Généalogie

Qui étaient mes ancêtres..........

Pierre, Philippe, Denis BELLOT

(Lieutenant de Vaisseaux - A bord de la frégate "la Méduse" lors de son naufrage)

Son père:

Joseph, Pierre BELLOT, né avant 1771, décédé à Brest le 6 prairial an IX, vécut à Rochefort et à Brest. Il épousa Marie, Anne BRUNET. On le retrouve en 1791 Sergent au Corps des Canonniers Matelots et, à sa mort, Premier Lieutenant au 3° régiment d’Artillerie de Marine, 3° compagnie, 3° bataillon, 7° demi-brigade.

 

Sa Jeunesse:

Denis naquit le 5 février 1791 et fut baptisé le 7 à Rochefort. Le 4 mai 1798, à l’âge de 7 ans, il s’engage, à Brest, comme Mousse de 2° classe et s’embarque pendant 11 mois et 10 jours sur le vaisseau "le Cisalpin" à 12 francs par mois. Il naviguera en rade de Brest.

En 1804, toujours Mousse de 2° classe, il s’embarque sur le cutter "l’Actif". Il partira de Rochefort le 15 avril. Pendant 4 mois et 11 jours il fera du convoyage pour les stations.

Le 23 septembre 1804, il repart de Rochefort sur la canonnière "la Subtile" pour seulement 1 mois et 29 jours. Encore en convoyage mais, 6 jours après son départ, le 29 septembre, il est nommé Mousse de 1° classe.

Après quelques années d’étude, il est nommé Novice de 2° classe et repart de Rochefort du 26 juillet 1808 au 4 novembre 1808, sur le lougre "le Rapace". Il fera encore du convoyage. Du 5 novembre au 12 décembre 1808, il est en rade de l’île d’Aix sur le vaisseau "le Jemmappe". Il refera du convoyage du 1° mars au 21 septembre 1809, sur la goélette "la Vigie" et du 12 au 20 juillet 1810 sur la Canonnière n°187.

Le 16 décembre 1810 il est nommé Aspirant de 2° classe. Il repart en convoyage du 1° au 24 janvier 1811 sur la gabarre "la Pintade", du 25 janvier au 6 juin sur la Canonnière n°191 et du 24 juillet au 6 novembre sur la gabarre "la Gironde" sur laquelle il fera les voyages de Bayonne.

Il reste en rade de l’île d’Aix du 1 janvier au 2 mai 1812 sur le vaisseau "l’Océan", du 3 mai au 30 septembre 1812 sur le vaisseau "le Régulux" puis du 1 octobre 1812 au 16 mai 1814 sur le vaisseau "le Patriote".

Le 16 mars 1813, il a été nommé Aspirant de 1° classe. Partant de l’île d’Aix, il fera du transport de prisonniers de Plymouth à Brest du 17 mai au 13 juillet 1814 sur le vaisseau "le Foudroyant". Il restera en armement, à Brest, sur la frégate "l’Africaine" ou "la Yade" du 15 juillet au 11 août 1814, puis fera du transport de munitions d’Anvers à Brest sur la gabarre "la Zélée" (armée à Rochefort et désarmée à Cherbourg) du 6 septembre 1814 au 19 avril 1815.

Le 24 avril 1816, il embarque, à Rochefort, sur la Frégate "la Méduse" pour le Sénégal..................

 

Le naufrage de "la Méduse":

A la chute de l’empire, "la Méduse" Frégate de 3 mâts et 44 canons, était la plus moderne et la plus rapide de notre marine. Elle se trouvait, en rade de Rochefort, prête à appareiller pour transporter Napoléon et sa suite en Amérique. Ce départ n'eut pas lieu, car la frégate anglaise "l’Agamemnon" se trouvant au large, la fuite de l’Empereur devenait dangereuse.

Avec la Restauration, l’Angleterre devant restituer notre ancienne colonie du Sénégal à la France, "la Méduse" fut désignée pour y transporter le nouveau gouverneur, sa famille, ses troupes, et ses finances et le matériel. Cette expédition était commandée par Duroy de Chaumarey, officier sans aucune expérience, ancien émigré, un survivant du massacre des royalistes sur la plage de Quiberon par Hoche en 1795, qui n’avait pas navigué depuis plus de vingt ans. La flottille, composée également de la corvette "l’Echo", de la flûte "la Loire" et du brick "l’Argus", met à la voile le 15 juin 1816.

Le 2 juillet, à 11 heures, "la Méduse" est immobilisée sur le banc d’Arguin, échouée, pour comble de honte, par beau temps et marée haute. Abandonnant le navire, le 5 juillet, tous les passagers prirent place dans 6 canots et un radeau........ Les canots devaient remorquer le radeau. Le deuxième canot s’appelait "le Sénégal", car il devait être laissé à la colonie. Il ne bordait que 8 avirons et était commandé par l’Enseigne Mandet avec l’Aspirant Bellot pour second. Il reçut sa pleine charge, soit 25 hommes. La mer étant devenue mauvaise et dans l’impossibilité de remorquer le radeau, les amarres furent coupées afin de sauver au moins la vie des passagers des canots, car certains étaient surchargés.

"Le Sénégal" fut le premier à aborder la côte (sous la menace de son équipage) et à débarquer ses passagers, imité par d’autres canots. Denis Bellot fut parmi les 116 personnes qui se mirent en route vers Saint-Louis en longeant la côte. Après d’éprouvantes péripéties dont la rencontre avec les Maures, ils parvinrent à Saint-Louis le 13 juillet.

(voir plus bas le récit du voyage du canot du Sénégal par Sander Rang).

 

L’après naufrage:

Le gouverneur ayant décidé le départ de la corvette "l’Echo" pour la France, Bellot, ainsi que d’autres officiers, ne réussit pas à obtenir la faveur d’être nommé sur ce navire malgré "ses demandes réitérées et ses justes réclamations". Ce ne fut pas sans quelque chagrin qu’il vit partir ses amis, le 29 juillet au soir. Il était sur "la Loire" depuis le 17 juillet. Ils attendaient la réddition de la colonie et appréhendaient surtout de passer dans ce pays le reste de la campagne. Malgré un ravitaillement journalier à terre, il y eu à bord beaucoup de monde malade, deux sont morts à l’hôpital. Seuls les hommes de "la Méduse" tombaient malades, la plupart attaqués de dysenterie. Le 28 octobre ils obtiennent enfin l’autorisation de débarquer à Saint-Louis tous les objets qui sont à bords de "la Loire". Ils embarquèrent à la place du sable pour mettre en barrique et servir de lest. Ils apprirent le "mémoire infâme" publié dans le "Moniteur français", par Savigny, sur la tragédie du radeau.

Ce fut enfin le départ et le retour à Rochefort le 7 janvier 1817. Le lendemain, il est nommé Enseigne de Vaisseau. Il restera 5 mois à terre et, du 25 mai au 30 septembre 1817, il embarque sur le brig "l’Epervier" mais reste en rade de l’île d’Aix.

Le 12 octobre 1817, il part sur la gabarre "l’Expéditive" pour une nouvelle campagne aux colonies. Il fera les Iles du Vent, Terre-Neuve et les Etats-Unis. Retour à Rochefort le 6 novembre 1818. Nous possédons sa demande d’embarquement "........... ma félicité serait bien grande si je pouvais obtenir de votre Excellence la faveur d’être embarqué, surtout dans ce moment où j’ai besoin de recourir à l’économie pour réparer la perte que j’ai faite de mes effets, par suite du naufrage de la frégate de Sa Majesté, la Méduse........."

 

Son Mariage :

Pendant presque deux ans, il va rester à terre pour se marier. Il épouse à 27 ans, le 7 janvier 1819, à Rochefort, Mlle Anne, Sincère Belenfant, née le 27/5/1795, décédée le 26/12/1870 à Rochefort, 7° enfant de François Belenfant (1749-1825) et de Julienne Charrier (1757-1833). Le père de Sincère: François Belenfant (Belenfant de la Solivière jusqu’à la révolution) est greffier en chef des Tribunaux Maritimes de Rochefort. Il a siégé notamment dans l’affaire des brûlots de l’île d’Aix et siégera au procès du commandant de la Méduse, Duroy de Chaumarey. L’un des fils de sa fille aînée Agathe, Napoléon Rignac, Novice Pilotin à bord de "la Méduse", embarqué sur le radeau fut, parait-il, mangé par les autres naufragés.

