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1 janvier
Poirier. R.A.S.
Je viens de recevoir cet après-midi ta longue lettre n°16 dans laquelle tu me fais un léger reproche sur la façon dont sespacent mes nouvelles. Tel un cheval de sang qui est excité par un coup de cravache de son jockey, se cabre et redouble de rapidité, tel ton fils, aiguillonné par ce reproche, va dabord réclamer ensuite reprendre ses bonnes habitudes.
Ma chère Maman, si jespace mes lettres en ce moment, cest que je sais que tu connais ma situation presque exempte de dangers, et la vie monotone que je mène donne bien peu doccasions et de motifs pour causer longuement. Tu sais que quand je suis dans un mauvais secteur, je redouble mes lettres et que je técris presque tous les jours. Enfin puisque cela te fait plaisir, je técrirai un petit mot plus souvent.
Or donc, Mr Strohl est enfin revenu, le lendemain du jour où Mörch est parti. Il ne va pas merveilleusement bien, et est revenu, contrairement à ses habitudes, avec un moral déplorable et un cafard monstre. Il est vrai que le pauvre homme na pas passé une permission bien agréable quoique longue, et que, pour comble de malheur, son fils aîné sest cassé le bras, 4 jours avant son départ. Il a 3 mauvaises cassures qui ont nécessité une opération très sérieuse qui a eu lieu le jour de son départ. Tu vois quil est excusable.
Je lui ai donc passé les consignes de la compagnie et du secteur, et je suis à lheure actuelle à la tête de ma brave 1° section que jabandonne souvent, et que je vais encore abandonner dans 5 ou 6 jours, car je suis de nouveau désigné pour suivre ce cours de Lunéville. Il commence le 18-1 et je quitterai les avant-postes le 7 au matin, peut-être le 6....... sil ne survient encore aucun empêchement. Tu sais, maintenant je suis devenu très sceptique et ne crois aux choses que lorsque je les vois ou quelles se passent au moment présent. Cette fois-ci, je ne connaîtrai pas ladresse à lavance, aussi tu nauras quà mécrire à la compagnie jusquà ce que je te donne contrordre. Les lettres me suivront toujours..... avec plus ou moins de retard.
A part cela, rien de nouveau, Mörch est à La Rochelle et tu as dû le voir probablement. Les Boches sont calmes et cette journée du 1° janvier a passé très triste pour nous à cause du temps affreux et du manque total de distractions. Nous nous sommes régalés de ton pâté de joie gras truffé et de ton gâteau, que Monsieur lInspecteur de la Banque de France, mon capitaine a trouvé supérieurs chacun dans son genre.
Merci de ta longue lettre qui me donnes des tas de nouvelles. Par le même courrier, je reçois une non moins longue lettre de M. d. S. de sorte que jai beaucoup de détails sur mon as de cousin. Donne-moi des nouvelles de ta dinde « insoumise » qui ne veut pas se rendre à lappel. Je crois que vous subissez un peu le supplice de Tantale. Ca ne vous fait pas trop de mal!
Continue à me tenir au courant des faits et gestes de Roger, André Beltremieux, etc! Tu sais que Daniel Bernard a eu une seconde citation à loccasion de son nez perforé! Ah! non! par exemple, les 2 dernières photos ne seront pas pour ma fiancée! Sais-tu que je ladore déjà et que jamais je ne lui ferai cadeau dune pareille horreur! Pauvre inconnue! Dire quelle existe.... si je ne claque pas!!
Jespère, ma chère Maman, que cette lettre est une digne réponse à la tienne et vaut bien un pardon pour la négligence de ton fils « qui ne le fera plus! là!!! ». Dis à Mad. de dire à Roca de correspondre un peu avec moi, donne-moi son adresse, donnez-lui la mienne. Quest-il? Où est-il, etc... etc... Je le perds complètement de vue depuis longtemps déjà..............
2 janvier
Poirier. R.A.S.
3 janvier
Poirier. R.A.S.
Deux mots seulement pour te donner plus fréquemment de mes nouvelles, te dire quil ny a rien de nouveau dans notre secteur et surtout pour tannoncer quil ne faut plus compter sur mon cours! Jen suis désolé. Depuis quil est à Lunéville, les régiments nenvoient plus quun officier au lieu d1 par bataillon. Or si cest moi qui suis désigné dans le bataillon, je ne suis pas le plus ancien dans le régiment, il sen faut de beaucoup. Je nai donc plus despoir de ce coté. Tant pis.
Javais raison dêtre sceptique. Je suivrai donc le sort de ma compagnie qui est daller au repos vers le 9 de ce mois, toujours pour 10 jours. Pendant ce repos, cette fois-ci, je marrangerai pour aller à Nancy ou alors, que le diable aille tous les f... au diable! Je ne peux rien prévoir de gai. Tout me claque entre les mains............
4 janvier
Poirier. R.A.S.
5 janvier
Poirier. R.A.S.
6 janvier
Poirier. A 21 h., on me prévient que je vais suivre le cours de F.M. à Blainville.
Jai reçu hier ta petite lettre n°17 qui me souhaitait une bonne année, et qui datait du 1° janvier même. Vous allez bien toutes les 3, vous vous distrayez chez les de Sairigné. Tout cela est très bien.
Ici aussi, nous nous amusons bien. Tu parles!!! Ce séjour de 20 longues journées, où lon ne se trouve que dans des boyaux, depuis le matin jusquau soir, donnerait le spleen à qui se laisserait aller. 20 jours sans jamais se promener à lair libre, avoir toujours 2 murs de terre à ses cotés de 2m de haut, cest fastidieux, je tassure. Enfin, la fin approche et nous allons aller nous reposer un peu.
Gynette ma en effet envoyé un colis dun petit pot de confiture et quelques livres sans valeur et bien peu intéressants. Enfin lidée y était et jai remercié Madame de Sairigné aussitôt la réception du colis. Avez-vous vu Mörch et que vous a-t-il dit? Donne-moi ton impression sur lui.
Rien de nouveau ici. Mr Strohl a le cafard et ce nest plus lui qui nous égaie, il faut que ce soit moi qui le déride. Je ne parle pas de mon autre camarade Saudaran qui est un véritable bonnet de nuit. Drancès est plus drôle, mais il est dans un poste éloigné et ne nous voit pas. (Le poste que javais avant de venir en permission: ce moulin).............
P.S. Mon rhume est fini.
11 heures du soir.
Au moment daller métendre sur mon pieu, on mappelle au téléphone: cest pour mannoncer que je pars demain matin suivre un cours de Fusil-Mitrailleur à Blainville. Cest un gros village entre Lunéville et St-Nicolas-du-Port où nous avons cantonné une nuit en revenant de Verdun.
Cela ne vaut certes pas Esseyou Lunéville, mais cest une petite compensation. Les cours durent du 8 au 20. Je ne sais ladresse. Ecris comme si de rien nétait. On me fera suivre mon courrier. Hélas! Cest en plein pendant le repos de mon bataillon!!! Je reviendrai pour retourner aux avant-postes!...........
7 janvier
Poirier. Voyage en voiture dErbéviller à Blainville. Nous gelons. Déjeuner avec Bodin et 2 autres sous-officiers du cours.
8 janvier
Blainville. Commencement du cours. (Zozo)
9 janvier
Blainville. R.A.S.
Comme je te lai dit dans ma dernière lettre, je suis un cours de Fusilier-Mitrailleur à Blainville, joli village pas très loin de Nancy et de Lunéville. Comme le cours nest que de 12 jours, continue à mécrire à la même adresse: les lettres me suivront toujours. Le cours est intéressant, mais nous sommes très pris. Je naurai donc le temps que décrire de petites cartes, mais ne tinquiètes pas, je suis très bien installé et à labri de tous dangers. Nous avons un temps épouvantable depuis notre arrivée, mais comme jusquà présent nous navons eu que des conférences, nous nen avons pas trop souffert.
Jai un bon lit, une jolie chambre: enfin cest du repos physique sinon intellectuel..............
10 janvier
Blainville. R.A.S.
11 janvier
Blainville. R.A.S.
Ta lettre n°18 du 3/1 ma bien suivi jusquici et je suis content de tes bonnes nouvelles. Jespère que depuis, Mörch est venu te voir et ta donné des détails sur notre installation aux avant-postes. Tu me fais une question au sujet du capitaine Morache. Il a été décoré au mois de juin dernier au moment de la dissolution du 323.
Ici tout continue à aller très bien, je deviens à moitié mécanicien pour manoeuvrer ce fusil-mitrailleur qui est un instrument pratique et bien fait, mais assez compliqué à connaître dans les détails. Jai « planché » ce matin et ai fait une démonstration potable au tableau. Jai eu une bonne note du Capitaine.
A ce cours, jai trouvé un de mes anciens camarades de classe qui a quitté le lycée de La Rochelle depuis 9 ans et nest jamais revenu depuis. Cest moi qui lai reconnu le premier car il était dans les « grands » au Lycée. Il est sous-lieutenant au 241 (Rennes).
La santé est toujours excellente. Dans la maison où jhabite, est une petite fille de lâge de Muguette qui ma pris en affection. Elle est très jolie et presque aussi bien faite que le Muguet, ce qui est rare. Elle me pousse le coude à chaque instant, ce qui fait que jécris très mal. Son père est mort depuis la guerre. Sa mère, jeune veuve, travaille dans une usine.............
P.S. Dis à Mad. de mécrire de temps en temps.
12 janvier
Blainville. R.A.S.
13 janvier
Blainville. R.A.S.
Jai reçu aujourdhui, avec un peu de retard naturellement, ta longue lettre n°19. Je suis bien content que tu aies enfin vu Mörch. Il a du te donner des tuyaux qui tauront rassuré sur notre sort ici. Le cours continue, mais depuis le commencement de la semaine nous navons que pluie, neige, vent, etc... et nous ne pouvons mettre le nez dehors.
Reçu une lettre de Jean C., de Mimi B., etc..., très gentilles toutes et mapportant des voeux très affectueux, ainsi que R. Martin qui a la bêtise de ne pas mettre son adresse. Comme jai eu moi-même la bêtise de la perdre, je ne peux lui répondre. Je savais que Laferrière était à La Rochelle, je croyais te lavoir dit. Jespère que Mörch me fera suivre la lettre que tu lui as donnée, quant au paquet, si ce sont des bonbons, jai bien peur de ne pas en connaître le goût...........
14 janvier
Voyage à Nancy avec Domergue et Marie. Courses. (Madelon)
15 janvier
Blainville. R.A.S.
16 janvier
Blainville. R.A.S.
Rien de toi depuis ta dernière lettre du 5 janvier, mais jespère que rien nest cassé à la maison. Mörch a sans doute gardé la lettre que tu lui as donnée et ne laura probablement pas fait suivre puisque dans 5 jours, je serai de retour à la Compagnie. Nous avons toujours un temps épouvantable, beaucoup de neige et de froid. Enfin notre vie est confortable, et nous pouvons tenir pour le moment! Le cours est toujours très intéressant, et avec 2 ou 3 gais camarades, je me distraie le reste du temps autant quon le peut dans un village de 1500 habitants!
Reçu aujourdhui des tas de lettres: Tante M.L., Jane Bouillon, la belle-soeur de Neveux (qui mécrit très souvent), Basset, etc..., etc... Donne-moi ladresse de R. Martin que jai perdue et à qui je ne peux répondre. SVP.............
17 janvier
Blainville. R.A.S.
18 janvier
Blainville. R.A.S.
19 janvier
Manoeuvre à Vitrimont. Je rencontre le lieutenant Chauvin, mari de C. Sicher. Vu le capitaine dOlce qui mapprend le coup de main sur la Maison Brûlée.
Jai reçu de nombreuses lettres, mais rien de toi depuis ta lettre du 5/1. Mörch na certainement pas fait suivre. Jai reçu une lettre de Monette Martin-Dusault-Triaud (Simone) qui me raconte ses projets de voyage autour de la France. Une de Jane Bouillon qui est en rogne contre les Triaud qui ne lui écrivent pas (ce nest pas mon cas) etc... etc...
Aujourdhui, grande manoeuvre avec artillerie, avions, mitrailleuses, fusils mitrailleurs, grenades à main, grenades à fusil, etc... etc... Tout cela tirant réellement. Cest intéressant mais dangereux. Il ny a eu quun léger blessé, cest de la veine.
Jai eu une énorme surprise. Jai rencontré (car nous étions plus de 200 officiers de différents cours) 2 officiers du 344 ayant beaucoup connu loncle Pierre. Lun était son propre secrétaire lorsquil était adjoint au Colonel. Lun deux ma présenté à un autre officier, que je ne regardais pas, mais qui à mon nom ma demandé si jétais de la famille du Dr de Bordeaux. Sur ma réponse affirmative, il me dit que la famille de sa femme connaissait beaucoup la famille Triaud: cest Mr Chauvin, le mari de Camille Sicher. Camille est actuellement à Lunéville (12 km de moi) mais, trois fois hélas!, je ne peux y aller, car mon cours finit demain et quil faut que je regagne mon régiment. Mr Chauvin ma pourtant fort aimablement invité à dîner avec lui et sa femme, mais cela mest impossible.
Le régiment a, pendant mon absence, été taquiné par les Boches. Ces salauds ont attaqué un poste et ont tué et blessé 17 des nôtres, mais y ont laissé des plumes eux aussi! Je nai pas de détails naturellement. Je ten donnerai plus tard. Demain donc, je pars dici et je técrirai maintenant une fois au corps...............
20 janvier
Blainville. Départ à 13 h.18 pour Nancy. (Madelon)
21 janvier
Nancy. Rencontré Hernette du 152°. Différentes courses.
22 janvier
Départ de Nancy à 8 h. du matin. Attrapé froid en auto. Le soir, je rejoins la compagnie à Bois-le-Comte mais ai 39,2 de fièvre et me fait soigner à Mazerulles (mal de gorge).
23 janvier
Mazerulles. Soins. Diète. R.A.S.
Me voici revenu depuis hier à mon corps et je viens de toucher toutes tes lettres en retard, y compris celle quavait Mörch. Jai donc tes n°20-21-22-23-24. Merci de mavoir si souvent écrit, je suis également content que tu aies reçu les miennes.
Je réponds à tes lettres, puis je te raconterai mes histoires:
Merci de ladresse et de la lettre de Roca, je vais lui écrire; quant à celle de R. Martin, quand tu lauras, tu seras bien aimable de lenvoyer. Au sujet de la revue des deux Mondes, je suis tout à fait de votre avis et me tiens à votre disposition pour en payer la moitié, si Jean est aussi de cet avis. Je mencroûte tellement en ne lisant rien dintéressant, quil me semble que je vais devenir complètement abruti. Pour les pâtés faits avec ce qui venait de chez Tante Charlotte, jaime autant que tu le gardes. Nous le mangerons ensemble à ma prochaine permission. Pour lEcho Rochelais, ne te donne pas la peine de me lenvoyer, mais, comme tu le dis, résume le moi.
En relisant tes lettres, pour répondre à tes questions, je maperçois que Jean ne marche pas pour la revue des 2 Mondes. Alors tant pis, nen parlons plus. Tu me donneras, je te prie, aussi, quand tu lauras, ladresse de Roger Triaud.
Jai suivi avec émotion, les péripéties de larrivée du Colonel de Jean, dans une lettre, il vient, dans lautre, il ne vient pas, etc... etc... Enfin, il le tient, je vais len féliciter, car jai a lui écrire pour lui dire que jai vu, avant-hier à Nancy, son camarade Hernette, mon ancien camarade qui ma donné de ses nouvelles, et va lui en donner des miennes quand il rentrera au 152, mais pas avant quelques jours, car il suit un cours à Remiremont.
Maintenant que jai répondu à tes questions, je vais te raconter un peu ce qui marrive. En quittant le cours, je suis revenu par Nancy, mais y suis resté si peu de temps que je nai pu faire de visites. Ce sera pour une autre fois. En arrivant hier à la Compagnie, je ne me sentais pas très bien, ayant eu froid en auto pour venir, et étant déjà enrhumé depuis quelques jours. Hier soir jai été pris dun fort accès de fièvre, et jai dû aller voir le médecin qui me garde au corps, sans mévacuer, mais mordonnant la chambre. Jai attrapé une angine, et en ai pour 3 ou 4 jours. Je suis heureux de ne pas être évacué et, dans 5 ou 6 jours, jaurai rejoint la Compagnie en ligne. Je suis donc resté quelques heures seulement avec Mr Strohl, et nai pas vu Mörch qui était dans un poste avancé. Il ma fait transmettre ta lettre, mais pas de paquet de truffes. Il la peut-être dans sa cantine, enfin je te tiendrai au courant.
Je suis donc dans ma chambre de linfirmerie du Régiment et ne suis pas à plaindre, ne tinquiètes donc pas pour moi. Je maperçois cependant que je suis beaucoup plus susceptible quautrefois. Enfin, je vais bien me soigner et te tiendrai au courant.
Le fils de Mr Strohl va très bien maintenant, et le Capitaine na plus ce vieux cafard en compagnie duquel je lavais quitté en men allant au cours. Quand à Mörch, je tai déjà dit que je ne lavais pas vu. Les autres camarades de la Compagnie sont en bonne santé, et rien nest changé..............
24 janvier
Mazerulles. Chambre du lieutenant Vérit. R.A.S.
Excuse-moi de ma lettre dhier qui devait être bien vaseuse, car javais encore beaucoup de fièvre: Aujourdhui, beaucoup mieux: plus de fièvre, la gorge me fait moins mal, et surtout je ne suis pas si abruti. Dans 2 jours, jespère avoir rejoint mon poste à la Compagnie. Le capitaine Strohl menvoie tous les jours un petit mot pour me demander de mes nouvelles; je nai encore rien reçu de Mörch, mais je lui écris aujourdhui.
Tous les jours, je reçois des visites; hier le capitaine Duverdier, le lieutenant Moresmeau; ce matin, le commandant de Roll lui-même, tout le monde est très aimable pour moi. Mr Strohl a même eu la gentillesse de faire rester mon ordonnance avec moi, de sorte que je suis plus que soigné, mais dorloté: les gargarismes me sont présentés à heures rigoureusement militaires, les potions également; et la diète est strictement observée, je tassure.
Ce que jai, ce nest pas une angine: cest une « amygdalite phlegmoneuse », un terrible et beau mot pour une bien petite chose. Moi jappelle ça: un bon mal de gorge. Enfin cest presque fini, ne ten fait pas pour moi: je suis au chaud, bien tranquille, ce qui est appréciable en ce moment-ci où il fait un froid à -12 et -13! Lennui cest que je ne couche pas ans des draps, mais jy suis habitué!
Je tai dit hier, quau moment où je cachetais ma lettre, marrivait la tienne du 20-1. Merci. Je vais y répondre maintenant:
Mörch ne ma pas encore parlé de truffes, mais je lui écris et lui demande anxieusement de leurs nouvelles: nous nous reverrons. Quant au pâté truffé, je tai dit hier quil valait mieux le garder pour ma permission prochaine (fin de février, si rien ne se casse)
Je vois que vous cultivez beaucoup les « de Sairigné » en ce moment. Ce sont de très braves femmes et vous avez bien raison. Madame de Sairigné a-t-elle reçu ma lettre de remerciement pour son colis?
Tai-je dit que jai rencontré, ces jours derniers, Chauvin (le mari de C. Sicher) et Hernette, lancien officier du 323, actuellement au 152° et connaissant très bien Jean? Oui, je crois. Ces rencontres font bien plaisir, et cela arrive souvent quand on est un peu en dehors de son régiment. Je reverrai très certainement Chauvin car il est au 344 (même division que moi)
Je vais te quitter, car je ne vois plus rien à te dire: je técrirai un petit mot tous les jours jusquà ce que jai rejoint ma Compagnie (dont dailleurs je suis à 2 ou 3 km seulement)...............
25 janvier
Mazerulles. R.A.S.
Ma gorge va de mieux en mieux et ne me fait presque plus mal. Maintenant, je suis sûr de ne pas être évacué, et je suis fort content davoir pu obtenir cela du « Toubib ». Il me soigne dailleurs très bien, et me badigeonne à chaque instant lintérieur de la gorge avec de liode: ce qui nest pas des plus agréables: je nai plus du tout de fièvre, et je commence à manger un peu. Voilà mon bulletin de santé. Dailleurs lorsque tu le recevras, je serai déjà sur pieds depuis longtemps.
Pas encore de nouvelles de Mörch à qui jai écrit hier. Qua-t-il fait de mes Truffes cet animal-là!
En fouillant dans mes affaires, je viens de tomber sur ma photo. Figure-toi que je nai reçu absolument aucune nouvelle de leur réception chez les différents membres de ma distinguée famille. Je ne voudrais pas devenir aussi susceptible que certaines personnes de notre connaissance, mais cest égal, un petit atome de remerciement maurait tout de même fait quelque plaisir. Ten a-t-on accusé réception à toi au moins?
Nous avons un froid ici, comme jamais nous nen avons eu les hivers précédents. Tout nous vient gelé: Oeufs! Pain! Lait condensé! Je ne parle pas du vin quon ne peut pas transporter sans avoir un petit bloc rougeâtre!! Cest très sain ce temps, dailleurs. Moi, je ne me plains pas. Je suis au coin du feu depuis le commencement de la semaine et ne mets même pas le bout du nez dehors. Si jétais mieux couché, je serais comme un prince.
Au revoir, pour aujourdhui. Demain je tenverrai encore mon bulletin de santé................
P.S. Jai envoyé à toutes mes Cousines, même Ninette!!, un petit mouchoir comme celui de Muguette.
26 janvier
Mazerulles. Je vais mieux et vais déjeuner et dîner à la Popote du Chef de Bataillon. Grand froid (-15).
Jai reçu hier ta lettre n°26, contenant la lettre de Mad. et le mot du Muguet: de tout cela, merci, je répondrai à Mad. un de ces jours.
Pour te donner des nouvelles de ma petite santé: je vais beaucoup mieux à preuve que le « Toubib » me permet aujourdhui daller déjeuner à la Popote du Commandant. Je suis persuadé que ce nest que par prudence et surtout à cause de lextrême froid que nous avons en ce moment-ci, quil ne me laisse pas encore rejoindre ma Compagnie, car je ne sens plus rien. Que cest drôle, ces accès de fièvre: je lai eu très très forte, mais très peu de temps. Maintenant tout est fini, naie plus aucune inquiétude à mon sujet.
Tu me demandes dans ta lettre, de la part dune petite fiancée, et par lintermédiaire de Mme de la Baume, des nouvelles dun de mes bons camarades: le sous-lieutenant Moresmeau. Tu peux répondre quil se porte à merveille, et quil vient de monter dans ma chambre, il y a à peine 5 minutes. Il na dailleurs jamais été malade, mais a beaucoup doccupations en ce moment, étant commandant de Compagnie. Tu peux ajouter que je lai grondé très sévèrement de ne pas avoir donné de ses nouvelles depuis si longtemps.
Merci aussi de ladresse de Roger Martin à qui jai écrit séance tenante, en mexcusant de mon retard à lui répondre. Tes voeux pour mon 26° anniversaire, je les accepte avec reconnaissance, mais ils me font apercevoir une fois de plus que je vieillis terriblement. Jai dailleurs passablement de cheveux blancs!!
Mörch ma répondu hier, et je vais dailleurs le voir dici quelques jours. Les Truffes ne sont pas mangées, elles attendent que nous soyons réunis tous les deux pour leur faire un sort...............
27 janvier
Mazerulles. R.A.S.
Jai reçu hier ta lettre n°27 et dans la soirée le colis contenant un excellent gâteau, une boite de bonbons pour la gorge (qui, entre parenthèse, sont très bien tombés) et la boîte de berlingots de Nantes de Madeleine. Merci de tout coeur à vous deux davoir pensé aux 26 ans de votre vieux fils et frère qui vous en est bien reconnaissant.
Mon indisposition est maintenant de lhistoire ancienne et je ne me ressens plus de rien. Si tu le veux bien, nous nen reparlerons plus. Ne tennuies plus pour tes lettres, jai reçu absolument tout ce que tu mas envoyé. Jespère quil en est de même pour toi.
Je viens encore de déjeuner avec Moresmeau qui va aussi bien que possible. Le coup de main boche dont je tai parlé ne la pas touché du tout. Je ne voudrais dailleurs pas tinquiéter mais il y a de lagitation dans lair par ici. Ce nest plus du tout le calme habituel. Je ne peux ten dire plus dautant plus que je ne sais rien dabsolu.
Il est probable, et même sûr que je vais rejoindre le capitaine Strohl, Mörch et toute la compagnie demain soir. Dailleurs jen ai hâte, puisque je vais mieux maintenant.
Au revoir, chère Maman, merci encore de toutes vos gâteries...................
28 janvier
Mazerulles. R.A.S.
Rien de nouveau depuis hier. Je vais toujours de mieux en mieux, et il ny parait pas que jai eu de la fièvre il y a 6 jours. Je rejoins la Compagnie ce soir et vais revoir avec plaisir Mr Strohl, Mörch et les autres.
Quel froid, ma chère Maman, depuis le début de la guerre, nus navons jamais en cette température (-13, -14). Ce quil y a de plus dur cest quil y a avec cela un vent de tous les diables qui fait voler de la poussière de neige et qui vous cingle les oreilles de bonne façon. Je tassure que je plains bien les pauvres sentinelles.
Reçu aujourdhui une très longue lettre de Mad. du Sault, toujours très gentille...............
29 janvier
Arrivée à la Compagnie relevée au Bois-le-Comte par la 15°. Dans un tir de concentration Boche, ce pauvre Moreau est grièvement blessé ainsi que plusieurs hommes.
30 janvier
Mazerulles. Nous apprenons la mort de Moreau.
Je réponds ce soir à tes 2 lettres des 26 et 27 courant. Ne tinquiète pas une fois pour toute: mon indisposition est à présent complètement terminée et jai dailleurs repris mon service à la Compagnie depuis hier matin.
Nous venons davoir un coup malheureux. Un de nos camarades, le sous-lieutenant Moreau a été blessé avec 5 de ses hommes dont lun a été tué. Ce pauvre camarade avait de telles blessures quil est mort quelques heures après que nous lavions posé. Ces derniers mots ont été pour moi « Adieu Georges ». Il ne se croyait pas si grièvement atteint car il croyait être touché quau pied, à la cuisse et aux 2 bras. En réalité, il avait aussi 2 affreuses blessures dans le dos (une qui a touché le poumon et lautre a pénétré dans les intestins). Il avait été nommé sous-lieutenant, le même jour que moi! et depuis, nous avions été toujours ensemble.
31 janvier
Mazerulles. R.A.S. Le lieutenant Vérit est nommé Capitaine.
Jai été interrompu hier pendant que je técrivais cette lettre et je la reprends aujourdhui au point où je lavais laissé. On vient denvoyer ce matin une délégation à lenterrement de ce pauvre Moreau, mais je nai pas été désigné!
Le froid continue ici, et nous nous habituons à cette température variant entre -8 et -15. Aujourdhui, il ny a pas de vent et cest plus supportable. Jai oublié de te dire que Mörch ma remis mes Truffes qui étaient, comme toujours, aussi excellentes, qui sont dailleurs mangées à lheure actuelle et dont je te remercie beaucoup. Je suis bien content des bonnes nouvelles que tu me donnes de vous tous. Cest parfait et la bonne santé est une bonne chose. Encore une fois, ne tinquiètes pas pour moi: cest complètement terminé, et si les permissions ne sont pas arrêtées, je serai bientôt à La Rochelle...................
1 février
Mazerulles. Une patrouille ayant été attaquée, je vais tendre une embuscade entre Maison Blanche et Maison Brûlée (12h. 6h.). Grand froid mais rien à signaler.
2 février
Le soir à 19 h.: grand changement de disposition dans le secteur. Je vais à Moncel sous les ordres du capitaine Malabat. Joccupe la Sape I (boyau Observatoire). Pas de munitions.
Jai reçu hier et avant-hier tes 2 bonnes lettres n°30 et 31 dont je te remercie beaucoup. Je suis un peu en retard pour y répondre, mais les communiqués doivent te faire comprendre que nous sommes assez agités en ce moment. Nous faisons, par ce froid, des choses fort pénibles, je tassure, mais je ne peux te raconter à cause de Dame Censure. Quoi quil en soit, je me porte très bien. Sois donc sans inquiétudes. Dailleurs bientôt, je vais aller prendre quelques jours de repos à La Rochelle au milieu de vous trois. Je ne sais pas les dates, mais cest pour ce mois-ci, très vraisemblablement.
Jallais oublier de te remercier du colis que jai reçu hier, contenant le Capitaine Fracasse que je vais lire soigneusement et qui me fera passer de bonnes heures. Les semelles en papier, je ne les ai pas encore essayées, car, par ce temps de gros froid, nous portons tous des « Bottes russes » en feutre et caoutchouc, données par lEtat et dans lesquelles nous avons très chaud aux pieds. Mais, à la prochaine occasion, je men servirai, je tassure, car nous nous servons de tout pour nous réchauffer. Je nai pas reçu, par exemple les pastilles de miel; ce nest pas, je pense les réglisses envoyés en même temps que les berlingots de Nantes de Mad?
Je suivrai ton conseil et te donnerai des titres de livres quand je les aurai en tête, mais en ce moment, jai du pain sur la planche jusquà ma permission. Reçu hier une lettre de Ninette!!!!! La première. Cest pour me remercier du petit mouchoir. Il ny a plus que Simone qui ne ma pas accusé réception, mais je la crois en voyage. Prends garde à ne pas tomber avec tout ce verglas! Tous les Rochelais en parlent!!...............
3 février
Pas de feu: rien que de la glace et pas de pompe. Grand froid. Organisation de la Sape.
4 février
Sape I de lObservatoire. Travaux dorganisation et de défense.
Deux mots seulement pour te dire que je vais toujours très bien, mais quil fait un grand froid de plus en plus terrible qui nous rend notre service très dur et très pénible. Je nai donc presque pas le temps décrire.
Jai reçu tes 2 mots n°32 et 33. Merci de tes lettres quotidiennes qui me font grand plaisir, je tassure. Merci au Muguet également de sa gentille lettre où jai vu un A. fort bien réussi.
Une bonne nouvelle à tannoncer, cest que je suis inscrit pour ma permission pour partir le 12 février. Compte sur une erreur possible de quelques jours mais je serai à La Rochelle aux environs du 15 ou 20. Je tenverrai une dépêche de Paris, comme dhabitude.
Au revoir, ma chère Maman, je nai pas le temps de causer plus longtemps, je vous embrasse de tout coeur.........
5 février
Sape de Moncel.
6 février
Sape de Moncel. Grand froid (-19).
Jai reçu hier soir ta lettre n°34 dans laquelle tu me racontes la nuit du 1° février 1861. Je ne me souviens plus, et pour cause, du froid quil faisait cette nuit-là, mais, en tout cas, il fait bigrement froid en ce moment. Hier matin, nous avions -19. Et dire quavec ce froid, il faut rester dehors des heures entières. Je tassure que nous menons une rude existence en ce moment. Dailleurs, je te donnerai de vive voix quelques détails, car je serai chez toi, sil plaît à Dieu, dici une dizaine de jours. Ma permission est en effet avancée un peu, par suite de la mort de ce pauvre Moreau qui partait quelques jours avant moi, et de lévacuation dun autre lieutenant.
Tu continueras donc à recevoir mes lettres, jusquà ce quun beau jour tu reçoives une dépêche de moi de Paris, probablement aux environs du 15 prochain.
Depuis 3 ou 4 jours, je suis séparé de Mr Strohl et de Mörch. Je suis détaché à un autre secteur de la compagnie avec ma section et je prends les tranchées dans un avant-poste nouveau, une sape qui na jamais été occupée, au fond de laquelle il y a 20 centimètres de glace, sans poêle, sans feu et avec un service très dur pour mes hommes. Ce nest pas drôle, mais je morganise peu à peu et cette nuit jaurai du feu pour faire dégeler ma glace et mes mains.
Reçu une lettre de Jean C., toujours très gentil, qui me parle dune permission pour fin février. Si nous pouvions encore nous rencontrer! Quelle joie et quelles bonnes parties en perspective!
Tu es bien bonne dêtre sortie par ce froid pour assister à une messe pour moi: je ten suis bien reconnaissant. Puisse cela me faire revenir sain et sauf vers toi pour tadoucir tes vieux jours!
Au revoir, ma bonne chère Maman, embrasse les 2 Petites pour moi.
Ton vieux fils de 26 ans.......
7 février
Sape de Moncel. Je suis relevé dans la nuit. La Compagnie va au repos?? à Mazerulles. (Affaire Drancès, 30 jours darrêts de rigueur)
8 février
Mazerulles. Reconnaissance de nouveaux travaux dans le bois Ramont.
9 février
Mazerulles. Travaux au bois Ramont. Terre complètement gelée.
Nous sommes horriblement occupés. Telle est la seule excuse de la brièveté de mes lettres. Des avant-postes aux travaux. Des travaux aux embuscades. Des embuscade aux reconnaissances! Pas une minute à nous, je ne décolère pas et commence à être très très fatigué dêtre sur pied jour et nuit par cette température. Vivement ma permission que je me repose un peu.
Mörch vient de me quitter pour repartir en permission à La Rochelle où jespère être en même temps que lui dans quelques jours. Ne tétonnes pas de sa permission: il profite dune nouvelle circulaire du G.Q.G. disant que les convalescences ne comptent pas.
Je vais toujours bien quoiquayant mal à la gorge et étant très enrhumé. Malgré cela, il faut séjourner des six heures se suite dehors! Je suis dune humeur de dogue... et les hommes donc!
