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- 1917 -

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1 janvier

Poirier. R.A.S.

Je viens de recevoir cet après-midi ta longue lettre n°16 dans laquelle tu me fais un léger reproche sur la façon dont s’espacent mes nouvelles. Tel un cheval de sang qui est excité par un coup de cravache de son jockey, se cabre et redouble de rapidité, tel ton fils, aiguillonné par ce reproche, va d’abord réclamer ensuite reprendre ses bonnes habitudes.

Ma chère Maman, si j’espace mes lettres en ce moment, c’est que je sais que tu connais ma situation presque exempte de dangers, et la vie monotone que je mène donne bien peu d’occasions et de motifs pour causer longuement. Tu sais que quand je suis dans un mauvais secteur, je redouble mes lettres et que je t’écris presque tous les jours. Enfin puisque cela te fait plaisir, je t’écrirai un petit mot plus souvent.

Or donc, Mr Strohl est enfin revenu, le lendemain du jour où Mörch est parti. Il ne va pas merveilleusement bien, et est revenu, contrairement à ses habitudes, avec un moral déplorable et un cafard monstre. Il est vrai que le pauvre homme n’a pas passé une permission bien agréable quoique longue, et que, pour comble de malheur, son fils aîné s’est cassé le bras, 4 jours avant son départ. Il a 3 mauvaises cassures qui ont nécessité une opération très sérieuse qui a eu lieu le jour de son départ. Tu vois qu’il est excusable.

Je lui ai donc passé les consignes de la compagnie et du secteur, et je suis à l’heure actuelle à la tête de ma brave 1° section que j’abandonne souvent, et que je vais encore abandonner dans 5 ou 6 jours, car je suis de nouveau désigné pour suivre ce cours de Lunéville. Il commence le 18-1 et je quitterai les avant-postes le 7 au matin, peut-être le 6....... s’il ne survient encore aucun empêchement. Tu sais, maintenant je suis devenu très sceptique et ne crois aux choses que lorsque je les vois ou qu’elles se passent au moment présent. Cette fois-ci, je ne connaîtrai pas l’adresse à l’avance, aussi tu n’auras qu’à m’écrire à la compagnie jusqu’à ce que je te donne contrordre. Les lettres me suivront toujours..... avec plus ou moins de retard.

A part cela, rien de nouveau, Mörch est à La Rochelle et tu as dû le voir probablement. Les Boches sont calmes et cette journée du 1° janvier a passé très triste pour nous à cause du temps affreux et du manque total de distractions. Nous nous sommes régalés de ton pâté de joie gras truffé et de ton gâteau, que Monsieur l’Inspecteur de la Banque de France, mon capitaine a trouvé supérieurs chacun dans son genre.

Merci de ta longue lettre qui me donnes des tas de nouvelles. Par le même courrier, je reçois une non moins longue lettre de M. d. S. de sorte que j’ai beaucoup de détails sur mon as de cousin. Donne-moi des nouvelles de ta dinde « insoumise » qui ne veut pas se rendre à l’appel. Je crois que vous subissez un peu le supplice de Tantale. Ca ne vous fait pas trop de mal!

Continue à me tenir au courant des faits et gestes de Roger, André Beltremieux, etc! Tu sais que Daniel Bernard a eu une seconde citation à l’occasion de son nez perforé! Ah! non! par exemple, les 2 dernières photos ne seront pas pour ma fiancée! Sais-tu que je l’adore déjà et que jamais je ne lui ferai cadeau d’une pareille horreur! Pauvre inconnue! Dire qu’elle existe.... si je ne claque pas!!

J’espère, ma chère Maman, que cette lettre est une digne réponse à la tienne et vaut bien un pardon pour la négligence de ton fils « qui ne le fera plus! là!!! ». Dis à Mad. de dire à Roca de correspondre un peu avec moi, donne-moi son adresse, donnez-lui la mienne. Qu’est-il? Où est-il, etc... etc... Je le perds complètement de vue depuis longtemps déjà..............

2 janvier

Poirier. R.A.S.

3 janvier

Poirier. R.A.S.

Deux mots seulement pour te donner plus fréquemment de mes nouvelles, te dire qu’il n’y a rien de nouveau dans notre secteur et surtout pour t’annoncer qu’il ne faut plus compter sur mon cours! J’en suis désolé. Depuis qu’il est à Lunéville, les régiments n’envoient plus qu’un officier au lieu d’1 par bataillon. Or si c’est moi qui suis désigné dans le bataillon, je ne suis pas le plus ancien dans le régiment, il s’en faut de beaucoup. Je n’ai donc plus d’espoir de ce coté. Tant pis.

J’avais raison d’être sceptique. Je suivrai donc le sort de ma compagnie qui est d’aller au repos vers le 9 de ce mois, toujours pour 10 jours. Pendant ce repos, cette fois-ci, je m’arrangerai pour aller à Nancy ou alors, que le diable aille tous les f... au diable! Je ne peux rien prévoir de gai. Tout me claque entre les mains............

4 janvier

Poirier. R.A.S.

5 janvier

Poirier. R.A.S.

6 janvier

Poirier. A 21 h., on me prévient que je vais suivre le cours de F.M. à Blainville.

J’ai reçu hier ta petite lettre n°17 qui me souhaitait une bonne année, et qui datait du 1° janvier même. Vous allez bien toutes les 3, vous vous distrayez chez les de Sairigné. Tout cela est très bien.

Ici aussi, nous nous amusons bien. Tu parles!!! Ce séjour de 20 longues journées, où l’on ne se trouve que dans des boyaux, depuis le matin jusqu’au soir, donnerait le spleen à qui se laisserait aller. 20 jours sans jamais se promener à l’air libre, avoir toujours 2 murs de terre à ses cotés de 2m de haut, c’est fastidieux, je t’assure. Enfin, la fin approche et nous allons aller nous reposer un peu.

Gynette m’a en effet envoyé un colis d’un petit pot de confiture et quelques livres sans valeur et bien peu intéressants. Enfin l’idée y était et j’ai remercié Madame de Sairigné aussitôt la réception du colis. Avez-vous vu Mörch et que vous a-t-il dit? Donne-moi ton impression sur lui.

Rien de nouveau ici. Mr Strohl a le cafard et ce n’est plus lui qui nous égaie, il faut que ce soit moi qui le déride. Je ne parle pas de mon autre camarade Saudaran qui est un véritable bonnet de nuit. Drancès est plus drôle, mais il est dans un poste éloigné et ne nous voit pas. (Le poste que j’avais avant de venir en permission: ce moulin).............

P.S. Mon rhume est fini.

11 heures du soir.

Au moment d’aller m’étendre sur mon pieu, on m’appelle au téléphone: c’est pour m’annoncer que je pars demain matin suivre un cours de Fusil-Mitrailleur à Blainville. C’est un gros village entre Lunéville et St-Nicolas-du-Port où nous avons cantonné une nuit en revenant de Verdun.

Cela ne vaut certes pas Esseyou Lunéville, mais c’est une petite compensation. Les cours durent du 8 au 20. Je ne sais l’adresse. Ecris comme si de rien n’était. On me fera suivre mon courrier. Hélas! C’est en plein pendant le repos de mon bataillon!!! Je reviendrai pour retourner aux avant-postes!...........

7 janvier

Poirier. Voyage en voiture d’Erbéviller à Blainville. Nous gelons. Déjeuner avec Bodin et 2 autres sous-officiers du cours.

8 janvier

Blainville. Commencement du cours. (Zozo)

9 janvier

Blainville. R.A.S.

Comme je te l’ai dit dans ma dernière lettre, je suis un cours de Fusilier-Mitrailleur à Blainville, joli village pas très loin de Nancy et de Lunéville. Comme le cours n’est que de 12 jours, continue à m’écrire à la même adresse: les lettres me suivront toujours. Le cours est intéressant, mais nous sommes très pris. Je n’aurai donc le temps que d’écrire de petites cartes, mais ne t’inquiètes pas, je suis très bien installé et à l’abri de tous dangers. Nous avons un temps épouvantable depuis notre arrivée, mais comme jusqu’à présent nous n’avons eu que des conférences, nous n’en avons pas trop souffert.

J’ai un bon lit, une jolie chambre: enfin c’est du repos physique sinon intellectuel..............

10 janvier

Blainville. R.A.S.

11 janvier

Blainville. R.A.S.

Ta lettre n°18 du 3/1 m’a bien suivi jusqu’ici et je suis content de tes bonnes nouvelles. J’espère que depuis, Mörch est venu te voir et t’a donné des détails sur notre installation aux avant-postes. Tu me fais une question au sujet du capitaine Morache. Il a été décoré au mois de juin dernier au moment de la dissolution du 323.

Ici tout continue à aller très bien, je deviens à moitié mécanicien pour manoeuvrer ce fusil-mitrailleur qui est un instrument pratique et bien fait, mais assez compliqué à connaître dans les détails. J’ai « planché » ce matin et ai fait une démonstration potable au tableau. J’ai eu une bonne note du Capitaine.

A ce cours, j’ai trouvé un de mes anciens camarades de classe qui a quitté le lycée de La Rochelle depuis 9 ans et n’est jamais revenu depuis. C’est moi qui l’ai reconnu le premier car il était dans les « grands » au Lycée. Il est sous-lieutenant au 241 (Rennes).

La santé est toujours excellente. Dans la maison où j’habite, est une petite fille de l’âge de Muguette qui m’a pris en affection. Elle est très jolie et presque aussi bien faite que le Muguet, ce qui est rare. Elle me pousse le coude à chaque instant, ce qui fait que j’écris très mal. Son père est mort depuis la guerre. Sa mère, jeune veuve, travaille dans une usine.............

P.S. Dis à Mad. de m’écrire de temps en temps.

12 janvier

Blainville. R.A.S.

13 janvier

Blainville. R.A.S.

J’ai reçu aujourd’hui, avec un peu de retard naturellement, ta longue lettre n°19. Je suis bien content que tu aies enfin vu Mörch. Il a du te donner des tuyaux qui t’auront rassuré sur notre sort ici. Le cours continue, mais depuis le commencement de la semaine nous n’avons que pluie, neige, vent, etc... et nous ne pouvons mettre le nez dehors.

Reçu une lettre de Jean C., de Mimi B., etc..., très gentilles toutes et m’apportant des voeux très affectueux, ainsi que R. Martin qui a la bêtise de ne pas mettre son adresse. Comme j’ai eu moi-même la bêtise de la perdre, je ne peux lui répondre. Je savais que Laferrière était à La Rochelle, je croyais te l’avoir dit. J’espère que Mörch me fera suivre la lettre que tu lui as donnée, quant au paquet, si ce sont des bonbons, j’ai bien peur de ne pas en connaître le goût...........

14 janvier

Voyage à Nancy avec Domergue et Marie. Courses. (Madelon)

15 janvier

Blainville. R.A.S.

16 janvier

Blainville. R.A.S.

Rien de toi depuis ta dernière lettre du 5 janvier, mais j’espère que rien n’est cassé à la maison. Mörch a sans doute gardé la lettre que tu lui as donnée et ne l’aura probablement pas fait suivre puisque dans 5 jours, je serai de retour à la Compagnie. Nous avons toujours un temps épouvantable, beaucoup de neige et de froid. Enfin notre vie est confortable, et nous pouvons tenir pour le moment! Le cours est toujours très intéressant, et avec 2 ou 3 gais camarades, je me distraie le reste du temps autant qu’on le peut dans un village de 1500 habitants!

Reçu aujourd’hui des tas de lettres: Tante M.L., Jane Bouillon, la belle-soeur de Neveux (qui m’écrit très souvent), Basset, etc..., etc... Donne-moi l’adresse de R. Martin que j’ai perdue et à qui je ne peux répondre. SVP.............

17 janvier

Blainville. R.A.S.

18 janvier

Blainville. R.A.S.

19 janvier

Manoeuvre à Vitrimont. Je rencontre le lieutenant Chauvin, mari de C. Sicher. Vu le capitaine d’Olce qui m’apprend le coup de main sur la Maison Brûlée.

J’ai reçu de nombreuses lettres, mais rien de toi depuis ta lettre du 5/1. Mörch n’a certainement pas fait suivre. J’ai reçu une lettre de Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone) qui me raconte ses projets de voyage autour de la France. Une de Jane Bouillon qui est en rogne contre les Triaud qui ne lui écrivent pas (ce n’est pas mon cas) etc... etc...

Aujourd’hui, grande manoeuvre avec artillerie, avions, mitrailleuses, fusils mitrailleurs, grenades à main, grenades à fusil, etc... etc... Tout cela tirant réellement. C’est intéressant mais dangereux. Il n’y a eu qu’un léger blessé, c’est de la veine.

J’ai eu une énorme surprise. J’ai rencontré (car nous étions plus de 200 officiers de différents cours) 2 officiers du 344 ayant beaucoup connu l’oncle Pierre. L’un était son propre secrétaire lorsqu’il était adjoint au Colonel. L’un d’eux m’a présenté à un autre officier, que je ne regardais pas, mais qui à mon nom m’a demandé si j’étais de la famille du Dr de Bordeaux. Sur ma réponse affirmative, il me dit que la famille de sa femme connaissait beaucoup la famille Triaud: c’est Mr Chauvin, le mari de Camille Sicher. Camille est actuellement à Lunéville (12 km de moi) mais, trois fois hélas!, je ne peux y aller, car mon cours finit demain et qu’il faut que je regagne mon régiment. Mr Chauvin m’a pourtant fort aimablement invité à dîner avec lui et sa femme, mais cela m’est impossible.

Le régiment a, pendant mon absence, été taquiné par les Boches. Ces salauds ont attaqué un poste et ont tué et blessé 17 des nôtres, mais y ont laissé des plumes eux aussi! Je n’ai pas de détails naturellement. Je t’en donnerai plus tard. Demain donc, je pars d’ici et je t’écrirai maintenant une fois au corps...............

20 janvier

Blainville. Départ à 13 h.18 pour Nancy. (Madelon)

21 janvier

Nancy. Rencontré Hernette du 152°. Différentes courses.

22 janvier

Départ de Nancy à 8 h. du matin. Attrapé froid en auto. Le soir, je rejoins la compagnie à Bois-le-Comte mais ai 39,2 de fièvre et me fait soigner à Mazerulles (mal de gorge).

23 janvier

Mazerulles. Soins. Diète. R.A.S.

Me voici revenu depuis hier à mon corps et je viens de toucher toutes tes lettres en retard, y compris celle qu’avait Mörch. J’ai donc tes n°20-21-22-23-24. Merci de m’avoir si souvent écrit, je suis également content que tu aies reçu les miennes.

Je réponds à tes lettres, puis je te raconterai mes histoires:

Merci de l’adresse et de la lettre de Roca, je vais lui écrire; quant à celle de R. Martin, quand tu l’auras, tu seras bien aimable de l’envoyer. Au sujet de la revue des deux Mondes, je suis tout à fait de votre avis et me tiens à votre disposition pour en payer la moitié, si Jean est aussi de cet avis. Je m’encroûte tellement en ne lisant rien d’intéressant, qu’il me semble que je vais devenir complètement abruti. Pour les pâtés faits avec ce qui venait de chez Tante Charlotte, j’aime autant que tu le gardes. Nous le mangerons ensemble à ma prochaine permission. Pour l’Echo Rochelais, ne te donne pas la peine de me l’envoyer, mais, comme tu le dis, résume le moi.

En relisant tes lettres, pour répondre à tes questions, je m’aperçois que Jean ne marche pas pour la revue des 2 Mondes. Alors tant pis, n’en parlons plus. Tu me donneras, je te prie, aussi, quand tu l’auras, l’adresse de Roger Triaud.

J’ai suivi avec émotion, les péripéties de l’arrivée du Colonel de Jean, dans une lettre, il vient, dans l’autre, il ne vient pas, etc... etc... Enfin, il le tient, je vais l’en féliciter, car j’ai a lui écrire pour lui dire que j’ai vu, avant-hier à Nancy, son camarade Hernette, mon ancien camarade qui m’a donné de ses nouvelles, et va lui en donner des miennes quand il rentrera au 152, mais pas avant quelques jours, car il suit un cours à Remiremont.

Maintenant que j’ai répondu à tes questions, je vais te raconter un peu ce qui m’arrive. En quittant le cours, je suis revenu par Nancy, mais y suis resté si peu de temps que je n’ai pu faire de visites. Ce sera pour une autre fois. En arrivant hier à la Compagnie, je ne me sentais pas très bien, ayant eu froid en auto pour venir, et étant déjà enrhumé depuis quelques jours. Hier soir j’ai été pris d’un fort accès de fièvre, et j’ai dû aller voir le médecin qui me garde au corps, sans m’évacuer, mais m’ordonnant la chambre. J’ai attrapé une angine, et en ai pour 3 ou 4 jours. Je suis heureux de ne pas être évacué et, dans 5 ou 6 jours, j’aurai rejoint la Compagnie en ligne. Je suis donc resté quelques heures seulement avec Mr Strohl, et n’ai pas vu Mörch qui était dans un poste avancé. Il m’a fait transmettre ta lettre, mais pas de paquet de truffes. Il l’a peut-être dans sa cantine, enfin je te tiendrai au courant.

Je suis donc dans ma chambre de l’infirmerie du Régiment et ne suis pas à plaindre, ne t’inquiètes donc pas pour moi. Je m’aperçois cependant que je suis beaucoup plus susceptible qu’autrefois. Enfin, je vais bien me soigner et te tiendrai au courant.

Le fils de Mr Strohl va très bien maintenant, et le Capitaine n’a plus ce vieux cafard en compagnie duquel je l’avais quitté en m’en allant au cours. Quand à Mörch, je t’ai déjà dit que je ne l’avais pas vu. Les autres camarades de la Compagnie sont en bonne santé, et rien n’est changé..............

24 janvier

Mazerulles. Chambre du lieutenant Vérit. R.A.S.

Excuse-moi de ma lettre d’hier qui devait être bien vaseuse, car j’avais encore beaucoup de fièvre: Aujourd’hui, beaucoup mieux: plus de fièvre, la gorge me fait moins mal, et surtout je ne suis pas si abruti. Dans 2 jours, j’espère avoir rejoint mon poste à la Compagnie. Le capitaine Strohl m’envoie tous les jours un petit mot pour me demander de mes nouvelles; je n’ai encore rien reçu de Mörch, mais je lui écris aujourd’hui.

Tous les jours, je reçois des visites; hier le capitaine Duverdier, le lieutenant Moresmeau; ce matin, le commandant de Roll lui-même, tout le monde est très aimable pour moi. Mr Strohl a même eu la gentillesse de faire rester mon ordonnance avec moi, de sorte que je suis plus que soigné, mais dorloté: les gargarismes me sont présentés à heures rigoureusement militaires, les potions également; et la diète est strictement observée, je t’assure.

Ce que j’ai, ce n’est pas une angine: c’est une « amygdalite phlegmoneuse », un terrible et beau mot pour une bien petite chose. Moi j’appelle ça: un bon mal de gorge. Enfin c’est presque fini, ne t’en fait pas pour moi: je suis au chaud, bien tranquille, ce qui est appréciable en ce moment-ci où il fait un froid à -12 et -13! L’ennui c’est que je ne couche pas ans des draps, mais j’y suis habitué!

Je t’ai dit hier, qu’au moment où je cachetais ma lettre, m’arrivait la tienne du 20-1. Merci. Je vais y répondre maintenant:

Mörch ne m’a pas encore parlé de truffes, mais je lui écris et lui demande anxieusement de leurs nouvelles: nous nous reverrons. Quant au pâté truffé, je t’ai dit hier qu’il valait mieux le garder pour ma permission prochaine (fin de février, si rien ne se casse)

Je vois que vous cultivez beaucoup les « de Sairigné » en ce moment. Ce sont de très braves femmes et vous avez bien raison. Madame de Sairigné a-t-elle reçu ma lettre de remerciement pour son colis?

T’ai-je dit que j’ai rencontré, ces jours derniers, Chauvin (le mari de C. Sicher) et Hernette, l’ancien officier du 323, actuellement au 152° et connaissant très bien Jean? Oui, je crois. Ces rencontres font bien plaisir, et cela arrive souvent quand on est un peu en dehors de son régiment. Je reverrai très certainement Chauvin car il est au 344 (même division que moi)

Je vais te quitter, car je ne vois plus rien à te dire: je t’écrirai un petit mot tous les jours jusqu’à ce que j’ai rejoint ma Compagnie (dont d’ailleurs je suis à 2 ou 3 km seulement)...............

25 janvier

Mazerulles. R.A.S.

Ma gorge va de mieux en mieux et ne me fait presque plus mal. Maintenant, je suis sûr de ne pas être évacué, et je suis fort content d’avoir pu obtenir cela du « Toubib ». Il me soigne d’ailleurs très bien, et me badigeonne à chaque instant l’intérieur de la gorge avec de l’iode: ce qui n’est pas des plus agréables: je n’ai plus du tout de fièvre, et je commence à manger un peu. Voilà mon bulletin de santé. D’ailleurs lorsque tu le recevras, je serai déjà sur pieds depuis longtemps.

Pas encore de nouvelles de Mörch à qui j’ai écrit hier. Qu’a-t-il fait de mes Truffes cet animal-là!

En fouillant dans mes affaires, je viens de tomber sur ma photo. Figure-toi que je n’ai reçu absolument aucune nouvelle de leur réception chez les différents membres de ma distinguée famille. Je ne voudrais pas devenir aussi susceptible que certaines personnes de notre connaissance, mais c’est égal, un petit atome de remerciement m’aurait tout de même fait quelque plaisir. T’en a-t-on accusé réception à toi au moins?

Nous avons un froid ici, comme jamais nous n’en avons eu les hivers précédents. Tout nous vient gelé: Oeufs! Pain! Lait condensé! Je ne parle pas du vin qu’on ne peut pas transporter sans avoir un petit bloc rougeâtre!! C’est très sain ce temps, d’ailleurs. Moi, je ne me plains pas. Je suis au coin du feu depuis le commencement de la semaine et ne mets même pas le bout du nez dehors. Si j’étais mieux couché, je serais comme un prince.

Au revoir, pour aujourd’hui. Demain je t’enverrai encore mon bulletin de santé................

P.S. J’ai envoyé à toutes mes Cousines, même Ninette!!, un petit mouchoir comme celui de Muguette.

26 janvier

Mazerulles. Je vais mieux et vais déjeuner et dîner à la Popote du Chef de Bataillon. Grand froid (-15).

J’ai reçu hier ta lettre n°26, contenant la lettre de Mad. et le mot du Muguet: de tout cela, merci, je répondrai à Mad. un de ces jours.

Pour te donner des nouvelles de ma petite santé: je vais beaucoup mieux à preuve que le « Toubib » me permet aujourd’hui d’aller déjeuner à la Popote du Commandant. Je suis persuadé que ce n’est que par prudence et surtout à cause de l’extrême froid que nous avons en ce moment-ci, qu’il ne me laisse pas encore rejoindre ma Compagnie, car je ne sens plus rien. Que c’est drôle, ces accès de fièvre: je l’ai eu très très forte, mais très peu de temps. Maintenant tout est fini, n’aie plus aucune inquiétude à mon sujet.

Tu me demandes dans ta lettre, de la part d’une petite fiancée, et par l’intermédiaire de Mme de la Baume, des nouvelles d’un de mes bons camarades: le sous-lieutenant Moresmeau. Tu peux répondre qu’il se porte à merveille, et qu’il vient de monter dans ma chambre, il y a à peine 5 minutes. Il n’a d’ailleurs jamais été malade, mais a beaucoup d’occupations en ce moment, étant commandant de Compagnie. Tu peux ajouter que je l’ai grondé très sévèrement de ne pas avoir donné de ses nouvelles depuis si longtemps.

Merci aussi de l’adresse de Roger Martin à qui j’ai écrit séance tenante, en m’excusant de mon retard à lui répondre. Tes voeux pour mon 26° anniversaire, je les accepte avec reconnaissance, mais ils me font apercevoir une fois de plus que je vieillis terriblement. J’ai d’ailleurs passablement de cheveux blancs!!

Mörch m’a répondu hier, et je vais d’ailleurs le voir d’ici quelques jours. Les Truffes ne sont pas mangées, elles attendent que nous soyons réunis tous les deux pour leur faire un sort...............

27 janvier

Mazerulles. R.A.S.

J’ai reçu hier ta lettre n°27 et dans la soirée le colis contenant un excellent gâteau, une boite de bonbons pour la gorge (qui, entre parenthèse, sont très bien tombés) et la boîte de berlingots de Nantes de Madeleine. Merci de tout coeur à vous deux d’avoir pensé aux 26 ans de votre vieux fils et frère qui vous en est bien reconnaissant.

Mon indisposition est maintenant de l’histoire ancienne et je ne me ressens plus de rien. Si tu le veux bien, nous n’en reparlerons plus. Ne t’ennuies plus pour tes lettres, j’ai reçu absolument tout ce que tu m’as envoyé. J’espère qu’il en est de même pour toi.

Je viens encore de déjeuner avec Moresmeau qui va aussi bien que possible. Le coup de main boche dont je t’ai parlé ne l’a pas touché du tout. Je ne voudrais d’ailleurs pas t’inquiéter mais il y a de l’agitation dans l’air par ici. Ce n’est plus du tout le calme habituel. Je ne peux t’en dire plus d’autant plus que je ne sais rien d’absolu.

Il est probable, et même sûr que je vais rejoindre le capitaine Strohl, Mörch et toute la compagnie demain soir. D’ailleurs j’en ai hâte, puisque je vais mieux maintenant.

Au revoir, chère Maman, merci encore de toutes vos gâteries...................

28 janvier

Mazerulles. R.A.S.

Rien de nouveau depuis hier. Je vais toujours de mieux en mieux, et il n’y parait pas que j’ai eu de la fièvre il y a 6 jours. Je rejoins la Compagnie ce soir et vais revoir avec plaisir Mr Strohl, Mörch et les autres.

Quel froid, ma chère Maman, depuis le début de la guerre, nus n’avons jamais en cette température (-13, -14). Ce qu’il y a de plus dur c’est qu’il y a avec cela un vent de tous les diables qui fait voler de la poussière de neige et qui vous cingle les oreilles de bonne façon. Je t’assure que je plains bien les pauvres sentinelles.

Reçu aujourd’hui une très longue lettre de Mad. du Sault, toujours très gentille...............

29 janvier

Arrivée à la Compagnie relevée au Bois-le-Comte par la 15°. Dans un tir de concentration Boche, ce pauvre Moreau est grièvement blessé ainsi que plusieurs hommes.

30 janvier

Mazerulles. Nous apprenons la mort de Moreau.

Je réponds ce soir à tes 2 lettres des 26 et 27 courant. Ne t’inquiète pas une fois pour toute: mon indisposition est à présent complètement terminée et j’ai d’ailleurs repris mon service à la Compagnie depuis hier matin.

Nous venons d’avoir un coup malheureux. Un de nos camarades, le sous-lieutenant Moreau a été blessé avec 5 de ses hommes dont l’un a été tué. Ce pauvre camarade avait de telles blessures qu’il est mort quelques heures après que nous l’avions posé. Ces derniers mots ont été pour moi « Adieu Georges ». Il ne se croyait pas si grièvement atteint car il croyait être touché qu’au pied, à la cuisse et aux 2 bras. En réalité, il avait aussi 2 affreuses blessures dans le dos (une qui a touché le poumon et l’autre a pénétré dans les intestins). Il avait été nommé sous-lieutenant, le même jour que moi! et depuis, nous avions été toujours ensemble.

31 janvier

Mazerulles. R.A.S. Le lieutenant Vérit est nommé Capitaine.

J’ai été interrompu hier pendant que je t’écrivais cette lettre et je la reprends aujourd’hui au point où je l’avais laissé. On vient d’envoyer ce matin une délégation à l’enterrement de ce pauvre Moreau, mais je n’ai pas été désigné!

Le froid continue ici, et nous nous habituons à cette température variant entre -8 et -15. Aujourd’hui, il n’y a pas de vent et c’est plus supportable. J’ai oublié de te dire que Mörch m’a remis mes Truffes qui étaient, comme toujours, aussi excellentes, qui sont d’ailleurs mangées à l’heure actuelle et dont je te remercie beaucoup. Je suis bien content des bonnes nouvelles que tu me donnes de vous tous. C’est parfait et la bonne santé est une bonne chose. Encore une fois, ne t’inquiètes pas pour moi: c’est complètement terminé, et si les permissions ne sont pas arrêtées, je serai bientôt à La Rochelle...................

1 février

Mazerulles. Une patrouille ayant été attaquée, je vais tendre une embuscade entre Maison Blanche et Maison Brûlée (12h. 6h.). Grand froid mais rien à signaler.

2 février

Le soir à 19 h.: grand changement de disposition dans le secteur. Je vais à Moncel sous les ordres du capitaine Malabat. J’occupe la Sape I (boyau Observatoire). Pas de munitions.

J’ai reçu hier et avant-hier tes 2 bonnes lettres n°30 et 31 dont je te remercie beaucoup. Je suis un peu en retard pour y répondre, mais les communiqués doivent te faire comprendre que nous sommes assez agités en ce moment. Nous faisons, par ce froid, des choses fort pénibles, je t’assure, mais je ne peux te raconter à cause de Dame Censure. Quoi qu’il en soit, je me porte très bien. Sois donc sans inquiétudes. D’ailleurs bientôt, je vais aller prendre quelques jours de repos à La Rochelle au milieu de vous trois. Je ne sais pas les dates, mais c’est pour ce mois-ci, très vraisemblablement.

J’allais oublier de te remercier du colis que j’ai reçu hier, contenant le Capitaine Fracasse que je vais lire soigneusement et qui me fera passer de bonnes heures. Les semelles en papier, je ne les ai pas encore essayées, car, par ce temps de gros froid, nous portons tous des « Bottes russes » en feutre et caoutchouc, données par l’Etat et dans lesquelles nous avons très chaud aux pieds. Mais, à la prochaine occasion, je m’en servirai, je t’assure, car nous nous servons de tout pour nous réchauffer. Je n’ai pas reçu, par exemple les pastilles de miel; ce n’est pas, je pense les réglisses envoyés en même temps que les berlingots de Nantes de Mad?

Je suivrai ton conseil et te donnerai des titres de livres quand je les aurai en tête, mais en ce moment, j’ai du pain sur la planche jusqu’à ma permission. Reçu hier une lettre de Ninette!!!!! La première. C’est pour me remercier du petit mouchoir. Il n’y a plus que Simone qui ne m’a pas accusé réception, mais je la crois en voyage. Prends garde à ne pas tomber avec tout ce verglas! Tous les Rochelais en parlent!!...............

3 février

Pas de feu: rien que de la glace et pas de pompe. Grand froid. Organisation de la Sape.

4 février

Sape I de l’Observatoire. Travaux d’organisation et de défense.

Deux mots seulement pour te dire que je vais toujours très bien, mais qu’il fait un grand froid de plus en plus terrible qui nous rend notre service très dur et très pénible. Je n’ai donc presque pas le temps d’écrire.

J’ai reçu tes 2 mots n°32 et 33. Merci de tes lettres quotidiennes qui me font grand plaisir, je t’assure. Merci au Muguet également de sa gentille lettre où j’ai vu un A. fort bien réussi.

Une bonne nouvelle à t’annoncer, c’est que je suis inscrit pour ma permission pour partir le 12 février. Compte sur une erreur possible de quelques jours mais je serai à La Rochelle aux environs du 15 ou 20. Je t’enverrai une dépêche de Paris, comme d’habitude.

Au revoir, ma chère Maman, je n’ai pas le temps de causer plus longtemps, je vous embrasse de tout coeur.........

5 février

Sape de Moncel.

6 février

Sape de Moncel. Grand froid (-19).

J’ai reçu hier soir ta lettre n°34 dans laquelle tu me racontes la nuit du 1° février 1861. Je ne me souviens plus, et pour cause, du froid qu’il faisait cette nuit-là, mais, en tout cas, il fait bigrement froid en ce moment. Hier matin, nous avions -19. Et dire qu’avec ce froid, il faut rester dehors des heures entières. Je t’assure que nous menons une rude existence en ce moment. D’ailleurs, je te donnerai de vive voix quelques détails, car je serai chez toi, s’il plaît à Dieu, d’ici une dizaine de jours. Ma permission est en effet avancée un peu, par suite de la mort de ce pauvre Moreau qui partait quelques jours avant moi, et de l’évacuation d’un autre lieutenant.

Tu continueras donc à recevoir mes lettres, jusqu’à ce qu’un beau jour tu reçoives une dépêche de moi de Paris, probablement aux environs du 15 prochain.

Depuis 3 ou 4 jours, je suis séparé de Mr Strohl et de Mörch. Je suis détaché à un autre secteur de la compagnie avec ma section et je prends les tranchées dans un avant-poste nouveau, une sape qui n’a jamais été occupée, au fond de laquelle il y a 20 centimètres de glace, sans poêle, sans feu et avec un service très dur pour mes hommes. Ce n’est pas drôle, mais je m’organise peu à peu et cette nuit j’aurai du feu pour faire dégeler ma glace et mes mains.

Reçu une lettre de Jean C., toujours très gentil, qui me parle d’une permission pour fin février. Si nous pouvions encore nous rencontrer! Quelle joie et quelles bonnes parties en perspective!

Tu es bien bonne d’être sortie par ce froid pour assister à une messe pour moi: je t’en suis bien reconnaissant. Puisse cela me faire revenir sain et sauf vers toi pour t’adoucir tes vieux jours!

Au revoir, ma bonne chère Maman, embrasse les 2 Petites pour moi.

Ton vieux fils de 26 ans.......

7 février

Sape de Moncel. Je suis relevé dans la nuit. La Compagnie va au repos?? à Mazerulles. (Affaire Drancès, 30 jours d’arrêts de rigueur)

8 février

Mazerulles. Reconnaissance de nouveaux travaux dans le bois Ramont.

9 février

Mazerulles. Travaux au bois Ramont. Terre complètement gelée.

Nous sommes horriblement occupés. Telle est la seule excuse de la brièveté de mes lettres. Des avant-postes aux travaux. Des travaux aux embuscades. Des embuscade aux reconnaissances! Pas une minute à nous, je ne décolère pas et commence à être très très fatigué d’être sur pied jour et nuit par cette température. Vivement ma permission que je me repose un peu.

Mörch vient de me quitter pour repartir en permission à La Rochelle où j’espère être en même temps que lui dans quelques jours. Ne t’étonnes pas de sa permission: il profite d’une nouvelle circulaire du G.Q.G. disant que les convalescences ne comptent pas.

