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JOURNAL et LETTRES

par le Lieutenant

Georges TRIAUD

 

I - GUERRE 1914-1918

*

En cas de "mort"

faire parvenir cet agenda à:

Mme Maurice TRIAUD

35, rue Alcide d'Orbigny

La Rochelle


-Reproduction partielle ou intégrale interdite sans autorisation-


- 1914 -

- Pour trouver un numéro de régiment, un patronyme, un lieu, etc..., faire une recherche par Rechercher dans Edition -

 

La Rochelle ce 30 juillet 1914.

Ma chère Maman,

Eh bien! Etes-vous très inquiètes là-bas au sujet de la guerre? J’espère que non, quoique nous en soyons bien prêts, il ne faut pas le cacher.

L’oncle Louis vient d’écrire à Roger une lettre épatante dans laquelle il lui dit que malgré sa douleur de le voir partir, il l’exhorte à y aller bravement et à faire crânement son devoir.

Si l’on doit y aller, dit-il, sursum corda! Plus haut les coeurs et en avant!

Quant à tante Marie-Louise, elle ne fait que pleurer nuit et jour. C’est véritablement beaucoup trop se frapper.

Ici -La Rochelle- contre son habitude, est très mouvementée, les journaux sont pris d’assaut. On ne peut lire les dépêches tellement il y a cohue sous le Palais. Je n’avais jamais encore vu cela.

A la caserne, nous avons touché nos effets de guerre et nous nous exerçons aux préparatifs de départ et de mobilisation - ce qui ne nous a pas empêché de faire une marche de manoeuvre de 30 km, mercredi.

Aujourd’hui, jeudi, j’ai pris la garde depuis le retour de la marche jusqu’à ce soir 5 heures.....et demain matin vendredi à 1 h 1/2, départ pour une marche de 39 km (avoués), ce qui fait au moins 40.

Je suis vraiment un peu fatigué mais cela passera à force d’entraînement. Je n’avais jamais vu tant de monde à nous voir arriver. C’étaient presque des ovations à l’armée.

Ce que j’admire et ce qui me fait plaisir c’est la façon dont l’idée de la guerre a été prise à la caserne. Tout le monde plaisante. Ah! le caractère français est vraiment épatant!!

Et puis c’est cette confiance dans le succès qui est admirable et le fait est que la partie est belle pour nous en ce moment.

Nous devrions bien saisir l’occasion par les cheveux et partir!! On verrait bien!

Mais attendons les décisions allemandes et russes.............

Au revoir, chère Maman, surtout ne t’affoles pas comme toutes ces pauvres dames ici et sois certaine que ton fils fera son devoir partout où il passera et dans toutes les circonstances...............

10 août.

Départ: Présentation au drapeau sur la place d’armes. 16 h.

11 août

Voyage: Niort, Saumur, Blois, Tours, Orléans, Montargis, Sens, Troyes, Bar-sur-Aube.

Entre Troyes et Bar-sur-Aube. Mardi 11 août, 18 heures.

Jusqu’à présent ne t’inquiète pas, nous allons très bien quoiqu'ayant une chaleur épouvantable. Nous ne savons pas encore où nous allons.

Ce ne sont sur notre passage que des ovations enthousiastes. D'ailleurs, pendant notre trajet à La Rochelle, les jeunes filles nous donnaient des fleurs. C’était très émouvant.

Notre train est tout pavoisé comme du reste tous les autres trains qui sont légions. Je n’aurais jamais supposé un pareil déploiement de force.

Les trains se suivent si près qu’au même point il en passe 15 dans une heure. Les trains contiennent tous 1.000 hommes. Tu vois le nombre de soldats. Toutes les gares sont encombrées et l’on attend des heures avant d’entrer sous les marquises, mais les trains marchent vite.

Nous aurons eu au moins 35 heures de chemin de fer, par cette chaleur c’est fatiguant.

Je confie cette lettre à une dame de la Croix Rouge qui dans les gares donnent à boire aux soldats.........

P.S. Nous sommes déjà très sales.

12 août.

Toul, Frouard, Nancy.

Arrivée à 7 h du matin (Jarville). Le canon tonne au-delà de la frontière. Installation au cantonnement à 2 km de Nancy (ferme de Montet).

13 août.

Cantonnement au même endroit toute la journée, à coté de 4 escadrilles d’avions.

14 août.

Les allemands bombardent Pont-à-Mousson.

15 août.

Départ du cantonnement à 1 h. Traversée de la Meurthe à Art-sur-Meurthe. La brigade (323-206-234) se dirige à une quinzaine de kilomètres à l’est de Nancy. La compagnie est en flanc garde de gauche. Vu: premières tranchées ayant servi aux armées de couverture. Vu: premiers abattus. Des cercueils, de nombreux blessés sont dirigés sur Nancy dans des ambulances automobiles (37° régiment). On se bat à 15 km de là. Vu: 2 prisonniers allemands.

Grande halte dans le bois de Saltivan. Il pleut. Cantonnement à Buissoncourt. Le canon a tonné toute la journée.

Dimanche 16 août.

Exercice de mise en défense du village. Il pleut à torrent, nous sommes trempés jusqu'au os.

Quoi te dire?

Des lois draconiennes mais évidemment nécessaires nous ont été dictées. Nous devons envoyer des lettres ouvertes sans indiquer ni l’endroit où nous sommes, ni ce que nous faisons, etc... etc....

Tache de voir Madame Véron, son gendre a pu lui indiquer par des moyens convenus là où nous étions et elle te le dira. Nous n’avions rien dit à l’avance de sorte que je fais silence à ce sujet étant passible de conseil de guerre si je n’obéissais pas.

17 - 18 août.

Nous sommes toujours mouillés et énervés.

19 août.

Départ à 4 h du cantonnement dans la direction du nord. Rentré en Lorraine-Annexée à Brin. Passons à Bioncourt en Saulnaie, premier village allemand et gagnons Fresnes par la forêt de Gremecey. Cantonnons à Oriocourt (35 km de Metz) à 7 h du soir. Pas de vivre. Gîte épouvantable (45km). La division de réserve (68°) est flanc-garde gauche du 20° corps. Nous sommes donc en première ligne.

20 août.

Ce matin, au réveil, entendu le canon et pour la première fois le fusil. Nous avons enfin vu le feu!! La fusillade entendue ce matin était fournie par le 257° qui se trouve aux avant-postes. L’ennemi a une artillerie formidable et nous presque rien. Le 257° recule et toute la division se met en ligne. Il est 10 h 40, les obus éclatent partout autour de nous, surtout à la sortie de Oriocourt. Nous reculons en ordre, criblés par l’artillerie. Les fantassins ennemis sont insignifiants. Le village que nous quittons est bombardé. Enfin vers 3 h de l’après-midi, le 14° d’artillerie vient à notre secours. Nous dînons au milieu des éclats d’obus. En nous dirigeant vers Fresnes où nous fûmes parqués, 4 ou 5 régiments, nous voyons les dégâts faits par les canons allemands. Les villages sont en feu, de nombreux morts et blessés gisent dans le fossé (horrible). Nous nous endormons à 10 h. Pas de vivres.

Tout va bien jusqu’à présent. Nous sommes à 25 km au sud de l'endroit où tu es née (Metz). Le canon tonne et ce matin on entend même le fusil, je crois que c’est pour aujourd’hui. L’entrain est toujours bon quoiqu’une longue marche faite hier ait fatigué les hommes...................

21 août.

Réveil en sursaut à 2 h et départ immédiat sur Nancy (51 km) pour reposer et reformer la division. Les hommes sont fourbus. La division a été décimée littéralement. Du 257° restent 150 hommes (exagération: 120 morts et 800 blessés). Les 344-212-206-234 ont également beaucoup donné. Quant au 323, le 5° bataillon est réduit de moitié. La compagnie est une des veinardes: 7 hommes seulement manquent à l’appel.

