plus quelles sont tes intentions.............

23 septembre

Villers-le-Sec. Repos. Nous commençons à recevoir des renforts. Je vais à cheval visiter Sermaize avec Voisin. Journée superbe. Mr Strohl m’apporte l’extrait de la décision annonçant que je suis cité à la Division. Allons, tant mieux!!! Le soir, Piano.

De retour d’une promenade à cheval délicieuse dans le village ci-contre, je t’envoie ces quelques mots pour te dire que tout va bien. J’ai reçu ton colis hier. Bien qu’ici j’ai tout ce qu’il me faut, il a été le bienvenu et je te le garde pour des temps moins heureux. Envoie-moi des lainages quand tu voudras, des chemises de flanelle, des chaussettes de aline, des caleçons chauds, mon cache-nez et des gilets de flanelle. Je vais tâcher de t’envoyer mon linge d’été et mon costume de toile qui encombrent ma cantine................

24 septembre

Villers-le-Sec. Toujours des renforts. Messe, puis déjeuner avec Sandaran à Alliancelles avec les camarades du D.D. Retour et organisation de la compagnie.

Je reçois à l’instant ta lettre n°46 du 20 contenant la photo de Madeleine, dont je te remercie beaucoup. Dis-lui, je te prie, que je vais lui écrire très prochainement pour la remercier directement.

Aujourd’hui, dimanche, j’ai assisté à la messe et une jeune femme du village m’a prié de chanter, ce que j’ai fait (dans les choeurs, bien entendu). J’ai également assisté aux vêpres et ai bien entendu remercié Dieu de m’avoir protégé pendant cette période véritablement si dure et si terrible!

Ne t’inquiètes pas si de quelques jours, tu ne reçois rien de moi, car nous allons déménager. Demain, nous prenons le train pour gagner les environs de notre futur secteur (Lorraine ou Vosges). Nous jubilons tous de quitter enfin Verdun. C’est notre division qui a le record de durée dans ce secteur.

Je t’envoie ci-joint quelques photos que tu as peut-être déjà eues par Jean. Ce sont celles qu’il a prises au camp de V. (Verrières) quand il est venu nous voir. Plus rien à te mettre: je me repose par un beau temps dans un joli pays. C’est idéal................

P.S. J’ai oublié de te dire que pendant cette période, j’ai reçu un gros colis de l’île Maurice. Je vais écrire pour remercier.

25 septembre

Villers-le-Sec. Repos et organisation de la compagnie. A 10 h. nous partons pour aller au repos derrière notre prochain secteur. Où? Personne ne le sait. Embarquement à 6 h. du soir. Nous sommes très joyeux tous!

26 septembre

Arrivée à 6 h. du matin à Lincourt près de Lunéville. Nous allons reprendre notre ancien secteur de Lorraine!!! et allons le rejoindre par étapes. Nous partons pour Blainville. Arrivée à 11 h. du matin. Repos. Zonzon!! Bien installé! Village superbe.

27 septembre

Départ de Blainville à 6 h. du matin. Je suis très vaseux!! et arrivée à Drouville vers 2 h. de l’après-midi après une grande halte près de Haraucourt. Mal installés. Chambre à quatre. Je suis très mal fichu et dois avoir de la fièvre. Bah! ça passera.

28 septembre

Drouville. Repos. Je profite du voisinage pour aller à Hoéville voir d’anciennes connaissances. Suis très bien reçu par Rose devenue une jolie fille de 18 ans. En rentrant, suis fatigué. Quelle barbe. Péré est nommé adjudant. Chemin, sergent-major. Parriat, fourrier.

Si j’ai bien calculé, tu as de recevoir juste avant ton départ de Quinsac ma carte 59 bis t’annonçant cette lettre-ci et te promettant des détails: les voici.

Mais d’abord, j’ai reçu dernièrement tes deux lettres n°47 et 48, me donnant de vos bonnes nouvelles à tous. Je pensais bien que c’était pour Ruelle que tu partais. Pour combien de temps? Si je te demande cela, c’est que ma permission approche à grands pas et je serai à toi au plus tard vers la Toussaint c.a.d. dans un mois. Maintenant, ma citation me donnant 2 jours de plus, j’en passerai probablement un à Paris pour me nipper, car cette campagne de Verdun m’a usé mes effets sans me permettre de m’en procurer d’autres. Je te rejoindrai de là, où tu voudras, à Ruelle si tu veux, à la condition que je passerai tout de même 4 ou 5 jours à La Rochelle.

Or donc, nous avons déménagé et sommes actuellement............... dans cette brave vieille Lorraine d’autrefois, ce bon secteur si calme. Nous allons prendre le secteur que nous avions en janvier-février 1915. Tu vois cela d’ici!!

Le voyage s’est effectué par chemin de fer et par étapes à pied. J’espère que tu n’auras pas été trop inquiète de ne pas avoir de nouvelles de moi pendant quelques jours. Je t’avais prévenu que je ne risquais absolument rien.

J’ai reçu hier une carte de ce brave Basset allant aussi bien que possible. Soigné à St-Florentin (Yonne). Il t’envoie ses respects, ainsi qu’à Madeleine.

Que te dire de plus, si ce n’est que nous croyons rêver de retrouver nos anciens villages connus, nos anciens amis et ..... amies, nos anciennes habitudes et surtout, le coin aussi tranquille que par le passé, ce qui nous change, je te le jure.

Je vais écrire une carte à Roger pour le remercier d’avoir été chercher le fusil. Je suppose que c’est lui car le soldat Molière m’a dit que sa femme lui avait écrit qu’on était venu le chercher de ma part chez lui.

Je te quitte, chère Maman, en te priant d’embrasser tendrement Mad. et Muguet. J’écrirai à Mad. prochainement, mais je suis surchargé de correspondance, après un mois sans avoir écrit qu’à toi. Mes meilleurs baisers à l’oncle Louis, Tante Marie-Louise, Ninette, etc... etc... et tous ceux avec qui tu es.............

Je t’écris à la fois à Quinsac et à Ruelle. Ma lettre 59 t’attendra donc là-bas, te donnant des détails sur notre nouvelle installation.

Vais toujours très bien, surtout depuis qu’aucun soucis n’existe plus. Avant de partir, bons baisers à tous ceux que tu laisses de ma part. Je leur écrirai très prochainement..............

29 septembre

Drouville. Les officiers vont faire la reconnaissance du secteur (nous prenons la gare de Moncel avec repos à Mazerulles). Mr Strohl me laisse pour surveiller la compagnie. Je n’en suis pas fâché, car ça ne va pas fort. J’ai 37,7 de fièvre.

30 septembre

Drouville. Je fais venir Bader qui, me trouvant 38,2 de fièvre, m’évacue! Je pars en auto et suis dirigé sur le sanatorium de Lay-St-Christophe. Bien installé, mais ça ne vas pas. Le régiment monte ce soir aux avant-postes.

1 octobre

Sanatorium. Soin et Repos. Fièvre. Lit. Diète. Connaissance de l’officier d’administration. Mr Campan, fort aimable.

Ne t’inquiètes pas par ce titre d’ambulance et les cachets qui probablement couvrent ma lettre. Voici ce qui m’arrive. Depuis 3 ou 4 jours j’étais fiévreux, ayant attrapé un gros rhume à V.C. (Vaux-Chapitre) par ce sale temps. Or hier, je me suis réveillé avec plus de fièvre que d’habitude (38,2) et le médecin n’a pas voulu me laisser monter aux avant-postes, car le régiment est remonté hier soir, mais dans un chic coin, avec cette fièvre et m’a évacué séance tenante. J’ai été dirigé en auto à 2 km de Nancy dans un sanatorium dont je t’ai parlé autrefois, je crois, où comme officier je suis très bien installé naturellement.

C’est le médecin-chef qui me soigne lui-même, il m’a fichu à la diète avec défense de sortir du lit, car j’avais de la fièvre encore ce matin. En somme, c’est une petite bronchite que j’ai, sans plus de gravité.

Je t’écris de mon lit et je ne suis pas merveilleusement installé. Les infirmiers sont complaisants, mais, naturellement, je tombe sur une ambulance où il n’y a pas d’infirmières!!!! C’est bien ma veine. Il n’y a que quelques soeurs âgées qui lavent le linge et entretiennent la lingerie.

Le site est superbe, en pleine campagne. L’établissement donne en plein vers le sud et est abrité par des accidents du sol très prononcés, des vents du nord. Est et Ouest! C’est à deux pas de Bouxières-aux-Dames où j’irai me promener dès que je pourrai sortir. Je vais tâcher de profiter de mon passage ici pour me faire arranger les dents qui se creusent de plus en plus.

Maintenant, ma permission que va-t-elle devenir là dedans? Probablement cela ne changera rien, car si je reste longtemps ici, j’aurai une convalescence de 7 jours, si je rentre au régiment, j’ai ma permission qui m’attend à la fin du mois. Pour bien faire, il aurait fallu que je sois évacué après ma permission car, ainsi, j’en aurai eu deux, dont une n’aurait pas compté. Enfin, on ne choisit et je suis furieux d’avoir été évacué, moi qui voulais faire toute la campagne debout. Mais le fait est que je ne me vois pas aux avant-postes aujourd’hui, je suis comme un poulet sans forces.

Au revoir, ma chère Maman, ne t’inquiètes pas, ce n’est rien de grave, tu vois et je rejoindrai rapidement les copains....................

2 octobre

Sanatorium. Idem. R.A.S. Visite du médecin inspecteur.

Rien de changé. Ai toujours un peu de fièvre, aussi: diète et lit, mais je pense me lever demain. Ce qui m’ennuie le plus, c’est le gros retard que va avoir ma correspondance du fait de ce déplacement. Enfin!..............

3 octobre

Sanatorium. Toujours de la fièvre. R.A.S.

Ca va un peu mieux, ce matin. J’ai moins de fièvre et au lieu de n’avoir que du bouillon et du lait, comme les jours précédents, j’ai mangé aujourd’hui un oeuf et du riz au lait (malheureusement je ne l’aime pas!)

Je suis très bien soigné et l’infirmier chargé de mon service (il est de Bordeaux et un peu, hé! le gonze!!) me demande ce matin si j’étais parent au Dr Triaud de la rue Camille Godard (il habite 22, rue du Jardin Public). Ah! je pense bien que je le connais à votre Oncle. Hé! je le vois passer tous les jours devant chez moi, et même que je connais ses fils qu’il y en a un qui porte un lorgnon!

Il m’amuse ce type avec son accent. Je ne peux toujours pas me lever ce qui m’ennuie car je ne m’amuse pas et ne prends pas de forces. Quelle patraque je suis. Qu’est-ce que je peux bien avoir dans le coffre, je ne souffre de rien qu’un peu dans le dos, aussi on m’y colle des ventouses « en pagaille ». Je ne sais que faire, je lis et je rêve. Dehors, j’ai une vue superbe, je vois la grande ville au fond du couloir entre 2 hauteurs. En bas de ces hauteurs serpente la Meurthe. Je vois tout cela de mon lit, c’est très chic, mais pas drôle tout de même. J’en ai déjà assez de cette vie, ça ne me va pas et vivement que je démarre retrouver les copains. On rit au moins, tandis qu’ici tout seul dans une chambre d’officier, je me morfonds entre 4 murs. Si seulement j’avais une gentille infirmière. Je t’en fiche, c’est un poilu qui se met au garde-à-vous pour me passer le pot!!!!