Je vais toujours bien quoiqu’ayant mal à la gorge et étant très enrhumé. Malgré cela, il faut séjourner des six heures se suite dehors! Je suis d’une humeur de dogue... et les hommes donc!

Reçu tes n°35 et 36. Tu me gâtes en correspondance depuis quelque temps et je t’en remercie beaucoup.

Quinsac me gâte également: j’ai reçu hier un colis de truffes en chocolats envoyé par Tante M.L. que je vais remercier tout à l’heure. Je jubile à la pensée d’être avec Jean en permission. C’est rudement chic!

Ne m’attends vraiment que lorsque tu auras ma dépêche de Paris, car ici il peut se passer des événements fâcheux à tous moments...............

10 février

Mazerulles. R.A.S.

11 février

Mazerulles. Je pars en permission demain matin.

Voici la dernière carte de moi avant la dépêche de Paris. Je ne sais encore si c’est le 12 ou le 13 que je pars d’ici. Je jubile à la pensée d’être avec Jean en permission: c’est de la chance.............

12 février

Départ avec 20 cm de neige par la voiture de Compagnie. Quel froid! Vu à Nancy: P. Vieljeux, aviateur en Alsace.

13 février

Journée à Paris. Tante Mary et Simone.

14 février

Arrivée à La Rochelle. Vu Ed. Mörch.

15 février

Permission à La Rochelle.

16 février

Permission à La Rochelle.

17 février

Permission à La Rochelle.

18 février

Permission à La Rochelle.

19 février

Permission à La Rochelle. Arrivée de Jean.

20 février

Permission à La Rochelle.

21 février

Départ de La Rochelle à 20 h.30. Pas de cafard.

22 février

Arrivée à Paris. Départ à midi. Arrivée à Nancy où je dîne et je couche. (France)

23 février

Départ de Nancy et voyage à pied jusqu’à la Grande Goutte où est la compagnie. Visite du secteur. Guitoune sous la route

24 février

Grande Goutte. R.A.S.

Me voici revenu à ma compagnie sain et sauf. Me voici à mes anciennes habitudes, au milieu de tous mes camarades, après cet agréable repos de 8 jours au milieu de ma famille que j’aime tant. Mon voyage s’est très bien passé. J’ai trouvé tout le monde en très bonne santé à Paris. On attend Jean, Madeleine et Muguette avec impatience. Insiste encore auprès de Mad. pour qu’elle veuille emmener cette dernière. A propos de Paris, j’ai complètement oublié de remporter à Mimi le mouchoir d’Henri qu’elle m’avait prêté: donne-le donc à Mad. , ou, si elle est déjà partie, envoie-le à Mimi. J’étais confus de ne pas lui remettre!

De Paris à Nancy: très bon voyage également mais de Nancy au front, j’ai été obligé de faire toute la route à pied, la voiture de Compagnie étant occupée à autre chose à ce moment là. Mr Strohl s’est excusé de ne pas me l’avoir envoyée mais il n’a pas pu.

J’ai retrouvé toute la Compagnie en bon état quant aux chefs. Pendant mon absence il y a eu un blessé au bras que l’on a été obligé d’amputer par la suite, c’est heureusement tout. Le secteur a l’air peut-être un peu moins agité qu’à mon départ, cependant cela y pète bien de temps à autre.

Mr Strohl est toujours le même gai. Il m’a beaucoup remercié d’avoir été voir sa femme qui, parait-il, m’a trouvé « ouvert, fort aimable et distingué »!!!!!!! Il a été très sensible à tes compliments ainsi que ceux de Mad.

Saudaran a toujours aussi mauvais caractère mais est assez content d’avoir reçu son étoile à la Brigade pour sa belle conduite dont je vous ai parlé.

Drancès est ennuyé parce que le Général d’Armée a porté sa punition à 30 jours d’arrêts de rigueur pour son retard en permission: j’espère que cela s’arrêtera là.

Mörch, encore un peu cafardeux, est avec moi à ma section que je lui laisse commander; d’abord parce que cela lui plaît, ensuite parce que le Capitaine se sert un peu de moi comme Officier d’Etat-Major de la Compagnie. Nous couchons ensemble Edouard et moi et ne sommes pas mal. Nous sommes dans un bois sans trop de boue car il fait de nouveau assez froid et que tout est gelé.

Je pense que voilà des détails. Et vous? Vous continuez à jouir de la permission de ce brave Jean. S’il n’est pas encore parti lorsque tu recevras cette lettre, tu voudras bien lui dire encore combien j’ai été heureux de pouvoir l’embrasser encore une fois pendant cette guerre. Je vais d’ailleurs lui écrire d’ici peu à son régiment. Et Mad.? Sa dent l’a-t-elle fait beaucoup souffrir. J’ai bien pensé à elle pendant que j’étais à Paris et qu’elle se faisait opérer.

Rien de neuf à part cela, j’attends de vos nouvelles pour savoir à quoi vous employez votre temps, mais n’ai aucun cafard de ce retour de permission. Donne-moi toujours des nouvelles de La Rochelle par le détail.................

25 février

Grande Goutte. R.A.S.

26 février

Grande Goutte. Travaux. R.A.S.

Rien de nouveau depuis avant-hier. Même bois, même vie, mêmes travaux et même tranquillité relative. Nous nous attendons d’ailleurs à changer pour aller au pays d’origine de la bonne Madame Mörch d’ici quelques jours. Ce sera un peu moins tranquille mais plus confortable.

Je suis toujours avec Edouard qui depuis mon retour de permission mange, ainsi que l’adjudant, avec nous, ce qui est plus gai. Il est d’ailleurs ravi de l’aubaine. Toujours du froid: tout est gelé, cela vaut mieux car nous n’avons pas de boue dans notre bois. Aujourd’hui, journée superbe et très ensoleillée.

J’espère que vous avez un temps aussi agréable et que votre journée de dimanche aura été gaiement passée en compagnie de ce brave Jean. Je pense bien à votre bonheur de l’avoir encore quelques jours. N’oublie pas le mouchoir d’Henri Balmary et dis-moi si tu l’as remis à son propriétaire d’une façon ou d’une autre.

J’ai oublié de te dire l’autre jour que je me suis commandé, en passant à Nancy, une tenue = en gabardine = c’est décidément épatant comme étoffe (Jean me le conseillait beaucoup). Tu verras à ma prochaine permission!!

Je te quitte, car je vais me coucher et qu’aucun événement extraordinaire à te raconter ne s’est produit depuis 2 jours. Reçu une lettre de Tante M.L., de Jean Triaud..... et voilà.............

P.S. Respect d’Edouard qui se couche.

27 février

Grande Goutte. R.A.S.

28 février

Grande Goutte. R.A.S.

Je viens de recevoir ta bonne lettre n°1 du 24 qui m’a de nouveau mis un contact avec vous. Le petit Sacré-Coeur qu’elle contenant, m’est bien parvenu et je l’ai mis dans mon portefeuille. Je vais, naturellement remercier Madame de Sairigné car je ne veux pas me permettre d’écrire à Ginette sans autorisation!

Tu seras seule, ma chère Maman, au moment où tu recevras cette lettre, aussi je penserai bien à toi pendant le voyage de Mad. qui t’amènera probablement à son retour Tante Marguerite et Simone. Merci de me raconter par le détail toutes les visites que vous avez reçues après mon départ. Je regrette bien vivement d’avoir manqué Roca et Madame Obissier que je n’avais pas vus depuis le début de la guerre: c’est bien ma veine qu’ils viennent le lendemain de mon départ!

Ah! enfin! Mad. emmène le Muguet. En effet les Balmary étaient furieux et Henri m’avait dit son projet d’écrire immédiatement à Jean une lettre qu’il voulait faire terrible. Je vois qu’il a réussi! Quel brave type, encore celui-là! Envoie-lui son mouchoir!_!_

Ici, toujours la même chose: secteur relativement calme. Nous restons où nous sommes et n’allons pas où je t’ai dit. Nous allons d’ailleurs, je crois, aller nous reposer sérieusement d’ici peu de jours. Mörch est toujours avec moi. Il est vautré sur sa couchette pendant que j’écris ces lignes. Nous nous taquinons toujours, tout en nous entendons très bien et notre section, ayant à sa tête 2 chefs si éminents, ne peut faire que de la très bonne besogne. Je vais écrire ce soir une lettre à son frère Daniel qui le charge d’une façon très indécente et même inconvenante de me faire une « grosse blague ». Edouard t’envoie ses respects.

Mr Strohl est toujours aussi sympathique et aussi gai aux repas, que tous les chefs de section prennent en commun, je crois te l’avoir déjà dit. Saudaran rouspète toujours et Drancès et moi continuons à le blaguer sur son perpétuel mauvais caractère. C’est pourtant un bien bon officier.

Tu vois que tout va bien et que le moral continue à être bon. Qu’il soit de même à La Rochelle. Bons baisers à toi, toute seule puisque tout le monde t’a quitté...................

P.S. Et le résultat des Photos prises le jour de mon départ??

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Chère Madame (de Sairigné)

Je viens de trouver dans une lettre de Maman, un insigne du Sacré-Coeur qui m’est envoyée par Ginette.

Veuillez, je vous prie, lui transmettre mes biens sincères remerciements pour ce petit souvenir qui, certainement, me portera bonheur puisque je le porterai toujours sur moi.

Vous êtes toutes les trois très bonnes pour vos amis combattants, et Dieu vous récompensera en vous ramenant, d’ici peu je l’espère, votre Gabriel, plein de santé et de gaieté, après son long supplice de captivité.

Je n’ai pas eu la chance de vous rencontrer chez vous le jour de mon départ. Cette lettre vous apportera donc mes remerciements pour la charmante soirée passée chez vous, l’autre jour.

Depuis mon retour, j’ai vu un soldat de mon bataillon (Thomazeau, je crois) qui m’a dit vous connaître. C’est encore un Vendéen.

Ici, c’est toujours la même vie de secteur, peu glorieuse et souvent fastidieuse, mais utile tout de même pour le but que nous voulons atteindre et que, par cela même, on peut être fier de mener.

Veuillez, je vous prie, Madame, transmettre mes hommages à Madame Gabriel de Sairigné, mes bien sincères amitiés à Ginette que je remercie encore et accepter pour vous l’expression de toute ma reconnaissance.

Votre dévoué.

1 mars

Grande Goutte. R.A.S.

2 mars

Grande Goutte. R.A.S.

Reçu aujourd’hui ta bonne lettre du 26, n°2. Merci des nouvelles excellentes qu’elle renferme de vous tous. Les photos seront à peu près bonnes, tant mieux, je les attends avec impatience pour voir une fois de plus les bonnes têtes de la famille et avoir un souvenir de cette bonne permission.

Je vous plains d’avoir de la pluie; ici, nous continuons à avoir un temps superbe, sauf un peu de neige, la matinée d’hier, mais la nuit a été superbe par un clair de lune de toute beauté. Il gèle toujours, ce qui nous empêche de patauger, nous ne nous en plaignons pas. Je n’ai plus d’encre dans mon stylo, et je ne sais plus écrire avec une plume ordinaire: excuse donc cette lettre horriblement mal écrite et avec toutes les encres possibles et inimaginables.

Aujourd’hui: grand événement. J’ai discuté très sérieusement avec Mr Strohl sur une question ardue où je n’étais pas de son avis. La discussion s’est un petit peu envenimée, et nous nous sommes dit plusieurs choses désagréables. C’est la première fois que cela se produit, mais « ça bardait ». J’espère que cela n’ira pas plus loin mais il y a évidemment un froid entre nous deux depuis ce repas.... Tu vois que je suis franc avec toi et que je te dis tout. Ne te frappe pas. Ce n’était d’ailleurs pas une question de service. C’était sur ce qu’avait fait et ce que n’avait pas fait notre division depuis le début de la guerre. Je disais que nous n’avions pas fait grand chose, lui disait que nous en avions fait autant que tous, etc... etc... J’en suis venu à lui donner des exemples et c’est là dessus qu’il m’a dit des choses désobligeantes qui m’ont étonné de sa part et auxquelles j’ai répondu.

A part cela, le secteur à l’air de se calmer de plus en plus et nous ne souffrons de rien, quoiqu’en dise notre Capitaine.............

P.S. J’oubliais de te demander d’aller voir Mme Mörch pour lui demander le magasin où elle achète la graisse à chaussures pour Edouard. Veux-tu m’en envoyer une boîte, je te prie, c’est épatant. Tu mettras cela sur mon compte. Merci.......

3 mars

Grande Goutte. Le 212° R.I. quitte la division. Les brigades sont supprimées. Le colonel Montlebert devient directeur de l’Infanterie à la Division.

4 mars

Grande Goutte. R.A.S.

Je réponds aujourd’hui à tes deux lettres n°3 et 4, reçues hier et ce soir. Rien de nouveau ici depuis ma lettre d’avant-hier. Vie calme et pas trop désagréable car il fait beau: un petit froid qui rend les journées ensoleillées et les nuits claires, empêche la boue et n’est pas gênant.

Je vois que tout est bien calme aussi à La Rochelle: trop calme même puisque tu es seule après avoir eu tous tes enfants à la fois, pauvre Maman: mais ils te reviendront, bientôt je l’espère, et « pour toujours » comme dit Muguette. Elle a bon coeur, cette petite de t’avoir offert de rester mais, quel crève-coeur pour la pauvre mignonne si tu l’avais pris au mot. Je les vois tous les trois s’amusant à Paris: ils doivent être très drôles et bien heureux de vivre. C’est de leur âge, ils n’ont pas de soucis!

Merci d’avoir mis si vite en règle mes petites affaires. Je suis étonné d’avoir déjà 25 francs d’intérêt. Paie bien là-dessus les affaires que je te demande comme le fusil, le pantalon rouge, la graisse pour les souliers, etc... etc... Quand tu auras épuisé ces intérêts, avance-moi la somme si cela ne te gêne pas et je te rembourserai à ma permission suivante.

Tout est remis en règle entre Mr Strohl et moi. Nous n’y pensons plus ni l’un, ni l’autre et n’avons plus abordé cette question. Il est toujours aussi gai et charmant..............

5 mars

Grande Goutte. R.A.S.

6 mars

Grande Goutte. R.A.S.

Je viens de recevoir ta lettre n°5 et je viens t’en remercier quoique n’ayant pas grand chose de nouveau à te raconter. Enfin Muguette est partie à Paris. Voilà tout le monde bien content, sauf toi, pauvre Maman sacrifiée qui reste seule! Enfin, au moment où tu recevras ce mot, tes fille et petite fille seront peut-être de retour, probablement même.

Hier, ici, très froid; aujourd’hui, neige toute la journée. Situation toujours excessivement calme par ici, à peine quelques coups de canon, mais des roulements lointains qui prouvent que les camarades travaillent sur notre gauche.

Merci pour le mouchoir d’Henri; je suis content qu’il soit remis à son propriétaire. Ce brave Mörch est malade. N’affole pas sa famille, mais il a un gros rhume compliqué de fièvre et d’une extinction de voix presque totale qui le rend très intéressant mais qui le fait souffrir. Comme il est en passe d’être promu, et qu’il a l’expérience du mois de septembre dernier, il ne veut à aucun prix entendre parler de partir...... pas même à l’infirmerie. Ca passera.

Rien de sensationnel à part cela. On ne parle plus de repos pour nous et nous continuons notre petit service en attendant patiemment. Bon physiquement et bon moral chez moi. J’espère qu’il en est de même du premier chez toi: je ne te parle pas du dernier que je sais à un degré excessivement élevé.

Bons baisers de ton fils pour toi. Souvenir à Médéa et tape sur le museau de Cadi............

P.S. Respects de Mörch (transmis à voix basse).

7 mars

Grande Goutte. Reconnaissance du secteur de Moncel que nous devons prendre après-demain. Contrordre.

8 mars

Grande Goutte. Le général Prax est remplacé par le général Mainvielle.

J’ai reçu aujourd’hui ta longue lettre n°6 qui m’a fait grand plaisir et m’a donné quelques nouvelles, entre autres l’adresse de l’Oncle André à qui j’écris un petit mot tout à l’heure pour le distraire un peu.

Madeleine ne m’a pas encore donné signe de vie depuis qu’elle est à Paris, mais la pauvre doit avoir tant de courses et de visites à faire qu’elle est toute excusée. D’après ce que tu m’écris, je n’ai pas compris si elle sera de retour pour le passage de Tante Marguerite et de Simone. Enfin, elle les aura vues à Paris.

Ici, situation inchangée: ça tonne à droite, ça tonne à gauche: devant nous, grand calme: quelques coups de canon le jour, quelques coups de fusils la nuit: juste pour nous rappeler que la paix n’est pas encore signée! Nous perdons notre Général de Division qui s’en va prendre un autre commandement. Nous ne savons pas encore qui va le remplacer. Mon ordonnance vient de revenir d permission mais il est malade et j’ai peur qu’il ne se fasse évacuer: ce serait dommage pour moi. Mörch va mieux, mais est encore complètement « aphone ». Les autres camarades vont très bien.

Pas de nouvelles de J. Chagnaud. J’espère qu’il aura reçu ma lettre et que je vais avoir une réponse d’ici peu.

Au revoir, chère Maman, rien de nouveau comme tu le vois..............

9 mars

Grande Goutte. Le soir, relève par la 19° (capitaine Malabat). Nous allons en réserve à Mazerulles.

10 mars

Mazerulles. Reconnaissance de travaux.

Aujourd’hui m’arrive ta lettre n°7 du 7 par laquelle tu m’apprends que tu n’es pas seule et que tante Marguerite et Simone sont venues un peu égayer ta solitude. J’en suis bien heureux pour toi. D’ailleurs Mad. et Muguette doivent être à l’heure actuelle de retour et voila votre vie tranquille pour quelques semaines maintenant.

Par le même courrier, je reçois une carte de Mimi, me disant que tout le monde va bien à Paris et que les enfants sont fous de joie d’être réunis tous les trois: ils doivent être bien amusants à voir, en effet. Merci pour la graisse de chaussure que j’attends avec impatience car c’est infiniment plus pratique que le cirage pour nos chaussures « peu fines ».

Ici, rien de neuf: je fais toujours très bon ménage avec Mr Strohl et l’incident de l’autre jour est oublié de part et d’autre. J’espère qu’il ne se reproduira plus. Tu me complimentes sur le beau temps qui règne ici, alors naturellement: il est épouvantable. Hier et avant-hier, froid et neige très abondante, aujourd’hui, soleil et chaleur, d’où dégel subit et boue...... jusqu’aux chevilles.

Nous ne sommes plus aux avant-postes depuis hier, mais en réserve pour une dizaine: le grand repos dont je t’ai parlé lors de ma permission et que j’escomptais pour ces jours-ci, n’aura pas lieu par suite de bouleversements changements dans l’organisation du secteur et de la Division. Nous faisons donc notre 6° mois d’avant-postes, sans repos!!!! Les hommes sont naturellement plus ou moins pleins de totos et fatigués: nous autres ça va bien, car notre vie est bien moins dure. Mörch va bien mieux, mais n’a pas encore la voix très claire.

J’espère que vous avez de bonnes nouvelles de Jean. Il ne m’a pas encore écrit depuis sa permission mais je ne m’en étonne pas, car il a eu à se mettre au courant de ses occupations.

Nous avons un nouveau Général de Division: le Général Mainvielle (je ne réponds pas de l’orthographe car je viens juste d’apprendre son nom). Le connais-tu, par hasard?

Je te quitte, car je ne vois plus rien à te dire d’intéressant: nous mangeons de nouveau depuis notre recul, à la table du Chef de Bataillon qui, malgré ses allures de vieil homme, vient d’être père pour la 5° fois. (Il en pince pour la Compagnie et s’arrange toujours de manière à faire Popote avec nous!!)

Au revoir, chère Maman, embrasse tes voyageuses pour moi, je te prie (j’entends par voyageuses, Mad. et Muguette, car les autres doivent être parties)................

11 mars

Mazerulles. Travaux au bois du Ramont. Déjeuner avec le capitaine Bouires (17).

12 mars

Mazerulles. R.A.S.

Merci beaucoup de ta lettre n°8 que je reçois à l’instant et de la boîte de graisse reçue hier. C’est tout à fait la même que Mörch et c’est bien ce que je te demandais. Quand la boîte arrivera à sa fin, je te ferai signe pour que tu m’en envois une autre.

Je vois par ta lettre que Tante Marguerite et Simone restent à La Rochelle plus que je ne le pensais: tant mieux pour toi. Je souhaite vivement que le temps ait bien voulu se mettre de la partie, pour permettre les promenades dans les jolis coins de cette vieille cité. Et puis voilà Mad. et Muguette revenues, qui vont reprendre leur place et t’empêcheront de t’ennuyer seule. Donne-moi, je te prie, les impressions du Muguet sur la Capitale et sur son voyage. Elle doit certainement vous faire des réflexions amusantes.

Ici, même vie. Pas d’avant-postes, mais du travail très ennuyeux parce que loin, dans la boue et arrosé quelquefois par l’ennemi. Mörch y est en ce moment et j’entends que l’on y tape un peu, mais avec notre veine connue, il n’y aura pas de casse; c’était la même chose hier et nous n’avons rien eu.

Déjeuners et dîners sérieux puisque nous sommes avec le Commandant, puis le bridge pour ceux que leur service n’appelle pas dans la nuit. Je lis en ce moment le « Capitaine Fracasse » que le Commandant et plusieurs autres officiers m’ont demandé quand je l’aurai fini. Je vais avoir fini le premier tome bientôt. C’est amusant et si tu en connais d’autres qui me plairaient, tu seras bien aimable de me les envoyer....................

13 mars

Mazerulles. Travaux au même endroit.

14 mars

Mazerulles. Voyage à Nancy (Lulu). Visite chez Mme Adrien. Courses.

15 mars

Mazerulles. R.A.S.

Je n’ai pu t’écrire hier pour la bonne et agréable raison que j’ai obtenu une permission pour Nancy. Je l’avais demandée pour aller essayer ma nouvelle tenue. Malgré que nous ne soyons pas au repos, mais en réserve, le colonel a bien voulu me la signer et j’ai entrepris le peu confortable voyage de 18 km en voiture de Compagnie où l’on est secoué de belle façon.

J’ai cette fois-ci eu le temps de me présenter au 82 de la rue St Georges, chez Madame Adrien où j’ai été reçu par elle et sa fille cadette. Monsieur Adrien est venu au moment où je partais, mais j’ai pu lui parler quelques minutes. Ca m’a l’air d’une fort aimable famille: Madame Adrien est douce et parle très bas. J’ai été reçu dans la salle à manger et ces dames ont dissimulé au moment de mon arrivée des ouvrages qu’elles faisaient. Elles étaient en tablier de maison, enfin tu vois d’ici la scène bien familiale et qui t’est arrivé plus d’une fois.

Mademoiselle, je ne sais comment, la seconde, est fort aimable et pas mal du tout. Elle n’est pas timide et parle très bien; c’est même elle qui soutint la conversation plus que sa mère, parlant de la guerre, de la vie à Nancy, des visites d’avions, etc... avec beaucoup d’intelligence. C’est une vraie jeune fille, blonde comme sa mère. Je ne sais quel âge elle a. Dis-le moi ainsi que celui de sa soeur qui n’était pas là? Y a-t-il d’autres enfants à part ce fils qui avait mon âge, qui a été tué et dont nous avons parlé.

Monsieur Adrien est beaucoup moins bien (physiquement du moins), il est très laid et ressemble un peu à Mr Suire en plus jeune. J’ai montré les photos que j’avais de vous ce qui a eu l’air de leur faire plaisir. Ton Amie t’a bien reconnue et dit que je te ressemble. Elle a dit que j’aurais dû me présenter pour le déjeuner, mais tu penses que je ne pouvais vraiment le faire pour une première visite. Je suis invité pour la prochaine fois.

D’autre part, j’ai rencontré dans la rue Madame Mirman et 2 de ses filles qui ont répondu très gracieusement à mon salut. Je n’ai pas eu le temps d’aller les voir, elles vont me prendre pour un garçon mal élevé. Je me débrouillerai la prochaine fois et leur raconterai quelque chose pour m’excuser à moins que tu ne me conseilles pas de les fréquenter davantage.

Hier, en rentrant, j’ai trouvé ta lettre n°9. Merci des nouvelles qu’elle renferme. Ici, rien de nouveau, nous allons prendre un secteur demain soir, celui que nous avions quand le commandais la compagnie au mois de décembre. Mr Strohl étant malade. Mörch est toujours aussi aphone. Il ne souffre de rien mais ne peut pas parler haut. Il est obligé de parler à voix basse, ce qui le rend intéressant pour nous, mais le fait prendre pour un fumiste pour ceux qui ne le voient pas tout le temps.

Moi, je me porte toujours à merveille et ne suis même pas enrhumé pour le moment. Encore aucune nouvelle de Jean C.; je commence à croire qu’il m’oublie, car je lui ai écrit dès qu’il a dû arriver à son corps..................

16 mars

Mazerulles. Le Capitaine, Saudaran et moi partons en avant pour prendre les consignes au Poirier, bien moins bon secteur qu’autrefois et assez marmité. J’ai la section de droite vers Hailley-Fouilly.

17 mars

Poirier. Vers deux heures 1/2, très violent bombardement sur toute la ligne. Les Boches attaquent et prennent le moulin de Moncel. 20 prisonniers (Peyrignière), tués et blessés (Bournac).

18 mars

Poirier. Calme. Travaux.

Très occupé, mais vais très bien. Je vous écrirai plus longuement demain............

19 mars

Poirier. Travaux. Drancès part à Mont-de-Marsan (cl. 1918).

Excuse-moi d’avoir été quelques jours plus négligeant que d’habitude vis à vis de toi mais je suis très très occupé en ce moment-ci. Je t’avais cependant écrit avant-hier mais j’ai été obligé de déchirer ta lettre car j’y mettais une adresse fausse. Je devais, en effet, aller suivre un cours, mais changement soudain, je n’y vais plus. Hier je voulais t’écrire, mais n’ai pu accoucher que du petit mot n°11 que tu as dû recevoir, t’indiquant seulement que j’allais bien. Enfin, aujourd’hui, entre 2 courses à travers des boyaux sans fin, je vais tâcher de te raconter un peu notre vie.

Tu sais que nous sommes en ligne. Les Boches ont salué notre arrivée en nous faisant un très sérieux coup de main qui a valu à mon Bataillon une trentaine de prisonniers, plusieurs morts et pas mal de blessés.

Bournac, sergent, fils de la bonne de Madame Schenck a été très grièvement blessé et le bruit court aujourd’hui qu’il est mort à L’hôpital, je ne sais si c’est vrai. N’en parle qu’avec réserve à Mme Schenck si par hasard elle venait te demander des nouvelles.

Peyrignière, notre brancardier, prêtre si bien, dont je t’ai parlé, est prisonnier. Etc, etc. La Compagnie a eu sa veine habituelle n’ayant pas un prisonnier, pas même un blessé. C’est miraculeux, car le bombardement n’avait jamais été si fort dans ce secteur.

Autre nouvelle. Drancès (sous-lieutenant à ma Compagnie) vient d’être désigné pour être instructeur à Mont-de-Marsan de la classe 18: Quel filon!! Cela va peut-être faire une place d’officier pour ce brave Mörch que je voudrais bien voir rester à la compagnie. Il va bien, mais est toujours aphone. Le Capitaine aussi a une « pelote d’épingle » dans la gorge (sic) et Saudaran a mal à l’estomac. Je suis le seul valide pour le moment, mais cela se tassera, je l’espère du moins pour eux.

Merci de tes lettres n°10 et 11 reçues ces jours derniers. La mort de ce pauvre Mr Petitbon m’a étonné, car je le croyais encore jeune et alerte. J’espère que le Docteur Jean Chagnaud est en bonne santé. Il s’obstine à ne plus me donner de ses nouvelles.

Les journaux doivent vous intéresser en ce moment avec les sensationnelles nouvelles qu’ils nous apportent: Abdication de Nicolas. Démission de Lyautey. Démission du cabinet Briand. Avance sur Peronne, Bapaume, etc... etc... Nous, nous ne bougeons toujours pas et tout est revenu dans le calme depuis la sale histoire de l’autre nuit.

Je viens de gronder Mörch qui n’écrit pas assez souvent chez lui. Nous ne sommes pas à la même section, car il remplace Drancès, mais nous nous voyons plusieurs fois par jour tout de même. Reçu l’autre jour une lettre de Roger Martin qui va bien et m’a envoyé les photos ci-jointes. Je n’en ai que faire et te les envoie pour que tu le reconnaisses au milieu de ses sacs de terre...............

20 mars

Poirier. Travaux.

21 mars

Poirier. (Modification des consignes et des travaux).

22 mars

Poirier. Travaux.

23 mars

Poirier. Travaux.

Je réponds aujourd’hui à tes 2 lettres n°12 et 13, dont je te remercie beaucoup. Depuis ma dernière lettre, j’ai écrit à Mad. pour la remercier de ses photos et elle a dû te donner de mes nouvelles qui continuent toujours à être aussi bonnes.

Hier m’arrivait une lettre de Jean C.; en effet il va bien, mais à l’air d’être en déménagement, d’après ce qu’il dit: je n’ai pas très bien compris s’il changeait de secteur. Je te renvois la liste des livres que tu m’as envoyée l’autre jour. Je n’en connais aucun, aussi peux-tu m’envoyer ceux que tu préfères. Je t’avouerai que je n’ai pas encore terminé le Capitaine Fracasse parce qu’ici, j’ai trop d’occupations en ce moment pour lire. Ce sera pour quand nous serons un peu plus à l’arrière.

Tous mes compliments pour ta marmite norvégienne. Je ne m’explique pas très bien en quoi cela consiste, mais si les plats cuisent tout seuls ce doit être merveilleux: je me propose de l’admirer à ma prochaine permission. Non, je ne vous trouve pas trop mondaines. Vous avez bien raison de vous distraire en allant à ces auditions de chant qui sont une étude d’art plutôt qu’un diversement.

Oui, ce voyage à Nancy m’a été fort agréable et j’ai été très content de faire connaissance avec la famille A. Celle des jeunes filles que j’ai vue est, en effet, fort bien élevé et Mme A. a l’air triste comme tu le dis. Pour le costume, il sera bien, mais il faut que j’aille encore l’essayer. C’est assommant, car il est difficile d’avoir de fréquentes permissions.

Je me demande comment tu as pu voir de nouvelles nominations de Sous-Lieutenent au 234. Il n’y en a pas eu depuis longtemps, ce doit être une erreur de ce brave Echo Rochelais. Mörch attend toujours son galon, ce qui le rend, je t’assure, de très mauvaise humeur. Merci des amitiés de Roger. Transmets lui les miennes, je te prie, lorsque tu lui écriras. Je tâcherai d’ailleurs de trouver un moment pour lui écrire un de ces jours.

Tu recevras d’ici peu un petit colis: ce sont des bagues de Poilus qui traînaient dans ma cantine. Veuille les mettre, je te prie, avec celles que j’ai déjà rapportées (si tu sais ou elles sont. Mad. le sait peut-être mieux. Il y en a une qui représente une femme nue que je vous avais montré).

Je te quitte, ma chère Maman, car je n’ai rien de nouveau à te dire. Toujours relativement calme par ici et aucun canard en circulation..................

24 mars

Poirier. Travaux.

25 mars

Poirier. (Nouveaux changements dans les consignes).

26 mars

Poirier. R.A.S.

Rien de nouveau depuis ma dernière lettre du 23. Toujours dans le même secteur. Beaucoup de travail, mais assez de calme. La santé est bonne, mais le mauvais temps et le froid que nous avons, la boue dans laquelle nous pataugeons du matin jusqu’au soir et encore plus du soir au matin, nous rendent tous d’une humeur détestable.

Mörch va mieux, sa voix revient peu à peu, mais il est ennuyé de la santé de sa mère. Le Capitaine attend avec une impatience fébrile sa permission. Il devait partir avant-hier, mais une diminution de permission le repousse jusqu’à après-demain. A moi reviendra alors le commandement de la Compagnie qui, en ce moment et pour des raisons que je ne peux te dire est particulièrement ennuyeux et délicat. Enfin, je tâcherai de m’en tirer.

J’ai reçu dernièrement une lettre de Simone me racontant son voyage à La Rochelle dont elle est enchantée. Elle me donne de bonnes nouvelles de toute la famille et était de retour à Penne..................

27 mars

Poirier. Arrivée à la Compagnie du sous-lieutenant Dethomas en remplacement de Drancès.

28 mars

Poirier. Le Capitaine part en permission. Je vais habiter son P.C. (Sape Jamie). Calme. R.A.S.

J’ai reçu hier ta lettre n°15 du 24 qui m’annonce le voyage de Mad. à Paris. Je pense à elle en ce moment-ci, car je crois qu’elle doit y être à l’heure actuelle.

Quelques changements à la Compagnie en ce sens que le Capitaine Strohl est parti cette nuit en permission et que je suis commandant de Compagnie. Jusqu’à présent, pas d’ennuis, mais c’est encore tout nouveau. De plus nous avons « touché » un nouveau sous-lieutenant, Mr Dethomas. C’est un homme de 35 ans qui vient d’être nommé officier il y a quelques jours à Mont-de-Marsan et qui était caporal depuis le début de la guerre à l’arrière. Il ne connaît absolument rien au métier, ni à ce genre de guerre de tranchées. Mais on va le dresser.

C’est un homme du monde accompli. Il est avocat à la cour d’appel de Paris et est d’une très bonne famille de Bordeaux. Il connaît les Noailles, et, étant du même âge que le capitaine, connaît beaucoup des mêmes personnes que lui, tant à Paris qu’à Bordeaux (pays d’origine du Capitaine). Ils ont eu à 20 ans, le même béguin pour une même jeune fille qui était une beauté, que ni l’un, ni l’autre n’ont épousé et dont ils ont parlé tout hier.

Cela me fait un drôle d’effet de donner des ordres à ce Monsieur Chic qui est de 9 ans plus âgé que moi. Pourtant, je lui ai donné la même section que Mörch qui lui donne des conseils!!! car il a plus d’expérience que lui des choses de la guerre.

Rien de nouveau à part cela, j’écris cette lettre dans mon P.C. de Commandant de Compagnie, à coté de Mörch qui t’envoie ses respects et va tout à fait mieux de son mal de gorge. Quant à moi, je suis enrhumé du cerveau, mais ce n’est pas grand chose................

29 mars

Poirier. R.A.S.

30 mars

Poirier. R.A.S.