Grande halte à 14 km de Nancy. Enfin nous touchons des vivres! Cantonnement à Houdemont. Nous sommes éreintés!

Une 1/2 heure après notre départ, Fresnes était bombardé et en feu!!

22 août.

Repos au cantonnement. Départ à 7 h 1/2 du soir pour coucher à 10 km à l’est de Nancy, à Saulxures-lès-Nancy. Arrivé à ce village à 11 h du soir.

Dans la nuit, vu des incendies au loin - horrible. Le canon tonne encore.

Dimanche 23 août.

Départ à 5 h. Le 323 est en réserve de la brigade (114-125) qui se bat actuellement: on entend encore le fusil!

Etablissement de tranchées devant le village de Pulnoy.

L’ennemi étant repoussé: départ à 18 h 1/2. Nous sommes envoyés dans la forêt de Champenoux, exactement à la frontière en face de Brin. Nous sommes aux avant-postes. Arrivée dans la nuit.

24 août.

Journée passée dans la forêt, face à face avec l’ennemi (500 m). Nous y passons également la nuit. Des coups de feu sont tirés des deux cotés. 2 blessés chez nous.

25 août.

Nous ne sommes relevés des avant-postes que le matin à 8 h. Nous allons cantonner et occuper des tranchées de 2° ligne au village de Laître-sous-Amance.

26-27-28 août.

Occupation des mêmes tranchées. Canonnade terrible (surprise d’Erbéviller -114°). Mort de Godin.

29.30.31 août.

Aménagement et fortification des tranchées. Réseaux de fil de fer. Trou de loup.

31 août 1914.

Nous avons déjà, quoique régiment de réserve, vu le feu. C’est tout ce qu’il m’est permis de te dire. Pas trop de mal à la compagnie.

Depuis le départ de La Rochelle, nous n’avons eu qu’une seule distribution de lettres et je n’avais rien............ici c’est l’incertitude complète, on ne sait rien, on ne reçoit rien et l’on ne peut rien dire!.............

1 septembre.

La canonnade a été terrible toute la nuit et toute la journée.

2 septembre.

Occupation des tranchées.

3 septembre.

Reconnaissance à l’étang de Brin: contact de patrouilles.

4 septembre.

Occupation des tranchées. A 5 h, plusieurs obus de gros calibres tombent pour la première fois sur Amance en passant au-dessus de nos tranchées.

5 septembre.

Nuit terrible: vers 11 h 1/2 le village de Laître-sous-Amance est bombardé par des obus incendiaires. Tous les habitants fuient en hâte (c’est horrible). Plusieurs maisons de notre cantonnement brûlent et nous nous retirons dans les tranchées.

Le matin plus de 1500 obus de gros calibre tombent sur Amance qui est criblé de fer (bombardement de l’église).

A midi: envoyé à la garde police: poste peu dangereux: le village est absolument désert et quelques obus y tombent. Le reste de la journée: bombardement continuel d’Amance.

Dimanche 6 septembre.

La nuit relativement calme. Le bombardement continue sur Amance, Laître et Laneuvelotte. Notre artillerie tire sur l’infanterie qui attaque la ferme de la Fourasse (capitaine Trouvé) qui a plusieurs blessés. Nous voilà encore en première ligne car les régiments devant nous se replient. Repas dans les tranchées sous une grêle d’obus.

7 septembre.

Dès 3 heures, attaque de la ferme de la Fourasse, le 206 vient nous renforcer et charge le bois.

Nous allons en avant renforcer la 22° compagnie qui a beaucoup donné. Recherche des blessés et mort. Enterrement de Bodit. Friennet: mort. Capitaine Trouvé: blessé. Colonel et commandant du 206: tués.

Les obus continuent à pleuvoir autour de nous. Retour aux tranchées à 7 h du soir. Repos la nuit. Nous n’avons pas mangé de la journée.

8 septembre.

Attaque et reprise de la ferme de la Fourasse abandonnée hier. La section est en réserve mais déployée à coté de la 22°. Toute la journée sous les obus. A coté de moi: 2 hommes blessés d’éclats d’obus (bras et jambe). La nuit: chargé de porter à manger à la Fourasse, en patrouille.

9 septembre.

La section est en avant. Envoyé en patrouille, sous le feu croisé des français et des allemands. La section est chargée d’occuper des tranchées en avant de la Fourasse, patrouille d’éclaireur en avant des tranchées: reçu à coups de fusil. Les mitrailleuses se démarquent. Les balles sifflant de tout cotés, nous nous replions - repli des patrouilleurs. Un blessé au bras à coté de moi. Retour et soin à ce blessé.

Lieutenant Labraute légèrement atteint. Prise et abandon successif de la Fourasse. Compagnie 21-8: 24 blessés: lieutenant Bernon (1/2 heure). Le soir nous allons à 11 h remplacer la 21° qui a trop de blessés dans ses tranchées du bois de pin. Il pleut et fait orage. Le canon tonne: affreux!!

10 septembre.

Toute la journée sous le feu des obus. Le bois est repéré. 8 ou 10 morts et blessés. Biret à coté de moi: Horrible!! Nous sommes fous 15 ou 16 hommes de la 4° section partie en avant au château de Fleur-Fontaine reviennent effrayés; c’est tout ce qui reste de la section.

La nuit, personne ne dort: enterrement des morts. On relève les toits des tranchées abattus par les obus.

11 septembre.

Toute la journée sous le feu des obus. Pas de blessés aujourd’hui, nous avons dû recevoir du renfort car nous pénétrons dans le bois en avant de la Fourasse.

Nous sommes fous et mangeons comme nous pouvons car nous sommes isolés.

12 septembre.

Journée plus calme, le canon tonne moins. Les allemands paraissent être repoussés. Mais il pleut et nous sommes littéralement trempés et sales!! (tempête)

Dimanche 13 septembre.

Visite du château de Fleur-Fontaine - horrible!! Reconnaissances diverses et destruction des installations allemandes dans la forêt de Champenoux, évacuée par eux.

Le soir, départ à 6 h pour s’installer en GG en avant de l’étang de Brin. Il pleut et nous couchons dehors dans un fossé de la route.

14 septembre.

Fabrication de tranchées à la lisière est de la forêt - pas un coup de canon - il pleut toujours, nous sommes trempés car nous couchons dehors près de la ligne de chemin de fer.

15 septembre.

Journée en forêt: patrouille à Brin! Epouvantable!! Il pleut toute la nuit.

16 septembre.

En forêt.

17 septembre.

Relevés: retour à Laître: repos.

18 septembre.

Repos? Il pleut toujours.

J’ai reçu ta lettre du 4 septembre, c’est la seule............... Nous sommes en période de repos depuis aujourd’hui et bien gagné, je t’assure.........

Dimanche 20 septembre.

Repos. Hommage à nos morts.

21 septembre.

Retour à la forêt: fortification des tranchées. Nuit passée en forêt sous la pluie. Orage et canon tonnent ensemble. Nous sommes gelés.

22 septembre.

En forêt sous la pluie.

23 septembre.

Repos à Dommartin.

Après de nombreuses péripéties, je suis au repos pour deux jours...............nous avons vu le feu d’une façon très sérieuse. La compagnie a eu pas mal de pertes et pour combler les trous, plusieurs gradés et hommes de repos sont venu nous rejoindre.....................Nous venons de passer une série de mauvais temps qui a enrhumé beaucoup d’hommes, comme tu penses, car nous couchons très souvent dans les fossés d’une route sous une pluie battante. Mais je n’y comprends rien, moi qui suis si susceptible, je n’ai rien attrapé, qu’un mal à la gorge sans aucune gravité et qui est passé maintenant.

Les nouvelles ne viennent pas souvent............

25 septembre.

En réserve de combat près de Laneuvelotte. Retour au cantonnement de Dommartin à 4h.