Il y a dans ce sanatorium un jeune médecin qui a été autrefois sous-officier avec moi. Il vient me voir et m’apporte quelques livres. Puis j’ai les journaux. Enfin la journée passe, mais c’est bien long. On vantait tant les hôpitaux en disant que c’était merveilleux, qu’on y était dorloté, bien à tous points de vue. Evidemment, je suis bien soigné et j’ai ce que je veux immédiatement, mais je m’embête bigrement. Il ne faudrait pas que je reste là-dedans longtemps pour devenir neurasthénique. Enfin quand je pourrai sortir, j’irai à Bouxières-aux-Dames voir Marguerite. Ca me distraira.

Je te quitte, car je ne sais plus quoi te mettre et que ce n’est pas commode d’écrire au lit................

P.S. Excuse cette lettre, sans fond et sans forme!

4 octobre

Sanatorium. Vais mieux. Je mange un peu plus et me lève quelques heures. Moins de fièvre.

Tout d’abord, je vais beaucoup mieux. Je n’ai plus de fièvre ce matin, ai mangé plus que ces derniers jours, et me sens mieux à tous les points de vue. Ne t’inquiètes donc pas à mon sujet, cela n’en vaut pas la peine. Je suis debout et me suis levé quelques heures pour écrire. Je suis bien installé sur une table, quelle superbe vue j’ai de la fenêtre de ma chambre.

Ce matin, grande émotion: j’ai entendu le canon pour la 1° fois depuis que je suis revenu dans le secteur. Et encore c’était sur 4 malheureux avions Boches qui, sans doute, voulaient venir lâcher leurs crottes sur Nancy. Ils n’ont pas fait cette saleté, car nos valeureux artilleurs!!! leur ont fait faire 1/2 tour.

Je continue toujours à m’embêter, moins, car je suis levé. Quand je pourrai sortir, je me trouverai probablement très bien ici. Je lis en ce moment la vie de Julie de Lespinasse par le Marquis de Ségur..... et l’Echo de Paris sur lequel je constate que les types qui nous ont relevés là-bas, n’en fichent pas une secousse!! On ne parle plus de ces intéressants patelins sur le communiqué..................

5 octobre

Sanatorium. Mieux. Je me lève, mais ne sort pas, il fait un temps affreux.

6 octobre

Sanatorium. Rencontre de Chatellier qui a une entorse au genou. Nous nous faisons mettre dans la même chambre et prenons nos repas ensemble.

J’espère que tu ne te seras pas inquiété hier de ne point avoir de lettre de moi. Je vais mieux, beaucoup mieux. Je me lève tous les jours et suis au « petit régime » n’ayant plus de fièvre. J’espère même, si le temps le permet, sortir demain dans le parc.

Ce qui m’ennuie, c’est que je n’ai pas encore ma correspondance, ni directement, ni les lettres en retard par la compagnie. C’est très étonnant car j’ai reçu un colis avec adresse corrigée (pas par toi, je suppose) et contenant 1 cache-nez, une chemise et une flanelle. Merci en tous cas de cet envoi. Je croyais que la croix était dedans, mais je n’ai rien trouvé!

Le temps qui, hier, était très mauvais, est assez beau aujourd’hui. Quelle région calme, en comparaison de ce que nous venons de quitter. On se sent heureux de vivre dans un pays comme celui-ci où l’on n’a pas les oreilles sans cesse cassées par le bruit du canon.

Je m’ennuie un peu moins et même plus du tout. Figure-toi qu’il est venu à l’ambulance un de mes anciens camarades d’active, sergent en même temps que moi à La Rochelle et que je n’avais pas vu depuis. Il est sous-lieutenant au 344 maintenant après avoir été blessé au 123. Il connaît très bien Roger. Nous avions été ensemble à Bordeaux et à Limoges, passer l’examen d’E.O.R.. Nous sommes, sur notre demande, dans une chambre à 2 lits et je ne m’ennuie plus du tout.....................

7 octobre

Sanatorium. Tout à fait rétabli, je sors et vais à Bouxières. Je prépare une chambre pour Mme Chatellier qui va venir.

Mon courrier ne m’a pas encore rejoint et je n’ai aucune nouvelle depuis 7 jours, je n’y comprends rien et suis bien ennuyé. Je vais beaucoup mieux et suis complètement tiré d’affaire. Je vais tâcher de faire soigner mes dents pendant que je suis ici.

J’ai pu aller, pour ma première sortie, à Bouxières. Je t’ai écrit que j’en étais tout près. J’ai trouvé tout mon monde en excellente santé et bien content de me revoir. Tout le monde a grandi ou embelli, enfin je suis revenu enchanté de ma promenade. J’ai bien envie de laisser mon linge d’été (2 chemises et 3 caleçons, j’ai jeté le reste qui était en très mauvais état) et mon petit uniforme chez Marguerite, elle me l’enverra, ou, si je suis dans la région, je l’enverrai chercher aux prochaines chaleurs. Cela évitera des colis à faire et à expédier. Je lui demanderai demain si cela ne la gêne pas.

J’espère que vous avez de bonnes nouvelles de Jean C. Je suis comme isolé depuis 7 jours, c’est bien ennuyeux, je t’assure....................

8 octobre

Sanatorium. Journée passée à Bouxières-aux-Dames. Je déjeune chez Jacquot et passe la journée très gaiement avec eux et Marguerite.

Enfin, j’ai reçu hier ma correspondance en retard (15 lettres dont 4 de toi: les n°51, 52, 53 et 55) encore une de perdue, c’est désolant. D’après les dates, ce devrait être ta première de Ruelle ou ta dernière de Quinsac, celle enfin, m’annonçant la réception de mes n°59 et 59bis dont tu ne me parles pas d’ailleurs. De plus, le second paquet, contenant la croix de guerre, m’est arrivé et je te remercie beaucoup du linge. La croix est très bien, c’est tout à fait ce que je voulais comme accessoires, c’est parfait. Le petit bout de ruban est commode aussi et j’avais l’intention de m’en acheter ainsi. C’est donc pour le mieux. Merci.

Ici, rien de nouveau, je vais tout à fait bien, je suis au grand régime et sors tous les jours; quand il fait beau, je vais à Bouxières.

Tu ne me parles pas, il est vrai que c’est peut-être dans la lettre perdue, de ce que je devrais faire si ma permission venait avant la Toussaint. Redis-le moi, je te prie, au reçu de ma carte. Reçu des cartes de félicitations de Tante Marguerite, Loulou, etc... une bonne lettre bien aimable de Mr Strohl, me disant de revenir vite, 3 lettres de Mörch, etc... etc...

Au revoir, ma chère Maman, je ne souffre plus de rien et suis tout à fait convalescent maintenant. le traitement de mes dents n’est pas encore commencé...................

9 octobre

Sanatorium. Je commence à me faire soigner les dents.

10 octobre

Sanatorium. R.A.S.

Je reçois à l’instant ta lettre n°57 (le n°56 est encore perdu) m’annonçant la 2° blessure de ce pauvre Daniel; il n’a vraiment pas de chance, et contenant le petit mot de Tante Lilia. Tu ne me parles pas encore de l’endroit où je dois aller en permission, mais d’après une phrase où tu me parles de riz au lait d’Amélie, j’ai cru comprendre que si j’obtenais ma permission avant le 1° novembre, tu me donnais rendez-vous à Ruelle. Si ma perm. n’était qu’après la Toussaint, la question ne se poserait pas et j’irai directement à La Rochelle. Autre chose: si je vais à Ruelle, ce ne sera pas pour longtemps, je te prie, car je tiendrai à aller à La Rochelle, le plus de temps possible.

Je vais très bien maintenant, et le Médecin-Chef ne s’occupe presque plus de moi; plus de fièvre, ne toussant presque plus: je suis maintenant entre les mains du dentiste qui a 2 dents à me réparer, tu le sais. Jusqu’à présent, je n’ai pas souffert.

Comme tu dis, ce n’était pas la peine que tu viennes ici, j’aurais été guéri avant ton arrivée, et tu n’aurais pu coucher à l’ambulance. Il aurait fallu prendre une chambre à Bouxières, ce qui aurait été facile, mais nous nous serions peu vus. D’ici peu, maintenant, j’irai moi même t’embrasser, cela vaudra mieux. Une lettre d’Anne, passée par tes mains d’ailleurs, me dit que Daniel est soigné à Deauville. C’est chic! et que ce n’est pas grave. Tant mieux.

Je te quitte, j’écrirai à Mad. demain........................

P.S. Le colonel Delon est nommé Colonel ainsi que le mien qui, lui aussi, n’était que lieutenant-colonel.

11 octobre

Sanatorium. Arrivée de Mme Chatellier! Tableau! Elle reste toute la journée avec nous et prend le 1° repas à notre table.

12 octobre

Sanatorium. Je vais passer quelques heures à Bouxières.

13 octobre

Sanatorium. Je vais à Nancy en fraude pour faire quelques courses pour Campan et moi.

Vite un mot, avant de me coucher. Je vais très, très bien et seul le traitement de mes dents continue. J’ai aujourd’hui eu l’occasion d’aller à Nancy et m’y suis commandé un manteau, selon tes instructions, pour aller en permission. La grande ville n’a pas beaucoup changé. Je la trouve cependant un peu vide ayant été évacuée de nombreux habitants effrayés par les 380 qui y pleuvaient assez dru il y a quelques mois.

Ici, la vie continue bien monotone et j’ai hâte d’aller retrouver les copains. Mon camarade a fait venir sa femme et cette jeune Libournaise avec son petit accent gascon, nous distrait énormément. C’est moi qui l’ai installée à Bouxières dans une maison connue, qui l’ai accompagnée, son mari étant immobilisé par une entorse du genou (elle est d’ailleurs fort mal).

Pas encore de lettre de toi, c’est désespérant à la longue. Ca ne marche pas le courrier depuis quelque temps. Allons, je te quitte car je meurs de sommeil. Bons baisers à tout ce qui s’appelle Triaud et Chagnaud...................

14 octobre

Sanatorium. Mr Campan vient toujours causer avec nous après le repas ainsi que le caporal. Prêtre. Rod - Ger -

Enfin aujourd’hui, je reçois 3 lettres de toi: ta lettre 58 du 9 octobre et aussi tes 2 lettres en retard 54 et 56. Je n’y comprends rien et ne vois pas du tout quel itinéraire elles ont pu suivre. Enfin je les ai et c’est entendu, si je vais en permission avant le 1° novembre, je passerai te prendre à Ruelle; sinon, à moins d’ordres contraires, je vais directement à La Rochelle après le 1° novembre.