Toujours horriblement occupé, surtout depuis 2 jours que Mr Strohl est parti. J’ai quotidiennement 2 ou 3 rapports à faire, 2 ou 3 croquis, plus l’administration ordinaire de la Compagnie et du secteur. De plus, j’ai tout un dossier à faire sur un homme qui est traduit en conseil de guerre pour un retard de 6 jours d’une permission, et qui, de ce fait, est porté déserteur!!

Enfin cela fait passer le temps et m’apprend mon métier. Mr Dethomas m’a l’air d’un charmant homme mais vraiment il ne connaît rien de rien, et ne nous est d’aucun secours. Il faut que Saudaran, Mörch et moi fassions tout, et je t’assure que nous ne chômons pas.

Nous avons depuis hier matin, un déluge qui n’a pas l’air de vouloir cesser et qui nous donne en plus un travail fou d’entretien dans nos kilomètres de boyaux!

J’ai reçu hier l’aimable lettre de Mad. à qui je répondrai quand je la saurai revenue de Paris. En même temps m’arrivait une longue lettre de Mad. du Sault toujours dans son même style particulier. Rien de nouveau à part cela, mais je ne te cache pas que nous aurions, officiers et soldats, bien besoin de repos, et pourtant rien de prochain dans ce sens n’a l’air de se dessiner...............

31 mars

Poirier. Visite d’une ronde de la Brigade (de Lignerolles) R.A.S.

1 avril

Poirier. La 17° commandée par le sous-lieutenant du Mesnil vient prendre les consignes difficiles à passer. Relève de la Comapagnie (Sornéville).

2 avril

Je reste jusqu’à 10 h. du matin avec la 17°. Retour à Sornéville et visite des chantiers.

J’ai reçu avant-hier et aujourd’hui tes deux lettres n°16 et 17, mais si je n’ai pas pu répondre à l’avant-dernière, c’est que j’étais très occupé par un déménagement. En effet, nous ne sommes plus en 1° ligne, mais en réserve maintenant ce qui va me donner quelques loisirs comme commandant de Compagnie. Je vais même faire mon possible pour en profiter et aller faire un petit tour à Nancy.

J’espère pour toi que tu n’es plus dans la solitude et que Mad. est revenue enchantée de son court voyage dans la Capitale. Où sont-ils descendus?

Aucune nouvelle de Mr Strohl: il est parti pour le fin fond de l’Ardèche, et les communications ne sont pas très rapides. Sa femme et ses enfants y sont dans la propriété de sa belle-mère pour passer les vacances de Pâques.

Ces jours-ci, j’espère avoir le temps de beaucoup « écrire et de beaucoup lire »: je vais finir le capitaine Fracasse. Mais tu sais qu’il ne faut pas faire de projets quand on mène cette vie. Nous avons reçu au bataillon un nouveau prêtre que je n’ai fait qu’apercevoir, mais qui m’a l’air moins bien que ce pauvre Peyrignière. Quelle perte nous avons fait ce jour-là.

Reçu l’autre jour une carte d’André Beltremieux en réponse à une lettre que je lui avais adressée à l’hôpital, à la suite de sa blessure. Il va mieux et croit pouvoir retourner sur le front avant la fin de la guerre (La Palisse n’est pas mort). Excuse cette phrase, mais tout le monde est chez moi pour me presser d’aller à table...............

3 avril

Sornéville. Travaux.

4 avril

Voyage à Nancy avec Mörch. Courses diverses. (Suzie)

5 avril

Sornéville. R.A.S.

Absolument rien de neuf à te raconter depuis ma dernière lettre. Grand calme. Après avoir eu du travail pour organiser les différents chantiers de la Compagnie, je n’ai maintenant plus rien à faire du matin jusqu’au soir puisque tout, une fois organisé se fait automatiquement! J’en profite pour accompagner tantôt l’un, tantôt l’autre de mes camarades qui va aux travaux. Cela me fait une promenade « à la campagne » par un beau temps, car voilà 2 belles journées que nous venons d’avoir.

Merci de tes pastilles de miel que je n’ai pas encore reçues mais qui seront les bienvenues de Mörch et de moi. (Je ne me rappelle plus si je t’ai dit que Edouard n’ayant pas de chambre ici, et moi, ayant une des plus belles du cantonnement, je lui ai fait mettre une couchette dans ma chambre, ce qui fait qu’une fois de plus, nous sommes ensemble). Il est un peu découragé de ne pas avancer plus vite d’autant qu’il a de ses camarades d’école, nommés aspirants comme lui, qui sont à 2 galons! Que veux-tu, les régiments qui donnent ont plus d’avancement. Ici nous n’avons pas de pertes!! On ne peut pas tout avoir!

J’espère que Mad. sera avec toi quand tu recevras cette lettre......................

6 avril

Sornéville. Le colonel de Latour est remplacé par le colonel Méquillet.

7 avril

Sornéville. Le capitaine Rouillard du 206 vient prendre les consignes pour la relève (du Régiment)

8 avril

Sornéville. Retour du Capitaine. Départ de Saudaran à un cours à Lunéville.

J’ai reçu ta lettre du 3, n°19. Merci. De plus, je reçois ce matin un paquet de toi, contenant 2 botes d’excellentes pastilles de miel que tu m’avais déjà annoncées et dont je sais quoi faire, je t’assure.

Ici, rien de nouveau. Le capitaine Strohl m’a écrit une lettre d’Ardèche, fort aimable. Il revient cette nuit, juste pour le déménagement de la Compagnie. En effet, nous allons avoir enfin le repos dont je t’ai parlé, mais de 12 jours au lieu de 21, et pas dans le même village, mais cependant c’est toujours bon à prendre, et je te dirai dans ma prochaine lettre la façon dont nous sommes installés. C’est un nouveau village que je ne connais pas mais qui parait-il n’est pas mal, quoique tout près du front.

Nous avons un nouveau colonel: notre ancien colonel de Latour est parti commander une brigade de cavalerie et le nouveau s’appelle: le Colonel Méquillet. Il a, je crois, été lieutenant à La Rochelle il y a un peu plus de 20 ans. Je ne l’ai pas encore vu, le connais-tu?

Jusqu’à présent tout s’est bien passé à la Compagnie depuis le départ du Capitaine, j’espère que cela va encore durer aujourd’hui et pendant la nuit: après quoi, je lui repasserai le commandement et rejoindrai ma vieille section. Mörch, pour qui j’ai eu beaucoup de complaisance et même d’amabilités pendant cette période (même chambre, même popote) n’est vraiment pas un ami sérieux. Il en prend beaucoup trop à son aise lorsqu’on le met un peu libre, et ne se rend pas compte qu’il est avant tout sous-officier et vis à vis de moi, ne se tient pas à sa place lorsque je commande la Compagnie, ne faisant pas ce que je lui dis exactement et ne faisant que ce qui lui plaît. J’ai été obligé de lui faire à plusieurs reprises des observations vraiment gênantes. Il aurait besoin qu’on lui serre un peu la vis, et je vais en parler au Capitaine.

Reçu hier une charmante, oh mais très charmante lettre de Madame de Cayla qui m’annonce un gros colis contenant 3 kg de sucre, des cigarettes, du thé, des savons et surtout.......... surtout un de ses petits mouchoirs « lui appartenant pour que, dit-elle, quelque chose d’elle soit à la bataille avec un brave »!!!!! Ce mouchoir d’une jolie jeune femme, je l’aurai toujours sur moi, et il me portera bonheur!! Elle n’a pas l’air d’avoir reçu mes lettres et a appris que j’avais été « fait sous-lieutenant » par Maurice. Je lui réponds et cette fois-ci, j’affranchirai ma lettre à 25 centimes.

Rien de nouveau à part cela. J’ai pu assister à la messe ce matin avec Mörch et vais faire mon possible pour faire mes Pâques pendant ce repos. Au revoir, chère Maman, bons baisers au Muguet et à sa Maman, si elle est de retour. Je lui écrirai prochainement. Qu’elle m’envoie les photos que je lui ai demandées dernièrement.............

9 avril

Sornéville. Le soir à 10 h., nous déménageons pour aller au repos à Serres.

10 avril

Serres. Joli village. Très bonne installation. Temps épouvantable.

J’ai reçu ce matin, ton excellent colis contenant un gâteau, un peu cassé, et 2 boites de truffes et de fruits confits, dont je te remercie infiniment. Tu me gâtes beaucoup depuis quelque temps.

Comme je te l’ai fait pressentir dans ma dernière lettre, nous sommes au repos dans un assez joli village depuis cette nuit, malheureusement il fait un temps horrible et nous venons d’avoir une tourmente de neige qui n’en craignait pas, dans la matinée.

Je suis ici, installé comme un Dieu dans une chambre très grande, très gaie, très propre, où j’ai tout ce qu’il me faut et chez des gens très aimables. La jeune fille de la maison est brodeuse « de son métier » et fait une broderie appelée « broderie de Lunéville » ou « de Lorraine » que j’ai trouvé très jolie mais je ne m’y connais pas beaucoup. Enfin vous pourrez en juger car elle vous fait, sur ma commande, et devant moi en grande partie, pendant que j’écris par exemple, un col pour Mad., un re-col pour mon petit Muguet et, joli travail, un chemin de table pour toi. J’avais envie de lui commander un corsage pour Mad., le modèle me plaisait infiniment, mais elle m’en demandait un prix que mes modestes appointements de Sous-Lieutenant ne me permettaient pas de lui donner. Je regrette, car c’était un ouvrage de toute beauté. Je vous enverrai donc cela quand ce sera prêt. C’est le grand travail des femmes par ici (tout près de Lunéville).

Notre popote est une salle à manger certainement mieux que la nôtre; le capitaine est installé comme un millionnaire, enfin nous sommes très bien, mais cela va se gâter un peu car il va falloir aller aux travaux dans un vilain endroit. Enfin nous aurons toujours nos nuits tranquilles, dans des draps, ce qui est déjà un point énorme et important. Les hommes sont moins bien, mais ont des petites distractions (cinéma pour les poilus!!!)

Reçu ta lettre n°20. Merci. J’espère que Mad. est à présent avec toi et avec sa fille. Quelle mère dénaturée.

Le capitaine Strohl, j’avais oublié de te le dire est arrivé le matin du déménagement et, ayant un vague cafard et une vague flemme bien compréhensible après une bonne permission, il m’a laissé le commandement 24 heures de plus pour m’occuper du changement de domicile. Pan! Attrape ça Triaud!!! Tout à bien marché et je lui ai repassé la Compagnie en ordre, sans pertes et sans bêtises de faites. J’en suis fort aise!

Ci-joint une lettre que le Capitaine m’a envoyée de Baume. Tu vois que nous sommes réconciliés tout à fait. Je te quitte, ma chère Maman, car il est l’heure d’aller manger.....................

11 avril

Serres. Reconnaissance des travaux au col de Faucroy.

12 avril

Serres. Revue du Colonel et du Général de Division près de Réméréville.

13 avril

Serres. Travaux.

14 avril

Serres. Promenade à cheval à Hoéville. Revu les Petitjean.

15 avril

Serres. Vaccination. R.A.S.

Je t’envoie cette lettre par un homme de ma section (entre parenthèse, ce n’est pas un des meilleurs). Cela me donne la facilité de te dire exactement où je suis et ce que nous faisons, sans craindre la Censure qui a, l’autre jour, ouvert une de mes lettres adressée à une jeune fille d’un village des environs, et qui a rayé plus de la moitié de ce que j’avais écrit. Je m’attendais à une tuile dans le genre de celle de Jean, mais il n’y a eu aucune suite.

Or donc, nous sommes à « Serres », village à droite du secteur que nous occupons ordinairement. 12 km de Lunéville, 20 à 25 km de Nancy, 6 km des lignes. Le village est habité, mais marmité encore quelquefois. Nous y sommes, sauf contrordre jusqu’au 21 au soir et vraisemblablement nous retournerons dans le secteur d’où nous venons. Un bruit court cependant que la Division serait relevée pour aller 1 mois ou 2 dans un camp d’instruction. Je te ferai comprendre par la suite ce que nous ferons.

Rien de nouveau depuis hier où j’ai écrit une longue lettre à Mad. J’ai écrit à Roca pour le féliciter de son galon de sergent. Archambaud t’apportera également un colis contenant une trousse de toilette qui ne me sert pas, et m’embarrasse, mon passe-montagne dont je ne me sers plus en cette saison, quelques chaussettes de grosse laine. Enfin 2 cols pour Mad. et Muguet. Ton chemin de table se fait, je viens de le voir, il ne sera pas mal du tout.

Veuille bien, je te prie, m’envoyer quelques (3) paires de chaussettes, pas si grosses que celles que j’envoie mais pas trop fine tout de même. Tu comprends, pour le printemps.

La santé est toujours bonne, le moral se maintient. J’espère qu’il en est de même chez toi..............

16 avril

Serres. R.A.S.

17 avril

Serres. R.A.S.

18 avril

Serres. R.A.S.

J’ai bien ta lettre n°23, contenant les 4 photos dont je te remercie ainsi que Mad. Avant-hier, je t’ai envoyé un colis et une lettre par un homme de ma section qui, j’espère, t’aura apporté le tout aussitôt son arrivée.

Excuse mon écriture, mais figure toi que nous avons de la neige et un froid terrible. Tout est gelé très fortement, pour un mois d’avril, c’est vraiment triste. Et vous, quel temps avez-vous? J’espère que dans cette brave Rochelle, le printemps est arrivé. Ici nous n’avons vu aucun symptôme encore de cette belle saison. Les paysans sont consternés de voir leur blé perdu par ce froid inattendu. Je n’ai pas de feu dans ma chambre et naturellement ai un froid qui me paralyse la main.

Rien de nouveau à part cela. Hier, le colonel Méquillet est venu nous voir; il nous avait envoyé la musique qui nous a donné un concert interrompu 2 fois par la neige! Ton chemin de table va être fini aujourd’hui et je vais te l’envoyer d’ici très peu de temps...............

P.S. Ah! une commission. Pourrais-tu me dire le nom des grosses maisons de poissons de La Rochelle. Y a-t-il une maison SCHMIDT? Je ne crois pas.

19 avril

Serres. Reconnaissance des chemins de contre-attaque dans le secteur du 344.

20 avril

Serres. Travaux.

21 avril

Serres. R.A.S.

J’ai reçu beaucoup de choses depuis ma dernière lettre: d’abord tes lettres n°24, 25 et 26, puis une lettre de Mad. et du Muguet; enfin deux colis, l’un de toi contenant 2 volumes sur l’Afrique, l’autre de Mad. contenant un étui à cigarettes dont je la remercierai très prochainement. A toi, merci des deux livres qui vont m’intéresser énormément. Tu sais que Madame de Sairigné m’en a également envoyés, entre autres « Tartarin sur les Alpes » que j’ai fini ce matin. Tu vois que j’ai du pain sur la planche pour le moment.

Par le même courrier, je t’envoie un colis recommandé contenant ton chemin de table, plus un col pour Madeleine, mais à une condition: qu’elle choisisse entre les deux (celui-ci et l’autre en soie) et qu’elle envoie l’autre à Loulou du Sault de ma part. Dites-moi, je vous prie, celui que vous enverrez. Je le fais passer par La Rochelle pour que vous le voyiez car il est superbe, mieux que l’autre, je trouve, et, s’il fait envie à Mad, qu’elle le garde en faisant passer le premier à ma charmante cousine.

Je réponds maintenant à toutes tes lettres qui m’arrivent en grand nombre et me font tant de plaisir de ce fait. L’aventure de Cadi m’a passionné tout comme vous et je suis bien heureux que vous soyez entièrement rassurées. Donne-lui une bonne tape amicale de la part. Merci beaucoup à vous deux d’avoir pensé que la St-Georges était après-demain et de m’avoir fait de si aimables voeux. Puissiez-vous, en effet, me les faire de vive voix l’an prochain, ce serait une bonne affaire.

J’ai entendu parler, en effet, de ces changements dans la garnison de La Rochelle. Cela va énormément augmenter le prix de la vie probablement, car ces Yankees, comme les Anglais ont de l’argent plein les poches et vont gâter tous les commerçants: Voir Nord de la France!!! Mauvaise affaire de ce coté là. Mauvaise affaire également au point de vue moeurs. Non, cela ne m’enchante pas outre mesure pour ma vieille Rochelle.

Je suis content qu’Archambaud ait été rapidement te donner de mes nouvelles et te remettre le paquet.

Nous déménageons d’ici demain soir et allons où nous étions avant: la Compagnie dans un secteur assez bon. Je te donnerai des détails plus tard quand j’y serai.

Adieu maintenant les lits! Pour longtemps très probablement, enfin ne nous plaignons pas, les malheureux qui sont du coté de Craonne sont moins bien que nous; mais aussi, pas si longtemps que nous en ligne. Ce sont 2 guerres complètement différentes....................

22 avril

Serres. Le soir, nous partons pour les A.P. à la Grande Goutte. Marche fatiguante.

23 avril

Grande Goutte. R.A.S.

Je reçois aujourd’hui ta bonne lettre n°27 ainsi que celle que le Muguet m’a écrit pour me remercier du petit col. Par le même courrier, j’ai reçu une très longue lettre de Tante Lilia à l’occasion de ma fête: je vais lui répondre très prochainement. Merci du colis de chaussettes que tu m’envoies, je ne l’ai pas encore reçu et te préviendrai dès son arrivée.

Nous voici de nouveau en ligne, mais dans un secteur pas trop marmité et où il est difficile à « ces Messieurs » de venir nous faire de sales petits coups comme l’autre fois. C’est au tour d’un autre Bataillon à y être.

En somme, ce petit repos de 12 jours nous a fait du bien car, à part quelques travaux, on ne s’est rien cassé, et il ne faut pas se plaindre. Le village et ses environs étaient très gentils et le seul véritable ennui, c’est l’épouvantable temps que nous n’avons cessé d’avoir. Je n’ai pu faire qu’une seule promenade à cheval, quant à N.... (Nancy), nous en étions trop loin, et, par ces tempêtes c’était un voyage trop inconfortable à entreprendre.

Cette bataille entre Reims et Soissons m’a l’air d’être un peu arrêtée. Enfin, il faut avoir confiance qu’on les aura cette année! Ne crains rien encore pour Roger et Louis Le Conte: Tant qu’ils seront au 9° Bataillon du 123, ils ne donneront pas, et sont à l’arrière du front. Quant à Jean et à Roca, évidemment ils sont plus exposés.............

24 avril

Grande Goutte. R.A.S.

Deux mots simplement pour te dire que j’ai reçu, ce matin, ton colis contenant 3 paires de chaussettes et ce qui ne m’a fait de peine, un sac de bonbons que Mörch d’ailleurs m’aide beaucoup à sucer. Merci beaucoup: les chaussettes sont très bien comme je les désirais: je ne les ai pas encore essayées, mais j’espère qu’elles seront de bonne taille.

Rien de neuf ici depuis hier, si ce n’est que les permissions qui depuis un mois avaient été diminuées de moitié, viennent de reprendre leur cour normal: il n’y aura donc pas un retard énorme pour ma prochaine permission..........

25 avril

Grande Goutte. Préparation d’une reconnaissance que je dois faire. Patrouille sur le bord de la Loutre avec Mörch.

26 avril

Grande Goutte. R.A.S.

27 avril

Grande Goutte. Le soir: reconnaissance de l’autre coté de la Loutre à la tranchée des Wurtembergeois. Aucune rencontre. Coups de feu.

28 avril

Grande Goutte. R.A.S.

29 avril

Grande Goutte. R.A.S.

Je reçois à l’instant ta lettre n°28 du 24/4 qui m’annonce une mauvaise nouvelle: la maladie de la petite Muguette. Comme vous, j’espère que vous allez enrayer le mal et que ce ne sera qu’une fausse alerte. Tiens-moi bien au courant, tu penses si je suis de coeur avec vous et écris-moi tous les jours pendant la maladie, je t’en prie. D’ailleurs, d’après ce que je crois savoir, la coqueluche n’est pas une maladie très très grave pour les enfants, mais je voudrais bien que cela soit terminé.

Je suis encore désigné aujourd’hui pour aller suivre le cours de Commandant de Compagnie à Lunéville, car on m’a fait 2 fois déjà, comme je te l’ai d’ailleurs raconté, la mauvaise farce de supprimer le cours 2 jours avant mon départ ou la veille même. Ce serait pour durer du 7 au 26 mai, ce qui vaudrait la peine de changer d’adresse, ou mieux de s’écrire par la poste civile. Je te donnerai mon adresse, mais ne faisons pas trop de projets, cela pourrait être des châteaux en Espagne.

J’ai écrit dernièrement à Madame de Sairigné et à Tante Lilia, dis-moi si elles ont reçu mes lettres. Décidément cette lettre d’aujourd’hui ne renferme que de mauvaises nouvelles, et tu seras bien aimable de transmettre à Mademoiselle Marguerite tous mes compliments de condoléances pour la mort de son père.

Au revoir, ma chère Maman, je ne vois plus rien à te raconter, soignez bien le petit Muguet et embrasse-le encore plus affectueusement que d’habitude, si c’est possible, de ma part ainsi que sa Maman..............

30 avril

Grande Goutte. Retour de Saudaran. R.A.S. Je suis désigné pour le remplacer à Lunéville (Cours de Commandant de Compagnie) avec capitaine Bon.

Merci de ta lettre n°29 reçu aujourd’hui qui me donne des détails sur ton voyage à Bordeaux. Ce n’était évidemment pas un voyage d’agrément: c’est une bonne oeuvre de plus à ton actif. Tu as cependant vu les Bernard et les Moreau. Donne-moi des nouvelles de Daniel dès que tu en auras, je te prie. Quant à Jean du Sault, il m’a l’air de s’embusquer de plus en plus avec son histoire de Tank. Enfin il a été blessé. Que tout le monde en fasse autant que lui. J’ai écrit hier ou avant-hier à sa soeur pour lui annoncer le col. Tu vois que nous sommes toujours en correspondance.

Espérons qu’à ma prochaine permission, j’aurai le plaisir de la voir à La Rochelle, si tout va bien, ce sera vers la 2° quinzaine de juin. Tu me donnes de meilleures nouvelles du petit Muguet. Tant mieux, je voudrais bien que vous fassiez avorter cette satanée coqueluche. J’attends tes prochaines lettres avec beaucoup d’impatience, à ce sujet.

Aucun contrordre encore pour mon voyage à Lunéville. Espérons que cette fois-ci, je pourrai aller suivre ce cours vraiment très intéressant, parait-il. L’autre officier qui y va est un Capitaine, le capitaine Bon de Bordeaux, très gentil garçon que je connais beaucoup pour l’avoir vu dans de sales endroits à Fleury ou ailleurs! (Il y a 2 officiers par régiment).

Voila, au revoir, je vais me coucher. Quelles journées superbes nous avons en ce moment-ci dans les bois, c’est délicieux et comme c’est calme, c’est une période charmante que nous traversons...................

1 mai

Grande Goutte. R.A.S.

2 mai

Grande Goutte. Relève le soir par la 22°. Nous allons aux 100 Chênes et au Ravin. Je reste pour passer les consignes.

3 mai

Bois de 100 Chênes. R.A.S.

Je réponds ce soir à ta lettre n°30, dans laquelle tu me dis avoir reçu le 2° colis de broderies. Tant mieux si elles vous ont fait plaisir: telle était mon intention. J’étais sûr que Mad. garderait le second col que j’aime beaucoup mieux moi aussi. Je suis bien content des nouvelles que tu me donnes du Muguet: d’après ce que tu me dis, cette coqueluche a l’air complètement enrayée et vous pourrez passer de bonnes vacances avec Mad. du Sault bien entendu.

Rien de nouveau ici, nous sommes toujours dans des bois depuis que nous avons quitté le repos, mais avec ce joli temps et la chic température dont nous jouissons: ce qui est un gros ennui l’hiver, devient très agréable l’été surtout lorsque les artilleurs Boches ne nous ennuient pas trop, ce qui est le cas depuis quelques jours. Nous passons notre temps à faire des courses ou des travaux en forêt au milieu des fleurs dont je t’envoie quelques échantillons pour le Muguet.

Aucun contrordre pour le cours de Lunéville. J’espère toujours y aller passer 21 jours tranquilles. Mörch qui écrit à Harriet, à coté de moi, me charge de t’envoyer ses hommages ainsi qu’à Mad. Sur ce, je te quitte en te chargeant d’embrasser bien tendrement Mad. et le petit Muguet à qui, j’y pense maintenant, j’aurais bien du écrire pour son anniversaire.................

4 mai

Ravin. R.A.S.

5 mai

Voyage à Nancy pour achats et courses diverses.

6 mai

Départ pour Lunéville. Chez Mme Bergé.

Me voici arrivé depuis une heure à Lunéville, et mon premier soin, en arrivant, est de te donner de mes nouvelles et mon adresse ici.

Monsieur Georges Triaud (pas de grade)

chez Mme Vve Bergé

57, faubourg de Ménil

Lunéville

Affranchi tes lettres, comme je vais le faire moi-même, de façon à ce que nous ayons mutuellement des nouvelles plus rapides! Je suis merveilleusement bien installé chez une dame de 50 ans, veuve, mère et soeur (son frère est Lieutenant-Colonel d’Artillerie) d’officiers, très à l’aise pour ne pas dire très riche, de sorte que j’ai une chambre très luxueuse, une salle de bain en guise de cabinet de toilette: je pourrai me baigner quand je voudrais: je n’ai qu’à allumer le réchaud à gaz, etc... etc... Enfin, presque autant de luxe que chez les Tetlow.

C’est merveilleux. La dame est très aimable mais c’est une parvenue qui fait un peu trop étalage de son argent. Comme popote, je mange dans un hôtel très chic de la ville. Quant au cour, je ne sais ce qu’il va être car il ne commence que demain.

J’ai reçu ta lettre n°31 du 1° mai. Merci. En effet une lettre d’une soeur d’Albert Roca à Mlle Mörch dit que ce pauvre camarade a disparu dans une charge où il avait pris le commandement de sa section, son lieutenant ayant été tué. Je n’ai pas d’autres détails et serais heureux d’en avoir. Je compte sur toi pour cela. Quant à la lettre de Jean d. S., elle m’a beaucoup intéressé. C’est horrible, mais ces machines n’ont tout de même pas donné ce qu’on en attendait.

Vive Muguette qui n’a pas de coqueluche! Sur ce, je te quitte, car je vais m’installer dans mes appartements car j’ai oublié de te dire que j’avais une 3° pièce à ma disposition: un grand cabinet de travail!!!!!!

C’est inouï les changements que procure cette guerre..................

7-11 mai

Lunéville. (Mme Rousseau. Barbier. Thérèse. Marie. Berthe. Mimi. la Dactylo!!!)

12 mai

Lunéville. R.A.S.

Je réponds très brièvement à toutes tes lettres n°32, 33, 34 et 36 (celle timbrée) car je suis très occupé, tu le penses, entre tous ces cours, toutes ces sorties à cheval, etc..., etc... Comme tu le vois, je n’ai pas reçu ton n°35 qui, forcément a été plus lentement que le n°36. Tout va donc bien et est très en ordre.

Le cours marche très bien. Pas d’anicroche d’aucune sorte. J’ai déjà été interrogé et ai bien répondu: ce n’est pas fini. Je t’écris moins souvent car tu me sais en sécurité complète ici. Le cheval, ça marche épatamment et je me suis aperçu que j’étais dans les plus dégourdis, même parmi les capitaines!

Comme blessé, il parait que Max Prouteau vient d’avoir la Médaille Militaire et la Croix de Guerre avec palme, c’est épatant, mais pourvu que ce ne soit pas après un amochage. Quant au pauvre Roca, je crois qu’il est foutu!

A part ces mauvaises nouvelles étrangères, je te remercie des bonnes nouvelles de la famille. Quelle chance nous avons depuis la mort des 2 oncles......... mais ne parlons pas trop vite. Je vais te quitter, déjà vas-tu dire, c’est que je suis horriblement pressé, et je t’écris ce matin juste avant de partir pour le cours et il est grand temps que je m’en aille.

Bons baisers à vous toutes que je suis content de savoir en bonne santé............

P.S. Ci-joint la lettre de J. d. S.

13 mai

Nancy.

14, 15 mai

Lunéville. R.A.S.

16 mai

Lunéville. R.A.S.

Bien reçu aujourd’hui et ces jours derniers tes bonnes lettres n°35, 36, 37 et 38. En effet à l’une de celles adressées chez Mme Bergé et qui vont deux fois plus vite que par le secteur postal, tu as oublié de mettre des timbres, mais par un hasard inexplicable, elle n’a été ni ouverte, ni surtaxée et est arrivée aussi vite que les autres.

Je te demande pardon de ne pas t’écrire plus souvent, mais comme tu le dis toi-même, je ne risque absolument rien ici. Le cours nous prend beaucoup de temps car, non seulement nous assistons à des conférences, mais encore nous faisons de longues chevauchées, et nous avons des travaux assez compliqués à faire à la maison. De plus, je suis dans une ville civilisée où, avec le capitaine Bon, nous nous distrayons le plus possible, mais généralement nous sommes, ou fatigués, ou courbaturés, mais c’est une vie agréable et un bon moment de détente que ces 3 semaines.

Ce matin, en même temps que ta lettre, je recevais une de mes lettres adressée à Roca. Le pauvre ami est certainement mort maintenant. Quel malheur!

La ville où j’habite est gentillette surtout en cette saison où tout est fleuri. Hier, j’ai ramassé du muguet dans des bois, j’en ai fleuri mon cheval et moi-même, c’était très gentil. Le château et la cour sont encore respectés, c’est même à ce château que nous suivons nos conférences. Les avions viennent y faire quelques visites, mais pas depuis que je suis là, pourtant il fait un temps pour cela.

J’espère que le Muguet ne vous donne plus aucune inquiétude à présent et que Loulou de Sault pourra venir pendant ma permission!! Merci de tous les petits détails Rochelais que tu me donnes, tout cela m’intéresse vivement, tant au point de vue de mes camarades, que des événements aériens. Ici, je t’assure que les avions ne manquent pas. Je ferai mon possible pour y monter quand nous irons les voir chez eux.

L’autre jour, j’ai rencontré ici mon Colonel dont le frère est député à Lunéville. Il m’a dit que nous partirions prochainement de la région, selon toute vraisemblance. Ce serait pour aller dans un camp d’abord, ensuite??.?..........

Lettre adressée au:

Sergent A. Roca

118° Régiment d’Infanterie

7° Compagnie

« RETOUR A L’ENVOYEUR »

le 8 avril 1917.

Mon cher Albert,

J’ai reçu hier ta bonne lettre du 30 mars dont je te remercie bien vivement. Je savais en effet par Maman, que tu étais passé à La Rochelle le lendemain de mon départ: c’est bien notre veine! J’ai bien regretté moi aussi, car nous avons certainement changé tous les deux depuis que nous nous sommes vus, et cela nous fera un bien drôle d’effet. Espérons que ce sera prochainement que nous en aurons l’occasion, après la Victoire.

Toutes mes félicitations pour ton grade de sergent, si mérité et que l’on t’a fait attendre bien longtemps, je trouve. Vivement que nous allions prendre un apéritif tous les deux en uniforme d’Officier!

Mörch est toujours à ma Compagnie comme aspirant, et Parriat (ton ex-collègue) comme fourrier. Nous parlons souvent de toi tous les trois!

Mes respects chez toi, où, j’espère, tout le monde se porte bien. Je te serre cordialement la main.

Ton vieil ami.

17-19 mai

Lunéville. R.A.S.

20 mai

Nancy.

21 mai

Lunéville. R.A.S.

22 mai

Lunéville. R.A.S.

Je trouve que je te néglige vraiment ici, mais que veux-tu, je suis très occupé par ce cours qui nous prend de 8 h. du matin à 5 h. du soir, sans compter les travaux à faire chez soi. Par exemple, nous faisons des promenades à cheval presque tous les jours, c’est délicieux, idéalement délicieux, dans ce beau pays et par ce beau temps.

Ci-joint une photo de moi à cheval prise par le capitaine Bon au cours d’une promenade. J’ai d’autres photos que je veux montrer à ma Compagnie, mais je t’en enverrai par la suite. Celle-ci est prise à Blainville où j’ai été suivre un cours au mois de Janvier: nous y avons été voir une manoeuvre.

Tu te demandes quel costume j’ai: c’est un costume que j’ai fait faire avec un pantalon et une capote de l’état, pour la tranchée; Il m’a coûté très bon marché et est très bien taillé. J’en suis fort content et suis maintenant très bien monté en vêtements. Restent les chaussures, mais tout cela se paie et tout augmente de sorte que je ne fais pas d’économie ici, au milieu de ce secteur calme: de Nancy et de Lunéville, etc...

Il parait imminent d’ailleurs que nous allions dans un endroit où nous ferons forcément des économies, mais j’espère aller en permission avant d’aller dans la fournaise.

J’ai reçu ta lettre n°39, venue très vite naturellement. Elle ne me donne pas de bien bonnes nouvelles des Rochelais.

Ici rien de nouveau. Je travaille et je m’amuse en compagnie continuelle du capitaine Bon qui est un vrai camarade avec moi. On tiendrait très bien ici, jusqu’à la fin de la guerre. Mörch m’a écrit: rien de neuf non plus à la Compagnie que je vais retrouver je ne sais où, dans une semaine.

Au revoir et bons baisers à toutes les trois. Ne vous en faites pas pour moi en ce moment et ne t’inquiètes pas du peu de nouvelles. Je ne risque rien ici..............

P.S. J’ai oublié de te dire que j’ai reçu récemment une grande photographie du petit Georges Neveux, mon filleul, avec pour vous les amitiés du père, de la mère et de la Tante. Je m’acquitte de la commission.

23-24 mai

Lunéville. R.A.S.

25 mai

Lunéville. Banquet avec le Commandant Miguon

26 mai

Lunéville. Adieux. Thé. Départ pour Nancy pour rejoindre la Division entièrement relevée.

Je reçois à l’instant ta lettre n°41 et j’y réponds avant d’aller prendre mon dernier repas avec mes camarades. En effet, ces 21 jours de détente prennent fin aujourd’hui et je vais rejoindre mon régiment demain ou après-demain. Je ne sais pas exactement quand je le retrouverai car toute la division vient d’être relevée et je ne sais pas exactement où elle a filé. Ce doit être, je crois, aux environs de Toul. J’y trouverai alors ta lettre n°40. Ne t’en fais pas: rien ne se perd et tout commence à bien s’organiser pour nos correspondances, depuis 3 ans de guerre.