......... j’ai reçu en bloc tes lettres du mois d’août .........En ce moment nous ne nous battons pas mais, du 10 au 18 septembre nous sommes allé au feu tous les jours et avons perdu beaucoup de monde. Dieu a voulu que je passe au milieu des balles et obus sans égratignures. Que sa volonté soit faite!.................

26-27 septembre.

Fortification des tranchées à la lisière de la forêt avant-postes.

28 septembre.

Repos à Dommartin.

29 septembre 1914.

Etant au repos pour 2 jours à Dommartin, petit village aux environs de Nancy, je me suis débrouillé malgré la défense formelle, pour être envoyé à Nancy pour faire des courses, de sorte que j’essaye de tricher et t’envoie cette lettre affranchie et par la poste ordinaire.

Notre emploi, jusqu’à présent, a été de défendre Nancy. C’est ainsi que nous sommes allés, le 20 août, nous battre à Delme à 25 km de Metz en Lorraine, nous avons été repoussés et nous sommes maintenus à Amance jusqu’à maintenant. Consulte une carte si tu en as. Les Prussiens sont venus nous faire une offensive terrible commandée par le Kaiser lui-même qui voulait offrir Nancy à sa femme pour sa fête. Il a raté, mais cela a été juste car nous ne pouvions plus résister. Le régiment a beaucoup de pertes comme tu as pu t’en apercevoir par les hommes qui partaient de La Rochelle pour remplacer les morts.

Pour ma part, je vais très bien, quoiqu’ayant eu très froid aussi j’achète des jerseys, caleçons pendant que je suis dans cette grande ville. Le bon Dieu me protège, car j’ai eu des obus qui ont tué des camarades qui me touchaient! et moi, je n’ai rien eu qu’une petite égratignure au pouce de rien du tout mais c’est horrible!

Je commence depuis le 24 à recevoir quelques lettres de vous mais je n’avais rien ou presque rien avant..........

30 septembre - 1 octobre.

Retour à la forêt: construction d’abris et de huttes en terre et en bois. Quelques coups de canon dans la journée. Quelques coups de feu la nuit. Changement de compagnie.

2 - 3 octobre.

Repos à Dommartin et Laneuvelotte.

4 - 5 octobre.

En avant-poste à l'extrême pointe de la forêt: travaux sérieux de défense de la lisière.

6 octobre.

Retour au cantonnement à Laneuvelotte. A 4 h, alerte. Nous allons occuper des tranchées à l’est du village. Retour au cantonnement à 8 heures.

7 octobre 1914.

Départ à 4 h du matin. Le 6° bataillon est envoyé en reconnaissance offensive vers Mazerulles et Moncel occupé par l’ennemi. Traversée de Champenoux et Mazerulles en ruine. Nous avons avec nous une batterie d’artillerie. Bombardement de Moncel: compagnie près de la maison en feu, puis entrée de l’infanterie dans le village (23° en 1° ligne). Nous avons eu 1 mort et 6 blessés.

Encore des morts et des blessés à la compagnie aujourd’hui...........tout n’est que tristesse et désolation autour de nous. Rien que des ruines dans lesquelles nous logeons tant bien que mal quand nous ne sommes pas dans les forêts. Tout est brûlé, partout des croix indiquant l’endroit où sont enterrés les morts, partout des fusils cassés, des effets déchiquetés et voilà depuis un mois le même spectacle.

Quelle horrible chose que la guerre!

P.S. Excuse moi si je suis triste, mais je viens de perdre un copain aujourd’hui et j’ai pleuré!

8 octobre.

En réserve des avant-postes dans la forêt.

9 octobre.

.............nous vivons dans les bois, ce qui est joli aux yeux, mais froid au corps surtout la nuit.

Je me porte toujours comme le pont neuf, j’ai même engraissé au dire de tout le monde. Nos distributions se font très bien et nous touchons nos vives très régulièrement car nous ne changeons que très peu d’emplacement.

Donc, si ce n’étaient les cadeaux que nous envoient les allemands nous ne serions pas trop malheureux...........

10 octobre.

Garde de police à Laneuvelotte.

Dimanche 11 octobre.

Repos à Laneuvelotte. A 16 h: alerte. Le bataillon quitte le village pour arriver vers 8 h à Lay-St-Christophe où nous couchons.

12 octobre 1914.

Repos à Lay-St-Christophe. Journée superbe dans un site admirable.

..........nous couchons très souvent dehors et il fait un froid de loup ici, nous avons de la gelée blanche tous les matins. Je viens de recevoir ta carte du 4 octobre me disant que Jean est cité à l’ordre du jour .................aujourd’hui nous sommes au repos.

13 - 14 - 15 octobre.

En forêt. Tranchées et abris. Combats de patrouilles. Eu connaissance de la mort de l’oncle Charles et de l’oncle Pierre.

16 octobre.

Je n’apprends aujourd’hui que de mauvaises nouvelles: d’abord celles que me donne ta lettre du 8! Cette pauvre tante Marie-Louise est vraiment bien malheureuse et bien à plaindre. Pauvre oncle: que je le regrette! Et l’oncle Pierre, espérons qu’il sera bien soigné par les allemands: ce qui arrive souvent heureusement!

Je te promets que je continuerai à faire mon devoir et que si l’occasion se présente, je vengerai mes pauvres oncles!

16 - 17 - 18 octobre.

Repos complet à Bouxières-aux-Dames. Site charmant. Réception aimable. Visite aux mines de fer.

17 octobre.

Je viens de recevoir ta lettre du 10 courant. D’après la précédente, je ne croyais ce pauvre oncle Pierre que blessé et prisonnier. Celle-ci m'apprend qu’il est mort!

C’est vraiment horrible pour ces pauvres tantes et pourtant que de familles sont aussi atteintes.

Et toi, pauvre Maman, que tu dois regretter ce frère toujours si bon pour toi et le dernier qui reste de ta famille! Si le bon Dieu veut que je sois épargné, sois sûre que ton fils te rendra la vie la plus heureuse qu’il lui sera possible et tachera d’adoucir ta douleur en te faisant une vieillesse heureuse.

Priez toutes les deux, je sens que je deviens de plus en plus pieux à mesure que je vois la misère autour de moi. Je t’assure que j’ai dit déjà plus d’une fois mon acte de contrition et qu’après le danger écarté, je remerciais le bon Dieu de m’avoir encore une fois protégé. Moi qui oubliait souvent ma prière, rares sont les fois où je m’endors sans avoir fait au moins un signe de croix.

Je suis en ce moment au repos pour 3 jours dans un gentil village aux environs de Nancy. J’ai trouvé, avec Lignerolles, une maison où les gens nous ont reçus comme leurs enfants, nous sommes choyés et avons même, pour la 1° fois, couché dans un vrai lit! Demain, Dimanche, il y a une messe des morts à laquelle je ne manquerai certainement pas d’aller.

Le pays est de toute beauté ici, le village est sur une hauteur au bas de laquelle coule la Meurthe. Nous avons été nous promener sur ses bords ce matin et avons fait une promenade charmante. Nous repartons demain pour la forêt, et ne tarderons pas, je pense, à prendre l’offensive. Mais - silence.

Et Roger a de la chance d’être chez lui si vraiment il n’a rien de sérieux................je n’ai besoin de rien. Si, cependant, le caleçon que tu m’as envoyé est si bien que j’en voudrais un autre pour pouvoir me le faire laver. Prends-le du même «métal» et de la même taille.............cette pauvre Madelon. Elle fait bien de soigner les malades, qu’elle y mette tout son coeur, car ces pauvres blessés ont bien besoin de mains de femmes après avoir couru ces horribles dangers.

Quelles blessures horribles j’ai vu à coté de moi. Je n’oublierai jamais un pauvre diable, condamné à mon insu à mort par moi qui l’avait placé à cet endroit, et qui est mort d’un éclat d’obus à coté de moi, les deux jambes arrachées. Je suis tombé à la renverse au fond de la tranchée et ai reçu une de ses jambes sanglantes sur moi. Il est mort 3 heures après dans des souffrances telles qu’il me demandait de l’achever!