Reçu tes n°35 et 36. Tu me gâtes en correspondance depuis quelque temps et je ten remercie beaucoup.
Quinsac me gâte également: jai reçu hier un colis de truffes en chocolats envoyé par Tante M.L. que je vais remercier tout à lheure. Je jubile à la pensée dêtre avec Jean en permission. Cest rudement chic!
Ne mattends vraiment que lorsque tu auras ma dépêche de Paris, car ici il peut se passer des événements fâcheux à tous moments...............
10 février
Mazerulles. R.A.S.
11 février
Mazerulles. Je pars en permission demain matin.
Voici la dernière carte de moi avant la dépêche de Paris. Je ne sais encore si cest le 12 ou le 13 que je pars dici. Je jubile à la pensée dêtre avec Jean en permission: cest de la chance.............
12 février
Départ avec 20 cm de neige par la voiture de Compagnie. Quel froid! Vu à Nancy: P. Vieljeux, aviateur en Alsace.
13 février
Journée à Paris. Tante Mary et Simone.
14 février
Arrivée à La Rochelle. Vu Ed. Mörch.
15 février
Permission à La Rochelle.
16 février
Permission à La Rochelle.
17 février
Permission à La Rochelle.
18 février
Permission à La Rochelle.
19 février
Permission à La Rochelle. Arrivée de Jean.
20 février
Permission à La Rochelle.
21 février
Départ de La Rochelle à 20 h.30. Pas de cafard.
22 février
Arrivée à Paris. Départ à midi. Arrivée à Nancy où je dîne et je couche. (France)
23 février
Départ de Nancy et voyage à pied jusquà la Grande Goutte où est la compagnie. Visite du secteur. Guitoune sous la route
24 février
Grande Goutte. R.A.S.
Me voici revenu à ma compagnie sain et sauf. Me voici à mes anciennes habitudes, au milieu de tous mes camarades, après cet agréable repos de 8 jours au milieu de ma famille que jaime tant. Mon voyage sest très bien passé. Jai trouvé tout le monde en très bonne santé à Paris. On attend Jean, Madeleine et Muguette avec impatience. Insiste encore auprès de Mad. pour quelle veuille emmener cette dernière. A propos de Paris, jai complètement oublié de remporter à Mimi le mouchoir dHenri quelle mavait prêté: donne-le donc à Mad. , ou, si elle est déjà partie, envoie-le à Mimi. Jétais confus de ne pas lui remettre!
De Paris à Nancy: très bon voyage également mais de Nancy au front, jai été obligé de faire toute la route à pied, la voiture de Compagnie étant occupée à autre chose à ce moment là. Mr Strohl sest excusé de ne pas me lavoir envoyée mais il na pas pu.
Jai retrouvé toute la Compagnie en bon état quant aux chefs. Pendant mon absence il y a eu un blessé au bras que lon a été obligé damputer par la suite, cest heureusement tout. Le secteur a lair peut-être un peu moins agité quà mon départ, cependant cela y pète bien de temps à autre.
Mr Strohl est toujours le même gai. Il ma beaucoup remercié davoir été voir sa femme qui, parait-il, ma trouvé « ouvert, fort aimable et distingué »!!!!!!! Il a été très sensible à tes compliments ainsi que ceux de Mad.
Saudaran a toujours aussi mauvais caractère mais est assez content davoir reçu son étoile à la Brigade pour sa belle conduite dont je vous ai parlé.
Drancès est ennuyé parce que le Général dArmée a porté sa punition à 30 jours darrêts de rigueur pour son retard en permission: jespère que cela sarrêtera là.
Mörch, encore un peu cafardeux, est avec moi à ma section que je lui laisse commander; dabord parce que cela lui plaît, ensuite parce que le Capitaine se sert un peu de moi comme Officier dEtat-Major de la Compagnie. Nous couchons ensemble Edouard et moi et ne sommes pas mal. Nous sommes dans un bois sans trop de boue car il fait de nouveau assez froid et que tout est gelé.
Je pense que voilà des détails. Et vous? Vous continuez à jouir de la permission de ce brave Jean. Sil nest pas encore parti lorsque tu recevras cette lettre, tu voudras bien lui dire encore combien jai été heureux de pouvoir lembrasser encore une fois pendant cette guerre. Je vais dailleurs lui écrire dici peu à son régiment. Et Mad.? Sa dent la-t-elle fait beaucoup souffrir. Jai bien pensé à elle pendant que jétais à Paris et quelle se faisait opérer.
Rien de neuf à part cela, jattends de vos nouvelles pour savoir à quoi vous employez votre temps, mais nai aucun cafard de ce retour de permission. Donne-moi toujours des nouvelles de La Rochelle par le détail.................
25 février
Grande Goutte. R.A.S.
26 février
Grande Goutte. Travaux. R.A.S.
Rien de nouveau depuis avant-hier. Même bois, même vie, mêmes travaux et même tranquillité relative. Nous nous attendons dailleurs à changer pour aller au pays dorigine de la bonne Madame Mörch dici quelques jours. Ce sera un peu moins tranquille mais plus confortable.
Je suis toujours avec Edouard qui depuis mon retour de permission mange, ainsi que ladjudant, avec nous, ce qui est plus gai. Il est dailleurs ravi de laubaine. Toujours du froid: tout est gelé, cela vaut mieux car nous navons pas de boue dans notre bois. Aujourdhui, journée superbe et très ensoleillée.
Jespère que vous avez un temps aussi agréable et que votre journée de dimanche aura été gaiement passée en compagnie de ce brave Jean. Je pense bien à votre bonheur de lavoir encore quelques jours. Noublie pas le mouchoir dHenri Balmary et dis-moi si tu las remis à son propriétaire dune façon ou dune autre.
Jai oublié de te dire lautre jour que je me suis commandé, en passant à Nancy, une tenue = en gabardine = cest décidément épatant comme étoffe (Jean me le conseillait beaucoup). Tu verras à ma prochaine permission!!
Je te quitte, car je vais me coucher et quaucun événement extraordinaire à te raconter ne sest produit depuis 2 jours. Reçu une lettre de Tante M.L., de Jean Triaud..... et voilà.............
P.S. Respect dEdouard qui se couche.
27 février
Grande Goutte. R.A.S.
28 février
Grande Goutte. R.A.S.
Je viens de recevoir ta bonne lettre n°1 du 24 qui ma de nouveau mis un contact avec vous. Le petit Sacré-Coeur quelle contenant, mest bien parvenu et je lai mis dans mon portefeuille. Je vais, naturellement remercier Madame de Sairigné car je ne veux pas me permettre décrire à Ginette sans autorisation!
Tu seras seule, ma chère Maman, au moment où tu recevras cette lettre, aussi je penserai bien à toi pendant le voyage de Mad. qui tamènera probablement à son retour Tante Marguerite et Simone. Merci de me raconter par le détail toutes les visites que vous avez reçues après mon départ. Je regrette bien vivement davoir manqué Roca et Madame Obissier que je navais pas vus depuis le début de la guerre: cest bien ma veine quils viennent le lendemain de mon départ!
Ah! enfin! Mad. emmène le Muguet. En effet les Balmary étaient furieux et Henri mavait dit son projet décrire immédiatement à Jean une lettre quil voulait faire terrible. Je vois quil a réussi! Quel brave type, encore celui-là! Envoie-lui son mouchoir!_!_
Ici, toujours la même chose: secteur relativement calme. Nous restons où nous sommes et nallons pas où je tai dit. Nous allons dailleurs, je crois, aller nous reposer sérieusement dici peu de jours. Mörch est toujours avec moi. Il est vautré sur sa couchette pendant que jécris ces lignes. Nous nous taquinons toujours, tout en nous entendons très bien et notre section, ayant à sa tête 2 chefs si éminents, ne peut faire que de la très bonne besogne. Je vais écrire ce soir une lettre à son frère Daniel qui le charge dune façon très indécente et même inconvenante de me faire une « grosse blague ». Edouard tenvoie ses respects.
Mr Strohl est toujours aussi sympathique et aussi gai aux repas, que tous les chefs de section prennent en commun, je crois te lavoir déjà dit. Saudaran rouspète toujours et Drancès et moi continuons à le blaguer sur son perpétuel mauvais caractère. Cest pourtant un bien bon officier.
Tu vois que tout va bien et que le moral continue à être bon. Quil soit de même à La Rochelle. Bons baisers à toi, toute seule puisque tout le monde ta quitté...................
P.S. Et le résultat des Photos prises le jour de mon départ??
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Chère Madame (de Sairigné)
Je viens de trouver dans une lettre de Maman, un insigne du Sacré-Coeur qui mest envoyée par Ginette.
Veuillez, je vous prie, lui transmettre mes biens sincères remerciements pour ce petit souvenir qui, certainement, me portera bonheur puisque je le porterai toujours sur moi.
Vous êtes toutes les trois très bonnes pour vos amis combattants, et Dieu vous récompensera en vous ramenant, dici peu je lespère, votre Gabriel, plein de santé et de gaieté, après son long supplice de captivité.
Je nai pas eu la chance de vous rencontrer chez vous le jour de mon départ. Cette lettre vous apportera donc mes remerciements pour la charmante soirée passée chez vous, lautre jour.
Depuis mon retour, jai vu un soldat de mon bataillon (Thomazeau, je crois) qui ma dit vous connaître. Cest encore un Vendéen.
Ici, cest toujours la même vie de secteur, peu glorieuse et souvent fastidieuse, mais utile tout de même pour le but que nous voulons atteindre et que, par cela même, on peut être fier de mener.
Veuillez, je vous prie, Madame, transmettre mes hommages à Madame Gabriel de Sairigné, mes bien sincères amitiés à Ginette que je remercie encore et accepter pour vous lexpression de toute ma reconnaissance.
Votre dévoué.
1 mars
Grande Goutte. R.A.S.
2 mars
Grande Goutte. R.A.S.
Reçu aujourdhui ta bonne lettre du 26, n°2. Merci des nouvelles excellentes quelle renferme de vous tous. Les photos seront à peu près bonnes, tant mieux, je les attends avec impatience pour voir une fois de plus les bonnes têtes de la famille et avoir un souvenir de cette bonne permission.
Je vous plains davoir de la pluie; ici, nous continuons à avoir un temps superbe, sauf un peu de neige, la matinée dhier, mais la nuit a été superbe par un clair de lune de toute beauté. Il gèle toujours, ce qui nous empêche de patauger, nous ne nous en plaignons pas. Je nai plus dencre dans mon stylo, et je ne sais plus écrire avec une plume ordinaire: excuse donc cette lettre horriblement mal écrite et avec toutes les encres possibles et inimaginables.
Aujourdhui: grand événement. Jai discuté très sérieusement avec Mr Strohl sur une question ardue où je nétais pas de son avis. La discussion sest un petit peu envenimée, et nous nous sommes dit plusieurs choses désagréables. Cest la première fois que cela se produit, mais « ça bardait ». Jespère que cela nira pas plus loin mais il y a évidemment un froid entre nous deux depuis ce repas.... Tu vois que je suis franc avec toi et que je te dis tout. Ne te frappe pas. Ce nétait dailleurs pas une question de service. Cétait sur ce quavait fait et ce que navait pas fait notre division depuis le début de la guerre. Je disais que nous navions pas fait grand chose, lui disait que nous en avions fait autant que tous, etc... etc... Jen suis venu à lui donner des exemples et cest là dessus quil ma dit des choses désobligeantes qui mont étonné de sa part et auxquelles jai répondu.
A part cela, le secteur à lair de se calmer de plus en plus et nous ne souffrons de rien, quoiquen dise notre Capitaine.............
P.S. Joubliais de te demander daller voir Mme Mörch pour lui demander le magasin où elle achète la graisse à chaussures pour Edouard. Veux-tu men envoyer une boîte, je te prie, cest épatant. Tu mettras cela sur mon compte. Merci.......
3 mars
Grande Goutte. Le 212° R.I. quitte la division. Les brigades sont supprimées. Le colonel Montlebert devient directeur de lInfanterie à la Division.
4 mars
Grande Goutte. R.A.S.
Je réponds aujourdhui à tes deux lettres n°3 et 4, reçues hier et ce soir. Rien de nouveau ici depuis ma lettre davant-hier. Vie calme et pas trop désagréable car il fait beau: un petit froid qui rend les journées ensoleillées et les nuits claires, empêche la boue et nest pas gênant.
Je vois que tout est bien calme aussi à La Rochelle: trop calme même puisque tu es seule après avoir eu tous tes enfants à la fois, pauvre Maman: mais ils te reviendront, bientôt je lespère, et « pour toujours » comme dit Muguette. Elle a bon coeur, cette petite de tavoir offert de rester mais, quel crève-coeur pour la pauvre mignonne si tu lavais pris au mot. Je les vois tous les trois samusant à Paris: ils doivent être très drôles et bien heureux de vivre. Cest de leur âge, ils nont pas de soucis!
Merci davoir mis si vite en règle mes petites affaires. Je suis étonné davoir déjà 25 francs dintérêt. Paie bien là-dessus les affaires que je te demande comme le fusil, le pantalon rouge, la graisse pour les souliers, etc... etc... Quand tu auras épuisé ces intérêts, avance-moi la somme si cela ne te gêne pas et je te rembourserai à ma permission suivante.
Tout est remis en règle entre Mr Strohl et moi. Nous ny pensons plus ni lun, ni lautre et navons plus abordé cette question. Il est toujours aussi gai et charmant..............
5 mars
Grande Goutte. R.A.S.
6 mars
Grande Goutte. R.A.S.
Je viens de recevoir ta lettre n°5 et je viens ten remercier quoique nayant pas grand chose de nouveau à te raconter. Enfin Muguette est partie à Paris. Voilà tout le monde bien content, sauf toi, pauvre Maman sacrifiée qui reste seule! Enfin, au moment où tu recevras ce mot, tes fille et petite fille seront peut-être de retour, probablement même.
Hier, ici, très froid; aujourdhui, neige toute la journée. Situation toujours excessivement calme par ici, à peine quelques coups de canon, mais des roulements lointains qui prouvent que les camarades travaillent sur notre gauche.
Merci pour le mouchoir dHenri; je suis content quil soit remis à son propriétaire. Ce brave Mörch est malade. Naffole pas sa famille, mais il a un gros rhume compliqué de fièvre et dune extinction de voix presque totale qui le rend très intéressant mais qui le fait souffrir. Comme il est en passe dêtre promu, et quil a lexpérience du mois de septembre dernier, il ne veut à aucun prix entendre parler de partir...... pas même à linfirmerie. Ca passera.
Rien de sensationnel à part cela. On ne parle plus de repos pour nous et nous continuons notre petit service en attendant patiemment. Bon physiquement et bon moral chez moi. Jespère quil en est de même du premier chez toi: je ne te parle pas du dernier que je sais à un degré excessivement élevé.
Bons baisers de ton fils pour toi. Souvenir à Médéa et tape sur le museau de Cadi............
P.S. Respects de Mörch (transmis à voix basse).
7 mars
Grande Goutte. Reconnaissance du secteur de Moncel que nous devons prendre après-demain. Contrordre.
8 mars
Grande Goutte. Le général Prax est remplacé par le général Mainvielle.
Jai reçu aujourdhui ta longue lettre n°6 qui ma fait grand plaisir et ma donné quelques nouvelles, entre autres ladresse de lOncle André à qui jécris un petit mot tout à lheure pour le distraire un peu.
Madeleine ne ma pas encore donné signe de vie depuis quelle est à Paris, mais la pauvre doit avoir tant de courses et de visites à faire quelle est toute excusée. Daprès ce que tu mécris, je nai pas compris si elle sera de retour pour le passage de Tante Marguerite et de Simone. Enfin, elle les aura vues à Paris.
Ici, situation inchangée: ça tonne à droite, ça tonne à gauche: devant nous, grand calme: quelques coups de canon le jour, quelques coups de fusils la nuit: juste pour nous rappeler que la paix nest pas encore signée! Nous perdons notre Général de Division qui sen va prendre un autre commandement. Nous ne savons pas encore qui va le remplacer. Mon ordonnance vient de revenir d permission mais il est malade et jai peur quil ne se fasse évacuer: ce serait dommage pour moi. Mörch va mieux, mais est encore complètement « aphone ». Les autres camarades vont très bien.
Pas de nouvelles de J. Chagnaud. Jespère quil aura reçu ma lettre et que je vais avoir une réponse dici peu.
Au revoir, chère Maman, rien de nouveau comme tu le vois..............
9 mars
Grande Goutte. Le soir, relève par la 19° (capitaine Malabat). Nous allons en réserve à Mazerulles.
10 mars
Mazerulles. Reconnaissance de travaux.
Aujourdhui marrive ta lettre n°7 du 7 par laquelle tu mapprends que tu nes pas seule et que tante Marguerite et Simone sont venues un peu égayer ta solitude. Jen suis bien heureux pour toi. Dailleurs Mad. et Muguette doivent être à lheure actuelle de retour et voila votre vie tranquille pour quelques semaines maintenant.
Par le même courrier, je reçois une carte de Mimi, me disant que tout le monde va bien à Paris et que les enfants sont fous de joie dêtre réunis tous les trois: ils doivent être bien amusants à voir, en effet. Merci pour la graisse de chaussure que jattends avec impatience car cest infiniment plus pratique que le cirage pour nos chaussures « peu fines ».
Ici, rien de neuf: je fais toujours très bon ménage avec Mr Strohl et lincident de lautre jour est oublié de part et dautre. Jespère quil ne se reproduira plus. Tu me complimentes sur le beau temps qui règne ici, alors naturellement: il est épouvantable. Hier et avant-hier, froid et neige très abondante, aujourdhui, soleil et chaleur, doù dégel subit et boue...... jusquaux chevilles.
Nous ne sommes plus aux avant-postes depuis hier, mais en
réserve pour une dizaine: le grand repos dont je tai
parlé lors de ma permission et que jescomptais pour ces
jours-ci, naura pas lieu par suite de
bouleversements changements dans lorganisation
du secteur et de la Division. Nous faisons donc notre 6° mois
davant-postes, sans repos!!!! Les hommes sont naturellement
plus ou moins pleins de totos et fatigués: nous autres
ça va bien, car notre vie est bien moins dure. Mörch va
bien mieux, mais na pas encore la voix très
claire.
Jespère que vous avez de bonnes nouvelles de Jean. Il ne ma pas encore écrit depuis sa permission mais je ne men étonne pas, car il a eu à se mettre au courant de ses occupations.
Nous avons un nouveau Général de Division: le Général Mainvielle (je ne réponds pas de lorthographe car je viens juste dapprendre son nom). Le connais-tu, par hasard?
Je te quitte, car je ne vois plus rien à te dire dintéressant: nous mangeons de nouveau depuis notre recul, à la table du Chef de Bataillon qui, malgré ses allures de vieil homme, vient dêtre père pour la 5° fois. (Il en pince pour la Compagnie et sarrange toujours de manière à faire Popote avec nous!!)
Au revoir, chère Maman, embrasse tes voyageuses pour moi, je te prie (jentends par voyageuses, Mad. et Muguette, car les autres doivent être parties)................
11 mars
Mazerulles. Travaux au bois du Ramont. Déjeuner avec le capitaine Bouires (17).
12 mars
Mazerulles. R.A.S.
Merci beaucoup de ta lettre n°8 que je reçois à linstant et de la boîte de graisse reçue hier. Cest tout à fait la même que Mörch et cest bien ce que je te demandais. Quand la boîte arrivera à sa fin, je te ferai signe pour que tu men envois une autre.
Je vois par ta lettre que Tante Marguerite et Simone restent à La Rochelle plus que je ne le pensais: tant mieux pour toi. Je souhaite vivement que le temps ait bien voulu se mettre de la partie, pour permettre les promenades dans les jolis coins de cette vieille cité. Et puis voilà Mad. et Muguette revenues, qui vont reprendre leur place et tempêcheront de tennuyer seule. Donne-moi, je te prie, les impressions du Muguet sur la Capitale et sur son voyage. Elle doit certainement vous faire des réflexions amusantes.
Ici, même vie. Pas davant-postes, mais du travail très ennuyeux parce que loin, dans la boue et arrosé quelquefois par lennemi. Mörch y est en ce moment et jentends que lon y tape un peu, mais avec notre veine connue, il ny aura pas de casse; cétait la même chose hier et nous navons rien eu.
Déjeuners et dîners sérieux puisque nous sommes avec le Commandant, puis le bridge pour ceux que leur service nappelle pas dans la nuit. Je lis en ce moment le « Capitaine Fracasse » que le Commandant et plusieurs autres officiers mont demandé quand je laurai fini. Je vais avoir fini le premier tome bientôt. Cest amusant et si tu en connais dautres qui me plairaient, tu seras bien aimable de me les envoyer....................
13 mars
Mazerulles. Travaux au même endroit.
14 mars
Mazerulles. Voyage à Nancy (Lulu). Visite chez Mme Adrien. Courses.
15 mars
Mazerulles. R.A.S.
Je nai pu técrire hier pour la bonne et agréable raison que jai obtenu une permission pour Nancy. Je lavais demandée pour aller essayer ma nouvelle tenue. Malgré que nous ne soyons pas au repos, mais en réserve, le colonel a bien voulu me la signer et jai entrepris le peu confortable voyage de 18 km en voiture de Compagnie où lon est secoué de belle façon.
Jai cette fois-ci eu le temps de me présenter au 82 de la rue St Georges, chez Madame Adrien où jai été reçu par elle et sa fille cadette. Monsieur Adrien est venu au moment où je partais, mais jai pu lui parler quelques minutes. Ca ma lair dune fort aimable famille: Madame Adrien est douce et parle très bas. Jai été reçu dans la salle à manger et ces dames ont dissimulé au moment de mon arrivée des ouvrages quelles faisaient. Elles étaient en tablier de maison, enfin tu vois dici la scène bien familiale et qui test arrivé plus dune fois.
Mademoiselle, je ne sais comment, la seconde, est fort aimable et pas mal du tout. Elle nest pas timide et parle très bien; cest même elle qui soutint la conversation plus que sa mère, parlant de la guerre, de la vie à Nancy, des visites davions, etc... avec beaucoup dintelligence. Cest une vraie jeune fille, blonde comme sa mère. Je ne sais quel âge elle a. Dis-le moi ainsi que celui de sa soeur qui nétait pas là? Y a-t-il dautres enfants à part ce fils qui avait mon âge, qui a été tué et dont nous avons parlé.
Monsieur Adrien est beaucoup moins bien (physiquement du moins), il est très laid et ressemble un peu à Mr Suire en plus jeune. Jai montré les photos que javais de vous ce qui a eu lair de leur faire plaisir. Ton Amie ta bien reconnue et dit que je te ressemble. Elle a dit que jaurais dû me présenter pour le déjeuner, mais tu penses que je ne pouvais vraiment le faire pour une première visite. Je suis invité pour la prochaine fois.
Dautre part, jai rencontré dans la rue Madame Mirman et 2 de ses filles qui ont répondu très gracieusement à mon salut. Je nai pas eu le temps daller les voir, elles vont me prendre pour un garçon mal élevé. Je me débrouillerai la prochaine fois et leur raconterai quelque chose pour mexcuser à moins que tu ne me conseilles pas de les fréquenter davantage.
Hier, en rentrant, jai trouvé ta lettre n°9. Merci des nouvelles quelle renferme. Ici, rien de nouveau, nous allons prendre un secteur demain soir, celui que nous avions quand le commandais la compagnie au mois de décembre. Mr Strohl étant malade. Mörch est toujours aussi aphone. Il ne souffre de rien mais ne peut pas parler haut. Il est obligé de parler à voix basse, ce qui le rend intéressant pour nous, mais le fait prendre pour un fumiste pour ceux qui ne le voient pas tout le temps.
Moi, je me porte toujours à merveille et ne suis même pas enrhumé pour le moment. Encore aucune nouvelle de Jean C.; je commence à croire quil moublie, car je lui ai écrit dès quil a dû arriver à son corps..................
16 mars
Mazerulles. Le Capitaine, Saudaran et moi partons en avant pour prendre les consignes au Poirier, bien moins bon secteur quautrefois et assez marmité. Jai la section de droite vers Hailley-Fouilly.
17 mars
Poirier. Vers deux heures 1/2, très violent bombardement sur toute la ligne. Les Boches attaquent et prennent le moulin de Moncel. 20 prisonniers (Peyrignière), tués et blessés (Bournac).
18 mars
Poirier. Calme. Travaux.
Très occupé, mais vais très bien. Je vous écrirai plus longuement demain............
19 mars
Poirier. Travaux. Drancès part à Mont-de-Marsan (cl. 1918).
Excuse-moi davoir été quelques jours plus négligeant que dhabitude vis à vis de toi mais je suis très très occupé en ce moment-ci. Je tavais cependant écrit avant-hier mais jai été obligé de déchirer ta lettre car jy mettais une adresse fausse. Je devais, en effet, aller suivre un cours, mais changement soudain, je ny vais plus. Hier je voulais técrire, mais nai pu accoucher que du petit mot n°11 que tu as dû recevoir, tindiquant seulement que jallais bien. Enfin, aujourdhui, entre 2 courses à travers des boyaux sans fin, je vais tâcher de te raconter un peu notre vie.
Tu sais que nous sommes en ligne. Les Boches ont salué notre arrivée en nous faisant un très sérieux coup de main qui a valu à mon Bataillon une trentaine de prisonniers, plusieurs morts et pas mal de blessés.
Bournac, sergent, fils de la bonne de Madame Schenck a été très grièvement blessé et le bruit court aujourdhui quil est mort à Lhôpital, je ne sais si cest vrai. Nen parle quavec réserve à Mme Schenck si par hasard elle venait te demander des nouvelles.
Peyrignière, notre brancardier, prêtre si bien, dont je tai parlé, est prisonnier. Etc, etc. La Compagnie a eu sa veine habituelle nayant pas un prisonnier, pas même un blessé. Cest miraculeux, car le bombardement navait jamais été si fort dans ce secteur.
Autre nouvelle. Drancès (sous-lieutenant à ma Compagnie) vient dêtre désigné pour être instructeur à Mont-de-Marsan de la classe 18: Quel filon!! Cela va peut-être faire une place dofficier pour ce brave Mörch que je voudrais bien voir rester à la compagnie. Il va bien, mais est toujours aphone. Le Capitaine aussi a une « pelote dépingle » dans la gorge (sic) et Saudaran a mal à lestomac. Je suis le seul valide pour le moment, mais cela se tassera, je lespère du moins pour eux.
Merci de tes lettres n°10 et 11 reçues ces jours derniers. La mort de ce pauvre Mr Petitbon ma étonné, car je le croyais encore jeune et alerte. Jespère que le Docteur Jean Chagnaud est en bonne santé. Il sobstine à ne plus me donner de ses nouvelles.
Les journaux doivent vous intéresser en ce moment avec les sensationnelles nouvelles quils nous apportent: Abdication de Nicolas. Démission de Lyautey. Démission du cabinet Briand. Avance sur Peronne, Bapaume, etc... etc... Nous, nous ne bougeons toujours pas et tout est revenu dans le calme depuis la sale histoire de lautre nuit.
Je viens de gronder Mörch qui nécrit pas assez souvent chez lui. Nous ne sommes pas à la même section, car il remplace Drancès, mais nous nous voyons plusieurs fois par jour tout de même. Reçu lautre jour une lettre de Roger Martin qui va bien et ma envoyé les photos ci-jointes. Je nen ai que faire et te les envoie pour que tu le reconnaisses au milieu de ses sacs de terre...............
20 mars
Poirier. Travaux.
21 mars
Poirier. (Modification des consignes et des travaux).
22 mars
Poirier. Travaux.
23 mars
Poirier. Travaux.
Je réponds aujourdhui à tes 2 lettres n°12 et 13, dont je te remercie beaucoup. Depuis ma dernière lettre, jai écrit à Mad. pour la remercier de ses photos et elle a dû te donner de mes nouvelles qui continuent toujours à être aussi bonnes.
Hier marrivait une lettre de Jean C.; en effet il va bien, mais à lair dêtre en déménagement, daprès ce quil dit: je nai pas très bien compris sil changeait de secteur. Je te renvois la liste des livres que tu mas envoyée lautre jour. Je nen connais aucun, aussi peux-tu menvoyer ceux que tu préfères. Je tavouerai que je nai pas encore terminé le Capitaine Fracasse parce quici, jai trop doccupations en ce moment pour lire. Ce sera pour quand nous serons un peu plus à larrière.
Tous mes compliments pour ta marmite norvégienne. Je ne mexplique pas très bien en quoi cela consiste, mais si les plats cuisent tout seuls ce doit être merveilleux: je me propose de ladmirer à ma prochaine permission. Non, je ne vous trouve pas trop mondaines. Vous avez bien raison de vous distraire en allant à ces auditions de chant qui sont une étude dart plutôt quun diversement.
Oui, ce voyage à Nancy ma été fort agréable et jai été très content de faire connaissance avec la famille A. Celle des jeunes filles que jai vue est, en effet, fort bien élevé et Mme A. a lair triste comme tu le dis. Pour le costume, il sera bien, mais il faut que jaille encore lessayer. Cest assommant, car il est difficile davoir de fréquentes permissions.
Je me demande comment tu as pu voir de nouvelles nominations de Sous-Lieutenent au 234. Il ny en a pas eu depuis longtemps, ce doit être une erreur de ce brave Echo Rochelais. Mörch attend toujours son galon, ce qui le rend, je tassure, de très mauvaise humeur. Merci des amitiés de Roger. Transmets lui les miennes, je te prie, lorsque tu lui écriras. Je tâcherai dailleurs de trouver un moment pour lui écrire un de ces jours.
Tu recevras dici peu un petit colis: ce sont des bagues de Poilus qui traînaient dans ma cantine. Veuille les mettre, je te prie, avec celles que jai déjà rapportées (si tu sais ou elles sont. Mad. le sait peut-être mieux. Il y en a une qui représente une femme nue que je vous avais montré).
Je te quitte, ma chère Maman, car je nai rien de nouveau à te dire. Toujours relativement calme par ici et aucun canard en circulation..................
24 mars
Poirier. Travaux.
25 mars
Poirier. (Nouveaux changements dans les consignes).
26 mars
Poirier. R.A.S.
Rien de nouveau depuis ma dernière lettre du 23. Toujours dans le même secteur. Beaucoup de travail, mais assez de calme. La santé est bonne, mais le mauvais temps et le froid que nous avons, la boue dans laquelle nous pataugeons du matin jusquau soir et encore plus du soir au matin, nous rendent tous dune humeur détestable.
Mörch va mieux, sa voix revient peu à peu, mais il est ennuyé de la santé de sa mère. Le Capitaine attend avec une impatience fébrile sa permission. Il devait partir avant-hier, mais une diminution de permission le repousse jusquà après-demain. A moi reviendra alors le commandement de la Compagnie qui, en ce moment et pour des raisons que je ne peux te dire est particulièrement ennuyeux et délicat. Enfin, je tâcherai de men tirer.
Jai reçu dernièrement une lettre de Simone me racontant son voyage à La Rochelle dont elle est enchantée. Elle me donne de bonnes nouvelles de toute la famille et était de retour à Penne..................
27 mars
Poirier. Arrivée à la Compagnie du sous-lieutenant Dethomas en remplacement de Drancès.
28 mars
Poirier. Le Capitaine part en permission. Je vais habiter son P.C. (Sape Jamie). Calme. R.A.S.
Jai reçu hier ta lettre n°15 du 24 qui mannonce le voyage de Mad. à Paris. Je pense à elle en ce moment-ci, car je crois quelle doit y être à lheure actuelle.
Quelques changements à la Compagnie en ce sens que le Capitaine Strohl est parti cette nuit en permission et que je suis commandant de Compagnie. Jusquà présent, pas dennuis, mais cest encore tout nouveau. De plus nous avons « touché » un nouveau sous-lieutenant, Mr Dethomas. Cest un homme de 35 ans qui vient dêtre nommé officier il y a quelques jours à Mont-de-Marsan et qui était caporal depuis le début de la guerre à larrière. Il ne connaît absolument rien au métier, ni à ce genre de guerre de tranchées. Mais on va le dresser.
Cest un homme du monde accompli. Il est avocat à la cour dappel de Paris et est dune très bonne famille de Bordeaux. Il connaît les Noailles, et, étant du même âge que le capitaine, connaît beaucoup des mêmes personnes que lui, tant à Paris quà Bordeaux (pays dorigine du Capitaine). Ils ont eu à 20 ans, le même béguin pour une même jeune fille qui était une beauté, que ni lun, ni lautre nont épousé et dont ils ont parlé tout hier.
Cela me fait un drôle deffet de donner des ordres à ce Monsieur Chic qui est de 9 ans plus âgé que moi. Pourtant, je lui ai donné la même section que Mörch qui lui donne des conseils!!! car il a plus dexpérience que lui des choses de la guerre.
Rien de nouveau à part cela, jécris cette lettre dans mon P.C. de Commandant de Compagnie, à coté de Mörch qui tenvoie ses respects et va tout à fait mieux de son mal de gorge. Quant à moi, je suis enrhumé du cerveau, mais ce nest pas grand chose................
29 mars
Poirier. R.A.S.
30 mars
Poirier. R.A.S.
Toujours horriblement occupé, surtout depuis 2 jours que Mr Strohl est parti. Jai quotidiennement 2 ou 3 rapports à faire, 2 ou 3 croquis, plus ladministration ordinaire de la Compagnie et du secteur. De plus, jai tout un dossier à faire sur un homme qui est traduit en conseil de guerre pour un retard de 6 jours dune permission, et qui, de ce fait, est porté déserteur!!