Pardon encore de ne t’avoir que peu écrit pendant ces 3 semaines, j’étais d’ailleurs sûr que tu ne serais pas inquiète. A partir du moment où j’aurais rejoint mon régiment, je te promets, comme tu le dis, de reprendre mes « bonnes habitudes ».

Alors, tu as reçu la photo du cheval, j’en ai d’autres à t’envoyer dans quelques jours, dans lesquelles je ne suis pas trop trop mal. Je n’ai pas encore celle de Jean. Elle doit m’attendre au régiment. Ne m’écris plus naturellement chez Mme Bergé, mais au secteur 136, comme d’habitude.

Ce cours m’aura fait beaucoup de bien, au point de vue repos moral, instruction générale militaire et équitation. Le lieutenant de cavalerie qui nous instruit, m’a fait beaucoup de compliments et m’a dit que j’avais fait énormément de progrès. C’est vrai, je suis maintenant très à mon aise et ne suis plus courbaturé, même après 30 km, comme hier.

Allons bonne santé à toutes les trois que j’embrasse de tout coeur, comme je vous aime. A bientôt une correspondance plus suivie............

27 mai

Nancy. La nuit bombardement par avions. Panique.

28 mai

Départ à 6 heures. Chemin de fer jusqu’à Pont-St-Vincent. Je rejoins la Division au camp du Bois entre Toul et Nancy. Installation bonne pour un camp.

Me voici de retour au régiment et à la compagnie. J’ai trouvé toute la division groupée dans un camp situé dans un pays tout simplement délicieux, mais où nous allons vivre absolument une vie de caserne: exercices, appels, revues, etc... etc... pendant x jours. Nous ne sommes pas loin du tout de la grande ville où habite les Adrien, simplement à 15 km en arrière, au lieu d’être en avant. Tu comprends. Tout près de la M...le (Moselle) et dans des bois superbes.

Tout le monde est en bonne santé à la compagnie, aucun accident pendant mon absence. Il n’en est pas malheureusement de même dans les autres compagnies du bataillon qui a été taquiné à différentes reprises par ses voisins.

Revu Mörch qui va partir en permission très prochainement (il ne me précède d’ailleurs que de quelques jours). Nous sommes à ce propos assez ennuyés, car La Rochelle, tu le sais peut-être, est consignée à toute troupe par suite d’épidémie!? C’est fort ennuyeux, mais c’est écrit au rapport. Renseigne-toi donc, je te prie si, en demandant ma permission pour Nieul ou L’Houmeau, je pourrai rester néanmoins à La Rochelle. Sinon, il faudra aller à Quinsac. Réponds-moi vite à ce sujet, je te prie.

Ici, m’attendait ta lettre n°40 à laquelle je réponds maintenant. Qu’a donc eu Médéa de vous quitter ainsi, et as-tu fini par trouver l’« oiseau rare » que tu cherchais. Je suis bien content que Muguette soit enfin guérie: elle a tout de même été assez longue à se remettre, cette petite. Ci-joint quelques photos que tu voudras joindre à celle du cheval. La petite est une de celles que Dethomas a tirées dans notre maisonnette aux avant-postes dans les bois. Accuse-moi réception, je te prie.

Pour ne pas perdre l’habitude, je viens de faire une promenade à cheval. Le capitaine Strohl est très flemmard pour sortir et, en plus, il était très occupé dans cette « garnison ». Ce sera d’ailleurs mon cas à partir de demain. Aujourd’hui je suis considéré comme en congé. Je te quitte, ma chère Maman, en te promettant de t’écrire maintenant tous les 2 ou 3 jours comme auparavant..............

29-30 mai

Camp de Bois-Levêque. Exercice.

31 mai

Camp. Exercice

Deux mots pour te dire que je vais aller t’embrasser incessamment.............

1 juin

Camp. Exercice.

Ma carte d’hier, qu’entre parenthèses j’ai dû oublier de numéroter n°35, te fait prévoir une arrivée subite. Depuis que je l’ai écrite, il s’est passé bien des entrevues et des contrordres qui font que je ne pars « vraisemblablement » que le 14 de ce mois. Enfin ce ne sera sûrement pas long et tu peux m’attendre d’ici peu et prévenir Loulou du Sault de venir, si elle peut, à moins que ce ne soit nous qui allions à Quinsac? Je t’ai écrit à ce sujet.

Ici, nous continuons à avoir une vie très occupée par tous les exercices où nous sommes visités par des tas de grands chefs. Vie de caserne absolument qui me plaît assez mais dans laquelle on dort peu. Nous avons repris nos hommes en main en serrant un peu plus la discipline. Ils s’y sont très vite pliés et j’ai l’impression que la Compagnie est aussi disciplinée maintenant qu’une compagnie d’active. Il faut cela après un aussi long temps de tranchée.

Je n’ai pas de nouvelles de Jean depuis fort longtemps, je vais lui écrire ce soir pour lui demander un peu ce qu’il devient. Le verrai-je à cette permission? Mörch va partir quelques jours avant moi probablement. Il m’annoncera et te donnera des détails sur notre vie, pas du tout inquiétante pour l’instant. Je viens de causer très amicalement avec mon Colonel tout en écoutant la musique. C’est un homme aimable et gai.

Vos santés à toutes les trois sont bonnes, je l’espère du moins vivement et souhaite de m’en rendre compte bientôt par moi-même. Quant à moi, j’ai maigri depuis un mois (Lunéville et le camp) mais ne me suis jamais senti si bien........

2 juin

Camp. Exercice.

3 juin

Camp. Le lieutenant Sauts blessé grièvement à l’oeil dans un exercice de grenades.

4 juin

Camp. Exercice.

Cette lettre te sera portée par Edouard, c’est te dire que je vais te raconter toutes mes petites affaires sans crainte de la censure:

D’abord: Permission.

Je devais partir le 1° juin (c’est à dire que le 31 mai au soir on vient me demander l’adresse à laquelle je voulais aller, et me prévenir que je devais partir le lendemain matin immédiatement). Le lendemain, de bonne heure, contrordre, mais je devais partir incessamment, c’est à ce moment que je t’ai écrit une brève carte postale pour que tu t’attendes à me voir apparaître. Puis contrordre définitif. Je suis désigné pour partir le 14.

Mais voilà: La Rochelle est consignée pour épidémie, aussi, comme Mörch je demande Laleu ou l’Houmeau, mais je me demande si les autorités militaires mes laisseront circuler librement à La Rochelle. Dans l’affirmative, je reste avec toi à La Rochelle. Dans la négative, nous pourrions tous filer à Quinsac. Voila mon idée. Dis-moi ce que tu en pense.

Maintenant on murmure ici qu’il y a eu des émeutes à La Rochelle et que c’était pour cette raison que la ville était interdite aux militaires. Est-ce vrai? Si tu me réponds, fais-le à mots couverts, en cas que ta lettre soit ouverte par la censure.

Vie au camp: Tu sais que nous sommes dans un camp d’instruction entre Toul et Nancy, mais en arrière. Nous y menons une vie assez dure car nous avons une dose sérieuse d’exercices. Les grands chefs que l’on ne voit jamais au feu, et bien peu en ligne, sont ici continuellement sur notre dos et font des réflexions grotesques et quelquefois mauvaises. Puis ce sont des défilés en masse.

J’ai l’air de me plaindre: c’est que je me suis mal exprimé car cette vie ne me déplaît pas du tout; d’abord nous entendons très souvent la musique, non seulement de notre régiment mais de tous ceux de la division: Concert tous les soirs dans le quartier des officiers: Défilés de toute la Division, etc... etc... Cinéma tous les soirs dans une salle très bien aménagée à cet effet. Le 6 et le 7, nous recevons des acteurs et des actrices de l’Opéra comique qui nous donneront un spectacle et que nous recevrons à un banquet, etc... etc... Mais on est pris toute la journée de 4 h. à 18 h. à faire de l’exercice.

On ne parle pas encore de départ et surtout personne ne sait, même pas à la Division où nous irons après cette période d’instruction.

J’ai reçu tes 2 lettres 42 et 43 auxquelles je réponds. Reçu également la photo de Jean à cheval, et une fort aimable lettre de ma Tante et Belle-Maman: Marie-Louise Moreau. Elle me parle de ce pauvre Jean Noailles dont tu me dis le triste état. Tiens-moi au courant, je te prie. Je ne connais pas ce « Brouard » dont tu me parles, mais je reconnaîtrai peut-être le coin qu’il a dessiné.

Sur ce, je ne vois plus rien à te raconter. Mörch te donnera les détails que tu lui demanderas, et dans 10 jours, à mon tour, je pourrai répondre à toutes tes questions.

Je reprends ma lettre que j’ai interrompue pour aller voir des avions boches qui nous survolaient et sur lesquels canons et mitrailleuses crachaient. Je croyais bien qu’ils auraient lâché quelques crottes sur le camp, mais ils sont partis sans faire de saletés.

Un de nos camarades du 206 (sous-lieutenant décoré de la Légion d’Honneur) vient d’avoir l’oeil crevé, hier à un exercice de grenades! C’est idiot................

5 juin

Camp. Exercice.

6 juin

Camp. Représentation de la troupe du Théatre aux Armées (Mlle Théry Prainer). Banquet.

7 juin

Camp. Grande revue du Général de Division.

J’ai reçu hier ta lettre n°44 à laquelle je réponds aujourd’hui. Tu dois avoir vu Mörch et ma lettre n°37 et des détails en quantité sur notre installation et sur notre emploi du temps. Entendu: je demande ma permission pour l’Houmeau, nous verrons ce qu’il en adviendra une fois arrivé à La Rochelle. Quant aux Triaud, je n’y passe pas en allant, tu me diras là-bas si tu tiens absolument à ce que j’y aille en revenant.

Ici, toujours la même vie très occupée, mais mêlée de distractions. Je change de chemise 2 fois par jour en rentrant de l’exercice tellement nous attrapons chaud sur ce sacré terrain de manoeuvre qui, comme tous, est privé d’ombre sur plusieurs km2 et qu’il faut arpenter à allures plus ou moins rapides, plusieurs fois par exercice! Mörch t’a peut-être dit que nous avons eu une troupe de « Théâtre aux Armées » composée de forts bons acteurs. Figure-toi que j’ai été désigné pour dîner avec eux (Il y avait un représentant de chaque grade, dans chaque régiment: 1 colonel, 1 commandant, etc...). Le capitaine désigné était............ le capitaine Strohl (Oh! cette 14° compagnie!!!)

Comme j’étais le plus jeune des 3 sous-lieutenants de la division, j’ai naturellement eu la plus jeune des actrices comme voisine, et je suis tombé sur la plus jeune des actrices comme voisine et je suis tombé sur la plus jolie: à croquer, 19 ans, mignonne et jolie comme tout. Maintenant tout le monde me taquine: c’était de beaucoup la mieux de toutes, effectivement. C’était très gai, nous avons très bien mangé et encore mieux bu. A la fin du repas, les Colonels eux-mêmes donnaient l’entrain, je ne t’en dis pas plus long.

Aujourd’hui, revue solennelle de toute la Division. Toute l’infanterie, toute l’artillerie, tout le génie, toute la cavalerie, l’aviation, enfin tout au grand complet, avec tous les drapeaux, toutes les fanfares, etc... etc... C’était grandiose et fort joli. C’est la première fois que je voyais une division réunie entièrement! Le 234 a eu des félicitations pour son défilé, sauf une compagnie, qui n’est pas la 14!

Toujours aucun renseignement ou même tuyau pour l’avenir. Qui vivra, verra. Et vous? Je ne parle que de moi. J’espère que vous allez toujours aussi bien et que je vais vous trouver toutes les trois très bien portante et sans aucun régime. Vivement que ces 7 jours qui me séparent du départ, passent! (quelle phrase élégante!!!).....................

8 juin

Camp. Exercice.

9 juin

Camp. Exercice.

J’ai reçu hier et aujourd’hui tes 2 lettres n°45 et 46 dont je te remercie beaucoup. Je suis content que les nouvelles que t’a apportées Mörch soient parvenues rapidement. C’est toujours agréable d’avoir des nouvelles fraîches, bien qu’encore une fois, ici, je ne risque rien.

Ici, les canards marchent leur train, car il est certain qu’avant mon départ, nous quitterons l’endroit où nous sommes. Mais pour aller où? Tout le monde l’ignore et les secteurs les plus différents sont nommés les uns après les autres. J’aime à croire, malgré tout, que mon départ ne sera pas retardé malgré le déménagement.

Merci des nouvelles que tu me donnes de Mimi Balmary à laquelle je vais écrire immédiatement. Quant au pauvre Bernard, c’est bien triste. Encore un qui n’a pas moisi au front! Il faut espérer qu’André Beltremieux et Jean Noailles vont être rétablis chacun de son côté le plus vite possible. A propos de Noailles, j’ai parlé, il y a quelques jours, à l’adjudant Coyola, leur ami, mais je ne savais pas encore la nouvelle blessure de Jean. Si je le revois, je lui en parlerai.

Ta seconde lettre me comble de joie. Je suis enchanté de me rencontrer avec Jean Chagnaud encore une fois. J’aurais aimé aussi avoir Loulou!

Au revoir donc et à bientôt. Même vie toujours ici, par un temps toujours aussi chaud et orageux. Ci-joint le programme du spectacle du Théâtre aux Armées. Inutile de te dire que j’ai assisté à toutes les représentations.... dans les coulisses..............

10-11-12 juin

Camp. Exercice.

13 juin

Départ en permission par Toul à 13 heures.

14 juin

Paris. Vu Schenck partant pour le 308.

15-22 juin

Permission à La Rochelle.

23 juin

Départ à 20 heures pour Paris.

24 juin

Journée passée à Paris. Retrouvé Loulou.

25 juin

Arrivée à Toul à 6 heures. La Division partie direction inconnue. Le capitaine La Mainière m’envoie en mission en auto dans les gares d’embarquement et Nancy. Départ le soir à 18 heures avec le D.D. (Brochard. Fouché).

Toul, le 25 juin 1917 (18 heures)

.........Il y avait du vrai et du faux dans ce qu’est venu me dire Paul Bouyé. La Division a été, en effet, où je t’ai montré sur la carte, mais n’y est resté qu’un jour. Le lendemain alerte: départ en chemin de fer pour une destination inconnue.

J’arrive donc en gare de Toul, ce matin à 6 h. et pour plus de sûreté, avant de filer vers Nancy, je me renseigne à la gare. J’y trouve le chef d’Etat-Major de la Division qui répond à mes questions en ces termes:

Mon cher ami, la Division est en mouvement. Celui-ci a commencé hier par votre régiment, tout entier passé. Maintenant vous le rejoindrez par le dernier train de la Division. Pour le moment, j’ai besoin d’un officier, je vous garde.

Le service qu’il m’a demandé a été celui de prendre son auto, une superbe limousine battant fanion de la Division, et d’aller dans 3 ou 4 gares différentes (entre autres Nancy) porter des plis et des ordres. Je viens de finir et ai fait plus de 80 kilomètres en auto après 2 nuits de chemin de fer, je suis vanné. Je repars ce soir à 20 h. pour rejoindre je ne sais où, personne ne le sait, même pas ce chef d’Etat-major qui, lui, veille au départ et ne s’occupe pas de l’arrivée. Tout ce que je peux te dire, c’est que c’est vers le nord, probablement vers là où est Jean, ou même peut-être plus haut: je n’en sais rien.

Je te ferai savoir dès que possible. En attendant, je t’embrasse bien affectueusement ainsi que Mad. et le Muguet. J’oubliais de te dire que j’ai fait un excellent voyage en compagnie de Poindessous? d’abord, ensuite entre Paris et Toul avec un monsieur de Nancy et sa fille de 17 ans qui connaissaient les Adrien. Pas été chez les Balmary.

Vu un camarade de Jean Ch., le capitaine X qui était venu avec lui, me voir à cheval au camp de Verrière. Je lui ai annoncé la décoration qu’il ne connaissait pas.

Adieu Nancy, adieu la Lorraine. Où vais-je aller maintenant? De nouveau, bons baisers à toutes les trois. Je suis bien fatigué Mes hommages à Mademoiselle Madeleine Richard..........

26 juin

Arrivée à Noyon et Babeuf. Trouvé le Régiment à Salency où j’arrive à 16 heures.

27 juin

Journée à Salency.

28 juin

Départ le matin à pied. Traversée Noyon et marché sous la pluie jusqu’à Selens où nous cantonnons.

Quel voyage! Grand Seigneur, et très fatiguant dans de pareilles conditions. J’ai enfin retrouvé mon régiment et ma compagnie non sans peine et avec lui maintenant je me déplace pédestrement par étape. Comment te faire comprendre? Nous ne sommes pas éloignés tout près de la demeure féodale du Monsieur qui n’était ni duc, ni prince, ni etc... Je ne peux t’en dire plus long. Nous traversons un pays qui a été superbe mais que la guerre a beaucoup éprouvé « il y a 3 mois ». Ce matin, nous avons reçu la plus magistrale douche que le bon Dieu puisse envoyer sur la terre, mais nous sommes à peu près sec maintenant. J’ai retrouvé tout mon monde en excellente santé, mais grognon.

J’espère que toutes les 3, vous allez aussi bien qu’à mon départ. Avez-vous reçu ma lettre n°1 de Toul? Oui, je le souhaite, je vous y racontais une charmante promenade faite en auto tout auprès du village où nous cantonnions ce jour-là.

Et Jean, quelles nouvelles? J’ai annoncé sa décoration! Cela a fait sensation chez tous et même Sand... (Saudaran) n’a rien dit de désagréable cette fois-ci. Par le début de ma lettre, tu as compris que nous ne risquions encore rien, nous traînons pour le moment de village d’arrière en village d’arrière et n’entendons qu’un roulement de canon vraiment faiblard. C’est de bonne augure pour le futur secteur...............

P.S. Dis-moi, si par compréhension ou par conversation à La Rochelle, tu te rends compte de notre coin??

29 juin

Cantonnement à Selens. Visité la piscine construite par les Boches et un observatoire d’où l’on apercevait le front et les villages et le château de Coucy.

Excuse ce petit bout de papier, c’est tout ce que j’ai au milieu de tous ces déplacements, ma cantine étant serrée dans la voiture de compagnie. Nous sommes toujours par voies et par chemins; tantôt à pied, tantôt en camion, mais nous nous rapprochons de plus en plus de là où est Jean C. Peut-être arriverai-je à le voir: ce sera difficile, car je ne sais exactement où il est.

La région n’a pas l’air excellente comme secteur. Cela nous rappelle un peu l’année dernière à pareille époque. Enfin je ne peux encore rien dire puisque nous n’avons pas encore été à portée de canon. La région que nous avons traversée n’a pas été trop trop abîmée, sauf aux endroits où l’on s’est battu il y a 3 mois, mais les Boches ont détruit tout ce qui pouvait nous servir: voies ferrées, ponts, poteaux télégraphiques, arbres fruitiers, puits, etc... etc... D’ailleurs si tu me suis à peu près, tu remarques que nous allons sortir de cette région, puisque Jean n’y est pas et que nous nous rapprochons de lui.

Et vous, continuez-vous à aller à la plage et à baigner Mad. et Muguet. Je vous souhaite un peu moins d’orages que par ici où il tombe de ces averses saignées par moments. Avez-vous de bonnes nouvelles de Jean C.? Quand vient-il en permission? Je lui ai écrit hier un mot pour tâcher de le rencontrer et qu’il cherche de son coté.

Je pense à vous bien souvent, mais ne vous inquiétez encore pas pour le moment. Tâche de voir les Mörch, de Lignerolles ou autres Rochelais du 234 qui te donneront leurs tuyaux, toi, les tiens, et ainsi joints, vous aurez des précisions.

Au revoir, chère Maman. Mes hommages à Mademoiselle Richard et Mme Paillé...................

30 juin

Départ de Selens à 7 heures en camions, auto, sous une pluie battante. Traversée de Soissons et cantonnement à la ferme de Monthussart entre Braine et Courcelles. Gros bombardement devant nous à Cerny et au Chemin des Dames.

1 juillet

Ferme de Monthussart. R.A.S.

J’ai reçu hier ta bonne lettre n°1 du 27 juin dont je te remercie beaucoup. Je suis bien content que ma lettre de Toul te soit parvenue rapidement pour te donner mes nouvelles.

Nous déménageons tout le temps, de plus en plus, mais toujours en arrière du front. Nous avons quitté la région du château dont je t’ai parlé (Coucy), et, qu’entre parenthèses, j’ai été voir à la jumelle, au milieu de ce joli pays. Nous avons appuyé d’une cinquantaine de kilomètres à droite vers le plateau où est Jean et dans l’ancienne région où Mörch est resté si longtemps avec le 18° Corps.

En ce moment, nous cantonnons dans une grande ferme où nous sommes très serrés et les environs rappellent tout à fait l’arrière de grand secteur: l’arrière de Verdun. Au loin, le canon tonne d’une façon continue. Que va-t-on faire de nous, je l’ignore, mais il faut s’attendre à aller danser. C’est d’ailleurs bien notre tour après 8 mois de bon.

Les approvisionnements sont extrêmement difficiles à faire, et en particulier, comme à Verdun et partout où il y a beaucoup de troupes: pas de tabac. Je te serai donc très reconnaissant de m’envoyer, tous les 8 jours, un petit colis, solidement fait, de 5 ou 6 paquets de cigarettes toutes faites (bleues ou jaunes, pas de tabac). Quand de nouveau, je pourrai m’en procurer, je te le dirai pour que tu cesses tes envois. Bien entendu, note tout ce que tu dépenses pour moi et paies-toi sur « ma fortune » que tu gères avec tant de soins.

Merci de tous les détails que tu me donnes de l’affaire Niort: continue, je te prie, à me donner tous les renseignements sur les habitants de La Rochelle, ce qui m’intéresse beaucoup. J’oubliais de te dire que nous avons traversé au milieu de toutes nos pérégrinations, la célèbre ville des haricots (Soissons), qui a souffert beaucoup de sa longue proximité avec la ligne de feu.

J’espère que Jean, tout rouge, va venir vous trouver prochainement et qu’avec lui, Mad. va pouvoir recommencer les délicieuses baignades. Pour le moment, le temps qu’il fait ici ne me les fait pas regretter, car il fait un temps épouvantable depuis que j’ai rejoint. Tout est sale et plein de boue et en cela nous rappelle les mauvais jours de Verdun.

Le moral est excellent: la gaieté règne au Bataillon et tout va bien. Baisers au Muguet et à Mad. Hommages à Mlle Richard..............

(22 heures)

.........Je t’ai écrit une lettre déjà ce matin, mais par une veine inespérée, j’apprends que Pascal part pour La Rochelle demain matin. Il veut bien se charger d’une lettre pour toi qui, d’abord, te parviendra plus tôt, ensuite dans laquelle je vais te dire ouvertement ce que j’ai fait depuis Toul.

J’ai rejoint ma compagnie à Salency (Oise) à 6 km de Noyon par conséquent dans un pays récemment repris aux Boches à la suite de leur repli stratégique. Nous sommes restés là le 26-27 puis le 28 au matin nous partions à pied pour Selens (Aisne) en traversant Noyon et une contrée où tous les ponts étaient sautés, les arbres fruitiers coupés, tout ravagé sauf cependant les villages peu démolis.

Nous étions à ce moment en réservé du G.A.N. (groupe des Armées du Nord) et devions prendre le secteur de la forêt de Coucy. J’ai vu le château très démoli, mais imposant par ses ruines. Tu as dû comprendre par mes allusions que j’étais là. Restés à Selens le 28 et 29. Le 30 au matin, nous sommes enlevés en automobile pour aller à Courcelles (Aisne). Nous avons ainsi traversé Soissons.

Ici nous sommes dans une ferme (ferme de Monthussard) près de Courcelles, derrière le chemin des Dames (région de Soupir, ferme de Malval, Epine de Chevrégny, etc... etc..., tu as peut-être une carte (20 km à l’est de Soissons). C’est de là que je t’écris.

Qu’allons-nous faire? Le tuyau venant directement du Colonel est que nous allons relever une Division au Chemin des Dames, division éprouvée par les gaz, genre de guerre très à la mode dans cette région. Ce serait donc dans la partie du Chemin des Dames à l’Ouest de Cerny que nous allons monter. Tu vois que l’on s’y bat moins qu’à Cerny, ne t’inquiètes donc pas.

Ce qui rend ce renseignement vraisemblable c’est que l’on vient de nous distribuer un second masque contre les gaz et des appareils spéciaux pour les officiers. Notre « ascension » en ligne aurait lieu le 3 juillet au soir. Tu vois que je suis un peu à gauche de Jean qui est à la ferme de Hurtebise, je crois.

Je viens de recevoir une lettre de lui: il vient d’être blessé légèrement à la nuque (2 petits éclats, vous le savez sans doute), mais n’est pas évacué.

Reçu également la lettre de Mad. ainsi que les photos. Remerciez chaudement Mlle Richard et demandez-lui la photo du costume de bain, si toutefois elle est bonne. Ce matin, dans ma lettre, je t’ai demandé de m’envoyer, à mes frais, tous les 8 jours, un petit colis de 4 ou 5 paquets de cigarettes, solidement fait, car ici les approvisionnements en tout sont assez difficiles.

Mörch te prie de prendre ma lettre et d’aller la lire à Monsieur Mörch, car il n’a pas donné tous ces tuyaux aussi complets. Je ne vois rien de plus à vous dire, si ce n’est que le moral est bon, au moins dans les cadres et que nous avons l’espoir de faire quelque chose de bien........... comme le 152°.

Bons baisers et pas d’inquiétude surtout, sans cela, je ne dirai plus rien...................

2 juillet

Ferme de Monthussart. Exercice. Rien de nouveau.

3 juillet

Monthussart. R.A.S.

4 juillet

Monthussart. Toujours bombardement devant nous.

5 juillet

Monthussart. Départ du Capitaine Strohl en permission.

Deux mots seulement que je t’envoie après l’arrivée. De toi, je n’avais pas de lettres: seulement un petit colis de cigarettes dont je te remercie beaucoup. Envoie m’en un ainsi dans 8 ou 10 jours, je te prie.

Nous sommes toujours, comme je l’ai dit à Mad. avant-hier, dans la même ferme: rien de nouveau. J’ai vu le Colonel ce matin: lui-même ne sait pas ce que l’on veut faire de nous: nous attendons....! Le capitaine Strohl s’en va cette nuit en permission. Il va la passer sur les bords de la Méditerranée. Quel veinard! Enfin chacun son tour.

Avez-vous des nouvelles fraîches de Jean? Est-il décoré et à quand sa permission. J’espère que la visite de Pascal et la lettre qu’il a du te remettre t’auront fixé sur mon sort, et que, jusqu’à présent tu ne t’inquiètes pas. En avant, d’ailleurs ça a l’air de se calmer et les Russes vont un peu nous dégager, si leur offensive continue tant soit peu...........

6 juillet

Monthussart. Bataille d’avions pendant la nuit.

Je reçois à l’instant ta lettre n°4, mais je suis très ennuyé de ne pas avoir reçu ton n°3, car je n’étais au courant de rien au sujet de la permission de Jean et je ne comprenais rien à « Pas de nouvelles de Mad. ». Heureusement qu’une lettre de celui-ci, de Paris, m’explique qu’elle est au devant de son époux qu’elle attend pour aujourd’hui.

Mr Strohl, lui aussi, est parti en permission, me laissant, naturellement, la compagnie au moment de monter dans un sale secteur: c’est une habitude! Il reviendra le 18 à la Compagnie!! Nous ne sommes pas encore montés, mais demain, je ne t’écrirai pas, je vais avec le Colonel, les Commandants et tous les autres Commandants de Compagnie reconnaître le secteur. Charmante journée que me vaut l’absence de Strohl, pour commencer. Je te donnerai mes impressions aussitôt en rentrant.

Dis-moi si tu as reçu 3 monstrueux colis de l’Ile Maurice contenant au mois 8 kg de sucre. Je vais tâcher de t’en envoyer mais je ne sais comment m’y prendre. Ils contiendraient,en outre, des confitures de bananes et des goyaves faites « à la maison », beaucoup de thé, beaucoup de cigarettes, des biscuits, des savons, du beurre en boîte, etc... etc... C’est fantastique. Mme de Cayla m’envoie cela par l’intermédiaire de Mme Yvonne Sarcey à Paris, à laquelle je vais écrire pour la remercier de son obligeance. Ces colis m’arrivent comme si c’était cette dernière qui me les adressait. Je connais ce nom d’Yvonne Sarcay. Qui est-ce? Je crois qu’elle écrit quelque part.

Peux-tu aussi me donner la nouvelle adresse de Roger Martin, maintenant qu’il est sous-lieutenant et également demande à Jean C. le nom de son Général de Division B... qui a signé la circulaire sur le salut que tu m’as copié et envoyé.

Cette nuit, les avions sont venus lâcher des crottes tout près de la Ferme d’où combat de nuit avec ces gris oiseaux. Pas de victimes au Bataillon du moins. Je te quitte, chère Maman, n’ayant plus rien à te dire. Dans ma prochaine lettre, j’aurai vu le secteur et t’en parlerai. Bons baisers au Muguet et à ses parents qui seront probablement arrivés.....

7 juillet

Monthussart. Reconnaissance du secteur que nous devons occuper. En auto jusqu’à Bourg-et-Comin., puis à pied par Vendresse jusqu’aux tranchées au sud de Cerny. Moins mauvais qu’on ne croyait.

8 juillet

Messe à Monthussart. Le soir départ à pied pour aller cantonner un jour à Bourg-et-Comin avant de monter en ligne.

Comme je te l’ai dit dans ma dernière lettre, j’ai été, ainsi que les autres Commandants de Compagnie, faire la reconnaissance du secteur que nous allons prendre demain. La division prend le mauvais secteur de C.... (Cerny) dont je t’ai parlé dans la lettre que t’a portée Pascal, mais par une veine, le 234 prend le meilleur de la Division. Te dire que cela vaut la L....(Lunéville) serait évidemment exagéré, mais notre coin est bien moins mauvais que Fleury ou V..x Cha...(Vaux-Chapitre). par exemple. Combien de temps allons-nous y rester? Je l’ignore. Je te donnerai souvent de mes nouvelles mais d’une façon brève à partir de demain. Si tu peux te procurer le « Matin » du 7, tu y verras la carte de notre secteur. C’est la partie gauche de la carte.......

J’ai reçu, enfin aujourd’hui, ta lettre n°23, avec beaucoup de retard comme tu vois. Je sais donc par elle que tu as reçu mon n°3 et que Pascal a été très gentil pour toi: je le remercierai chaudement à son arrivée. Je suis content à la pensée que Jean est au milieu de vous à l’heure actuelle: a-t-il reçu sa Légion d’Honneur? et sa blessure est-elle complètement cicatrisée?

Je t’envoie ci-joint quelques photos prises par Dethomas quelques jours avant mon départ en permission. Elles sont assez bonnes et tu m’y reconnaîtras facilement. Mets-les, je te prie, soigneusement avec les autres. A ma prochaine permission, j’achèterai un album commode et je commencerai à les classer un peu.

Tes cigarettes, puisque tu m’en parles, sont un peu petites, mais je sais que c’est difficile d’avoir ce que l’on veut. Prends bien, autant que possible, des paquets jaunes ou bleus de taille ordinaire, respectivement à 0,75 et 0,55 fr le paquet. Au revoir donc, amusez-vous bien pendant la permission de Jean: je penserai souvent à vous..............

9 juillet

Journée passée aux péniches de Bourg-et-Comin. Temps épouvantable. Le soir départ pendant un tir de barrage et relève épouvantable à cause de l’état des boyaux (boue au-dessus du genou).

10 juillet

Tranchée devant Cerny. Relativement calme. Nous réparons les dégâts causés par le mauvais temps.

Nous y sommes depuis hier soir et je t’assure que nous avons de la boue! Après ces déluges qui sont tombés ces jours derniers, nous avons trouvé les tranchées dans un état lamentable. Nous pataugeons jusqu’à mi-cuisse, sans exagération. Le secteur n’est pas merveilleux, mais il y a plus mal tout de même: cette première journée s’est bien passée.

Reçu tes lettres 5bis et 6 auxquelles je répondrai plus longuement demain j’espère, si j’ai le temps, car aujourd’hui j’ai eu beaucoup à faire, je t’assure. Bons baisers à Jean (a-t-il sa Légion d’Honneur?) à Mad. et au Muguet............

P.S. Mr Mörch va te communiquer une lettre d’Edouard qui te fixera.

11 juillet

Cerny. Bombardement très ordinaire. Pas de pertes. Toujours du mauvais temps.

Je n’ai pas le temps encore aujourd’hui de t’écrire longuement. Ce sera peut-être pour demain. Jusqu’à présent tout va bien à la Compagnie. Malheureusement toutes ne peuvent pas dire la même chose.

Je pense à vous souvent et vous vois à la plage tous ensemble sur la plage réunis sous la tente comme le mois dernier. Chacun son tour.

Au revoir, bons baisers à la famille Chagnaud. Hommage à qui tu sais et pour toi.............

12 juillet

Cerny. Relativement calme.

Vais bien. Bons baisers à tous. J’écrirai demain à Jean et Madeleine...............

13 juillet

Cerny. Bruits d’attaque prochaine de la part des Boches.

14 juillet

= Toute la nuit, bombardement intense de notre part. Renseignement du Commandant: on craint une attaque sérieuse.

= Nuit entière pendant laquelle le canon français tonne continuellement: on craint une attaque pour le lever du jour, mais le soleil se montre sans que rien ne se soit produit. Toute la journée est calme lorsque à 19 h.55 les Boches ouvrent un feu de l’artillerie d’une violence inouïe. Le front de ma compagnie n’est pas attaqué, mais le bombardement formidable dure jusqu’à minuit sans s’atténuer.

A minuit, ralentissement puis reprise sans interruption jusqu’au jour. Toujours rien sur le front de la compagnie. D’après les renseignements recueillis après; les Boches avaient attaqué le saillant de gauche occupé par le 5° bataillon et le 5° R.I. Les premières lignes avaient été enfoncées (liquides enflammés, etc...). Le 6° bataillon avait contre-attaqué et avait essuyé beaucoup de pertes lui aussi.

Pertes de la compagnie: Graverou, Peyrolles: tués. Saurignes, Duperray: blessés.

Pertes du Régiment: capitaine Lacôme, Lacroisade, du Mesnil, Sordes: tués. Malabat; blessé, etc... Tout le 5° bataillon très abîmé. Au 6°: Dubaleur et Cabiro sont tués en contre-attaquant.