Et combien de cas aussi épouvantables j’ai vu de si près.

Adieu ma chère Maman, continue de prier et je te reviendrai sain et sauf.............

P.S. La compagnie a touché des couvertures et j’en ai une superbe, toute neuve, mais Dieu! qu’elle est lourde sur le sac!!

19 octobre.

En forêt: construction de grands abris.

.................j’ai du linge plein mon sac, j’ai un bidon pris sur un allemand depuis 1 mois, j’ai 2 musettes, je suis sûr de ne pas m’envoler, je t’assure!

Hier, messe très touchante et église remplie, bondée même de soldats qui chantaient. C’était beau, et le vieux prêtre (strasbourgeois) était tellement ému qu’il a pris la parole au moins 5 fois pendant l’office.

20 - 21 - 22 octobre.

En réserve dans la forêt. Je passe à la 21° compagnie.

22 octobre.

Je viens t’annoncer une chose qui m’ennuie beaucoup. Je viens de changer de compagnie et suis passé à la 21°. La 23° avait 3 sergents d’active; la 21°, un seul. Il a fallu égaliser et moi, le plus jeune, ai dû déménager.

23 - 24 octobre.

Repos et exercices à Bouxières-aux-Dames.

Dimanche 25 octobre.

Visite au fort de Foucard. Journée et promenade superbes.

..........Nous sommes toujours aux mêmes endroits, absolument à la frontière et nous attendons. Donc nous ne sommes pas très malheureux pour le moment. Nous touchons très régulièrement nos vivres, des distributions de lainages et linge se font dans des proportions telles que les hommes en refusent maintenant, tu vois que je n’ai besoin de rien. J’ai même touché personnellement une grosse couverture et un gilet du docteur Rasurel «signé», laissant le reste aux hommes qui ne reçoivent rien de chez eux............pour le moment rien ne me manque, si ce n’est de pouvoir vous embrasser toutes les trois que j’aime tant!

Depuis le 7, nous n’avons pas combattu et seul le canon aux environs nous apprend que des camarades souffrent et meurent au loin! La bataille de l’Aisne est, paraît-il, gagnée. Tant mieux! Bientôt plus aucun allemand ne sera en France, je l’espère, et la guerre se fera sur leur sol. A nous alors de venger ces villes ruinées, ces villages mis en feu, à nous de détruire les leurs, de manger leurs vivres. Mais je suis sûr que le soldat français ne sera pas assassin ni pillard comme l’était l’ennemi!

Pauvres oncles! J’y pense bien souvent, je t’assure et prie pour eux. Aujourd’hui encore nous avons la chance d’être au village et j’ai assisté à la messe. C’est superbe vois-tu de voir tous ces soldats chantant à tue-tête le «Nous voulons Dieu».

Et dire que les allemands ont comme devise «Gott mit uns». Dieu avec nous. Ils brûlent les églises, tuent les prêtres et avec cela ils ont des livres de messes dans leur sac. J’ai fouillé beaucoup de sacs de morts ou blessés ennemis: partout des médailles et des livres de piété. Sur les décorations des officiers, la devise «Gott mit uns». Sur la plaque des ceinturons: même devise!

Espérons que ce ne sont que des hypocrites et que Dieu nous donnera la victoire!

Pauvre petit Muguet, je voudrais bien le voir trotter partout, et le promener, lui, me serrant le doigt de toute sa menotte!

Qu’a donc Bouscasse? Blessé ou malade? Il paraît que La Rochelle est plein de monde; des Belges, des Français chassés de chez eux qui viennent par bateaux à La Pallice. Est-ce vrai?

Monette Martin m’écrit de temps en temps une aimable carte postale. Décidément je crois que cette petite pense un peu beaucoup à moi. Tant mieux, elle est bien mignonne quoiqu’en dise Madeleine.

Et Roger? Il est toujours fatigué, il a peut-être les galons de sous-lieutenant, lui. Tous les sous-officiers du 123° qui ne sont pas morts, sont sous-lieutenants........Ainsi tu penses que les sous-officiers du 323° font une tête de les voir arriver ainsi..........ni moi ne sommes proposés. C’est dommage car si j’étais nommé sous-lieutenant, je resterai après la guerre!

Enfin si je reviens, je ferai mon possible avec les trous qu’il y aura un peu partout, pour me faire une jolie position. Mais il faut revenir!

26 octobre.

Repos à Bouxières-aux-Dames. Fait connaissance de la Marguerite.

27 octobre.

Avant-postes en forêt.

28 octobre.

A 4 h, alerte. La 136° brigade opère une reconnaissance analogue à la nôtre sur Moncel. Envoyé à leur gauche à Brin, installation et fortification d’une maison du village. Retour à 4h.

29 - 30 octobre.

Construction en forêt.

31 octobre.

Retour à Bouxières-aux-Dames.

1 novembre.

Repos. Fêtes religieuses superbes.

En allant l’autre jour à Brin, j’ai trouvé au milieu des décombres cette carte postale..........tu peux voir sur cette carte que ce village est exactement sur la frontière et que la forêt que nous occupons et qui lors du bombardement d’Amance était aux Allemands, donne tout près de là.

L’autre jour, le 29, la brigade était chargée de faire encore une reconnaissance offensive sur la droite de ce village avec ma section. D’ailleurs l’attaque ne s’est pas portée de ce coté et je n’ai rien eu à faire. Ce pauvre village est dans un état pitoyable et tout n’y est que ruine. Il est tantôt occupé par une section française, tantôt par une section allemande et des combats de patrouille y ont lieu tous les jours. Nous nous surveillons les uns les autres. L’autre jour une patrouille, commandée par moi, a démoli un uhlan à l’endroit marqué sur cette carte. Voilà ce que nous faisons depuis un mois 1/2; nous reposant de temps en temps comme aujourd’hui dans un petit village aux environs de Nancy (Bouxières-aux-Dames) ...........Nous avons de l’eau depuis quelques jours et l’habitation dans la forêt n'est pas agréable, je t’assure, nous avons les pieds continuellement humides et froids.

Au revoir, ma chère Maman, espérons que cette guerre aura une fin proche, mais en réfléchissant pourtant, j’ai bien peur qu’elle ne dure encore de longs mois!

P.S. Si tu peux m’envoyer un peu d’argent, il sera le bienvenu, je n’ai pas encore dépensé tout, mais je voudrais, autant que possible ne pas être complètement à sec. Les mandats fonctionnent très bien, mais envoie une lettre recommandée.

2 novembre.

Jour des morts. Fêtes religieuses. Bruits de départ.

Je vais toujours très bien mais ai en ce moment une crise de furonculose. Je me soigne autant que possible et quand nous sommes au repos, je suis soigné par une aimable et jolie jeune femme qui est une infirmière parfaite. Ne t’inquiètes pas, ce n’est rien du tout, mais le sac est douloureux avec ce bobo.

Nous avons eu des cérémonies superbes et touchantes au dernier degré hier et aujourd’hui. J’ai eu la veine d’être de repos dans le même village et de pouvoir assister à tout. Les soldats du bataillon se sont pour ainsi dire emparé de l’église. C’est un soldat qui a dit la grand-messe, c’est un soldat qui a prêché (un vicaire de Toulouse), c’est un soldat qui jouait de l’harmonium et ce sont des soldats qui ont chanté! Au sermon, en des phrases et des termes superbes, le jeune prédicateur a tiré des larmes à tous les yeux. Les officiers, soldats et civils pleuraient, tous!

Aujourd’hui, messe des morts toujours par des soldats et remise de gerbe de fleurs offerte par nous au monument des combattants de 1870. Dans ce cimetière de campagne, devant tous ces soldats découverts et agenouillés, devant toutes ces femmes qui pleuraient, le canon qui grondait très près de nous, tout cela m’a fait un effet indéfinissable en songeant que l’année prochaine, c’est peut-être sur nos tombes que l’on déposera des fleurs!