Je t’ai annoncé réception, et tu dois le savoir à l’heure actuelle, des 2 colis dont je te remercie beaucoup. Maintenant, à part de grosses chaussettes que tu m’enverras après ma permission, à moins que je ne les emporte moi-même, je n’ai besoin de rien. Ne m’envoie plus rien sans que je te le demande, c’est inutile.

On continue à me soigner les dents dont l’une sera définitivement plombée bientôt, mais l’autre: ce sera très long, et l’on me préparera seulement l’emplacement pour une couronne artificielle en or que l’on me posera plus tard, quand elle sera faite. De toute façon, je ne crois pas être pour longtemps ici maintenant, et je ne demande qu’à rejoindre les copains et m’envoler ensuite vite vers Ruelle ou La Rochelle.

J’oubliais de te dire que j’ai reçu un petit mot de Tante Marie-Thérèse dont l’adresse était mise par toi d’ailleurs. Je lui répondrai d’ici peu.

Au revoir, chère Maman, mille baisers à tes hôtes et pour vous trois, les meilleures caresses de ton fils qui vous aime.

15 octobre

Sanatorium. Messe puis journée à Bouxières avec mes amis Jacquot et Marguerite.

16 octobre

Sanatorium. Je continue à me faire saigner les dents: l’une d’elle à besoin de soins délicats qui me tiendront encore quelques jours. Je vais très bien par ailleurs.

Hier, reçu ta lettre n°59 du 10. Je n’y ai pas répondu, car aujourd’hui, je viens te dire que je vais tout à fait bien. Le médecin-chef ne me regarde même plus.

Quant aux dents, ils ne me regardent que trop et aujourd’hui m’ont invité à les voir 2 fois. Ils m’ont fait, ce soir, une séance très longue et fort ennuyeuse où, malgré leurs efforts, ils n’ont pas réussi à me faire mal. Mais ils m’ont scié une dent en deux pour y mettre une couronne en or plus tard et je t’assure que ce n’était pas très agréable. Quelle veine j’ai de ne pas souffrir des dents: Mon pauvre camarade s’en fait arranger 3, arracher 6 et souffre toute la journée. Moi, je ne m’ennuie que chez le dentiste, je ne sens rien quand les soins sont finis.

Pour ma permission, je ne crois pas, et j’en suis presque sûr, avoir un congé de convalescence, car ce « rabiot » que je fais à l’ambulance en tient lieu. Je serais déjà parti depuis 3 ou 4 jours sans mes dents.

Il faudra donc attendre que je rentre à ma compagnie pour partir ensuite à mon tour qui, très probablement, sera arrivé. Je partirai donc, selon toutes vraisemblances quelques jours seulement après mon départ d’ici, à moins de changements survenus pendant mon absence du corps.

Je vous souhaite à R. (Ruelle) un plus beau temps qu’ici où il ne fait que pleuvoir depuis quelques jours. Au revoir, chère Maman, ne te fais plus de bile à mon sujet: je suis tout à fait retapé maintenant................

17 octobre

Sanatorium. R.A.S.

18 octobre

Sanatorium. R.A.S.

Reçu ta bonne lettre du 12, n°60, contenant la carte de ma gentille cousine Jeanne Malbec.

Je continue à bien me porter et à me faire soigner les dents. Ne t’inquiètes donc pas sur mon compte, je ne souffre pas et attends patiemment le moment proche, je l’espère, où le dentiste me donnera mon « Exceat ».

Les journées, pluvieuses depuis un certain temps, passent monotones. Elles sont un peu égayées par la visite quotidienne de la femme de mon camarade. Elle apporte avec son accent, un peu de soleil du Midi et moi qui aime beaucoup taquiner les femmes, je m’exerce à ce sport favori dont je suis sevré pourtant depuis longtemps.

Les nouvelles que tu me donnes de Maurice ne sont point bonnes et je plains bien mon pauvre cousin d’être arrêté si longtemps. Quant à Roger, ne dis pas cela à ses parents, ni à lui-même, ce que tu m’as dit m’a fait bondir: Quoi! il va passer sous-lieutenant. Et bien, ce n’est pas la peine de se faire casser la g... si ceux qui sont à l’arrière depuis 2 ans, ont les mêmes avantages et le même avancement. C’est honteux et mon camarade qui connaît Roger et à qui je n’ai pu m’empêcher de lire le passage de ta lettre en est outré au même point que moi. Enfin, c’est bien toujours la même chose.

J’ai reçu aujourd’hui une carte de Jean C. qui va bien et était au repos après sa grosse affaire....................

19 octobre

Sanatorium. R.A.S.

Je viens de recevoir à l’instant ta lettre n°61 du 14. Ici, rien de nouveau, je vais toujours aussi bien, je sors des mains du dentiste qui m’a dit que demain tout serait fini. Il va me mettre une couronne en or et me plombe simplement l’autre dent. Par exemple, il me faut payer 30 frs et me dit d’oublier ce prix dans le civil. Qu’est-ce que ça doit être alors!!!

A partir du moment où tu recevras cette lettre, écris-moi à la compagnie car j’y serai certainement, sinon le 21, de moins le 22. Elle est en première ligne en ce moment et j’irai la rejoindre, à moins que j’ai un congé de convalescence, ce que je ne crois pas comme je te l’ai déjà dit.

Quel sale temps depuis quelques jours, il ne fait que pleuvoir continuellement et la femme de mon camarade en est toute chagrinée; elle ne connaît que rarement ce temps-là.

Je t’ai dit hier que j’avais eu hier une carte de Jean C. qui me donnait les mêmes nouvelles que toi. Tant mieux: il s’en est encore tiré, le pauvre bougre. Je suis content qu’il soit médecin, il s’en tirera peut-être, mais la guerre ne finira maintenant que quand tous les combattants y seront passés. J’ai bien peur que ça ne marche pas bien, bien, bien en Orient. Que t’en semble?

Allons, je te quitte, en te priant d’embrasser toute la Famille de ma part et en particulier les deux Petites.............

20 octobre

Sanatorium. R.A.S.

21 octobre

Sanatorium. Mes soins sont terminés et je vais m’en aller demain rejoindre mes camarades aux avant-postes.

Ca y est. Mes dents sont réparées et en très bon état maintenant. J’ai une dent en or sur le coté, « un plombage » au ciment à l’autre, de plus le dentiste très gentiment m’a fait un nettoyage complet de ma mâchoire qui est blanche comme du lait!!! Tout cela sans aucune souffrance: c’est épatant.

Je vais donc, demain matin dimanche, quitter ce sanatorium où je me suis complètement retapé et où j’ai engraissé. Je vais rejoindre ma compagnie ma compagnie aux avant-postes et me débrouiller à obtenir ma permission. Ce que c’est d’être officier: le médecin-chef a téléphoné au service automobile de mettre une voiture à ma disposition demain pour me conduire a mon régiment. Si j’avais été simple poilu ou même sous-officier, je me mettais mon sac sur mon dos, mon fusil sur l’épaule et en avant, une.. deux.. pédibus cum jambis, j’aurais dû rejoindre!

Reçu aujourd’hui ta lettre 63. Le n°62 ayant suivi l’école buissonnière, je le retrouverai peut être un jour! Quelle salle poste, tout de même.

Merci des nouvelles de Jean C.. Tu sais combien elles m’intéressent toujours et je te suis bien reconnaissant de m’en parler dans chacune de tes lettres. Le coulant de serviette de Mad. est fait et elle choisira entre 2 dessins..................

P.S. Je ne t’écrirai plus qu’une fois à la compagnie maintenant.

22 octobre

A 9 h. Messe. A 10 h. une auto vient me chercher et me mène à Erbéviller où je déjeune avec le Colonel. Je rejoins Sornéville à 2 h. et y reste à dîner chez le Commandant qui me fait jouer au bridge. J’apprends que le lieutenant d’Olce est nommé Capitaine et que le capitaine Ney est adjudant-major du 5° bataillon.

23 octobre

Je rejoins dans la matinée la compagnie qui se trouve au Poirier, commandée par Simon (Mr Strohl suit un cours à Essey, Sandaran en permission et Mörch, revenu, est à Saulxures). Secteur très étendu mais calme et de toute sécurité. Je me mets au courant du service.

Comme je te l’ai dit, je suis à l’heure actuelle à la compagnie qui pendant mon absence a subi des tas de changements, au point de vue gradés. Le lieutenant Strohl, commandant de compagnie suit un cours. Sandaran est en permission. Il ne restait donc plus que Drancès, trop jeune officier pour commander la compagnie. On a donc fait venir un officier d’une autre compagnie. Quel méli-mélo.

Enfin je me trouve en première ligne mais dans un secteur!!!... de mères de famille. J’irai cependant dans 2 jours occuper un P.P. (petit poste) très avancé et très important sur les bords d’une rivière (dans une tranchée faites à l’emplacement d’un moulin) mais qui n’est guère dangereux qu’en cas de surprise nocturne. Peu de balles, peu d’obus, pas de grenades. Tranquilles et propres (car le secteur est merveilleusement organisé depuis le temps qu’on ne s’y bat pas). Sois donc tranquille.

Mon déménagement s’est très bien effectué. Parti du Sanatorium vers 10 h. du matin en auto, j’ai été retenu à déjeuner par le Colonel à qui j’ai été me présenter, puis à dîner par mon Chef de Bataillon qui ensuite m'a engagé à ne rejoindre les 1° lignes que le lendemain au jour (car on peut se promener le jour tellement c’est calme, tellement les boyaux sont bien faits et tellement nous sommes éloignés de l’ennemi (800 à 1200 mètres). J’ai donc fait un bridge avec le docteur, le Capitaine adjudant-major et lui, puis ai couché chez lui.

Ce matin, j’ai rejoint tranquillement ma compagnie dont je viens de visiter le secteur de fond en comble (et il est grand). Et voilà, nous attendons Mr Strohl et Sandaran, je ne partirai certainement pas en permission avant l’arrivée de l’un des deux (commission de novembre).

Mörch, de retour de convalescence, a fait des pieds et des mains pour revenir à la 14°. Il y a réussi, je crois, mais suit en ce moment un cours d’E.O.

Le capitaine Ney nous a quittés: nommé Capitaine adjudant-major d’un autre bataillon et le lieutenant d’Olce (23 ans) est passé Capitaine. Voici les nouvelles.

Et sur ce, je vais dîner car j’ai faim, m’étant beaucoup promené aujourd’hui par un temps superbe..................

24 octobre

Poirier. La compagnie fournira, à partir de demain, une section au moulin de Moncel; j’y vais avec la troisième section à partir de demain soir; j’apprends que je dois partir en permission après le retour de Sandaran.

Deux mots seulement pour te dire que tout va aussi bien que possible: Bonne santé, beau temps, bon secteur, etc... etc... J’ai reçu hier une note du colonel me disant que je partirai en permission aussitôt le retour de Sandaran. Hors ce dernier arrive le 2 ou 3 novembre. Je partirai donc d’ici le 3 ou le 4 et irai directement à La Rochelle où vous serez d’après les derniers renseignements que j’ai reçus de toi.