15 juillet

Cerny. Le bombardement continuel mais moins violent cependant: Mei, Chauvin, Renaud, Royer, Sorbier tués. St-Parpet et Carmouze blessés, etc... etc...

Je ne t’ai pas écrit hier, car nous avons eu un 14 juillet soigné. Ne t’inquiètes pas des bruits qui vont courir à La Rochelle sur le 234. Mörch et moi allons très bien. Nous avons été attaqués très fortement pendant toute la nuit du 14 au 15 avec une préparation d’artillerie que je n’aurai pas supposée possible.

A l’heure actuelle, cela se calme (il est 11h. du soir). Ma Compagnie a de la chance. Nous n’avons jusqu’à présent que 7 morts et une douzaine de blessés. Les compagnies voisines ont beaucoup plus souffert (60 hors de combat chez d’Olce) et les autres bataillons sont complètement abîmés. Je n’ai pas encore de détails exacts, ni sur la situation des lignes (si nous avons reculé), ni sur la mort des officiers. Je te raconterai cela plus tard.

Je m’attendais à une danse encore ce soir, mais c’est à peu près calme. A un de ces jours, d’autres détails..........

P.S. Hommages de Mörch. Reçu des lettres 8 et 9 au milieu de ces rafales. Cela fait un drôle d’effet.

16 juillet

Toujours le bombardement. Nous ne travaillons qu’à réparer les dégâts.

Ca continue! Je vais toujours très bien et pense à vous en vous embrassant de tout coeur............

17 juillet

Bombardement très violent par moments et petites attaques partielles sur différents points du secteur.

Journée un peu plus calme aujourd’hui. Je vais toujours très bien, ainsi qu’Edouard.

Reçu ta lettre n°10. Les correspondances vont assez vite, malgré les événements. J’attends des cigarettes avec impatience, j’espère que tu m’en as envoyé un paquet et qu’il va arriver.

Le Capitaine va arriver, je pense demain. Ca le changera de sa permission!!!...............

18 juillet

Cerny. Même chose. Rien toujours sur la Compagnie.

Je t’écris à Quinsac à partir d’aujourd’hui. J’envoie par le même courrier une carte à Mad. que tu verras si tu n’es pas encore partie.

Ici, ça se tasse peu à peu. Tu as vu sur le communiqué que ça a chauffé. Le Régiment a été épatant, mais a du mal.

Bons baisers à tous à Quinsac. Quand j’aurai l’esprit plus dispos, je vous raconterai cela. Il y a de beaux épisodes et des actes sublimes de la part de camarades...............

19 juillet

Cerny. Idem. Arrivée du Capitaine à qui je passe les consignes.

20 juillet

Cerny. Visite du Général de Division. Le secteur se calme. Le Capitaine Robert (206) vient prendre les consignes et nous relève le soir. Je reste avec lui jusqu’à demain soir.

(1 h. du matin)

........... Maintenant que le secteur à l’air un peu plus calme, je viens t’écrire cette nuit quelques détails dans une longue lettre. Je n’ai pas encore de renseignements exacts sur tout ce qui s’est passé, mais depuis 4 jours que s’est produit le grand coup, je commence à avoir quelques précisions.

Tu sais où nous sommes, je n’insiste donc pas. Le secteur, sans être très calme, n’était pas trop mauvais mais certains indices faisaient sentir qu’il se passerait prochainement quelque chose (saucisse - avions - tirs de réglage boches, etc... etc...). Le 14 au matin d’abord, je reçois en effet des notes inquiétantes de Commandement, c’est rudement intéressant d’être Commandant de Compagnie, mais ce n’est pas toujours très drôle. On m’envoie par exemple: « Renseignements font prévoir attaque imminente intense boche. Préparer troupe ».

La journée est calme après une matinée très agitée par notre propre artillerie essayant de troubler la préparation boche que l’on sentait en face. Vers 19 h. d’autres notes plus précises: renseignements d’avions, etc... Tout à coup à 19 h.55, au milieu du calme, éclate un ouragan de feu comme j’en avais rarement entendu. J’essaye de sortir de mon abri pour voir ce qui se passait: plusieurs obus, trop indiscrets, me font rentrer précipitamment.

Puis peu à peu, des mitrailleuses crépitent, des grenades explosent, mais pas directement sur nous, un peu à gauche. J’attends: rien n’a l’air de se passer au point de vue infanterie sur le front de ma compagnie. Aucune liaison possible avec les autres compagnies: je ferais tuer mes coureurs. J’attends. A minuit cela se ralentit un peu. Je peux sortir un peu envoyer mes coureurs aux sections, aux Compagnies voisines. Renseignements vagues, mais liste de tués et de blessé.

Minuit 30: ça recommence sans interruption jusqu’à 5 heures du matin. Toujours pas d’action d’infanterie sur moi, mais quel déluge. Je fais le tour de mon secteur. Tous mes boyaux, toutes mes tranchées complètement nivelées, les abris défoncés, le mien a eu une entrée complètement bouchée. Je regarde les pertes: 7 morts, une dizaine de blessés, mais la Compagnie à ma gauche: 60 hommes hors de combat.

Depuis, lutte d’artillerie très active les 2 jours suivants, moins vive depuis aujourd’hui, mais j’ai maintenant au total 30 hommes hors de combat dont 10 morts à ma Compagnie. C’est moi qui en ai le moins du Bataillon et comme tu vas le voir, c’est le Bataillon qui a eu le moins de pertes des trois du Régiment (125 à 130 en tout).

Voici ce qui s’est passé. Les Boches ont attaqué le Bataillon voisin (5° Bataillon) ainsi que le Régiment voisin de ce bataillon. Ils ont bousculé tout après avoir été à la charge par 4 fois de suite, repoussé 3 fois coup sur coup par les nôtres. Ils ont pris nos positions qu’occupait ce pauvre Bataillon de chez nous et une grande partie de ce que tenait l’autre Régiment.

La lutte corps à corps a duré toute la nuit, le 6° Bataillon de chez nous, appelé en renfort a contre-attaqué 2 ou 3 fois, mais les Boches avaient des forces considérables: une division entière. Les pertes sont énormes: du Bataillon attaqué, il n’est revenu que le commandant, 1 capitaine et 1 lieutenant. Il ne lui reste donc plus que ces officiers, une quarantaine d’hommes rescapés et les permissionnaires et cuisiniers (2 officiers et une soixantaine d’hommes). Le 6° Bataillon a eu également 2 compagnies presque entièrement détruites.

Les actes d'héroïsme abondent au bataillon attaqué. Un capitaine - tiens! le fils du compositeur dont Mad. chante le morceau de chant « La Toussaint ». Le capitaine Lacôme a préféré se faire fusiller à bout portant devant sa compagnie plutôt que de se rendre. Un autre officier, les deux jambes coupées, tue encore un officier Boche qui essayait de le fouiller, etc... etc...

Le communiqué a parlé de liquides enflammés: moi je n’en ai pas vu, mais te décrire ce sol bouleversé par ce nombre inouï d’obus et surtout de ces grosses torpilles contenant 80 kg de poudre, est impossible. On se demande comment on peut résister quand tout est enterré, brisé, cassé, tous les fusils, mitrailleuses, etc... volent partout. Puis, on n’y voyait qu’à la lueur de fusées éclairantes..... C’est inoubliable.!....

Le communiqué Boche, capté par la T.S.F. de la Division relatait ce passage « malgré la résistance de troupes superbes, nous avons pu........... etc... etc... ». Depuis les 2 autres Bataillons sont relevés pour se reconstituer. Nous allons les suivre d’ici peu, je suppose, car voilà exactement 10 jours que nous sommes ici.

Au Bataillon, un seul officier a été blessé: le sous-lieutenant Bécaud, celui qui avait dit à Bouyé, le jour de mon départ, que nous restions en Lorraine! Les noms des officiers tués? Tu ne les connais pas: le petit sous-lieutenant du Mesnil qui avait reçu la Légion d’Honneur au camp, le mois dernier, est mort. Le sous-lieutenant Lacroisade, le frère de l’ancien sous-lieutenant du 123, etc... etc...

Le Bataillon a encore eu de la chance cette fois-ci!! Le capitaine Strohl vient d’arriver il y a deux heures. Il dort étant esquinté, dit-il, et moi donc!! Enfin! Sa mère a beaucoup connu Grand-Père Moreau à Bordeaux et se rappelle très bien de « Mademoiselle Moreau » que tu connais. Mr Strohl père estimait beaucoup Grand-Père.

J’ai reçu ces jours-ci toutes tes lettres n°8-9-10-11. J’y ai répondu par des petites cartes que, j’espère, tu auras reçues. De plus mon adjudant, l’adjudant Péré, qui d’ailleurs n’a assisté à rien du tout, a du te porter ou du moins à Mad. une longue lettre de moi.

Il va y avoir beaucoup de nominations à la suite de cette hécatombe d’officiers. J’espère que cette fois-ci Mörch va passer. Il s’est d’ailleurs bien conduit, comme toute la compagnie d’ailleurs. Mais nous sommes vannés tous, officiers et soldats; sales comme les poux que nous avons sur nous. Les vivres, malgré ce fourbis, sont arrivés tant bien que mal; gros progrès en comparaison des 10 jours passés à Fleury. Voila des moments qui comptent!

Enfin, cela va finir pour quelques jours. Nous allons nous reposer d’ici 1 ou 2 jours pour 5 ou 6 jours et on recommencera. J’espère que ce sera plus calme. Et tes paquets de cigarettes? Je n’en reçois plus depuis le 1° dont je t’ai accusé réception et suis obligé de fumer le « gros-cul » (c’est le nom) de mon ordonnance. C’est la guerre!

Au revoir, bons baisers à tante M.L. Moreau, à Loulou si elle n’a pas déjà fui vers La Rochelle et à Jacquot...........

21 juillet

Le matin, après un torpillage énorme, les Boches attaquent le saillant du Foc à notre gauche. Emotion et petite panique vite réprimée. Rien sur la compagnie du capitaine Robert, mais du mal à gauche.

22 juillet

Bivouac d’Oeuilly. Rejoins la compagnie depuis la veille au soir. Retour assez calme mais sous la pluie. Installation en bivouac très mauvaise.

Me voici à l’abri depuis hier soir pour 4 ou 5 jours à moins d’événements graves. Le bataillon a été relevé avant-hier, mais le capitaine Strohl m’a désigné comme officier devant passer les consignes aux successeurs. Je suis donc resté un jour de plus. Naturellement ces journées de rabiots auxquelles je commence à être habitué (Avocourt, Fleury, Vaux-Chapitre) ne sont jamais calmes et nous avons subi hier une attaque soignée que tu verras sûrement sur le communiqué. Je m’en suis encore tiré sain et sauf.

Le régiment est donc un peu au repos pour se reformer. Il en a besoin ayant perdu exactement 13 officiers et 650 hommes. Mörch a quitté la Compagnie pour aller dans une compagnie du pauvre bataillon. Il est encore aspirant, mais sa nomination va avoir lieu d’ici 3 ou 4 jours au plus. Après ce petit repos, nous nous attendons à remonter, ce qui ne nous amuse guère car une grosse attaque ennemie nous est signalée comme imminente dans le secteur de la division.

Je vais très bien, malgré un peu de fatigue, mais à la compagnie (cadre) le moral est toujours épatant. Je ne suis pas loin de Jean, aussi fais-je des démarches pour le faire prévenir. Je ne peux moi-même me déplacer, le régiment étant sur le coup d’une alerte à toute minute.

J’ai reçu tes deux lettres n°12 et 13 dont je te remercie et auxquelles je réponds.

Pour les cigarettes: j’en avais en effet pas mal de l’Ile Maurice, mais en 11 jours de 1° ligne, sans presque dormir, on fume beaucoup et tout est fini. Ton colis sera donc le bienvenu et je t’en accuserai réception dès que je l’aurai.

Je te quitte, chère Maman, en t’embrassant de tout coeur ainsi que tous tes hôtes. Ne t’inquiètes pas outre mesure: ça se tassera, et puis après tout................

23 juillet

Heureusement que le beau temps vient nous égayer. Mörch est passé à la 17° et va passer sous-lieutenant sous peu.

24 juillet

Bivouac d’Oeuilly. Repos. Revues. Visite aux morts. Conversation avec le Capitaine et Dethomas. Travaux près de Vendresse et Trayau.

25 juillet

Bivouac d’Oeuilly. Calme toute la journée, lorsque vers 17 heures, devant nous sur le front, éclate un bombardement très violent. Dans la nuit, nous sommes alertés.

Rien de nouveau depuis ma dernière lettre; nous sommes encore au 1/2 repos jusqu’à demain soir, nous irons reprendre exactement le même secteur. Le calme reprend pour le moment dans les environs. Espérons que cela durera jusqu’à notre départ définitif de ce plateau.

Reçu aujourd’hui une aimable lettre de Madeleine et le mot de Jean qui a rejoint son régiment. Hier m’est arrivé, le même jour que ta lettre n°13, ton colis de cigarette, que, je t’assure, a été le bienvenu. Je t’en remercie beaucoup. Nous avons un temps superbe et même une très grosse chaleur qui nous fatigue un peu. Heureusement qu’ici nous n’avons pas grand chose à faire. J’espère que, de ton côté tu te reposes le plus possible à Quinsac. Surtout ne te fait pas trop de bille à cause de Jean et de moi. Tu vois que jusqu’à présent tout s’est bien passé.

Mörch attend toujours son galon, je le vois de temps en temps, il va bien et t’envoie ses hommages. Bons baisers autour de toi à tous tes hôtes. J’espère que Jean du S. va tout à fait mieux..........

26 juillet

= A 1 heure du matin, alerte au bivouac d’Oeuilly. Nous partons 20 minutes après par Pargnan pour aller en renfort de la Division de droite à Paissy. Arrivée pénible au village de Paissy violemment bombardé à coups de 210. Nous nous abritons dans des Creutes. La 13° et la 15° montent en ligne pour contre-attaquer. Nous la suivons à 13 heures et la Compagnie est séparée en deux pelotons.

Le mien part en avant occuper les tranchées de Tulle et de Corrèze (3° ligne). Aussitôt arrivé, Gérard est tué. Laugerault, Sablay, Robles, Minot, Chiron, blessés à ma section. J’apprends de plus que Dethomas est blessé très grièvement. Violents bombardements pendant les 3 jours que nous restons là, mélangés à des hommes du 329 et du 228, mais la Compagnie n’est pas engagée.

Au bout de 3 jours dans ces tranchées, nous sommes relevés par des coloniaux venus pour contre-attaquer. Relève très calme jusqu’à Dhuizel

= Journée passée au Poteau d’Ailles en renfort de la division de droite, violemment attaquée.

Encore dans le fourbis! Vais très bien mais Dethomas est blessé grièvement. Le Capitaine et Saudaran vont bien. Je ne sais rien des autres compagnies.

Seul le Bataillon est monté en alerte pour l’attaque de droite, Mörch n’est donc pas de la fête, je le crois du moins...

27 juillet

Poteau d’Ailles. Toujours dans Tulle et Corrèze avec le 329 et le 228. Violents bombardements.

28 juillet

Poteau d’Ailles. Violents bombardements. Le soir relève vers minuit par le 21° Colonial qui va contre-attaquer demain matin. Relève calme par Paissy et Moulins.

29 juillet

Arrivée à Dhuizel à 6 h. du matin. Je suis cantonné dans une gentille chambre et nous attendons le relève de la Division.

30 juillet

Dhuizel. Repos et revues diverses. Nous apprenons que ce pauvre Dethomas est amputé et décoré de la Légion d’Honneur.

Laisse-moi te rassurer encore une fois. Me voici de nouveau au petit repos après 3 jours de transes. Le bataillon, qui était au repos, tu t’en souviens, a été alerté dans la nuit du 25 au 26 et envoyé dare-dare renforcer une division à droite. (Tu as dû voir l’affaire dans les communiqués, moi je ne les ai pas vus car nous ne recevions absolument rien)

Nous sommes immédiatement montés et avons été engagés aussitôt. Pendant 3 jours de suite, il n’y eut qu’attaques et que contre attaques. Le bataillon a pas mal de pertes, la Compagnie a perdu 1 officier et une dizaine d’hommes seulement: c’est incroyable.

Ce pauvre Dethomas a un mollet arraché: ce qui fait craindre l’amputation de sa jambe droite, de plus il a un trou dans la cuisse et un autre dans la verge. Il a été d’une énergie au-dessus de tout éloge. C’est vraiment un « type ». C’est ma section qui a le plus souffert au point de vue pertes, cette fois-ci. Le jeune Chilien que j’avais, je ne me rappelle pas si je t’en avais parlé, a été tué! Mon ordonnance Langerault assez sérieusement blessé à la cheville et 5 autres blessés moins gravement. Je regrette beaucoup ce pauvre Langerault qui m’était très attaché. (ce que j’en consomme comme ordonnances).

Enfin c’est fini pour cette fois encore, mais la Division n’est pas encore relevée et les bribes des autres Bataillons de chez nous, sont encore remontés en ligne dans notre ancien secteur: nous allons les rejoindre prochainement, je suppose, après 2 ou 3 jours de repos. Pas de nouvelles de Mörch naturellement puisque nous sommes détachés du Régiment. Dès que j’en aurai, je te les enverrai.

Je réponds donc à tes lettres n°14,15,16 et 17, reçues un peu n’importe quand, mais me donnant toutes de bonnes nouvelles de toi et de tes hôtes. Je suis content de te savoir à la campagne par cette saison splendide. (Quelle chaleur nous avons eu, sans eau et au milieu de cette multitude de cadavres!) Ah! les sales jours!

Quant à toi, tu as bien tort de te reprocher ton bien-être, profites-en donc sans arrière pensée. Ce n’est pas parce que tu souffrirais physiquement que cela nous soulagerait, bien au contraire. Ne t’en fais pas pour cela surtout et distraies-toi le plus possible dans cette belle contrée pendant ces vacances.

Tu me parles de récompenses: non: il y en a d’autres à citer avant moi qui n’ai absolument rien fait d’extraordinaire: d’ailleurs Saudaran non plus ne sera pas cité pour le moment. Il n’y a que Dethomas qui le mérite bien. Si j’étais cité, il faudrait que presque tous le soient et c’est impossible. Ce sera donc pour une autre fois.

D’après tes lettres, je n’ai pas bien compris ce que faisait Jean du S. Il est parti pour le front, me dis-tu, mais dans quoi: encore dans les Tanks. Tu m’avais parlé d’automobiles, je ne sais quoi. Des tuyaux, je te prie? Merci de tes cigarettes et de tes petits cigares, comme cela, ça va. Continue tes petits envois. Ah! j’aurai besoin de graisse à chaussure comme celle que tu m’as déjà envoyée. Veux-tu que je le dise à Mad. qui pourra l’acheter ou l’achètes-tu à Bordeaux ou encore lui dis-tu toi-même pour lui indiquer le magasin? Merci d’avance.

Donc nous sommes dans un joli village, assez en arrière, dans un pays ravissant. Au loin, sur le plateau, le canon tonne toujours. Le Capitaine, Saudaran et moi, prenons nos repas toujours ensemble et restons réunis le plus. Nous parlons souvent de Dethomas que nous regrettons énormément. C’était lui aussi un élément de gaieté, le pauvre. (Vous savez tout ce que je pense!)

Justement, il est l’heure d’aller manger et je vais te quitter, non sans t’embrasser bien tendrement ainsi que Tante et Jacquot, puisque Loulou est à La Rochelle. Après déjeuner, j’écrirai à ces deux folles baigneuses............

31 juillet

= Dhuizel. Le matin, je vais à cheval visiter la tombe de Gérard au cimetière d’Oeuilly. Tout est calme. A 16 heures, nous sommes alertés et partons immédiatement sous une pluie battante en renfort du 344 presque en entier dispersé.

14 h.30

Rien de nouveau pour nous depuis hier. Nous sommes toujours au repos dans le même petit village bien calme. Nous venons de recevoir un message de l’hôpital où est Dethomas. Il a été amputé hier de la jambe droite et a reçu la Légion d’Honneur. Pauvre camarade. Enfin il parait qu’il va le mieux possible.

Ce matin, une délégation de ma section a été à 7 km d’ici porter des couronnes sur les morts de ma pauvre section, sérieusement éprouvée à ce dernier combat. J’y ai été moi-même à cheval, saluer ces pauvres gens et faire une prière devant leur tombe. Il y avait là encore 200 à 300 cadavres que l’on enterrait: ce n’était pas très beau à voir, je t’assure.

C’est une bonne chose, je trouve, de montrer aux hommes que l’on s’occupe d’eux, même après leur mort. Le Capitaine est de mon avis et a approuvé mon pèlerinage de ce matin. D’après les tuyaux que j’ai pu recueillir par ci, par là, je crois que nous ne remonterons pas et que la division va être relevée. Tant mieux.

= Alerte à Dhuizel à 16 heures, nous partons sous une pluie battante aux péniches de Bourg-et-Comin. Là, contrordre, nous partons pour les Creutes Marocaines par le village de Moulins où nous essuyons un violent bombardement de 210. Pas d’accident à la Compagnie. Entassement des hommes dans les Creutes, puis départ immédiat pour le P.C. Damloup où, après un entassement des hommes pendant 5 minutes, nous repartons, toujours sous un tir de barrage, pour les premières lignes sous les ordres du commandant Laporte du 344. Celui-ci nous donne l’ordre de contre-attaquer: Saudaran par la droite, moi par la gauche. Mon peloton progresse donc en pleine obscurité avec très peu de grenades et finit par s’emparer de 150 mètres de tranchée (tranchée de Dresde).

Le jour est alors arrivé et, en continuant à avancer, nous nous heurtons à une grosse résistance boche qui sort des tranchées et nous attaque par-derrière. Après une résistance d’1/4 d’heure pendant laquelle le sergent Guillemon est tué et le caporal Brochard blessé, nous nous replions vers le 206. Plusieurs hommes de mon peloton (St Babin et 12 hommes se rendent, n’ayant plus de munitions. Je m’échappe, par hasard, avec le reste. Pendant ce temps, les Boches, repoussés par d’autres groupes, se replient à leur tour et avec le reste de mon peloton (Baudouin, Pluchon) je reprends le terrain que j’avais perdu. Il me restait à ce moment 3 caporaux et 10 hommes. On m’envoie du renfort (Castex et 10 hommes du 206°) puis tout un peloton du 215°. L’après-midi, bombardement terrible de nos lignes. J’ai encore quelques blessés. Le 206 et le 215 ont des tués.

Le soir, je reçois l’ordre de relève après que le peloton du 215 fut parti pour une autre destination. En attendant la relève, nous avons encore 3 ou 4 alertes d’attaque, mais les Boches ne sortent pas et à 4 heures du matin, le 2 août, nous quittons la tranchée pour aller en réserve au Mont-Charmont où nous restons la matinée sous un violent bombardement.

1 août

Arrivée en ligne à 3 h. du matin toujours sous une pluie diluvienne et par une nuit très obscure.

2 août

Relève à 4 h. du matin. Nous allons en réserve à Mont-Charmont. Bombardement sérieux de 210. A 13 h. nous quittons cet emplacement pour aller à Dhuizel. (Mörch est sous-lieutenant) Arrivée à 4 h. de l’après-midi.

3 août

Dhuizel. Toilette et repos. La division entière est relevée. Enlevés en auto, le 3 au soir, à 9 h.. Voyage toute la nuit en camion.

Te donnerai des détails plus tard. Nous sommes remontés par alerte une fois de plus et avons contre-attaqué dur. Ma section est à moitié tuée ou prisonnière, je m’en suis tiré par miracle. Cette fois-ci nous partons sûrement au repos dès cette nuit et loin du front.

Sois donc entièrement rassurée. La division est presque anéantie!!!!..............

4 août

Arrivée à Fresnes. Nous arrivons à 4 h. du matin et nous nous reposons. Gentille chambre. Mauvais temps.

Nous voici enfin au grand repos, loin du front à quelques 50 km de la ligne. C’est te dire que nous sommes tranquilles pour le moment et que nous n’entendons même plus le canon.

Ma dernière carte a dû te faire pressentir une catastrophe: voici ce qui est arrivé. Comme l’autre jour, ma lettre adressée à toi à peine mise à la poste, nous étions alertés et emmenés directement en ligne. Un des régiments de la division venait d’être attaquée (2 bataillons entièrement disparus). Il fallait contre-attaquer immédiatement. Après avoir fait les 12 kilomètres qui nous séparaient des lignes sous une pluie diluvienne, on nous a envoyés en ligne, je ne dis pas par des boyaux, ils n’existaient plus par l’artillerie et le mauvais temps. Ce n’était qu’une bouillie infecte dans laquelle on enfonçait jusqu’au genou. On ne pouvait s’en tirer. De plus, tir de barrage sans cesse.

Il était 2 heures du matin, le 1° août, quand un guide amène mon peloton à un point quelconque de ce paysage lunaire dans lequel on ne voyait absolument rien. Voilà: les Boches sont quelque part par là, il faut les attaquer et reprendre le terrain. Avec très peu de grenades, nous commençons à avancer et au petit jour, j’avais repris 150 mètres de terrain. Saudaran, de son coté, en avait fait autant.

Mais vers 5 heures du matin, ce fut au tour des Boches à nous attaquer et les liaisons s’étant mal faites la nuit, dans cette obscurité et par ce mauvais temps, j’avais un trou entre Saudaran et moi par où les Boches, très nombreux, ont pu s’infiltrer et me prendre par-derrière. Défense énergique d’abord, puis défaut de munitions et une certaine quantité de mes hommes ont été fait prisonnier. Ne voulant pas me rendre, après avoir lancé mes dernières grenades, j’ai rejoint un groupe voisin de français, je ne sais comment et avec ce qui me restait d’hommes (14 environ) nous avons pu enfin voir les Boches rentrer chez eux. J’ai repris alors le terrain que j’avais un moment lâché. Le soir, la Compagnie et le Bataillon étant abîmés, nous fument relevés, comme d’ailleurs toute la Division.

Tu vois que le 234 est assez endommagé (la Compagnie revient avec 48 fusils!), le 344 encore plus que nous (il reste 1/2 Bataillon à peu près sur 3), le 206 a moins souffert, n’ayant pas supporté d’attaques directes, mais est dans un triste état tout de même. (70% de pertes pour la division). Saudaran et le Capitaine s’en sont tirés, mais mes deux sergents, tués. D’ailleurs il ne reste plus qu’un sergent dans toute la Compagnie.

C’est de la déveine et malgré ce que nous avons fait, nous avons le mauvais rôle, ayant des prisonniers, ce qui fait que je ne pourrai être cité. A quoi tiennent les choses! Enfin. Je suis très frappé de cette histoire arrivée à mon peloton. Il y a eu évidemment de la défaillance chez certains, mais d’autres ont été épatants. Allons, tant pis, je me rattraperai une autre fois.

Mörch que j’ai vu, va bien. Il est sous-lieutenant et est heureux comme un roi. Il était en ligne quand cela se passait, mais plus à gauche et n’a rien eu.

J’ai reçu tes deux lettres 18 et 19 dont je te remercie beaucoup ainsi que ta boite de petits cigares et ta grosse boite de cigarettes (Très bien le dernier paquet: c’est ce que j’aime le mieux. Je ne suis pas très emballé sur tes petits cigares). A ce propos, cesse tes envois de tabac jusqu’à nouvel ordre maintenant que je suis dans un pays civilisé. Quand j’en aurai de nouveau besoin, je te ferai signe; mais n’oublie pas la graisse à chaussures.

Le village où je suis est un gentil petit patelin où nous avons été conduit cette nuit en camion-auto. Nous ne sommes pas loin de la grande ligne Paris-Nancy, du coté de C. T.....y (Château-Thierry) , mais d’après les bruits qui courent, nous n’allons pas rester longtemps; nous nous en irions nous reformer ailleurs!??. Mais quel temps depuis le 31 juillet, de grosses averses continuellement: le terrain est détrempé. J’espère pourtant que le mois d’août va sécher cela.

Tu dois voir, par le communiqué, que nous venons d’un coin où les Boches sont entreprenants. C’est bien simple, le secteur de la Division, depuis le 10 juillet, pas un seul jour sans attaque plus ou moins de grande envergure. C’est inouï, mais d’ailleurs vous devez être renseignées par Jean C. qui en sait quelque chose.

Je suis bien ennuyé, de votre coté, par cette alerte que vous avez à La Rochelle provoquée par cette paralysie. Que va faire Mad.? et Loulou, laissée pour compte? Tiens-moi bien au courant de tous vos faits et gestes............

5 août

Fresnes. Revue et réorganisation des sections.

6 août

Fresnes. Repos. Revues.

J’ai reçu hier soir ta lettre n°20 du 1° août. La correspondance va, je crois, beaucoup plus vite à La Rochelle qu’à Quinsac. Nous sommes toujours au repos dans le même village et nous nous reformons peu à peu, bien que n’ayant pas encore reçu les nombreux renforts que nous attendons. Le temps à l’air de se remettre au beau, ce n’est pas un mal, car nous croyons être en hiver depuis une grande semaine.

Hier, j’ai vu le lieutenant Mörch, de plus en plus élégant bien entendu, je lui ai dit que tu avais reçu sa lettre. Il a certainement exagéré et ma conduite et ce que j’ai pu faire pour te dire tant de bien de moi. En tout cas, tu peux dire à Tante Marie-Louise que je n’aurai sûrement pas la Légion d’Honneur. Je t’ai déjà dit que je ne serai même pas cité pour cette période, ayant eu des prisonniers parmi mes hommes. C’est dommage, car ma compagnie a fait du joli travail et j’ai eu le rôle malheureux, la majeure partie de l’attaque s’étant portée sur moi. Enfin, on se rattrapera, sois-en sûr.

Nous avons vu hier un officier revenant de permission, un ami intime de Dethomas qui a été le voir à son hôpital. Après les bonnes nouvelles que nous avions eues de lui, disant que, malgré sa jambe coupée, son état général était bon, cet officier nous a dit qu’il était en train de mourir et que c’était une affaire de jours, peut-être même d’heures! Pauvre camarade! Quel brave garçon et quel charmant ami il était avec nous.

Je ne vois pas du tout qui est cet abbé Lamarcade avec qui « je suis intime » d’après les Laffargue. Je connais beaucoup de prêtres soldats, en effet, mais ne sais pas le nom de tous, et peut-être est-ce un de ceux à qui je parle souvent, je vais d’ailleurs me renseigner.

Tu me parles d’une « femme » de Quinsac (Cazaux) dont le fils aurait parlé de moi. Il y a en effet un Cazaux que je connais pas mal, mais il est capitaine d’une Compagnie de Mitrailleuses et je m’étonne que tu aies dit une « femme ». Serait-ce cependant sa mère?

Ce que dit Jean du S. au sujet des Tanks m’a l’air très vrai d’après ce que j’entends dire par beaucoup de gens compétents: les tanks n’ont pas donné du tout ce que l’on attendait d’eux et il parait que ce fut un « fiasco » complet.

Je suis bien content que vous soyez moins inquiètes de cette épidémie à La Rochelle. Peut-être les deux Madeleine vont-elles terminer leur été comme elles le voulaient et sans être obligées de se déplacer et de fuir. Par Mad., je sais que Jean est au repos lui aussi. Tant mieux. Que fera-t-on de nous après???....................

7 août

Fresnes. Revue du Général de Division. Arrivée de renforts. (Allard)

8 août

Fresnes. R.A.S.

Rien de nouveau depuis ma dernière lettre d’avant-hier. Nous sommes toujours au repos dans le même petit village. Le temps se met peu à peu au beau, on ne nous embête pas trop, aussi nous nous reposons le plus possible.

Hier, nous avons invité Mörch à déjeuner. Il va toujours très bien et t’envoie ses hommages. J’ai vu également hier un sous-lieutenant du 344 et je lui ai demandé ce que, dans la bagarre, était devenu Chauvin, le mari de C. Sicher, tu sais que j’avais rencontré en Lorraine. Il m’a répondu qu’il n’était pas revenu, comme d’ailleurs pas un seul des 2 Bataillons « chauffés » de ce régiment. Peut-être est-il prisonnier: en tout cas, pas de nouvelles de lui! Et combien dans ce cas dans la Division?

Le Général de Division est venu nous passer une petite revue, hier matin, et tout en nous complimentant, nous a dit qu’il avait proposé le 234 pour une citation à l’Armée. Mais nous a-t-il dit « Comme en guerre, il ne suffit pas d’être courageux, mais qu’il faut être « heureux » pour être récompensé. L’Armée a refusé, le régiment ayant trop de prisonniers. J’ai pensé, en petit, à mon cas qui est tout à fait le même.

Le 4° Bataillon seul (le mien) va donc être probablement cité; on nous remettra un petit fanion bleu! Le 6° Bataillon, de chez nous, a déjà le petit fanion jaune depuis l’année dernière, le régiment ne tardera donc pas, à la prochaine occasion d’être cité tout entier.

Aujourd’hui, nous venons de recevoir un commencement de renfort. Parmi ces jeunes gens (classe 1917) j’en remarque un qui a l’air chic, l’air d’un « intellectuel ».

= D’où venez-vous?

= de Cahors, mon lieutenant.

= Connaissez-vous Mr Martin, l’avocat?

= Très intimement mon lieutenant, je suis un camarade de Roger et de Maurice!!!!

Inutile de te dire qu’immédiatement je l’ai demandé au Capitaine dans ma section, et que j’écris au lieutenant Martin pour avoir des renseignements sur son ami « Allard » qui d’ailleurs est déjà licencié ès-lettres et bachelier en droit.

J’ai reçu ta lettre n°21 hier après-midi. Tu m’as fait bien rire en me disant que tu pensais à moi au milieu de ces jeunes, jolies et riches Bordelaises! Cette réunion est finie maintenant. Quel est le résultat? En as-tu trouvé à ton goût et à mon goût?

Toujours de mauvaises nouvelles de ce pauvre Dethomas qui se meurt petit à petit dans son hôpital à Paris............

9 août

Fresnes. Je vais en reconnaissance du train à Fère-en-Tardenois en vue d’un embarquement prochain.

10 août

Fresnes. Départ de Fresnes à midi. Je vais en avant pour faire le train. Tout va bien et nous partons à 11 heures du soir.

11 août

Débarquement à Palaiseau (S. et O.). Installation et réception au mieux. C’est le rêve tout simplement (18 km de Paris). Thé chez ma propriétaire.

12 août

Palaiseau. Musique. Je déjeune chez Mme Cochenet (Aline et Mme Pons). Chants et amusements.