Mais que de gens pieux, combien de soldats et d’officiers assistent à ces offices. Je suis sûr que cette guerre fera en France un changement au point de vue religion, car sur 1000 hommes, certainement plus de 600 étaient présents à ces offices, le Commandant Millet en tête. Je sens, ma chère Maman, que je change et que je suis plus pieux qu’autrefois.

Ta lettre m’a fait beaucoup de peine en me confirmant la mort de ce pauvre Claude Sunon avec qui j’étais si lié, dont la famille est si aimable! C’est affreux de penser que ce pauvre gentil garçon est maintenant dans la terre, raide et décomposé. Pauvre famille, que je la plains!..............

3 - 4 novembre.

Sur le qui-vive. Prêts à partir au premier signal.

5 novembre.

A 22 h, alerte. Nous partons précipitamment pour le cantonnement de Faulx-St-Pierre.

6 novembre.

Nous sommes en réserve du 266° qui se bat. Nous restons à Faux-St-Pierre toute la journée, prêts à partir au premier signal.

7 novembre.

Nous partons à 12 h pour cantonner à Bouxières-aux-Dames.

8 - 9 - 10 novembre.

Repos charmant à Bouxières. Bruits continuels de départ pour le nord.

...........Nous (tous les Rochelais) allons toujours très bien, je suis d’ailleurs toujours fourré avec mes anciens amis de la 23°........ si tu vois Roullet......... il t’expliquera la bataille d’Amance et la défense de Nancy. Tu verras que ce n’était pas drôle du tout...........

Tu vois peut-être par les journaux que l’on vient de s’agiter un peu de notre coté; nous avons en effet des alertes, mais notre régiment n’a pas donné cette fois-ci.............

Quant à moi, mes furoncles suivent leur cours. Je les ai fait percer et ils me font un peu souffrir mais ce sera bientôt fini, car j’ai été bien soigné par une aimable infirmière...............

11 novembre.

Brusque départ à 6 h du matin pour aller cantonner à Laneuvelotte. Mauvais cantonnement dans le village qui a été bombardé.

12 novembre.

Construction de tranchées à l’est de Champenoux, face au bois Morel.

13 novembre.

Garde-police à Laneuvelotte.

...........Nous nous sommes déplacés plusieurs fois depuis quelques jours parce que les Boches se sont un peu agités par ici, mais tout va bien tout de même.

Nous sommes malheureusement cantonnés dans un village en ruine où nous couchons dans la paille, au milieu de nombreux courants d’air et comme la température se rafraîchit de plus en plus, les passe-montagnes et cache-nez servent tant et plus.

Je suis content que Roger aille complètement bien. Quel veinard tout de même d’être tranquillement à La Rochelle pendant que nous pataugeons dans des tranchées pleines d’eau ou que nous nous cachons dans la boue des fossés pour nous abriter des marmites comme nous pouvons!

J’ai reçu une lettre d’un caporal de la 7° compagnie du 123°, un nommé M. Laforge, qui me dit que sur les 250 hommes de mon ancienne compagnie, celle avec qui est parti Roger, 23 hommes sont restés intacts. Il est blessé et soigné par l’oncle Joseph à Villeneuve. D’ailleurs le régiment a 2400 hommes morts, blessés ou évacués! C’est épouvantable.

J’ai reçu également une longue lettre de ma gentille cousine Simone qui est toujours aussi affectueuse.

En un mot, nous ne sommes pas à la noce, c’est entendu, mais nous nous consolons en songeant aux pauvres copains de Dixmude, d’Ypres, etc. Nous nous estimons bien heureux d’être à la garde de Nancy.................

14 novembre.

Repos et exercices.

Dimanche 15 novembre.

A 9 h du soir, départ par une nuit complètement noire et un temps épouvantable. Nous allons occuper la gare de Moncel à 300 mètres de Pettoncourt occupé par l’ennemi. Nous relevons le 344°. Plusieurs coups de fusils accompagnent la relève qui se fait vers 4 heures du matin.

16 novembre.

Enfermé dans un bâtiment de la gare de Moncel face aux tranchées ennemies (200 m). Faction de 12 heures pour les hommes. Installation de fil de fer en travers de la route.

17 novembre.

Relève faite dans les mêmes conditions à 4 heures du matin. Nous passons la journée et la nuit à Mazerulles.

18 - 19 novembre.

En réserve à Champenoux. Il commence à faire froid.

Me voilà rescapé encore une fois! Quel froid! Excuse mon écriture, mais j’ai les doigts gelés et j’écris dans une masure ouverte à tous vents, une pauvre vieille femme qui ne veut pas abandonner sa vieille bicoque, m’a prêté un peu d’encre ce qui est plus pratique que le crayon.

Le 323° est en avant depuis 5 jours, le secteur de la compagnie est extrêmement dangereux en ce sens qu’il faut être très prudent car nous sommes à 200 mètres à peine des sentinelles Boches.

Voici comment: il y a 15 jours, le 344° a pris à l’ennemi un petit village français, Moncel, qui se trouve entouré de tout cotés par des hauteurs. L’ennemi n’a pas dégagé ces hauteurs et nous menace de ses tranchées bien placées. La compagnie est chargée d’occuper la gare qui est à 800 mètres du village proprement dit (gare frontière assez importante).

La relève des compagnies ne peut se faire que la nuit car le jour il faut rester enfermé dans les bâtiments. Dès que l’on sort le nez à une fenêtre (ce qui est arrivé à un homme) une grêle de coups de fusils tombe sur la malheureuse fenêtre (l’homme est mort d’une balle au front).

Pendant que nous relevions la compagnie du 344° que nous remplaçons vers 1 h du matin, les sentinelles Boches ont entendu naturellement du bruit et nous ont tirés dessus. Mais il ne faut pas s’effrayer, il en est ainsi à chaque relève.

J’ai eu pendant la 2° nuit une mission assez délicate: celle d’aller placer des fils de fer en travers de la route qui mène au village occupé par l’ennemi (300 m. de la gare). Il faisait un vent à décorner des boeufs, il pleuvait à torrent, je suis parti avec 2 hommes résolus.

Nous sommes restés ½ heure dans les accalmies du vent. Nous entendions les pas de la sentinelle allemande qui se trouvait en avant de leurs tranchées à environ 100 mètres de nous. Elle nous a également entendu car elle a tiré 3 ou 4 coups de fusil sur nous, mais à coté, car nous nous en sommes tirés tous trois intacts.

Aujourd’hui, nous sommes relevés et au repos dans un village en arrière de Moncel, tout démoli bien entendu. Nous retournerons à la gare dans 3 jours. Il a gelé terriblement la nuit dernière et encore maintenant d’ailleurs, de sorte que la boue est gelée et il est difficile de marcher même sur les routes............

Je viens de faire de la photo avec mon lieutenant qui m’a pris 2 ou 3 fois, je t’enverrai cela quand j’en aurai.

Ci-joint un article du "Journal" du 12 au 14 courant qui décrit ce que nous avons fait. En lisant, tu peux te dire que c’était le 323°, le régiment qui était dans les tranchées sous Amance, et que le même régiment, joint au 206, a chargé la fameuse forêt de Champenoux. C’est dans cette forêt que nous avons passé près de 2 mois, après l’avoir prise aux Boches. C’est là que j’ai vu tant de cadavres français et allemands, etc, etc..........

P.S. Ne crains rien, car je crois que l’on n’avance pas trop par ici.

J’ai les doigts gelés, les pieds aussi, je vais me chauffer un peu.

20 novembre.

Retour à Mazerulles. Il gèle.

21 novembre.

Départ à 3 h du matin pour les tranchées de Moncel. Il gèle terriblement. Journée passée de façon calme (sentinelle allemande blessée).

Dimanche 22 novembre.

Retour à Champenoux par un grand froid.

23 novembre.

Repos à Champenooux.