Je regrette de ne pas passer par Ruelle où j’aurais été heureux de voir mes Parents mais j’aime autant aller passer ma permission à La Rochelle. D’ailleurs, au reçu de cette lettre, et en me répondant immédiatement, tu peux encore me donner des instructions car je recevrai cette lettre avant mon départ. Ce seront les « derniers ordres » auxquels j’obéirai: dis-moi donc dans cette réponse ton avis et tes désirs.

Rien de nouveau à t’apprendre, je ne t’écrirai maintenant que de mon P.P. et je te décrirai mon installation............

25 octobre

Dans la journée, je pars reconnaître le secteur et la section me rejoindra à la nuit. Installé dans les décombres du moulin: Poste peu sûr et pouvant se faire enlever très facilement, mais les Boches sont sages.

26 octobre

Moulin. Je n’y reste que la nuit, y laissant une escouade et 1 sergent le jour. Je prends mes repas à Moncel à la popote de la 13° compagnie. Je dors le matin, et le soir je surveille les travaux de ma section dans les boyaux du Moulin et dépendances.

Depuis ma dernière lettre, j’ai reçu de toi 3 lettres: n°62, retardataire; puis 64 et 65 bis. Le n°65 aura été retardé par son passage au sanatorium.. Merci de toutes tes bonnes nouvelles. Aucun changement de prévu pour ma permission. Je compte toujours partir vers 3-4 ou 5 novembre, au retour de mon camarade et te rejoindre directement à La Rochelle sauf contrordre de ta part.

Suivant tes conseils, j’aurais bien écrit à Maurice pour le réconforter, mais j’ignore son adresse exacte à Jonzac. Je lui écrirai donc une fois arrivée à La Rochelle.

Quant au petit objet de Ninette, je vais tacher de lui acheter une petite bêtise quelconque que je lui enverrai, mais pour le moment, je suis aux avant-postes jusqu’à mon départ et ne pourrai le faire. Si je reste quelques heures à Nancy, avant de partir, je tâcherai d’y penser. Reçu la carte de Mimi, dont tu me parles, mais elle est datée du 30 septembre et je ne l’ai reçu qu’avant-hier. Je lui ai d’ailleurs écrit il y a 7 ou 8 jours. Merci de m’avoir écrit en double: tu vois que cela a servi puisque je n’en ai reçu qu’une.

Je suis donc installé dans ce P.P. où mon Dieu, je ne suis pas mal: beaucoup de gouttières, mais un poêle pour se chauffer la nuit. Je suis dans un ancien moulin assez avancé et éloigné de tous les autres postes, mais bien entouré de fil de fer: je crois ne rien risquer avec de la prudence, mais les Boches tentent de temps en temps des coups de main pour enlever ce poste isolé, lesquels ratent 9 fois sur 10. Rassure-toi donc et puis j’ai l’oeil.

Cette nuit a été très calme, mais très pluvieuse, ce qui fatigue beaucoup mes sentinelles qui ont beaucoup de service et dont la surveillance près d’une chute d’eau est assez pénible. Enfin tout cela ne se compare pas avec Fleury et Vaux-Chapitre. A propos, tu as vu ce beau coup!! J’ai jubilé: c’était en plein où nous étions qu’ils ont avancé, quelle avance. A l’heure actuelle, je ne sais pas encore si le fort de Vaux est pris, mais la prise du fort de Douaumont est un véritable succès. En une après-midi, nous avons pris ce qu’ils avaient mis 5 mois à nous grignoter. C’est très beau, pourvu que nous gardions tout. Attention aux contre-attaques!!

Sur ce, je te quitte. Le temps va me durer, tu penses, jusqu’au 3. Enfin tout arrive à qui sait attendre.............

P.S. J’ai vu Neveux qui revient de permission de 3 jours pour la naissance de son petit « Georges ». Il faudra vraiment que Mad. et moi allions à Fouras cette fois-ci (toi aussi d’ailleurs si tu veux!).

27 octobre

Moulin de Moncel. Nuit et journée calmes. Le capitaine Strohl et Mörch reviennent de leurs cours où ils se sont bien amusés. Ils viennent me voir à Moncel.

28 octobre

Moulin de Moncel. R.A.S.

29 octobre

Moulin de Moncel. R.A.S.

J’ai reçu hier tes 2 lettres n°65 et 66. Nous voici donc en liaison directe sans passer par l’ambulance.

Ici, rien de nouveau, les Boches sont sages, nous aussi, nous sommes les uns et les autres très ennuyés par le mauvais temps continuel (heureusement que nous ne sommes pas dans la boue jusqu’au genoux comme à Avocourt). Rien de nouveau non plus pour ma permission que j’attends avec une impatience que tu dois t’imaginer. C’est toujours pour le 4-5 ou plus tard.

Reçu également l’aimable carte de Mad. à laquelle je ne réponds pas puisque dans 8 jours, je compte fermement vous embrasser toutes les trois. L’état de Maurice est vraiment très ennuyeux et l’oncle Louis doit être préoccupé de ses 2 fils. Heureusement que Jean va bien. Est-il reparti sur son navire? Merci des nouvelles de Jean C. Celui-là est toujours fidèle au poste.

Je ne vois rien d’autre à te dire. J’ai ici tout le confortable que l’on puisse souhaiter dans les avant-postes. Je somnole la nuit dans un « voltaire », je dors le matin jusqu’au déjeuner et surveille mes travailleurs dans l’après-midi, et je recommence. Je suis un meunier bizarre!

Allons au revoir et bonne santé à tous. A bientôt le plaisir de vous embrasser. Je suis bien content de voir Roger à cette permission...............

30 octobre

Moulin de Moncel. R.A.S.

31 octobre

Moulin de Moncel. R.A.S.

Puisque définitivement, tu seras à La Rochelle le 2 novembre, cette lettre t’y trouvera très vraisemblablement. En tous cas, je ne t’en ai pas envoyé à Ruelle depuis mon n°77 du 29. J’ai reçu hier ta lettre n°67 contenant sur le côté l’autographe de Muguet qui m’a fait grand plaisir. Selon tes ordres, j’irai donc à La Rochelle directement mais tu seras prévenue la veille par une dépêche de Paris, comme d’habitude. Peut-être, si Mad. le veut, irais-je chercher Cadi à Quinsac pendant une petite absence de 1 ou 2 jours, mais nous verrons cela une fois ensemble.

Ici, le plus grand calme. Les Boches sont sages et nous ne nous faisons mutuellement pas grand mal. Les coups de fusils sont rares, les coups de canon plus rare encore. De l’avis de tous, ce secteur est encore plus calme qu’autrefois quand nous l’avons quitté. Verdun et la Somme expliquent très bien ce fait.

Les bonnes nouvelles que tu me donnes de vous trois en général, et de ton estomac en particulier, m’ont fait grand plaisir et comme tu le dis, je serai très heureux de te voir manger comme tout le monde.

Mr Strohl va revenir ce soir ou demain, il vient de recevoir son 3° galon. Je suis bien content pour lui car cet homme est plus instruit et a plus de jugement que beaucoup de gradés plus galonnés. J’ai reçu hier une lettre touchante. C’est d’un de mes hommes grièvement blessé à l’oeil à Fleury. Il m’envoie même sa photo montrant son pauvre visage mutilé (il a subi l’énucléation de l’oeil). Je vous ferai voir cette photo.

Le temps me manque maintenant, d’ici ma permission, pour faire faire quelque chose à Ninette, mais aussitôt de retour je m’en occuperai.

Au revoir, chère Maman, je compte que je ne t’écrirai plus qu’une fois maintenant avant de partir. Après, j’irai te donner des baisers directement. Bons baisers à Mad. et au gentil Muguet que son oncle Georges aime tant et qui va faire son possible pour lui faire plaisir en permission...............

1 novembre

Moulin de Moncel. R.A.S.

2 novembre

Moulin de Moncel. R.A.S.

Voici très probablement la dernière lettre que tu reçois de moi, avant de voir arriver le personnage lui-même. Sandaran a donné de ses nouvelles. Il arrive demain, 3, à la compagnie. Je pars donc le 4 de la compagnie, le 5 au matin de Nancy et arriverai très vraisemblablement le 6 au matin à La Rochelle. Mais ne te déplace pas tant que tu n’auras pas reçu une dépêche de Paris.

J’ai reçu avant-hier ta lettre n°68 et je pense qu’à l’heure actuelle tu dois rouler dans un wagon. Vivement que ce soit mon tour. On m’a remis ma croix de guerre ce qui fait que je pourrai la porter en permission. Je te la donnerai à mon arrivée, ainsi que de l’argent (nous ferons d’ailleurs nos comptes car je te dois, du linge, un oreiller, des sandales, etc... etc...)

Mörch est revenu de son cours et est venu me voir à mon poste. Toujours le même, gai camarade et bon garçon mais bombeur en diable (il a dépensé 1800 frs dans ses 15 jours de cours. Sa mère va me demander des explications et je serai très ennuyé!!)

Rien de nouveau au point de vue secteur, ennemi et guerre. Nous sommes toujours très tranquilles. Espérons que cela durera encore 2 jours et j’aurai le bonheur de vous voir.

Au revoir donc et à bientôt cette fois...................

3 novembre

Moulin de Moncel. Péré, revenu de permission vient reprendre le commandement de sa section et je reviens au Poirier causer un peu avec le capitaine Strohl et me préparer à partir en permission. Hip, hip, hurrah!!!

4 novembre

Départ à 8 h. du Poirier. je rencontre Sandaran dans le boyau. Il est vaseux. Je fais ma toilette à Sornéville, pars en voiture avec Brochard et passe la nuit à Nancy après avoir été chercher mon manteau et képi rouge.

5 novembre

Départ de Nancy à 7 h.1/2. Arrivée à Paris où je ne trouve pas Mimi, sortie en ville. Ils me font rester le lendemain.

6 novembre

Paris. Courses. Promenades, etc... etc... Je pars le soir à 9 h. et trouve Basset et sa famille à la gare Montparnasse. Il va mieux mais a été trépané 2 fois.

7 novembre

Arrivée à La Rochelle à 7 h. du matin. Maman et Mad. à la gare. Tout va bien.

8 novembre

Permission à La Rochelle.

9 novembre

Permission à La Rochelle.

10 novembre

Permission à La Rochelle.

11 novembre

Permission à La Rochelle. Voyage à Bordeaux avec Madeleine.

12 novembre

Permission à La Rochelle. Vu Schenck et plusieurs copains.

13 novembre

Permission à La Rochelle. Voyage à Fouras où nous baptisons le petit Neveux.

14 novembre

Permission à La Rochelle.

15 novembre

Permission à La Rochelle.

16 novembre

Permission à La Rochelle. Départ à 9 h. avec Madeleine jusqu’à Paris. Pas de cafard.

17 novembre

Matinée à Paris. Départ à midi et arrivée à Nancy le soir. J’y couche.

18 novembre

Le matin, rencontre de Trémont qui me présente à la Préfecture. Matinée occupée à faire des courses en auto avec Mlles Mirman qui nous retiennent à déjeuner. Famille charmante qui me fait accompagner à Laneuvelotte en auto, chargé de cadeaux pour les hommes. Neige.

Tiré de: "Histoire de Nancy", Privat 1987.