Sa fille Sophie, Aimée Belenfant (4° enfant), épousa en 1808 Géraud Lesueur. Leur 4° fille épousera Jean, Firmin Triaud, futur maire de Rochefort.

Pour se marier quand on est militaire à cette époque il faut une autorisation. Son Commandant écrit le 12 Novembre 1818: "Mr Bellot......m’a prié de réclamer l’autorisation de votre Excellence. Ce mariage me paraissant convenable sous tous les rapports............il résulte que la demoiselle Belenfant a reçu en dot, vingt-quatre mille francs qui doivent être employés à acquérir une propriété....."

Dans le contrat de mariage, on trouve:

= article deux: La demoiselle future épouse se constitue en dot et apporte dans la dite communauté: 1° Les hardes, linges et effets à l’usage de sa personne, avec ses bagues, joyaux et bijoux....

= article trois: Le sieur futur époux n’a aucun apport de communauté pour le moment..........."

Ils eurent 2 enfants: Anne, Justine Bellot (1820-1870) qui épousera Camille Chevallier et Rosalie, Clara Bellot (1823-1897) qui épousera Augustin Baudry, sans descendance.

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Lettre à sa femme:

Madame Bellot

rue Saint Jacques, n°83 à Rochefort (Charente Inférieure)

Toulon, le 19 janvier 1828

Ma chère Sincère,

Enfin mon affaire est entièrement terminée. Je vais aujourd'hui avoir mon ordre pour me rendre à Rochefort, ainsi donc, ma bonne amie, la semaine prochaine, je me mettrai en route et dans une vingtaine de jours, j'aurai le plaisir de t'exprimer de vive voix toute ma tendresse ainsi qu'à nos aimables enfants.

Je suis en ce moment, Dieu merci, à l'hôpital. Grâce à une attaque de mes douleurs, maladie, comme tu le sais qui n'est pas très dangereuse mais qui cependant, avec les démarches de mon commandant, a fait aplanir toutes les difficultés pour mon retour à Rochefort. Il est très difficile, ou pour mieux dire impossible, d'obtenir des congés quand on n'a pas de causes légitimes, ainsi tu vois, ma bonne amie, que cette attaque ne pouvait venir plus à propos.

Je te félicite, ma chère Sincère, sur les progrès de ton aimable petite écolière, je ne m'attendais, je te le jure, à recevoir une lettre de cette chère enfant. J'en ai pleuré de joie, chère Justine, avec quel plaisir je l'embrasserai et toi, ma bonne amie, quelle reconnaissance ne te dois-je pas pour la peine que tu as du te donner. Tant qu'à notre bon lutin, il parait qu'elle est trop étourdie pour faire quelque chose; mais enfin quand elle commencera, je suis persuadé qu'elle apprendra avec facilité.

Je te disais dans ma dernière lettre que nous faisions peut-être quarantaine. L'on a été assez aimable pour nous dispenser de cette formalité. Je suis par conséquent descendu de suite à terre, soutenu par deux hommes, car je ne pouvais pas marcher? Je fus très surpris de m'entendre appeler. Je regarde et reconnais cette bonne petite Madame Colson (?) qui me fait entrer chez elle et pendant une heure que j'ai resté chez elle, nous ne nous sommes entretenu que de ma chère Sincère et de ses aimables enfants. Je compte aller cet après-midi la voir, car je commence à sortir depuis hier, aidé cependant par une canne.

Si je ne t'ai pas écrit plus tôt, ma bonne amie, c'est que j'attendais le résultat des démarches que je faisais. C'est à l'instant que le Major Général vient de faire dire que le préfet m'accorde de me rendre à Rochefort; aussi, je m'empresse à te faire part de cette heureuse nouvelle. Je t'écrirai la veille de mon départ que je ne peux te fixer au juste, mais qui cependant n'ira pas à plus de sept ou huit jours.

Adieu ma bonne amie, l'heure du courrier me presse. Je ne puis m'entretenir plus longtemps avec toi dans la crainte de le manquer et puis je suis si transporté de joie que je n'ai plus une idée, si ce n'est celle de t'adorer toute la vie. Je désirerais, ma chère Sincère, que tu viennes au-devant de moi jusqu'à Saintes avec nos aimables enfants. Ce sera toujours quelques heures que je te verrai plus tôt. Ecris-moi à Bordeaux, poste restante, et dis-moi, je te prie, ce que je peux acheter à la bonne Justine car mon intention est de lui faire un petit cadeau. Pour toi, ma bonne amie, je voudrais t'apporter quelque chose. Dis-moi ce que tu désires. Tant qu'à Clara, un peu de bonbons fera l'affaire.

Adieu, ma bonne vieille amie. Je t'embrasse ainsi que nos aimables enfants. Si tu as l'occasion de voir maman, embrasse la pour moi ainsi que l'oncle ..... Le cas contraire, donne-lui avis de mon arrivée. Ne m'oublie pas auprès de ta famille et de nos amis. Dans ma dernière, je ne t'ai pas souhaité la bonne année, mais tu n'as pas besoin de ces vains compliments pour être convaincue combien tu m'es et tu seras toujours chère.

Adieu. Adieu.

P.S. Dis-moi dans ta lettre que tu m'enverras à Bordeaux, si je te trouverai à Saintes parce qu'alors, à Blaye, je ne prendrai pas la voiture jusqu'à Rochefort.

Denis BELLOT

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Sa fille aînée a déjà 8 mois lorsqu’il rembarque du 8 septembre 1820 au 13 avril 1821 pour les colonies à bord de la gabarre "la Loire". Nous possédons sa demande d’embarquement "Mon rang dans l’ancienneté à terre me mettant à même d’embarquer avant la fin de l’année, j’ose supplier Votre Excellence de vouloir bien avoir la bonté de m'accorder la faveur d’embarquer sur un bâtiment qui soit destiné à faire une campagne dans l’Inde; mes droits sont fondés sur la malheureuse campagne que j’ai faite sur la frégate la Méduse et le seul officier de ce bâtiment qui n’ai obtenu aucune faveur."

Ce sera ensuite, pendant 5 ans, de nombreux embarquements:

= du 26 février 1822 au 30 septembre 1823: campagne aux colonies sur le brig "le Vigilant".

= du 1au 27 octobre 1823: stationnaire à l’île d’Aix sur la gabarre "la Gironde".

= du 28 octobre au 1 décembre 1823: en armement à Rochefort sur la goélette "l’Iris".

= du 5 au 31 décembre 1823: stationnaire à l’île d’Aix sur la gabarre "la Gironde".

= du 10 avril au 5 mai 1824: en armement au port de Rochefort sur la goélette "l’Aigrette".

= du 25 mai 1824 au 2 juillet 1825: stationnaire en rivière de Bordeaux. Commandant la Canonnière du n°171. (lettre très élogieuse de son supérieur du 8/2/1825, pour qu’il en ait le commandement en titre)

= du 3 août au 12 septembre 1825: stationnaire à l’île d’Aix sur la gabarre "la Gironde".

= du 13 septembre 1825 au 23 avril 1826: station au Sénégal sur le brig "la Bressane". Chargé du détail.

= du 20 juillet au 21 octobre 1826: stationnaire à l’île d’Aix sur la gabarre "la Gironde".

= du 22 octobre 1826 au 20 janvier 1828: Océan, Amérique, entré dans la méditerranée du 11 janvier 1828, sur la brigantine "l'Alacrity".

 

Sa maladie :

Une lettre du 16 janvier 1828 du conseil de santé de Toulon nous apprend que Bellot "...est atteint depuis longtemps de douleurs rhumatismales dont le retour et le siège indiquent une affection arthritique et se plaint de la continuité d’une gastrite chronique...........le Capitaine du brig l’Alacrity l’a très souvent mis hors d’état de remplir sa fonction.........."