Enfin cela fait passer le temps et mapprend mon métier. Mr Dethomas ma lair dun charmant homme mais vraiment il ne connaît rien de rien, et ne nous est daucun secours. Il faut que Saudaran, Mörch et moi fassions tout, et je tassure que nous ne chômons pas.
Nous avons depuis hier matin, un déluge qui na pas lair de vouloir cesser et qui nous donne en plus un travail fou dentretien dans nos kilomètres de boyaux!
Jai reçu hier laimable lettre de Mad. à qui je répondrai quand je la saurai revenue de Paris. En même temps marrivait une longue lettre de Mad. du Sault toujours dans son même style particulier. Rien de nouveau à part cela, mais je ne te cache pas que nous aurions, officiers et soldats, bien besoin de repos, et pourtant rien de prochain dans ce sens na lair de se dessiner...............
31 mars
Poirier. Visite dune ronde de la Brigade (de Lignerolles) R.A.S.
1 avril
Poirier. La 17° commandée par le sous-lieutenant du Mesnil vient prendre les consignes difficiles à passer. Relève de la Comapagnie (Sornéville).
2 avril
Je reste jusquà 10 h. du matin avec la 17°. Retour à Sornéville et visite des chantiers.
Jai reçu avant-hier et aujourdhui tes deux lettres n°16 et 17, mais si je nai pas pu répondre à lavant-dernière, cest que jétais très occupé par un déménagement. En effet, nous ne sommes plus en 1° ligne, mais en réserve maintenant ce qui va me donner quelques loisirs comme commandant de Compagnie. Je vais même faire mon possible pour en profiter et aller faire un petit tour à Nancy.
Jespère pour toi que tu nes plus dans la solitude et que Mad. est revenue enchantée de son court voyage dans la Capitale. Où sont-ils descendus?
Aucune nouvelle de Mr Strohl: il est parti pour le fin fond de lArdèche, et les communications ne sont pas très rapides. Sa femme et ses enfants y sont dans la propriété de sa belle-mère pour passer les vacances de Pâques.
Ces jours-ci, jespère avoir le temps de beaucoup « écrire et de beaucoup lire »: je vais finir le capitaine Fracasse. Mais tu sais quil ne faut pas faire de projets quand on mène cette vie. Nous avons reçu au bataillon un nouveau prêtre que je nai fait quapercevoir, mais qui ma lair moins bien que ce pauvre Peyrignière. Quelle perte nous avons fait ce jour-là.
Reçu lautre jour une carte dAndré Beltremieux en réponse à une lettre que je lui avais adressée à lhôpital, à la suite de sa blessure. Il va mieux et croit pouvoir retourner sur le front avant la fin de la guerre (La Palisse nest pas mort). Excuse cette phrase, mais tout le monde est chez moi pour me presser daller à table...............
3 avril
Sornéville. Travaux.
4 avril
Voyage à Nancy avec Mörch. Courses diverses. (Suzie)
5 avril
Sornéville. R.A.S.
Absolument rien de neuf à te raconter depuis ma dernière lettre. Grand calme. Après avoir eu du travail pour organiser les différents chantiers de la Compagnie, je nai maintenant plus rien à faire du matin jusquau soir puisque tout, une fois organisé se fait automatiquement! Jen profite pour accompagner tantôt lun, tantôt lautre de mes camarades qui va aux travaux. Cela me fait une promenade « à la campagne » par un beau temps, car voilà 2 belles journées que nous venons davoir.
Merci de tes pastilles de miel que je nai pas encore reçues mais qui seront les bienvenues de Mörch et de moi. (Je ne me rappelle plus si je tai dit que Edouard nayant pas de chambre ici, et moi, ayant une des plus belles du cantonnement, je lui ai fait mettre une couchette dans ma chambre, ce qui fait quune fois de plus, nous sommes ensemble). Il est un peu découragé de ne pas avancer plus vite dautant quil a de ses camarades décole, nommés aspirants comme lui, qui sont à 2 galons! Que veux-tu, les régiments qui donnent ont plus davancement. Ici nous navons pas de pertes!! On ne peut pas tout avoir!
Jespère que Mad. sera avec toi quand tu recevras cette lettre......................
6 avril
Sornéville. Le colonel de Latour est remplacé par le colonel Méquillet.
7 avril
Sornéville. Le capitaine Rouillard du 206 vient prendre les consignes pour la relève (du Régiment)
8 avril
Sornéville. Retour du Capitaine. Départ de Saudaran à un cours à Lunéville.
Jai reçu ta lettre du 3, n°19. Merci. De plus, je reçois ce matin un paquet de toi, contenant 2 botes dexcellentes pastilles de miel que tu mavais déjà annoncées et dont je sais quoi faire, je tassure.
Ici, rien de nouveau. Le capitaine Strohl ma écrit une lettre dArdèche, fort aimable. Il revient cette nuit, juste pour le déménagement de la Compagnie. En effet, nous allons avoir enfin le repos dont je tai parlé, mais de 12 jours au lieu de 21, et pas dans le même village, mais cependant cest toujours bon à prendre, et je te dirai dans ma prochaine lettre la façon dont nous sommes installés. Cest un nouveau village que je ne connais pas mais qui parait-il nest pas mal, quoique tout près du front.
Nous avons un nouveau colonel: notre ancien colonel de Latour est parti commander une brigade de cavalerie et le nouveau sappelle: le Colonel Méquillet. Il a, je crois, été lieutenant à La Rochelle il y a un peu plus de 20 ans. Je ne lai pas encore vu, le connais-tu?
Jusquà présent tout sest bien passé à la Compagnie depuis le départ du Capitaine, jespère que cela va encore durer aujourdhui et pendant la nuit: après quoi, je lui repasserai le commandement et rejoindrai ma vieille section. Mörch, pour qui jai eu beaucoup de complaisance et même damabilités pendant cette période (même chambre, même popote) nest vraiment pas un ami sérieux. Il en prend beaucoup trop à son aise lorsquon le met un peu libre, et ne se rend pas compte quil est avant tout sous-officier et vis à vis de moi, ne se tient pas à sa place lorsque je commande la Compagnie, ne faisant pas ce que je lui dis exactement et ne faisant que ce qui lui plaît. Jai été obligé de lui faire à plusieurs reprises des observations vraiment gênantes. Il aurait besoin quon lui serre un peu la vis, et je vais en parler au Capitaine.
Reçu hier une charmante, oh mais très charmante lettre de Madame de Cayla qui mannonce un gros colis contenant 3 kg de sucre, des cigarettes, du thé, des savons et surtout.......... surtout un de ses petits mouchoirs « lui appartenant pour que, dit-elle, quelque chose delle soit à la bataille avec un brave »!!!!! Ce mouchoir dune jolie jeune femme, je laurai toujours sur moi, et il me portera bonheur!! Elle na pas lair davoir reçu mes lettres et a appris que javais été « fait sous-lieutenant » par Maurice. Je lui réponds et cette fois-ci, jaffranchirai ma lettre à 25 centimes.
Rien de nouveau à part cela. Jai pu assister à la messe ce matin avec Mörch et vais faire mon possible pour faire mes Pâques pendant ce repos. Au revoir, chère Maman, bons baisers au Muguet et à sa Maman, si elle est de retour. Je lui écrirai prochainement. Quelle menvoie les photos que je lui ai demandées dernièrement.............
9 avril
Sornéville. Le soir à 10 h., nous déménageons pour aller au repos à Serres.
10 avril
Serres. Joli village. Très bonne installation. Temps épouvantable.
Jai reçu ce matin, ton excellent colis contenant un gâteau, un peu cassé, et 2 boites de truffes et de fruits confits, dont je te remercie infiniment. Tu me gâtes beaucoup depuis quelque temps.
Comme je te lai fait pressentir dans ma dernière lettre, nous sommes au repos dans un assez joli village depuis cette nuit, malheureusement il fait un temps horrible et nous venons davoir une tourmente de neige qui nen craignait pas, dans la matinée.
Je suis ici, installé comme un Dieu dans une chambre très grande, très gaie, très propre, où jai tout ce quil me faut et chez des gens très aimables. La jeune fille de la maison est brodeuse « de son métier » et fait une broderie appelée « broderie de Lunéville » ou « de Lorraine » que jai trouvé très jolie mais je ne my connais pas beaucoup. Enfin vous pourrez en juger car elle vous fait, sur ma commande, et devant moi en grande partie, pendant que jécris par exemple, un col pour Mad., un re-col pour mon petit Muguet et, joli travail, un chemin de table pour toi. Javais envie de lui commander un corsage pour Mad., le modèle me plaisait infiniment, mais elle men demandait un prix que mes modestes appointements de Sous-Lieutenant ne me permettaient pas de lui donner. Je regrette, car cétait un ouvrage de toute beauté. Je vous enverrai donc cela quand ce sera prêt. Cest le grand travail des femmes par ici (tout près de Lunéville).
Notre popote est une salle à manger certainement mieux que la nôtre; le capitaine est installé comme un millionnaire, enfin nous sommes très bien, mais cela va se gâter un peu car il va falloir aller aux travaux dans un vilain endroit. Enfin nous aurons toujours nos nuits tranquilles, dans des draps, ce qui est déjà un point énorme et important. Les hommes sont moins bien, mais ont des petites distractions (cinéma pour les poilus!!!)
Reçu ta lettre n°20. Merci. Jespère que Mad. est à présent avec toi et avec sa fille. Quelle mère dénaturée.
Le capitaine Strohl, javais oublié de te le dire est arrivé le matin du déménagement et, ayant un vague cafard et une vague flemme bien compréhensible après une bonne permission, il ma laissé le commandement 24 heures de plus pour moccuper du changement de domicile. Pan! Attrape ça Triaud!!! Tout à bien marché et je lui ai repassé la Compagnie en ordre, sans pertes et sans bêtises de faites. Jen suis fort aise!
Ci-joint une lettre que le Capitaine ma envoyée de Baume. Tu vois que nous sommes réconciliés tout à fait. Je te quitte, ma chère Maman, car il est lheure daller manger.....................
11 avril
Serres. Reconnaissance des travaux au col de Faucroy.
12 avril
Serres. Revue du Colonel et du Général de Division près de Réméréville.
13 avril
Serres. Travaux.
14 avril
Serres. Promenade à cheval à Hoéville. Revu les Petitjean.
15 avril
Serres. Vaccination. R.A.S.
Je tenvoie cette lettre par un homme de ma section (entre parenthèse, ce nest pas un des meilleurs). Cela me donne la facilité de te dire exactement où je suis et ce que nous faisons, sans craindre la Censure qui a, lautre jour, ouvert une de mes lettres adressée à une jeune fille dun village des environs, et qui a rayé plus de la moitié de ce que javais écrit. Je mattendais à une tuile dans le genre de celle de Jean, mais il ny a eu aucune suite.
Or donc, nous sommes à « Serres », village à droite du secteur que nous occupons ordinairement. 12 km de Lunéville, 20 à 25 km de Nancy, 6 km des lignes. Le village est habité, mais marmité encore quelquefois. Nous y sommes, sauf contrordre jusquau 21 au soir et vraisemblablement nous retournerons dans le secteur doù nous venons. Un bruit court cependant que la Division serait relevée pour aller 1 mois ou 2 dans un camp dinstruction. Je te ferai comprendre par la suite ce que nous ferons.
Rien de nouveau depuis hier où jai écrit une longue lettre à Mad. Jai écrit à Roca pour le féliciter de son galon de sergent. Archambaud tapportera également un colis contenant une trousse de toilette qui ne me sert pas, et membarrasse, mon passe-montagne dont je ne me sers plus en cette saison, quelques chaussettes de grosse laine. Enfin 2 cols pour Mad. et Muguet. Ton chemin de table se fait, je viens de le voir, il ne sera pas mal du tout.
Veuille bien, je te prie, menvoyer quelques (3) paires de chaussettes, pas si grosses que celles que jenvoie mais pas trop fine tout de même. Tu comprends, pour le printemps.
La santé est toujours bonne, le moral se maintient. Jespère quil en est de même chez toi..............
16 avril
Serres. R.A.S.
17 avril
Serres. R.A.S.
18 avril
Serres. R.A.S.
Jai bien ta lettre n°23, contenant les 4 photos dont je te remercie ainsi que Mad. Avant-hier, je tai envoyé un colis et une lettre par un homme de ma section qui, jespère, taura apporté le tout aussitôt son arrivée.
Excuse mon écriture, mais figure toi que nous avons de la neige et un froid terrible. Tout est gelé très fortement, pour un mois davril, cest vraiment triste. Et vous, quel temps avez-vous? Jespère que dans cette brave Rochelle, le printemps est arrivé. Ici nous navons vu aucun symptôme encore de cette belle saison. Les paysans sont consternés de voir leur blé perdu par ce froid inattendu. Je nai pas de feu dans ma chambre et naturellement ai un froid qui me paralyse la main.
Rien de nouveau à part cela. Hier, le colonel Méquillet est venu nous voir; il nous avait envoyé la musique qui nous a donné un concert interrompu 2 fois par la neige! Ton chemin de table va être fini aujourdhui et je vais te lenvoyer dici très peu de temps...............
P.S. Ah! une commission. Pourrais-tu me dire le nom des grosses maisons de poissons de La Rochelle. Y a-t-il une maison SCHMIDT? Je ne crois pas.
19 avril
Serres. Reconnaissance des chemins de contre-attaque dans le secteur du 344.
20 avril
Serres. Travaux.
21 avril
Serres. R.A.S.
Jai reçu beaucoup de choses depuis ma dernière lettre: dabord tes lettres n°24, 25 et 26, puis une lettre de Mad. et du Muguet; enfin deux colis, lun de toi contenant 2 volumes sur lAfrique, lautre de Mad. contenant un étui à cigarettes dont je la remercierai très prochainement. A toi, merci des deux livres qui vont mintéresser énormément. Tu sais que Madame de Sairigné men a également envoyés, entre autres « Tartarin sur les Alpes » que jai fini ce matin. Tu vois que jai du pain sur la planche pour le moment.
Par le même courrier, je tenvoie un colis recommandé contenant ton chemin de table, plus un col pour Madeleine, mais à une condition: quelle choisisse entre les deux (celui-ci et lautre en soie) et quelle envoie lautre à Loulou du Sault de ma part. Dites-moi, je vous prie, celui que vous enverrez. Je le fais passer par La Rochelle pour que vous le voyiez car il est superbe, mieux que lautre, je trouve, et, sil fait envie à Mad, quelle le garde en faisant passer le premier à ma charmante cousine.
Je réponds maintenant à toutes tes lettres qui marrivent en grand nombre et me font tant de plaisir de ce fait. Laventure de Cadi ma passionné tout comme vous et je suis bien heureux que vous soyez entièrement rassurées. Donne-lui une bonne tape amicale de la part. Merci beaucoup à vous deux davoir pensé que la St-Georges était après-demain et de mavoir fait de si aimables voeux. Puissiez-vous, en effet, me les faire de vive voix lan prochain, ce serait une bonne affaire.
Jai entendu parler, en effet, de ces changements dans la garnison de La Rochelle. Cela va énormément augmenter le prix de la vie probablement, car ces Yankees, comme les Anglais ont de largent plein les poches et vont gâter tous les commerçants: Voir Nord de la France!!! Mauvaise affaire de ce coté là. Mauvaise affaire également au point de vue moeurs. Non, cela ne menchante pas outre mesure pour ma vieille Rochelle.
Je suis content quArchambaud ait été rapidement te donner de mes nouvelles et te remettre le paquet.
Nous déménageons dici demain soir et allons où nous étions avant: la Compagnie dans un secteur assez bon. Je te donnerai des détails plus tard quand jy serai.
Adieu maintenant les lits! Pour longtemps très probablement, enfin ne nous plaignons pas, les malheureux qui sont du coté de Craonne sont moins bien que nous; mais aussi, pas si longtemps que nous en ligne. Ce sont 2 guerres complètement différentes....................
22 avril
Serres. Le soir, nous partons pour les A.P. à la Grande Goutte. Marche fatiguante.
23 avril
Grande Goutte. R.A.S.
Je reçois aujourdhui ta bonne lettre n°27 ainsi que celle que le Muguet ma écrit pour me remercier du petit col. Par le même courrier, jai reçu une très longue lettre de Tante Lilia à loccasion de ma fête: je vais lui répondre très prochainement. Merci du colis de chaussettes que tu menvoies, je ne lai pas encore reçu et te préviendrai dès son arrivée.
Nous voici de nouveau en ligne, mais dans un secteur pas trop marmité et où il est difficile à « ces Messieurs » de venir nous faire de sales petits coups comme lautre fois. Cest au tour dun autre Bataillon à y être.
En somme, ce petit repos de 12 jours nous a fait du bien car, à part quelques travaux, on ne sest rien cassé, et il ne faut pas se plaindre. Le village et ses environs étaient très gentils et le seul véritable ennui, cest lépouvantable temps que nous navons cessé davoir. Je nai pu faire quune seule promenade à cheval, quant à N.... (Nancy), nous en étions trop loin, et, par ces tempêtes cétait un voyage trop inconfortable à entreprendre.
Cette bataille entre Reims et Soissons ma lair dêtre un peu arrêtée. Enfin, il faut avoir confiance quon les aura cette année! Ne crains rien encore pour Roger et Louis Le Conte: Tant quils seront au 9° Bataillon du 123, ils ne donneront pas, et sont à larrière du front. Quant à Jean et à Roca, évidemment ils sont plus exposés.............
24 avril
Grande Goutte. R.A.S.
Deux mots simplement pour te dire que jai reçu, ce matin, ton colis contenant 3 paires de chaussettes et ce qui ne ma fait de peine, un sac de bonbons que Mörch dailleurs maide beaucoup à sucer. Merci beaucoup: les chaussettes sont très bien comme je les désirais: je ne les ai pas encore essayées, mais jespère quelles seront de bonne taille.
Rien de neuf ici depuis hier, si ce nest que les permissions qui depuis un mois avaient été diminuées de moitié, viennent de reprendre leur cour normal: il ny aura donc pas un retard énorme pour ma prochaine permission..........
25 avril
Grande Goutte. Préparation dune reconnaissance que je dois faire. Patrouille sur le bord de la Loutre avec Mörch.
26 avril
Grande Goutte. R.A.S.
27 avril
Grande Goutte. Le soir: reconnaissance de lautre coté de la Loutre à la tranchée des Wurtembergeois. Aucune rencontre. Coups de feu.
28 avril
Grande Goutte. R.A.S.
29 avril
Grande Goutte. R.A.S.
Je reçois à linstant ta lettre n°28 du 24/4 qui mannonce une mauvaise nouvelle: la maladie de la petite Muguette. Comme vous, jespère que vous allez enrayer le mal et que ce ne sera quune fausse alerte. Tiens-moi bien au courant, tu penses si je suis de coeur avec vous et écris-moi tous les jours pendant la maladie, je ten prie. Dailleurs, daprès ce que je crois savoir, la coqueluche nest pas une maladie très très grave pour les enfants, mais je voudrais bien que cela soit terminé.
Je suis encore désigné aujourdhui pour aller suivre le cours de Commandant de Compagnie à Lunéville, car on ma fait 2 fois déjà, comme je te lai dailleurs raconté, la mauvaise farce de supprimer le cours 2 jours avant mon départ ou la veille même. Ce serait pour durer du 7 au 26 mai, ce qui vaudrait la peine de changer dadresse, ou mieux de sécrire par la poste civile. Je te donnerai mon adresse, mais ne faisons pas trop de projets, cela pourrait être des châteaux en Espagne.
Jai écrit dernièrement à Madame de Sairigné et à Tante Lilia, dis-moi si elles ont reçu mes lettres. Décidément cette lettre daujourdhui ne renferme que de mauvaises nouvelles, et tu seras bien aimable de transmettre à Mademoiselle Marguerite tous mes compliments de condoléances pour la mort de son père.
Au revoir, ma chère Maman, je ne vois plus rien à te raconter, soignez bien le petit Muguet et embrasse-le encore plus affectueusement que dhabitude, si cest possible, de ma part ainsi que sa Maman..............
30 avril
Grande Goutte. Retour de Saudaran. R.A.S. Je suis désigné pour le remplacer à Lunéville (Cours de Commandant de Compagnie) avec capitaine Bon.
Merci de ta lettre n°29 reçu aujourdhui qui me donne des détails sur ton voyage à Bordeaux. Ce nétait évidemment pas un voyage dagrément: cest une bonne oeuvre de plus à ton actif. Tu as cependant vu les Bernard et les Moreau. Donne-moi des nouvelles de Daniel dès que tu en auras, je te prie. Quant à Jean du Sault, il ma lair de sembusquer de plus en plus avec son histoire de Tank. Enfin il a été blessé. Que tout le monde en fasse autant que lui. Jai écrit hier ou avant-hier à sa soeur pour lui annoncer le col. Tu vois que nous sommes toujours en correspondance.
Espérons quà ma prochaine permission, jaurai le plaisir de la voir à La Rochelle, si tout va bien, ce sera vers la 2° quinzaine de juin. Tu me donnes de meilleures nouvelles du petit Muguet. Tant mieux, je voudrais bien que vous fassiez avorter cette satanée coqueluche. Jattends tes prochaines lettres avec beaucoup dimpatience, à ce sujet.
Aucun contrordre encore pour mon voyage à Lunéville. Espérons que cette fois-ci, je pourrai aller suivre ce cours vraiment très intéressant, parait-il. Lautre officier qui y va est un Capitaine, le capitaine Bon de Bordeaux, très gentil garçon que je connais beaucoup pour lavoir vu dans de sales endroits à Fleury ou ailleurs! (Il y a 2 officiers par régiment).
Voila, au revoir, je vais me coucher. Quelles journées superbes nous avons en ce moment-ci dans les bois, cest délicieux et comme cest calme, cest une période charmante que nous traversons...................
1 mai
Grande Goutte. R.A.S.
2 mai
Grande Goutte. Relève le soir par la 22°. Nous allons aux 100 Chênes et au Ravin. Je reste pour passer les consignes.
3 mai
Bois de 100 Chênes. R.A.S.
Je réponds ce soir à ta lettre n°30, dans laquelle tu me dis avoir reçu le 2° colis de broderies. Tant mieux si elles vous ont fait plaisir: telle était mon intention. Jétais sûr que Mad. garderait le second col que jaime beaucoup mieux moi aussi. Je suis bien content des nouvelles que tu me donnes du Muguet: daprès ce que tu me dis, cette coqueluche a lair complètement enrayée et vous pourrez passer de bonnes vacances avec Mad. du Sault bien entendu.
Rien de nouveau ici, nous sommes toujours dans des bois depuis que nous avons quitté le repos, mais avec ce joli temps et la chic température dont nous jouissons: ce qui est un gros ennui lhiver, devient très agréable lété surtout lorsque les artilleurs Boches ne nous ennuient pas trop, ce qui est le cas depuis quelques jours. Nous passons notre temps à faire des courses ou des travaux en forêt au milieu des fleurs dont je tenvoie quelques échantillons pour le Muguet.
Aucun contrordre pour le cours de Lunéville. Jespère toujours y aller passer 21 jours tranquilles. Mörch qui écrit à Harriet, à coté de moi, me charge de tenvoyer ses hommages ainsi quà Mad. Sur ce, je te quitte en te chargeant dembrasser bien tendrement Mad. et le petit Muguet à qui, jy pense maintenant, jaurais bien du écrire pour son anniversaire.................
4 mai
Ravin. R.A.S.
5 mai
Voyage à Nancy pour achats et courses diverses.
6 mai
Départ pour Lunéville. Chez Mme Bergé.
Me voici arrivé depuis une heure à Lunéville, et mon premier soin, en arrivant, est de te donner de mes nouvelles et mon adresse ici.
chez Mme Vve Bergé
57, faubourg de Ménil
Lunéville
Affranchi tes lettres, comme je vais le faire moi-même, de façon à ce que nous ayons mutuellement des nouvelles plus rapides! Je suis merveilleusement bien installé chez une dame de 50 ans, veuve, mère et soeur (son frère est Lieutenant-Colonel dArtillerie) dofficiers, très à laise pour ne pas dire très riche, de sorte que jai une chambre très luxueuse, une salle de bain en guise de cabinet de toilette: je pourrai me baigner quand je voudrais: je nai quà allumer le réchaud à gaz, etc... etc... Enfin, presque autant de luxe que chez les Tetlow.
Cest merveilleux. La dame est très aimable mais cest une parvenue qui fait un peu trop étalage de son argent. Comme popote, je mange dans un hôtel très chic de la ville. Quant au cour, je ne sais ce quil va être car il ne commence que demain.
Jai reçu ta lettre n°31 du 1° mai. Merci. En effet une lettre dune soeur dAlbert Roca à Mlle Mörch dit que ce pauvre camarade a disparu dans une charge où il avait pris le commandement de sa section, son lieutenant ayant été tué. Je nai pas dautres détails et serais heureux den avoir. Je compte sur toi pour cela. Quant à la lettre de Jean d. S., elle ma beaucoup intéressé. Cest horrible, mais ces machines nont tout de même pas donné ce quon en attendait.
Vive Muguette qui na pas de coqueluche! Sur ce, je te quitte, car je vais minstaller dans mes appartements car jai oublié de te dire que javais une 3° pièce à ma disposition: un grand cabinet de travail!!!!!!
Cest inouï les changements que procure cette guerre..................
7-11 mai
Lunéville. (Mme Rousseau. Barbier. Thérèse. Marie. Berthe. Mimi. la Dactylo!!!)
12 mai
Lunéville. R.A.S.
Je réponds très brièvement à toutes tes lettres n°32, 33, 34 et 36 (celle timbrée) car je suis très occupé, tu le penses, entre tous ces cours, toutes ces sorties à cheval, etc..., etc... Comme tu le vois, je nai pas reçu ton n°35 qui, forcément a été plus lentement que le n°36. Tout va donc bien et est très en ordre.
Le cours marche très bien. Pas danicroche daucune sorte. Jai déjà été interrogé et ai bien répondu: ce nest pas fini. Je técris moins souvent car tu me sais en sécurité complète ici. Le cheval, ça marche épatamment et je me suis aperçu que jétais dans les plus dégourdis, même parmi les capitaines!
Comme blessé, il parait que Max Prouteau vient davoir la Médaille Militaire et la Croix de Guerre avec palme, cest épatant, mais pourvu que ce ne soit pas après un amochage. Quant au pauvre Roca, je crois quil est foutu!
A part ces mauvaises nouvelles étrangères, je te remercie des bonnes nouvelles de la famille. Quelle chance nous avons depuis la mort des 2 oncles......... mais ne parlons pas trop vite. Je vais te quitter, déjà vas-tu dire, cest que je suis horriblement pressé, et je técris ce matin juste avant de partir pour le cours et il est grand temps que je men aille.
Bons baisers à vous toutes que je suis content de savoir en bonne santé............
P.S. Ci-joint la lettre de J. d. S.
13 mai
Nancy.
14, 15 mai
Lunéville. R.A.S.
16 mai
Lunéville. R.A.S.
Bien reçu aujourdhui et ces jours derniers tes bonnes lettres n°35, 36, 37 et 38. En effet à lune de celles adressées chez Mme Bergé et qui vont deux fois plus vite que par le secteur postal, tu as oublié de mettre des timbres, mais par un hasard inexplicable, elle na été ni ouverte, ni surtaxée et est arrivée aussi vite que les autres.
Je te demande pardon de ne pas técrire plus souvent, mais comme tu le dis toi-même, je ne risque absolument rien ici. Le cours nous prend beaucoup de temps car, non seulement nous assistons à des conférences, mais encore nous faisons de longues chevauchées, et nous avons des travaux assez compliqués à faire à la maison. De plus, je suis dans une ville civilisée où, avec le capitaine Bon, nous nous distrayons le plus possible, mais généralement nous sommes, ou fatigués, ou courbaturés, mais cest une vie agréable et un bon moment de détente que ces 3 semaines.
Ce matin, en même temps que ta lettre, je recevais une de mes lettres adressée à Roca. Le pauvre ami est certainement mort maintenant. Quel malheur!
La ville où jhabite est gentillette surtout en cette saison où tout est fleuri. Hier, jai ramassé du muguet dans des bois, jen ai fleuri mon cheval et moi-même, cétait très gentil. Le château et la cour sont encore respectés, cest même à ce château que nous suivons nos conférences. Les avions viennent y faire quelques visites, mais pas depuis que je suis là, pourtant il fait un temps pour cela.
Jespère que le Muguet ne vous donne plus aucune inquiétude à présent et que Loulou de Sault pourra venir pendant ma permission!! Merci de tous les petits détails Rochelais que tu me donnes, tout cela mintéresse vivement, tant au point de vue de mes camarades, que des événements aériens. Ici, je tassure que les avions ne manquent pas. Je ferai mon possible pour y monter quand nous irons les voir chez eux.
Lautre jour, jai rencontré ici mon Colonel dont le frère est député à Lunéville. Il ma dit que nous partirions prochainement de la région, selon toute vraisemblance. Ce serait pour aller dans un camp dabord, ensuite??.?..........
Lettre adressée au:Sergent A. Roca
118° Régiment dInfanterie
7° Compagnie
« RETOUR A LENVOYEUR »
le 8 avril 1917.
Mon cher Albert,
Jai reçu hier ta bonne lettre du 30 mars dont je te remercie bien vivement. Je savais en effet par Maman, que tu étais passé à La Rochelle le lendemain de mon départ: cest bien notre veine! Jai bien regretté moi aussi, car nous avons certainement changé tous les deux depuis que nous nous sommes vus, et cela nous fera un bien drôle deffet. Espérons que ce sera prochainement que nous en aurons loccasion, après la Victoire.
Toutes mes félicitations pour ton grade de sergent, si mérité et que lon ta fait attendre bien longtemps, je trouve. Vivement que nous allions prendre un apéritif tous les deux en uniforme dOfficier!
Mörch est toujours à ma Compagnie comme aspirant, et Parriat (ton ex-collègue) comme fourrier. Nous parlons souvent de toi tous les trois!
Mes respects chez toi, où, jespère, tout le monde se porte bien. Je te serre cordialement la main.
Ton vieil ami.
17-19 mai
Lunéville. R.A.S.
20 mai
Nancy.
21 mai
Lunéville. R.A.S.
22 mai
Lunéville. R.A.S.
Je trouve que je te néglige vraiment ici, mais que veux-tu, je suis très occupé par ce cours qui nous prend de 8 h. du matin à 5 h. du soir, sans compter les travaux à faire chez soi. Par exemple, nous faisons des promenades à cheval presque tous les jours, cest délicieux, idéalement délicieux, dans ce beau pays et par ce beau temps.
Ci-joint une photo de moi à cheval prise par le capitaine Bon au cours dune promenade. Jai dautres photos que je veux montrer à ma Compagnie, mais je ten enverrai par la suite. Celle-ci est prise à Blainville où jai été suivre un cours au mois de Janvier: nous y avons été voir une manoeuvre.
Tu te demandes quel costume jai: cest un costume que jai fait faire avec un pantalon et une capote de létat, pour la tranchée; Il ma coûté très bon marché et est très bien taillé. Jen suis fort content et suis maintenant très bien monté en vêtements. Restent les chaussures, mais tout cela se paie et tout augmente de sorte que je ne fais pas déconomie ici, au milieu de ce secteur calme: de Nancy et de Lunéville, etc...
Il parait imminent dailleurs que nous allions dans un endroit où nous ferons forcément des économies, mais jespère aller en permission avant daller dans la fournaise.
Jai reçu ta lettre n°39, venue très vite naturellement. Elle ne me donne pas de bien bonnes nouvelles des Rochelais.
Ici rien de nouveau. Je travaille et je mamuse en compagnie continuelle du capitaine Bon qui est un vrai camarade avec moi. On tiendrait très bien ici, jusquà la fin de la guerre. Mörch ma écrit: rien de neuf non plus à la Compagnie que je vais retrouver je ne sais où, dans une semaine.
Au revoir et bons baisers à toutes les trois. Ne vous en faites pas pour moi en ce moment et ne tinquiètes pas du peu de nouvelles. Je ne risque rien ici..............
P.S. Jai oublié de te dire que jai reçu récemment une grande photographie du petit Georges Neveux, mon filleul, avec pour vous les amitiés du père, de la mère et de la Tante. Je macquitte de la commission.
23-24 mai
Lunéville. R.A.S.
25 mai
Lunéville. Banquet avec le Commandant Miguon
26 mai
Lunéville. Adieux. Thé. Départ pour Nancy pour rejoindre la Division entièrement relevée.
Je reçois à linstant ta lettre n°41 et jy réponds avant daller prendre mon dernier repas avec mes camarades. En effet, ces 21 jours de détente prennent fin aujourdhui et je vais rejoindre mon régiment demain ou après-demain. Je ne sais pas exactement quand je le retrouverai car toute la division vient dêtre relevée et je ne sais pas exactement où elle a filé. Ce doit être, je crois, aux environs de Toul. Jy trouverai alors ta lettre n°40. Ne ten fais pas: rien ne se perd et tout commence à bien sorganiser pour nos correspondances, depuis 3 ans de guerre.
Pardon encore de ne tavoir que peu écrit pendant ces 3 semaines, jétais dailleurs sûr que tu ne serais pas inquiète. A partir du moment où jaurais rejoint mon régiment, je te promets, comme tu le dis, de reprendre mes « bonnes habitudes ».