Août 1914.

Depuis quelques jours, le préfet Reboul, épuisé nerveusement, a été remplacé par Léon Mirman, ancien député socialiste, saisi par un patriotisme passionné, organisateur efficace, caractère énergique qui veut tout connaître et trancher par lui-même. Il obtient du général de Castelnau, commandant la 2° armée, que les positions du Grand-Couronné seront défendues avec résolution, et de son subordonné, le général Léon Durand, commandant le groupe de divisions de réserve, une proclamation pour rassurer la population: "Ne prêtez pas l'oreille aux bruits alarmants qui circulent. Mes troupes et moi sommes là. Comptez sur nous." Pendant quinze jours, on se bat sur le Grand-Couronné et entre Seichamps et Champenoux, à douze kilomètres à l'est de la ville. Puis la victoire de la Marne, qui est annoncée le 12 septembre, interrompt l'assaut allemand sur Nancy.

..........Nancy subit directement les bombardements répétés de l'ennemi, par avions, par Zeppelins ou par pièce d'artillerie lourde à longue portée. Si chaque tir ne comporte que quelques coups, l'attente incertaine suscite une anxiété lancinante. Au total la ville reçoit 1.210 projectiles, obus, bombes ou torpilles, qui font 177 tués (dont 120 civils et 300 blessés, et qui touchent un millier d'immeubles, dont l'église Saint-Evre, la Bibliothèque universitaire, les Magasins Réunis, l'immeuble neuf de l'Est Républicain et plusieurs écoles. Les alertes, signalées par le tocsin et par les sirènes, obligent à descendre de nuit dans les abris. Sur la place Stanislas on protège les fontaines par des sacs de sables et on expose comme trophées de guerre quelques avions ennemis abattus.

.......... En janvier 1918, une seconde alerte ébranle cet équilibre précaire. Des renseignements reçus par l'état-major laissent alors prévoir que la grande attaque allemande, qu'on attend après l'effondrement russe, pourrait se déclencher sur le front de Lorraine, dont les positions défensives sont plus sommaires. Mirman, convoqué le 20 par Clémenceau en gare de Frouard, est informé en présence de Pétain que pour tenir compte de cette éventualité, il faut réduire immédiatement la population civile de Nancy qui comporte encore 45.000 habitants (contre 75.000 avant-guerre). Son amertume est vive: "Je vais être maintenant l'organisateur de l'exode, l'entrepreneur du déménagement... mon honneur personnel est en cause".......... Cependant Mirman fait partir 30.000 personnes en un mois.

......... Les archives départementales conservent de nombreux rapports du préfet Mirman.

19 novembre

Le bataillon finit son repos et part le soir pour les avant-postes. La compagnie reste en réserve à Mazerulles. Journée passée à Laneuvelotte et exercice de grenades. Accident heureusement paré. J’ai ma chambre avec Sandaran au presbytère. Drancès suit un cours de fusilier.

Je n’ai pu t’écrire hier car, comme tu vas le voir tout à l’heure, ma journée a été très occupée mais, aujourd’hui, je tiens à venir te dire que je suis arrivé à bon port, sans aucun incident ou du moins incident malheureux.

Mad. et moi, sommes arrivés sains et saufs à Paris malgré une nuit très froide mais qui ne nous a pas fait souffrir grâce à des couvertures; trouvés Henri et Mimi en bonne santé. Je suis parti à midi, arrivé à Nancy à 7 h.1/2. Couché à Nancy. Le matin, comme j’allais chercher un moyen de locomotion quelconque pour rejoindre mon régiment, je rencontre un camarade qui me dit: « Viens avec moi, je vais demander à la Préfecture de nous faire transporter ». Je me souvins alors que le dit camarade avait été blessé et soigné l’an dernier à Nancy par Mlle Mirman, fille du Préfet. Nous entrâmes et fûmes reçus par Mlle Lucette qui nous offrit immédiatement (il était 8 h. du matin) un bain et un petit déjeuner en famille (comme nous). C’est là qu’à ma grande stupéfaction, je fus présenté au Préfet et à Madame Mirman en peignoir, aux quatre autres demoiselles Mirman et que le Préfet nous retint à déjeuner, nous promettant de nous faire conduire dans son auto à notre corps.

Après discussion, nous acceptâmes et passâmes la matinée à aller en auto avec 2 des demoiselles visiter des hôpitaux, des blessés, des réfugiés, etc... etc... dans Nancy et les environs. A 1 heure nous nous mîment à table dans cette famille du bon Dieu où les femmes ne pensent qu’à une chose: travailler pour les blessés, les réfugiés et les familles de « poilus » (il y avait des huîtres!!!!!!! Catastrophe).

En nous quittant, Madame et Mademoiselle Lucette Mirman m’ont fait promettre que chaque fois que j’irai à Nancy, je déjeunerai chez elles et comme récompense, j’aurai chaque fois l’auto remplie d’objets pour les hommes qui me raccompagnerait. Je ne te décrirai pas mon arrivée au bataillon dans la somptueuse limousine préfectorale, tout le monde restait « baba » et j’avais l’air du « Père Noël » distribuant ses cadeaux.

Ce soir, nous partons aux avant-postes par un bien vilain temps, mais ma compagnie ne va qu’en 2° ligne cette fois et nous avons un poste épatant. Rien de nouveau à la compagnie. Tout le monde en bonne santé! Mörch allant bien, mais subissant une punition de 8 jours d’arrêts de rigueur pour être allé coucher à Nancy sans permission. Ca le calmera peut-être. N’en dit rien à sa famille qui en serait ennuyée.

Que dis-tu de cette famille Mirman, j’y ai été reçu les bras ouverts. Ils sont tous la bonté même et le Préfet est le bon père de famille par excellence. Madame M. est une femme qui ne pense qu’aux bonnes oeuvres: la préfecture est un véritable entrepôt de lainages, épicerie, travaux manuels, etc... etc... Les jeunes filles sont Lucette (21 à 23 ans) Rose, Louise et X... (19-17 et 15 ans) puis un petit garçon de 9 ans et une petite fille de 4 ans, ressemblant à Muguette comme 2 gouttes d’eau (elle s’appelle Huquette). Elle a demandé à s’asseoir à coté de moi à table!!! ce qui a été accordé.

Le camarade qui m’a présenté est le fils d’un gendarme, sans aucune éducation et je suis à me demander comment il est si bien dans une famille si distinguée. Inutile de te dire que ton fils, qui était dans ses petits souliers, a par sa distinction, son tact et son chic naturel, fait un gros contraste avec lui à table et dans la promenade. On m’a supplié de revenir le plus souvent possible: je ne dérangerai jamais!!!!!! Les jeunes filles ne sont jolies, ni les unes, ni les autres, mais fort aimables, distinguées et élégantes. Voilà. Tu vas te dire que ton fils s’est encore emballé. Pas de tout, mais je suis content d’avoir une maison chez qui aller à Nancy............

P.S. Merci mille fois de la bonne permission passée chez toi, et des gâteries dont tu m’as comblé.

Respect d’Edouard qui vient me troubler dans la fin de ma lettre.

20 novembre

Mazerulles. Aucune surveillance. La compagnie ne fournit qu’une patrouille la nuit et des travailleurs le jour. Mon chantier est un boyau de Bois-le-Comte. Visite au chantier et écriture dans notre chambre. Popote avec le Chef de Bataillon.

21 novembre

Mazerulles. Même vie. Temps gris mais sans pluie.

Je viens de me procurer ces quelques cartes de Verdun qui t’intéresseront probablement beaucoup. Ici, vie épatante, nous sommes, comme je te l’ai dit aux avant-postes, mais en 2° ligne dans un village à moitié en ruines où cependant nous avons chambre, lit (sans draps), popote abondante, peu de travail et surtout pas de surveillance des 1° lignes. Tu vois que nous pouvons tenir pour le moment. Nous sommes ici, vraisemblablement pour une vingtaine de jours et pour nous reposer, nous irons faire de l’exercice un peu en arrière.

As-tu des nouvelles de Mad.? Tiens-moi au courant de ce que vous faites et de l’arrivée de Jean.

En arrivant ici, un énorme colis de l’île Maurice m’attendait, contenant toutes sortes de bonnes choses (beaucoup de sucre, elle pourrait t’en envoyer!!!) Tu serais bien bonne de me redonner son adresse que j’ai oubliée et qui a changée, je crois, depuis que je lui ai écrit.

J’ai écrit dernièrement à Madame Mirman pour la remercier de son aimable hospitalité et de ses dons pour mes poilus.

Comment va la famille Maurice, Jean d. S., etc... etc... J’attends tes lettres avec impatience. Ne t’inquiètes pas à mon sujet, en ce moment. Nous sommes « on ne peut mieux ». Hier soir encore, j’ai joué au bridge avec le Commandant et j’ai gagné 3 sous!! Bons baisers au Muguet..................

P.S. Respects de Mörch et de Lignerolles.

22 novembre

Mazerulles. R.A.S. Suis nommé à titre définitif à la date du 24 octobre.

Reçu hier ta lettre n°1 du 18-11. Merci de m’avoir donné de tes nouvelles, pauvre solitaire! J’espère qu’à l’heure actuelle, tu n’es plus seule, que Jean et Mad. sont de retour à La Rochelle ou, qu’en tous cas tu sais déjà la date de leur arrivée chez toi.

Ici, rien de nouveau. Voici mon emploi du temps:

= lever 7 heures: petit déjeuner, toilette, etc...:

= visite à mes chantiers (assez éloignés, ce qui me fait prendre de l’exercice):

= 10 h. retour dans ma chambre, lecture ou écriture:

= 11 h.1/2, déjeuner à la Popote du Chef de Bataillon avec le Commandant; le Capitaine, adjudant-major; le "toubib"; le Capitaine Strohl; Sandaran; le Commandant de Compagnie de Mitrailleurs; et c’est tout.

= Après le déjeuner, bridge:

= 2 h., re-visite aux chantiers jusqu’à 5 h..

= Retour à la chambre: écriture, lecture:

= 6 h.1/2, dîner, puis bridge ou courrier jusqu’à 11 h.

= Coucher.

Comme tu le vois, pas de surveillance puisqu’en 2° ligne. Peu d’obus. C’est charmant. Le temps est brumeux, mais pas trop de pluie depuis que nous sommes ici.

Et toi, je suis ennuyé de te savoir ainsi seule et serai content lorsque je saurai le retour de ta fille « prodigue ». Heureusement que tu as cette brave petite Muguette qui te distrait. Embrasse-la bien, bien tendrement de la part de son oncle « Georges » qui l’aime tant................

P.S. Mr Strohl est là dans ma chambre qui chante une chanson de Botrel. Quel brave, brave homme. Joins-le à moi dans tes prières pour qu’il revienne lui aussi. Respect de Mörch, toujours gosse. Quelle sale colle!!

23 novembre

Mazerulles. J’ai un nouveau chantier dans le secteur de la 15°, au boyau de jonction. C’est loin et du vilain travail.

24 novembre

Mazerulles. R.A.S. Bombardement de Nancy. Tir de la pièce de Marine. Réponse aux Boches.