En date du 7 février 1828, l’on possède une lettre du Préfet Maritime nous disant que l’Enseigne de Vaisseau Bellot vient d’obtenir une permission de 3 mois avec 2/3 d’appointements. On apprend qu’il a déclaré ne pas vouloir profiter du congé qu’il n’a pas demandé afin d’être destiné sur la gabarre la Gironde, stationnaire à l’île d’Aix. Il y est placé à cause de sa santé qui lui empêche d’entreprendre une longue campagne.

= du 8 au 31 février 1828: stationnaire à l’île d’Aix sur la gabarre "la Gironde".

Le conseil de santé de Rochefort, le 7 mai 1828, ".....estime que Mr Bellot, dont la santé n’est pas encore rétablie, ne peut, quand à présent, aller à la mer.........."

= du 12 juillet 1828 au 17 janvier 1829: armement à Lorient et Méditerranée sur la frégate "la Duchesse de Berry".

= le 26 octobre 1828, il est nommé Lieutenant de Vaisseau.

= du 18 janvier au 14 mars 1829: Méditerranée sur le brig "le Hussard" qui le ramènera malade à terre.

= le 23 février 1829, le préfet maritime écrit: "Depuis son naufrage sur la Méduse, Mr Bellot, Lieutenant de Vaisseau, n’a point cessé de naviguer et sa santé, qui avait reçu quelque altération dans ce désastre, n’a pu que s'affaiblir encore par la continuation d’un service actif. Il était en dernier lieu sur la frégate la Duchesse de Berry, dans le Levant, de laquelle il a été renvoyé en France par suite de son état maladif.............."

= du 3 juillet 1829 au 28 février 1831: stationnaire à l’île d’Aix sur la gabarre "la Gironde".

= du 1 mars au 30 avril 1831: stationnaire à l’île d’Aix sur la gabarre "la Mayenne".

= du 1 septembre 1832 au 1 janvier 1835: à Rochefort, à la Division des Equipages de Ligne.

 

Le 6 mars 1833: demande pour obtenir la Légion d’Honneur:

"Amiral,

De tous les officiers et élèves naufragés à bord de la frégate la Méduse, je suis le seul qui n’ai pas été décoré de la Croix de la Légion d’Honneur. J’ai dix-sept ans d’embarquement, sur près de vingt-quatre ans de service....."

 

Extrait du livret général d’inspection en date du 27 juin 1833.

Notes données sur M. Bellot Philippe Denis, Lieutenant de Vaisseau, Capitaine de la Compagnie de Mousses:

"Cet officier sert avec zèle et administre très bien sa compagnie; il traite et conduit les enfants en bon père de famille."

le Commandant de la Division.

"Sert très bien, convient beaucoup à l’emploi dont il est investi. Les infirmités dont il est atteint et qu’il a contracté à la mer, le rendent peu propre à un service plus actif."

le Major Général.

"Sert avec zèle, il est très propre à conduire sa compagnie."

 l’Inspecteur Général.


Le 1 janvier 1835, il prend sa retraire à Rochefort après 25 ans, 2 mois et 16 jours de service. A la mer...en paix, il totalisera 10 ans, 7 mois et 14 jours; à la mer... en guerre: 5 ans, 3 mois et 29 jours; à terre... en paix: 9 ans, 3 mois et 3 jours. Sa retraite se monte à 1428 Fr par an sur la caisse des Invalides de la Marine.

Le 5 du mois d’août 1835, à 8 heures du matin, à l’âge de 44 ans, Philippe Denis Bellot, Lieutenant de Vaisseau retraité, est mort en son domicile, rue des Fonderies à Rochefort. Il eut comme témoins deux neveux: François Félix Chéri Lesueur, Chirurgien, âgé de 26 ans, demeurant à Rochefort et Jacques Martin Duché, Docteur en Médecine, âgé de 35 ans, demeurant à Rochefort. Sincère, sa femme, aura une pension de 400 Fr par an.


Quelques explications sur les navires à bord desquels il embarqua.

 

CUTTER ou Cotre: Petit bâtiment à un mât, fortement voilé et rapide, à formes fines et élancées, développé au XVIII° siècle. Utilisés autrefois comme navire de combat et armés de huit canons, les cotres ont été réarmés en garde-pêche dans la marine militaire. Les cutters de guerre anglais servaient de croiseurs et de garde-côtes; Ils étaient armés de 6 à 8 pièces d’artillerie.

CANONNIERE: Petit bâtiment armé d’un ou plusieurs canons, employé sur les fleuves ou près des côtes.

LOUGRE: Petit bateau de pêche, de cabotage ou de guerre gréé en trois mâts, fin de l’arrière et renflé de l’avant. Il a une longueur moyenne comprise entre 12 et 20 m. Ses trois mâts, grand mât, misaine et tapecul, sont très inclinés vers l’arrière. Il apparaît comme un navire bon marcheur, remontant très bien au vent, et de ce fait est privilégié par les pirates et les contrebandiers. Les lougres de l’état sont armés de 6 à 14 canons; ils servent d’avisos et de garde-côtes. Pendant la Révolution et l’Empire, ils sont utilisés comme corsaires, particulièrement contre la marine anglaise.

VAISSEAU: il est pendant deux siècles l’élément principal des forces navales européennes. Pour des raisons d’équilibre et de commodité de manoeuvre et d’armement, les châteaux avant et arrière se réduisent au point de disparaître au XVIII° siècle. La coque devenue progressivement presque horizontale porte les trois mâts désormais traditionnels (mât de misaine, grand mât, mât d’artimon). Dans la dernière moitié du XVIII° siècle, chacun des mâts reçoit le même nombre de vergues et les navires militaires sont alors classés selon leur gréement en vaisseaux de ligne, frégates, corvettes... Jusqu’à la fin du XVIII° siècle, où l’on découvre les avantages du bois de teck, les bois de charpente sont tirés d’une variété de chêne et la mâture est en sapin. Il faut alors 2.000 chênes pour construire un navire dont la coque mesure jusqu’à 60 cm d’épaisseur pour résister à l’impact des gros projectiles de l’époque.

GOELETTE: Petit bâtiment gréé en deux mâts à voiles auriques, jaugeant de 50 à 200 tonneaux, aux forment fines et élancées. Au début du XIX° siècle, les goélettes constituent un fort pourcentage des bateaux navigant sur les côtes atlantiques américaines. Elles ont des formes renflées et sont gréées en deux mâts, le plus grand étant celui de l’arrière; ce dernier, implanté très près du milieu de la coque, porte la plus grande voile, dont la baume peut dépasser largement parfois l’arrière du bateau. Ces mâts inclinés sur l’arrière (qui se redressent au XIX° siècle) portent des voiles auriques augmentées de flèches, de voiles d’étai, d’une trinquette et de deux ou trois focs.

GABARRE: Grande embarcation à voiles et à rames conçue pour décharger les navires. Les gabarres militaires sont des bâtiments de servitude non armés, de charge ou de passage, très utilisé dans les ports de guerre comme dans les estuaires. Elles font la navette entre les bâtiments à fort tirant d’eau et le rivage ou l’intérieur des terres. Elles sont souvent d’assez fort tonnage, jusqu’à 300 tonneaux, mais toujours de faible tirant d’eau.

FREGATE: Bâtiment à voile de l’ancienne marine, léger et relativement peu armé, servant comme éclaireur et comme navire de croisière en station lointaine. La frégate est un trois mâts carré de guerre, né en Angleterre au début du XVII° siècle, possédant un seul pont continu, sans divisions ni cloison, avec un gaillard d’avant court et bas, un château arrière courant presque jusqu’au milieu du pont occupé par une énorme fosse. Ce navire de guerre de sixième rang, inférieur au vaisseau de ligne, mais plus rapide, mesure en moyenne 30 m de longueur et déplace 500 tonnes. Il tient admirablement la mer, se manoeuvre aisément et est redoutable dans la lutte contre les corsaires et la poursuite des navires marchands ennemis. Dans la première moitié du XIX° siècle, les frégates françaises atteignent la perfection et se rapprochent de plus en plus des vaisseaux.