Je reçois à l’instant la lettre n°24 du 10 et je t’écris aujourd’hui par la poste civile pour la bonne raison qu’il vient de nous arriver la chose la plus inattendue qu’il soit possible d’imaginer!!!

Devine où nous sommes depuis hier? A Paris!! ou du moins à Palaiseau (9 km au sud de Paris). C’est un très grand village de 4000 habitants qui n’a jamais reçu de troupes? C’est te dire que nous sommes reçus comme aux premiers jours de la guerre. Avec fleurs, cris, etc... etc... Personnellement, j’ai une chambre merveilleuse, chez des gens tellement aimables qu’ils m’ont invité, dès hier soir, à un thé superbe et ce matin à déjeuner chez eux, car ils recevaient leur fils et leur bru (le fils est commissaire de Police à Paris).

Habitent dans la maison: le père et la mère, une fille mariée depuis 6 mois à un sous-officier de cavalerie, chef d’escorte d’un Général de Division, et une autre fille, non mariée, qui dit avoir 23 ou 24 ans! Aujourd’hui, depuis le déjeuner, nous avons fait de la musique jusqu’à maintenant (ils ont un piano et un harmonium orgue). Tout le monde est très musicien. Tous jouent du piano et chantent, même le commissaire et sa femme.

Les habitants font la fête aux soldats d’une façon inouïe: c’est la bombe, la « nouba » dans toute sa splendeur. Presque tous ont des lits. On ne fait rien comme exercice jusqu’à présent, nous ne comprenons rien à notre veine.

Je rencontre, ce matin, le Colonel qui, en me serrant la main, me dit « Comment Triaud, vous n’êtes pas à Paris! Qu’est-ce que vous faites? Il permet aux officiers d’aller à Paris 24 heures tous les 3 jours! Les hommes iront aussi en détachement!!! Enfin, nous sommes abrutis et croyons rêver. La musique militaire joue tant et plus à la grande joie des habitants. Tout le monde est content.

Il doit y avoir une cause et un but: ne serait-ce pas le moral des uns et des autres à relever? En tout cas, c’est notre meilleur temps depuis 3 ans de guerre, les hommes sont fous! et tellement médusés (les cafés ne sont pas consignés, comme ils le sont toujours!!), tellement médusés, dis-je, que pas un ne se saoule! Qu’est-ce qui se passe et la guerre est-elle finie? Quelle différence avec il y a 15 jours.

Le Capitaine, Saudaran et moi, faisons popote au château où habite le Capitaine. Nous avons été présenter hier nos hommages à la marquise douairière et à sa fille, la comtesse de ............ qui nous a présentés « ses enfants » et mis sa salle à manger, sa cuisine et son office à notre disposition ainsi que son Parc, superbe.

Chez moi, je suis on ne peut mieux. Ce matin, la bonne m’a apporté le petit déjeuner avant que mon ordonnance soit arrivé. C’est inouï. Je vais aller à Paris après-demain. Je sonnerai chez Balmary. Excuse donc si je t’écris moins en ce moment. Tu sais que je risque moins que rien. Il paraîtrait que nous sommes là pour longtemps??? Nous avions besoin de repos, c’est vrai, mais à ce point là. non?.

Reçu la graisse à chaussure et aujourd’hui un gâteau à l’anis absolument exquis qui a fait les délices de ces dames à notre thé que nous venons de prendre..........

13 août

Palaiseau. Continuation du rêve.

Ma lettre d’hier a été terminée un peu n’importe comment, car je tenais à ce qu’elle parte rapidement et que j’ai été dérangé plusieurs fois pendant que je t’écrivais; aussi n’ai-je pas répondu à toutes tes lettres n° 21,22,23 et 24 reçues tous ces jours-ci.

Comme je te l’ai dit, j’ai reçu ta graisse à chaussure, mais je crois qu’elle venait par l’intermédiaire de Madeleine, je vais l’en remercier. De plus, un excellent gâteau à l’anis est venu hier à un moment opportun et a fait les délices de mes hôtes et de moi: Merci mille fois.

Ici, nous continuons à vivre au milieu des délices de Capoue. Nous sommes choyés par tout le monde et ne faisons rien encore pour le moment. A la maison, je pianote et chante du Botrel avec ces dames. Je vais tâcher de faire inviter le Capitaine qui est si bon musicien, ce sera charmant.

Un ennui: je ne vais pas très très bien en ce moment: j’ai des boutons partout et, ce matin, ai la joue gauche complètement gonflée comme pour un mal de dents, je ne souffre pas, que de quelques démangeaisons, mais suis hideux, mes mains, mes bras sont boursouflés, enfin, je ne sors pas, je me calfeutre et n’irai pas à Paris tant que je serai comme cela. J’ai fait venir le « toubib » qui va me purger demain et me dit que c’est de l’urticaire. C’est ennuyeux. Enfin cela n’est rien, ne t’inquiètes pas pour cela. Ca passera rapidement.....

14 août

Palaiseau. R.A.S. Exercice très doux.

15 août

Palaiseau. R.A.S. Mr Rambaud, l’ami de Dethomas vient déjeuner avec nous.

16 août

Palaiseau. Journée passée à Paris. Arrivée de Mme Strohl qui vit avec nous!

17 août

Palaiseau. R.A.S. Exercice.

Pardon de ne pas t’avoir écrit depuis 4 jours, mais avant hier, c’était le 15 août: distractions multiples!! et hier j’ai été à Paris faire quelques achats dont je vais te parler tout à l’heure. Mais tu me sais en parfaite sécurité pour le moment ici, aussi n’as-tu pas dû t’inquiéter.

J’ai reçu entre-temps tes 2 lettres n° 25 et 26 dont je te remercie beaucoup, et auxquelles je réponds tout de suite. Et oui! j’avais oublié de te dire dans mes deux dernières lettres, notre pauvre camarade Dethomas est mort. Le Capitaine a été, de notre part à tous les trois, voir Mme Dethomas et remettre une couronne avec inscription des 3 officiers de la 14°. De plus, son ami intime, Mr Pierre Rambaud, avocat lui aussi à la cour d’appel de Paris et fils de l’avocat général, est venu nous voir ici; il a déjeuné avec nous et a emporté toutes les affaires de son ami. Tout ce que tu le dis au sujet de la famille Dethomas est exact et je le savais déjà depuis longtemps. Je n’ai donc pas besoin d’écrire à Mme Dethomas, d’autant qu’elle est partie depuis hier pour plus d’un mois à Arcachon avec Mr et Mme Rambaud. Elle a été très énergique et a prononcé des paroles sublimes pendant la visite que lui a fait le Capitaine.

Je suis bien ennuyé pour toi de toutes ces nouvelles histoires de domestiques. Décidément, tu n’as vraiment pas de chance. Alors ce pauvre Roger est blessé. Il n’y aura plus que moi qui n’aurais rien attrapé, depuis le temps que je suis au front, cela devient presque une honte. Merci de toutes les nouvelles que tu me donnes de presque tout le monde: voila 2 lettres où tu m’annonces beaucoup de choses.

Ici, toujours la même vie de repos. Madame Strohl qui était sur la Côte d’Azur, est arrivée venue tout courant à l’appel de son mari, et est arrivée hier. On lui a fait visiter toute la Compagnie, les logements des hommes, la cuisine roulante, le bureau, etc... etc... Ca l’a beaucoup amusée; enfin, elle prend ses repas à notre Popote. Aujourd’hui, le ménage est parti à Paris pour la journée.

Or donc, hier c’est moi qui y ai été. J’ai acheté un imperméable, dernier cri, de toute beauté, en gabardine kaki imperméabilisée, doublée de soie imperméable et triplée entièrement d’une deuxième gabardine. Forme: col ouvert, martingale et serré par une large ceinture. Magnifique: prix 16 fr, c’est moins drôle. C’est exactement le même que celui du Capitaine et Mme Strohl m’a dit que c’étaient des vêtements de toute beauté et d’une qualité épatante. De plus j’ai acheté ce superbe papier à lettres!! et un monocle...... pour Strohl! qui veut s’habiller « en vieux » maintenant.

J’ai été sonner chez Balmary. Là, on m’a annoncé ce que tu aurais du me dire, à moins que tu ne le saches pas, c’est qu’il n’habite plus Paris. Il est nommé à Figeac (Lot). J’avais l’air idiot de n’en rien savoir.

Aujourd’hui, chambre, purgation. J’ai une poussée d’urticaire, comme jamais je n’en avais eu. Ce n’est pas grave, mais ça me démange comme la galle!...................

P.S. Mörch, qui vient de me faire une visite, t’envoie tous ses respects.

18 août

Palaiseau. R.A.S. Exercice.

19 août

Palaiseau. R.A.S.

Je réponds aujourd’hui à ta lettre n°26 du 15 de ce mois, dans laquelle tu sais que je suis dans ce chic village de Palaiseau. Nous continuons à y être et à y mener une vie de coq en pâte, allant à l’exercice une heure ou deux par jour. Le reste du temps nous faisons de la musique. Madame Strohl est toujours avec nous et égaie la popote attristée par l’arrivée du Commandant, homme fort poli, mais fort rasoir qui a élu domicile chez nous, pour manger. Tu vois que c’est une table « chic » à laquelle on se tient avec une correction parfaite. Nous mangeons dans des couverts prêtés par le propriétaire du château (nappe et serviettes propres à chaque repas, cristal, couverts d’argent, couteau à fruits, fleurs sur la table, etc... etc... vie de château, quoi!)

La musique militaire joue tous les jours sur la place à la grande joie des habitants et habitantes qui y viennent en grand nombre. Hier soir, samedi, retraite aux flambeaux. Jamais ils n’avaient vu cela dans leur patelin. Tu dis que tu veux mon adresse civile, le voici:

chez Mr Cochenet (pas la peine de le mettre)

16 bis rue Pasteur

Palaiseau (S. et O.)

Je ne te l’avais pas donnée, car je croyais être là pour peu de temps. Mais cela va, je crois, se prolonger encore et tu peux m’envoyer ici tes lettres jusqu’à ce que je commande « Halte ». A ce propos, j’ai des excuses à te faire pour n’avoir mis que 2 sous sur ma première lettre. Peut-être as-tu été obligée de payer une surtaxe. Je ne me rappelais plus que tout est augmenté et c’est Mlle Aline qui me l’a fait remarquer. Oui c’est ton gâteau que j’ai reçu et que je t’ai annoncé. Il était à l’anis et excellent, comme je te l’ai dit. Merci des coupures de journaux au sujet de ce pauvre Dethomas. Je les ai communiquées un peu à tout le monde.

Mon urticaire, malgré ma purgation, ne va pas beaucoup mieux. J’ai surtout les mains et les bras dans un piteux état, les cuises aussi. Enfin, je me surveille au point de vue nourriture: c’est malheureux, juste au moment où, sur la table, paraissent les fruits et des tas de choses que nous ne trouvons pas aux tranchées!

Tous les soldats et officiers ont leur femme. C’est roulant, dans la rue: on est présenté à Madame X, Madame Y!!!!!! Madame Saudaran, elle-même, va venir; le fiancée de mon docteur est là, avec sa mère. C’est amusant. Si tu avais été à La Rochelle et si, surtout les Balmary avaient été à Paris, je t’aurai demandé de venir quelques jours. Ses parents de Mörch vont, je crois, venir eux aussi.

Sur ce, je te quitte pour écrire à Jean Chagnaud de qui je viens de recevoir une longue lettre. Reçu aussi une lettre de R. Martin qui me parle en termes élogieux de son ami Allard.

Il est venu, au renfort, un jeune aspirant de la classe 17 qui est de Quinsac. Ses parents tiennent une épicerie et connaissent Tante. Je n’ai pas son nom à la mémoire en ce moment. Il va aller en permission et ira vous donner de mes nouvelles sous peu............

P.S. Ci-joint: une photo.

20 août

Palaiseau. Journée passée à Paris. Vu Loulou.

21 août

Palaiseau. R.A.S.

22 août

Palaiseau. R.A.S. Moresmeau passe à deux galons.

Deux mots pour te dire que rien n’est changé dans notre heureuse existence. Rien ne fait encore prévoir un départ proche. J’ai reçu ta lettre n°28, ce matin. Merci. Comme réponse, je ne peux pas encore t’annoncer la fin de mon éruption qui continue toujours, c’est assommant, mais tant pis, je vais à Paris tout de même demain faire des courses et me promener.

Hier, j’ai eu beaucoup de travail. Figure-toi qu’un imbécile de ma Compagnie s’est suicidé d’un coup de fusil dans le crâne. C’était un neurasthénique et un « minus habeas » de 1° catégorie. Cet idiot m’a fait faire naturellement rapports sur rapports, le capitaine Strohl étant en permission à Paris ce jour-là. Je l’ai fait enterrer naturellement comme un chien, sans honneur militaire, ni religieux.

Aujourd’hui, j’étais chargé de faire une conférence sur le fusil-mitrailleur et la grenade à fusil aux officiers d’un régiment de Territorial, habitant les environs. Grand honneur. Ca a marché mieux que tout ce que je pouvais penser et le Colonel Territorial a été très satisfait. Demain: repos.

Merci des détails et des nouvelles que tu me donnes de tous les membres de la Famille. Une lettre de Mad., d’hier, m’apprend son prochain voyage à Quinsac. Amusez-vous et reposez-vous bien.............

P.S. Madame Neveux est ici. Tout va bien chez eux.

23 août

Palaiseau. Journée à Paris. Connaissance d’Yette. Aller et retour nocturne à Orsay. Chambre de Parriat!

24 août

Palaiseau. Revue du Général de Division. Croix de guerre: Capitaine - Palion. Saudaran C.A.

25 août

Palaiseau. Musique et retraite aux flambeaux à Orsay.

26 août

Palaiseau. Journée à Paris avec Dubroca et Toudeur. (Lolette, Lione et Yette).

27 août

Palaiseau. Veille du départ. Visite de Yette.

Je te demande infiniment pardon de ne pas t’avoir écrit depuis le 22. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais au milieu de musique, voyages à Paris, exercice, tennis, flirt, etc... etc... je suis depuis le matin jusqu’au soir, sans une minute à moi. Cette lettre d’aujourd’hui, voilà plus de 3 fois que je voulais l’écrire, chaque fois j’étais dérangé.

Or donc, nous sommes toujours dans ce charmant pays mais nous en partons demain 28, pour une destination inconnue. Nous regretterons, je t’assure, ces 15 jours passés comme un rêve et qui sont vraiment les 15 premiers jours de vrai repos que nous ayons eu depuis le début de la guerre.

J’ai reçu tes deux lettres envoyées par la poste civile, les 21 et 24 août. Merci. Ne m’envoie plus, à partir de maintenant que des lettres adressées par le secteur postal. Merci des nouvelles de toute la famille. Je n’écrirai à Mad. que dans quelques jours à Quinsac, quand elle y sera installée, pour la remercier d’une ravissante photo qu’elle m’a envoyée tout dernièrement.

Tu me demandes de te raconter mes voyages à Paris. J’en ai fait 3 ou 4, tantôt seul, tantôt avec des camarades. J’ai été à la Scala et à la Cigale entendre des Vaudevilles ou des Revues, puis au bois, hier matin, pour faire du canotage. Ici, rien de neuf. Les adieux de demain vont être déchirants entre les maris et les femmes (très nombreuses) qui sont venues jusqu’ici, assez déchirants aussi, entre les célibataires et jeunes filles du pays........ Tu sais ce que je pense.

L’autre jour, le Général a passé une revue où il a remis beaucoup de citations (la palme au Capitaine qui a un motif superbe). La foule a acclamé d’une façon délirante le Régiment à son retour en grande pompe dans les rues du village. Ce fut touchant.

Avant-hier, j’ai fait du tennis. Je suis un peu rouillé, ça n’a rien d’étonnant. Je suis fauché comme les blés, en ce moment c’est la grande misère et ce n’est pas maintenant que je t’enverrai de l’argent! Mörch est invisible! Il est toujours à Paris et n’assiste même à aucun exercice!!!!! Il a subjugué son nouveau commandant qui lui laisse faire ses 4 volontés! de sorte qu’il ne sort plus des bras de Marthe Chenal, Jane Renouard etc... et autres grandes actrices en vogue. Heureusement pour lui qu’il a touché la grosse somme de par sa nomination et un cadeau de son Père, de ses oncles, etc... etc... (près de 10.000 fr) !!

Au revoir, chère Maman, bons baisers à tout le monde autour de toi. Rondet: c’est ça le nom, va bien.

28 août

Palaiseau. Nous partons le matin à 9 heures et débarquons à Mézy. Cantonnement à Fossoy (Aisne). Lafougère passe sous-lieutenant à la Compagnie.

29 août

Départ de Fossoy et cantonnement aux Glapieds près de Baulne. Je perds mon caoutchouc.

30 août

Les Glapieds. (Mme Sadoux) (Suzanne). Cheval. Chansons. La Compagnie est seule et tranquille.

Voila encore trois jours que je n’ai pas écrit, c’est que nous avons été en plein déménagement. De même, voici déjà pas mal de temps que je n’ai rien reçu de toi (depuis ta lettre n°30 du 24), mais ce n’est pas très étonnant car tu as du l’envoyer à Palaiseau par la poste civile: on me la ou les fera suivre certainement.

Nous voici donc dans d’autres lieux, mais rassure-toi, bien loin encore du front, de l’autre côté de la Marne, mais directement au sud de là où nous étions en tranchées au mois dernier. La Compagnie est toute seule dans un tout petit hameau, où nous sommes bien tranquilles et à peu près bien installés, mais c’est en pleine campagne (11 habitants) et cela nous change des chemins de fer de grande ceinture et de tout le brouhaha de la grande ville. Aussi je fais du cheval du matin jusqu’au soir, je commence maintenant à être d’une certaine force.

Les adieux ont été faits avec quelque peu de douleurs: le Bataillon a été suivi jusqu’au départ par un autre Bataillon........ féminin. C’était roulant...... pour les célibataires, moins gai pour MMrs Strohl, Saudaran, etc... etc...

Nous avons touché, ces jours-ci à la Compagnie, un nouveau sous-lieutenant, tout neuf nommé, mais un vieux du Bataillon, l’ancien sergent Lafougère (instituteur) avec qui je faisais popote, il y a 3 ans, dans les tout premiers mois de la guerre. Peut-être te rappelles-tu ce nom: c’est une bonne recrue à tous points de vue, quoique moins brillant que ce pauvre Dethomas.

Nous ne savons pas ce que nous allons faire, nous attendons patiemment. A partir de maintenant, je t’écrirai comme d’habitude plus régulièrement.............

31 août

Vu Mörch. Nous partons demain pour un village des environs. Promenade délicieuse dans la forêt avoisinante.

1 septembre

Nous quittons les Glapieds à la nuit et arrivons à Auclaine à 10 h. Compagnie isolée encore. Très chic. Bien installé.

7 h. du soir.

......A l’instant, je reçois la visite de Rondet, qui, très gentiment, partant en permission demain matin, vient me demander si j’ai des commissions pour toi: je lui confie cette lettre.

J’ai reçu, cet après-midi, les lettres n°31 et 32, l’une venant par le secteur, l’autre par Palaiseau d’où on me l’a fait suivre. Rondet te donnera des détails sur ma santé, te dira que je vais très bien, mais que mes mains pèlent. Mon urticaire est passé maintenant, mais toute ma peau s’en va par morceau.

Nous avons quitté Palaiseau et sommes maintenant dans des cantonnements beaucoup moins chic, au sud de la Marne dans les environs de Château-Thierry. Nous avons déjà changé 3 fois de patelins, toujours dans les mêmes parages. Je t’écris aujourd’hui d’Auclaine, commune de Montlevon (Aisne) à quelques km de la limité de la Marne, tout près de Montmirail! Je suis assez bien installé, ai une chambre et un lit. Nous allons faire ici de l’instruction, dans un pays superbe. Combien de temps? Je n’en sais rien.

Tu me demandes la date de ma permission: très vraisemblablement, derniers jours de septembre ou premiers jours d’octobre. C’est tout ce que je peux te dire de plus précis pour le moment. Je suis bien content que Madeleine soit de nouveau avec toi. Si vous avez le même temps que nous depuis une semaine, les bains de La Rochelle seraient supprimés, car nous avons du froid et souvent de la pluie.

Je te crois que la vie augmente. Je m’en aperçois moi aussi. L’autre jour, à cheval, j’ai eu la bêtise de perdre mon caoutchouc noir (le vieux). Je vais être obligé d’en acheter un autre, c’est assommant et je vais être encore fauché, même au commencement du mois! Comme tu le dis cependant, la période d’avant-postes qui nous attend probablement réduira les dépenses! On m’appelle à table dans un quart d’heure, je vais être obligé de te quitter et de remettre cette lettre à ce brave Rondet à qui tu pourras demander des tuyaux complémentaires. (Il est à la 15° compagnie, avec d’Olce!).

2 septembre

Auclaine. R.A.S. Musique à Montlevon.

3-4 septembre

Auclaine. Exercice et tranquillité. Cheval.

5 septembre

Auclaine. Exercice. Cheval.

Je suis incorrigible, voilà encore 4 jours que je ne t’ai pas écrit. Je te demande bien pardon mais nous avons un temps superbe et, en dehors des heures d’exercices, je suis toujours à cheval, tantôt seul, tantôt avec des camarades; Nous faisons des charges à n’en plus finir dans ces grands champs moissonnés. Je comprends bien l’engouement de Jean du Sault pour cet animal. A mon tour, j’en suis fou.

Aujourd’hui, je viens de déjeuner à la popote de Mörch qui cantonne à une quinzaine de kilomètres de nous, hier j’avais été le voir, et demain, il vient déjeuner chez nous. Il va toujours très bien mais a le cafard de n’être plus aux environs de Paris!

L’emploi du temps des hommes, pendant leurs heures de repos, est d’aller chercher pêcher des écrevisses dans un petit ruisseau qui en est littéralement rempli: c’est inouï ce que l’on en prend. D’autres vont à la pêche à la truite (assez nombreuses). Les officiers, enfin, chassent. Le nombre de perdreaux et de lièvres que nous avons est incalculable. Ce n’est pas étonnant, ce n’est ni chassé, ni pêché et les compagnies de perdreaux, peu effarouchées, s’envolent sous les pattes des chevaux.

C’est bien le repos, ici, en pleine campagne, dans un petit village éloigné de tout, comme a du te le dépeindre l’aspirant Rondet. Mais je crois que cela va finir d’ici peu de temps, car des bruits inquiétants circulent. Que veux-tu! Voilà plus d’un mois que nous ne faisons rien. Il faut y aller faire un petit tour. D’après les tuyaux, ce serait pour aller au même endroit ou tout près à gauche ou à droite. Ce n’est pas meilleur pour cela (voir communiqués).

Reçu ta lettre n°33 ainsi qu’une lettre de Jean C. et une longue épître de Pierre Pajaud, en vacances à Lyon. Il faut que je réponde à tous ces gens aimables qui m’ont écrit, mais où trouver le temps? Enfin, ne me plains pas pour le moment. Mon urticaire va mieux sauf ces sacrés boutons qui ne finissent pas de guérir complètement. C’est assommant.

Merci de tes offres de service. Pour le moment je n’ai besoin d’absolument rien. Dis à Loulou qu’elle réponde à ma lettre de l’autre jour, si toutefois elle l’a reçu à La Rochelle. Ci-joint une photo des officiers et sous-officiers de la 14° compagnie, prise à Palaiseau. J’en ai une autre grande de toute la compagnie, mais elle n’est pas « envoyable » par la poste, je te l’apporterai à ma prochaine permission. C’est un cadeau du Capitaine à l’occasion de sa remise de croix de guerre (palme). Garde-la moi précieusement, comme tout ce que je t’envoie, je te prie..............

6-7 septembre

Auclaine. idem.

8 septembre

Auclaine. Déjeuner à Artonges (5° bataillon) avec Mörch (17° compagnie).

9 septembre

Auclaine. R.A.S.

Madeleine a du t’annoncer cette lettre pour hier, mais je n’ai pas pu et c’est aujourd’hui seulement que je m’installe pour répondre à tes deux lettres que j’ai reçues ces jours derniers. La permission de Rondet va toucher à sa fin maintenant. En égoïste: je l’attends avec impatience pour qu’il me donne des nouvelles fraîches et qu’il me raconte un peu ce qui se passe chez vous. N’est-ce pas que c’est un beau brun?

Oui, mon caoutchouc est perdu. Tu peux dire à Jacques que je suis pourtant repassé par les mêmes endroits d’où je venais, et même un quart d’heure après, mais qu’il n’a pas voulu m’attendre. Il n’est certainement pas perdu pour tout le monde. J’ai fait mettre une note à la décision du Colonel pour qu’on me le rapporte. Rien n’y a fait. Je n’en ai pas encore acheté un autre, puisque pour m’habiller, j’ai un bel imperméable. Peut-être en fouillant chez toi, trouverai-je une vieille pèlerine ou quelque chose pour les avant-postes. Je verrai à ma prochaine permission.

Tu sais que pour celle-ci, c’est de plus en plus probablement vers le 15 octobre, peut-être même avant. J’ai dit, avant-hier à Madeleine, que je vous rejoindrai à Ruelle puisque vous y serez à ce moment-là. Cela m’est égal, au contraire; d’ailleurs cette permission sera de 10 jours.

Vous avez quitté Quinsac, et toutes ces distractions nautiques qui m’ont l’air de vous intéresser beaucoup puisque tout le monde m’en parle: c’est ainsi que je reçois, à l’instant, une lettre de Loulou (qu’entre parenthèse, tu seras bien aimable de remercier de ma part) dans laquelle elle me raconte par le détail cette sorte de promenade au moyen d’un canot! Savez-vous que vous me faites faire des pêchés d’envie! Ici, nous sommes trop loin, soit de la Marne, soit du petit Morin, pour pouvoir s’y plonger, et le tout petit ruisseau à côté de nous n’est pas assez profond!

Une lettre de ....... m’annonce en effet que Pierre Martin va venir en France, un de ces jours, et en profiter pour se marier. Quel veinard! Vivement la fin de la guerre pour que j’en fasse autant.

Ici, rien de neuf. Toujours, exercices, cheval et bruit de départ presque immédiat, qui n’aboutit jamais. Il faut pourtant s’attendre à partir prochainement, car voilà près de 40 jours que nous sommes au repos! La santé est bonne. Toujours quelques boutons mais moins qu’à Palaiseau cependant: cela va passer peu à peu................

10 septembre

Auclaine. Promenade avec le Capitaine. Rencontres de Francine et Germaine de Château-Thierry.

11 septembre

Auclaine. R.A.S. Depuis 7 jours, bruits de départ continuels.

12 septembre

Auclaine. Dubroca fait venir Lolette et Yette au château d’Artonges. Allons les chercher à la gare. Repas avec elles et le commandant Couppé.

Je reçois à l’instant (en revenant de l’exercice) ta lettre n°36 du 7 que m’a apporté Rondet mais je n’étais pas là et n’ai pu le voir. Comme nous ne sommes pas dans le même village, je ne sais pas si je le verrai aujourd’hui. Ce sera pour demain matin car nous avons une marche de tout le bataillon réuni.

Nous n’avons pas encore changé de place, sommes toujours au repos, je n’y comprends plus rien, toujours dans le même village où Rondet est venu me trouver avant son départ! Quelle station! Je suis étonné que tu me parles du temps: ici nous avons un soleil superbe qui facilite les délicieuses promenades à cheval (un peu chaudes en plein après-midi).

A quoi ce brave Jean C. voit-il que la guerre va finir? Cela m’étonne et personnellement, je ne la voie pas finie avant l’été 1918. Enfin puisse-t-il avoir raison: je ne demande certes pas mieux. Préviens-moi bien quand tu changeras de villégiature afin que je puisse modifier les adresses. Pour ma permission: rien de changé: toujours première quinzaine d’octobre et je vous rejoindrai à Ruelle si vous y êtes. Aurai-je le plaisir de voir un ou 2 cousins?

Rien de nouveau à te raconter, je n’ai pas vu Mörch depuis ma dernière lettre. Mes boutons vont un peu mieux. Je vais te quitter, car voilà l’heure du déjeuner et tout le monde m’attend avec de grands cris!!! Bon, baisers à tous les habitants du Château Queyron..............

13 septembre

Auclaine. Va et vient d’Auclaine à Artonges. Journée passée avec les petites.

14 septembre

Auclaine. Départ des petites, je regagne Auclaine où l’on se prépare au départ de demain. (Marche par étapes de 3 jours)

Deux mots seulement pour te dire que, cette fois-ci, nous quittons demain matin ce petit village où nous sommes depuis une quinzaine de jours. Nous allons marcher pendant 3 jours de suite et alors nous serons tout près de la ferme (Monthussart) où j’étais du 1° au 8 juillet (d’où est parti Pascal en permission). J’espère que tu te rappelles et que tu vois ce que je veux dire.

Quoi en déduire? Ce que nous attendions depuis longtemps. Nous allons remonter, à peu de chose près, au même endroit que précédemment. Ne t’en fais pas à l’avance: c’est, je crois, plus calme qu’au mois de Juillet.

Figure-toi que je t’avais envoyé de Palaiseau, pendant que Mad. était à La Rochelle, deux grandes boites de sucre dans un colis. Or, ce colis est arrivé après le départ de Mad. et je reçois un avis de la gare. Je te l’envoie afin que tu y répondes le nom de la personne qui doit aller le chercher (tu es mieux à même d’envoyer qui tu voudras) (paragraphe b. pour les réponses). Affranchis et renvoie-le au chef de gare, en prévenant la personne d’aller le chercher. Dis-moi quand tu l’auras fait retirer, et quand cette histoire sera terminée.

Reçu hier et aujourd’hui tes lettres 36 et 37 du 9 et 11 septembre (Tu en as numéroté 2 (36), mais ça ne fait rien) J’ai tout eu. Merci des 2 petites photos de Mad. et du Muguet. Elles ne sont pas mauvaises du tout. Rien de changé pour ma permission (1° quinzaine d’octobre). Rassure-toi, j’aurai 10 jours moi aussi, c’est entendu et j’irai vous rejoindre à Ruelle si vous n’en êtes pas parties pour l’arrivée de Jean que tu supposes, dis-tu, pour le 10 octobre.

Pris note pour le changement d’adresse le 25 septembre. Je te quitte, ma chère Maman, car j’ai beaucoup de préparatifs de départ à faire..................

15 septembre

Départ à 6 h., petite pluie. Marche de 20 km. Cantonnement épatant et musique à Jaulgonne (sur la grande ligne).

16 septembre

Départ de Jaulgonne à 5 h. Temps superbe et arrivée à Coulonges par grosse chaleur. Cantonnement moche dans des baraques. Adrien. Popote agréable.

En déplacement comme je te l’ai dit, par une grosse chaleur qui nous fatigue un peu.

Nous nous dirigeons toujours vers le point que je t’ai fait connaître.

Bons baisers à tous les habitants du château....................

17 septembre

Départ avec le campement que je commande à 3 h. du matin. Je fais le cantonnement à Bazoches assez facilement. Le capitaine Strohl reçoit l’avis qu’il est nommé à Thann (Alsace). Il est radieux.

Encore une étape de plus. Nous sommes tout près maintenant et c’est pour très prochainement, mais il parait que c’est plus calme qu’au mois de juillet!

Reçu ta lettre n°38. Amitiés et baisers à tout le monde. Moi, je vais toujours bien.............

18 septembre

Je vais faire la reconnaissance du secteur (même que le dernier à Cerny, mais bien meilleur) en remplacement de Strohl qui prépare son départ. Retour à 12 h.

19 septembre

Voyage à Fismes où le Général Commandant l’Armée (général Duchêne, 10° Armée) a réuni tous les officiers de la Division. Très intéressant. Départ de Bazoches à la nuit. Adieux touchants du Capitaine Strohl à la Compagnie et à nous tous. Marche de nuit et arrivée le matin à Bourg-et-Comin où nous passons la journée, devant monter le soir même. Le Colonel me dit de garder jusqu’à nouvel ordre le commandement de la Compagnie. Le soir, montée en ligne et relève excessivement calme par un temps terriblement chaud.

C’est au moment d’y aller que je t’écris. Je te donnerai des détails dès demain, si j’en ai le temps.

Tout va bien mais le capitaine Strohl nous a quittés hier pour toujours! Aussi, je commande encore la Compagnie pour monter là-haut! Cela devient une habitude!....................

20 septembre

Cerny. Même secteur, mais plus calme à part quelques torpilles à ailettes qui tuent ou blessent quelques hommes.

Ce n’est plus avec mon beau papier anglais que je t’écris maintenant, car il est d’un format peu commode pour le transport aux tranchées.

Nous sommes donc en ligne depuis cette nuit, et exactement au même endroit que le 10 juillet dernier. Le secteur est plus calme heureusement, mais loin d’être bien fameux puisque je viens d’avoir à l’instant un blessé et la Compagnie, à coté, 2 tués! Enfin, c’est la guerre.

Je t’ai fait entrevoir, dans ma carte d’hier, était parti définitivement. Voici ce qui lui est arrivé, j’étais d’ailleurs au courant de tout depuis Palaiseau. Pendant son séjour là-bas, il a été voir son ex-camarade de lycée: René Besnard qui lui a proposé la place d’Administrateur des Pays Reconquis d’Alsace à Thann!! Strohl a accepté, bien entendu, et, avant-hier, est arrivée sa nomination à ce bel emploi! Il est donc parti immédiatement, me laissant le commandement de la Compagnie, la reconnaissance du secteur à faire, en plus des marches quotidiennes, que j’avais faites à pied, et enfin le souci de l’organisation de la Compagnie en ligne, comme la dernière fois.

Les adieux ont été très touchants. C’était vraiment un bien brave homme que nous regrettons tous énormément. Qui va prendre le commandement de la Compagnie? On ne sait rien encore. Les uns disent que c’est moi. Personnellement je ne le crois pas, car il y a encore 2 officiers plus anciens que moi au Bataillon et qu’il y a je ne sais combien d’officiers de rabiot au Dépot Divisionnaire. Le Colonel que j’ai été voir à ce sujet, m’a dit qu’il n’avait pas encore réfléchi à la question et que j’avais le commandement jusqu’à nouvel ordre.

Pan! On m’annonce un nouveau blessé chez moi, à la tête cette fois. Quel fourbi.

J’ai reçu, avant-hier je crois, ta lettre n°39 du 16. A partir d’après-demain, je t’écrirai à Ruelle et plus à Quinsac puisque je n’ai pas reçu de contrordre. Comme caoutchouc, ne m’achète rien, je m’occuperai de cela moi-même. Vu Mörch, hier, qui t’envoie ses respects. Le veinard s’en va demain suivre un cours près de Paris! Vu aussi hier, le fameux curé et vicaire de Lordou avec qui j’ai causé assez longuement.