Alors, tu as reçu la photo du cheval, jen ai dautres à tenvoyer dans quelques jours, dans lesquelles je ne suis pas trop trop mal. Je nai pas encore celle de Jean. Elle doit mattendre au régiment. Ne mécris plus naturellement chez Mme Bergé, mais au secteur 136, comme dhabitude.
Ce cours maura fait beaucoup de bien, au point de vue repos moral, instruction générale militaire et équitation. Le lieutenant de cavalerie qui nous instruit, ma fait beaucoup de compliments et ma dit que javais fait énormément de progrès. Cest vrai, je suis maintenant très à mon aise et ne suis plus courbaturé, même après 30 km, comme hier.
Allons bonne santé à toutes les trois que jembrasse de tout coeur, comme je vous aime. A bientôt une correspondance plus suivie............
27 mai
Nancy. La nuit bombardement par avions. Panique.
28 mai
Départ à 6 heures. Chemin de fer jusquà Pont-St-Vincent. Je rejoins la Division au camp du Bois entre Toul et Nancy. Installation bonne pour un camp.
Me voici de retour au régiment et à la compagnie. Jai trouvé toute la division groupée dans un camp situé dans un pays tout simplement délicieux, mais où nous allons vivre absolument une vie de caserne: exercices, appels, revues, etc... etc... pendant x jours. Nous ne sommes pas loin du tout de la grande ville où habite les Adrien, simplement à 15 km en arrière, au lieu dêtre en avant. Tu comprends. Tout près de la M...le (Moselle) et dans des bois superbes.
Tout le monde est en bonne santé à la compagnie, aucun accident pendant mon absence. Il nen est pas malheureusement de même dans les autres compagnies du bataillon qui a été taquiné à différentes reprises par ses voisins.
Revu Mörch qui va partir en permission très prochainement (il ne me précède dailleurs que de quelques jours). Nous sommes à ce propos assez ennuyés, car La Rochelle, tu le sais peut-être, est consignée à toute troupe par suite dépidémie!? Cest fort ennuyeux, mais cest écrit au rapport. Renseigne-toi donc, je te prie si, en demandant ma permission pour Nieul ou LHoumeau, je pourrai rester néanmoins à La Rochelle. Sinon, il faudra aller à Quinsac. Réponds-moi vite à ce sujet, je te prie.
Ici, mattendait ta lettre n°40 à laquelle je réponds maintenant. Qua donc eu Médéa de vous quitter ainsi, et as-tu fini par trouver l« oiseau rare » que tu cherchais. Je suis bien content que Muguette soit enfin guérie: elle a tout de même été assez longue à se remettre, cette petite. Ci-joint quelques photos que tu voudras joindre à celle du cheval. La petite est une de celles que Dethomas a tirées dans notre maisonnette aux avant-postes dans les bois. Accuse-moi réception, je te prie.
Pour ne pas perdre lhabitude, je viens de faire une promenade à cheval. Le capitaine Strohl est très flemmard pour sortir et, en plus, il était très occupé dans cette « garnison ». Ce sera dailleurs mon cas à partir de demain. Aujourdhui je suis considéré comme en congé. Je te quitte, ma chère Maman, en te promettant de técrire maintenant tous les 2 ou 3 jours comme auparavant..............
29-30 mai
Camp de Bois-Levêque. Exercice.
31 mai
Camp. Exercice
Deux mots pour te dire que je vais aller tembrasser incessamment.............
1 juin
Camp. Exercice.
Ma carte dhier, quentre parenthèses jai dû oublier de numéroter n°35, te fait prévoir une arrivée subite. Depuis que je lai écrite, il sest passé bien des entrevues et des contrordres qui font que je ne pars « vraisemblablement » que le 14 de ce mois. Enfin ce ne sera sûrement pas long et tu peux mattendre dici peu et prévenir Loulou du Sault de venir, si elle peut, à moins que ce ne soit nous qui allions à Quinsac? Je tai écrit à ce sujet.
Ici, nous continuons à avoir une vie très occupée par tous les exercices où nous sommes visités par des tas de grands chefs. Vie de caserne absolument qui me plaît assez mais dans laquelle on dort peu. Nous avons repris nos hommes en main en serrant un peu plus la discipline. Ils sy sont très vite pliés et jai limpression que la Compagnie est aussi disciplinée maintenant quune compagnie dactive. Il faut cela après un aussi long temps de tranchée.
Je nai pas de nouvelles de Jean depuis fort longtemps, je vais lui écrire ce soir pour lui demander un peu ce quil devient. Le verrai-je à cette permission? Mörch va partir quelques jours avant moi probablement. Il mannoncera et te donnera des détails sur notre vie, pas du tout inquiétante pour linstant. Je viens de causer très amicalement avec mon Colonel tout en écoutant la musique. Cest un homme aimable et gai.
Vos santés à toutes les trois sont bonnes, je lespère du moins vivement et souhaite de men rendre compte bientôt par moi-même. Quant à moi, jai maigri depuis un mois (Lunéville et le camp) mais ne me suis jamais senti si bien........
2 juin
Camp. Exercice.
3 juin
Camp. Le lieutenant Sauts blessé grièvement à loeil dans un exercice de grenades.
4 juin
Camp. Exercice.
Cette lettre te sera portée par Edouard, cest te dire que je vais te raconter toutes mes petites affaires sans crainte de la censure:
Dabord: Permission.
Je devais partir le 1° juin (cest à dire que le 31 mai au soir on vient me demander ladresse à laquelle je voulais aller, et me prévenir que je devais partir le lendemain matin immédiatement). Le lendemain, de bonne heure, contrordre, mais je devais partir incessamment, cest à ce moment que je tai écrit une brève carte postale pour que tu tattendes à me voir apparaître. Puis contrordre définitif. Je suis désigné pour partir le 14.
Mais voilà: La Rochelle est consignée pour épidémie, aussi, comme Mörch je demande Laleu ou lHoumeau, mais je me demande si les autorités militaires mes laisseront circuler librement à La Rochelle. Dans laffirmative, je reste avec toi à La Rochelle. Dans la négative, nous pourrions tous filer à Quinsac. Voila mon idée. Dis-moi ce que tu en pense.
Maintenant on murmure ici quil y a eu des émeutes à La Rochelle et que cétait pour cette raison que la ville était interdite aux militaires. Est-ce vrai? Si tu me réponds, fais-le à mots couverts, en cas que ta lettre soit ouverte par la censure.
Vie au camp: Tu sais que nous sommes dans un camp dinstruction entre Toul et Nancy, mais en arrière. Nous y menons une vie assez dure car nous avons une dose sérieuse dexercices. Les grands chefs que lon ne voit jamais au feu, et bien peu en ligne, sont ici continuellement sur notre dos et font des réflexions grotesques et quelquefois mauvaises. Puis ce sont des défilés en masse.
Jai lair de me plaindre: cest que je me suis mal exprimé car cette vie ne me déplaît pas du tout; dabord nous entendons très souvent la musique, non seulement de notre régiment mais de tous ceux de la division: Concert tous les soirs dans le quartier des officiers: Défilés de toute la Division, etc... etc... Cinéma tous les soirs dans une salle très bien aménagée à cet effet. Le 6 et le 7, nous recevons des acteurs et des actrices de lOpéra comique qui nous donneront un spectacle et que nous recevrons à un banquet, etc... etc... Mais on est pris toute la journée de 4 h. à 18 h. à faire de lexercice.
On ne parle pas encore de départ et surtout personne ne sait, même pas à la Division où nous irons après cette période dinstruction.
Jai reçu tes 2 lettres 42 et 43 auxquelles je réponds. Reçu également la photo de Jean à cheval, et une fort aimable lettre de ma Tante et Belle-Maman: Marie-Louise Moreau. Elle me parle de ce pauvre Jean Noailles dont tu me dis le triste état. Tiens-moi au courant, je te prie. Je ne connais pas ce « Brouard » dont tu me parles, mais je reconnaîtrai peut-être le coin quil a dessiné.
Sur ce, je ne vois plus rien à te raconter. Mörch te donnera les détails que tu lui demanderas, et dans 10 jours, à mon tour, je pourrai répondre à toutes tes questions.
Je reprends ma lettre que jai interrompue pour aller voir des avions boches qui nous survolaient et sur lesquels canons et mitrailleuses crachaient. Je croyais bien quils auraient lâché quelques crottes sur le camp, mais ils sont partis sans faire de saletés.
Un de nos camarades du 206 (sous-lieutenant décoré de la Légion dHonneur) vient davoir loeil crevé, hier à un exercice de grenades! Cest idiot................
5 juin
Camp. Exercice.
6 juin
Camp. Représentation de la troupe du Théatre aux Armées (Mlle Théry Prainer). Banquet.
7 juin
Camp. Grande revue du Général de Division.
Jai reçu hier ta lettre n°44 à laquelle je réponds aujourdhui. Tu dois avoir vu Mörch et ma lettre n°37 et des détails en quantité sur notre installation et sur notre emploi du temps. Entendu: je demande ma permission pour lHoumeau, nous verrons ce quil en adviendra une fois arrivé à La Rochelle. Quant aux Triaud, je ny passe pas en allant, tu me diras là-bas si tu tiens absolument à ce que jy aille en revenant.
Ici, toujours la même vie très occupée, mais mêlée de distractions. Je change de chemise 2 fois par jour en rentrant de lexercice tellement nous attrapons chaud sur ce sacré terrain de manoeuvre qui, comme tous, est privé dombre sur plusieurs km2 et quil faut arpenter à allures plus ou moins rapides, plusieurs fois par exercice! Mörch ta peut-être dit que nous avons eu une troupe de « Théâtre aux Armées » composée de forts bons acteurs. Figure-toi que jai été désigné pour dîner avec eux (Il y avait un représentant de chaque grade, dans chaque régiment: 1 colonel, 1 commandant, etc...). Le capitaine désigné était............ le capitaine Strohl (Oh! cette 14° compagnie!!!)
Comme jétais le plus jeune des 3 sous-lieutenants de la division, jai naturellement eu la plus jeune des actrices comme voisine, et je suis tombé sur la plus jeune des actrices comme voisine et je suis tombé sur la plus jolie: à croquer, 19 ans, mignonne et jolie comme tout. Maintenant tout le monde me taquine: cétait de beaucoup la mieux de toutes, effectivement. Cétait très gai, nous avons très bien mangé et encore mieux bu. A la fin du repas, les Colonels eux-mêmes donnaient lentrain, je ne ten dis pas plus long.
Aujourdhui, revue solennelle de toute la Division. Toute linfanterie, toute lartillerie, tout le génie, toute la cavalerie, laviation, enfin tout au grand complet, avec tous les drapeaux, toutes les fanfares, etc... etc... Cétait grandiose et fort joli. Cest la première fois que je voyais une division réunie entièrement! Le 234 a eu des félicitations pour son défilé, sauf une compagnie, qui nest pas la 14!
Toujours aucun renseignement ou même tuyau pour lavenir. Qui vivra, verra. Et vous? Je ne parle que de moi. Jespère que vous allez toujours aussi bien et que je vais vous trouver toutes les trois très bien portante et sans aucun régime. Vivement que ces 7 jours qui me séparent du départ, passent! (quelle phrase élégante!!!).....................
8 juin
Camp. Exercice.
9 juin
Camp. Exercice.
Jai reçu hier et aujourdhui tes 2 lettres n°45 et 46 dont je te remercie beaucoup. Je suis content que les nouvelles que ta apportées Mörch soient parvenues rapidement. Cest toujours agréable davoir des nouvelles fraîches, bien quencore une fois, ici, je ne risque rien.
Ici, les canards marchent leur train, car il est certain quavant mon départ, nous quitterons lendroit où nous sommes. Mais pour aller où? Tout le monde lignore et les secteurs les plus différents sont nommés les uns après les autres. Jaime à croire, malgré tout, que mon départ ne sera pas retardé malgré le déménagement.
Merci des nouvelles que tu me donnes de Mimi Balmary à laquelle je vais écrire immédiatement. Quant au pauvre Bernard, cest bien triste. Encore un qui na pas moisi au front! Il faut espérer quAndré Beltremieux et Jean Noailles vont être rétablis chacun de son côté le plus vite possible. A propos de Noailles, jai parlé, il y a quelques jours, à ladjudant Coyola, leur ami, mais je ne savais pas encore la nouvelle blessure de Jean. Si je le revois, je lui en parlerai.
Ta seconde lettre me comble de joie. Je suis enchanté de me rencontrer avec Jean Chagnaud encore une fois. Jaurais aimé aussi avoir Loulou!
Au revoir donc et à bientôt. Même vie toujours ici, par un temps toujours aussi chaud et orageux. Ci-joint le programme du spectacle du Théâtre aux Armées. Inutile de te dire que jai assisté à toutes les représentations.... dans les coulisses..............
10-11-12 juin
Camp. Exercice.
13 juin
Départ en permission par Toul à 13 heures.
14 juin
Paris. Vu Schenck partant pour le 308.
15-22 juin
Permission à La Rochelle.
23 juin
Départ à 20 heures pour Paris.
24 juin
Journée passée à Paris. Retrouvé Loulou.
25 juin
Arrivée à Toul à 6 heures. La Division partie direction inconnue. Le capitaine La Mainière menvoie en mission en auto dans les gares dembarquement et Nancy. Départ le soir à 18 heures avec le D.D. (Brochard. Fouché).
Toul, le 25 juin 1917 (18 heures)
.........Il y avait du vrai et du faux dans ce quest venu me dire Paul Bouyé. La Division a été, en effet, où je tai montré sur la carte, mais ny est resté quun jour. Le lendemain alerte: départ en chemin de fer pour une destination inconnue.
Jarrive donc en gare de Toul, ce matin à 6 h. et pour plus de sûreté, avant de filer vers Nancy, je me renseigne à la gare. Jy trouve le chef dEtat-Major de la Division qui répond à mes questions en ces termes:
Mon cher ami, la Division est en mouvement. Celui-ci a commencé hier par votre régiment, tout entier passé. Maintenant vous le rejoindrez par le dernier train de la Division. Pour le moment, jai besoin dun officier, je vous garde.
Le service quil ma demandé a été celui de prendre son auto, une superbe limousine battant fanion de la Division, et daller dans 3 ou 4 gares différentes (entre autres Nancy) porter des plis et des ordres. Je viens de finir et ai fait plus de 80 kilomètres en auto après 2 nuits de chemin de fer, je suis vanné. Je repars ce soir à 20 h. pour rejoindre je ne sais où, personne ne le sait, même pas ce chef dEtat-major qui, lui, veille au départ et ne soccupe pas de larrivée. Tout ce que je peux te dire, cest que cest vers le nord, probablement vers là où est Jean, ou même peut-être plus haut: je nen sais rien.
Je te ferai savoir dès que possible. En attendant, je tembrasse bien affectueusement ainsi que Mad. et le Muguet. Joubliais de te dire que jai fait un excellent voyage en compagnie de Poindessous? dabord, ensuite entre Paris et Toul avec un monsieur de Nancy et sa fille de 17 ans qui connaissaient les Adrien. Pas été chez les Balmary.
Vu un camarade de Jean Ch., le capitaine X qui était venu avec lui, me voir à cheval au camp de Verrière. Je lui ai annoncé la décoration quil ne connaissait pas.
Adieu Nancy, adieu la Lorraine. Où vais-je aller maintenant? De nouveau, bons baisers à toutes les trois. Je suis bien fatigué Mes hommages à Mademoiselle Madeleine Richard..........
26 juin
Arrivée à Noyon et Babeuf. Trouvé le Régiment à Salency où jarrive à 16 heures.
27 juin
Journée à Salency.
28 juin
Départ le matin à pied. Traversée Noyon et marché sous la pluie jusquà Selens où nous cantonnons.
Quel voyage! Grand Seigneur, et très fatiguant dans de
pareilles conditions. Jai enfin retrouvé mon
régiment et ma compagnie non sans peine et avec lui maintenant
je me déplace pédestrement par étape. Comment te
faire comprendre? Nous ne sommes pas
éloignés tout près de la demeure
féodale du Monsieur qui nétait ni duc, ni prince,
ni etc... Je ne peux ten dire plus long. Nous traversons un
pays qui a été superbe mais que la guerre a beaucoup
éprouvé « il y a 3 mois ». Ce matin, nous
avons reçu la plus magistrale douche que le bon Dieu puisse
envoyer sur la terre, mais nous sommes à peu près sec
maintenant. Jai retrouvé tout mon monde en excellente
santé, mais grognon.
Jespère que toutes les 3, vous allez aussi bien quà mon départ. Avez-vous reçu ma lettre n°1 de Toul? Oui, je le souhaite, je vous y racontais une charmante promenade faite en auto tout auprès du village où nous cantonnions ce jour-là.
Et Jean, quelles nouvelles? Jai annoncé sa décoration! Cela a fait sensation chez tous et même Sand... (Saudaran) na rien dit de désagréable cette fois-ci. Par le début de ma lettre, tu as compris que nous ne risquions encore rien, nous traînons pour le moment de village darrière en village darrière et nentendons quun roulement de canon vraiment faiblard. Cest de bonne augure pour le futur secteur...............
P.S. Dis-moi, si par compréhension ou par conversation à La Rochelle, tu te rends compte de notre coin??
29 juin
Cantonnement à Selens. Visité la piscine construite par les Boches et un observatoire doù lon apercevait le front et les villages et le château de Coucy.
Excuse ce petit bout de papier, cest tout ce que jai au milieu de tous ces déplacements, ma cantine étant serrée dans la voiture de compagnie. Nous sommes toujours par voies et par chemins; tantôt à pied, tantôt en camion, mais nous nous rapprochons de plus en plus de là où est Jean C. Peut-être arriverai-je à le voir: ce sera difficile, car je ne sais exactement où il est.
La région na pas lair excellente comme secteur. Cela nous rappelle un peu lannée dernière à pareille époque. Enfin je ne peux encore rien dire puisque nous navons pas encore été à portée de canon. La région que nous avons traversée na pas été trop trop abîmée, sauf aux endroits où lon sest battu il y a 3 mois, mais les Boches ont détruit tout ce qui pouvait nous servir: voies ferrées, ponts, poteaux télégraphiques, arbres fruitiers, puits, etc... etc... Dailleurs si tu me suis à peu près, tu remarques que nous allons sortir de cette région, puisque Jean ny est pas et que nous nous rapprochons de lui.
Et vous, continuez-vous à aller à la plage et à baigner Mad. et Muguet. Je vous souhaite un peu moins dorages que par ici où il tombe de ces averses saignées par moments. Avez-vous de bonnes nouvelles de Jean C.? Quand vient-il en permission? Je lui ai écrit hier un mot pour tâcher de le rencontrer et quil cherche de son coté.
Je pense à vous bien souvent, mais ne vous inquiétez encore pas pour le moment. Tâche de voir les Mörch, de Lignerolles ou autres Rochelais du 234 qui te donneront leurs tuyaux, toi, les tiens, et ainsi joints, vous aurez des précisions.
Au revoir, chère Maman. Mes hommages à Mademoiselle Richard et Mme Paillé...................
30 juin
Départ de Selens à 7 heures en camions, auto, sous une pluie battante. Traversée de Soissons et cantonnement à la ferme de Monthussart entre Braine et Courcelles. Gros bombardement devant nous à Cerny et au Chemin des Dames.
1 juillet
Ferme de Monthussart. R.A.S.
Jai reçu hier ta bonne lettre n°1 du 27 juin dont je te remercie beaucoup. Je suis bien content que ma lettre de Toul te soit parvenue rapidement pour te donner mes nouvelles.
Nous déménageons tout le temps, de plus en plus, mais toujours en arrière du front. Nous avons quitté la région du château dont je tai parlé (Coucy), et, quentre parenthèses, jai été voir à la jumelle, au milieu de ce joli pays. Nous avons appuyé dune cinquantaine de kilomètres à droite vers le plateau où est Jean et dans lancienne région où Mörch est resté si longtemps avec le 18° Corps.
En ce moment, nous cantonnons dans une grande ferme où nous sommes très serrés et les environs rappellent tout à fait larrière de grand secteur: larrière de Verdun. Au loin, le canon tonne dune façon continue. Que va-t-on faire de nous, je lignore, mais il faut sattendre à aller danser. Cest dailleurs bien notre tour après 8 mois de bon.
Les approvisionnements sont extrêmement difficiles à faire, et en particulier, comme à Verdun et partout où il y a beaucoup de troupes: pas de tabac. Je te serai donc très reconnaissant de menvoyer, tous les 8 jours, un petit colis, solidement fait, de 5 ou 6 paquets de cigarettes toutes faites (bleues ou jaunes, pas de tabac). Quand de nouveau, je pourrai men procurer, je te le dirai pour que tu cesses tes envois. Bien entendu, note tout ce que tu dépenses pour moi et paies-toi sur « ma fortune » que tu gères avec tant de soins.
Merci de tous les détails que tu me donnes de laffaire Niort: continue, je te prie, à me donner tous les renseignements sur les habitants de La Rochelle, ce qui mintéresse beaucoup. Joubliais de te dire que nous avons traversé au milieu de toutes nos pérégrinations, la célèbre ville des haricots (Soissons), qui a souffert beaucoup de sa longue proximité avec la ligne de feu.
Jespère que Jean, tout rouge, va venir vous trouver prochainement et quavec lui, Mad. va pouvoir recommencer les délicieuses baignades. Pour le moment, le temps quil fait ici ne me les fait pas regretter, car il fait un temps épouvantable depuis que jai rejoint. Tout est sale et plein de boue et en cela nous rappelle les mauvais jours de Verdun.
Le moral est excellent: la gaieté règne au Bataillon et tout va bien. Baisers au Muguet et à Mad. Hommages à Mlle Richard..............
(22 heures)
.........Je tai écrit une lettre déjà ce matin, mais par une veine inespérée, japprends que Pascal part pour La Rochelle demain matin. Il veut bien se charger dune lettre pour toi qui, dabord, te parviendra plus tôt, ensuite dans laquelle je vais te dire ouvertement ce que jai fait depuis Toul.
Jai rejoint ma compagnie à Salency (Oise) à 6 km de Noyon par conséquent dans un pays récemment repris aux Boches à la suite de leur repli stratégique. Nous sommes restés là le 26-27 puis le 28 au matin nous partions à pied pour Selens (Aisne) en traversant Noyon et une contrée où tous les ponts étaient sautés, les arbres fruitiers coupés, tout ravagé sauf cependant les villages peu démolis.
Nous étions à ce moment en réservé du G.A.N. (groupe des Armées du Nord) et devions prendre le secteur de la forêt de Coucy. Jai vu le château très démoli, mais imposant par ses ruines. Tu as dû comprendre par mes allusions que jétais là. Restés à Selens le 28 et 29. Le 30 au matin, nous sommes enlevés en automobile pour aller à Courcelles (Aisne). Nous avons ainsi traversé Soissons.
Ici nous sommes dans une ferme (ferme de Monthussard) près de Courcelles, derrière le chemin des Dames (région de Soupir, ferme de Malval, Epine de Chevrégny, etc... etc..., tu as peut-être une carte (20 km à lest de Soissons). Cest de là que je técris.
Quallons-nous faire? Le tuyau venant directement du Colonel est que nous allons relever une Division au Chemin des Dames, division éprouvée par les gaz, genre de guerre très à la mode dans cette région. Ce serait donc dans la partie du Chemin des Dames à lOuest de Cerny que nous allons monter. Tu vois que lon sy bat moins quà Cerny, ne tinquiètes donc pas.
Ce qui rend ce renseignement vraisemblable cest que lon vient de nous distribuer un second masque contre les gaz et des appareils spéciaux pour les officiers. Notre « ascension » en ligne aurait lieu le 3 juillet au soir. Tu vois que je suis un peu à gauche de Jean qui est à la ferme de Hurtebise, je crois.
Je viens de recevoir une lettre de lui: il vient dêtre blessé légèrement à la nuque (2 petits éclats, vous le savez sans doute), mais nest pas évacué.
Reçu également la lettre de Mad. ainsi que les photos. Remerciez chaudement Mlle Richard et demandez-lui la photo du costume de bain, si toutefois elle est bonne. Ce matin, dans ma lettre, je tai demandé de menvoyer, à mes frais, tous les 8 jours, un petit colis de 4 ou 5 paquets de cigarettes, solidement fait, car ici les approvisionnements en tout sont assez difficiles.
Mörch te prie de prendre ma lettre et daller la lire à Monsieur Mörch, car il na pas donné tous ces tuyaux aussi complets. Je ne vois rien de plus à vous dire, si ce nest que le moral est bon, au moins dans les cadres et que nous avons lespoir de faire quelque chose de bien........... comme le 152°.
Bons baisers et pas dinquiétude surtout, sans cela, je ne dirai plus rien...................
2 juillet
Ferme de Monthussart. Exercice. Rien de nouveau.
3 juillet
Monthussart. R.A.S.
4 juillet
Monthussart. Toujours bombardement devant nous.
5 juillet
Monthussart. Départ du Capitaine Strohl en permission.
Deux mots seulement que je tenvoie après larrivée. De toi, je navais pas de lettres: seulement un petit colis de cigarettes dont je te remercie beaucoup. Envoie men un ainsi dans 8 ou 10 jours, je te prie.
Nous sommes toujours, comme je lai dit à Mad. avant-hier, dans la même ferme: rien de nouveau. Jai vu le Colonel ce matin: lui-même ne sait pas ce que lon veut faire de nous: nous attendons....! Le capitaine Strohl sen va cette nuit en permission. Il va la passer sur les bords de la Méditerranée. Quel veinard! Enfin chacun son tour.
Avez-vous des nouvelles fraîches de Jean? Est-il décoré et à quand sa permission. Jespère que la visite de Pascal et la lettre quil a du te remettre tauront fixé sur mon sort, et que, jusquà présent tu ne tinquiètes pas. En avant, dailleurs ça a lair de se calmer et les Russes vont un peu nous dégager, si leur offensive continue tant soit peu...........
6 juillet
Monthussart. Bataille davions pendant la nuit.
Je reçois à linstant ta lettre n°4, mais je suis très ennuyé de ne pas avoir reçu ton n°3, car je nétais au courant de rien au sujet de la permission de Jean et je ne comprenais rien à « Pas de nouvelles de Mad. ». Heureusement quune lettre de celui-ci, de Paris, mexplique quelle est au devant de son époux quelle attend pour aujourdhui.
Mr Strohl, lui aussi, est parti en permission, me laissant, naturellement, la compagnie au moment de monter dans un sale secteur: cest une habitude! Il reviendra le 18 à la Compagnie!! Nous ne sommes pas encore montés, mais demain, je ne técrirai pas, je vais avec le Colonel, les Commandants et tous les autres Commandants de Compagnie reconnaître le secteur. Charmante journée que me vaut labsence de Strohl, pour commencer. Je te donnerai mes impressions aussitôt en rentrant.
Dis-moi si tu as reçu 3 monstrueux colis de lIle Maurice contenant au mois 8 kg de sucre. Je vais tâcher de ten envoyer mais je ne sais comment my prendre. Ils contiendraient,en outre, des confitures de bananes et des goyaves faites « à la maison », beaucoup de thé, beaucoup de cigarettes, des biscuits, des savons, du beurre en boîte, etc... etc... Cest fantastique. Mme de Cayla menvoie cela par lintermédiaire de Mme Yvonne Sarcey à Paris, à laquelle je vais écrire pour la remercier de son obligeance. Ces colis marrivent comme si cétait cette dernière qui me les adressait. Je connais ce nom dYvonne Sarcay. Qui est-ce? Je crois quelle écrit quelque part.
Peux-tu aussi me donner la nouvelle adresse de Roger Martin, maintenant quil est sous-lieutenant et également demande à Jean C. le nom de son Général de Division B... qui a signé la circulaire sur le salut que tu mas copié et envoyé.
Cette nuit, les avions sont venus lâcher des crottes tout près de la Ferme doù combat de nuit avec ces gris oiseaux. Pas de victimes au Bataillon du moins. Je te quitte, chère Maman, nayant plus rien à te dire. Dans ma prochaine lettre, jaurai vu le secteur et ten parlerai. Bons baisers au Muguet et à ses parents qui seront probablement arrivés.....
7 juillet
Monthussart. Reconnaissance du secteur que nous devons occuper. En auto jusquà Bourg-et-Comin., puis à pied par Vendresse jusquaux tranchées au sud de Cerny. Moins mauvais quon ne croyait.
8 juillet
Messe à Monthussart. Le soir départ à pied pour aller cantonner un jour à Bourg-et-Comin avant de monter en ligne.
Comme je te lai dit dans ma dernière lettre, jai été, ainsi que les autres Commandants de Compagnie, faire la reconnaissance du secteur que nous allons prendre demain. La division prend le mauvais secteur de C.... (Cerny) dont je tai parlé dans la lettre que ta portée Pascal, mais par une veine, le 234 prend le meilleur de la Division. Te dire que cela vaut la L....(Lunéville) serait évidemment exagéré, mais notre coin est bien moins mauvais que Fleury ou V..x Cha...(Vaux-Chapitre). par exemple. Combien de temps allons-nous y rester? Je lignore. Je te donnerai souvent de mes nouvelles mais dune façon brève à partir de demain. Si tu peux te procurer le « Matin » du 7, tu y verras la carte de notre secteur. Cest la partie gauche de la carte.......
Jai reçu, enfin aujourdhui, ta lettre n°23, avec beaucoup de retard comme tu vois. Je sais donc par elle que tu as reçu mon n°3 et que Pascal a été très gentil pour toi: je le remercierai chaudement à son arrivée. Je suis content à la pensée que Jean est au milieu de vous à lheure actuelle: a-t-il reçu sa Légion dHonneur? et sa blessure est-elle complètement cicatrisée?
Je tenvoie ci-joint quelques photos prises par Dethomas quelques jours avant mon départ en permission. Elles sont assez bonnes et tu my reconnaîtras facilement. Mets-les, je te prie, soigneusement avec les autres. A ma prochaine permission, jachèterai un album commode et je commencerai à les classer un peu.
Tes cigarettes, puisque tu men parles, sont un peu petites, mais je sais que cest difficile davoir ce que lon veut. Prends bien, autant que possible, des paquets jaunes ou bleus de taille ordinaire, respectivement à 0,75 et 0,55 fr le paquet. Au revoir donc, amusez-vous bien pendant la permission de Jean: je penserai souvent à vous..............
9 juillet
Journée passée aux péniches de Bourg-et-Comin. Temps épouvantable. Le soir départ pendant un tir de barrage et relève épouvantable à cause de létat des boyaux (boue au-dessus du genou).
10 juillet
Tranchée devant Cerny. Relativement calme. Nous réparons les dégâts causés par le mauvais temps.
Nous y sommes depuis hier soir et je tassure que nous avons de la boue! Après ces déluges qui sont tombés ces jours derniers, nous avons trouvé les tranchées dans un état lamentable. Nous pataugeons jusquà mi-cuisse, sans exagération. Le secteur nest pas merveilleux, mais il y a plus mal tout de même: cette première journée sest bien passée.
Reçu tes lettres 5bis et 6 auxquelles je répondrai plus longuement demain jespère, si jai le temps, car aujourdhui jai eu beaucoup à faire, je tassure. Bons baisers à Jean (a-t-il sa Légion dHonneur?) à Mad. et au Muguet............
P.S. Mr Mörch va te communiquer une lettre dEdouard qui te fixera.
11 juillet
Cerny. Bombardement très ordinaire. Pas de pertes. Toujours du mauvais temps.
Je nai pas le temps encore aujourdhui de técrire longuement. Ce sera peut-être pour demain. Jusquà présent tout va bien à la Compagnie. Malheureusement toutes ne peuvent pas dire la même chose.
Je pense à vous souvent et vous vois à la plage
tous ensemble sur la plage réunis sous la
tente comme le mois dernier. Chacun son tour.
Au revoir, bons baisers à la famille Chagnaud. Hommage à qui tu sais et pour toi.............
12 juillet
Cerny. Relativement calme.
Vais bien. Bons baisers à tous. Jécrirai demain à Jean et Madeleine...............
13 juillet
Cerny. Bruits dattaque prochaine de la part des Boches.
14 juillet
= Toute la nuit, bombardement intense de notre part. Renseignement du Commandant: on craint une attaque sérieuse.
= Nuit entière pendant laquelle le canon français tonne continuellement: on craint une attaque pour le lever du jour, mais le soleil se montre sans que rien ne se soit produit. Toute la journée est calme lorsque à 19 h.55 les Boches ouvrent un feu de lartillerie dune violence inouïe. Le front de ma compagnie nest pas attaqué, mais le bombardement formidable dure jusquà minuit sans satténuer.
A minuit, ralentissement puis reprise sans interruption jusquau jour. Toujours rien sur le front de la compagnie. Daprès les renseignements recueillis après; les Boches avaient attaqué le saillant de gauche occupé par le 5° bataillon et le 5° R.I. Les premières lignes avaient été enfoncées (liquides enflammés, etc...). Le 6° bataillon avait contre-attaqué et avait essuyé beaucoup de pertes lui aussi.
Pertes de la compagnie: Graverou, Peyrolles: tués. Saurignes, Duperray: blessés.
Pertes du Régiment: capitaine Lacôme, Lacroisade, du Mesnil, Sordes: tués. Malabat; blessé, etc... Tout le 5° bataillon très abîmé. Au 6°: Dubaleur et Cabiro sont tués en contre-attaquant.
15 juillet
Cerny. Le bombardement continuel mais moins violent cependant: Mei, Chauvin, Renaud, Royer, Sorbier tués. St-Parpet et Carmouze blessés, etc... etc...