J’ai reçu, avant-hier, ta lettre du 14, écrite à Quinsac. Je l’ai lue avec plaisir à six pieds sous terre, face à face avec les Boches et avec -6 de température.

Quel froid dans ce pays! Je me souviens, quand j’étais petit, que tu me racontais t’être souvent lavé les mains avec de la glace. Cela vient de m’arriver ces jours-ci. Les lavoirs sont gelés et l’eau dans nos seaux se prend dès que l’on en puise à la prise d’eau.

Nous venons d’arriver en petit repos dans un village (le même d’où je t’ai écrit le 18) et ma vieille bonne femme me prête encore son encre. Où est notre cantonnement de Bouxières-aux-Dames où nous étions si bien reçus! Ici tout est cassé, brûlé, dévasté par ces sales boches que le diable emporte!

Figure-toi que avant-hier, nous étions près, comme d’habitude, de l’ennemi et nous voyions une sentinelle allemande qui nous agaçait car elle se montrait trop. Le capitaine me dit alors de la démonter par un feu de salve bien tassé. Je désigne 5 poilus et nous la mettons en joue. A mon signal les 6 coups partent en même temps et la sentinelle dégringole dans sa tranchée. S’il est mort, que Dieu ait son âme, s’il n’est que blessé, tant mieux pour lui, mais sur 6 balles, il doit être touché. Nous l’avons d’ailleurs payé, car ils n’ont fait ensuite que tirailler toute la nuit.

Je viens d’apprendre à l’instant que nous allions prendre quelques jours de repos, mais je ne sais dans quel village en arrière. Tant mieux car les avant-postes sont dures à prendre par ce froid surtout pour ces pauvres soldats qui prennent la faction. Quel avantage d’être sergent, on sort moins souvent de son trou........... Beaucoup de gens ici reçoivent des nouvelles de jeunes gens prisonniers en Allemagne, même de blessés qui disent même être très bien soignés.

Je recevrai ton ciré avec joie car j’ai reçu de l’eau l’autre jour et avec cet uniforme incommode, la pluie vous tombe dans le cou ............ J’ai, à ma nouvelle compagnie, de très bons camarades et nous nous entendons ensemble pour notre cuisine que nous faisons nous-mêmes. Quand nous sommes un peu en arrière, nous achetons, en plus de l’ordinaire, des haricots, des conserves de petits pois ou de haricots et nous mangeons très agréablement.

J’excelle maintenant à faire une soupe à l’oignon, des pommes de terre frites, des rôtis de boeuf (quand nous pouvons trouver une cuisinière abandonnée que nous rafistolons du mieux que nous pouvons). Nous aimons mieux faire ainsi plutôt que de manger la sempiternelle viande cuite dans la graisse (seule chose que savent faire les cuisiniers d’escouade).

Un de mes camarades est très calé pour faire la cuisine mais comme il ne veut pas la faire toujours, il nous apprend et c’est chacun à notre tour. Aujourd’hui c’est le mien.

Menu:

Déjeuner: Thon (marque Basset) envoyé par Mme Triaud.

Salade de pommes de terre.

Beafteck sur le gril.

Café.

Dîner: Soupe à l’oignon.

Rôti de boeuf.

Haricots.

Tu n’auras plus besoin de bonnes quand je reviendrai................

24 novembre.

Départ à 7 h et arrivée à Lenoncourt.

25 novembre -1 décembre.

Cantonnement à Lenoncourt. Exercices sous la neige. Visite à St-Nicolas-du-Port.

..............Merci beaucoup de ce beau caoutchouc si léger. Je ne m’attendais certes pas à un pareil manteau. Je croyais que c’était un simple capuchon en toile ciré. C’est très pratique et me servira beaucoup. Je te remercie donc beaucoup de ton attention pour moi. Tu me gâtes véritablement. Merci aussi des petits beurres. Tu sais que c’est mon faible et que je les trouve exquis - mes camarades aussi, du reste.

Par exemple, j’ai bien ri quand j’ai vu ces plaques blindées. Je ne crois pas cela bien pratique mais enfin merci tout de même. Pour le moment cela ne me servira guère car voilà longtemps que nous ne nous battons pas. Nous occupons des tranchées quelquefois un peu dangereuses, mais c’est tout.

Mes furoncles sont maintenant complètement guéris............. Quelle veine si je peux quitter l’Administration. Espérons cette fois que cette combinaison marchera bien! C’est là un de mes plus grands désirs après celui de revenir sain et sauf.

Je t’assure que pour le moment, je n’ai absolument besoin de rien. Je suis même heureux. Nous partons demain pour Bouxières-aux-Dames, tu sais ce village où je suis si bien (lit, bons repas, soins donnés par de jeunes et gentilles femmes, etc...)

Tu trouves que je ne donne pas assez de détails sur mon genre de vie. Mais ma pauvre Maman, c’est si monotone: nous errons de village en village. Tantôt dans de bons cantonnements, tantôt dans de plus mauvais. De temps en temps nous allons occuper des tranchées, comme l’autre jour à Moncel, mais alors, je te donne des détails........... J’ai même écrit à Simone, lui racontant deux épisodes de ce qui s’est passé à Moncel ................

Nous sommes depuis 8 jours à Lenoncourt, village qui n’a pas été bombardé, mais où nous ne sommes pas très bien reçus. J’ai cependant pu trouver un lit chez le garde-champêtre, mais il me le fait payer cher.

Comme nourriture, nous recevons nos vivres très très bien, mais c’est toujours de la viande. Nous touchons très rarement de légumes, de sorte qu’à ma popote nous sommes obligés d’acheter des légumes qui, vu les circonstances, coûtent très cher. Grâce à cela nous mangeons très bien. J’engraisse ...............

Mais cette vie est monotone, surtout par le vilain temps. A 4 h, il fait noir, on ne sait où aller ni que faire. Nous avons eu de la neige comme je n’en ai jamais vu à La Rochelle. Depuis 2 jours cependant il fait très beau.................

2 décembre.

Départ à 5 h pour Bouxières-aux-Dames. Garde-police.

3 décembre.

Cantonnement à Bouxières. Alerte à minuit, comme exercice.

4 - 10 décembre.

Repos et exercices à Bouxières. Voyage à Nancy.

7 décembre.

..........Nous sommes comme je t’ai dit de retour à Bouxières-aux-Dames où nous sommes soignés et dorlotés comme par le passé. Quand je suis dans ce village, je continue à faire popote avec les sergents de la 23°, avec qui je suis photographié, car j’avais commencé avec eux et comme nous sommes tombés dans une si aimable famille, je ne peux pas décemment aller ailleurs.

Mes furoncles sont guéris comme je te l’ai déjà dit, grâce au soin d’une jeune femme très aimable et, comme je viens d’attraper un rhume (sans aucune importance) on me fait des tisanes, on me réserve du lait, etc, etc.

Je couche dans un lit bien chaud, je mange très bien et de tout (un seul ennui: je dépense un peu trop, mais que veux-tu quand on peut se refaire un peu lorsque nous sommes en arrière, on en profite.) je te demanderai donc de l’argent si toutefois cela ne te gêne pas trop. Si tu ne peux pas, que veux-tu, je mangerai à mon escouade: à la guerre, comme à la guerre! Mais j’espère que tu peux toucher tes coupons assez facilement?

Hier, Dimanche, j’avais un peu mal au pied, mais j’ai surtout demandé à rester, à ne pas aller à l’exercice, parce que j’étais enrhumé. Mon pantalon était tout décousu, tout déchiré: j’ai donc mis un pantalon de mineur et me suis habillé en ouvrier pendant que ces dames me réparaient mon pantalon. C’était tordant.

..........Avec mon caoutchouc, tout le monde me salue, j’ai l’air d’un officier! Mais il est bien commode. Avec ces chaussettes, j’ai bien chaud au pied, je n’en avais jamais porté, c’est très bon et je t’en demanderai une 3° paire, car je ne porterai plus que cela et hiver. De plus j’ai touché des souliers tout neufs et très solides............