BRIG ou Brick: Navire à voile de petit tonnage, à deux mâts carrés et gréant cacatois et bonnettes. C’est le plus petit des grands voiliers de commerce à voiles carrées sur deux mâts. Au XIX° siècle, une grande partie du cabotage de l’Atlantique et de la Méditerranée est assurée par ces puissants navires. Un brig typique mesure environ 30 m de longueur, pour une largeur de 7,30 m. Malgré un faible tonnage qui dépasse rarement 300 tonneaux, il porte une voilure imposante composée de treize ou quatorze voiles. On désignait un brig de guerre par son nombre de canons.


Procès du Capitaine de Frégate, Monsieur DUROY de CHAUMAREY

commandant la Frégate "la Méduse", responsable du naufrage.

 

Déposition de Denis BELLOT

Advenant le vingt-huit janvier, mil huit cent dix-sept, dix heures du matin, est comparu en la chambre d’instruction criminelle de la marine, et devant Nous, Capitaine Rapporteur, assisté comme dit est, Monsieur Bellot, Enseigne de Vaisseau, ci-devant embarqué sur la Frégate La Méduse en qualité d’Elève de la Marine de première étape, lequel nous avons entendu en sa déclaration de la manière suivante:

Monsieur Philippe Denis Bellot, natif de cette ville de Rochefort, Département de la Charente Inférieure, âgé de vingt-six ans, enseigne de Vaisseau, résidant rue Dauphine numéro quinze, lequel après serment de dire vérité, a déclaré n’être parent, ni allié de Monsieur Duroy de Chaumarey, Capitaine de Frégate, ci-devant commandant La Méduse, et sur le fait contenu en l’ordonnance de Sa Majesté, du sept de ce mois et en la dépêche de son Excellence le Ministre de la Marine et des Colonies, du neuf suivant, dont il lui a été donné lecture, a déposé ce qui suit:

J’étais embarqué sur la frégate la Méduse en qualité d’Elève de la Marine de première étape, et de quart avec Monsieur Chaudière, cinquième officier.

Nous appareillâmes de l’île d’Aix, le dix-sept juin mil huit cent seize, avec l’Echo, la Loire et l’Argus, qui formaient avec la Méduse, la division du Sénégal; tous ces Bâtiments étaient sous les ordres de Monsieur de Chaumarey qui commandait La Méduse. Trois ou quatre jours après, la marche supérieure de la Méduse nous sépara de la Loire, et de l’Argus. Les vents étaient de la partie de N.-E., bonne brise. Nous nous dirigeâmes sur Madère que nous vîmes le vingt-sept, et de là sur l’île de Ténériffe que nous vîmes le vingt-huit au soir. Après avoir passé la nuit bord par bord, nous nous approchâmes de Sainte-Croix le vingt-neuf matin, on y envoya un canot qui revint vers quatre heures. Dès qu’il fut rembarqué, on fit route sur le cap Barbau.

Le premier juillet, entre dix et onze, on aperçut la côte d’Afrique. Nous prolongeâmes la côte toute l’après-midi, à cinq à six milles de distance, toutes voiles dehors, le vent de la partie du Nord, brise modérée, faisant de six à sept nœuds. J’étais de quart de huit heures à minuit et la route fut Ouest Sud-Ouest du compas, sur la voile majeure, même vent. On sonda de deux heures en deux heures, et on trouva de trente-cinq à quarante-cinq brasses. A minuit, l’Echo pouvait être à encore deux lieux devant nous.

Je n’ai pas connaissance des routes qui furent faites pendant la nuit, ni à quelle heure elle fut changée. Je ne me rappelle pas non plus le point du deux à midi. Je sais que vers deux heures et demie, l’officier de quart fit sonder, que la sonde rapporta de seize à dix-huit brasses d’eau. Peu après on resonda, et on ne trouva que six à sept brasses. Et peu après trois heures la Frégate toucha et s’arrêta.

Aussitôt les voiles furent serrées, les mâts de perroquet déposés. Toutes les embarcations mises à l’eau, et on envoya sonder autour de la frégate. On cala les mâts d’hunes. On embarqua une Ancre à set et des grelins dans la chaloupe et on fut la mouiller dans le N.N.-O. en arrière de la frégate. On raidit cette amarre, et on tint bon, la mer ayant perdu, car nous avions touché au coup de pleine mer. On mit une ancre de bossoir dans la chaloupe pour l’envoyer sur le grelin mais la chaloupe étant trop faible et la mer agitée, nous ne pûmes réussir. On mit à la mer la Devîme et autres objets. Le trois au matin après avoir fortifié la chaloupe d’un chapelet de pièces, on y mit une ancre de bossoir, et on essaya de porter cette ancre dans la direction de l’ancre à set, mais par la houle, l’ancre touchait le fond de temps en temps et on fut forcé de la mouiller à une demi-encablure. On travailla à alléger la Frégate, en jetant à la mer des poudres, en joignant une partie de l’une des pièces, en passant les canons de l’avant, etc.... Le commandant tint un conseil, dans lequel il fut décidé de construire un radeau dont on s’occupa de suite. Dans l'après-midi, on déposa les mâtures d’hune, et continua de jeter à la mer quantité d’effets pour alléger le Bâtiment.

Le quatre, on continua la construction du radeau, on porta dans le Nord Nord-Est, trois grappins empennelles, sur l’amarre. Les quats, la chaloupe se paumoya, portant une ancre à set, qu’elle mouilla à près de deux encablures du bord. Nous prîmes ce grelin par bâbord devant, et au coup de pleine mer, en tirant dessus, nous pûmes éviter la Frégate, et elle vint tout à fait debout au vent qui était de la partie N. N.-O. Il fut impossible de porter une autre ancre. Dans la soirée, le vent fraîchit, la mer grossit, et comme elle perdait, la Frégate talonnait beaucoup.

Vers minuit, le gouvernail sautait, et força sa ferrure. Vers trois heures du cinq juillet, la Frégate s’ouvrit et fut remplie d’eau. On s’occupa de suite à remplir de biscuits des barriques et des malles pour les mettre sur le radeau. On désigna des officiers et un certain nombre d’hommes pour chaque embarcation. On commença vers cinq heures à faire embarquer le monde. J’étais dans le canot du Sénégal. Le radeau déborda vers sept heures, remorqué par le grand canot et le canot major. Auparavant, la chaloupe ayant été en dérive, nous pûmes la remorquer avec le canot du commandant pour l’aider à revenir à bord. Nous quittâmes la Frégate vers huit heures et demie ayant à bord du canot 25 hommes, un sac de biscuit, point d’eau et un demi-baril de galère de vin. Il n’y avait aucun effet particulier à bord du canot.

Nous pûmes rejoindre le radeau et nous nous plaçâmes devant le canot major. Peu après le Commandant dans son canot se mit devant nous et dirigea la route vers l’est sur la terre dont nous estimions de douze à quinze lieus.

Trois-quarts d'heure après ou environ, la chaloupe revenant de la Frégate où elle avait pris du monde, longea les deux canots de l’arrière à nous et s’approchant très près de nous, nous força de larguer la remorque pour n’être pas coulé vu que notre canot était dans le plus mauvais état. Le canot du commandant et le nôtre virèrent aussitôt pour reprendre notre poste, mais nous nous aperçûmes, en approchant que les deux autres canots avaient largué la remorque du radeau. Alors, toutes les embarcations firent route vers l’est et nous les imitâmes.