25 novembre

Mazerulles. Je déjeune avec Moresmeau à son P.C. de Bois-le-Comte.

Rien de toi depuis ta lettre du 18 qui m’est parvenue très rapidement. Je compte cependant en avoir une ce soir, et je suis bien impatient de savoir ce qu’est devenue ma soeur. De ce coté-là, silence complet: Elle s’amuse trop avec nos aimables cousins, et n’a pas le temps d’écrire à son Frère. Elle est d’ailleurs toute excusée.

J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. Je suis nommé sous-lieutenant de réserve à titre définitif à la date du 24 octobre 1916. J’en ai été tout surpris lorsqu’on est venu me le dire, car plusieurs camarades, beaucoup plus anciens que moi (Fourché par exemple qui a 8 mois de grade de plus) ne sont pas encore titularisés. Un de mes camarades, peu délicat, m’a même lancé en pleine figure « Le piston est une belle chose ». Dieu sait pourtant que pour cela, je n’ai absolument rien fait.

J’en suis néanmoins fort heureux, car cela m’avance pour ce que je veux faire après la guerre: dans ce but et pour avoir de plus amples renseignements sur ces questions embarrassantes et très compliquées, je demande à un journal spécial « La France Militaire », si je dois demander tout de suite à passer dans l’active, ou si, l’avancement étant plus rapide dans la réserve, je dois me laisser figurer sur les listes de réserve, et ne demander qu’après la guerre, mon passage dans les cadres actifs. Il y a une question de date d’ancienneté qui m’embarrasse et que je ne connais pas à fond. Lorsque je serai renseigné par ce journal, je prendrai la solution la plus avantageuse, bien entendu.

Ici, rien de nouveau, de Lignerolles est venu voir Mörch et moi, hier, il s’est joint à moi pour savonner la tête de ce pauvre Edouard qui n’aime pas beaucoup les sermons. De Lignerolles vient d’être nommé lui aussi à T.D. mais est beaucoup plus ancien que moi, comme grade.

L’infanterie Boche est calme, comme nous, mais leurs artilleurs, comme les nôtres, s’agitent énormément, et hier encore, ce pauvre Nancy a hérité de 3 énormes dragées.

Pour mes effets ou linge, ne m’envoie rien, à part ce caleçon: ma cantine, pourtant très grande, est tellement pleine, que je suis obligé de faire faire une caisse que je mettrai dessus. C’est effrayant et tout le monde me taquine. heureusement qu’au Bataillon, Mr Strohl et Mörch sont dans le même cas: (les 3 gens chics).

Au revoir, chère Maman, continue à ne pas t’ennuyer trop, j’espère d’ailleurs que tu n’es pas seule. Hier j’ai reçu une longue lettre de M. du S. qui m’écrit la première: je suis absolument confus. Elle est bien aimable, je trouve?!?!?....................

26 novembre

Mazerulles. Visite de de Lignerolles. Arrivée de Drancès. Nous voici au complet.

27 novembre

Mazerulles. R.A.S.

Voilà que cela recommence: après avoir bien pesté contre toi, je reçois, ce matin, ta lettre n°3 sans avoir reçu ta lettre n°2. C’est ennuyeux, car je ne savais rien de Madeleine, rien de la permission de Jean, enfin j’étais furieux.

Enfin cette longue lettre dont je te remercie, m’apprend que tu n’es plus seule et que Madeleine n’a pas été déçue dans son attente à Paris. Je suis content des bonnes nouvelles que tu me donnes de Jean, en effet il est dans un chic secteur et doit vivre dans un bien joli pays. Dis à Madeleine que je leur écrirai à tous les deux, demain.

Il tombe mal en permission, car je vois partout qu’il va y avoir à l’arrière 2 journées par semaine sans viande, et que les pâtissiers vont être très surveillés dans la fabrication de leurs gâteaux. Ces nouvelles mesures sont-elles déjà en vigueur à La Rochelle. Non, je l’espère pour Jean qui pourra, encore cette fois-ci, bien se caler les jours.

Merci de la carte de P. Martin, je vais lui répondre tout à l’heure. J’ai en effet oublié de te dire que je savais par Mad. du Sault, la demande de son frère au sujet des « Tanks ». Il est à Marly, occupé à suivre des cours et j’ai écrit à sa soeur mon avis sur son nouveau rôle qui se résume à ceci: Rien pour cet hiver; plus tard: très fort, mais pas souvent.

Comment as-tu fait pour m’annoncer à ton amie, Madame Adrien, si tu ne sais pas si elle est à Nancy en ce moment? Enfin, je me pendrai au 82 de la rue St-Georges la prochaine fois que j’irai dans la grande ville.

Meyer, dont tu me demandes des nouvelles est employé à la C.H.R. à quelque chose comme les canons de 37. C’est toujours un timide mais qui pour une fois a une bonne place et ne va souvent aux tranchées.

Je te quitte, chère Maman, car il n’y a rien de nouveau ici. Mr Strohl va aller en permission, je prendrai le commandement de la compagnie mais ici, c’est moins terrible que là-bas. Mes respects à Monsieur le Major, bons baisers à sa Femme, à sa Fille et à sa Belle-Maman.............

P.S. Hommages de Mörch. De Lignerolles est officier téléphoniste à la Brigade: Filon!

Ne te trompe pas dans mon adresse, c’est peut-être une cause de la perte des lettres, l’autre jour, tu avais mis 323, un autre jour S.P. 10. Ca revient quelquefois, mais cela peut se perdre. Nous en avons des preuves.

28 novembre

Mazerulles. R.A.S.

Je reçois aujourd’hui seulement ta lettre n°2 arrivée bien en retard. Rien de nouveau ici depuis hier, si ce n’est qu’il ne fait pas chaud.

Amusez-vous bien pendant la permission de Jean à qui j’écrirai demain seulement, je n’ai pas le temps aujourd’hui...............

29 novembre

Mazerulles. R.A.S.

30 novembre

Mazerulles. Départ de Mr Strohl en permission.

1 décembre

Mazerulles. Visite des chantiers de Sandaran qui s’en va lui aussi suivre un cours à Essey.

2 décembre

Mazerulles. Seul avec Drancès. Bombardement de Nancy et de Champenoux.

Reçu hier ta lettre n°5 contenant la lettre de Mme Adrien que je te renvoie aussitôt. Merci de me l’avoir communiquée, je te réitère ma promesse d’y aller à mon prochain passage à Nancy. C’est, je crois une de tes anciennes amies de pension de Verdun? En tout cas, je me rappelle avoir été voir autrefois à La Rochelle, entre la Place d’Armes et St-Maurice, une dame Adrien, femme d’un officier de Marine.

Mon emploi du temps ici a un peu changé en ce sens que Mr Strohl est parti en permission depuis avant-hier et que je commande la compagnie. Il y a plus de travail de bureau, et je vais aux chantiers quand je veux. Le Colonel m’a envoyé une note me disant de faire ma demande de passage dans l’active. Je la fais partir avec avis favorable.

Tous les soirs, ici, c’est un bridge jusque tard dans la nuit: sans blaguer, jouant avec ces Messieurs qui sont de toute première force, je commence à faire des progrès et ne fais plus de ces fautes énormes du début. Le commandant de Roll lui-même m’a dit hier soir que je pouvais très bien jouer dans un salon maintenant, car il est rare de trouver des gens comme Mr Strohl ou le lieutenant mitrailleur Vérit qui ne laissent pas passer une seule faute et sont d’une force peu commune depuis le temps qu’ils y jouent. Te voilà donc contente.

Je prévois que Jean sera parti quand tu recevras cette lettre. Vous serez toutes les deux dans la tristesse et « l’étonnement » de vous trouver seules. Pauvres femmes, vous devez en avoir l’habitude maintenant. Consolez-vous en vous disant que nous pensons bien à vous d’ici et que, à part le danger, nous comprenons très bien que vous vous ennuyez plus que nous.

Pauvre petit Muguet, ta lettre m’a apitoyé sur son malheureux sort, mais c’est égal vous avez raison car, comme tu dis, elle le mérite: J’admirais tout en elle, sauf sa façon de dire sa prière qui me choquait vraiment. Elle ne s’applique certainement pas autant qu’elle le pourrait et mérite par conséquent une punition.

Jean du S. n’a pas fini, en effet, de faire du « chiqué » dans ses Tanks, mais je m’étonne qu’il soit parmi les « as ». Il n’y a que peu « d’as » en France; ce sont seulement les aviateurs ayant abattu plus de 5 avions. Enfin, il dépensera un peu plus d’argent à sa mère! Gare la dot de sa soeur!!!!

Au revoir, ma chère Maman, bons baisers à Madeleine de ma part. Dis au Muguet que si elle aime son oncle Georges, il lui fait dire de bien faire sa prière pour lui faire plaisir. Il la récompensera s’il constate du mieux à sa prochaine permission..................

P.S. Jean et Mad. ont-ils reçu ma lettre avant le départ de Jean?

3 décembre

Mazerulles. R.A.S.

4 décembre

Mazurulles. R.A.S. Pluie et neige.

Hier, m’est arrivée ta lettre n°6 contenant la carte autographe du Muguet. Remercie-la pour moi, je te prie, en l’embrassant bien tendrement.

Ici, rien de nouveau si ce n’est le bombardement répété de Nancy et le tir des deux artilleries; les fantassins encaissent mais ne remuent pas. Je pense bien, en entendant le gros roulement de tonnerre que fait le « 380 » en éclatant, à la famille Adrien et à ma petite amie « Lucette » et à ses parents et je m’enquiers vite du quartier atteint jusqu’à présent tout va bien de ce coté.

Notre repos avance: vers le 10 et je compte aller à Nancy faire ces 2 visites dont je te rendrai compte. Et les photos de Bordeaux? Elles sont bien longues à arriver. J’écris par le même courrier à Roger Martin pour me tenir en liaison avec lui.

Je viens de mettre 8 jours de prison à un de mes hommes, arrivé très en retard d’une permission. Pauvre bougre, mais que veux-tu, il le mérite et il faut un exemple. Ca ne m’arrive pourtant pas souvent depuis la guerre, de punir.

Respects d’Edouard et baisers de ton fils pour vous trois...............

5 décembre

Mazerulles. Neige.

6 décembre

Mazerulles. R.A.S. Peu de travaux à cause de la pluie.

Reçu hier ta carte-lettre n°7 et ce matin le colis contenant le caleçon. Maintenant, ne m’envoie plus d’effets sans que je te le demande. J’ai absolument tout ce qu’il me faut.

Rien de nouveau ici, tout marche bien à la compagnie et je n’ai aucun ennui. Le temps devient mauvais et depuis deux jours, il ne fait que neiger. Quels jolis spectacles nous avons dans ce pays superbe! J’ai reçu aujourd’hui également une lettre de Jane Bouillon à qui j’avais écrit; sa lettre est très très aimable. Elle me parle des Neveux et de mon filleul qui va très bien. J’ai d’ailleurs de ses nouvelles par son papa que je vois souvent.