L’autre jour, on nous a fait une alerte de nuit, vers 1 h du matin. J’avais tout mon linge à laver, je m’ennuyais beaucoup car je ne pouvais l’emporter tout mouillé. Heureusement que ce n’était qu’un exercice.

8 décembre.

.............Figures-toi que je viens d’être désigné dans le Régiment pour aller chercher à Nancy une nouvelle tenue: la fameuse tenue gris bleue dont on parle dans tous les journaux.

Je viens de me promener dans la grande ville, tout flambant neuf. Tout le monde me regardait et plusieurs officiers m’ont arrêté. De l’avis de tous, ça a l’air Boche, mais en tout cas, c’est très pratique (beaucoup de poches) et j’en suis content. Me voila passé Mannequin, mais on va d’ici peu en donner aux hommes, je crois, si c’est pratique.

En somme, cela m’a procuré un voyage à Nancy à l’oeil, c’est très chic. J’ai également pu prendre un bain!!!!!

11 décembre.

Départ à 11 h en alerte pour le village de Faulx-St-Pierre.

12 décembre.

Cantonnement à Faulx-St-Pierre.

13 décembre.

.........Nous avons quitté Bouxières-aux-Dames depuis 3 jours et nous sommes beaucoup moins bien à Faulx-St-Pierre où nous remplaçons pour je ne sais combien de temps le 266° qui a reçu dernièrement une grosse pile de la part des Boches.

Il pleut depuis 4 ou 5 jours, mais il ne fait pas froid de sorte que nous ne souffrons pas, mais nous nous ennuyons. Que cette guerre est donc longue, mon Dieu, et pourtant elle n’est pas prête de finir, car il y a encore beaucoup à faire pour anéantir cette maudite nation.

Ah! Pendant que j’y pense, on vient de nous prévenir de faire changer nos adresses, de façon à ce que les lettres nous parviennent plus vite. Adresse les ainsi, je te prie:

Mr Georges Triaud

sergent. 323° R.I. 21° compagnie

secteur postal n° 136

Inutile de mettre par La Rochelle-dépôt. Jean Chagnaud vous le dira aussi probablement car c’est une nouvelle organisation qui se fait dans le service des P.T.T.

Je t’envoie dans cette lettre 4 photos prises soit par mon lieutenant, soit par moi et qui te donneront une idée de l’état des villages que nous traversons. Elles sont numérotées:

1° Eglise de Champenoux où des soldats-prêtres disent la messe au milieu des courants d’air (j’y ai entendu 2 messes dans ces conditions).

2° Eglise d’Erbéviller (photo prise par moi): de gauche à droite: mon capitaine, le fourrier, mon lieutenant.

3° Eglise de Champenoux (extérieur). Au-dessus de la x est ton fils que tu devineras peut-être, mais que tu ne reconnaîtras pas.

4° Intérieur d’une maison de Champenoux. De gauche à droite: le capitaine et moi.

Au moment où je t’écris, on m’annonce une alerte, départ dans ½ heure et il faut manger avant. Le canon tonne tout près. Je ne sais pas où nous allons.........

Alerte à 10 h 1/2. Nous partons pour la direction de Millery, puis de Bezammont, puis sur la forêt de la Fourasse, à 4 km à l’est de Pont-à-Mousson (30 km). Nous y couchons, sous la pluie, sans abris, le canon tonne sans cesse en Woëvre, la fusillade éclate de temps en temps près de nous; on craint une attaque pour demain.

14 décembre.

Construction de tranchées sur la lisière de la forêt. A 5 h. du soir, nous sommes relevés par le 314. La canonnade a empêché l’attaque de l’ennemi qui cependant a balayé la lisière du bois. 4 morts, 8 blessés à la 24°. Nous restons cantonné à Millery à 9 h ½ du soir, les hommes sont mouillés et éreintés.

15 décembre.

Repos à Millery-sur-Moselle.

..........Il était 10 h 1/2, Dimanche dernier et j’étais en train de t’écrire lorsqu’il y a eu alerte. Nous nous équipons sans avoir presque le temps de manger et nous nous dirigeons sur un joli village sur les bords de la Moselle: Millery à 10 km.

Je t’ai dit que le canon tonnait très fort. De Millery, on nous envoie dans un autre village, toujours en suivant la Moselle (10 km encore). Là, on nous dit qu’une attaque était prévue vers Pont-à-Mousson dont nous étions éloignés alors que d’une dizaine de km.

Le commandant reçoit l’ordre d’aller occuper le bois de la Fourasse à 4 km à l’est de Pont-à-Mousson, bois à la lisière duquel une compagnie du 325 (Poitiers) avait été anéantie le matin. Nous sommes entrés dans ce bois, la nuit bien entendu, l’ennemi n’étant pas loin.

Nous étions éreintés par la marche que nous avions faite (plus de 30 km) et, pour comble de malheur, la pluie s’est mise à tomber et n’a pas cessé de toute la nuit. Nous sommes restés, toute la nuit, de 8 h à 6 h du matin, couchés sous la pluie, en pleine forêt, avec défense de faire du bruit et naturellement pas de feu et sans avoir mangé.

Grâce à ton caoutchouc, j’ai pu dormir quelques heures, adossé à un tronc d’arbre, sans avoir trop froid. (Que je t’ai remercié, cette nuit là, de ton envoi!). Les autres avaient leurs capotes complètement traversées.

Dès 6 h du matin, nous nous mettons à faire des tranchées, car nous croyons, nous aussi, être attaqués, mais la violente canonnade de la veille et de la nuit avait chassé les Boches qui ne se sont pas montrés.

Cependant, toute la journée nous fûmes les terrassiers et organisâmes une défense de la lisière du bois, puis le soir, à la nuit, nous avons été relevés par le 314° (St Maixent). Nous avons été obligés d’entamer nos vivres de réserve.

Nous sommes, aujourd’hui, à nous reposer à Millery. Mes souliers étaient si mouillés qu’après les avoir enlevés, je ne pouvais plus les remettre!

Tu vois que nous nous sommes éloignés de Nancy cette fois, mais c’est la division qui garde ce secteur qui avait demandé à sa voisine un régiment de renfort. J’espère que, maintenant que l’attaque est repoussée, nous allons rentrer chez nous!

J’espère que voilà des détails au moins? A part cela, toujours en bonne santé, bonne humeur, tout va bien, même très bien!

J’ai reçu ta lettre du 8 octobre. Je suis tout à fait de l’avis de Jean au sujet de la durée de la guerre: elle sera longue mais les Boches sont f...ichus......

16 - 20 décembre.

Repos à Millery-sur-Moselle. Vu les églises de Metz.

19 décembre.

J’ai reçu hier soir ta lettre du 14 décembre contenant le mandat de 25 F. Je te remercie beaucoup de ta bonté pour moi: 25 F me suffiront certainement pour un mois et d’ailleurs je ferai toujours mon possible pour dépenser le moins possible que je pourrais. Je t’en demanderai quand j’en aurai besoin.

J’ai oublié, dans ma dernière lettre, de te remercier du petit manuel français-allemand que tu as mis dans une de tes dernières lettres. C’est très pratique et me servira certainement, soit que nous entrions en Allemagne: ce que je souhaite, soit que je sois fait prisonnier: ce que je ne souhaite pas du tout.

J’ai pensé, moi aussi bien souvent, au mobilier de Madeleine. Les Allemands pillent les maisons d’une façon abominable, j’en ai vu bien des exemples et Pont-à-Mousson qui a été occupé par eux, en est la preuve: les trains qui apportaient, soit des troupes, soit des munitions, ne repartaient jamais vides pour l’Allemagne: les pianos, les objets d’art, les meubles, les bijoux, les pendules étaient emballés à destination des villes de l’intérieur de l’Allemagne. Bien mieux: il parait que certaines femmes d’officiers venaient "acheter" ce dont elles avaient besoin dans la ville même.