Vers six heures du soir de ce même jour, cinq juillet, nous aperçûmes la terre, à deux ou trois lieus de distance et comme nous n’avions que cinq à huit pieds d’eau, nous manœuvrâmes toute la nuit, n’ayant pas de grappin pour mouiller. Dès le matin du six, nous courûmes dans le sud et ne vîmes pas la terre de tout le jour. Mais, vers dix heures du soir, nous trouvâmes sept brasses d’eau et nous prolongeâmes la côte suivant la direction présumée. Le sept au matin, à huit heures, nous vîmes la terre. A onze heures, nous nous joignâmes à la chaloupe qui nous dit avoir déposé soixante-trois personnes à terre au nord de Sortanvick et avoir pris la veille tous les hommes qui étaient à bord de la Jose, à cause du mauvais temps qu’il avait fait. A trois heures, la chaloupe mouilla près des terres, trois hommes de notre canot y descendirent à la nage pour voir s’ils y trouveraient de l’eau, ils revinrent à bord sans en avoir trouvé et alors nous continuâmes notre route. A cinq heures, nous rencontrâmes le canot major qui nous dit avoir quitté la veille le grand canot et le canot du commandant. Nous naviguâmes toute la nuit ensemble et le huit, vers onze heures du matin, forcé par le manque de vivres et d’eau, nous fîmes côte sans perdre personne. Nous marchâmes le long de la mer et à deux heures, nous nous réunîmes aux hommes de la chaloupe qui avaient aussi fait côte et, à cinq heures, à l’équipage du canot-major. Faisant route pour nous rendre à Saint-Louis, le dix dans la matinée, le brick l’Argus, envoyé pour porter du secours aux naufragés, nous aperçut et, s’approchant de terre, nous envoya quelques vivres et quelques munitions.

Le treize au soir, nous arrivons au Sénégal. Après quelques jours de repos, les hommes furent envoyés à bord de la Loire et autres bâtiments et transportés à la pointe du Cap Vert où l’on avait établi un camp. Une partie de l’équipage fut mise ensuite à bord de l’Echo et l’autre à bord de la Loire. Je fus embarqué sur ce bâtiment et je suis revenu dessus en France où je suis arrivé le vingt-huit décembre mil huit cent seize.

La déclaration de Monsieur Bellot étant entièrement finie, nous lui en avons donné lecture en tout son contenu et nous a déclaré qu’elle contenait la vérité, qu’il y persistait et ne voulait rien en changer, et a signé avec nous.

Rochefort, le jour indiqué et au précité sur le midi.

Signé : Le Carlier D’herlye, Bellot, Belenfant.


Extraits du livre écrit par Paul, Charles, Léonard, Alexandre RANG DES ADRETS ( dit SANGER RANG),

ami de Denis BELLOT, Enseigne de Vaisseau, à bord de la Frégate "La Méduse" lors de son naufrage.

(Il se trouvait dans le canot du Commandant)

 

Voici le récit du voyage du canot du Sénégal que commandait M. Maudet (M. Bellot, second), et je commencerai au moment où les embarcations abandonnèrent le radeau.

J’ai déjà dit qu’après avoir largué les remorques qui nous tenaient au radeau, toutes les embarcations avaient forcé de voile pour s’éloigner, et que celle de M. Maudet et la chaloupe se trouvant avoir une marche très inférieure à la nôtre et à celle des deux autres embarcations, étaient restées de l’arrière et que bientôt après, nous les avions perdues de vue.

Le canot du Sénégal avait quelques raisons de se tenir éloigné de la chaloupe, et comme il marchait mieux que cette embarcation, il prit aussi le parti de manoeuvrer comme il le jugerait, et bientôt, s’en éloigna au point de ne plus la distinguer. A 6 heures du soir, M. Maudet aperçut la terre à bâbord du canot. Il présuma que c’était quelques-unes des îles qui se trouvent dans l’enfoncement du golfe, près la rivière Saint-Jean. Il voulut s’en approcher, mais trouvant tout à coup cinq pieds, quoiqu’il fut encore à trois lieus de la côte, il fut forcé de faire venir à tribord et, de cette manière, d’élonger à peu près la terre.

A 8 heures, la sonde donnait sept pieds d’eau. Ce manque d’eau rendait sa position très critique, parce qu’il n’y avait pas de grappin dans le canot, que par conséquent, il fallait faire du chemin et qu’il manquait des moyens ordinaires pour diriger la route. Cette embarcation avait bien un compas, mais sa vitre étant cassée, on était forcé de tenir continuellement dessus un mouchoir pour empêcher l’eau qui embarquait de le mouiller entièrement. Outre cela, la nuit était très obscure et l’on ne distinguait aucune étoile pour pouvoir se diriger. C’est l’époque à laquelle notre canot et les trois autres embarcations, embarrassés comme M. Maudet par la petitesse du fond, avaient pris le parti de passer la nuit sur les grappins, ne sachant plus où trouver une passe...

M. Maudet jugea convenable dans la circonstance embarrassante où il se trouvait, de faire le moins de chemin possible dans la nuit et d’attendre ainsi le jour pour reprendre sa route. Il prit donc le parti de louvoyer. Cette manoeuvre l’éleva d’autant plus de la côte que le courant portait dans le nord-ouest, en sorte qu’en un jour, il se trouva hors de la vue de la côte d’Afrique et ballotté par la lame du large. Pendant toute la nuit, la sonde n’avait rapporté que deux ou trois brasses d’eau. Il n’y a pas de doute qu’il était encore sur le banc d’Arguin. A la pointe du jour, il remit le cap en route avec une jolie brise de nord-ouest. Dans le courant de la matinée, le vent augmenta et la mer devint si houleuse que tous les marins qui montaient cette embarcation commencèrent à craindre pour elle. Ils se trouvèrent, de même que tous les autres, réduits à une très petite portion de vivre, surtout d’eau.

Le vent, comme nous l’avons vu, augmentant encore beaucoup dans la soirée du 6, rendit leur position très cruelle. Leur embarcation était très faible et outre cela, avait été défoncée quelques jours auparavant. On s’était contenté pour la réparer, de mettre une plaque de plomb, que la force de la mer pouvait enfoncer au premier instant. Enfin, ils passèrent une nuit aussi terrible qu’elle le fut pour nous, obligés d’avoir continuellement les yeux fixés sur les lames qui venaient déferler derrière eux, afin qu’elles ne se déployassent pas sur le canot. Au matin, le vent et la mer se calmèrent beaucoup. M. Maudet se trouvait encore hors de vue de la côte, que l’on n’avait pas aperçue depuis le 5 au soir. Il se décida à la rallier, et, ayant fait mettre le cap à l’est sud-est, l’aperçut peu de temps après. Dans cette journée, l’eau commença à diminuer au point que les hommes devinrent très mécontents. Vers les 9 à 10 heures du matin, un matelot cria: « navire » et par son exclamation répandit la joie dans tous les coeurs. De suite, on mit le cap dessus sans tarder, tout l’équipage bien décidé à s’y procurer l’eau suffisante pour désaltérer tout le monde à quel prix que ce fut. Leur joie ne fut pas de longue durée, car après avoir fait beaucoup de chemin pour approcher ce navire, que l’on avait d’abord pris pour un brick, ce qui semblait promettre des secours, on reconnut la chaloupe dont ils présumaient bien que la position était tout au moins aussi affreuse que la leur.

Lorsque les deux embarcations se trouvèrent à portée de voix, M. Maudet pria M. Espiau de lui donner un peu de vin; celui-ci lui répondit qu'il n'en avait plus et que tout ce qu'il pouvait faire, c'était de lui donner une bouteille d'eau-de-vie. Il accepta, et dans l'instant elle fut distribuée à l'équipage du canot. M. Maudet, lui ayant ensuite demandé s'il avait eu connaissance des autres embarcations, apprit qu'il avait sauvé la veille le monde de la yole et que la nuit l'avait séparé des trois autres embarcations qu'il avait rencontrées le même jour. Il lui dit aussi qu'il avait débarqué soixante-trois hommes dans le sud du Cap-Mirik.