Je ne tai pas écrit hier, car nous avons eu un 14 juillet soigné. Ne tinquiètes pas des bruits qui vont courir à La Rochelle sur le 234. Mörch et moi allons très bien. Nous avons été attaqués très fortement pendant toute la nuit du 14 au 15 avec une préparation dartillerie que je naurai pas supposée possible.
A lheure actuelle, cela se calme (il est 11h. du soir). Ma Compagnie a de la chance. Nous navons jusquà présent que 7 morts et une douzaine de blessés. Les compagnies voisines ont beaucoup plus souffert (60 hors de combat chez dOlce) et les autres bataillons sont complètement abîmés. Je nai pas encore de détails exacts, ni sur la situation des lignes (si nous avons reculé), ni sur la mort des officiers. Je te raconterai cela plus tard.
Je mattendais à une danse encore ce soir, mais cest à peu près calme. A un de ces jours, dautres détails..........
P.S. Hommages de Mörch. Reçu des lettres 8 et 9 au milieu de ces rafales. Cela fait un drôle deffet.
16 juillet
Toujours le bombardement. Nous ne travaillons quà réparer les dégâts.
Ca continue! Je vais toujours très bien et pense à vous en vous embrassant de tout coeur............
17 juillet
Bombardement très violent par moments et petites attaques partielles sur différents points du secteur.
Journée un peu plus calme aujourdhui. Je vais toujours très bien, ainsi quEdouard.
Reçu ta lettre n°10. Les correspondances vont assez vite, malgré les événements. Jattends des cigarettes avec impatience, jespère que tu men as envoyé un paquet et quil va arriver.
Le Capitaine va arriver, je pense demain. Ca le changera de sa permission!!!...............
18 juillet
Cerny. Même chose. Rien toujours sur la Compagnie.
Je técris à Quinsac à partir daujourdhui. Jenvoie par le même courrier une carte à Mad. que tu verras si tu nes pas encore partie.
Ici, ça se tasse peu à peu. Tu as vu sur le communiqué que ça a chauffé. Le Régiment a été épatant, mais a du mal.
Bons baisers à tous à Quinsac. Quand jaurai lesprit plus dispos, je vous raconterai cela. Il y a de beaux épisodes et des actes sublimes de la part de camarades...............
19 juillet
Cerny. Idem. Arrivée du Capitaine à qui je passe les consignes.
20 juillet
Cerny. Visite du Général de Division. Le secteur se calme. Le Capitaine Robert (206) vient prendre les consignes et nous relève le soir. Je reste avec lui jusquà demain soir.
(1 h. du matin)
........... Maintenant que le secteur à lair un peu plus calme, je viens técrire cette nuit quelques détails dans une longue lettre. Je nai pas encore de renseignements exacts sur tout ce qui sest passé, mais depuis 4 jours que sest produit le grand coup, je commence à avoir quelques précisions.
Tu sais où nous sommes, je ninsiste donc pas. Le secteur, sans être très calme, nétait pas trop mauvais mais certains indices faisaient sentir quil se passerait prochainement quelque chose (saucisse - avions - tirs de réglage boches, etc... etc...). Le 14 au matin dabord, je reçois en effet des notes inquiétantes de Commandement, cest rudement intéressant dêtre Commandant de Compagnie, mais ce nest pas toujours très drôle. On menvoie par exemple: « Renseignements font prévoir attaque imminente intense boche. Préparer troupe ».
La journée est calme après une matinée très agitée par notre propre artillerie essayant de troubler la préparation boche que lon sentait en face. Vers 19 h. dautres notes plus précises: renseignements davions, etc... Tout à coup à 19 h.55, au milieu du calme, éclate un ouragan de feu comme jen avais rarement entendu. Jessaye de sortir de mon abri pour voir ce qui se passait: plusieurs obus, trop indiscrets, me font rentrer précipitamment.
Puis peu à peu, des mitrailleuses crépitent, des grenades explosent, mais pas directement sur nous, un peu à gauche. Jattends: rien na lair de se passer au point de vue infanterie sur le front de ma compagnie. Aucune liaison possible avec les autres compagnies: je ferais tuer mes coureurs. Jattends. A minuit cela se ralentit un peu. Je peux sortir un peu envoyer mes coureurs aux sections, aux Compagnies voisines. Renseignements vagues, mais liste de tués et de blessé.
Minuit 30: ça recommence sans interruption jusquà 5 heures du matin. Toujours pas daction dinfanterie sur moi, mais quel déluge. Je fais le tour de mon secteur. Tous mes boyaux, toutes mes tranchées complètement nivelées, les abris défoncés, le mien a eu une entrée complètement bouchée. Je regarde les pertes: 7 morts, une dizaine de blessés, mais la Compagnie à ma gauche: 60 hommes hors de combat.
Depuis, lutte dartillerie très active les 2 jours suivants, moins vive depuis aujourdhui, mais jai maintenant au total 30 hommes hors de combat dont 10 morts à ma Compagnie. Cest moi qui en ai le moins du Bataillon et comme tu vas le voir, cest le Bataillon qui a eu le moins de pertes des trois du Régiment (125 à 130 en tout).
Voici ce qui sest passé. Les Boches ont attaqué le Bataillon voisin (5° Bataillon) ainsi que le Régiment voisin de ce bataillon. Ils ont bousculé tout après avoir été à la charge par 4 fois de suite, repoussé 3 fois coup sur coup par les nôtres. Ils ont pris nos positions quoccupait ce pauvre Bataillon de chez nous et une grande partie de ce que tenait lautre Régiment.
La lutte corps à corps a duré toute la nuit, le 6° Bataillon de chez nous, appelé en renfort a contre-attaqué 2 ou 3 fois, mais les Boches avaient des forces considérables: une division entière. Les pertes sont énormes: du Bataillon attaqué, il nest revenu que le commandant, 1 capitaine et 1 lieutenant. Il ne lui reste donc plus que ces officiers, une quarantaine dhommes rescapés et les permissionnaires et cuisiniers (2 officiers et une soixantaine dhommes). Le 6° Bataillon a eu également 2 compagnies presque entièrement détruites.
Les actes d'héroïsme abondent au bataillon attaqué. Un capitaine - tiens! le fils du compositeur dont Mad. chante le morceau de chant « La Toussaint ». Le capitaine Lacôme a préféré se faire fusiller à bout portant devant sa compagnie plutôt que de se rendre. Un autre officier, les deux jambes coupées, tue encore un officier Boche qui essayait de le fouiller, etc... etc...
Le communiqué a parlé de liquides enflammés: moi je nen ai pas vu, mais te décrire ce sol bouleversé par ce nombre inouï dobus et surtout de ces grosses torpilles contenant 80 kg de poudre, est impossible. On se demande comment on peut résister quand tout est enterré, brisé, cassé, tous les fusils, mitrailleuses, etc... volent partout. Puis, on ny voyait quà la lueur de fusées éclairantes..... Cest inoubliable.!....
Le communiqué Boche, capté par la T.S.F. de la Division relatait ce passage « malgré la résistance de troupes superbes, nous avons pu........... etc... etc... ». Depuis les 2 autres Bataillons sont relevés pour se reconstituer. Nous allons les suivre dici peu, je suppose, car voilà exactement 10 jours que nous sommes ici.
Au Bataillon, un seul officier a été blessé: le sous-lieutenant Bécaud, celui qui avait dit à Bouyé, le jour de mon départ, que nous restions en Lorraine! Les noms des officiers tués? Tu ne les connais pas: le petit sous-lieutenant du Mesnil qui avait reçu la Légion dHonneur au camp, le mois dernier, est mort. Le sous-lieutenant Lacroisade, le frère de lancien sous-lieutenant du 123, etc... etc...
Le Bataillon a encore eu de la chance cette fois-ci!! Le capitaine Strohl vient darriver il y a deux heures. Il dort étant esquinté, dit-il, et moi donc!! Enfin! Sa mère a beaucoup connu Grand-Père Moreau à Bordeaux et se rappelle très bien de « Mademoiselle Moreau » que tu connais. Mr Strohl père estimait beaucoup Grand-Père.
Jai reçu ces jours-ci toutes tes lettres n°8-9-10-11. Jy ai répondu par des petites cartes que, jespère, tu auras reçues. De plus mon adjudant, ladjudant Péré, qui dailleurs na assisté à rien du tout, a du te porter ou du moins à Mad. une longue lettre de moi.
Il va y avoir beaucoup de nominations à la suite de cette hécatombe dofficiers. Jespère que cette fois-ci Mörch va passer. Il sest dailleurs bien conduit, comme toute la compagnie dailleurs. Mais nous sommes vannés tous, officiers et soldats; sales comme les poux que nous avons sur nous. Les vivres, malgré ce fourbis, sont arrivés tant bien que mal; gros progrès en comparaison des 10 jours passés à Fleury. Voila des moments qui comptent!
Enfin, cela va finir pour quelques jours. Nous allons nous reposer dici 1 ou 2 jours pour 5 ou 6 jours et on recommencera. Jespère que ce sera plus calme. Et tes paquets de cigarettes? Je nen reçois plus depuis le 1° dont je tai accusé réception et suis obligé de fumer le « gros-cul » (cest le nom) de mon ordonnance. Cest la guerre!
Au revoir, bons baisers à tante M.L. Moreau, à Loulou si elle na pas déjà fui vers La Rochelle et à Jacquot...........
21 juillet
Le matin, après un torpillage énorme, les Boches attaquent le saillant du Foc à notre gauche. Emotion et petite panique vite réprimée. Rien sur la compagnie du capitaine Robert, mais du mal à gauche.
22 juillet
Bivouac dOeuilly. Rejoins la compagnie depuis la veille au soir. Retour assez calme mais sous la pluie. Installation en bivouac très mauvaise.
Me voici à labri depuis hier soir pour 4 ou 5 jours à moins dévénements graves. Le bataillon a été relevé avant-hier, mais le capitaine Strohl ma désigné comme officier devant passer les consignes aux successeurs. Je suis donc resté un jour de plus. Naturellement ces journées de rabiots auxquelles je commence à être habitué (Avocourt, Fleury, Vaux-Chapitre) ne sont jamais calmes et nous avons subi hier une attaque soignée que tu verras sûrement sur le communiqué. Je men suis encore tiré sain et sauf.
Le régiment est donc un peu au repos pour se reformer. Il en a besoin ayant perdu exactement 13 officiers et 650 hommes. Mörch a quitté la Compagnie pour aller dans une compagnie du pauvre bataillon. Il est encore aspirant, mais sa nomination va avoir lieu dici 3 ou 4 jours au plus. Après ce petit repos, nous nous attendons à remonter, ce qui ne nous amuse guère car une grosse attaque ennemie nous est signalée comme imminente dans le secteur de la division.
Je vais très bien, malgré un peu de fatigue, mais à la compagnie (cadre) le moral est toujours épatant. Je ne suis pas loin de Jean, aussi fais-je des démarches pour le faire prévenir. Je ne peux moi-même me déplacer, le régiment étant sur le coup dune alerte à toute minute.
Jai reçu tes deux lettres n°12 et 13 dont je te remercie et auxquelles je réponds.
Pour les cigarettes: jen avais en effet pas mal de lIle Maurice, mais en 11 jours de 1° ligne, sans presque dormir, on fume beaucoup et tout est fini. Ton colis sera donc le bienvenu et je ten accuserai réception dès que je laurai.
Je te quitte, chère Maman, en tembrassant de tout coeur ainsi que tous tes hôtes. Ne tinquiètes pas outre mesure: ça se tassera, et puis après tout................
23 juillet
Heureusement que le beau temps vient nous égayer. Mörch est passé à la 17° et va passer sous-lieutenant sous peu.
24 juillet
Bivouac dOeuilly. Repos. Revues. Visite aux morts. Conversation avec le Capitaine et Dethomas. Travaux près de Vendresse et Trayau.
25 juillet
Bivouac dOeuilly. Calme toute la journée, lorsque vers 17 heures, devant nous sur le front, éclate un bombardement très violent. Dans la nuit, nous sommes alertés.
Rien de nouveau depuis ma dernière lettre; nous sommes encore au 1/2 repos jusquà demain soir, nous irons reprendre exactement le même secteur. Le calme reprend pour le moment dans les environs. Espérons que cela durera jusquà notre départ définitif de ce plateau.
Reçu aujourdhui une aimable lettre de Madeleine et le mot de Jean qui a rejoint son régiment. Hier mest arrivé, le même jour que ta lettre n°13, ton colis de cigarette, que, je tassure, a été le bienvenu. Je ten remercie beaucoup. Nous avons un temps superbe et même une très grosse chaleur qui nous fatigue un peu. Heureusement quici nous navons pas grand chose à faire. Jespère que, de ton côté tu te reposes le plus possible à Quinsac. Surtout ne te fait pas trop de bille à cause de Jean et de moi. Tu vois que jusquà présent tout sest bien passé.
Mörch attend toujours son galon, je le vois de temps en temps, il va bien et tenvoie ses hommages. Bons baisers autour de toi à tous tes hôtes. Jespère que Jean du S. va tout à fait mieux..........
26 juillet
= A 1 heure du matin, alerte au bivouac dOeuilly. Nous partons 20 minutes après par Pargnan pour aller en renfort de la Division de droite à Paissy. Arrivée pénible au village de Paissy violemment bombardé à coups de 210. Nous nous abritons dans des Creutes. La 13° et la 15° montent en ligne pour contre-attaquer. Nous la suivons à 13 heures et la Compagnie est séparée en deux pelotons.
Le mien part en avant occuper les tranchées de Tulle et de Corrèze (3° ligne). Aussitôt arrivé, Gérard est tué. Laugerault, Sablay, Robles, Minot, Chiron, blessés à ma section. Japprends de plus que Dethomas est blessé très grièvement. Violents bombardements pendant les 3 jours que nous restons là, mélangés à des hommes du 329 et du 228, mais la Compagnie nest pas engagée.
Au bout de 3 jours dans ces tranchées, nous sommes relevés par des coloniaux venus pour contre-attaquer. Relève très calme jusquà Dhuizel
= Journée passée au Poteau dAilles en renfort de la division de droite, violemment attaquée.
Encore dans le fourbis! Vais très bien mais Dethomas est blessé grièvement. Le Capitaine et Saudaran vont bien. Je ne sais rien des autres compagnies.
Seul le Bataillon est monté en alerte pour lattaque de droite, Mörch nest donc pas de la fête, je le crois du moins...
27 juillet
Poteau dAilles. Toujours dans Tulle et Corrèze avec le 329 et le 228. Violents bombardements.
28 juillet
Poteau dAilles. Violents bombardements. Le soir relève vers minuit par le 21° Colonial qui va contre-attaquer demain matin. Relève calme par Paissy et Moulins.
29 juillet
Arrivée à Dhuizel à 6 h. du matin. Je suis cantonné dans une gentille chambre et nous attendons le relève de la Division.
30 juillet
Dhuizel. Repos et revues diverses. Nous apprenons que ce pauvre Dethomas est amputé et décoré de la Légion dHonneur.
Laisse-moi te rassurer encore une fois. Me voici de nouveau au petit repos après 3 jours de transes. Le bataillon, qui était au repos, tu ten souviens, a été alerté dans la nuit du 25 au 26 et envoyé dare-dare renforcer une division à droite. (Tu as dû voir laffaire dans les communiqués, moi je ne les ai pas vus car nous ne recevions absolument rien)
Nous sommes immédiatement montés et avons été engagés aussitôt. Pendant 3 jours de suite, il ny eut quattaques et que contre attaques. Le bataillon a pas mal de pertes, la Compagnie a perdu 1 officier et une dizaine dhommes seulement: cest incroyable.
Ce pauvre Dethomas a un mollet arraché: ce qui fait craindre lamputation de sa jambe droite, de plus il a un trou dans la cuisse et un autre dans la verge. Il a été dune énergie au-dessus de tout éloge. Cest vraiment un « type ». Cest ma section qui a le plus souffert au point de vue pertes, cette fois-ci. Le jeune Chilien que javais, je ne me rappelle pas si je ten avais parlé, a été tué! Mon ordonnance Langerault assez sérieusement blessé à la cheville et 5 autres blessés moins gravement. Je regrette beaucoup ce pauvre Langerault qui métait très attaché. (ce que jen consomme comme ordonnances).
Enfin cest fini pour cette fois encore, mais la Division nest pas encore relevée et les bribes des autres Bataillons de chez nous, sont encore remontés en ligne dans notre ancien secteur: nous allons les rejoindre prochainement, je suppose, après 2 ou 3 jours de repos. Pas de nouvelles de Mörch naturellement puisque nous sommes détachés du Régiment. Dès que jen aurai, je te les enverrai.
Je réponds donc à tes lettres n°14,15,16 et 17, reçues un peu nimporte quand, mais me donnant toutes de bonnes nouvelles de toi et de tes hôtes. Je suis content de te savoir à la campagne par cette saison splendide. (Quelle chaleur nous avons eu, sans eau et au milieu de cette multitude de cadavres!) Ah! les sales jours!
Quant à toi, tu as bien tort de te reprocher ton bien-être, profites-en donc sans arrière pensée. Ce nest pas parce que tu souffrirais physiquement que cela nous soulagerait, bien au contraire. Ne ten fais pas pour cela surtout et distraies-toi le plus possible dans cette belle contrée pendant ces vacances.
Tu me parles de récompenses: non: il y en a dautres à citer avant moi qui nai absolument rien fait dextraordinaire: dailleurs Saudaran non plus ne sera pas cité pour le moment. Il ny a que Dethomas qui le mérite bien. Si jétais cité, il faudrait que presque tous le soient et cest impossible. Ce sera donc pour une autre fois.
Daprès tes lettres, je nai pas bien compris ce que faisait Jean du S. Il est parti pour le front, me dis-tu, mais dans quoi: encore dans les Tanks. Tu mavais parlé dautomobiles, je ne sais quoi. Des tuyaux, je te prie? Merci de tes cigarettes et de tes petits cigares, comme cela, ça va. Continue tes petits envois. Ah! jaurai besoin de graisse à chaussure comme celle que tu mas déjà envoyée. Veux-tu que je le dise à Mad. qui pourra lacheter ou lachètes-tu à Bordeaux ou encore lui dis-tu toi-même pour lui indiquer le magasin? Merci davance.
Donc nous sommes dans un joli village, assez en arrière, dans un pays ravissant. Au loin, sur le plateau, le canon tonne toujours. Le Capitaine, Saudaran et moi, prenons nos repas toujours ensemble et restons réunis le plus. Nous parlons souvent de Dethomas que nous regrettons énormément. Cétait lui aussi un élément de gaieté, le pauvre. (Vous savez tout ce que je pense!)
Justement, il est lheure daller manger et je vais te quitter, non sans tembrasser bien tendrement ainsi que Tante et Jacquot, puisque Loulou est à La Rochelle. Après déjeuner, jécrirai à ces deux folles baigneuses............
31 juillet
= Dhuizel. Le matin, je vais à cheval visiter la tombe de Gérard au cimetière dOeuilly. Tout est calme. A 16 heures, nous sommes alertés et partons immédiatement sous une pluie battante en renfort du 344 presque en entier dispersé.
14 h.30
Rien de nouveau pour nous depuis hier. Nous sommes toujours au repos dans le même petit village bien calme. Nous venons de recevoir un message de lhôpital où est Dethomas. Il a été amputé hier de la jambe droite et a reçu la Légion dHonneur. Pauvre camarade. Enfin il parait quil va le mieux possible.
Ce matin, une délégation de ma section a été à 7 km dici porter des couronnes sur les morts de ma pauvre section, sérieusement éprouvée à ce dernier combat. Jy ai été moi-même à cheval, saluer ces pauvres gens et faire une prière devant leur tombe. Il y avait là encore 200 à 300 cadavres que lon enterrait: ce nétait pas très beau à voir, je tassure.
Cest une bonne chose, je trouve, de montrer aux hommes que lon soccupe deux, même après leur mort. Le Capitaine est de mon avis et a approuvé mon pèlerinage de ce matin. Daprès les tuyaux que jai pu recueillir par ci, par là, je crois que nous ne remonterons pas et que la division va être relevée. Tant mieux.
= Alerte à Dhuizel à 16 heures, nous partons sous une pluie battante aux péniches de Bourg-et-Comin. Là, contrordre, nous partons pour les Creutes Marocaines par le village de Moulins où nous essuyons un violent bombardement de 210. Pas daccident à la Compagnie. Entassement des hommes dans les Creutes, puis départ immédiat pour le P.C. Damloup où, après un entassement des hommes pendant 5 minutes, nous repartons, toujours sous un tir de barrage, pour les premières lignes sous les ordres du commandant Laporte du 344. Celui-ci nous donne lordre de contre-attaquer: Saudaran par la droite, moi par la gauche. Mon peloton progresse donc en pleine obscurité avec très peu de grenades et finit par semparer de 150 mètres de tranchée (tranchée de Dresde).
Le jour est alors arrivé et, en continuant à avancer, nous nous heurtons à une grosse résistance boche qui sort des tranchées et nous attaque par-derrière. Après une résistance d1/4 dheure pendant laquelle le sergent Guillemon est tué et le caporal Brochard blessé, nous nous replions vers le 206. Plusieurs hommes de mon peloton (St Babin et 12 hommes se rendent, nayant plus de munitions. Je méchappe, par hasard, avec le reste. Pendant ce temps, les Boches, repoussés par dautres groupes, se replient à leur tour et avec le reste de mon peloton (Baudouin, Pluchon) je reprends le terrain que javais perdu. Il me restait à ce moment 3 caporaux et 10 hommes. On menvoie du renfort (Castex et 10 hommes du 206°) puis tout un peloton du 215°. Laprès-midi, bombardement terrible de nos lignes. Jai encore quelques blessés. Le 206 et le 215 ont des tués.
Le soir, je reçois lordre de relève après que le peloton du 215 fut parti pour une autre destination. En attendant la relève, nous avons encore 3 ou 4 alertes dattaque, mais les Boches ne sortent pas et à 4 heures du matin, le 2 août, nous quittons la tranchée pour aller en réserve au Mont-Charmont où nous restons la matinée sous un violent bombardement.
1 août
Arrivée en ligne à 3 h. du matin toujours sous une pluie diluvienne et par une nuit très obscure.
2 août
Relève à 4 h. du matin. Nous allons en réserve à Mont-Charmont. Bombardement sérieux de 210. A 13 h. nous quittons cet emplacement pour aller à Dhuizel. (Mörch est sous-lieutenant) Arrivée à 4 h. de laprès-midi.
3 août
Dhuizel. Toilette et repos. La division entière est relevée. Enlevés en auto, le 3 au soir, à 9 h.. Voyage toute la nuit en camion.
Te donnerai des détails plus tard. Nous sommes remontés par alerte une fois de plus et avons contre-attaqué dur. Ma section est à moitié tuée ou prisonnière, je men suis tiré par miracle. Cette fois-ci nous partons sûrement au repos dès cette nuit et loin du front.
Sois donc entièrement rassurée. La division est presque anéantie!!!!..............
4 août
Arrivée à Fresnes. Nous arrivons à 4 h. du matin et nous nous reposons. Gentille chambre. Mauvais temps.
Nous voici enfin au grand repos, loin du front à quelques 50 km de la ligne. Cest te dire que nous sommes tranquilles pour le moment et que nous nentendons même plus le canon.
Ma dernière carte a dû te faire pressentir une catastrophe: voici ce qui est arrivé. Comme lautre jour, ma lettre adressée à toi à peine mise à la poste, nous étions alertés et emmenés directement en ligne. Un des régiments de la division venait dêtre attaquée (2 bataillons entièrement disparus). Il fallait contre-attaquer immédiatement. Après avoir fait les 12 kilomètres qui nous séparaient des lignes sous une pluie diluvienne, on nous a envoyés en ligne, je ne dis pas par des boyaux, ils nexistaient plus par lartillerie et le mauvais temps. Ce nétait quune bouillie infecte dans laquelle on enfonçait jusquau genou. On ne pouvait sen tirer. De plus, tir de barrage sans cesse.
Il était 2 heures du matin, le 1° août, quand un guide amène mon peloton à un point quelconque de ce paysage lunaire dans lequel on ne voyait absolument rien. Voilà: les Boches sont quelque part par là, il faut les attaquer et reprendre le terrain. Avec très peu de grenades, nous commençons à avancer et au petit jour, javais repris 150 mètres de terrain. Saudaran, de son coté, en avait fait autant.
Mais vers 5 heures du matin, ce fut au tour des Boches à nous attaquer et les liaisons sétant mal faites la nuit, dans cette obscurité et par ce mauvais temps, javais un trou entre Saudaran et moi par où les Boches, très nombreux, ont pu sinfiltrer et me prendre par-derrière. Défense énergique dabord, puis défaut de munitions et une certaine quantité de mes hommes ont été fait prisonnier. Ne voulant pas me rendre, après avoir lancé mes dernières grenades, jai rejoint un groupe voisin de français, je ne sais comment et avec ce qui me restait dhommes (14 environ) nous avons pu enfin voir les Boches rentrer chez eux. Jai repris alors le terrain que javais un moment lâché. Le soir, la Compagnie et le Bataillon étant abîmés, nous fument relevés, comme dailleurs toute la Division.
Tu vois que le 234 est assez endommagé (la Compagnie revient avec 48 fusils!), le 344 encore plus que nous (il reste 1/2 Bataillon à peu près sur 3), le 206 a moins souffert, nayant pas supporté dattaques directes, mais est dans un triste état tout de même. (70% de pertes pour la division). Saudaran et le Capitaine sen sont tirés, mais mes deux sergents, tués. Dailleurs il ne reste plus quun sergent dans toute la Compagnie.
Cest de la déveine et malgré ce que nous avons fait, nous avons le mauvais rôle, ayant des prisonniers, ce qui fait que je ne pourrai être cité. A quoi tiennent les choses! Enfin. Je suis très frappé de cette histoire arrivée à mon peloton. Il y a eu évidemment de la défaillance chez certains, mais dautres ont été épatants. Allons, tant pis, je me rattraperai une autre fois.
Mörch que jai vu, va bien. Il est sous-lieutenant et est heureux comme un roi. Il était en ligne quand cela se passait, mais plus à gauche et na rien eu.
Jai reçu tes deux lettres 18 et 19 dont je te remercie beaucoup ainsi que ta boite de petits cigares et ta grosse boite de cigarettes (Très bien le dernier paquet: cest ce que jaime le mieux. Je ne suis pas très emballé sur tes petits cigares). A ce propos, cesse tes envois de tabac jusquà nouvel ordre maintenant que je suis dans un pays civilisé. Quand jen aurai de nouveau besoin, je te ferai signe; mais noublie pas la graisse à chaussures.
Le village où je suis est un gentil petit patelin où nous avons été conduit cette nuit en camion-auto. Nous ne sommes pas loin de la grande ligne Paris-Nancy, du coté de C. T.....y (Château-Thierry) , mais daprès les bruits qui courent, nous nallons pas rester longtemps; nous nous en irions nous reformer ailleurs!??. Mais quel temps depuis le 31 juillet, de grosses averses continuellement: le terrain est détrempé. Jespère pourtant que le mois daoût va sécher cela.
Tu dois voir, par le communiqué, que nous venons dun coin où les Boches sont entreprenants. Cest bien simple, le secteur de la Division, depuis le 10 juillet, pas un seul jour sans attaque plus ou moins de grande envergure. Cest inouï, mais dailleurs vous devez être renseignées par Jean C. qui en sait quelque chose.
Je suis bien ennuyé, de votre coté, par cette alerte que vous avez à La Rochelle provoquée par cette paralysie. Que va faire Mad.? et Loulou, laissée pour compte? Tiens-moi bien au courant de tous vos faits et gestes............
5 août
Fresnes. Revue et réorganisation des sections.
6 août
Fresnes. Repos. Revues.
Jai reçu hier soir ta lettre n°20 du 1° août. La correspondance va, je crois, beaucoup plus vite à La Rochelle quà Quinsac. Nous sommes toujours au repos dans le même village et nous nous reformons peu à peu, bien que nayant pas encore reçu les nombreux renforts que nous attendons. Le temps à lair de se remettre au beau, ce nest pas un mal, car nous croyons être en hiver depuis une grande semaine.
Hier, jai vu le lieutenant Mörch, de plus en plus élégant bien entendu, je lui ai dit que tu avais reçu sa lettre. Il a certainement exagéré et ma conduite et ce que jai pu faire pour te dire tant de bien de moi. En tout cas, tu peux dire à Tante Marie-Louise que je naurai sûrement pas la Légion dHonneur. Je tai déjà dit que je ne serai même pas cité pour cette période, ayant eu des prisonniers parmi mes hommes. Cest dommage, car ma compagnie a fait du joli travail et jai eu le rôle malheureux, la majeure partie de lattaque sétant portée sur moi. Enfin, on se rattrapera, sois-en sûr.
Nous avons vu hier un officier revenant de permission, un ami intime de Dethomas qui a été le voir à son hôpital. Après les bonnes nouvelles que nous avions eues de lui, disant que, malgré sa jambe coupée, son état général était bon, cet officier nous a dit quil était en train de mourir et que cétait une affaire de jours, peut-être même dheures! Pauvre camarade! Quel brave garçon et quel charmant ami il était avec nous.
Je ne vois pas du tout qui est cet abbé Lamarcade avec qui « je suis intime » daprès les Laffargue. Je connais beaucoup de prêtres soldats, en effet, mais ne sais pas le nom de tous, et peut-être est-ce un de ceux à qui je parle souvent, je vais dailleurs me renseigner.
Tu me parles dune « femme » de Quinsac (Cazaux) dont le fils aurait parlé de moi. Il y a en effet un Cazaux que je connais pas mal, mais il est capitaine dune Compagnie de Mitrailleuses et je métonne que tu aies dit une « femme ». Serait-ce cependant sa mère?
Ce que dit Jean du S. au sujet des Tanks ma lair très vrai daprès ce que jentends dire par beaucoup de gens compétents: les tanks nont pas donné du tout ce que lon attendait deux et il parait que ce fut un « fiasco » complet.
Je suis bien content que vous soyez moins inquiètes de cette épidémie à La Rochelle. Peut-être les deux Madeleine vont-elles terminer leur été comme elles le voulaient et sans être obligées de se déplacer et de fuir. Par Mad., je sais que Jean est au repos lui aussi. Tant mieux. Que fera-t-on de nous après???....................
7 août
Fresnes. Revue du Général de Division. Arrivée de renforts. (Allard)
8 août
Fresnes. R.A.S.
Rien de nouveau depuis ma dernière lettre davant-hier. Nous sommes toujours au repos dans le même petit village. Le temps se met peu à peu au beau, on ne nous embête pas trop, aussi nous nous reposons le plus possible.
Hier, nous avons invité Mörch à déjeuner. Il va toujours très bien et tenvoie ses hommages. Jai vu également hier un sous-lieutenant du 344 et je lui ai demandé ce que, dans la bagarre, était devenu Chauvin, le mari de C. Sicher, tu sais que javais rencontré en Lorraine. Il ma répondu quil nétait pas revenu, comme dailleurs pas un seul des 2 Bataillons « chauffés » de ce régiment. Peut-être est-il prisonnier: en tout cas, pas de nouvelles de lui! Et combien dans ce cas dans la Division?
Le Général de Division est venu nous passer une petite revue, hier matin, et tout en nous complimentant, nous a dit quil avait proposé le 234 pour une citation à lArmée. Mais nous a-t-il dit « Comme en guerre, il ne suffit pas dêtre courageux, mais quil faut être « heureux » pour être récompensé. LArmée a refusé, le régiment ayant trop de prisonniers. Jai pensé, en petit, à mon cas qui est tout à fait le même.
Le 4° Bataillon seul (le mien) va donc être probablement cité; on nous remettra un petit fanion bleu! Le 6° Bataillon, de chez nous, a déjà le petit fanion jaune depuis lannée dernière, le régiment ne tardera donc pas, à la prochaine occasion dêtre cité tout entier.
Aujourdhui, nous venons de recevoir un commencement de renfort. Parmi ces jeunes gens (classe 1917) jen remarque un qui a lair chic, lair dun « intellectuel ».
= Doù venez-vous?
= de Cahors, mon lieutenant.
= Connaissez-vous Mr Martin, lavocat?
= Très intimement mon lieutenant, je suis un camarade de Roger et de Maurice!!!!
Inutile de te dire quimmédiatement je lai demandé au Capitaine dans ma section, et que jécris au lieutenant Martin pour avoir des renseignements sur son ami « Allard » qui dailleurs est déjà licencié ès-lettres et bachelier en droit.
Jai reçu ta lettre n°21 hier après-midi. Tu mas fait bien rire en me disant que tu pensais à moi au milieu de ces jeunes, jolies et riches Bordelaises! Cette réunion est finie maintenant. Quel est le résultat? En as-tu trouvé à ton goût et à mon goût?
Toujours de mauvaises nouvelles de ce pauvre Dethomas qui se meurt petit à petit dans son hôpital à Paris............
9 août
Fresnes. Je vais en reconnaissance du train à Fère-en-Tardenois en vue dun embarquement prochain.
10 août
Fresnes. Départ de Fresnes à midi. Je vais en avant pour faire le train. Tout va bien et nous partons à 11 heures du soir.
11 août
Débarquement à Palaiseau (S. et O.). Installation et réception au mieux. Cest le rêve tout simplement (18 km de Paris). Thé chez ma propriétaire.
12 août
Palaiseau. Musique. Je déjeune chez Mme Cochenet (Aline et Mme Pons). Chants et amusements.