Je te quitte, ma chère Maman, en t’embrassant bien affectueusement, ainsi que tous ceux qui t’entourent. Mes boutons ne vont guère mieux, je vais me décider à aller voir sérieusement un des Toubibs. J’ai peur que ce soit la Gale! Au revoir et de nouveau bons baisers, le courrier s’en va...............

21 septembre

Cerny. Organisation du secteur. Travaux. Surveillance.

22 septembre

Couvert de boutons, je vais voir le médecin qui me dit que j’ai la gale. On m’évacue et je passe des consignes détaillées à Moresmeau. Je pars par Verneuil et Bourg-et-Comin. Puis en auto jusqu’à la cote 182 et Ambulance de St-Gilles où je reste la journée.

23 septembre

Train sanitaire. Arrivée de Traimond - galeux!

Hôpital d’évacuation de St-Gilles (Aisne)

..... Ca y est! Je suis évacué pour « gale généralisée ». J’ai quitté la Compagnie hier à 16 h. après avoir passé le commandement au lieutenant Moresmeau, et ai été dirigé en auto sur une ambulance du front où l’on ne traitait pas les officiers. Dirigé alors sur l’Hôpital de St-Gilles (où a été amputé ce pauvre Dethomas dont j’occupe le lit), j’y suis hébergé jusqu’à ce qu’un train soit formé pour m ’envoyer ailleurs, probablement demain ou après-demain. Je ne donne donc pas d’adresse encore pour le moment, tu n’as qu’à ne pas m’écrire jusqu’à ce que je te dise où les adresser. Par la Compagnie, cela n’arriverait pas plus vite puisque je ne peux encore faire venir mes lettres.

Ici, j’attends, on ne me soigne et je continue à me gratter avec frénésie. Un de mes camarades du 5° bataillon est venu me rejoindre ce matin, pour la même maladie! Ce doit être une petite épidémie au Régiment. Ne t’inquiètes pas, maintenant je n’ai qu’à me laisser soigner par les Toubibs et les Infirmiers.

Hier, j’ai reçu ta lettre n°40 du 18. Comme elle ne contenait aucun contrordre, j’adresse mes lettres, à partir d’aujourd’hui, à Ruelle où elles te trouveront, j’espère. Dis-moi bien, par les numéros, si tu as bien tout reçu.

Le secteur que j’ai laissé était devenu beaucoup plus calme, malgré encore quelques petits coups de mains essayés par les Boches et dont tu as dû entendre parler par les communiqués de ces jours derniers.

J’espère que tu as quitté tout le monde en bonne santé à Quinsac, et que tu as trouvé tous les habitants de Ruelle dans le même état. Je te quitte donc, chère Maman, jusqu’à ce que je sois définitivement casé quelque part. Je t’écrirai un mot tous les jours. Ne me réponds que quand tu sauras mon adresse. Je vous embrasse tous puisque, par lettre, je ne risque pas de vous contaminer...............

24 septembre

Départ le matin par le train sanitaire. Mont-Notre-Dame - Creil - Beauvais - etc... etc...

Vers la Seine Inférieure!!! Amitiés..................

25 septembre

Arrivée à Dieppe à 3 h. du matin. Hospitalisé à l’Hôtel Royal. Merveilleusement bien. Temps idéal. Plage superbe et mondaine.

Me voici donc arrivé dans un vieux pays bien connu: à Dieppe. Je m’empresse de te donner mon adresse:

S-Lt Triaud du 234 ° R.I.

Hôpital Complémentaire n° 19

Dieppe (S.I.)

Inutile d’affranchir ta correspondance. J’espère que tu auras bien reçu ma carte envoyée hier, au passage à Beauvais. Accuse bien réception de tout.

Ici, je suis installé comme un Roi, dans une luxueuse chambre du Grand Hôtel Royal, transformé en Hôpital. Tous les conforts modernes bien entendu, vue sur la mer, temps idéalement beau, libre comme pendant une permission, prenant les repas cependant à part, à cause de la contagion. Le traitement commencera demain matin et durera je ne sais combien de temps. C’est curieux d’avoir été évacué si loin pour si peu de chose.

Un monde fou dans ce Dieppe encore en pleine saison. Les Anglais et Belges y pullulent, il y en a encore plus que de Français et c’est la vie de ville d’eau que je vais mener. Pendant que je t’écris, un hydravion passe à 25 mètres de mes fenêtres (sur la jolie esplanade) c’est ravissant.

Ne te fais pas de mauvais sang pour moi. Ma maladie de peau passera vite, je pense, soigné comme je le suis par une ravissante infirmière anglaise, fort aimable et ayant l’air très capable. Je pense à Madeleine au milieu de toutes ces dames en blanc!! Ecris-moi vite que je vois que tu n’es pas inquiète.

Ma permission?? Je ne sais ce qu’elle va devenir. Je la prendrai dès que je le pourrai et irai te rejoindre où tu seras. Ne te déranges pas pour moi..................

26 septembre

Dieppe! Idéal!

27 septembre

Dieppe. Promenades superbes. Soins très douloureux.

Café des Tribunaux. H. Lefebvre, Propriétaire. Téléphone 1.70

.......Deux mots seulement pour te dire qu’il n’y a rien de nouveau. Je suis toujours aussi bien installé et mène une vie délicieuse et, à part mes boutons, me porte comme le Pont-neuf.

Les traitements ont commencé ce matin seulement et n’ont rien d’agréable, je t’assure. C’est extrêmement douloureux. Après un bain sulfureux, on vous brosse tout le corps avec une brosse en chiendent de façon à mettre à vif tous les boutons. Ensuite on vous enduit le corps d’une pommade contenant du sable ou je ne sais quoi. Cela vous cuit très très dur pendant 1/2 heure et c’est tout pour la journée. Le reste du temps, je suis libre d’aller à la plage au moins 8 heures par jour.

Ce matin, les Belges ont fait l’exercice sur l’esplanade, puis musique militaire belge (pas bonne et exercice mal fichu). Ce ne sont pas des soldats. Un de ces jours, ce sera le tour des Anglais, je pourrai comparer. Quelle ville cosmopolite que ce Dieppe. On entend parler toutes les langues et on voit de tous les uniformes: kif. kif. Babel.

Je crois que le séjour ici durera plus que je ne croyais. L’hôpital est assez mal tenu et il y a trop de laisser-aller. On ne s’occupe presque pas de vous, je ne m’en plains pas car je n’ai rien, mais je ne voudrais pas, blessé, être ici.

Hier, promenade délicieuse le long de la mer. Hier soir, à la lune, nuit superbe, chants sur la plage. Cela vaut mieux que le Chemin des Dames. Un de ces jours, je vais aller faire un tour à Anneville-sur-Scie, voir si je connais quelqu’un. Peut-être pousserais-je un jour jusqu’à Bolbec, mais ça me parait difficile.

Au revoir, chère Maman, ne t’inquiètes pas de moi, je t’en prie. Je ne tarderai pas d’ailleurs à aller en permission, je pense, mais ne peux plus te donner de date fixe. Ne te dérange pas, j’irai où tu seras.............

28 septembre

Dieppe. Promenade. Mme Lécuyer. Georgette. Traimond.

Rien de nouveau. Ci-contre la photo de mon Hôpital. Tu vois que je suis installé comme un prince J’attends des nouvelles de toi avec grande impatience. Voila presque 8 jours que, par force, je n’ai rien eu!!!................

29 septembre

Dieppe. R.A.S.

J’ai reçu, ce matin, ta longue lettre n°44. Je suis bien content d’être de nouveau en liaison avec toi et de savoir que tu n’es pas inquiète. Tu as d’ailleurs raison puisque j’évite les sales coups de mon régiment (oh. honte). As-tu vu le communiqué d’hier, c’est en plein dedans. J’ai hâte d’avoir des nouvelles des camarades.

Tout va bien ici, les soins continuent et ça va de mieux en mieux. J’aurai en effet probablement 20 jours de permission, mais n’anticipons pas. Aucune fièvre rassure-toi. Ce n’est qu’une maladie de peau..............

30 septembre

Dieppe. Promenade superbe en auto à Quiberville, phare d’Ailly, etc... avec un Capitaine d’Artillerie et Mesnard.

Rien de nouveau si ce n’est que j’ai reçu, ce matin, tout mon courrier du front, tes lettres n°41 et 42. Il me manque le n°43 mais je pense recevoir ici, directement le n°44. Elle me parviendra plus tard. Je suis content que vous soyez en bonne santé et à Ruelle au milieu de notre famille. Je t’y rejoindrai, je ne sais quand.

J’ai naturellement reçu des lettres d’un peu tout le monde. Le capitaine Strohl, très heureux, pas de nouvelles directes du Régiment. Pourvu qu’il n’y ai pas trop de casse! Tu ne m’avais pas donné l’adresse de l’Oncle Louis et à partir de maintenant, je t’écrirai à cette nouvelle adresse.

Je te quitte puisque rien de nouveau. Je ne suis pas encore guéri, mais ça va bien mieux (je n’ai plus d’encre dans mon stylo)....................

1 octobre

Dieppe. Mauvais temps, départ des baigneurs.

2 octobre

Dieppe. R.A.S.

Depuis avant-hier, j’ai reçu des tas de lettres de toi, je ne me rappelle plus les numéros et tout est bouleversé; mais enfin tous les numéros............... n°46 du 29-9. J’ai donc.................est le même pour nous............... donc pour le mieux.

Tu veux de mes nouvelles: je vais de mieux en mieux, mais tout n’est pas terminé. J’en ai encore à peu près pour une dizaine de jours ici. Il était temps que je me soigne, car j’allais avoir................. infectieuse que j’ai frisé de près, parait-il. Il n’en est rien heureusement et toutes les petites plaies se cicatrisent assez vite.

Ma vie ici est toujours aussi agréable. Le jour, toujours sur la plage. Le soir, souvent au cinéma et chaque fois qu’il y a théâtre, j’y vais. Ainsi, ce soir, on joue (Tournée Baret) une pièce policière qui, parait-il, est épatante. Je viens de m’y retenir une place.

Dimanche dernier, un Capitaine d’Artillerie, en traitement lui aussi, m’a invité à prendre place dans son auto: il allait voir une vieille tante millionnaire qui habite un chalet dans une plage à une centaine de kilomètres d’ici. Promenade délicieuse dans ce pays superbe et par ce temps merveilleux qui n’a cessé de rester avec nous depuis que je suis ici. Ce Capitaine m’a présenté sa Tante et a des Cousines, nous avons pris le thé et sommes revenus par des chemins d’écoliers (tous les phares de la côte): épatant.

Malheureusement, depuis avant-hier, beaucoup de Parisiens ont quitté Dieppe pour la rentrée des classes et la ville devient plus calme, quoique toujours habitée par tous ces soldats et officiers étrangers.

Je reçois des .............. n’ai pas le temps d’écrire à tous........................... étant toujours dehors. ........................Mr Strohl m’apporte des détails sur son .................. est féerique, d’après ce qu’il dit. Rien que des .................. et des réceptions tout le temps. Il a 5 autos à sa disposition et le reste à l’avenant. Il regrette néanmoins sa ............ dans toutes ses lettres m’embrasse comme un frère. Quel brave homme!

Merci du colis de Tabac que tu m’as envoyé. Hélas! je ne l’ai pas reçu ici. Je vais écrire au Corps qu’on me le fasse parvenir, à moins que mes camarades ne l’aient gradé pour eux! Ce qui est possible (ma foi, ils ont bien fait). Je te quitte, chère Maman, en te recommandant de bien te reposer à Ruelle pour être d’attaque pour mes 20 jours probables de permission..................

3 octobre

Dieppe. Mme Curial. Nina et Louise.

Madame Maurice Triaud. Maison Brun chez Grelet. Magnac (Charente).

Je suis actuellement à Anneville-sur-Scie, mais il n’y a plus de carte de l’endroit à cause de la guerre.

4 octobre

Dieppe. R.A.S.

J’ai reçu hier tes lettres n°47 du 1°. Merci. En effet, la correspondance est bonne en ce moment et le courant est maintenant remis.

J’ai été me promener en automobile, je voulais t’envoyer une carte postale mais il n’y en a plus. J’ai profité du dernier beau temps, il pleut et nous avons une grosse tempête,................ et revisiter cette vieille distillerie, ce qui m’a fait grand plaisir. L’ancien propriétaire, le père Etiemble, est mort. Le directeur de la distillerie est changé. Je n’ai plus trouvé que le vieux chef de gare dont tu te souviens! Hélas, 3 fois hélas! sa Fille n’est plus avec lui; elle s’est mariée à Rouen. Enfin nous avons causé, le vieux et moi pendant 1/2 heure. Je lui ai offert un peu d’alcool, sur lequel il ne crachait pas autrefois, ni maintenant non plus, et je suis revenu tranquillement en longeant longtemps le bord de la mer. Délicieux.

Aujourd’hui, il pleut et vente très fort. De ma fenêtre, je vois la mer fort agitée et secouant les pauvres petits bateaux. Je vais mieux, bien mieux, ne suis plus un objet de contagion et de répulsion, mais encore ici pour quelque temps. Mes bains continuent, mais on ne me frotte pas tous les jours, heureusement.

Avant-hier, vu joué au théâtre « Mr Beverley », pièce dans le genre d’Arsène Lupin, bien jouée et intéressante. Tu vois que je ne suis pas à plaindre. Reçu des nouvelles de Compagnie qui a eu quelques morts et quelques blessés mais moins que je n’aurai cru après le communiqué. Egalement de fréquentes et aimables lettres de Mr Strohl, se plaisant toujours à Thann...............

5 octobre

Dieppe. Toujours soins, mais mauvais temps. Cinéma.

6 octobre

Dieppe. R.A.S.

7 octobre

Dieppe. Promenade.

Rien de nouveau sous le soleil de Dieppe! Je cicatrise, aussi ai-je le ............. J’ai l’air d’avoir été grippé ............. va mieux et je commence ............. guère plus que mes pauvres bras, mains et ............... vilain état, le reste est guéri!

Reçu la lettre de Mad. à laquelle j’ai répondu, ta lettre n°48 du 4-10 à laquelle je réponds, le colis de cigarettes enfin revenu du front et dont je te remercie beaucoup. Je croyais qu’elles avaient été fauchées par les camarades: ils ont été honnêtes et elles ont été les bienvenues ici.

C’est entendu, à partir de maintenant, j’écrirai un mot à chaque adresse jusqu’au 11, de façon à t’atteindre dans tous les cas. Le temps continue a être épouvantable ici. C’est bien moins gai qu’au début. Ca vaut cependant encore mieux que le Chemin des Dames d’où j’ai bien peu de nouvelles..............

8 octobre

Dieppe. Promenade à Anneville-sur-Scie, Pourville, etc...

9 octobre

Dieppe. R.A.S. .

= Merci de ta bonne lettre .................. comme toi, en effet, j’ai pensé au premier moment .............. de cela, en jetant ma carte dans ..................... -sur-Scie. Ca m’a fait d’ailleurs grand plaisir .............. où j’ai vécu 3 mois. Il me parait difficile d’aller ............ en une seule journée, les trains sont vraiment pas ............ et par trop incommodes.

Je t’écris le n°53 à La Rochelle: cette lettre t’arrivera le 12 probablement et tu y seras. Par plus de sécurité, et pour suivre tes conseils, j’envoie, en même temps, un n° 53bis à Ruelle, mais on te le fera vraisemblablement suivre, car il ne t’atteindra pas avant ton départ de chez l’Oncle Louis.

Ma santé continue à être la même: ça ne guérit pas vite. Dire que mon Toubib (le même qui s’est trompé à Palaiseau) me disait que je m’en allais pour 4 ou 5 jours! Ce n’est pas fini, il s’en faut et je suis obligé de courir après mon médecin pour avoir des conseils car ici, le médecin ne passe pas dans les chambres périodiquement! Quand ça le prend, il entre causer un moment: je l’ai vu ainsi 2 fois en tout depuis 15 jours. Aussi, avant-hier, j’ai été le trouver pour avoir un traitement plus énergique et obtenir que l’on s’occupe « un peu » de moi. Depuis il vient tous les jours un moment, mais, la rosse, il m’a mis le corps en sang. Quelles pauvres cuisses, quels pauvres bras! Ne t’en fais pas: on ne souffre qu’une 1/2 heure par jour, mais c’est « bien tassé », je te jure.

Enfin je crois que je m’en tirerai, mais tu vois par ces détails que je préférerai être évacué ailleurs qu’ici en cas de blessure ou de maladie grave. Je vois ........., l’infirmière modèle pâlir à la lecture de ces précédentes ................ le monde n’est pas consciencieux comme son ............................. on mange bien, il n’y a qu’à ..................

Toujours .................... la pige » (demande la signification à Mad.). ................... le vent. C’est inouï!!

Bien content que le colis de sucre ne soit pas perdu. On va pouvoir se sucrer pendant ma permission....... Je vais faire pour Mad. un petit travail, oh! bien peu important et pas coûteux, mais qui lui plaira, je suis sûr. C’est une idée à moi, un souvenir de guerre à la fois de l’armée française et de l’armée anglaise: je pense que ce sera bien. On verra ce qu’elle en dira.

Au revoir et pas trop de soucis pour la bonne et l’installation à La Rochelle............

= Le n°53 est expédié, en même temps à La Rochelle. Il est plus long car je suppose que c’est celui qui te parviendra le plus tôt. En tout cas, tout va bien............

10 octobre

Dieppe. R.A.S. Yvonne.

11 octobre

Dieppe. R.A.S.

12 octobre

Dieppe. R.A.S.

J’espère que, depuis hier, te voilà arrivée à bon port à La Rochelle et que commence ton installation domestique sans trop de soucis domestiques. Tu auras, sans doute, reçue ma lettre n° 53 et peu après ma lettre toute courte n°53bis expédiée par le même courrier à Ruelle. Reçu hier et aujourd’hui tes deux lettres n°50 et 51 des 8 et 9 octobre auxquelles je réponds.

Ca va mieux, oh mais sérieusement mieux cette fois-ci et le médecin qui me soigne! m’a dit que je pourrai partir dans le courant de la semaine prochaine. J’aurai, de plus en plus probablement, 20 jours à passer avec vous. Quel bonheur! Tu me dis de prendre certaines précautions à cause de la contagion. Ne crains rien. Tout est fait. Mes vêtements sont désinfectés et tout mon linge (dont je change tous les 2 jours à cause des différentes saletés dont on m’oint) est passé immédiatement à la lessive. D’ailleurs le docteur m’a dit que je n’étais plus du tout un objet de contagion. J’ai pris aujourd’hui, mon dernier bain sulfureux, je vais prendre maintenant des bains d’amidon. Ce sera moins désagréable, j’espère.

Toujours le même vilain temps. Malgré la liberté dont nous jouissons, la vie à Dieppe actuellement n’est pas à comparer avec celle des premiers jours, et souvent nous ne savons quoi faire. J’ai reçu, avant-hier, une carte de Jean Chagnaud, me disant qu’il serait à La Rochelle le 17 courant. Une réponse ne l’atteindrait pas, aussi vous pourrez lui dire, à son arrivée, que de toute façon, nous nous verrons cette fois-ci.

En effet, l’oncle Louis a raison, j’ai eu une maladie très forte parce que reconnue tard, et, je peux te le dire maintenant, j’ai frisé une gale infectieuse, ce qui aurait été très mauvais. Je ne comprends rien à ce que me dit Maurice. Il me faudrait des détails pour savoir si on ............. Au revoir, chère Maman, et, dans 8 jours environ, j’aurai le plaisir de vous embrasser de tout coeur comme je vous aime tous les trois..........

13-14 octobre

Dieppe. R.A.S.

15 octobre

Dieppe. R.A.S.

J’ai reçu, avant-hier je crois, ta lettre n°52 écrite dans le train entre Angoulême et Saintes. Merci de penser à moi, même au milieu d’un voyage: cela à même du te fatiguer d’écrire si mal installée dans un wagon. Pas de nouvelles de toi depuis que ton arrivée chez toi. J’aime à croire qu’il n’y a pas eu trop de mal pour vous deux.

Merci aussi des nouvelles d’un peu tout le monde que tu me donnes dans ta lettre: voilà Pierre marié. Le jeune ménage aura-t-il la bonne idée de venir nous voir quelques heures à La Rochelle, ce serait très chic!

Ici, rien de neuf. Le temps, sans être superbe, se rafistole un peu et l’on peut entreprendre quelques petites promenades. Mon départ d’ici et mon arrivée à La Rochelle sont toujours pour la fin de la semaine. Il est probable que je vous embrasserai samedi ou dimanche matin. Je vais tout à fait bien, à part quelques démangeaisons qui vont disparaître.

Pendant que j’y pense, je vais t’apporter un travail fou, car je vais arriver avec tous mes bagages et je te demanderai de passer une revue de détails à mes effets et surtout à mon linge qui a besoin, je t’assure, d’être vu par une mère.

Figure-toi qu’une dame très riche (la Mère d’un embusqué qui a suivi son Fils jusqu’à Dieppe pour avoir le plaisir d’habiter avec lui) m’a invité à dîner avec son Fils, demain soir. Je ne la connais pas et ai seulement fait la connaissance de son fils qui est bien plus âgé que moi et qui m’a l’air bien!! En voilà un amour fou! J’ai accepté, je verrai ce que c’est. Ce sont des Parisiens ayant hôtel et autos à Paris!!!! (Mme Watsau).....................

16 octobre

Dieppe. R.A.S.

17 octobre

Dieppe. R.A.S. Reçu chez Mme Watsau.

Merci de ta lettre n°53, du 14, de La Rochelle qui m’a fait plaisir, te sachant enfin tranquillement chez toi.

Ici, rien de nouveau, je vais de mieux en mieux, et m’échapperai d’ici samedi ou dimanche. Je compte donc être à La Rochelle dimanche ou lundi, au plus tard mardi, en cas de gros retard. D’ailleurs une dépêche, soit d’ici, soit de Paris, t’avertira à l’avance.

Reçu, ce matin, une fort aimable lettre du commandant de Roll qui me dit que ma place m’est soigneusement gardée à la 14°. Je te ferai lire d’ailleurs la lettre.

Or donc, hier soir à 7 h. 1/2 du soir (19h.30), je me présente chez Mme Watsau, dans une maison superbe et suis en présence d’une dame d’une soixantaine d’années, mais qui a du être fort jolie. Son fils (39 ans) est d’ailleurs un fort beau garçon, mais peu intelligent. Repas exquis, conversation variée et musique classique. Tous deux sont d’excellents musiciens et sur un « Pleyel » de 1° marque, ils ont joué plusieurs sonates de Beethoven. Je n’en avais pas entendu depuis le temps de la bande Schenck! Quel bon souvenir et quelle musique.

Puis, Mme Watsau, ayant parlé d’un plat étranger, du « curry » que je ne connaissais pas! me dit: Revenez demain matin, vous mangerez de ce plat que ma cuisinière réussit à merveille, mais qu’il faut manger le matin. J’y suis donc retourné ce matin, cette Dame fut aussi aimable que la veille et son plat aussi exquis qu’elle l’avait promis.

Puis, en causant, le fils, qui est employé à la Censure postale, me dit y connaître quelqu’un de La Rochelle, un nommé (Morche). J’ai sursauté et ai été voir ce Mörch qui n’est autre que le frère du Capitaine et le cousin d’Edouard. J’ai causé un moment avec lui et lui ai demandé s’il avait des commissions pour le « patelin » puisque j’allais y aller dans 3 ou 4 jours. J’oubliais d’ailleurs de te dire que Mme Watsau est née à Rochefort et sa famille a connu? les Belenfant, puis, à La Rochelle, une dame Botton? et une famille Dufour?

Une lettre de mon régiment me dit qu’ils n’ont pas eu par trop de pertes jusqu’ici à la Compagnie, mais qu’ils ont horriblement souffert du mauvais temps qui les a fait vivre dans de la boue et de l’eau. Moi qui connais le terrain, j’ajoute que je m’en doutais et que je vois ça d’ici. Pauvres bougres!.................

P.S. J’oubliais de te dire que ce brave Allard, mon protégé dont je t’ai parlé a été blessé dernièrement. Aucun détail.

18 octobre

Dieppe. R.A.S.

19 octobre

Dieppe. On m’avise que je pars demain avec 20 jours de permission. Adieux à tout le monde.

20 octobre

Départ à 5 h. du soir avec Louise qui va à Boulogne-sur-Seine. Voyage charmant.

21 octobre

Journée à Paris. Vais avec Louise à Boulogne. Départ le soir avec Magniez et le capitaine Gaillot.

22 octobre

Arrivée à La Rochelle. Vu E. Mörch. Jean Chagnaud est ici.

23-26 octobre

La Rochelle. R.A.S.

27 octobre

La Rochelle. Départ de Jean.

28 octobre

La Rochelle. (Gilberte)

29 octobre - 11 novembre

Permission à La Rochelle.

12 novembre

Départ à 8 h. de La Rochelle avec Poindessous, jusqu’à Paris. Rencontré Voisin.

13 novembre

Journée à Paris où je me suis plutôt ennuyé. Courses dans Paris.

14 novembre

Départ à 8 h. avec Voisin et au lieu de passer par Creil, je vais directement à Fère-en-Tardenois. Le Bataillon est à Mareuil-en-Dôle. Retrouvé tout le monde.

Me voici arrivé au milieu de tous mes Camarades, après un très bon voyage. Ma Compagnie est bien, comme l’avait dit Mörch, au repos dans le village où Jean C. a reçu la Légion d’Honneur.

Rien de nouveau. Je te donnerai des détails demain dans une vraie lettre. Pas de cafard le moins du monde, néanmoins, je pense à vous trois et aux bonnes journées que nous venons de passer..............

15 novembre

Mareuil-en-Dôle. Visite au Chef de Bataillon et au Colonel.

Hier, dans mon petit mot n°1 sur une carte postale militaire, je te faisais, sommairement, le 1° compte rendu d’installation au cantonnement. Je vais passer maintenant le second, plus détaillé.

Après un voyage qui s’est très bien effectué jusqu’à Paris et pendant lequel j’ai rencontré le lieutenant Voisin (mon ancien chef de section), j’ai changé d’itinéraire et, au lieu de passer par Creil (gare régulatrice où je devais rejoindre), j’ai pris directement le train pour F. en T. (Fère-en-Tardenois), aux environs de quoi est mon régiment. Mes bagages ont suivis jusque là et une fois arrivé à la Compagnie, j’ai envoyé une voiture les chercher. Donc, mon Bataillon est bien à M. (Mareuil-en-Dôle), village où Jean a reçu la Légion d’Honneur. La Division est toujours au repos à la disposition du G.Q.G., ce qui fait que nous pouvons aller partout, y compris l’Italie, bien entendu, mais le colonel Méquillet, que je viens d’aller voir il y a un quart d’heure, n’en sait pas plus que moi sur notre future destination... Attendons.

Comme Jean, je peux te dire que l’on m’attendait: une chambre très confortable avec un lit et de beaux draps blancs m’était réserve (soins attentifs du Fourrier Parriat). Mon ordonnance prêt à recevoir mes instructions, etc..., etc... L’après-midi, visites aux officiers du Bataillon. Le commandant, d’Olce et plusieurs sous-lieutenants sont en permission. Vu le capitaine Vérit avec qui j’ai fait la paix complète à propos de notre altercation dont je t’ai parlé: il m’a invité à dîner pour ce soir. Moresmeau, mon Commandant de Compagnie, ainsi que Saudaran et Lafougère, mes camarades de Compagnie m’ont reçu très gentiment.

Ce matin, visite à ma section. Je crois vraiment qu’ils sont contents de me voir revenir. Je te le dis sans fatuité mais avec satisfaction; ils m’ont tous fêté, entouré, etc... etc... J’ai commencé par m’occuper aussitôt d’eux en les faisant changer de cantonnement, la leur n’était vraiment pas bien. Beau début dont ils me sont reconnaissants. Quels braves gens ces pauvres types et qu’ils sont malheureux. Après 45 jours dans une vie normale, je me suis apitoyé de les voir sur cette paille dans une grange à peine close. Quelle guerre!

Cet après-midi, visite au Colonel, très aimable comme toujours avec moi. Je suis en règle maintenant et je n’ai plus qu’à me remettre à ce vieux métier qui ne me rebute pas du tout, je t’assure. Parriat s’était trompé, Traimond n’est pas rentré encore au Régiment (ça ne m’étonne pas!!) Il est seulement affecté au C.I.D., moi à la 14°. J’aime mieux ça à beaucoup de point de vue.

Voila des détails, je pense. Et vous? Pas trop de cafard? Donne-moi, toi aussi, beaucoup de nouvelles, les dents de Muguette? Jean C.? Mon portrait? etc... etc... Je te quitte, car j’ai au moins 36 lettres à faire................

P.S. Merci à Mad. pour avoir payé le commissionnaire.

16 novembre

Mareuil-en-Dôle. Préparatif de départ.

17 novembre

Mareuil-en-Dôle. R.A.S. Nous partons demain à pied.

Rien encore de toi aujourd’hui et je n’espère pas en avoir demain car nous serons en plein déménagement. En effet nous quittons M. (Mareuil) demain matin et allons faire pendant 2 jours, 2 étapes à pied vers le sud, puis c’est encore l’inconnu. D’après les prévisions, nous embarquerons très probablement en chemin de fer, mais personne ne sait encore de quel côté. Ainsi, depuis hier, ce ne sont que des préparatifs de départ, ce qui donne toujours un certain surcroît de travail.

En défaisant mes bagages, j’ai constaté que ma paire de gros souliers n’y étaient pas, j’étais pourtant persuadé que je l’avais serrée. M’a-t-elle été volée ou la trouves-tu à la maison? Dans ce dernier cas, tu seras bien aimable de me l’envoyer en un ou deux paquets suivant le poids et le mode de transport.

Ici, temps brumeux et froid, mais pas de pluie. Village, très ordinaire mais partout des inscriptions du 152°. Une femme d’ici, m’a dit que le médecin-chef de ce régiment avait soigné son enfant malade de la rougeole.

J’ai fait porter la lettre de sa mère à Mörch, dès mon arrivée, mais je ne l’ai pas encore vu moi-même et n’ai pas pu lui raconter une blague au sujet de ses gâteaux. Bon ménage avec mon Commandant de Compagnie, je pense que cela ira très bien. Il commence d’ailleurs par s’en aller en permission le 22 prochain, me laissant le commandement de la Compagnie pour une quinzaine de jours.

Avez-vous de bonnes nouvelles de Jean C. et sa mauvaise position s’est-elle un peu améliorée. Je te quitte car il faut que j’aille passer une revue à ma section. Où donc va-t-on nous emmener dans 3 ou 4 jours...................

18 novembre

Départ à 7 h. et cantonnement à Brécy. Nous devons aller demain à Château-Thierry.

19 novembre

Départ de Brécy et arrivée à la ferme de Lanconnois!! (3 km de Château) où nous devons rester quelque temps.

20 novembre

Alerte. A 9 h. du matin, distribution de 4 jours de vivres et embarquement en auto? Toute la journée en auto. Arrivée à Golancourt (3 km de Ham) à 11 h. Noyrcy. Cantonnons.

21 novembre

Golancourt. Repos. Pourquoi est-on là? Succès anglais près de Cambrai. Est-ce la cause?

Je ne t’ai pas écrit depuis le 17 (la n°3) car nous avons été continuellement par voie et par chemin. Voici quelle est notre odyssée:

Partis de M. (Mareuil) le 18 au matin, nous avons fait une étape à pied vers le sud, puis le lendemain 19, une autre étape, à pied toujours vers le sud ce qui nous a amenés aux environs immédiats de C.... T....y (Château-Thierry) où nous devions rester un certain temps, puis embarquer en chemin de fer pour prendre la direction de la Lorraine.............Mais! le 20 à 4 heures du matin, c’est à dire dans le courant de notre 1° nuit, alerte! nous touchons immédiatement des vivres pour 4 jours et sommes embarqués dès le matin en camions-autos.

Nous roulons toute la journée vers le nord, ne sachant ce qui se passait et débarquons hier soir (20 au soir - 20 h.), comment dirai-je, dans un pays tout près du secteur Anglais, voisin de la Somme à Ham pour ne pas dire le nom (tant pis si la censure le voit!). Ici, cantonnement ordinaire mais beaucoup d’agitation sur les routes. Nous ne savons pas au juste ce qui se passe et ce qui nous a valu ce déplacement subit et immédiat.

Attendons! La pluie est venue nous trouver. Le village est au milieu d’un pays très plat et peu intéressant. Les habitants ont toujours présent à la mémoire, l’occupation Boche et nous reçoivent très aimablement

Reçu ta lettre n°1 au milieu de ces pérégrinations. Je suis content de vos bonnes nouvelles. Vu Mörch: il a l’intention de dire à sa mère que ses gâteaux étaient excellents. Il a très bien pris la petite histoire que je lui ai racontée. Très chic, si Mme de Sairigné te remet mon portrait tout encadré. Tiens-moi au courant, je te prie.

Ecris-moi bien si cette lettre t’est arrivée sans encombre, car j’ai des inquiétudes. Si tu vois sur les journaux quelque chose de nouveau dans cette région, tu sauras que je m’y trouve. Cela peut-être intéressant..........

22 novembre

Golancourt. Repos. Attente.

23 novembre

Golancourt. Départ de Moresmeau. Visite de Jean du Sault!! Les tanks sont par ici.

Rien de toi depuis ta lettre n°1 du 16, dont je t’ai déjà accusé réception avant-hier. Je n’y comprends rien mais j’espère qu’il ne vous est rien arrivé de fâcheux.

Nous sommes toujours aux environs immédiats de H. (Ham) et toujours prêts à partir au premier signal. Tu as vu dans les journaux ce que les Anglais ont fait tout près de nous. C’est beau et change notre ancienne tactique; c’est probablement à cause de cela que l’on nous a envoyé jusqu’ici, mais pour le moment, nous ne bougeons pas.

Le commandant de Roll est arrivé ce matin, et, à sa place, Moresmeau est parti, ce qui fait que je commande la Compagnie jusqu’au 10 décembre. Le capitaine d’Olce vient de perdre sa Mère et, de ce fait, a une prolongation de 3 jours à sa permission.