Lorsque le chaloupe abandonnée par le canot du Sénégal s'était trouvée entièrement seule, elle avait dirigé sa route vers le Cap-Mirik, où, comme M. Espiau nous le dit lorsque nous le rencontrâmes dans la journée du 6, il avait débarqué soixante-trois hommes. Passant la nuit du 5 au 6 à la voile le long de la terre, nous vîmes un feu, et comme nous étions alors mouillés, il nous dépassa et nous ne pûmes le rattraper que douze heures après. C'est le lendemain de ce jour, qu'après nous avoir suivis pendant quelque temps, il rencontra le canot du Sénégal avec lequel il convint de naviguer de conserve, formant le dessein d'accoster la côte à la fraîcheur afin d'y chercher de l'eau. A midi, le point de M. Espiau qui avait un sextant, les mettait à quarante-cinq lieues du Sénégal.

Jusqu'à 3 heures, ils dirigèrent leur route de manière à se rapprocher de la côte. A cette heure, distinguant parmi les dunes de sable deux tentes de Maures, ils crurent ne pas pouvoir trouver un lieu plus propice pour se procurer de l'eau, et mirent le cap à terre. Bientôt, ils virent des Maures abandonner leurs tentes et fuyant dans les dunes. La chaloupe jeta son grappin à petite distance du rivage et le canot du Sénégal s'amarra dessus cette embarcation. Trois hommes envoyés par M. Maudet se jetèrent à la nage et gagnèrent la côte en un instant. Ils fouillèrent les deux tentes et n'y trouvèrent qu'une très petite quantité d'eau dans une outre. Elle suffit à peine pour les désaltérer. Désespérant d'en trouver d'autres, ils revinrent à bord du canot du Sénégal., peu satisfaits des résultats de leur première tentative. Les deux embarcations levèrent le grappin et continuèrent leur route le long de la terre, murmurant contre l'infortune qui semblait poursuivre plus que jamais les malheureux échappés du banc d'Arguin. Les matelots surtout se répandirent en plaintes qui firent craindre une révolte.

A 5 heures du soir, les deux embarcations faisaient route à force de voile vers le sud, aperçurent devant elles une voile que bientôt elles reconnurent pour le canot-major. Cette embarcation leur dit avoir abandonné la veille le grand canot et celui du commandant, qu'elle pensait devoir être beaucoup de l'avant.

Pendant toute la nuit, ces trois embarcations se suivirent. Le lendemain au matin, 8 juillet, les matelots du canot du Sénégal voulurent à toute force descendre à terre. M. Maudet opposa à leur dessein toutes les raisons qu'il jugea convenable de mettre sous leurs yeux, mais ne put parvenir à les raisonner. Il se décida en conséquence à ne plus lutter contre un équipage qui avait la force de son coté et à 11 heures, l'embarcation vint vers la côte.

Vingt-cinq hommes affaiblis par la souffrance et le manque d'eau, ne connaissant nullement la terre sur laquelle ils se décidaient à chercher des secours, se trouvèrent, par cette manœuvre, abandonnés de la nature entière sur la plage brûlante du grand désert du Sahara. Ils se dispersèrent d'abord pour chercher de l'eau, mais leurs recherches toutes vaines, ils revinrent se réunir déjà accablés de fatigue et les pieds brûlés par les sables. Enfin, ils se décidèrent à marcher le long de la côte, se dirigeant vers le sud. Cette persistance me semble affreuse.

Après une heure de marche environ, ils crurent apercevoir de l'eau à une grande distance dans l'intérieur. Ils coururent vers cet endroit, mais n'y virent qu'un marais desséché et rempli de sel, dont la blancheur vue de loin les avait trompés. Ils retournèrent vers la côte et firent quelques trous dans le sable, espérant y trouver peut-être de l'eau saumâtre, mais ils furent encore trompés; l'eau qu'ils y recueillirent était aussi salée que celle de la mer. Plusieurs hommes en burent néanmoins, tandis que d'autres préféraient se désaltérer de leur urine. Ayant continué leur marche le long de la côte et bravant la chaleur, ils virent la chaloupe qui faisait porter sur la terre et semblait vouloir faire côte. Elle vint ensuite mouiller près du brisant, car son intention était de ne mettre à terre que ceux qui le désiraient, mais un homme ayant, sans qu'on s'en aperçut, coupé le câblot, l'embarcation s'engagea dans les brisants et fut jetée en plein. La petite troupe de M. Maudet, qui se trouvait alors au même point de la côte, les recueillit et les aida à sauver ce qu'ils avaient avec eux. Un baril d'eau qu'il y avait encore dans la chaloupe, fut défoncé et la plus grande partie de ce qu'il contenait se répandit, vu la confusion qu'il y avait parmi tous ceux qui voulaient en avoir leur part. Peu après, M. Espiau, ayant pris le commandement de la petite caravane, fit remettre en marche, espérant rencontrer avant la nuit quelques Maures du désert, dont on aurait pu tirer du secours. A 5 heures, le canot-major vint également faire côte. On les reçut dans la troupe comme on avait fait le matin à l'équipage de la chaloupe. Les premiers soins furent prodigués aux dames Picard, qui étaient dans un grand état de faiblesse et malgré cela montrait encore du courage. Pendant que la caravane était ainsi arrêtée, un homme s'était détaché de la troupe et sans prévenir ses compagnons, s'était engagé dans les sables.

Lorsque tout le monde se décida à marcher de plus belle, on le vit accourir criant: "J'ai trouvé de l'eau, j'ai trouvé de l'eau." Tout le monde le suivit et l'on trouva à une petite distance de la côte un trou qu'il avait fait et dans lequel culait une source d'eau limpide. Plusieurs hommes se mirent à en creuser d'autres et en peu de temps la troupe désaltérée parut avoir oublié toutes ses peines. Lorsque la soif ardente dont chacun était tourmenté se trouva apaisée, la faim commença à se faire sentir. Très peu de personnes avaient quelques morceaux de biscuit. Celles qui avaient eu la précaution d'en prendre dans les embarcations s'en servirent et les autres furent obligés d'attendre les événements. L'on remarqua bientôt que deux passagers M. K.... et M. Rogery étaient disparus. On ne put concevoir pour quelle raison ils ne faisaient plus partie de la troupe.

On décida que la nuit se passerait à prendre du repos près de ces sources, mais réfléchissant ensuite que cet endroit pouvait être fréquenté par les animaux du désert, on résolut de se mettre en marche. Ce ne fut pas sans boire de nouveau. Il était à regretter que l'on n'eut pas de vase, car on aurait pu emporter une quantité d'eau suffisante pour la journée suivante, que l'on pouvait passer sans rencontrer de pavillon connu. A 9 heures du soir, on reprit le bord de la côte. A minuit, beaucoup de monde se trouvant fatigué, on fit halte. On plaça des sentinelles sur les points les plus élevés, tant pour veiller l'approche des Maures que des bêtes féroces. A 7 heures du matin, on se remit en route éprouvant toutes les angoisses de la faim. Ces souffrances répandaient le découragement le plus marqué dans toute la troupe. La plupart des hommes avaient les pieds brûlés par l'ardeur du sable et souffraient cruellement. Enfin, excités par les discours des officiers, ils firent encore un peu de chemin dans la journée. Quelques hommes ayant monté sur un mamelon de sable, découvrirent à peu de distance trois tentes. Leurs cris ranimèrent toute la troupe qui se précipita vers les Maures dont la grande misère où l'on était plongé faisait désirer la rencontre. C'est ainsi que le chasseur égaré dans les forêts et consumé par la soif et la faim, désire la rencontre des brigands qui les infestent.

La caravane ne trouva que de faibles secours dans la rencontre de ces Maures: c'était deux ou trois familles pauvres dont les moyens ne suffisaient pas pour aider tout le monde. Peu de personnes s'y procurèrent de quoi se rafraîchir, encore ne fut-ce qu'en payant très cher.

Les Maures proposèrent de conduire la caravane jusqu'au Sénégal, moyennant une récompense dont les officiers convinrent. Vers le soir, on se reposa un peu, puis, profitant de la fraîcheur de la nuit, on remit en marche sous la conduite des Maures.