Je reçois à linstant la lettre n°24 du 10 et je técris aujourdhui par la poste civile pour la bonne raison quil vient de nous arriver la chose la plus inattendue quil soit possible dimaginer!!!
Devine où nous sommes depuis hier? A Paris!! ou du moins à Palaiseau (9 km au sud de Paris). Cest un très grand village de 4000 habitants qui na jamais reçu de troupes? Cest te dire que nous sommes reçus comme aux premiers jours de la guerre. Avec fleurs, cris, etc... etc... Personnellement, jai une chambre merveilleuse, chez des gens tellement aimables quils mont invité, dès hier soir, à un thé superbe et ce matin à déjeuner chez eux, car ils recevaient leur fils et leur bru (le fils est commissaire de Police à Paris).
Habitent dans la maison: le père et la mère, une fille mariée depuis 6 mois à un sous-officier de cavalerie, chef descorte dun Général de Division, et une autre fille, non mariée, qui dit avoir 23 ou 24 ans! Aujourdhui, depuis le déjeuner, nous avons fait de la musique jusquà maintenant (ils ont un piano et un harmonium orgue). Tout le monde est très musicien. Tous jouent du piano et chantent, même le commissaire et sa femme.
Les habitants font la fête aux soldats dune façon inouïe: cest la bombe, la « nouba » dans toute sa splendeur. Presque tous ont des lits. On ne fait rien comme exercice jusquà présent, nous ne comprenons rien à notre veine.
Je rencontre, ce matin, le Colonel qui, en me serrant la main, me dit « Comment Triaud, vous nêtes pas à Paris! Quest-ce que vous faites? Il permet aux officiers daller à Paris 24 heures tous les 3 jours! Les hommes iront aussi en détachement!!! Enfin, nous sommes abrutis et croyons rêver. La musique militaire joue tant et plus à la grande joie des habitants. Tout le monde est content.
Il doit y avoir une cause et un but: ne serait-ce pas le moral des uns et des autres à relever? En tout cas, cest notre meilleur temps depuis 3 ans de guerre, les hommes sont fous! et tellement médusés (les cafés ne sont pas consignés, comme ils le sont toujours!!), tellement médusés, dis-je, que pas un ne se saoule! Quest-ce qui se passe et la guerre est-elle finie? Quelle différence avec il y a 15 jours.
Le Capitaine, Saudaran et moi, faisons popote au château où habite le Capitaine. Nous avons été présenter hier nos hommages à la marquise douairière et à sa fille, la comtesse de ............ qui nous a présentés « ses enfants » et mis sa salle à manger, sa cuisine et son office à notre disposition ainsi que son Parc, superbe.
Chez moi, je suis on ne peut mieux. Ce matin, la bonne ma apporté le petit déjeuner avant que mon ordonnance soit arrivé. Cest inouï. Je vais aller à Paris après-demain. Je sonnerai chez Balmary. Excuse donc si je técris moins en ce moment. Tu sais que je risque moins que rien. Il paraîtrait que nous sommes là pour longtemps??? Nous avions besoin de repos, cest vrai, mais à ce point là. non?.
Reçu la graisse à chaussure et aujourdhui un gâteau à lanis absolument exquis qui a fait les délices de ces dames à notre thé que nous venons de prendre..........
13 août
Palaiseau. Continuation du rêve.
Ma lettre dhier a été terminée un peu nimporte comment, car je tenais à ce quelle parte rapidement et que jai été dérangé plusieurs fois pendant que je técrivais; aussi nai-je pas répondu à toutes tes lettres n° 21,22,23 et 24 reçues tous ces jours-ci.
Comme je te lai dit, jai reçu ta graisse à chaussure, mais je crois quelle venait par lintermédiaire de Madeleine, je vais len remercier. De plus, un excellent gâteau à lanis est venu hier à un moment opportun et a fait les délices de mes hôtes et de moi: Merci mille fois.
Ici, nous continuons à vivre au milieu des délices de Capoue. Nous sommes choyés par tout le monde et ne faisons rien encore pour le moment. A la maison, je pianote et chante du Botrel avec ces dames. Je vais tâcher de faire inviter le Capitaine qui est si bon musicien, ce sera charmant.
Un ennui: je ne vais pas très très bien en ce moment: jai des boutons partout et, ce matin, ai la joue gauche complètement gonflée comme pour un mal de dents, je ne souffre pas, que de quelques démangeaisons, mais suis hideux, mes mains, mes bras sont boursouflés, enfin, je ne sors pas, je me calfeutre et nirai pas à Paris tant que je serai comme cela. Jai fait venir le « toubib » qui va me purger demain et me dit que cest de lurticaire. Cest ennuyeux. Enfin cela nest rien, ne tinquiètes pas pour cela. Ca passera rapidement.....
14 août
Palaiseau. R.A.S. Exercice très doux.
15 août
Palaiseau. R.A.S. Mr Rambaud, lami de Dethomas vient déjeuner avec nous.
16 août
Palaiseau. Journée passée à Paris. Arrivée de Mme Strohl qui vit avec nous!
17 août
Palaiseau. R.A.S. Exercice.
Pardon de ne pas tavoir écrit depuis 4 jours, mais avant hier, cétait le 15 août: distractions multiples!! et hier jai été à Paris faire quelques achats dont je vais te parler tout à lheure. Mais tu me sais en parfaite sécurité pour le moment ici, aussi nas-tu pas dû tinquiéter.
Jai reçu entre-temps tes 2 lettres n° 25 et 26 dont je te remercie beaucoup, et auxquelles je réponds tout de suite. Et oui! javais oublié de te dire dans mes deux dernières lettres, notre pauvre camarade Dethomas est mort. Le Capitaine a été, de notre part à tous les trois, voir Mme Dethomas et remettre une couronne avec inscription des 3 officiers de la 14°. De plus, son ami intime, Mr Pierre Rambaud, avocat lui aussi à la cour dappel de Paris et fils de lavocat général, est venu nous voir ici; il a déjeuné avec nous et a emporté toutes les affaires de son ami. Tout ce que tu le dis au sujet de la famille Dethomas est exact et je le savais déjà depuis longtemps. Je nai donc pas besoin décrire à Mme Dethomas, dautant quelle est partie depuis hier pour plus dun mois à Arcachon avec Mr et Mme Rambaud. Elle a été très énergique et a prononcé des paroles sublimes pendant la visite que lui a fait le Capitaine.
Je suis bien ennuyé pour toi de toutes ces nouvelles histoires de domestiques. Décidément, tu nas vraiment pas de chance. Alors ce pauvre Roger est blessé. Il ny aura plus que moi qui naurais rien attrapé, depuis le temps que je suis au front, cela devient presque une honte. Merci de toutes les nouvelles que tu me donnes de presque tout le monde: voila 2 lettres où tu mannonces beaucoup de choses.
Ici, toujours la même vie de repos. Madame Strohl qui
était sur la Côte dAzur, est
arrivée venue tout courant à
lappel de son mari, et est arrivée hier. On lui a fait
visiter toute la Compagnie, les logements des hommes, la cuisine
roulante, le bureau, etc... etc... Ca la beaucoup
amusée; enfin, elle prend ses repas à notre Popote.
Aujourdhui, le ménage est parti à Paris pour la
journée.
Or donc, hier cest moi qui y ai été. Jai acheté un imperméable, dernier cri, de toute beauté, en gabardine kaki imperméabilisée, doublée de soie imperméable et triplée entièrement dune deuxième gabardine. Forme: col ouvert, martingale et serré par une large ceinture. Magnifique: prix 16 fr, cest moins drôle. Cest exactement le même que celui du Capitaine et Mme Strohl ma dit que cétaient des vêtements de toute beauté et dune qualité épatante. De plus jai acheté ce superbe papier à lettres!! et un monocle...... pour Strohl! qui veut shabiller « en vieux » maintenant.
Jai été sonner chez Balmary. Là, on ma annoncé ce que tu aurais du me dire, à moins que tu ne le saches pas, cest quil nhabite plus Paris. Il est nommé à Figeac (Lot). Javais lair idiot de nen rien savoir.
Aujourdhui, chambre, purgation. Jai une poussée durticaire, comme jamais je nen avais eu. Ce nest pas grave, mais ça me démange comme la galle!...................
P.S. Mörch, qui vient de me faire une visite, tenvoie tous ses respects.
18 août
Palaiseau. R.A.S. Exercice.
19 août
Palaiseau. R.A.S.
Je réponds aujourdhui à ta lettre n°26 du 15 de ce mois, dans laquelle tu sais que je suis dans ce chic village de Palaiseau. Nous continuons à y être et à y mener une vie de coq en pâte, allant à lexercice une heure ou deux par jour. Le reste du temps nous faisons de la musique. Madame Strohl est toujours avec nous et égaie la popote attristée par larrivée du Commandant, homme fort poli, mais fort rasoir qui a élu domicile chez nous, pour manger. Tu vois que cest une table « chic » à laquelle on se tient avec une correction parfaite. Nous mangeons dans des couverts prêtés par le propriétaire du château (nappe et serviettes propres à chaque repas, cristal, couverts dargent, couteau à fruits, fleurs sur la table, etc... etc... vie de château, quoi!)
La musique militaire joue tous les jours sur la place à la grande joie des habitants et habitantes qui y viennent en grand nombre. Hier soir, samedi, retraite aux flambeaux. Jamais ils navaient vu cela dans leur patelin. Tu dis que tu veux mon adresse civile, le voici:
chez Mr Cochenet (pas la peine de le mettre)16 bis rue Pasteur
Palaiseau (S. et O.)
Je ne te lavais pas donnée, car je croyais être là pour peu de temps. Mais cela va, je crois, se prolonger encore et tu peux menvoyer ici tes lettres jusquà ce que je commande « Halte ». A ce propos, jai des excuses à te faire pour navoir mis que 2 sous sur ma première lettre. Peut-être as-tu été obligée de payer une surtaxe. Je ne me rappelais plus que tout est augmenté et cest Mlle Aline qui me la fait remarquer. Oui cest ton gâteau que jai reçu et que je tai annoncé. Il était à lanis et excellent, comme je te lai dit. Merci des coupures de journaux au sujet de ce pauvre Dethomas. Je les ai communiquées un peu à tout le monde.
Mon urticaire, malgré ma purgation, ne va pas beaucoup mieux. Jai surtout les mains et les bras dans un piteux état, les cuises aussi. Enfin, je me surveille au point de vue nourriture: cest malheureux, juste au moment où, sur la table, paraissent les fruits et des tas de choses que nous ne trouvons pas aux tranchées!
Tous les soldats et officiers ont leur femme. Cest roulant, dans la rue: on est présenté à Madame X, Madame Y!!!!!! Madame Saudaran, elle-même, va venir; le fiancée de mon docteur est là, avec sa mère. Cest amusant. Si tu avais été à La Rochelle et si, surtout les Balmary avaient été à Paris, je taurai demandé de venir quelques jours. Ses parents de Mörch vont, je crois, venir eux aussi.
Sur ce, je te quitte pour écrire à Jean Chagnaud de qui je viens de recevoir une longue lettre. Reçu aussi une lettre de R. Martin qui me parle en termes élogieux de son ami Allard.
Il est venu, au renfort, un jeune aspirant de la classe 17 qui est de Quinsac. Ses parents tiennent une épicerie et connaissent Tante. Je nai pas son nom à la mémoire en ce moment. Il va aller en permission et ira vous donner de mes nouvelles sous peu............
P.S. Ci-joint: une photo.
20 août
Palaiseau. Journée passée à Paris. Vu Loulou.
21 août
Palaiseau. R.A.S.
22 août
Palaiseau. R.A.S. Moresmeau passe à deux galons.
Deux mots pour te dire que rien nest changé dans notre heureuse existence. Rien ne fait encore prévoir un départ proche. Jai reçu ta lettre n°28, ce matin. Merci. Comme réponse, je ne peux pas encore tannoncer la fin de mon éruption qui continue toujours, cest assommant, mais tant pis, je vais à Paris tout de même demain faire des courses et me promener.
Hier, jai eu beaucoup de travail. Figure-toi quun imbécile de ma Compagnie sest suicidé dun coup de fusil dans le crâne. Cétait un neurasthénique et un « minus habeas » de 1° catégorie. Cet idiot ma fait faire naturellement rapports sur rapports, le capitaine Strohl étant en permission à Paris ce jour-là. Je lai fait enterrer naturellement comme un chien, sans honneur militaire, ni religieux.
Aujourdhui, jétais chargé de faire une conférence sur le fusil-mitrailleur et la grenade à fusil aux officiers dun régiment de Territorial, habitant les environs. Grand honneur. Ca a marché mieux que tout ce que je pouvais penser et le Colonel Territorial a été très satisfait. Demain: repos.
Merci des détails et des nouvelles que tu me donnes de tous les membres de la Famille. Une lettre de Mad., dhier, mapprend son prochain voyage à Quinsac. Amusez-vous et reposez-vous bien.............
P.S. Madame Neveux est ici. Tout va bien chez eux.
23 août
Palaiseau. Journée à Paris. Connaissance dYette. Aller et retour nocturne à Orsay. Chambre de Parriat!
24 août
Palaiseau. Revue du Général de Division. Croix de guerre: Capitaine - Palion. Saudaran C.A.
25 août
Palaiseau. Musique et retraite aux flambeaux à Orsay.
26 août
Palaiseau. Journée à Paris avec Dubroca et Toudeur. (Lolette, Lione et Yette).
27 août
Palaiseau. Veille du départ. Visite de Yette.
Je te demande infiniment pardon de ne pas tavoir écrit depuis le 22. Ce nest pas dans mes habitudes, mais au milieu de musique, voyages à Paris, exercice, tennis, flirt, etc... etc... je suis depuis le matin jusquau soir, sans une minute à moi. Cette lettre daujourdhui, voilà plus de 3 fois que je voulais lécrire, chaque fois jétais dérangé.
Or donc, nous sommes toujours dans ce charmant pays mais nous en partons demain 28, pour une destination inconnue. Nous regretterons, je tassure, ces 15 jours passés comme un rêve et qui sont vraiment les 15 premiers jours de vrai repos que nous ayons eu depuis le début de la guerre.
Jai reçu tes deux lettres envoyées par la poste civile, les 21 et 24 août. Merci. Ne menvoie plus, à partir de maintenant que des lettres adressées par le secteur postal. Merci des nouvelles de toute la famille. Je nécrirai à Mad. que dans quelques jours à Quinsac, quand elle y sera installée, pour la remercier dune ravissante photo quelle ma envoyée tout dernièrement.
Tu me demandes de te raconter mes voyages à Paris. Jen ai fait 3 ou 4, tantôt seul, tantôt avec des camarades. Jai été à la Scala et à la Cigale entendre des Vaudevilles ou des Revues, puis au bois, hier matin, pour faire du canotage. Ici, rien de neuf. Les adieux de demain vont être déchirants entre les maris et les femmes (très nombreuses) qui sont venues jusquici, assez déchirants aussi, entre les célibataires et jeunes filles du pays........ Tu sais ce que je pense.
Lautre jour, le Général a passé une revue où il a remis beaucoup de citations (la palme au Capitaine qui a un motif superbe). La foule a acclamé dune façon délirante le Régiment à son retour en grande pompe dans les rues du village. Ce fut touchant.
Avant-hier, jai fait du tennis. Je suis un peu rouillé, ça na rien détonnant. Je suis fauché comme les blés, en ce moment cest la grande misère et ce nest pas maintenant que je tenverrai de largent! Mörch est invisible! Il est toujours à Paris et nassiste même à aucun exercice!!!!! Il a subjugué son nouveau commandant qui lui laisse faire ses 4 volontés! de sorte quil ne sort plus des bras de Marthe Chenal, Jane Renouard etc... et autres grandes actrices en vogue. Heureusement pour lui quil a touché la grosse somme de par sa nomination et un cadeau de son Père, de ses oncles, etc... etc... (près de 10.000 fr) !!
Au revoir, chère Maman, bons baisers à tout le monde autour de toi. Rondet: cest ça le nom, va bien.
28 août
Palaiseau. Nous partons le matin à 9 heures et débarquons à Mézy. Cantonnement à Fossoy (Aisne). Lafougère passe sous-lieutenant à la Compagnie.
29 août
Départ de Fossoy et cantonnement aux Glapieds près de Baulne. Je perds mon caoutchouc.
30 août
Les Glapieds. (Mme Sadoux) (Suzanne). Cheval. Chansons. La Compagnie est seule et tranquille.
Voila encore trois jours que je nai pas écrit, cest que nous avons été en plein déménagement. De même, voici déjà pas mal de temps que je nai rien reçu de toi (depuis ta lettre n°30 du 24), mais ce nest pas très étonnant car tu as du lenvoyer à Palaiseau par la poste civile: on me la ou les fera suivre certainement.
Nous voici donc dans dautres lieux, mais rassure-toi, bien loin encore du front, de lautre côté de la Marne, mais directement au sud de là où nous étions en tranchées au mois dernier. La Compagnie est toute seule dans un tout petit hameau, où nous sommes bien tranquilles et à peu près bien installés, mais cest en pleine campagne (11 habitants) et cela nous change des chemins de fer de grande ceinture et de tout le brouhaha de la grande ville. Aussi je fais du cheval du matin jusquau soir, je commence maintenant à être dune certaine force.
Les adieux ont été faits avec quelque peu de douleurs: le Bataillon a été suivi jusquau départ par un autre Bataillon........ féminin. Cétait roulant...... pour les célibataires, moins gai pour MMrs Strohl, Saudaran, etc... etc...
Nous avons touché, ces jours-ci à la Compagnie, un nouveau sous-lieutenant, tout neuf nommé, mais un vieux du Bataillon, lancien sergent Lafougère (instituteur) avec qui je faisais popote, il y a 3 ans, dans les tout premiers mois de la guerre. Peut-être te rappelles-tu ce nom: cest une bonne recrue à tous points de vue, quoique moins brillant que ce pauvre Dethomas.
Nous ne savons pas ce que nous allons faire, nous attendons patiemment. A partir de maintenant, je técrirai comme dhabitude plus régulièrement.............
31 août
Vu Mörch. Nous partons demain pour un village des environs. Promenade délicieuse dans la forêt avoisinante.
1 septembre
Nous quittons les Glapieds à la nuit et arrivons à Auclaine à 10 h. Compagnie isolée encore. Très chic. Bien installé.
7 h. du soir.
......A linstant, je reçois la visite de Rondet, qui, très gentiment, partant en permission demain matin, vient me demander si jai des commissions pour toi: je lui confie cette lettre.
Jai reçu, cet après-midi, les lettres n°31 et 32, lune venant par le secteur, lautre par Palaiseau doù on me la fait suivre. Rondet te donnera des détails sur ma santé, te dira que je vais très bien, mais que mes mains pèlent. Mon urticaire est passé maintenant, mais toute ma peau sen va par morceau.
Nous avons quitté Palaiseau et sommes maintenant dans des cantonnements beaucoup moins chic, au sud de la Marne dans les environs de Château-Thierry. Nous avons déjà changé 3 fois de patelins, toujours dans les mêmes parages. Je técris aujourdhui dAuclaine, commune de Montlevon (Aisne) à quelques km de la limité de la Marne, tout près de Montmirail! Je suis assez bien installé, ai une chambre et un lit. Nous allons faire ici de linstruction, dans un pays superbe. Combien de temps? Je nen sais rien.
Tu me demandes la date de ma permission: très vraisemblablement, derniers jours de septembre ou premiers jours doctobre. Cest tout ce que je peux te dire de plus précis pour le moment. Je suis bien content que Madeleine soit de nouveau avec toi. Si vous avez le même temps que nous depuis une semaine, les bains de La Rochelle seraient supprimés, car nous avons du froid et souvent de la pluie.
Je te crois que la vie augmente. Je men aperçois moi aussi. Lautre jour, à cheval, jai eu la bêtise de perdre mon caoutchouc noir (le vieux). Je vais être obligé den acheter un autre, cest assommant et je vais être encore fauché, même au commencement du mois! Comme tu le dis cependant, la période davant-postes qui nous attend probablement réduira les dépenses! On mappelle à table dans un quart dheure, je vais être obligé de te quitter et de remettre cette lettre à ce brave Rondet à qui tu pourras demander des tuyaux complémentaires. (Il est à la 15° compagnie, avec dOlce!).
2 septembre
Auclaine. R.A.S. Musique à Montlevon.
3-4 septembre
Auclaine. Exercice et tranquillité. Cheval.
5 septembre
Auclaine. Exercice. Cheval.
Je suis incorrigible, voilà encore 4 jours que je ne tai pas écrit. Je te demande bien pardon mais nous avons un temps superbe et, en dehors des heures dexercices, je suis toujours à cheval, tantôt seul, tantôt avec des camarades; Nous faisons des charges à nen plus finir dans ces grands champs moissonnés. Je comprends bien lengouement de Jean du Sault pour cet animal. A mon tour, jen suis fou.
Aujourdhui, je viens de déjeuner à la popote de Mörch qui cantonne à une quinzaine de kilomètres de nous, hier javais été le voir, et demain, il vient déjeuner chez nous. Il va toujours très bien mais a le cafard de nêtre plus aux environs de Paris!
Lemploi du temps des hommes, pendant leurs heures de
repos, est daller chercher pêcher des
écrevisses dans un petit ruisseau qui en est
littéralement rempli: cest inouï ce que lon
en prend. Dautres vont à la pêche à la
truite (assez nombreuses). Les officiers, enfin, chassent. Le nombre
de perdreaux et de lièvres que nous avons est incalculable. Ce
nest pas étonnant, ce nest ni chassé, ni
pêché et les compagnies de perdreaux, peu
effarouchées, senvolent sous les pattes des
chevaux.
Cest bien le repos, ici, en pleine campagne, dans un petit village éloigné de tout, comme a du te le dépeindre laspirant Rondet. Mais je crois que cela va finir dici peu de temps, car des bruits inquiétants circulent. Que veux-tu! Voilà plus dun mois que nous ne faisons rien. Il faut y aller faire un petit tour. Daprès les tuyaux, ce serait pour aller au même endroit ou tout près à gauche ou à droite. Ce nest pas meilleur pour cela (voir communiqués).
Reçu ta lettre n°33 ainsi quune lettre de Jean C. et une longue épître de Pierre Pajaud, en vacances à Lyon. Il faut que je réponde à tous ces gens aimables qui mont écrit, mais où trouver le temps? Enfin, ne me plains pas pour le moment. Mon urticaire va mieux sauf ces sacrés boutons qui ne finissent pas de guérir complètement. Cest assommant.
Merci de tes offres de service. Pour le moment je nai besoin dabsolument rien. Dis à Loulou quelle réponde à ma lettre de lautre jour, si toutefois elle la reçu à La Rochelle. Ci-joint une photo des officiers et sous-officiers de la 14° compagnie, prise à Palaiseau. Jen ai une autre grande de toute la compagnie, mais elle nest pas « envoyable » par la poste, je te lapporterai à ma prochaine permission. Cest un cadeau du Capitaine à loccasion de sa remise de croix de guerre (palme). Garde-la moi précieusement, comme tout ce que je tenvoie, je te prie..............
6-7 septembre
Auclaine. idem.
8 septembre
Auclaine. Déjeuner à Artonges (5° bataillon) avec Mörch (17° compagnie).
9 septembre
Auclaine. R.A.S.
Madeleine a du tannoncer cette lettre pour hier, mais je nai pas pu et cest aujourdhui seulement que je minstalle pour répondre à tes deux lettres que jai reçues ces jours derniers. La permission de Rondet va toucher à sa fin maintenant. En égoïste: je lattends avec impatience pour quil me donne des nouvelles fraîches et quil me raconte un peu ce qui se passe chez vous. Nest-ce pas que cest un beau brun?
Oui, mon caoutchouc est perdu. Tu peux dire à Jacques que je suis pourtant repassé par les mêmes endroits doù je venais, et même un quart dheure après, mais quil na pas voulu mattendre. Il nest certainement pas perdu pour tout le monde. Jai fait mettre une note à la décision du Colonel pour quon me le rapporte. Rien ny a fait. Je nen ai pas encore acheté un autre, puisque pour mhabiller, jai un bel imperméable. Peut-être en fouillant chez toi, trouverai-je une vieille pèlerine ou quelque chose pour les avant-postes. Je verrai à ma prochaine permission.
Tu sais que pour celle-ci, cest de plus en plus probablement vers le 15 octobre, peut-être même avant. Jai dit, avant-hier à Madeleine, que je vous rejoindrai à Ruelle puisque vous y serez à ce moment-là. Cela mest égal, au contraire; dailleurs cette permission sera de 10 jours.
Vous avez quitté Quinsac, et toutes ces distractions nautiques qui mont lair de vous intéresser beaucoup puisque tout le monde men parle: cest ainsi que je reçois, à linstant, une lettre de Loulou (quentre parenthèse, tu seras bien aimable de remercier de ma part) dans laquelle elle me raconte par le détail cette sorte de promenade au moyen dun canot! Savez-vous que vous me faites faire des pêchés denvie! Ici, nous sommes trop loin, soit de la Marne, soit du petit Morin, pour pouvoir sy plonger, et le tout petit ruisseau à côté de nous nest pas assez profond!
Une lettre de ....... mannonce en effet que Pierre Martin va venir en France, un de ces jours, et en profiter pour se marier. Quel veinard! Vivement la fin de la guerre pour que jen fasse autant.
Ici, rien de neuf. Toujours, exercices, cheval et bruit de départ presque immédiat, qui naboutit jamais. Il faut pourtant sattendre à partir prochainement, car voilà près de 40 jours que nous sommes au repos! La santé est bonne. Toujours quelques boutons mais moins quà Palaiseau cependant: cela va passer peu à peu................
10 septembre
Auclaine. Promenade avec le Capitaine. Rencontres de Francine et Germaine de Château-Thierry.
11 septembre
Auclaine. R.A.S. Depuis 7 jours, bruits de départ continuels.
12 septembre
Auclaine. Dubroca fait venir Lolette et Yette au château dArtonges. Allons les chercher à la gare. Repas avec elles et le commandant Couppé.
Je reçois à linstant (en revenant de lexercice) ta lettre n°36 du 7 que ma apporté Rondet mais je nétais pas là et nai pu le voir. Comme nous ne sommes pas dans le même village, je ne sais pas si je le verrai aujourdhui. Ce sera pour demain matin car nous avons une marche de tout le bataillon réuni.
Nous navons pas encore changé de place, sommes toujours au repos, je ny comprends plus rien, toujours dans le même village où Rondet est venu me trouver avant son départ! Quelle station! Je suis étonné que tu me parles du temps: ici nous avons un soleil superbe qui facilite les délicieuses promenades à cheval (un peu chaudes en plein après-midi).
A quoi ce brave Jean C. voit-il que la guerre va finir? Cela métonne et personnellement, je ne la voie pas finie avant lété 1918. Enfin puisse-t-il avoir raison: je ne demande certes pas mieux. Préviens-moi bien quand tu changeras de villégiature afin que je puisse modifier les adresses. Pour ma permission: rien de changé: toujours première quinzaine doctobre et je vous rejoindrai à Ruelle si vous y êtes. Aurai-je le plaisir de voir un ou 2 cousins?
Rien de nouveau à te raconter, je nai pas vu Mörch depuis ma dernière lettre. Mes boutons vont un peu mieux. Je vais te quitter, car voilà lheure du déjeuner et tout le monde mattend avec de grands cris!!! Bon, baisers à tous les habitants du Château Queyron..............
13 septembre
Auclaine. Va et vient dAuclaine à Artonges. Journée passée avec les petites.
14 septembre
Auclaine. Départ des petites, je regagne Auclaine où lon se prépare au départ de demain. (Marche par étapes de 3 jours)
Deux mots seulement pour te dire que, cette fois-ci, nous quittons demain matin ce petit village où nous sommes depuis une quinzaine de jours. Nous allons marcher pendant 3 jours de suite et alors nous serons tout près de la ferme (Monthussart) où jétais du 1° au 8 juillet (doù est parti Pascal en permission). Jespère que tu te rappelles et que tu vois ce que je veux dire.
Quoi en déduire? Ce que nous attendions depuis longtemps. Nous allons remonter, à peu de chose près, au même endroit que précédemment. Ne ten fais pas à lavance: cest, je crois, plus calme quau mois de Juillet.
Figure-toi que je tavais envoyé de Palaiseau, pendant que Mad. était à La Rochelle, deux grandes boites de sucre dans un colis. Or, ce colis est arrivé après le départ de Mad. et je reçois un avis de la gare. Je te lenvoie afin que tu y répondes le nom de la personne qui doit aller le chercher (tu es mieux à même denvoyer qui tu voudras) (paragraphe b. pour les réponses). Affranchis et renvoie-le au chef de gare, en prévenant la personne daller le chercher. Dis-moi quand tu lauras fait retirer, et quand cette histoire sera terminée.
Reçu hier et aujourdhui tes lettres 36 et 37 du 9 et 11 septembre (Tu en as numéroté 2 (36), mais ça ne fait rien) Jai tout eu. Merci des 2 petites photos de Mad. et du Muguet. Elles ne sont pas mauvaises du tout. Rien de changé pour ma permission (1° quinzaine doctobre). Rassure-toi, jaurai 10 jours moi aussi, cest entendu et jirai vous rejoindre à Ruelle si vous nen êtes pas parties pour larrivée de Jean que tu supposes, dis-tu, pour le 10 octobre.
Pris note pour le changement dadresse le 25 septembre. Je te quitte, ma chère Maman, car jai beaucoup de préparatifs de départ à faire..................
15 septembre
Départ à 6 h., petite pluie. Marche de 20 km. Cantonnement épatant et musique à Jaulgonne (sur la grande ligne).
16 septembre
Départ de Jaulgonne à 5 h. Temps superbe et arrivée à Coulonges par grosse chaleur. Cantonnement moche dans des baraques. Adrien. Popote agréable.
En déplacement comme je te lai dit, par une grosse chaleur qui nous fatigue un peu.
Nous nous dirigeons toujours vers le point que je tai fait connaître.
Bons baisers à tous les habitants du château....................
17 septembre
Départ avec le campement que je commande à 3 h. du matin. Je fais le cantonnement à Bazoches assez facilement. Le capitaine Strohl reçoit lavis quil est nommé à Thann (Alsace). Il est radieux.
Encore une étape de plus. Nous sommes tout près maintenant et cest pour très prochainement, mais il parait que cest plus calme quau mois de juillet!
Reçu ta lettre n°38. Amitiés et baisers à tout le monde. Moi, je vais toujours bien.............
18 septembre
Je vais faire la reconnaissance du secteur (même que le dernier à Cerny, mais bien meilleur) en remplacement de Strohl qui prépare son départ. Retour à 12 h.
19 septembre
Voyage à Fismes où le Général Commandant lArmée (général Duchêne, 10° Armée) a réuni tous les officiers de la Division. Très intéressant. Départ de Bazoches à la nuit. Adieux touchants du Capitaine Strohl à la Compagnie et à nous tous. Marche de nuit et arrivée le matin à Bourg-et-Comin où nous passons la journée, devant monter le soir même. Le Colonel me dit de garder jusquà nouvel ordre le commandement de la Compagnie. Le soir, montée en ligne et relève excessivement calme par un temps terriblement chaud.
Cest au moment dy aller que je técris. Je te donnerai des détails dès demain, si jen ai le temps.
Tout va bien mais le capitaine Strohl nous a quittés hier pour toujours! Aussi, je commande encore la Compagnie pour monter là-haut! Cela devient une habitude!....................
20 septembre
Cerny. Même secteur, mais plus calme à part quelques torpilles à ailettes qui tuent ou blessent quelques hommes.
Ce nest plus avec mon beau papier anglais que je técris maintenant, car il est dun format peu commode pour le transport aux tranchées.
Nous sommes donc en ligne depuis cette nuit, et exactement au même endroit que le 10 juillet dernier. Le secteur est plus calme heureusement, mais loin dêtre bien fameux puisque je viens davoir à linstant un blessé et la Compagnie, à coté, 2 tués! Enfin, cest la guerre.
Je tai fait entrevoir, dans ma carte dhier, était parti définitivement. Voici ce qui lui est arrivé, jétais dailleurs au courant de tout depuis Palaiseau. Pendant son séjour là-bas, il a été voir son ex-camarade de lycée: René Besnard qui lui a proposé la place dAdministrateur des Pays Reconquis dAlsace à Thann!! Strohl a accepté, bien entendu, et, avant-hier, est arrivée sa nomination à ce bel emploi! Il est donc parti immédiatement, me laissant le commandement de la Compagnie, la reconnaissance du secteur à faire, en plus des marches quotidiennes, que javais faites à pied, et enfin le souci de lorganisation de la Compagnie en ligne, comme la dernière fois.
Les adieux ont été très touchants. Cétait vraiment un bien brave homme que nous regrettons tous énormément. Qui va prendre le commandement de la Compagnie? On ne sait rien encore. Les uns disent que cest moi. Personnellement je ne le crois pas, car il y a encore 2 officiers plus anciens que moi au Bataillon et quil y a je ne sais combien dofficiers de rabiot au Dépot Divisionnaire. Le Colonel que jai été voir à ce sujet, ma dit quil navait pas encore réfléchi à la question et que javais le commandement jusquà nouvel ordre.
Pan! On mannonce un nouveau blessé chez moi, à la tête cette fois. Quel fourbi.
