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Georges TRIAUD (323° RI)

 

 

La Rochelle ce 30 juillet 1914.

Ma chère Maman,

Eh bien! Etes-vous très inquiètes là-bas au sujet de la guerre? J’espère que non, quoique nous en soyons bien prêts, il ne faut pas le cacher.

L’oncle Louis vient d’écrire à Roger une lettre épatante dans laquelle il lui dit que malgré sa douleur de le voir partir, il l’exhorte à y aller bravement et à faire crânement son devoir.

Si l’on doit y aller, dit-il, sursum corda! Plus haut les coeurs et en avant!

Quant à tante Marie-Louise, elle ne fait que pleurer nuit et jour. C’est véritablement beaucoup trop se frapper.

Ici -La Rochelle- contre son habitude, est très mouvementée, les journaux sont pris d’assaut. On ne peut lire les dépêches tellement il y a cohue sous le Palais. Je n’avais jamais encore vu cela.

A la caserne, nous avons touché nos effets de guerre et nous nous exerçons aux préparatifs de départ et de mobilisation - ce qui ne nous a pas empêché de faire une marche de manoeuvre de 30 km, mercredi.

Aujourd’hui, jeudi, j’ai pris la garde depuis le retour de la marche jusqu’à ce soir 5 heures.....et demain matin vendredi à 1 h 1/2, départ pour une marche de 39 km (avoués), ce qui fait au moins 40.

Je suis vraiment un peu fatigué mais cela passera à force d’entraînement. Je n’avais jamais vu tant de monde à nous voir arriver. C’étaient presque des ovations à l’armée.

Ce que j’admire et ce qui me fait plaisir c’est la façon dont l’idée de la guerre a été prise à la caserne. Tout le monde plaisante. Ah! le caractère français est vraiment épatant!!

Et puis c’est cette confiance dans le succès qui est admirable et le fait est que la partie est belle pour nous en ce moment.

Nous devrions bien saisir l’occasion par les cheveux et partir!! On verrait bien!

Mais attendons les décisions allemandes et russes.............

Au revoir, chère Maman, surtout ne t’affoles pas comme toutes ces pauvres dames ici et sois certaine que ton fils fera son devoir partout où il passera et dans toutes les circonstances...............

10 août.

Départ: Présentation au drapeau sur la place d’armes. 16 h.

Eugêne BLONDEAU (206° RI)

 

 

Mardi 4 août 1914

Le train, parti au chant de la marseillaise, tout le monde est gai, d’une gaieté vraie. On sent que tout le monde est prêt à faire son devoir. Les femmes sont superbes d’émotion contenue, d’espoir en la victoire et de résignation pour un tel sacrifice. Nous arrivons à Brétigny, on nous offre des fleurs, nous écrivons sur nos wagons “ Honneur à Brétigny ”, nous y écrivons aussi des inscriptions drôles et souvent spirituelles, des caricatures qui ne laissent aucun doute sur nos intentions à l’égard de l’Allemagne et surtout de l’empereur, entre autre une potence qui représente Guillaume au bout avec cette légende “ Ci-gît l’empereur d’Allemagne ” hélas bien par sa faute.

Le trajet est long. Nous arriverons à Saintes qu’à 1h du matin. On couche en ce lieu. Chacun raconte ce qu’il est, ce qu’il fait, ses espérances, ses préoccupations, parle plus longuement des êtres chers qu’il vient de quitter.

 

Mercredi 5 août

1h. Nous arrivons en gare, j’examine les personnes que je rencontre pour tâcher de lire leurs impressions sur leur visage. Tout le monde a la même expression, calme avec comme une pointe de mélancolie. A la porte de la caserne, je rencontre ma mère qui est venue pour m’embrasser. Pauvre mère qui a bien peur que je ne revienne pas. Je me jette dans ses bras, minute inoubliable. Je la console et je l’encourage de mon mieux. Je lui promets d’aller la voir à Royan avant mon départ qui doit avoir lieu lundi matin.. Cette idée la réconforte. Je rentre à la caserne où je rencontre bien des camarades, tous confiants et résolus. Les officiers ont un entrain endiablé, un air martial qui n’est pas feint et qui me fait oublier mon impression première. J’avais peur que l’expression des civils soit la copie des militaires mais je comprends à présent que c’est seulement la tristesse compréhensible de voir partir les leurs.

 

Jeudi 6 août

L’armée active va partir, où ? Eux-mêmes l’ignorent. On vient chercher le drapeau. Nos jeunes camarades nous paraissent beaux, grandis par le danger encouru.

Midi. Je viens de voir défiler un bataillon de l’active qui va prendre le train. La population leur a offert des fleurs et des drapeaux, tous en ont, ils sont magnifiques d’entrain, salués sur tout leur parcours par une foule en délire. Nous les saluons, émus et fier. Le hasard me fait me trouver à coté d’un des officiers qui nous cause comme à un camarade, il n’y a plus de gradé, il n’y a plus que des soldats bien français. Mon camarade, Pierre Billaud, un type exubérant de patriotisme, dit des folies, et je crois que nous les pensons.

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