Le lendemain 10 juillet, tandis que la troupe cheminait le long du rivage, ils virent tout à coup paraître sur les dunes un grand nombre de Maures, tous armés. Croyant qu'ils allaient être attaqués, nos malheureux compagnons d'infortune se mirent sur la défensive le mieux qu'ils purent. Celui qui avait un fusil donnait à ceux qui n'avaient rien sa baïonnette et même sa baguette de fer. Les Maures sous la conduite desquels ils étaient, parurent vouloir se mettre de leur parti ou plutôt empêcher tout acte d'hostilité. Lorsque les Maures furent près de la troupe, ils purent faire quelques signes d'amitié, auxquels on s'empressa de répondre. Les guides négocièrent l'affaire et bientôt les deux troupes se mêlèrent et firent des amabilités. Cela n'empêcha pas que les Maures missent la main dans la poche des blancs et qu'ils ne les pillassent en grande partie. Ils proposèrent ensuite à M. Espiau de conduire la troupe dans leur camp et lui promirent des rafraîchissements et du poisson sec.

Pendant que les Français et les Maures faisaient route de concert le long du rivage, on vit un navire qui cinglait vers le nord en côtoyant. Bientôt, on le reconnut pour le brick l'Argus. Il vit la caravane montant dans les sables et mit une embarcation à la mer pour lui porter secours. Cette embarcation ne put approcher du rivage à cause de la lame qui déferlait, mais elle jeta à la mer un baril d'eau-de-vie, un de vin et une barrique dans laquelle il y avait du biscuit et quelques fromages. L'embarcation étant retournée à son bord, le brick reprit sa route vers le nord.

Lorsque les provisions vinrent à la côte, tout le monde se précipita dessus sans ordre. Les Maures voulurent avoir leur part et comme ils étaient les plus forts leur part fut celle du lion.

Néanmoins, chaque homme eut de quoi apaiser pendant quelque temps la soif et la faim. Bientôt on se remit en marche, rempli de reconnaissance pour ceux qui venaient de prodiguer des secours si nécessaires. Au soir, on arriva au camp des Maures. Ceux-ci donnèrent bien de l'eau et du poisson sec, mais le firent payer extrêmement cher. Il fallait donner une gourde pour chaque chose que l'on prenait. Un peu de lait de chameau se payait également une gourde. Les officiers décidèrent qu'après les fatigues de la journée, il était essentiel de passer la nuit dans le camp pour prendre de nouvelles forces et atteindre le lendemain le Marigot des Maringouins. Toute la troupe se dispersa dans le camp et se livra à un sommeil plus nécessaire encore que les vivres qu'ils s'étaient procurés.

Le lendemain matin, la caravane se remit de nouveau en route, toujours sous la conduite des Maures. Dans la journée, elle fit la rencontre de l'officier anglais envoyé pour leur prodiguer du secours. (Cet officier, dont le teint était un peu bronzé, se déguisa en Maure, dont il parlait la langue et, suivi d'un guide et de deux chameaux chargés de vivres, s'était mis en route suivant la côte du désert.) Il leur distribua du couscous et quelques autres provisions, puis après ce repas, le meilleur qu'ils eussent fait dans le désert, il se mit à leur tête et les conduisit au Marogot des Maringouins, où l'on campa pour passer la nuit.

La rencontre de cet officier fut pour la petite troupe le plus grand sujet de consolation. Chacun reprit courage et on oubliait ses souffrances, ne songeant plus qu'à la terre hospitalière qui l'attendait au bout de deux jours de marche.

Avant le jour, la troupe se trouva prête à marcher. Il n'y avait plus de paresseux tant était grand le désir d'arriver à St Louis. Toute la journée, on marcha sur la pointe de Barbarie. Le soir, l'officier anglais ayant acheté un bœuf à quelques Maures, on le mit de suite en pièces et chacun au bout d'un morceau de bois, d'une baguette ou d'un épieu présenta un instant sa ration aux flammes d'un large feu allumé exprès. Ces viandes, quoique dévorées presque sanglantes, furent trouvées délicieuses. La nuit on se reposa encore et le lendemain, 13 juillet, ils reprirent leur route espérant mettre fin à leurs maux dans la journée. Bientôt, ils rencontrèrent les bords du Sénégal et vinrent s'y étendre.

Quelqu'un fut expédié pour en donner connaissance à Saint-Louis. On leur envoya de suite des embarcations et des vivres. C'est le même jour que je les reçu sur le débarcadère de Saint-Louis, sortant de leurs canots, gais et contents comme les Français le sont toujours même au sein de l'adversité..........

Le 13 juillet, vers 4 heures du soir, passant avec quelques personnes devant la place, nous vîmes beaucoup de monde courir vers le bord de la rivière. Entraînés par la multitude, nous nous y rendîmes également. Ce fut pour être témoin de l'arrivée de notre monde. Les reconnaissant dans des embarcations qu'on leur avait envoyées, j'oubliais ma jambe et après m'être fait faire place par la multitude noire et curieuse, je passai au bord de l'eau où je donnai la main pour descendre à Bellot, à M. Maudet, à M. Lapeyrère, à Dimmonje et à d'autres amis. Je les embrassai tour à tour et les engageai à me suivre chez le gouverneur Schmalz.

La joie était également peinte sur leur figure et ils semblaient oublier leur fatigue pour marcher sur cette terre hospitalière.

Les habitants de Saint-Louis s'employèrent à offrir asile aux officiers et à quelques autres personnes de cette petite caravane. Le gouverneur fit donner des logements à nos hommes et tous les moyens de subsister, tandis que d'autres entrèrent à l'hôpital pour faire soigner les plaies de leurs jambes creusées par l'acidité du sable frais, la chaleur et la fatigue.

Barbotin et moi prîmes Bellot avec nous et le conduisîmes dans notre appartement où il trouva bientôt un mit. Le lendemain se trouvant beaucoup délassé, il nous fit part des peines qu'il avait éprouvées avec ses compagnons..........

Au bout de quelques jours, la plupart de ceux qui avaient souffert dans le désert se trouvèrent remis de leurs fatigues. Leurs jambes seules avaient encore besoin de beaucoup de soins. Le nombre de ceux qui demandèrent à aller à l'hôpital était petit. Parmi ceux-ci se trouvaient M. Lapeyrère et M. Maudet. Les dames Picard n'avaient pas autant souffert car dans toutes circonstances, parmi des Français, les premiers soins sont pour les dames et l'on avait procuré à cette famille un chameau sur lequel elle fit la plus grande partie de la route..........

Il fut decidé que l'on irait attendre les ordres à Gorée et ne pouvant entretenir, sur ce qui nous restait de navires, et les troupes et les passagers, vu que ce grand encombrement pourrait faire naître les maladies si connues dans le pays, on ferait un campement sur le Cap-Nord..........

D'après cet arrangement, on fit d'abord partir "l'Echo" pour installer le camp et y débarquer le monde de "la Méduse" qui était à son bord. Après cela, on arma deux goélettes du pays pour y porter tout ce qu'il y avait de Français à Saint-Louis, excepté les malades et les blessés. Le 15 au matin, elles appareillèrent. Barbotin et Bellot, nos deux compagnons de logement, se rendirent à bord..........

Le 23, tout ce qu'il y avait de Français appartenant à l'expédition du Sénégal reçut l'ordre de se tenir prêt à partir pour le Cap-Vert.

Le 25, à 7 h. du soir, "l'Argus" a appareillé et a fait route pour le sud, pour mouiller vis-à-vis de la ville de Gorée le 27 au matin.

Le même jour, M. le Gouverneur ayant eu connaissance des maladies qui commencèrent à se répandre parmi les Français établis au Cap-Vert, près d'un village de Yolofs, résolut de faire passer sur "le Loire" tous les marins qui y étaient afin de diminuer l'encombrement qui y existait et faciliter par là le logement des troupes et de tous les passagers que nous avions emmenés dans la colonie. Le soir, tous nos marins arrivèrent à bord. Je vis parmi eux, MM. Espiau, Chaudière, Barbotin, Bellot.