Il y a dans le village où je suis un capitaine de Territoriaux qui, étant de Nancy, connaît les Adrien (de vue seulement). Il m’a dit que les jeunes filles étaient gentilles, une surtout. Si ça pouvait être mon affaire!! Il me tarde d’aller faire leur connaissance.

Je ne vois plus rien à te dire, tellement ma vie est calme. Je joue au bridge au moins 3 ou 4 heures par jour et je crois que je suis plus fort que le Commandant!!! Je cause beaucoup avec Mörch qui est bien gosse par exemple!! Il t’envoie ses respects..................

7 décembre

Mazerulles. R.A.S.

8 décembre

Mazerulles. R.A.S. Tout le séjour à Mazerulles: Bridge avec le Commandant, tous les soirs.

9 décembre

Mazerulles. A midi arrive le Capitaine Bon à qui je passe les consignes de la compagnie et des travaux.

Une lettre de Mr Strohl au Commandant, annonce qu’il est tombé malade chez lui. Boum! La compagnie est relevée le soir mais je reste jusqu’à demain.

Reçu hier ta lettre n°8 du 4 décembre. Merci des nouvelles détaillées que tu me donnes de Jean et de votre emploi du temps pendant sa permission.

Ici rien de neuf, nous sommes relevés ce soir, et allons au repos (exercices) pendant une dizaine de jours.

J’ai reçu hier une aimable lettre de Mr Strohl qui passe sa permission au lit! Ce n’est pas gai. Il a attrapé une grippe et a de la fièvre. C’est assez inquiétant, car il n’a pas une brillante santé. Enfin il doit rentrer demain dimanche, s’il est guéri.

D’après ta lettre, je me suis mal débrouillé pour que Jean reçoive ma lettre avant de partir. Je l’ai écrit trop tard, aussi vais-je lui écrire pour m’excuser. Et Madeleine, dis-lui qu’elle m’écrive un peu. Elle me fera grand plaisir.

A table, avec le chef de bataillon qui est excessivement pessimiste, nous n’avons pas de conversation très gaie et si nous le croyons, il nous ferait entrevoir l’avenir et l’après-guerre sous un aspect bien décourageant...............

10 décembre

Visite des chantiers avec le capitaine Bon. A 10 h. départ sur Seb-Doum et arrive à 11 h.1/2 à Laneuvelotte. Le soir. Musique. Travaux au bureau. Mr Strohl m’écrit qu’il ne sait quand il pourra revenir.

Nous voici, depuis hier soir au repos dans un village à peu près potable où il ne pleut pas d’obus du tout: L....tte. De ma personne, comme commandant de compagnie, je suis resté jusqu’à ce matin 10 h. aux avant-postes pour passer les consignes. A propos de commandant de compagnie, ce qui devait arriver est arrivé. Ce pauvre Mr Strohl est tombé tout à fait malade et est entré au Val de Grâce!!

Que va-t-on faire? Va-t-on me laisser à la tête de la compagnie ou en nommer un autre. Je ne sais. Ce provisoire peut durer longtemps, j’en prends mon parti puisque, avec un peu d’application, j’arrive à m’en tirer à peu près. Or donc, j’ai fait venir, ce matin, le cheval du Capitaine jusqu’aux avant-postes et suis revenu dessus. J’ai, au village, une très jolie et très agréable chambre.

Depuis que le régiment est à 3 bataillons, nous avons, comme le 91°, une musique qui, aujourd’hui dimanche, est venue jouer chez nous. C’est la première fois que je l’entends car elle n’avait joué au bataillon que pendant mon évacuation et ma permission. Ci-joint le programme que l’on m’a envoyé. Elle est bonne, mais ne vaut pas celle du 91° entendue avec Jean à Brabant-en-Argonne.

Je ne sais si j’aurai le loisir d’aller à Nancy avec cette tuile qui me tombe sur le dos, car j’ai à régler beaucoup de choses à la compagnie, choses dont je ne m’occupais que sommairement pour 10 jours, mais qu’il faut que j’approfondisse puisque je peux commander longtemps la compagnie.

Reçu, hier, la lettre de Mad. que je remercierai un de ces jours. Reçu, ce matin, une lettre de Mimi Balmary qui se porte très bien et de Tante Marie-Louise qui m’annonce le passage de Jean à 2 galons. Donne-moi son adresse, je te prie.

Voici la vie. Je vais faire pas mal de cheval. Il y avait longtemps que je n’avais pas monté, car j’ai l’intention d’aller à tous les exercices de la compagnie sur ce brave « Seb-Doum » qui commence à me connaître. Je tâcherai pourtant bien d’aller faire ces 2 visites à Nancy.

Mörch et Neveux vont aller en permission d’ici peu. Tu recevras la visite sûrement du premier, peut-être de l’autre s’il va à La Rochelle. Respect de Mörch qui se chauffe les pieds chez moi. Au revoir, chère Maman, je vais me coucher dans de beaux draps blancs...............

MUSIQUE du 234° Régiment d'Infanterie

 Programme du 10 Décembre 1916

1 - Le Roi des Airs (pas redoublé) Furgeot

2 - Ouverture Italienne Zercu

3 - Manon Léledias (prélude et 1° acte) Massenet

4 - Recueillement (andantes) Vignaute

5- La Housarde (valse militaire) Ganne

11 décembre

Laneuvelotte. Revues et travaux au champ de manoeuvre de Velaine. Ma chambre est à la cure (avec Drancès).

12 décembre

Laneuvelotte. Théorie et exercices divers. Bridge. Je vais voir Sandaran à Pulnoy et Fouché à Saulxures à cheval.

13 décembre

Laneuvelotte. Travaux au bureau. Exercice avec avion! Bridge.

Reçu ta lettre n°9. Merci. Ici rien de nouveau. Mr Strohl est toujours malade; il m’a écrit encore hier qu’il avait 39 et des dixièmes de fièvre: je ne l’attends pas pour tout de suite. Ce qui fait que je le remplace et que je signe des permissions à Mörch pour aller à Nancy!! et que moi je suis presque prisonnier. Nous ne sommes en effet que 2 officiers à la compagnie en ce moment. Je tâcherai pourtant de m’échapper dimanche.

Pendant que j’y pense, nous allons passer Noël et le jour de l’an aux tranchées. Mon camarade recevra un colis de victuailles pour Noël. Ne pourrais-tu pas m’en envoyer un composé des meilleures choses pour la seconde fête. Tu sais que tu as le droit à un colis de 1 kilo expédié gratuitement. Tu pourrais donc m’envoyer de bonnes choses, comme par exemple un pâté de foie gras truffé, un bon gâteau et des bonbons (tu sais que les truffes en chocolat ne me déplaisent pas... au contraire... il y en a chez Fuzeau au coin de la rue du Minage et de la rue Dauphine. J’espère que tu trouveras).!!! Nous fêterons ainsi le commencement de l’année 1917!

Aujourd’hui, nous avons fait, avec des avions, un exercice fort intéressant de liaison. Je m’en suis bien tiré à la tête de mes Poilus! Mörch était à Nancy! Quel type, il est indécrottable.

Reçu une lettre de Jean C. qui va bien..........

P.S. Excuse cette fin de lettre, mais des camarades viennent me chercher pour se promener!

14 décembre

Laneuvelotte. Exercices. Bridge.

15 décembre

Laneuvelotte. Exercice avec le canon de 37. Bridge.

Une permission m’est accordée pour Nancy pour demain. Le soir, nous apprenons que nous déménageons:

13° Sornéville.

14° Arboritum.

15° Mazerulles. 4° CM. B. Morel.

16 décembre

Quelle déveine! Je m’occupe hâtivement du déménagement de la compagnie et le soir, vers 4 heures, nous partons pour l’Arboritum (mêmes baraques qu’au début de l’année). C’est le 206, relevé par une régiment du 20° corps, qui nous remplace à Laneuvelotte.

17 décembre

Arboritum. Assez bien installés. Visite du Commandant.

Voila 4 jours que je ne t’ai pas écrit et je t’en demande pardon. Il y a bien un peu de ma faute, mais j’ai eu aussi beaucoup d’occupations. Entre-temps, j’ai reçu de toi, tes lettres n°10 et 11, ainsi que le colis de truffes, que j’ai trouvées toujours aussi bonnes que par le passé et qui ont eu, parmi mes camarades, les honneurs auxquelles elles avaient droit et dont enfin, je te remercie beaucoup.

Je ne sais si l’on prépare quelque chose de notre coté, mais il y a plusieurs changements, et des troupes étant venues occuper notre village de repos, nous avons déménagé hier dare-dare. Le bataillon occupe 3 endroits éloignés chacun de 8 à 10 kilomètres. Je suis donc dans les bois, habitant de baraquements (les mêmes que là où j’étais au moment de ma nomination). Je suis chef de détachement et j’ai là toute ma compagnie, mes 4 voitures, mes 9 chevaux, etc... etc... Je suis mon petit maître puisque je suis à 10 km de mon chef de bataillon avec lequel je ne suis en relation que par téléphone.

Allons-nous reprendre les tranchées après-demain comme nous devions le faire, je ne sais. Enfin tout est calme et nous sommes très tranquilles. Avant-hier, j’ai reçu une lettre du capitaine Strohl qui ne va pas mieux du tout et est toujours à l’hôpital avec la fièvre. C’est très ennuyeux.

Je m’étais arrangé avec mon camarade Drancès et avais demandé une permission pour Nancy qui m’était accordée pour la journée d’hier, mais ce déménagement subit et imprévu m’a empêché d’y aller. C’est navrant et je ne pourrais pas y aller de sitôt maintenant.

Tu me parles des événements peu encourageants de la Roumanie et de la Grèce, c’est vrai, mais regarde ce beau succès que nous venons de remporter encore devant Verdun. « Ta Ville » est sauvée maintenant, je pense! Ginette est bien aimable de penser à moi pour un colis, elle me l’avait d’ailleurs promis lors de notre visite chez eux. Je ne me souviens plus du nom du soldat qui les connaît. Je m’en informerai dès que je le verrai.

Je vais maintenant te quitter, chère Maman, car il faut que j’aille au bureau signer des pièces. A nous la boue, le froid, la neige et la pluie, dans ces baraquements en bois, en pleine forêt. Excuse l’écriture, mais j’ai froid aux doigts..........

18 décembre

Arboritum. R.A.S.

19 décembre

Arboritum. Nous relevons ce soir la 17° compagnie au Poirier. Je vais en avant au secteur, vers midi, et passe la journée avec le capitaine Bouires. Vu Chatellier. Le soir, arrivée de la compagnie. R.A.S. sous la conduite de Sandaran revenu de Pulnoy.

20 décembre

Poirier. Installation. Visite aux sections et aux chantiers avec le capitaine Bouires. Accident mortel pour un brancardier (Godart) au moulin (Turpeau).

J’ai reçu hier ton petit mot n°12. La visite de l’Oncle Georges est une visite bien inattendue et j’ai été tout étonnée de l’apprendre. Les bonnes nouvelles que tu me donnes de vous et de Jean me font bien plaisir. Quels soucis de moins de vous savoir tous en si bonne santé.