Rien de nouveau à part cela, mes boutons ne réapparaissent plus et je ne me gratte pas du tout. J’espère que cette fois-ci, je suis complètement guéri. Je ne veux pas fermer ma lettre avant que le vaguemestre passe, pour t’accuser réception d’une lettre de toi, s’il y en a une, ce que j’espère vivement. Donnez-moi des nouvelles de Jean C.. Est-il toujours dans sa mauvaise situation?

Bons baisers à Mad et au Muguet. Dis à Mad. de transmettre mes amitiés à Mademoiselle R.......................

A l’instant, je reçois tes 2 lettres n°2 et 3. Il y avait eu du retard par suite de nos déplacements successifs. Bien content que Ginette ait envoyé le portrait. Voyons! Tu ne me dis pas si tu te trouves vraiment bien et vraiment ressemblant??

Tu peux aller trouver Madame Gombeaud, car je viens de faire une n.ième demande, encore aimablement transmise par le Colonel. Le vaguemestre va partir. A bientôt une autre lettre................

24 novembre

Golancourt. Jean vient déjeuner et je vais le raccompagner à Flavy-le-Martel. Visite aux tanks! Retour à cheval.

La lettre que tu as reçue hier a du t’apprendre par la contre-signature, que j’avais eu la bonne surprise de voir apparaître Jean du Sault à ma popote. Ils sont, en effet, tout près de nous, je ne sais si nous allons travailler ensemble! Aujourd’hui, il a pu venir déjeuner avec moi et tous deux vous envoyons nos meilleurs baisers.

Rien de nouveau jusqu’à présent. Toujours au même endroit..................

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Ma chère Tante,

Je t’écris par le même courrier. Tu auras tous les détails de notre entrevue sur ma lettre.

Mille baisers. Ton neveu affectionné.

J. Dusault. AS.101. B.C.M.. Panam.

25 novembre

Golancourt. Promenade à Ham avec Jean.

26 novembre

Golancourt. Exercice interrompu. Préparatifs de départ.

27 novembre

Départ de Golancourt à 22 heures. Nous embarquons en chemin de fer à Ham.

Par Madeleine et par mes précédentes lettres, tu es au courant de mes différentes entrevues avec Jean du Sault. Je t’écris toujours du même village, mais nous en partons cette nuit, et allons nous embarquer en chemin de fer à H. (Ham). Où allons-nous encore aller? Personne ne le sait. Ce déplacement dans cette région n’a servi à rien puisque nous en partons sous avoir rien fait. On devait prévoir quelque chose qui n’est pas arrivé.

C’est donc de nouveau l’inconnu, et qui sait maintenant de quel coin du front te viendra ma prochaine lettre? Ma lettre sera courte, car tu vois d’ici les différents détails très variés dont j’ai à m’occuper pour faire transporter mes 180 bonshommes, mes 3 voitures, mes 7 chevaux et tout le monstrueux matériel que traîne après 3 ans 1/2 de guerre une simple compagnie d’infanterie.

Je viens de recevoir une très aimable lettre du capitaine Strohl, toujours heureux dans son coin. Si seulement nous allions du coté de chez lui! C’est le filon là-bas! Au revoir, chère Maman, je n’ai rien de toi depuis ton n°3 du 20 et avec ces déplacements, j’ai encore à attendre!................

28 novembre

Journée en chemin de fer. Débarquement à Mussey et cantonnement à Neuville-sur-Ornain entre Revigny et Bar-le-Duc.

29 novembre

Neuville-sur-Ornain . R.A.S.

Le courrier n’est pas encore arrivé et je n’ai encore rien depuis ta lettre n°3 du 20. Avec tous ces déplacements, cela n’a rien d’étonnant, mais j’attends une lettre avec beaucoup d’impatience.

Notre déplacement en chemin de fer est fait. Nous sommes actuellement dans un village aux environs de B.l.D. (Bar-le-Duc) ce qui me donne à croire que dans quelques jours nous allons nous rendre dans un secteur proche de celui de Jean C.. Ca cogne un peu de ce côté; il faut bien que nous y allions faire un tour. Je tâcherai de voir mon cher beau-frère au passage, s’il n‘en est pas déjà parti.

Figure-toi que je suis installé comme un pacha dans une chambre japonaise d’un luxe inouï, je suis cent fois mieux que le chef de Bataillon. Il est vrai que c’est moi qui, en qualité de commandant de compagnie de jour, était chargé de faire le cantonnement. La 14° est très bien installée et j’ai tout sous la main dans un petit quartier séparé du reste du village (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas mis le Commandant dans cette chambre).

Madeleine a du te dire que j’avais écrit au colonel Gombeaud, car je viens de faire une demande de passage dans l’active. J’ai également écrit aux Tetlow et à tante Alice à l’occasion de la mort de Mlle Wizerie.

Notre séjour aux environs de H. (Ham) est donc terminé maintenant. Je vais écrire à Jean du Sault pour savoir ce qu’il est devenu. La visite que j’ai faite à ses appareils m’a intéressée. J’ai vu également son chef de service: un toubib à l’air aimable.

Je te quitte, car je n’ai plus rien à te raconter, mais ne fermerai ma lettre qu’après le passage du courrier qui, je l’espère, m’apportera quelque chose de toi ou de Madeleine.....................

30 novembre

Neuville. Revue du général Menvielle qui nous annonce que nous allons prendre un secteur sur la rive droite de la Meuse, ni bon, ni mauvais (beaucoup de gaz).

1 décembre

Neuville. Exercice.

Hier, j’ai reçu ta lettre n°5 du 27-11, il y a donc encore en retard ta lettre n°4 que je n’ai pas reçue et qui m’arrivera certainement un de ces jours. Sur mon adresse, tu vois que je ne mets plus mon nom, cela vient d’être interdit par le service postal, pourquoi? Je n’en sais rien. Je te renvoie ci-joint l’enveloppe que tu m’as envoyée. Tu dois savoir maintenant l’explication de l’apostillage de Jean du Sault.

Nous sommes toujours au même village, mais le Général de Division est venu voir hier tous les officiers du Régiment et nous a fait part que nous allions prendre un secteur de la rive droite « ni plus mauvais, ni meilleurs ». Nous partirons donc d’ici 2 ou 3 jours pour nous en approcher. A cette réunion d’officiers, j’ai donc vu Mörch qui va toujours très bien et qui est d’un chic inabordable!

Je vais écrire prochainement à Schenck, mais cet animal là, au lieu de réclamer une lettre de moi « à cor et à cris » pourrait bien m’écrire le premier, il me semble. Quant à Roger, je lui souhaite un bon voyage en Italie. Ca se calme d’ailleurs un peu de ce côté là

Ci-joint le menu d’aujourd’hui, qui était assez bien réussi comme forme par notre chef de popote. Le courrier n’est pas encore arrivé, j’aurais pourtant voulu voir si je n’avais rien de toi. Quelle sale administration, en ce moment. Rien ne va et tout le monde s’en plaint. Je te quitte, n’ayant plus rien à te dire, et vais faire une promenade à cheval...........

2 décembre

Neuville. Visite du général Guillaumat (2° Armée) qui nous met à la disposition du 17 C.A.

3 décembre

Neuville. Exercice.

J’ai bien reçu ta lettre n°6 du 28, mais ton n°4 ne vient toujours pas et je crains bien qu’il ne soit perdu. Enfin je sais que tu es au courant de mes entrevues avec Jean du Sault. Sa mère m’a écrit hier un mot, mais ne savait pas encore que nous étions vus. Elle me disait que nous étions dans les mêmes parages et me demandait de le chercher. Je vais lui répondre un de ces jours.

Nous sommes toujours dans le même village, mais allons en partir demain ou après-demain, je crois (je suis sur) monter en pour nous diriger vers les lignes, desquelles nous nous rapprocherons par chemin de fer. Hier, visite du Général d’Armée (Guillaumat), grand chef aimable, je ne peux te dire son nom car Anasthasie me le défend, mais c’est lui que Grand-Père Moreau, ou Mr Combeaud, connaissait. J’espère que tu comprends.

Le secteur, parait-il, n’est pas trop mauvais, mais il y a de l’eau et de la boue jusqu’au nombril, il n’est pas aménagé parce qu’on s’y est battu récemment et enfin il y a des gaz! Ne t’inquiètes pas trop de ce mot de gaz: nous commençons à savoir tout à fait nous en garantir.

Aujourd’hui, froid très vif et très piquant. Hier, neige qui a tenu un peu. C’est l’hiver sérieusement maintenant. Et vous allez-vous bien, et avez-vous bien de quoi vous chauffer? J’oubliais de te dire que j’ai reçu un gros colis de l’île Maurice et que je me fais un plaisir de t’envoyer un colis de sucre. Accuse-m’en réception, je te prie.

Au revoir, chère Maman, on m’appelle pour aller déjeuner et je te quitte en vous embrassant tous les trois de tout coeur....................

4 décembre

Neuville. Exercice.

5 décembre

Neuville. Les 5° et 6° Bataillon partent en chemin de fer. Préparatifs de départ.

Reçu avant-hier ta lettre n°7, pas de nouvelles de ton n°4, je le crois bien perdu, cette fois-ci. Tant pis pour les souliers, je n’y comprends rien car dans ce sac, j’avais des objets autrement plus attirants pour un voleur (jumelles par exemple). N’en parlons plus.

Toujours dans ce même village, mais nous en partons le 7 dans la journée. Nous nous rendons dans une contrée que j’ai beaucoup fréquentée aux mois de mars-avril 1916, puis nous prendrons un secteur dont on parle assez peu en ce moment, un peu à gauche de celui que nous avions en août-septembre 1916. Tu comprends n’est-ce pas?

Il fait un froid de canard. Tout est complètement et profondément gelé, et sans feu, là-haut, par ces longues nuits, ça ne sera pas très amusant, surtout si le secteur n’est pas organisé comme on nous le fait pressentir. Tu parles! A nous, les peaux de moutons, les cache-nez, passe-montagne, etc...

Merci de la carte d’Henri Brumauld, je lui répondrai prochainement puisqu’il m’a donné son adresse. Madame Tetlow m’a répondu une carte formidable. Rien encore de Tante Alice, ni du colonel Gombeaud. Ci-joint quelques menus qui vous amuseront peut-être. Donnez-les à Muguette qui jouera avec eux...............

6 décembre

Neuville. Préparatifs de départ.

Deux mots seulement pour te dire que rien n’est changé et que nous quittons ce bon petit cantonnement demain matin. Je n’aurai donc pas le temps de t’écrire. Reçu hier ta lettre n°8 contenue dans celle de Madeleine. Merci beaucoup à toutes les deux. Tante Alice, elle aussi, m’a répondu. Rien encore du colonel Gombeaud.

Nous avons toujours un froid très persistant, mais sec, ce qui le rend facile à supporter. Malgré tout, je vais à merveille et ne suis même pas enrhumé. Au revoir, chère Maman, je t’écrirai de là-bas maintenant mais mon bataillon commence par être en réserve..................

7 décembre

Départ de Neuville. Voyage en chemin de fer jusqu’à Dugny. De là, à pied, jusqu’au camp Driant.

8 décembre

Camp Driant. Installation dans les baraques.

Merci de ta lettre n°9 que je reçois à l’instant dans ma nouvelle installation. Je ne sais si je t’ai dit que le Bataillon ne montait pas tout de suite. Nous sommes en réserve pour x jours dans un camp à quelques kilomètres en arrière, assez loin pour ne rien recevoir, ni obus, ni gaz. Nous sommes donc mal installés, mais tranquilles (à très peu de kilomètres de ta ville) (Verdun). A l’heure actuelle, le brave Mörch est en 1° ligne: chacun son tour n’est-ce pas?

Hier, en voyageant, j’ai vu des poilus du 15-2 qui connaissaient parfaitement Jean. Ils prenaient les lignes immédiatement à notre droite. Au cas où Jean soit au repos ou tout au moins pas complètement en ligne, j’ai envoyé 3 cyclistes dans toutes les directions, ils me rapportent le renseignement suivant: l’E.M. du 15-2 est encore en ligne, jusqu’à demain ou après-demain. Je vais donc faire chercher tous les jours un peu ce bon toubib. Une entrevue nous fera du bien à tous les deux.

Aujourd’hui, moins de froid mais temps très brumeux, presque pluvieux. Tu as amené un sourire béat sur ma figure (cette facétie est pour Mad.!!!) en me parlant de ta nouvelle famille de connaissance. Le « possesseur de cette fille charmante » a-t-il un tantinet de fortune et « l’objet possédé » est-il vraiment joli et charmant. Quel âge, etc... etc... Un peu de tuyaux s.t.p.

J’espère que toutes les trois, vous portez aussi bien que moi. Ici, tout est bon: moral et physique; chez les poilus: c’est presque la même chose, il ne faut pas trop se plaindre. Moresmeau va rentrer dans 2 ou 3 jours, je ne commanderai donc pas la Compagnie au feu. Tant pis et tant mieux!!.................

P.S. La demoiselle de Palaiseau (31 ans) si aimable, vient de m’envoyer aujourd’hui une lettre de 16 pages signées « Aline ». C’est la première fois qu’elle signe ainsi!! Folie!!! Je te jure qu’il n’y a aucune provocation de ma part. C’est roulant!

9 décembre

Messe à Belrupt. Promenade aux casernes Miribel pour essayer de voir Jean C. qui est par ici.

10 décembre

Driant. Jean vient me voir et déjeune avec nous. Je vais le raccompagner à Dugny à cheval. Vu Hernette.

Juste un petit mot pour vous annoncer que nous nous sommes trouvés tous les deux, à notre grande joie. Je pars à cheval accompagner Jean chez lui et vous écrirai plus longuement ce soir...........

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Ma chère maman,

ma chère madeleine.

Nous sommes ensemble, Georges et moi, heureux, comme vous le pensez, de nous être retrouvés et de penser à vous, de si loin! Demain j’aurai Georges à déjeuner. Je vous embrasse toutes deux de tout coeur, sans oublier naturellement ma petite Muguette et je passe le stylo à Geo.

Dr Chagnaud

11 décembre

Promenade à Dugny où je déjeune à la popote du colonel Barrard du 152. Jean me raccompagne.

12 décembre

Driant. Visite de Jean. Retour à cheval.

13 décembre

Driant. Déjeuner à Dugny.

Ma lettre du 11, adressée à Mad., t’aura appris notre rencontre avec Jean, à notre grande satisfaction, tu le devines. Hier et aujourd’hui, nous avons continué à nous voir. Hier, Jean est venu déjeuner et je l’ai raccompagné à cheval. Aujourd’hui, j’ai déjeuné chez lui et je le quitte à l’instant à mon camp où il est venu me reconduire.

J’ai assisté ce matin à l’arrivée de son courrier qui contenait 2 lettres de Mad. Il souriait béatement en les lisant et m’a dit depuis que c’étaient les larmes du Muguet à l’addition du « petit oreiller » qui en était la cause. Moi aussi, j’ai reçu 2 lettres de toi en arrivant, les n° 11 et 12. J’y réponds donc ainsi qu’au n°10, reçu dernièrement. D’abord un petit reproche: tu ne me parles pas du tout de la décoration de l’Oncle Louis, c’est Jean qui me l’a appris et je lui ai écrit le soir même.

J’ai reçu une très aimable carte du colonel Gombeaud. Il a écrit à mon Colonel et me demande les n° de ma Division, Corps d’Armée, Armée, etc... Je vais lui répondre prochainement.

Ne te tracasse pas pour mes lainages. J’ai en ce moment tout ce qu’il me faut, je t’assure, et n’ai besoin de rien. Merci. Accuse-moi réception du sucre quand tu l’auras. Je viens de recevoir, hier, un nouveau colis de l’île Maurice et j’ai réservé cette fois-ci de la confiture de goyave pour Mad. Je lui enverrai dès que possible.

Quel peut-être l’officier du 234 rencontré à La Rochelle par Mad.? Un grand, gros, rouge à 2 galons?? Je ne savais pas que Daniel était en Italie. Ta lettre me l’apprend ainsi qu’une carte de Mad. du Sault reçue ce soir, carte illustrée par elle-même et ne manquant pas de chic, je t’assure.

Je ne vois plus rien à te raconter si ce n’est que nous sommes toujours en réservé: assez bonnes nouvelles des 1° lignes. Nous allons aller les relever d’ici peu. Aujourd’hui, ça cogne assez fort et ce matin j’ai encore vu quelque chose d’inédit: une « saucisse », autrement dit un de nos ballons captifs, descendu en flamme par des avions boches, presque au-dessus de notre camp. Les observateurs ont eu le temps de sauter, suspendus par leur parachute. Ils sont tombés sans mal, je crois....................

P.S. Jean vient déjeuner demain ici.

14 décembre

Driant. Rentrée de Moresmeau. Visite de Jean.

Un de mes camarades de la 15° compagnie, avec qui nous mangeons et par conséquent qui a vu Jean tous ces jours-ci, part ce soir en permission et veut bien se charger de cette lettre pour toi et d’une boîte de gelée de goyave pour Madeleine. Il ira à la maison et vous verra probablement toutes les deux.

Jean et moi continuons à nous voir quotidiennement, mais ce bonheur va avoir une fin car Jean part le 16, et nous allons monter aux 2° positions le 17, puis 10 jours après, si rien ne change, nous irons en 1° lignes. C’est le mauvais moment qui va commencer. Tout a une fin. Ne vous en faites pas trop.

Rien de neuf à part cela. Lassalmonie te dira que Jean et moi nous portons à merveille...............

15 décembre

Driant. Déjeuner à Dugny. Adieux à Jean qui va partir pour le repos.

16 décembre

Driant. R.A.S.

17 décembre

Driant. Préparatifs au départ de demain matin pour les 2° lignes. (Réserve à Navaux)

Deux mots seulement pour t’annoncer que nous quittons le camp cette nuit pour aller où tu sais. Je t’écrirai maintenant un petit mot le plus souvent possible. La dernière lettre que j’ai reçue de toi est ton n°13 du 12. Tu ne savais pas encore que Jean et moi nous étions rencontrés.

Aujourd’hui très froid, il tombe de la neige à gros flocons et nous partons à 4 heures du matin. Il ne va pas faire chaud, mais je monte dans de très bonnes conditions. Je me porte à merveille en ce moment.

Excuse mon papier à lettres, mais tout est serré et je n’ai que ça sous la main. Je suis content que le sucre te soit arrivé. J’espère qu’il en sera de même de la confiture de goyave. Hier encore, j’ai reçu un 3° colis de l’île Maurice: je n’y comprends rien. Mme de Cayla me comble!

Reçu aujourd’hui une carte d’Hernette qui a rencontré Mad., parait-il, sous le palais. Je pense que voilà bien des renseignements sur notre entrevue et que vous avez beaucoup de nouvelles de nous. Merci pour les truffes: elles seront les bienvenues. Merci aussi des renseignements sur Mlle Thérèse. Nous verrons cela à ma prochaine permission............

18 décembre

Départ de Driant à 2 h. du matin. Passé la journée au ravin des Vignes par un froid épouvantable. Partis pour Navaux par la nuit.

En route vers la haut. Quel froid! Neige et vent excessivement violent qui cingle la figure.

Traversé des pays bien connus, mais ravagés et abîmés d’une façon inouïe.

Je ne peux plus tenir mon stylo et vous embrasse très tendrement toutes les trois.....................

19 décembre

Installation à Navaux où l’on ne peut se montrer le jour (vu du bois de Fays). Horriblement mal. Neige et froid terribles.

Me voici arrivé en secteur! Quel pays ravagé! Ce que Jean a pu écrire à Madeleine sur ce pays, je ne pourrai que te le répéter. C’est inouï, inimaginable, et même à des types comme Jean et moi, habitués à en voir de « drôles », cela ne peut que nous étonner.

Pour vous qui ne l’avez pas vu, c’est inutile de vous figurer ce que cela peut-être. Nous avons depuis 3 jours un froid très vif, précédé de neige, ce qui fait que le décor terrain nous parait encore plus dénudé. Nous avons l’air isolé du reste du monde dans un pays lunaire où tout le terrain est bouleversé, où tu ne passes que sur des pistes contournant des trous d’obus. (Tous les trous se touchent ici). C’est insensé.

Mais ce froid nous a rendu un service inappréciable: celui de faire la relève sans boue, ce qui est impossible dans ce secteur, même en plein mois d’août (souvenir de l’an dernier). J’ai vu des soldats dans des états impossibles à décrire tellement ils étaient sales.

Tandis que le sol était, hier et avant-hier (car les relèves se font en 2 nuits, tellement c’est pénible et long) très gelé et très glissant. Tout le monde tombait et, à force de faire de l’équilibre sur les jambes, j’ai les mollets complètement courbaturés!. Mais nous sommes propres! Cela ne durera pas longtemps, car nous n’avons pas d’eau et que nous allons rester 20 jours sans pouvoir, ni nous laver, ni nous raser. Ceux que nous avons relevés m’ont fait éclater de rire quand je les ai vus. Il est vrai (est-ce un état nerveux) que j’ai eu le fou rire tout le temps de notre relève, tellement je me « plaquais » et tellement j’ai relevé de types tombant comme des mouches! Le secteur est relativement calme. Pas de gaz pour le moment, et pas de pieds gelés: ce sont les 2 principaux ennemis. Le Boche est la 3°. Ce temps est donc épatant et quoique froid, nous le préférons à la pluie.

Avez-vous reçu la visite de Lassalmonie? Je voudrais bien qu’il vous ait vu pour vous donner des nouvelles de Jean et de moi. Hier, en venant ici, je suis passé à F.(Fleury) où j’ai passé 10 jours si mauvais en août-septembre 1916. J’ai revu nos anciens emplacements. C’était déjà bien abîmé, mais c’est fantastique en ce moment. Sur des kilomètres et des kilomètres carrés, pas une route, pas un village, pas un bois, pas un boqueteau, pas un sentier, pas une fontaine, pas une ferme, pas un cours d’eau, pas un brin d’herbe, pas un arbre. Des trous d’obus et des trous d’obus à perte de vue!!! Et quels trous d’obus!!!!

Je te quitte. Ne vous en faites pas ça ira et dans 20 jours la fuite ......... vers d’autres lieux plus hospitaliers............

P.S. Mon ancien camarade d’active: l’adjudant Richarme s’est noyé dernièrement dans un trou d’obus. Il était marié à Mlle Duclos (peintre, rue Chef-de-Ville). N’en parle pas!!!

20 décembre

Navaux. Toujours très mal. Beaucoup de froid et de neige. Travaux au boyau A3.

J’ai oublié de te dire dans ma lettre d’hier que j’avais reçu ton n°13 auquel je répondrai plus longuement cette nuit ou demain. Rien de nouveau depuis hier. Nos voisins d’en face sont calmes en ce moment. Le froid continue: pas de boue, c’est épatant!.............

21 décembre

Navaux. Travaux de nuit.

Je n’ai pas encore eu le temps aujourd’hui de t’écrire longuement. Je te promets de le faire à la prochaine occasion. Rien de toi encore depuis ton n°13.

Ce petit mot te dira donc que tout va merveilleusement bien. Beau temps, froid: donc pas de boue et du soleil. Pas de gaz non plus en ce moment et peu d’obus....................

22 décembre

Navaux. Travaux.

23 décembre

Navaux. Travaux.

(Toujours du même trou - 23 heures)

..........Tu auras passé un jour sans avoir de lettres de moi: c’est de ma faute et je te demande pardon. En revenant d’une tournée en ligne, comme je me disposais à t’écrire, on me dit que le courrier était parti: c’était trop tard et j’aurais dû m’y prendre plus tôt.

Ne t’inquiètes pas pour cela. Tout va bien au point de vue santé, sauf un petit rhume attrapé en surveillant des travaux, mais ce n’est rien. Dame! il fait si froid que cela n’a rien d’extraordinaire. Le moral est excellent, ça, je te le garantis.

Nous sommes dans un trou de 15 mètres cubes à peu près: 3 officiers: Moresmeau, Lafougère et moi: le fourrier et un ordonnance pour faire notre service. Pas de feu, mais nous sommes tellement les uns sur les autres que nous n’avons pas froid. Là, c’est une succursale de la cave de Moulainville (tu sais, cette cave où nous avons été si gais l’année dernière: voir photo!) Nous rions, jouons et causons comme des gosses. Je t’assure que nous n’avons pas le cafard!

La nuit: reconnaissance, travaux, etc... etc..., tout le monde dehors ou en circulation. Le jour: impossible de montrer le bout du nez: Fritz nous voit de partout: c’est là que nous dormons et devisons gaiement. Ainsi le temps passe.

Je réponds à tes lettres 14,15 et 16 que je viens de recevoir: tout m’est très bien arrivé, comme tu vois. Tout est réparé pour l’oncle Louis, puisque j’ai écrit dès que je l’ai su (par Jean). Il m’a d’ailleurs répondu, ce brave oncle, mais Grand Dieu, il va falloir que Jean et moi lui écrivions pour lui remonter le moral. Sa lettre n’est qu’une suite de lamentations, sur lui, sur Jean, sur Roger, sur Maurice, et même sur Ninette qui « passe dans ce trou, ses plus belles années »!! Un peu de ressort! Quoi. Heureusement que Mad. et toi n’êtes pas comme ça, sans ça, quel cafard j’aurais!

Je suis bien content que Lassalmonie vous ait porté de nos nouvelles si rapidement: c’est un brave type, et je le remercierai à son retour de permission. Merci de cette opération financière que tu as faite en mon nom et qui ne peut qu’être très bonne. Tu m’expliqueras cela en détail à ma prochaine permission. Toutes mes économies doivent être comprises là-dessus, je suppose. C’est vrai, j’avoue que j’ai beaucoup dépensé cette année, mais aussi: Palaiseau - Lunéville - Dieppe !!!!! Je tâcherai de t’envoyer quelque chose à ma descente des lignes.

Je suis renversé de la nomination du commandant Schenck, je le croyais inamovible jusqu’à sa retraite. Tu ne trouves pas que cela fait quelque chose de les voir partir: on était si habitué à eux: je vais leur écrire.

Ne me plains pas comme tu fais: je t’assure qu’en ce moment: ça va très bien, grâce au temps, grâce à je ne sais quoi: le secteur est relativement calme. Vrai: personne ne s’attendait à si bon! Il est vrai que si la boue vient, c’est le désastre!

Pauvre Bouyé! Tiens-moi bien au courant de cette histoire. Pourvu qu’ils n’en soient quittes que pour la peur! Je suis au courant de cet accident de chemin de fer à St-Jean de Maurienne. Merci de tous les détails très complets de ces trois lettres. Cela me fait grand plaisir, je t’assure...................

24 décembre

Navaux. Reconnaissance des premières lignes. Secteur de gauche du Bataillon où nous allons aller le lendemain.

25 décembre

Départ de Navaux à 18 h. pour les premières lignes. Neige, mais temps superbe. Très froid. Pleine lune.

Quel beau « Christmas » nous passons aujourd’hui! Cette nuit il a neigé continuellement et j’ai été une bonne moitié du temps dehors. Aujourd’hui beau temps mais au moins 20 centimètres de neige! Nous allons changer de place de soir et je vais être un peu isolé avec mon peloton, mais pas beaucoup plus mal. Le secteur continue à être calme. Tu le vois d’ailleurs par les communiqués avec ce temps froid, toujours pas de boue. Cela va bien jusqu’à présent (un seul blessé à la Compagnie: d’une balle.... en plein trou de.....idem: peu grave).

Rien de neuf depuis avant-hier, pas reçu de lettres intéressantes: j’ai écrit au commandant Schenck une lettre que j’ai fait le plus aimable possible, à l’occasion de leur départ. Je vous souhaite de vous distraire plus que nous ici dans notre trou, pour passer ces fêtes.

Qu’est-ce que le Petit Jésus a mis dans le soulier du Muguet, cette année? Embrasse le bien, ainsi que sa Maman de ma part, je te prie. Mon rhume suit son cours: ce n’est rien. Je crois que j’ai des Totos!!!..............................

26 décembre

C.R. le Fays. Compagnie de Réserve. Je suis isolé de Moresmeau et commande mon peloton derrière la 15°. R.A.S.

Me voici dans un nouveau domaine, pas plus beau que le précédent, au contraire, mais un peu isolé et plus mon maître. Rien de nouveau. Tout va bien jusqu’à présent. Beaucoup de neige, mais nuits superbes.

Reçu hier ton n°17 auquel je répondrai bientôt...................

27 décembre

C.R. le Fays. R.A.S.

Je n’ai pas eu le temps encore aujourd’hui de t’écrire longuement bien que j’ai reçu hier ta lettre n°18 dont je te remercie. Tout va bien jusqu’à présent. Toujours de la neige et du froid. Assez calme.

Mon rhume suit son cours. A demain une plus longue lettre, j’espère....................

28 décembre

C.R. le Fays. Bombardement très sérieux de notre secteur (à cause des travaux sur la neige).

29 décembre

C.R. le Fays. R.A.S.

Je suis encore en retard aujourd’hui pour venir t’écrire, mais c’est la faute de nos ennemis qui ont été assez turbulents ces dernières 24 heures. Ne t’inquiètes pas outre mesure, je n’ai pas eu de mal jusqu’à présent à mon peloton. Je vais avoir des nouvelles du reste de la Compagnie dans quelques instants. J’espère qu’il sera aussi heureux que moi.

Le temps continue à être horriblement froid, et il y a tant de neige que les boyaux sont comblés, on en a au-dessus du genou à certains endroits. Mais je vais très bien et mon rhume est presque terminé. Tout va bien mais je suis sale, et comme nous allons rester en secteur plus longtemps qu’on ne devait le faire, mon ventre va servir de terrain de football aux Totos.

Avant-hier, j’ai reçu 3 colis à la fois:

1°/ ton gros dont je te remercie et qui me régale.

2°/ le tout petit du Muguet, j’ai été très touché de son bon coeur et je lui ai écrit aussitôt.

3°/ Un colis de Ginette de Sairigné, contenant des livres.

Je réponds également ce soir à tes n°17 du 22, 18 du 23, 19 du 24 et 20 du 25. Tu vois que je suis un peu en retard, mais la lettre à Muguette vous a fait voir que j’étais en bonne santé. Dieu! que je suis mal installé. C’est avec une boîte sur les genoux comme table, que je fais tout mon travail de paperasses et toute ma correspondance!

Hier, j’ai reçu la visite de Mörch, dont le bataillon est un peu derrière nous. Il est venu faire une corvée et a poussé jusqu’à moi. Il vient d’être soigné pour la gale lui aussi, et comme ça lui reprend, il va tâcher de se faire évacuer. Il l’a presque aussi forte que moi.

Pauvre petit Ziquet Bouyé, et surtout pauvre Famille. Tiens-moi bien au courant. D’ailleurs, je te remercie de m’écrire aussi souvent en ce moment. Tes lettres me font grand plaisir, car je t’avoue sérieusement que nous passons une dure période. Quel froid! Je n’avais jamais vu tant de neige. J’espère que les Boches vont rester tranquilles maintenant, mais ils nous ont assez secoués tout aujourd’hui.

J’ai peur que cette lettre t’arrive en retard pour le 1° de l’an, elle t’apportera néanmoins, mes voeux les plus sincères pour la nouvelle année. Ces voeux seront naturellement partagés entre vous trois. Excuse-moi, mais je suis dérangé à chaque instant, c’est assommant. Toujours des notes, toujours des ordres, je ne peux rien entreprendre. Je finis donc ma lettre. Vous savez tout ce que je pense pour vous trois que j’aime et que j’embrasse........

P.S. Merci encore de toutes vos étrennes à toutes les trois.

30 décembre

C.R. le Fays. R.A.S.

Aujourd’hui, journée plus calme qu’hier. Les Boches nous ont moins « sonné ». Il fait moins froid, la neige fond un peu, mais ce n’est pas encore le dégel. Dieu merci.

Hier, je voulais t’écrire une longue lettre et tu dois n’avoir trouvé qu’un style décousu. J’avais mal choisi mon moment, car j’ai été dérangé plus de 10 fois en l’écrivant. Enfin elle vous portait pour vous trois, mes voeux les plus sincères comme vous pensez et vous remerciait de tous les colis que vous m’avez envoyé.

Rien de nouveau, voilà bientôt 12 fois 24 heures que nous avons à peine vu le jour: que quelques minutes en se traînant à 4 pattes dans un fond de boyau. « On ne peut » montrer le nez sans être tiré comme un lapin, mais quel joli coin (au point de vue esthétique), je l’ai vu au clair de lune. Toute ma tranchée, sur 200 m de long, est en « balcon » le long d’un haut ravin: on en a une vue superbe. Mais quelle vue. Rien que des trous d’obus. Une forêt, en face, n’est composée que de bouts de troncs d’arbre d’un mètre, et sans aucune branche. Quel ravage par ici. Encore une vingtaine de jours par ici, car on vient d’allonger un peu notre bail. Quel bonheur!!!

Aucunes nouvelles de Jean depuis que nous nous sommes quittés. Il jouit des délices de son repos, le veinard. Rien de nouveau, tout va bien jusqu’à présent..................

P.S. Mes Hommages à toutes ces Dames et Demoiselles. Un sourire de plus à Mlle T. M. .......... en attendant de voir et de savoir.

Ton gamin.

Pouf! Un accident. Pendant que je relisais ma lettre, un coup de pied dans mon bureau. Tout a chaviré. Quelle vie!!!!

31 décembre

C.R. le Fays. R.A.S.

Quelle triste double fête nous passons cette année, au milieu de ce pays dénudé que l’on ne peut même pas voir le jour et isolé de tout et de tous, au fond d’un trou éclairé à la bougie, nuit et jour. Enfin, je viens d’écrire 10 lettres de 1° de l’an car la journée a été tranquille. Je me suis installé tant bien que mal, ai attrapé 3 crampes dans les jambes, 2 torticolis et 1 lumbago, mais j’arrive à ma 11° lettre qui est pour toi. Tu voudras bien m’exciser si je suis abruti, il y a de quoi.

J’aiécrit à tantes M.L. T., Marg., Alice, Mr Lebourg, Mme Obissier, Mme de Sairigné, etc... etc...

Rien de nouveau ici: secteur calme aujourd’hui. J’ai reçu hier la visite du camarade avec qui j’avais passé ma maladie mon temps d’hôpital à Dieppe et qui me devait de l’argent, je l’ai tapé et il m’a tout remis: voila une affaire liquidée: plus souvent que je lui en prêterai.

Ah! mon ordonnance est revenue de permission. Ca t’intéresse-t-il? Moi ça me fait plaisir. (je suis complètement abruti, je te dis).

Qu’il te suffise donc de savoir que je vais très bien et que le secteur est calme en ce moment....................

 

VIVEMENT LA FIN DE LA GUERRE L’ANNEE PROCHAINE


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