M. le Gouverneur décida également le départ de la corvette "l'Écho" pour la France. On désigna 50 hommes pour passer à bord de ce navire. MM. Ch...., Bellot et moi ne pûmes obtenir cette faveur malgré nos demandes réitérées et nos justes réclamations. M. le Gouverneur, désirant conserver quelques officiers, espérait les employer au sauvetage de la frégate et ce fut nous qu'il choisit pour ce service. Ce ne fut pas sans quelque chagrin que nous vîmes partir ce navire.

Le 29 au soir, la corvette appareilla pour faire route pour la France. Le fort lui a fait un salut de quinze coups de canon, "l"Écho" répondit par un salut de toute sa batterie.

Après le départ de "l'Écho", je me fis embarquer avec M. Ch... et Bellot sur "la Loire", où je reçu journellement des marques d'amitié de mes amis et de tout l'état-major.

 


(notes journalières)

Je fais le service à bord de la flûte "la Loire". Nous attendons tous les jours des ordres concernant la réddition de la colonie, mais nous craignons que cela ne se fasse de longtemps. Nous appréhendons surtout de passer dans ce pays le reste de la campagne. Nous recevons des vivres journalières de la terre afin de ne pas être obligé d'entamer nos vivres de campagne.

M. Schmalz réside à Gorée avec l'intendant M. Diuville. M. Foussin gouverne l'établissement de Dakar et M. de Chaumarey qui commande toujours l'expédition du Sénégal, unit sa corvette à notre bord.

Presque tous les matins, nous envoyons nos embarcations à terre pour faire de l'eau, prendre du sable, qui doit servir à nous lester quand nous aurons déchargé tous les objets que nous avons pour la colonie, et en même temps pêcher du poisson dont nous faisons toujours la distribution d'une partie à l'équipage, et dont nous salons l'autre partie pour en faire des rations dans le cas où cela deviendrait nécessaire.

Le 5 août, nous avons appris que les deux embarcations envoyées à la recherche de la frégate n'avaient pu y parvenir; la première parce que, ayant toujours été contrariée par les vents, les vivres commencèrent à lui manquer; l'autre commandée par M. Raynaud, avait eu, disait-il, toutes ses voiles emportées dans un coup de vent.

Le 10, nous avons vu arriver sur la rade un brick français venant de Marseille.

Nous avons beaucoup de monde malade, deux sont morts à l'hôpital le 15. Il est à remarquer qu'il n'y a que les hommes de "la Méduse" qui tombent malades. Ils sont la plupart attaqués de dysenterie..........

Le 6 octobre: dans le mois de septembre, ayant appris que M. Reynaud était enfin parvenu à bord de la frégate et qu'il en avait rapporté trois hommes et une quarantaine de barils de farine, le gouverneur envoya "l'Argus" au Sénégal afin de les prendre. A la fin du mois, ce navire arriva portant, outre cela, la plus grande partie des Français qui étaient restés à Saint-Louis. M. Reynaud était du nombre. Il nous apprit qu'étant parvenu avec beaucoup de peine à bord de la frégate, il l'avait trouvée tellement couchée et enfoncée dans le sable qu'à mer haute, la moitié de son pont était dans l'eau. Il sauva trois hommes qui, malgré la misère, avaient vécu environ cinquante jours sur cette carcasse abandonnée. Il apprit par ceux-ci que douze autres hommes qui, comme eux, étaient restés abandonnés sur la frégate, avaient pris le parti de faire un second radeau, et qu'après l'avoir chargé de tout ce qu'il y avait de plus précieux à bord au lieu de prendre des vivres, ils s'étaient abandonnés au courant. Plus un homme mort à bord et un autre qui voulut se sauver sur une cage à poule et qui périt dans l'eau. M. Reynaud parvint à sauver quarante barils de farine.

Depuis ce temps, nous n'avons pas entendu parler des douze malheureux qui se sont exposés sur le second radeau. Tout nous porte à croire qu'ils ont péri. Les trois hommes qu'il sauva étaient âgés. Ces malheureux avaient perdu l'usage de la raison. C'était trois squelettes. Maintenant, ils vont beaucoup mieux.

Dans la première quinzaine d'octobre, il est arrivé quelques navires de Bordeaux. Le capitaine de l'un d'eux nous apprit que l'on armait, lors de son départ, à Brest, une frégate pour venir nous porter secours c'est-à-dire à la colonie. Il y a toujours beaucoup de malades. Demain, 17, partira je pense, pour Marseille, "l'Angélique". Nous la chargeons de nos lettres pour nos familles. Nous espérons la suivre de près.

La mauvaise saison est sur sa fin, malgré cela, nous avons plus de malades. Il reste très peu de monde à Dakar. M. de Chaumarey est seul bien portant.

Le 28 octobre vient d'être pour nous un heureux jour. Un brick venant de Sierra-Leone a apporté à M. Schmalz des paquets de M. Mac Carthy: l'un d'eux est en réponse aux demandes du gouverneur. Il permet le débarquement à Saint-Louis de tous les objets qui sont à bord de "la Loire". Deuxièmement, de faire à Gorée un hôpital pour y transporter tous les malades de Dakar. Troisièmement, le commerce libre des navires français avec le Sénégal et Gorée.

M. Mac Carthy dit dans le même paquet que la colonie sera rendue au premier instant.

Ces nouvelles ont répandu un baume dans nos cœurs. Chaque malade du navire a retrouvé la santé. M. Schmalz va nous faire partir incessamment pour Saint-Louis. Il s'y rend lui-même avec un autre navire pour traiter avec M. Brereton. Le second paquet renfermait des ordres pour cet officier. M. Reynaud partit également dans une goëlette pour Saint-Louis. Je ne me souviens plus au juste le but de son voyage.

Le 29, M. de Chaumarey a quitté le commandement du camp de Dakar. M. le capitaine X... lui succède. Il ne commande qu'à une vingtaine de Blancs, car tout le reste est malade. Dans l'absence de toutes les autorités, M. ... est chargé de l'administration parmi les Français de Gorée.

Le 30, nous avons embarqué des vivres. Le 31 au matin, nous avons désaffourché. Nous avons reçu à bord les onze hommes qui se trouvaient à bord de "l'Argus" et qui provenaient de "la Méduse".

Le 1° novembre, nous avons appareillé de la rade de Gorée, à 10 h.1/2 du matin. Nous avons de suite pris le large.

Au moment de notre appareillage, nous avons été contrariés par des vents variables du nord à nord-est.

Le 2, nous avions encore fait très peu de chemin, que nous avons en connaissance du Cap-Vert.

Le 3, nous avons eu connaissance d'un trois-mâts portant pavillon blanc, et qui est passé à très petite distance de nous, il faisait route pour le sud.

Pendant que, contrariés par les vents, nous cherchions à nous élever dans le nord en courant tantôt au large tantôt à terre, nous avons pris quelques dorades.

Le 7, nous sommes venus mouiller sur la mer de Saint-Louis. Il faisait alors une chaleur excessive occasionnée par le vent du nord-est qui vient du désert et que l'on nomme harmattan.

Peu après notre arrivée, M. Reynaud, de concert avec M. Potin, nous a envoyé successivement trois goëlettes qui se chargèrent de nos objets pour la colonie. M. Schmalz est arrivé de Gorée avec la goëlette de Bordeaux. Les goëlettes ont fait huit à dix voyages, portant à terre les objets destinés à la colonie et rapportèrent à bord du sable pour mettre en barrique et servir de lest.

Pendant notre séjour à Saint-Louis, j'ai appris que le premier et le second radeau existant à bord de la frégate, étaient venus l'un après l'autre faire côte à moitié chemin entre Saint-Louis et Portendik.

Les papiers anglais nous ont donné la traduction du mémoire infâme publié dans le "Moniteur français", par Savigny.

Il vient d'arriver des îles du Cap-Vert un plongeur qui prétend pouvoir rester quinze minutes sous l'eau. Il veut aller à bord de la frégate chercher l'argent qui y est encore. Quelques pêcheurs vont fréter une goëlette pour y aller.


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