Jai reçu, avant-hier je crois, ta lettre n°39 du 16. A partir daprès-demain, je técrirai à Ruelle et plus à Quinsac puisque je nai pas reçu de contrordre. Comme caoutchouc, ne machète rien, je moccuperai de cela moi-même. Vu Mörch, hier, qui tenvoie ses respects. Le veinard sen va demain suivre un cours près de Paris! Vu aussi hier, le fameux curé et vicaire de Lordou avec qui jai causé assez longuement.
Je te quitte, ma chère Maman, en tembrassant bien affectueusement, ainsi que tous ceux qui tentourent. Mes boutons ne vont guère mieux, je vais me décider à aller voir sérieusement un des Toubibs. Jai peur que ce soit la Gale! Au revoir et de nouveau bons baisers, le courrier sen va...............
21 septembre
Cerny. Organisation du secteur. Travaux. Surveillance.
22 septembre
Couvert de boutons, je vais voir le médecin qui me dit que jai la gale. On mévacue et je passe des consignes détaillées à Moresmeau. Je pars par Verneuil et Bourg-et-Comin. Puis en auto jusquà la cote 182 et Ambulance de St-Gilles où je reste la journée.
23 septembre
Train sanitaire. Arrivée de Traimond - galeux!
Hôpital dévacuation de St-Gilles (Aisne)
..... Ca y est! Je suis évacué pour « gale généralisée ». Jai quitté la Compagnie hier à 16 h. après avoir passé le commandement au lieutenant Moresmeau, et ai été dirigé en auto sur une ambulance du front où lon ne traitait pas les officiers. Dirigé alors sur lHôpital de St-Gilles (où a été amputé ce pauvre Dethomas dont joccupe le lit), jy suis hébergé jusquà ce quun train soit formé pour m envoyer ailleurs, probablement demain ou après-demain. Je ne donne donc pas dadresse encore pour le moment, tu nas quà ne pas mécrire jusquà ce que je te dise où les adresser. Par la Compagnie, cela narriverait pas plus vite puisque je ne peux encore faire venir mes lettres.
Ici, jattends, on ne me soigne et je continue à me gratter avec frénésie. Un de mes camarades du 5° bataillon est venu me rejoindre ce matin, pour la même maladie! Ce doit être une petite épidémie au Régiment. Ne tinquiètes pas, maintenant je nai quà me laisser soigner par les Toubibs et les Infirmiers.
Hier, jai reçu ta lettre n°40 du 18. Comme elle ne contenait aucun contrordre, jadresse mes lettres, à partir daujourdhui, à Ruelle où elles te trouveront, jespère. Dis-moi bien, par les numéros, si tu as bien tout reçu.
Le secteur que jai laissé était devenu beaucoup plus calme, malgré encore quelques petits coups de mains essayés par les Boches et dont tu as dû entendre parler par les communiqués de ces jours derniers.
Jespère que tu as quitté tout le monde en bonne santé à Quinsac, et que tu as trouvé tous les habitants de Ruelle dans le même état. Je te quitte donc, chère Maman, jusquà ce que je sois définitivement casé quelque part. Je técrirai un mot tous les jours. Ne me réponds que quand tu sauras mon adresse. Je vous embrasse tous puisque, par lettre, je ne risque pas de vous contaminer...............
24 septembre
Départ le matin par le train sanitaire. Mont-Notre-Dame - Creil - Beauvais - etc... etc...
Vers la Seine Inférieure!!! Amitiés..................
25 septembre
Arrivée à Dieppe à 3 h. du matin. Hospitalisé à lHôtel Royal. Merveilleusement bien. Temps idéal. Plage superbe et mondaine.
Me voici donc arrivé dans un vieux pays bien connu: à Dieppe. Je mempresse de te donner mon adresse:
S-Lt Triaud du 234 ° R.I.Hôpital Complémentaire n° 19
Dieppe (S.I.)
Inutile daffranchir ta correspondance. Jespère que tu auras bien reçu ma carte envoyée hier, au passage à Beauvais. Accuse bien réception de tout.
Ici, je suis installé comme un Roi, dans une luxueuse chambre du Grand Hôtel Royal, transformé en Hôpital. Tous les conforts modernes bien entendu, vue sur la mer, temps idéalement beau, libre comme pendant une permission, prenant les repas cependant à part, à cause de la contagion. Le traitement commencera demain matin et durera je ne sais combien de temps. Cest curieux davoir été évacué si loin pour si peu de chose.
Un monde fou dans ce Dieppe encore en pleine saison. Les Anglais et Belges y pullulent, il y en a encore plus que de Français et cest la vie de ville deau que je vais mener. Pendant que je técris, un hydravion passe à 25 mètres de mes fenêtres (sur la jolie esplanade) cest ravissant.
Ne te fais pas de mauvais sang pour moi. Ma maladie de peau passera vite, je pense, soigné comme je le suis par une ravissante infirmière anglaise, fort aimable et ayant lair très capable. Je pense à Madeleine au milieu de toutes ces dames en blanc!! Ecris-moi vite que je vois que tu nes pas inquiète.
Ma permission?? Je ne sais ce quelle va devenir. Je la prendrai dès que je le pourrai et irai te rejoindre où tu seras. Ne te déranges pas pour moi..................
26 septembre
Dieppe! Idéal!
27 septembre
Dieppe. Promenades superbes. Soins très douloureux.
Café des Tribunaux. H. Lefebvre, Propriétaire. Téléphone 1.70
.......Deux mots seulement pour te dire quil ny a rien de nouveau. Je suis toujours aussi bien installé et mène une vie délicieuse et, à part mes boutons, me porte comme le Pont-neuf.
Les traitements ont commencé ce matin seulement et nont rien dagréable, je tassure. Cest extrêmement douloureux. Après un bain sulfureux, on vous brosse tout le corps avec une brosse en chiendent de façon à mettre à vif tous les boutons. Ensuite on vous enduit le corps dune pommade contenant du sable ou je ne sais quoi. Cela vous cuit très très dur pendant 1/2 heure et cest tout pour la journée. Le reste du temps, je suis libre daller à la plage au moins 8 heures par jour.
Ce matin, les Belges ont fait lexercice sur lesplanade, puis musique militaire belge (pas bonne et exercice mal fichu). Ce ne sont pas des soldats. Un de ces jours, ce sera le tour des Anglais, je pourrai comparer. Quelle ville cosmopolite que ce Dieppe. On entend parler toutes les langues et on voit de tous les uniformes: kif. kif. Babel.
Je crois que le séjour ici durera plus que je ne croyais. Lhôpital est assez mal tenu et il y a trop de laisser-aller. On ne soccupe presque pas de vous, je ne men plains pas car je nai rien, mais je ne voudrais pas, blessé, être ici.
Hier, promenade délicieuse le long de la mer. Hier soir, à la lune, nuit superbe, chants sur la plage. Cela vaut mieux que le Chemin des Dames. Un de ces jours, je vais aller faire un tour à Anneville-sur-Scie, voir si je connais quelquun. Peut-être pousserais-je un jour jusquà Bolbec, mais ça me parait difficile.
Au revoir, chère Maman, ne tinquiètes pas de moi, je ten prie. Je ne tarderai pas dailleurs à aller en permission, je pense, mais ne peux plus te donner de date fixe. Ne te dérange pas, jirai où tu seras.............
28 septembre
Dieppe. Promenade. Mme Lécuyer. Georgette. Traimond.
Rien de nouveau. Ci-contre la photo de mon Hôpital. Tu vois que je suis installé comme un prince Jattends des nouvelles de toi avec grande impatience. Voila presque 8 jours que, par force, je nai rien eu!!!................
29 septembre
Dieppe. R.A.S.
Jai reçu, ce matin, ta longue lettre n°44. Je suis bien content dêtre de nouveau en liaison avec toi et de savoir que tu nes pas inquiète. Tu as dailleurs raison puisque jévite les sales coups de mon régiment (oh. honte). As-tu vu le communiqué dhier, cest en plein dedans. Jai hâte davoir des nouvelles des camarades.
Tout va bien ici, les soins continuent et ça va de mieux en mieux. Jaurai en effet probablement 20 jours de permission, mais nanticipons pas. Aucune fièvre rassure-toi. Ce nest quune maladie de peau..............
30 septembre
Dieppe. Promenade superbe en auto à Quiberville, phare dAilly, etc... avec un Capitaine dArtillerie et Mesnard.
Rien de nouveau si ce nest que jai reçu, ce matin, tout mon courrier du front, tes lettres n°41 et 42. Il me manque le n°43 mais je pense recevoir ici, directement le n°44. Elle me parviendra plus tard. Je suis content que vous soyez en bonne santé et à Ruelle au milieu de notre famille. Je ty rejoindrai, je ne sais quand.
Jai naturellement reçu des lettres dun peu tout le monde. Le capitaine Strohl, très heureux, pas de nouvelles directes du Régiment. Pourvu quil ny ai pas trop de casse! Tu ne mavais pas donné ladresse de lOncle Louis et à partir de maintenant, je técrirai à cette nouvelle adresse.
Je te quitte puisque rien de nouveau. Je ne suis pas encore guéri, mais ça va bien mieux (je nai plus dencre dans mon stylo)....................
1 octobre
Dieppe. Mauvais temps, départ des baigneurs.
2 octobre
Dieppe. R.A.S.
Depuis avant-hier, jai reçu des tas de lettres de toi, je ne me rappelle plus les numéros et tout est bouleversé; mais enfin tous les numéros............... n°46 du 29-9. Jai donc.................est le même pour nous............... donc pour le mieux.
Tu veux de mes nouvelles: je vais de mieux en mieux, mais tout nest pas terminé. Jen ai encore à peu près pour une dizaine de jours ici. Il était temps que je me soigne, car jallais avoir................. infectieuse que jai frisé de près, parait-il. Il nen est rien heureusement et toutes les petites plaies se cicatrisent assez vite.
Ma vie ici est toujours aussi agréable. Le jour, toujours sur la plage. Le soir, souvent au cinéma et chaque fois quil y a théâtre, jy vais. Ainsi, ce soir, on joue (Tournée Baret) une pièce policière qui, parait-il, est épatante. Je viens de my retenir une place.
Dimanche dernier, un Capitaine dArtillerie, en traitement lui aussi, ma invité à prendre place dans son auto: il allait voir une vieille tante millionnaire qui habite un chalet dans une plage à une centaine de kilomètres dici. Promenade délicieuse dans ce pays superbe et par ce temps merveilleux qui na cessé de rester avec nous depuis que je suis ici. Ce Capitaine ma présenté sa Tante et a des Cousines, nous avons pris le thé et sommes revenus par des chemins décoliers (tous les phares de la côte): épatant.
Malheureusement, depuis avant-hier, beaucoup de Parisiens ont quitté Dieppe pour la rentrée des classes et la ville devient plus calme, quoique toujours habitée par tous ces soldats et officiers étrangers.
Je reçois des .............. nai pas le temps décrire à tous........................... étant toujours dehors. ........................Mr Strohl mapporte des détails sur son .................. est féerique, daprès ce quil dit. Rien que des .................. et des réceptions tout le temps. Il a 5 autos à sa disposition et le reste à lavenant. Il regrette néanmoins sa ............ dans toutes ses lettres membrasse comme un frère. Quel brave homme!
Merci du colis de Tabac que tu mas envoyé. Hélas! je ne lai pas reçu ici. Je vais écrire au Corps quon me le fasse parvenir, à moins que mes camarades ne laient gradé pour eux! Ce qui est possible (ma foi, ils ont bien fait). Je te quitte, chère Maman, en te recommandant de bien te reposer à Ruelle pour être dattaque pour mes 20 jours probables de permission..................
3 octobre
Dieppe. Mme Curial. Nina et Louise.
Madame Maurice Triaud. Maison Brun chez Grelet. Magnac (Charente).
Je suis actuellement à Anneville-sur-Scie, mais il ny a plus de carte de lendroit à cause de la guerre.
4 octobre
Dieppe. R.A.S.
Jai reçu hier tes lettres n°47 du 1°. Merci. En effet, la correspondance est bonne en ce moment et le courant est maintenant remis.
Jai été me promener en automobile, je voulais tenvoyer une carte postale mais il ny en a plus. Jai profité du dernier beau temps, il pleut et nous avons une grosse tempête,................ et revisiter cette vieille distillerie, ce qui ma fait grand plaisir. Lancien propriétaire, le père Etiemble, est mort. Le directeur de la distillerie est changé. Je nai plus trouvé que le vieux chef de gare dont tu te souviens! Hélas, 3 fois hélas! sa Fille nest plus avec lui; elle sest mariée à Rouen. Enfin nous avons causé, le vieux et moi pendant 1/2 heure. Je lui ai offert un peu dalcool, sur lequel il ne crachait pas autrefois, ni maintenant non plus, et je suis revenu tranquillement en longeant longtemps le bord de la mer. Délicieux.
Aujourdhui, il pleut et vente très fort. De ma fenêtre, je vois la mer fort agitée et secouant les pauvres petits bateaux. Je vais mieux, bien mieux, ne suis plus un objet de contagion et de répulsion, mais encore ici pour quelque temps. Mes bains continuent, mais on ne me frotte pas tous les jours, heureusement.
Avant-hier, vu joué au théâtre « Mr Beverley », pièce dans le genre dArsène Lupin, bien jouée et intéressante. Tu vois que je ne suis pas à plaindre. Reçu des nouvelles de Compagnie qui a eu quelques morts et quelques blessés mais moins que je naurai cru après le communiqué. Egalement de fréquentes et aimables lettres de Mr Strohl, se plaisant toujours à Thann...............
5 octobre
Dieppe. Toujours soins, mais mauvais temps. Cinéma.
6 octobre
Dieppe. R.A.S.
7 octobre
Dieppe. Promenade.
Rien de nouveau sous le soleil de Dieppe! Je cicatrise, aussi ai-je le ............. Jai lair davoir été grippé ............. va mieux et je commence ............. guère plus que mes pauvres bras, mains et ............... vilain état, le reste est guéri!
Reçu la lettre de Mad. à laquelle jai répondu, ta lettre n°48 du 4-10 à laquelle je réponds, le colis de cigarettes enfin revenu du front et dont je te remercie beaucoup. Je croyais quelles avaient été fauchées par les camarades: ils ont été honnêtes et elles ont été les bienvenues ici.
Cest entendu, à partir de maintenant, jécrirai un mot à chaque adresse jusquau 11, de façon à tatteindre dans tous les cas. Le temps continue a être épouvantable ici. Cest bien moins gai quau début. Ca vaut cependant encore mieux que le Chemin des Dames doù jai bien peu de nouvelles..............
8 octobre
Dieppe. Promenade à Anneville-sur-Scie, Pourville, etc...
9 octobre
Dieppe. R.A.S. .
= Merci de ta bonne lettre .................. comme toi, en effet, jai pensé au premier moment .............. de cela, en jetant ma carte dans ..................... -sur-Scie. Ca ma fait dailleurs grand plaisir .............. où jai vécu 3 mois. Il me parait difficile daller ............ en une seule journée, les trains sont vraiment pas ............ et par trop incommodes.
Je técris le n°53 à La Rochelle: cette lettre tarrivera le 12 probablement et tu y seras. Par plus de sécurité, et pour suivre tes conseils, jenvoie, en même temps, un n° 53bis à Ruelle, mais on te le fera vraisemblablement suivre, car il ne tatteindra pas avant ton départ de chez lOncle Louis.
Ma santé continue à être la même: ça ne guérit pas vite. Dire que mon Toubib (le même qui sest trompé à Palaiseau) me disait que je men allais pour 4 ou 5 jours! Ce nest pas fini, il sen faut et je suis obligé de courir après mon médecin pour avoir des conseils car ici, le médecin ne passe pas dans les chambres périodiquement! Quand ça le prend, il entre causer un moment: je lai vu ainsi 2 fois en tout depuis 15 jours. Aussi, avant-hier, jai été le trouver pour avoir un traitement plus énergique et obtenir que lon soccupe « un peu » de moi. Depuis il vient tous les jours un moment, mais, la rosse, il ma mis le corps en sang. Quelles pauvres cuisses, quels pauvres bras! Ne ten fais pas: on ne souffre quune 1/2 heure par jour, mais cest « bien tassé », je te jure.
Enfin je crois que je men tirerai, mais tu vois par ces détails que je préférerai être évacué ailleurs quici en cas de blessure ou de maladie grave. Je vois ........., linfirmière modèle pâlir à la lecture de ces précédentes ................ le monde nest pas consciencieux comme son ............................. on mange bien, il ny a quà ..................
Toujours .................... la pige » (demande la signification à Mad.). ................... le vent. Cest inouï!!
Bien content que le colis de sucre ne soit pas perdu. On va pouvoir se sucrer pendant ma permission....... Je vais faire pour Mad. un petit travail, oh! bien peu important et pas coûteux, mais qui lui plaira, je suis sûr. Cest une idée à moi, un souvenir de guerre à la fois de larmée française et de larmée anglaise: je pense que ce sera bien. On verra ce quelle en dira.
Au revoir et pas trop de soucis pour la bonne et linstallation à La Rochelle............
= Le n°53 est expédié, en même temps à La Rochelle. Il est plus long car je suppose que cest celui qui te parviendra le plus tôt. En tout cas, tout va bien............
10 octobre
Dieppe. R.A.S. Yvonne.
11 octobre
Dieppe. R.A.S.
12 octobre
Dieppe. R.A.S.
Jespère que, depuis hier, te voilà arrivée à bon port à La Rochelle et que commence ton installation domestique sans trop de soucis domestiques. Tu auras, sans doute, reçue ma lettre n° 53 et peu après ma lettre toute courte n°53bis expédiée par le même courrier à Ruelle. Reçu hier et aujourdhui tes deux lettres n°50 et 51 des 8 et 9 octobre auxquelles je réponds.
Ca va mieux, oh mais sérieusement mieux cette fois-ci et le médecin qui me soigne! ma dit que je pourrai partir dans le courant de la semaine prochaine. Jaurai, de plus en plus probablement, 20 jours à passer avec vous. Quel bonheur! Tu me dis de prendre certaines précautions à cause de la contagion. Ne crains rien. Tout est fait. Mes vêtements sont désinfectés et tout mon linge (dont je change tous les 2 jours à cause des différentes saletés dont on moint) est passé immédiatement à la lessive. Dailleurs le docteur ma dit que je nétais plus du tout un objet de contagion. Jai pris aujourdhui, mon dernier bain sulfureux, je vais prendre maintenant des bains damidon. Ce sera moins désagréable, jespère.
Toujours le même vilain temps. Malgré la liberté dont nous jouissons, la vie à Dieppe actuellement nest pas à comparer avec celle des premiers jours, et souvent nous ne savons quoi faire. Jai reçu, avant-hier, une carte de Jean Chagnaud, me disant quil serait à La Rochelle le 17 courant. Une réponse ne latteindrait pas, aussi vous pourrez lui dire, à son arrivée, que de toute façon, nous nous verrons cette fois-ci.
En effet, loncle Louis a raison, jai eu une maladie très forte parce que reconnue tard, et, je peux te le dire maintenant, jai frisé une gale infectieuse, ce qui aurait été très mauvais. Je ne comprends rien à ce que me dit Maurice. Il me faudrait des détails pour savoir si on ............. Au revoir, chère Maman, et, dans 8 jours environ, jaurai le plaisir de vous embrasser de tout coeur comme je vous aime tous les trois..........
13-14 octobre
Dieppe. R.A.S.
15 octobre
Dieppe. R.A.S.
Jai reçu, avant-hier je crois, ta lettre n°52 écrite dans le train entre Angoulême et Saintes. Merci de penser à moi, même au milieu dun voyage: cela à même du te fatiguer décrire si mal installée dans un wagon. Pas de nouvelles de toi depuis que ton arrivée chez toi. Jaime à croire quil ny a pas eu trop de mal pour vous deux.
Merci aussi des nouvelles dun peu tout le monde que tu me donnes dans ta lettre: voilà Pierre marié. Le jeune ménage aura-t-il la bonne idée de venir nous voir quelques heures à La Rochelle, ce serait très chic!
Ici, rien de neuf. Le temps, sans être superbe, se rafistole un peu et lon peut entreprendre quelques petites promenades. Mon départ dici et mon arrivée à La Rochelle sont toujours pour la fin de la semaine. Il est probable que je vous embrasserai samedi ou dimanche matin. Je vais tout à fait bien, à part quelques démangeaisons qui vont disparaître.
Pendant que jy pense, je vais tapporter un travail fou, car je vais arriver avec tous mes bagages et je te demanderai de passer une revue de détails à mes effets et surtout à mon linge qui a besoin, je tassure, dêtre vu par une mère.
Figure-toi quune dame très riche (la Mère dun embusqué qui a suivi son Fils jusquà Dieppe pour avoir le plaisir dhabiter avec lui) ma invité à dîner avec son Fils, demain soir. Je ne la connais pas et ai seulement fait la connaissance de son fils qui est bien plus âgé que moi et qui ma lair bien!! En voilà un amour fou! Jai accepté, je verrai ce que cest. Ce sont des Parisiens ayant hôtel et autos à Paris!!!! (Mme Watsau).....................
16 octobre
Dieppe. R.A.S.
17 octobre
Dieppe. R.A.S. Reçu chez Mme Watsau.
Merci de ta lettre n°53, du 14, de La Rochelle qui ma fait plaisir, te sachant enfin tranquillement chez toi.
Ici, rien de nouveau, je vais de mieux en mieux, et méchapperai dici samedi ou dimanche. Je compte donc être à La Rochelle dimanche ou lundi, au plus tard mardi, en cas de gros retard. Dailleurs une dépêche, soit dici, soit de Paris, tavertira à lavance.
Reçu, ce matin, une fort aimable lettre du commandant de Roll qui me dit que ma place mest soigneusement gardée à la 14°. Je te ferai lire dailleurs la lettre.
Or donc, hier soir à 7 h. 1/2 du soir (19h.30), je me présente chez Mme Watsau, dans une maison superbe et suis en présence dune dame dune soixantaine dannées, mais qui a du être fort jolie. Son fils (39 ans) est dailleurs un fort beau garçon, mais peu intelligent. Repas exquis, conversation variée et musique classique. Tous deux sont dexcellents musiciens et sur un « Pleyel » de 1° marque, ils ont joué plusieurs sonates de Beethoven. Je nen avais pas entendu depuis le temps de la bande Schenck! Quel bon souvenir et quelle musique.
Puis, Mme Watsau, ayant parlé dun plat étranger, du « curry » que je ne connaissais pas! me dit: Revenez demain matin, vous mangerez de ce plat que ma cuisinière réussit à merveille, mais quil faut manger le matin. Jy suis donc retourné ce matin, cette Dame fut aussi aimable que la veille et son plat aussi exquis quelle lavait promis.
Puis, en causant, le fils, qui est employé à la Censure postale, me dit y connaître quelquun de La Rochelle, un nommé (Morche). Jai sursauté et ai été voir ce Mörch qui nest autre que le frère du Capitaine et le cousin dEdouard. Jai causé un moment avec lui et lui ai demandé sil avait des commissions pour le « patelin » puisque jallais y aller dans 3 ou 4 jours. Joubliais dailleurs de te dire que Mme Watsau est née à Rochefort et sa famille a connu? les Belenfant, puis, à La Rochelle, une dame Botton? et une famille Dufour?
Une lettre de mon régiment me dit quils nont pas eu par trop de pertes jusquici à la Compagnie, mais quils ont horriblement souffert du mauvais temps qui les a fait vivre dans de la boue et de leau. Moi qui connais le terrain, jajoute que je men doutais et que je vois ça dici. Pauvres bougres!.................
P.S. Joubliais de te dire que ce brave Allard, mon protégé dont je tai parlé a été blessé dernièrement. Aucun détail.
18 octobre
Dieppe. R.A.S.
19 octobre
Dieppe. On mavise que je pars demain avec 20 jours de permission. Adieux à tout le monde.
20 octobre
Départ à 5 h. du soir avec Louise qui va à Boulogne-sur-Seine. Voyage charmant.
21 octobre
Journée à Paris. Vais avec Louise à Boulogne. Départ le soir avec Magniez et le capitaine Gaillot.
22 octobre
Arrivée à La Rochelle. Vu E. Mörch. Jean Chagnaud est ici.
23-26 octobre
La Rochelle. R.A.S.
27 octobre
La Rochelle. Départ de Jean.
28 octobre
La Rochelle. (Gilberte)
29 octobre - 11 novembre
Permission à La Rochelle.
12 novembre
Départ à 8 h. de La Rochelle avec Poindessous, jusquà Paris. Rencontré Voisin.
13 novembre
Journée à Paris où je me suis plutôt ennuyé. Courses dans Paris.
14 novembre
Départ à 8 h. avec Voisin et au lieu de passer par Creil, je vais directement à Fère-en-Tardenois. Le Bataillon est à Mareuil-en-Dôle. Retrouvé tout le monde.
Me voici arrivé au milieu de tous mes Camarades, après un très bon voyage. Ma Compagnie est bien, comme lavait dit Mörch, au repos dans le village où Jean C. a reçu la Légion dHonneur.
Rien de nouveau. Je te donnerai des détails demain dans une vraie lettre. Pas de cafard le moins du monde, néanmoins, je pense à vous trois et aux bonnes journées que nous venons de passer..............
15 novembre
Mareuil-en-Dôle. Visite au Chef de Bataillon et au Colonel.
Hier, dans mon petit mot n°1 sur une carte postale militaire, je te faisais, sommairement, le 1° compte rendu dinstallation au cantonnement. Je vais passer maintenant le second, plus détaillé.
Après un voyage qui sest très bien effectué jusquà Paris et pendant lequel jai rencontré le lieutenant Voisin (mon ancien chef de section), jai changé ditinéraire et, au lieu de passer par Creil (gare régulatrice où je devais rejoindre), jai pris directement le train pour F. en T. (Fère-en-Tardenois), aux environs de quoi est mon régiment. Mes bagages ont suivis jusque là et une fois arrivé à la Compagnie, jai envoyé une voiture les chercher. Donc, mon Bataillon est bien à M. (Mareuil-en-Dôle), village où Jean a reçu la Légion dHonneur. La Division est toujours au repos à la disposition du G.Q.G., ce qui fait que nous pouvons aller partout, y compris lItalie, bien entendu, mais le colonel Méquillet, que je viens daller voir il y a un quart dheure, nen sait pas plus que moi sur notre future destination... Attendons.
Comme Jean, je peux te dire que lon mattendait: une chambre très confortable avec un lit et de beaux draps blancs métait réserve (soins attentifs du Fourrier Parriat). Mon ordonnance prêt à recevoir mes instructions, etc..., etc... Laprès-midi, visites aux officiers du Bataillon. Le commandant, dOlce et plusieurs sous-lieutenants sont en permission. Vu le capitaine Vérit avec qui jai fait la paix complète à propos de notre altercation dont je tai parlé: il ma invité à dîner pour ce soir. Moresmeau, mon Commandant de Compagnie, ainsi que Saudaran et Lafougère, mes camarades de Compagnie mont reçu très gentiment.
Ce matin, visite à ma section. Je crois vraiment quils sont contents de me voir revenir. Je te le dis sans fatuité mais avec satisfaction; ils mont tous fêté, entouré, etc... etc... Jai commencé par moccuper aussitôt deux en les faisant changer de cantonnement, la leur nétait vraiment pas bien. Beau début dont ils me sont reconnaissants. Quels braves gens ces pauvres types et quils sont malheureux. Après 45 jours dans une vie normale, je me suis apitoyé de les voir sur cette paille dans une grange à peine close. Quelle guerre!
Cet après-midi, visite au Colonel, très aimable comme toujours avec moi. Je suis en règle maintenant et je nai plus quà me remettre à ce vieux métier qui ne me rebute pas du tout, je tassure. Parriat sétait trompé, Traimond nest pas rentré encore au Régiment (ça ne métonne pas!!) Il est seulement affecté au C.I.D., moi à la 14°. Jaime mieux ça à beaucoup de point de vue.
Voila des détails, je pense. Et vous? Pas trop de cafard? Donne-moi, toi aussi, beaucoup de nouvelles, les dents de Muguette? Jean C.? Mon portrait? etc... etc... Je te quitte, car jai au moins 36 lettres à faire................
P.S. Merci à Mad. pour avoir payé le commissionnaire.
16 novembre
Mareuil-en-Dôle. Préparatif de départ.
17 novembre
Mareuil-en-Dôle. R.A.S. Nous partons demain à pied.
Rien encore de toi aujourdhui et je nespère pas en avoir demain car nous serons en plein déménagement. En effet nous quittons M. (Mareuil) demain matin et allons faire pendant 2 jours, 2 étapes à pied vers le sud, puis cest encore linconnu. Daprès les prévisions, nous embarquerons très probablement en chemin de fer, mais personne ne sait encore de quel côté. Ainsi, depuis hier, ce ne sont que des préparatifs de départ, ce qui donne toujours un certain surcroît de travail.
En défaisant mes bagages, jai constaté que ma paire de gros souliers ny étaient pas, jétais pourtant persuadé que je lavais serrée. Ma-t-elle été volée ou la trouves-tu à la maison? Dans ce dernier cas, tu seras bien aimable de me lenvoyer en un ou deux paquets suivant le poids et le mode de transport.
Ici, temps brumeux et froid, mais pas de pluie. Village, très ordinaire mais partout des inscriptions du 152°. Une femme dici, ma dit que le médecin-chef de ce régiment avait soigné son enfant malade de la rougeole.
Jai fait porter la lettre de sa mère à Mörch, dès mon arrivée, mais je ne lai pas encore vu moi-même et nai pas pu lui raconter une blague au sujet de ses gâteaux. Bon ménage avec mon Commandant de Compagnie, je pense que cela ira très bien. Il commence dailleurs par sen aller en permission le 22 prochain, me laissant le commandement de la Compagnie pour une quinzaine de jours.
Avez-vous de bonnes nouvelles de Jean C. et sa mauvaise position sest-elle un peu améliorée. Je te quitte car il faut que jaille passer une revue à ma section. Où donc va-t-on nous emmener dans 3 ou 4 jours...................
18 novembre
Départ à 7 h. et cantonnement à Brécy. Nous devons aller demain à Château-Thierry.
19 novembre
Départ de Brécy et arrivée à la ferme de Lanconnois!! (3 km de Château) où nous devons rester quelque temps.
20 novembre
Alerte. A 9 h. du matin, distribution de 4 jours de vivres et embarquement en auto? Toute la journée en auto. Arrivée à Golancourt (3 km de Ham) à 11 h. Noyrcy. Cantonnons.
21 novembre
Golancourt. Repos. Pourquoi est-on là? Succès anglais près de Cambrai. Est-ce la cause?
Je ne tai pas écrit depuis le 17 (la n°3) car nous avons été continuellement par voie et par chemin. Voici quelle est notre odyssée:
Partis de M. (Mareuil) le 18 au matin, nous avons fait une étape à pied vers le sud, puis le lendemain 19, une autre étape, à pied toujours vers le sud ce qui nous a amenés aux environs immédiats de C.... T....y (Château-Thierry) où nous devions rester un certain temps, puis embarquer en chemin de fer pour prendre la direction de la Lorraine.............Mais! le 20 à 4 heures du matin, cest à dire dans le courant de notre 1° nuit, alerte! nous touchons immédiatement des vivres pour 4 jours et sommes embarqués dès le matin en camions-autos.
Nous roulons toute la journée vers le nord, ne sachant ce qui se passait et débarquons hier soir (20 au soir - 20 h.), comment dirai-je, dans un pays tout près du secteur Anglais, voisin de la Somme à Ham pour ne pas dire le nom (tant pis si la censure le voit!). Ici, cantonnement ordinaire mais beaucoup dagitation sur les routes. Nous ne savons pas au juste ce qui se passe et ce qui nous a valu ce déplacement subit et immédiat.
Attendons! La pluie est venue nous trouver. Le village est au milieu dun pays très plat et peu intéressant. Les habitants ont toujours présent à la mémoire, loccupation Boche et nous reçoivent très aimablement
Reçu ta lettre n°1 au milieu de ces pérégrinations. Je suis content de vos bonnes nouvelles. Vu Mörch: il a lintention de dire à sa mère que ses gâteaux étaient excellents. Il a très bien pris la petite histoire que je lui ai racontée. Très chic, si Mme de Sairigné te remet mon portrait tout encadré. Tiens-moi au courant, je te prie.
Ecris-moi bien si cette lettre test arrivée sans encombre, car jai des inquiétudes. Si tu vois sur les journaux quelque chose de nouveau dans cette région, tu sauras que je my trouve. Cela peut-être intéressant..........
22 novembre
Golancourt. Repos. Attente.
23 novembre
Golancourt. Départ de Moresmeau. Visite de Jean du Sault!! Les tanks sont par ici.
Rien de toi depuis ta lettre n°1 du 16, dont je tai déjà accusé réception avant-hier. Je ny comprends rien mais jespère quil ne vous est rien arrivé de fâcheux.
Nous sommes toujours aux environs immédiats de H. (Ham) et toujours prêts à partir au premier signal. Tu as vu dans les journaux ce que les Anglais ont fait tout près de nous. Cest beau et change notre ancienne tactique; cest probablement à cause de cela que lon nous a envoyé jusquici, mais pour le moment, nous ne bougeons pas.
Le commandant de Roll est arrivé ce matin, et, à sa place, Moresmeau est parti, ce qui fait que je commande la Compagnie jusquau 10 décembre. Le capitaine dOlce vient de perdre sa Mère et, de ce fait, a une prolongation de 3 jours à sa permission.