Me voici aux avant-postes avec ma compagnie et cette fois-ci en vraie première ligne. J’ai un secteur, très calme bien entendu, mais assez délicat pour beaucoup de raisons qu’il m’est interdit de t’écrire et le Chef de Bataillon vient de me faire une longue visite pour me donner des détails et des conseils précieux. Il m’est arrivé, cette nuit, une fort fâcheuse affaire: une de mes sentinelles, dans un moment de frousse, a tué un de ses camarades par accident: c’est déplorable et j’ai je ne sais combien de rapports fort ennuyeux à faire. C’est encore plus ennuyeux pour la famille de ce pauvre garçon qui avait des enfants. Heureusement qu’elle ne saura pas comment c’est arrivé!

Mr Strohl vient de m’écrire aujourd’hui, il va beaucoup mieux et compte revenir, attendu qu’il est sorti de l’hôpital et qu’il est en congé de convalescence: c’est un débrouillard, mais il est si connu à Paris! et compte revenir vers le 27 courant à la tête de la compagnie. A ce moment-là, je suis désigné par le chef de bataillon pour suivre à Essey-lès-Nancy (2 kilomètres de Nancy et relié par le tramway électrique) le cours des Elèves Commandants de Compagnie, le même cours que suivait Mr Strohl au moment où j’étais à l’ambulance.

C’est un cours très sérieux celui-là (beaucoup plus que ceux que j’ai déjà suivi). Il dure 21 jours (27 décembre-16 janvier) et est très agréable car les officiers ont toutes facilités pour aller à Nancy aussi souvent qu’ils le désirent. C’est une occasion pour moi d’aller voir les deux familles dont je t’ai parlé. Je vais me perfectionner dans l’équitation car on en fait beaucoup (3 fois par semaine, je crois) et les leçons sont données par des officiers de cavalerie.

Je suis content que mon fusil soit revenu, et d’après ce que tu dis, en bon état. Tu ne m’as pas dit combien tu avais payé pour le nettoyage (prends la somme en note pour me le faire payer à ma prochaine permission).

Je vais tâcher de me procurer l’adresse à laquelle tu devras m’écrire avant d’y aller, de façon à ce que les lettres ne fassent pas de chemin inutile puis là-bas, je te donnerai probablement l’adresse de ma propriétaire de façon à ce que tu puisses m’y écrire en affranchissant ta lettre.

Mörch part en permission le 30, sera 1° janvier à La Rochelle et ira vous donner souvent de bonnes nouvelles..........

P.S. J’attends la photo avec impatience.

21 décembre

Poirier. Visite au bois de Hailley-Fouilly de la compagnie du lieutenant Davy du 344 en liaison avec moi.

22 décembre

Poirier. Visite à Moncel.

23 décembre

Poirier. Visite du colonel de Montlebert et du colonel de Latour. R.A.S.

Je t’écris ce soir de mon P.C. Il fait une tempête épouvantable en ce moment, le vent souffle comme un ouragan, la pluie tombe serrée. Je viens de sortir à l’instant quelques minutes, on n’y voit pas à 50 centimètres. Tout est calme, mais les sentinelles sont là, sous la pluie, à essayer d’apercevoir quelque chose au milieu de cette obscurité, d’entendre quelque chose au milieu du bruit de la tempête. Dur métier, triste vie.

Par contre, je suis dans mon abri, tranquille. Il fait bon à coté de mon poêle qui ronfle, et je viens causer quelques instants avec toi. Et d’abord, les cours de Commandants de Compagnie viennent d’être brusquement suspendus, je ne sais pourquoi, de sorte que tous mes beaux projets de distraction et de vie civilisée sont envolés. Pas de veine, décidément quand je projette quelque chose.

Reçu ta longue lettre n°13 à laquelle je vais répondre. Roger Martin m’a répondu l’autre jour. Il a en effet changé de secteur, et heureusement pour lui, il n’était plus à la côte du Poivre au moment de l’attaque. Le village que tu avais trouvé sur la carte était bien celui où nous étions, mais tu sais par mes précédentes lettres que nous en sommes brusquement partis.

J’attends toujours la photographie que tu m’annonces. Très probablement, je te la renverrai car je n’en ai que faire ici. La liste que tu as eu la bonté de faire et de me soumettre est parfaite. Je ne vois que Mimi Balmary oubliée, mais tu le fais peut-être avec intention. Merci de m’envoyer ce colis. Il sera le bienvenu dans le P.C. et j’espère que Mr Strohl sera là pour y goûter.

Oui, ce que tu me dis, je ne le vois que trop dans les journaux. On commence à s’apercevoir de la guerre à l’arrière: « Il n’est que temps » disent tous ceux du front. Vie chère, plus de lumière, ce doit être gai. Et ces bruits de paix? et la note de Wilson? Il me semble que cette grave et intéressante question commence à être agitée sérieusement. Ce n’est, je crois, pourtant pas encore le moment et il semble qu’en faisant encore de gros sacrifices, nous arriverons à un résultat meilleur et surtout plus durable. Qu’en penses-tu?

Merci des quelques nouvelles Rochelaises que tu me donnes, et de l’adresse de Jean Triaud. J’espère que vous avez toujours de bonnes nouvelles de Jean C. Voilà longtemps que je n’ai rien reçu de lui, mais j’ai vu avec fierté fraternelle la 5° citation du 152°. Au rabiot!!

Au revoir, chère Maman, bons baisers à Mad. et à Muguette. Je suis vexé de ne pas aller à ce cours. Enfin ce sera pour une autre fois...............

P.S. Mörch sort de chez moi. Il t’envoie ses respects. Je lui donnerai une lettre pour toi quand il partira (toujours le 1° janvier) à La Rochelle.

24 décembre

Poirier. Travaux. Je fais une ronde pendant la nuit dans toute la compagnie.

25 décembre

Poirier. Triste Noël, les Boches ont été sages cette nuit.

26 décembre

Poirier. R.A.S.

27 décembre

Poirier. Mr Strohl m’écrit qu’il revient le 30 courant. Tant mieux car je m’empêtre dans les permissions. Système NCC’!!

Si je ne t’ai pas écrit depuis le 23, c’est parce que, entre-temps, j’ai écrit à Madeleine qui, sans doute, t’aura communiqué la lettre. Je la félicitais de la deuxième palme de son mari qui, s’il continue, sera pire qu’un canard! Sa citation est datée du 16 octobre. Il ne l’avait donc pas à sa permission car tu ne me l’as annoncé que brusquement dans ta dernière lettre.

Ici, tout va bien, je me porte à merveille quoique traînant un petit rhume de peu d’importance. Le secteur continue à être très calme, un de mes camarades cependant, le sous-lieutenant Brochard, a été blessé bêtement par un obus qui a éclaté trop près de lui. Ce sont des choses qui peuvent arriver mais qui, fort heureusement sont bien rares dans notre petit coin. Sa blessure d’ailleurs n’est pas grave.

Une lettre de Mr Strohl, aujourd’hui, m’apprend qu’il arrivera, sans faute cette fois-ci, le 30 courant. Il me charge de lui envoyer la voiture de compagnie à sa rencontre, c’est donc sûr cette fois-ci. Cela lui aura fait un repos d’un mois.

Les cours de Commandants de Compagnie qui ont été, comme je te l’ai dit, suspendus, vont reprendre à partir du 8 janvier, mais hélas!, ils ne sont plus à Essey-lès-Nancy mais à Lunéville, ce qui est beaucoup moins agréable. C’est probablement moi qui de nouveau serai désigné pour le suivre mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué et je ne suis sûr de rien.

Merci de la photo que tu m’as envoyée. Elle est épouvantable. Je me trouve très mal et, à ma prochaine permission, si je suis en fond, je recommencerai l’expérience. Merci aussi du petit livre de messe contenu dans ta dernière lettre. Je m’en servirai quand j’en aurai l’occasion.

Ma chère Maman, cette lettre est la dernière que tu recevras de moi cette année-ci. La prochaine te sera remise directement par Mörch dans les tout premiers jours de janvier. Tu voudras donc bien trouver dans celle-ci tous mes voeux de bonheur et de bonne santé que je peux faire pour toi et pour les deux femmes aimées qui vivent avec toi. Puisse cette année-ci amener la fin de cette guerre, nous réunir tous les cinq ensemble pour toujours. Alors, je songerai à faire, moi aussi, mon petit programme d’existence, maintenant que celui de Madeleine est fait. Et toi, chère Maman, au milieu de tes deux ménages, de tes quatre enfants que tu verras souvent et chez lesquels tu alterneras tes visites, tu passeras une vieillesse heureuse, douce et tranquille. Tels sont les voeux bien sincères de ton fils qui t’aime beaucoup et qui voudrait bien revenir vivre une vie normale au milieu des siens................

28 décembre

Poirier. R.A.S.

29 décembre

Poirier. R.A.S. Mörch me fait ses adieux, il part en permission à La Rochelle. Ce veinard.

J’ai reçu hier ta lettre n°15 contenant la lettre de Madeleine et 2 clefs pour boîte de conserves qui faisaient prévoir quelque chose de bon. En effet, ce matin, je reçois deux gros colis qui ont été les bienvenus. Merci du tien, il sera mangé avec les honneurs qui lui sont dus le 1° janvier. Cette lettre en contient une autre pour Madeleine que je remercie énormément de son gros colis de bonbons.

Cette lettre te sera portée par Edouard ou son domestique à son arrivée à La Rochelle mais j’ai bien peur que tu ne la reçoives pas plus tôt que par la poste car il est fort probable que notre jeune ami fera des pauses à Nancy! et à Paris! Il part demain matin et est fou de joie. Je le fais partir par la voiture qui va chercher le capitaine.

Rien de nouveau depuis ma dernière lettre. J’ai reçu hier la visite de grosses huiles qui ont trouvé mon secteur bien tenu, mais il est si long (1900 mètres de front, rien que pour la compagnie)! que des éboulements ont lieu partout avec cette pluie continuelle. Rien de nouveau pour mon cours. Il se confirme que c’est moi qui serai désigné, mais rien n’est sûr.

Que dis-tu de cette mise à pied............ adroite et élégante de notre pauvre Joffre! Dire que maintenant c’est notre ministre de la guerre qui est en somme généralissime puisque Sarrail et Nivelle sont directement sous ses ordres. Lyautey, lui, ne marchera pas d’accord avec les députés. Voila donc les médecins et les avocats qui vont commencer les attaques! Pauvre France! Ce remaniement du haut commandement me dégoûte.

Je te dis tout cela car cette lettre ne passera pas par la censure. Mörch te dira d’ailleurs tous les détails que tu voudras et que tu ne peux me demander par lettre. Au revoir, chère Maman, je renouvelle les voeux de ma dernière lettre et te remercie encore de toutes les gâteries que tu m’as envoyées.................

30 décembre

Poirier. Mr Strohl arrive à Sorneville, mais ne reviendra que demain ici.

31 décembre

Poirier. Arrivée du capitaine à qui je passe les consignes. Calme!

 PUISSE 1917 NOUS APPORTER LA FIN DE LA GUERRE.


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