Enfin j’espère que ce sera remboursé en partie ou en entier, mais que les fonctionnaires et surtout les officiers qui sont nommés d’office dans une ville toucheront la valeur de ce qu’ils ont perdu. Ce serait au moins juste.

Le chien de Jean me rappelle le chien que nous avions au bataillon. Le médecin lui avait fait faire une ceinture et un collier avec des croix rouges et le dresse également à chercher les blessés, il a un petit flacon de je ne sais quoi au cou. Il est d’ailleurs très joli et très gâté par tout le bataillon.

Quel veinard, ce Roger, il est sur de s’en tirer à bon compte de la guerre! Plusieurs l’envient ici, je t’assure.

Merci de me tricoter des chaussettes de laine. Je trouve cela très bon et depuis que j’en ai, j’ai bien moins froid au pied et j’ai surtout aussi de très bons souliers tout neufs.

Dis à Madeleine, je te prie, que je ne vais pas souvent à Nancy, mais que si j’y vais, je me ferai un plaisir de me pendre à la sonnette du numéro 46, de l’avenue de France.

Quant à nous, ma chère Maman, nous sommes toujours à Millery, un joli petit village sur les bords de la Moselle, à quelques kilomètres seulement de Pont-à-Mousson. Nous avons changé de secteur. Pourquoi? Je n’en sais rien. Pour combien de temps? Mystère. Nous sommes moins bien qu’à Bouxières, mais enfin je suis couché dans une bonne grange assez close, je "barbote" une botte de paille neuve tous les soirs et je m’installe sous une machine à battre. De cette sorte, enveloppé dans ma couverture, je dors sans avoir trop froid. Si je peux trouver un lit, je le prendrai, mais ça m’a l’air difficile ici, je n’en ai en effet pas trouvé et pourtant, je sais fouiner!.....................

21 décembre.

Départ à 7 h pour Bezaumont où nous cantonnons (ballon captif).

22 - 23 décembre.

Cantonnement à Bezaumont.

Nous nous sommes, depuis 2 jours, approché encore davantage de Pont-à-Mousson et ma fois, je ne comprends pas du tout pourquoi le 323 est ainsi éloigné du reste de la brigade qui continue, elle, à être à la frontière, en face de Nancy. Les attaques sont plus fréquentes de ce coté-ci que là-bas, mais nous n’avons rien eu, même pas d’engagement. Seul le canon nous ennuie, par moments, en tapant un peu trop près.

Nous sommes en cantonnement d’alerte dans un tout petit village qui a été bombardé et qui se trouve au haut de la butte dominant un pays superbe. Nous voyons à nos pieds serpenter la Moselle, nous la voyons traverser la ville de Pont-à-Mousson, passer au pied de la colline appelée la Mousson et se diriger vers Metz dont nous apercevons très distinctement les clochers et les usines.

A coté de nous est une station aéronautique et nous nous distrayons à voir les ascensions du ballon captif. Mais, par contre, il fait froid et les habitants du village nous disent que c’est un des points de la contrée où il fait le plus froid. Ainsi, ce matin, il y avait une bise fortement aigrelette et je me suis lavé en plein vent à la fontaine publique, comme d’habitude d’ailleurs, je croyais avoir les mains gelées. Mais enfin tout ceci n’est rien si l’on doit revenir.

Voila 15 jours que j’ai un bobo au pied qui ne veut pas guérir. Dès que je fais un faux pas, la croûte s’en va et c’est à recommencer. Je n’ai plus les bons soins de Bouxières. J’ai donc demandé au Capitaine qui me l’a accordé, la permission de n’aller à aucun exercice ou manoeuvre pendant 2 ou 3 jours. J’ai mis force teinture d’iode et maintenant c’est à peu près guéri.

Et vous, mes pauvres femmes à qui je pense bien souvent, vous n’allez pas passer une fête de Noël bien gaie. Enfin, priez pour nous tous à la Messe de Minuit. Demandez que cette guerre finisse bien vite et que l’offensive que l’on va prendre d’ici peu ne coûte pas trop d’hommes à la France.

Pour le jour de l’an j’enverrai des cartes postales à quelques personnes, en outre des membres de la famille, mais pour les personnes à qui tu écriras et que je connais, tu voudras bien leur faire mes meilleurs voeux. Je crois d’ailleurs que les cartes de visite n’existeront pas cette année. Cependant je n’ai pas l’adresse des parents de Roger, dis-lui de leur faire mes voeux de tout coeur.

Et vous deux, je vous souhaite une bonne santé, cette année-ci où nous aurons tous tant besoin de travailler pour rattraper le temps et l’argent perdu. Je fais des prières pour que Jean revienne à Madeleine, le contraire serait si horrible! Ces voeux sont peut-être anticipés mais je ne sais si je pourrai tomber juste pour le jour et j’aime mieux ne pas être en retard...............

24 - 25 - 26 décembre.

Cantonnement à Bezaumont. Vaccination antityphique. Fièvre.

Dimanche 27 décembre.

Départ à 11 h pour Bouxières, remplacés par le 232 qui revient de Woëvre.

28 décembre.

Départ à 8 h de Bouxières pour Lay-St-Christophe.

..........J’ai eu tord de t’inquiéter, l’autre jour, dans ma lettre du 13, écrite le jour où nous avons eu alerte. Bouyé, que je viens de voir et qui, entre parenthèse se porte à merveille, m’a montré une lettre de son père qui avait l’air très inquiet, ayant appris "par moi" que nous allions nous battre!!! Nous avons très souvent des alertes de ce genre et à présent nous ne nous en inquiétons plus outre mesure. C’est pourquoi, je t’en parlais si naturellement.

Mais votre amour paternel et maternel aidant, ainsi que la distance, font que vous grossissez toujours beaucoup ce que nous risquons. N’aie donc plus peur, si je laisse échapper dans une lettre un mot inquiétant et surtout ne répand plus la panique dans le monde Rochelais.

Nous sommes revenus dans notre secteur et nous cantonnons aujourd’hui, pour un jour, à Lay-St-Christophe, village à 3 km de Bouxières. Nous repartons, d’après ce qu’on dit, demain prendre les avants postes du coté de Lunéville.

Il y a deux jours, ou plus exactement deux nuits, un zeppelin est passé au-dessus de nous et a été bombarder Nancy. Il a jeté 14 bombes de 60 kilos et a tué 22 personnes. Tu le verras dans les journaux probablement. Quel sale peuple, tout de même qui bombarde les villes ouvertes et tue les femmes et les enfants..............

J’ai fait mes lettres du 1° de l’an sous forme de cartes postales. Je ne crois pas avoir oublié quelqu’un d’important................

Nous avons reçu des cadeaux de Noël et des étrennes sous forme de pâté, bouteilles de rhum, petits-beurre, etc, etc, envoyés par le département en général et Mme Laudrodie en particulier. Les hommes étaient heureux, comme tu penses, de cette petite bombance qui, d’ailleurs, est bien tombée car nous étions aux avant-postes dans un village dépourvu de presque tout.

Ah! J’oubliais de te dire une chose qui va te faire un bien grand plaisir: on nous a faits le 24 décembre, la 1° inoculation contre la fièvre typhoïde! De sorte que nous avons eu la fièvre pendant la nuit de Noël ce qui a été fort intéressant. On nous fera les autres piqûres plus tard...........

P.S. Merci d’avoir pensé à m’envoyer un faire-part de la mort de ce pauvre Oncle. Cela m’a beaucoup intéressé.

De Lignerolles envie mon caoutchouc et va s’en faire envoyer un pareil par sa femme. Le fait est qu’il me sert beaucoup.

29 décembre.

Départ à 11 h et marche de 25 km. Cantonnement à Réméréville.

30 décembre.

Départ à 2 h du matin pour prendre les avant-postes dans des bois en face de la forêt de Bezange.

31 décembre.

En forêt. Boue et froid. Nombreuses patrouilles. 50 m. des Boches.


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