Rien de nouveau à part cela, mes boutons ne réapparaissent plus et je ne me gratte pas du tout. Jespère que cette fois-ci, je suis complètement guéri. Je ne veux pas fermer ma lettre avant que le vaguemestre passe, pour taccuser réception dune lettre de toi, sil y en a une, ce que jespère vivement. Donnez-moi des nouvelles de Jean C.. Est-il toujours dans sa mauvaise situation?
Bons baisers à Mad et au Muguet. Dis à Mad. de transmettre mes amitiés à Mademoiselle R.......................
A linstant, je reçois tes 2 lettres n°2 et 3. Il y avait eu du retard par suite de nos déplacements successifs. Bien content que Ginette ait envoyé le portrait. Voyons! Tu ne me dis pas si tu te trouves vraiment bien et vraiment ressemblant??
Tu peux aller trouver Madame Gombeaud, car je viens de faire une n.ième demande, encore aimablement transmise par le Colonel. Le vaguemestre va partir. A bientôt une autre lettre................
24 novembre
Golancourt. Jean vient déjeuner et je vais le raccompagner à Flavy-le-Martel. Visite aux tanks! Retour à cheval.
La lettre que tu as reçue hier a du tapprendre par la contre-signature, que javais eu la bonne surprise de voir apparaître Jean du Sault à ma popote. Ils sont, en effet, tout près de nous, je ne sais si nous allons travailler ensemble! Aujourdhui, il a pu venir déjeuner avec moi et tous deux vous envoyons nos meilleurs baisers.
Rien de nouveau jusquà présent. Toujours au même endroit..................
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Ma chère Tante,
Je técris par le même courrier. Tu auras tous les détails de notre entrevue sur ma lettre.
Mille baisers. Ton neveu affectionné.
J. Dusault. AS.101. B.C.M.. Panam.
25 novembre
Golancourt. Promenade à Ham avec Jean.
26 novembre
Golancourt. Exercice interrompu. Préparatifs de départ.
27 novembre
Départ de Golancourt à 22 heures. Nous embarquons en chemin de fer à Ham.
Par Madeleine et par mes précédentes lettres, tu es au courant de mes différentes entrevues avec Jean du Sault. Je técris toujours du même village, mais nous en partons cette nuit, et allons nous embarquer en chemin de fer à H. (Ham). Où allons-nous encore aller? Personne ne le sait. Ce déplacement dans cette région na servi à rien puisque nous en partons sous avoir rien fait. On devait prévoir quelque chose qui nest pas arrivé.
Cest donc de nouveau linconnu, et qui sait maintenant de quel coin du front te viendra ma prochaine lettre? Ma lettre sera courte, car tu vois dici les différents détails très variés dont jai à moccuper pour faire transporter mes 180 bonshommes, mes 3 voitures, mes 7 chevaux et tout le monstrueux matériel que traîne après 3 ans 1/2 de guerre une simple compagnie dinfanterie.
Je viens de recevoir une très aimable lettre du capitaine Strohl, toujours heureux dans son coin. Si seulement nous allions du coté de chez lui! Cest le filon là-bas! Au revoir, chère Maman, je nai rien de toi depuis ton n°3 du 20 et avec ces déplacements, jai encore à attendre!................
28 novembre
Journée en chemin de fer. Débarquement à Mussey et cantonnement à Neuville-sur-Ornain entre Revigny et Bar-le-Duc.
29 novembre
Neuville-sur-Ornain . R.A.S.
Le courrier nest pas encore arrivé et je nai encore rien depuis ta lettre n°3 du 20. Avec tous ces déplacements, cela na rien détonnant, mais jattends une lettre avec beaucoup dimpatience.
Notre déplacement en chemin de fer est fait. Nous sommes actuellement dans un village aux environs de B.l.D. (Bar-le-Duc) ce qui me donne à croire que dans quelques jours nous allons nous rendre dans un secteur proche de celui de Jean C.. Ca cogne un peu de ce côté; il faut bien que nous y allions faire un tour. Je tâcherai de voir mon cher beau-frère au passage, sil nen est pas déjà parti.
Figure-toi que je suis installé comme un pacha dans une chambre japonaise dun luxe inouï, je suis cent fois mieux que le chef de Bataillon. Il est vrai que cest moi qui, en qualité de commandant de compagnie de jour, était chargé de faire le cantonnement. La 14° est très bien installée et jai tout sous la main dans un petit quartier séparé du reste du village (cest dailleurs la raison pour laquelle je nai pas mis le Commandant dans cette chambre).
Madeleine a du te dire que javais écrit au colonel Gombeaud, car je viens de faire une demande de passage dans lactive. Jai également écrit aux Tetlow et à tante Alice à loccasion de la mort de Mlle Wizerie.
Notre séjour aux environs de H. (Ham) est donc terminé maintenant. Je vais écrire à Jean du Sault pour savoir ce quil est devenu. La visite que jai faite à ses appareils ma intéressée. Jai vu également son chef de service: un toubib à lair aimable.
Je te quitte, car je nai plus rien à te raconter, mais ne fermerai ma lettre quaprès le passage du courrier qui, je lespère, mapportera quelque chose de toi ou de Madeleine.....................
30 novembre
Neuville. Revue du général Menvielle qui nous annonce que nous allons prendre un secteur sur la rive droite de la Meuse, ni bon, ni mauvais (beaucoup de gaz).
1 décembre
Neuville. Exercice.
Hier, jai reçu ta lettre n°5 du 27-11, il y a donc encore en retard ta lettre n°4 que je nai pas reçue et qui marrivera certainement un de ces jours. Sur mon adresse, tu vois que je ne mets plus mon nom, cela vient dêtre interdit par le service postal, pourquoi? Je nen sais rien. Je te renvoie ci-joint lenveloppe que tu mas envoyée. Tu dois savoir maintenant lexplication de lapostillage de Jean du Sault.
Nous sommes toujours au même village, mais le Général de Division est venu voir hier tous les officiers du Régiment et nous a fait part que nous allions prendre un secteur de la rive droite « ni plus mauvais, ni meilleurs ». Nous partirons donc dici 2 ou 3 jours pour nous en approcher. A cette réunion dofficiers, jai donc vu Mörch qui va toujours très bien et qui est dun chic inabordable!
Je vais écrire prochainement à Schenck, mais cet animal là, au lieu de réclamer une lettre de moi « à cor et à cris » pourrait bien mécrire le premier, il me semble. Quant à Roger, je lui souhaite un bon voyage en Italie. Ca se calme dailleurs un peu de ce côté là
Ci-joint le menu daujourdhui, qui était assez bien réussi comme forme par notre chef de popote. Le courrier nest pas encore arrivé, jaurais pourtant voulu voir si je navais rien de toi. Quelle sale administration, en ce moment. Rien ne va et tout le monde sen plaint. Je te quitte, nayant plus rien à te dire, et vais faire une promenade à cheval...........
2 décembre
Neuville. Visite du général Guillaumat (2° Armée) qui nous met à la disposition du 17 C.A.
3 décembre
Neuville. Exercice.
Jai bien reçu ta lettre n°6 du 28, mais ton n°4 ne vient toujours pas et je crains bien quil ne soit perdu. Enfin je sais que tu es au courant de mes entrevues avec Jean du Sault. Sa mère ma écrit hier un mot, mais ne savait pas encore que nous étions vus. Elle me disait que nous étions dans les mêmes parages et me demandait de le chercher. Je vais lui répondre un de ces jours.
Nous sommes toujours dans le même village, mais allons en
partir demain ou après-demain, je crois (je
suis sur) monter en pour nous diriger vers les
lignes, desquelles nous nous rapprocherons par chemin de fer. Hier,
visite du Général dArmée (Guillaumat),
grand chef aimable, je ne peux te dire son nom car Anasthasie me le
défend, mais cest lui que Grand-Père Moreau, ou
Mr Combeaud, connaissait. Jespère que tu
comprends.
Le secteur, parait-il, nest pas trop mauvais, mais il y a de leau et de la boue jusquau nombril, il nest pas aménagé parce quon sy est battu récemment et enfin il y a des gaz! Ne tinquiètes pas trop de ce mot de gaz: nous commençons à savoir tout à fait nous en garantir.
Aujourdhui, froid très vif et très piquant. Hier, neige qui a tenu un peu. Cest lhiver sérieusement maintenant. Et vous allez-vous bien, et avez-vous bien de quoi vous chauffer? Joubliais de te dire que jai reçu un gros colis de lîle Maurice et que je me fais un plaisir de tenvoyer un colis de sucre. Accuse-men réception, je te prie.
Au revoir, chère Maman, on mappelle pour aller déjeuner et je te quitte en vous embrassant tous les trois de tout coeur....................
4 décembre
Neuville. Exercice.
5 décembre
Neuville. Les 5° et 6° Bataillon partent en chemin de fer. Préparatifs de départ.
Reçu avant-hier ta lettre n°7, pas de nouvelles de ton n°4, je le crois bien perdu, cette fois-ci. Tant pis pour les souliers, je ny comprends rien car dans ce sac, javais des objets autrement plus attirants pour un voleur (jumelles par exemple). Nen parlons plus.
Toujours dans ce même village, mais nous en partons le 7 dans la journée. Nous nous rendons dans une contrée que jai beaucoup fréquentée aux mois de mars-avril 1916, puis nous prendrons un secteur dont on parle assez peu en ce moment, un peu à gauche de celui que nous avions en août-septembre 1916. Tu comprends nest-ce pas?
Il fait un froid de canard. Tout est complètement et profondément gelé, et sans feu, là-haut, par ces longues nuits, ça ne sera pas très amusant, surtout si le secteur nest pas organisé comme on nous le fait pressentir. Tu parles! A nous, les peaux de moutons, les cache-nez, passe-montagne, etc...
Merci de la carte dHenri Brumauld, je lui répondrai prochainement puisquil ma donné son adresse. Madame Tetlow ma répondu une carte formidable. Rien encore de Tante Alice, ni du colonel Gombeaud. Ci-joint quelques menus qui vous amuseront peut-être. Donnez-les à Muguette qui jouera avec eux...............
6 décembre
Neuville. Préparatifs de départ.
Deux mots seulement pour te dire que rien nest changé et que nous quittons ce bon petit cantonnement demain matin. Je naurai donc pas le temps de técrire. Reçu hier ta lettre n°8 contenue dans celle de Madeleine. Merci beaucoup à toutes les deux. Tante Alice, elle aussi, ma répondu. Rien encore du colonel Gombeaud.
Nous avons toujours un froid très persistant, mais sec, ce qui le rend facile à supporter. Malgré tout, je vais à merveille et ne suis même pas enrhumé. Au revoir, chère Maman, je técrirai de là-bas maintenant mais mon bataillon commence par être en réserve..................
7 décembre
Départ de Neuville. Voyage en chemin de fer jusquà Dugny. De là, à pied, jusquau camp Driant.
8 décembre
Camp Driant. Installation dans les baraques.
Merci de ta lettre n°9 que je reçois à linstant dans ma nouvelle installation. Je ne sais si je tai dit que le Bataillon ne montait pas tout de suite. Nous sommes en réserve pour x jours dans un camp à quelques kilomètres en arrière, assez loin pour ne rien recevoir, ni obus, ni gaz. Nous sommes donc mal installés, mais tranquilles (à très peu de kilomètres de ta ville) (Verdun). A lheure actuelle, le brave Mörch est en 1° ligne: chacun son tour nest-ce pas?
Hier, en voyageant, jai vu des poilus du 15-2 qui connaissaient parfaitement Jean. Ils prenaient les lignes immédiatement à notre droite. Au cas où Jean soit au repos ou tout au moins pas complètement en ligne, jai envoyé 3 cyclistes dans toutes les directions, ils me rapportent le renseignement suivant: lE.M. du 15-2 est encore en ligne, jusquà demain ou après-demain. Je vais donc faire chercher tous les jours un peu ce bon toubib. Une entrevue nous fera du bien à tous les deux.
Aujourdhui, moins de froid mais temps très brumeux, presque pluvieux. Tu as amené un sourire béat sur ma figure (cette facétie est pour Mad.!!!) en me parlant de ta nouvelle famille de connaissance. Le « possesseur de cette fille charmante » a-t-il un tantinet de fortune et « lobjet possédé » est-il vraiment joli et charmant. Quel âge, etc... etc... Un peu de tuyaux s.t.p.
Jespère que toutes les trois, vous portez aussi bien que moi. Ici, tout est bon: moral et physique; chez les poilus: cest presque la même chose, il ne faut pas trop se plaindre. Moresmeau va rentrer dans 2 ou 3 jours, je ne commanderai donc pas la Compagnie au feu. Tant pis et tant mieux!!.................
P.S. La demoiselle de Palaiseau (31 ans) si aimable, vient de menvoyer aujourdhui une lettre de 16 pages signées « Aline ». Cest la première fois quelle signe ainsi!! Folie!!! Je te jure quil ny a aucune provocation de ma part. Cest roulant!
9 décembre
Messe à Belrupt. Promenade aux casernes Miribel pour essayer de voir Jean C. qui est par ici.
10 décembre
Driant. Jean vient me voir et déjeune avec nous. Je vais le raccompagner à Dugny à cheval. Vu Hernette.
Juste un petit mot pour vous annoncer que nous nous sommes trouvés tous les deux, à notre grande joie. Je pars à cheval accompagner Jean chez lui et vous écrirai plus longuement ce soir...........
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Ma chère maman,
ma chère madeleine.
Nous sommes ensemble, Georges et moi, heureux, comme vous le pensez, de nous être retrouvés et de penser à vous, de si loin! Demain jaurai Georges à déjeuner. Je vous embrasse toutes deux de tout coeur, sans oublier naturellement ma petite Muguette et je passe le stylo à Geo.
Dr Chagnaud
11 décembre
Promenade à Dugny où je déjeune à la popote du colonel Barrard du 152. Jean me raccompagne.
12 décembre
Driant. Visite de Jean. Retour à cheval.
13 décembre
Driant. Déjeuner à Dugny.
Ma lettre du 11, adressée à Mad., taura appris notre rencontre avec Jean, à notre grande satisfaction, tu le devines. Hier et aujourdhui, nous avons continué à nous voir. Hier, Jean est venu déjeuner et je lai raccompagné à cheval. Aujourdhui, jai déjeuné chez lui et je le quitte à linstant à mon camp où il est venu me reconduire.
Jai assisté ce matin à larrivée de son courrier qui contenait 2 lettres de Mad. Il souriait béatement en les lisant et ma dit depuis que cétaient les larmes du Muguet à laddition du « petit oreiller » qui en était la cause. Moi aussi, jai reçu 2 lettres de toi en arrivant, les n° 11 et 12. Jy réponds donc ainsi quau n°10, reçu dernièrement. Dabord un petit reproche: tu ne me parles pas du tout de la décoration de lOncle Louis, cest Jean qui me la appris et je lui ai écrit le soir même.
Jai reçu une très aimable carte du colonel Gombeaud. Il a écrit à mon Colonel et me demande les n° de ma Division, Corps dArmée, Armée, etc... Je vais lui répondre prochainement.
Ne te tracasse pas pour mes lainages. Jai en ce moment tout ce quil me faut, je tassure, et nai besoin de rien. Merci. Accuse-moi réception du sucre quand tu lauras. Je viens de recevoir, hier, un nouveau colis de lîle Maurice et jai réservé cette fois-ci de la confiture de goyave pour Mad. Je lui enverrai dès que possible.
Quel peut-être lofficier du 234 rencontré à La Rochelle par Mad.? Un grand, gros, rouge à 2 galons?? Je ne savais pas que Daniel était en Italie. Ta lettre me lapprend ainsi quune carte de Mad. du Sault reçue ce soir, carte illustrée par elle-même et ne manquant pas de chic, je tassure.
Je ne vois plus rien à te raconter si ce nest que nous sommes toujours en réservé: assez bonnes nouvelles des 1° lignes. Nous allons aller les relever dici peu. Aujourdhui, ça cogne assez fort et ce matin jai encore vu quelque chose dinédit: une « saucisse », autrement dit un de nos ballons captifs, descendu en flamme par des avions boches, presque au-dessus de notre camp. Les observateurs ont eu le temps de sauter, suspendus par leur parachute. Ils sont tombés sans mal, je crois....................
P.S. Jean vient déjeuner demain ici.
14 décembre
Driant. Rentrée de Moresmeau. Visite de Jean.
Un de mes camarades de la 15° compagnie, avec qui nous mangeons et par conséquent qui a vu Jean tous ces jours-ci, part ce soir en permission et veut bien se charger de cette lettre pour toi et dune boîte de gelée de goyave pour Madeleine. Il ira à la maison et vous verra probablement toutes les deux.
Jean et moi continuons à nous voir quotidiennement, mais ce bonheur va avoir une fin car Jean part le 16, et nous allons monter aux 2° positions le 17, puis 10 jours après, si rien ne change, nous irons en 1° lignes. Cest le mauvais moment qui va commencer. Tout a une fin. Ne vous en faites pas trop.
Rien de neuf à part cela. Lassalmonie te dira que Jean et moi nous portons à merveille...............
15 décembre
Driant. Déjeuner à Dugny. Adieux à Jean qui va partir pour le repos.
16 décembre
Driant. R.A.S.
17 décembre
Driant. Préparatifs au départ de demain matin pour les 2° lignes. (Réserve à Navaux)
Deux mots seulement pour tannoncer que nous quittons le camp cette nuit pour aller où tu sais. Je técrirai maintenant un petit mot le plus souvent possible. La dernière lettre que jai reçue de toi est ton n°13 du 12. Tu ne savais pas encore que Jean et moi nous étions rencontrés.
Aujourdhui très froid, il tombe de la neige à gros flocons et nous partons à 4 heures du matin. Il ne va pas faire chaud, mais je monte dans de très bonnes conditions. Je me porte à merveille en ce moment.
Excuse mon papier à lettres, mais tout est serré et je nai que ça sous la main. Je suis content que le sucre te soit arrivé. Jespère quil en sera de même de la confiture de goyave. Hier encore, jai reçu un 3° colis de lîle Maurice: je ny comprends rien. Mme de Cayla me comble!
Reçu aujourdhui une carte dHernette qui a rencontré Mad., parait-il, sous le palais. Je pense que voilà bien des renseignements sur notre entrevue et que vous avez beaucoup de nouvelles de nous. Merci pour les truffes: elles seront les bienvenues. Merci aussi des renseignements sur Mlle Thérèse. Nous verrons cela à ma prochaine permission............
18 décembre
Départ de Driant à 2 h. du matin. Passé la journée au ravin des Vignes par un froid épouvantable. Partis pour Navaux par la nuit.
En route vers la haut. Quel froid! Neige et vent excessivement violent qui cingle la figure.
Traversé des pays bien connus, mais ravagés et abîmés dune façon inouïe.
Je ne peux plus tenir mon stylo et vous embrasse très tendrement toutes les trois.....................
19 décembre
Installation à Navaux où lon ne peut se montrer le jour (vu du bois de Fays). Horriblement mal. Neige et froid terribles.
Me voici arrivé en secteur! Quel pays ravagé! Ce que Jean a pu écrire à Madeleine sur ce pays, je ne pourrai que te le répéter. Cest inouï, inimaginable, et même à des types comme Jean et moi, habitués à en voir de « drôles », cela ne peut que nous étonner.
Pour vous qui ne lavez pas vu, cest inutile de vous
figurer ce que cela peut-être. Nous avons depuis 3 jours un
froid très vif, précédé de neige, ce qui
fait que le décor terrain nous parait encore
plus dénudé. Nous avons lair isolé du
reste du monde dans un pays lunaire où tout le terrain est
bouleversé, où tu ne passes que sur des pistes
contournant des trous dobus. (Tous les trous se touchent ici).
Cest insensé.
Mais ce froid nous a rendu un service inappréciable: celui de faire la relève sans boue, ce qui est impossible dans ce secteur, même en plein mois daoût (souvenir de lan dernier). Jai vu des soldats dans des états impossibles à décrire tellement ils étaient sales.
Tandis que le sol était, hier et avant-hier (car les relèves se font en 2 nuits, tellement cest pénible et long) très gelé et très glissant. Tout le monde tombait et, à force de faire de léquilibre sur les jambes, jai les mollets complètement courbaturés!. Mais nous sommes propres! Cela ne durera pas longtemps, car nous navons pas deau et que nous allons rester 20 jours sans pouvoir, ni nous laver, ni nous raser. Ceux que nous avons relevés mont fait éclater de rire quand je les ai vus. Il est vrai (est-ce un état nerveux) que jai eu le fou rire tout le temps de notre relève, tellement je me « plaquais » et tellement jai relevé de types tombant comme des mouches! Le secteur est relativement calme. Pas de gaz pour le moment, et pas de pieds gelés: ce sont les 2 principaux ennemis. Le Boche est la 3°. Ce temps est donc épatant et quoique froid, nous le préférons à la pluie.
Avez-vous reçu la visite de Lassalmonie? Je voudrais bien quil vous ait vu pour vous donner des nouvelles de Jean et de moi. Hier, en venant ici, je suis passé à F.(Fleury) où jai passé 10 jours si mauvais en août-septembre 1916. Jai revu nos anciens emplacements. Cétait déjà bien abîmé, mais cest fantastique en ce moment. Sur des kilomètres et des kilomètres carrés, pas une route, pas un village, pas un bois, pas un boqueteau, pas un sentier, pas une fontaine, pas une ferme, pas un cours deau, pas un brin dherbe, pas un arbre. Des trous dobus et des trous dobus à perte de vue!!! Et quels trous dobus!!!!
Je te quitte. Ne vous en faites pas ça ira et dans 20 jours la fuite ......... vers dautres lieux plus hospitaliers............
P.S. Mon ancien camarade dactive: ladjudant Richarme sest noyé dernièrement dans un trou dobus. Il était marié à Mlle Duclos (peintre, rue Chef-de-Ville). Nen parle pas!!!
20 décembre
Navaux. Toujours très mal. Beaucoup de froid et de neige. Travaux au boyau A3.
Jai oublié de te dire dans ma lettre dhier que javais reçu ton n°13 auquel je répondrai plus longuement cette nuit ou demain. Rien de nouveau depuis hier. Nos voisins den face sont calmes en ce moment. Le froid continue: pas de boue, cest épatant!.............
21 décembre
Navaux. Travaux de nuit.
Je nai pas encore eu le temps aujourdhui de técrire longuement. Je te promets de le faire à la prochaine occasion. Rien de toi encore depuis ton n°13.
Ce petit mot te dira donc que tout va merveilleusement bien. Beau temps, froid: donc pas de boue et du soleil. Pas de gaz non plus en ce moment et peu dobus....................
22 décembre
Navaux. Travaux.
23 décembre
Navaux. Travaux.
(Toujours du même trou - 23 heures)
..........Tu auras passé un jour sans avoir de lettres de moi: cest de ma faute et je te demande pardon. En revenant dune tournée en ligne, comme je me disposais à técrire, on me dit que le courrier était parti: cétait trop tard et jaurais dû my prendre plus tôt.
Ne tinquiètes pas pour cela. Tout va bien au point de vue santé, sauf un petit rhume attrapé en surveillant des travaux, mais ce nest rien. Dame! il fait si froid que cela na rien dextraordinaire. Le moral est excellent, ça, je te le garantis.
Nous sommes dans un trou de 15 mètres cubes à peu près: 3 officiers: Moresmeau, Lafougère et moi: le fourrier et un ordonnance pour faire notre service. Pas de feu, mais nous sommes tellement les uns sur les autres que nous navons pas froid. Là, cest une succursale de la cave de Moulainville (tu sais, cette cave où nous avons été si gais lannée dernière: voir photo!) Nous rions, jouons et causons comme des gosses. Je tassure que nous navons pas le cafard!
La nuit: reconnaissance, travaux, etc... etc..., tout le monde dehors ou en circulation. Le jour: impossible de montrer le bout du nez: Fritz nous voit de partout: cest là que nous dormons et devisons gaiement. Ainsi le temps passe.
Je réponds à tes lettres 14,15 et 16 que je viens de recevoir: tout mest très bien arrivé, comme tu vois. Tout est réparé pour loncle Louis, puisque jai écrit dès que je lai su (par Jean). Il ma dailleurs répondu, ce brave oncle, mais Grand Dieu, il va falloir que Jean et moi lui écrivions pour lui remonter le moral. Sa lettre nest quune suite de lamentations, sur lui, sur Jean, sur Roger, sur Maurice, et même sur Ninette qui « passe dans ce trou, ses plus belles années »!! Un peu de ressort! Quoi. Heureusement que Mad. et toi nêtes pas comme ça, sans ça, quel cafard jaurais!
Je suis bien content que Lassalmonie vous ait porté de nos nouvelles si rapidement: cest un brave type, et je le remercierai à son retour de permission. Merci de cette opération financière que tu as faite en mon nom et qui ne peut quêtre très bonne. Tu mexpliqueras cela en détail à ma prochaine permission. Toutes mes économies doivent être comprises là-dessus, je suppose. Cest vrai, javoue que jai beaucoup dépensé cette année, mais aussi: Palaiseau - Lunéville - Dieppe !!!!! Je tâcherai de tenvoyer quelque chose à ma descente des lignes.
Je suis renversé de la nomination du commandant Schenck, je le croyais inamovible jusquà sa retraite. Tu ne trouves pas que cela fait quelque chose de les voir partir: on était si habitué à eux: je vais leur écrire.
Ne me plains pas comme tu fais: je tassure quen ce moment: ça va très bien, grâce au temps, grâce à je ne sais quoi: le secteur est relativement calme. Vrai: personne ne sattendait à si bon! Il est vrai que si la boue vient, cest le désastre!
Pauvre Bouyé! Tiens-moi bien au courant de cette histoire. Pourvu quils nen soient quittes que pour la peur! Je suis au courant de cet accident de chemin de fer à St-Jean de Maurienne. Merci de tous les détails très complets de ces trois lettres. Cela me fait grand plaisir, je tassure...................
24 décembre
Navaux. Reconnaissance des premières lignes. Secteur de gauche du Bataillon où nous allons aller le lendemain.
25 décembre
Départ de Navaux à 18 h. pour les premières lignes. Neige, mais temps superbe. Très froid. Pleine lune.
Quel beau « Christmas » nous passons aujourdhui! Cette nuit il a neigé continuellement et jai été une bonne moitié du temps dehors. Aujourdhui beau temps mais au moins 20 centimètres de neige! Nous allons changer de place de soir et je vais être un peu isolé avec mon peloton, mais pas beaucoup plus mal. Le secteur continue à être calme. Tu le vois dailleurs par les communiqués avec ce temps froid, toujours pas de boue. Cela va bien jusquà présent (un seul blessé à la Compagnie: dune balle.... en plein trou de.....idem: peu grave).
Rien de neuf depuis avant-hier, pas reçu de lettres intéressantes: jai écrit au commandant Schenck une lettre que jai fait le plus aimable possible, à loccasion de leur départ. Je vous souhaite de vous distraire plus que nous ici dans notre trou, pour passer ces fêtes.
Quest-ce que le Petit Jésus a mis dans le soulier du Muguet, cette année? Embrasse le bien, ainsi que sa Maman de ma part, je te prie. Mon rhume suit son cours: ce nest rien. Je crois que jai des Totos!!!..............................
26 décembre
C.R. le Fays. Compagnie de Réserve. Je suis isolé de Moresmeau et commande mon peloton derrière la 15°. R.A.S.
Me voici dans un nouveau domaine, pas plus beau que le précédent, au contraire, mais un peu isolé et plus mon maître. Rien de nouveau. Tout va bien jusquà présent. Beaucoup de neige, mais nuits superbes.
Reçu hier ton n°17 auquel je répondrai bientôt...................
27 décembre
C.R. le Fays. R.A.S.
Je nai pas eu le temps encore aujourdhui de técrire longuement bien que jai reçu hier ta lettre n°18 dont je te remercie. Tout va bien jusquà présent. Toujours de la neige et du froid. Assez calme.
Mon rhume suit son cours. A demain une plus longue lettre, jespère....................
28 décembre
C.R. le Fays. Bombardement très sérieux de notre secteur (à cause des travaux sur la neige).
29 décembre
C.R. le Fays. R.A.S.
Je suis encore en retard aujourdhui pour venir técrire, mais cest la faute de nos ennemis qui ont été assez turbulents ces dernières 24 heures. Ne tinquiètes pas outre mesure, je nai pas eu de mal jusquà présent à mon peloton. Je vais avoir des nouvelles du reste de la Compagnie dans quelques instants. Jespère quil sera aussi heureux que moi.
Le temps continue à être horriblement froid, et il y a tant de neige que les boyaux sont comblés, on en a au-dessus du genou à certains endroits. Mais je vais très bien et mon rhume est presque terminé. Tout va bien mais je suis sale, et comme nous allons rester en secteur plus longtemps quon ne devait le faire, mon ventre va servir de terrain de football aux Totos.
Avant-hier, jai reçu 3 colis à la fois:
1°/ ton gros dont je te remercie et qui me régale.
2°/ le tout petit du Muguet, jai été très touché de son bon coeur et je lui ai écrit aussitôt.
3°/ Un colis de Ginette de Sairigné, contenant des livres.
Je réponds également ce soir à tes n°17 du 22, 18 du 23, 19 du 24 et 20 du 25. Tu vois que je suis un peu en retard, mais la lettre à Muguette vous a fait voir que jétais en bonne santé. Dieu! que je suis mal installé. Cest avec une boîte sur les genoux comme table, que je fais tout mon travail de paperasses et toute ma correspondance!
Hier, jai reçu la visite de Mörch, dont le bataillon est un peu derrière nous. Il est venu faire une corvée et a poussé jusquà moi. Il vient dêtre soigné pour la gale lui aussi, et comme ça lui reprend, il va tâcher de se faire évacuer. Il la presque aussi forte que moi.
Pauvre petit Ziquet Bouyé, et surtout pauvre Famille. Tiens-moi bien au courant. Dailleurs, je te remercie de mécrire aussi souvent en ce moment. Tes lettres me font grand plaisir, car je tavoue sérieusement que nous passons une dure période. Quel froid! Je navais jamais vu tant de neige. Jespère que les Boches vont rester tranquilles maintenant, mais ils nous ont assez secoués tout aujourdhui.
Jai peur que cette lettre tarrive en retard pour le 1° de lan, elle tapportera néanmoins, mes voeux les plus sincères pour la nouvelle année. Ces voeux seront naturellement partagés entre vous trois. Excuse-moi, mais je suis dérangé à chaque instant, cest assommant. Toujours des notes, toujours des ordres, je ne peux rien entreprendre. Je finis donc ma lettre. Vous savez tout ce que je pense pour vous trois que jaime et que jembrasse........
P.S. Merci encore de toutes vos étrennes à toutes les trois.
30 décembre
C.R. le Fays. R.A.S.
Aujourdhui, journée plus calme quhier. Les Boches nous ont moins « sonné ». Il fait moins froid, la neige fond un peu, mais ce nest pas encore le dégel. Dieu merci.
Hier, je voulais técrire une longue lettre et tu dois navoir trouvé quun style décousu. Javais mal choisi mon moment, car jai été dérangé plus de 10 fois en lécrivant. Enfin elle vous portait pour vous trois, mes voeux les plus sincères comme vous pensez et vous remerciait de tous les colis que vous mavez envoyé.
Rien de nouveau, voilà bientôt 12 fois 24 heures que nous avons à peine vu le jour: que quelques minutes en se traînant à 4 pattes dans un fond de boyau. « On ne peut » montrer le nez sans être tiré comme un lapin, mais quel joli coin (au point de vue esthétique), je lai vu au clair de lune. Toute ma tranchée, sur 200 m de long, est en « balcon » le long dun haut ravin: on en a une vue superbe. Mais quelle vue. Rien que des trous dobus. Une forêt, en face, nest composée que de bouts de troncs darbre dun mètre, et sans aucune branche. Quel ravage par ici. Encore une vingtaine de jours par ici, car on vient dallonger un peu notre bail. Quel bonheur!!!
Aucunes nouvelles de Jean depuis que nous nous sommes quittés. Il jouit des délices de son repos, le veinard. Rien de nouveau, tout va bien jusquà présent..................
P.S. Mes Hommages à toutes ces Dames et Demoiselles. Un sourire de plus à Mlle T. M. .......... en attendant de voir et de savoir.
Ton gamin.
Pouf! Un accident. Pendant que je relisais ma lettre, un coup de pied dans mon bureau. Tout a chaviré. Quelle vie!!!!
31 décembre
C.R. le Fays. R.A.S.
Quelle triste double fête nous passons cette année, au milieu de ce pays dénudé que lon ne peut même pas voir le jour et isolé de tout et de tous, au fond dun trou éclairé à la bougie, nuit et jour. Enfin, je viens décrire 10 lettres de 1° de lan car la journée a été tranquille. Je me suis installé tant bien que mal, ai attrapé 3 crampes dans les jambes, 2 torticolis et 1 lumbago, mais jarrive à ma 11° lettre qui est pour toi. Tu voudras bien mexciser si je suis abruti, il y a de quoi.
Jaiécrit à tantes M.L. T., Marg., Alice, Mr Lebourg, Mme Obissier, Mme de Sairigné, etc... etc...
Rien de nouveau ici: secteur calme aujourdhui. Jai reçu hier la visite du camarade avec qui javais passé ma maladie mon temps dhôpital à Dieppe et qui me devait de largent, je lai tapé et il ma tout remis: voila une affaire liquidée: plus souvent que je lui en prêterai.
Ah! mon ordonnance est revenue de permission. Ca tintéresse-t-il? Moi ça me fait plaisir. (je suis complètement abruti, je te dis).
Quil te suffise donc de savoir que je vais très bien et que le secteur est calme en ce moment....................