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Le Village de BAGNAULT

 par F. DUBREUIL (1935)

 

Le village de Bagnault se trouve situé à l’est du bourg d’Exoudun, au confluent formé par la rencontre des deux vallées des Accourants et de la Sèvre Niortaise, au pied du plateau de Saint-Sauvant dont il occupe une partie de la base et des escarpements riverains. Presque noyé en hiver par l’eau de ses fontaines et de ses nombreuses sources temporaires, il repose, en été, sous le frais et délicieux ombrage de ses peupliers, ses frênes et ses arbres fruitiers.

On est frappé, en parcourant cette humble bourgade d’y trouver toutes les apparences d’une petite ville : maisons correctement alignées, rues dont la dénomination date de plusieurs siècles (1), lieux-dits rappelant quelque évènement local ou un ancien monument disparu (2), hautes et spacieuses maisons avec ouvertures ornées de délicates sculptures, grands portails, larges cheminées, contre-cœurs avec plaques armoriées, anciennes boutiques avec larges appuis en pierre (3), en un mot, tout un ensemble qui rappelle une richesse et une prospérité datant de fort loin.

En dehors des maisons qui bordent les rues principales, d’autres sont en retrait, à l’écart, dans un jardin, dans un enclos où leurs blanches façades se détachent vigoureusement sur le fond de verdure qui les encadre. Toutes sont occupées par des cultivateurs; les industries locales qui comptaient autrefois de nombreux artisans n’existent plus.

C’est une des rares localités qui, avec Melle et Chizé, ait conservé jusqu’à notre époque son caractère moyenâgeux, sa physionomie des siècles passés.

On y voit encore plusieurs fenêtres à meneaux et à frontons sculptés, notamment celle qui se trouve au premier étage de l’ancienne hôtellerie du Cheval Blanc où elle a été placée vers 1830, époque à laquelle on l’a enlevée du couvent de Bonneuil, commune de Sainte-Soline, son lieu d’origine. Les délicats ornements dont elle est décorée datent de la Renaissance ainsi que ceux dont les restes mutilés se voient encore à deux fenêtres du logis de Bagnault.

Différentes portes d’entrée surmontées d’un écusson encadré d’arcs en accolade accusent la période du quinzième tandis que celle de la maison de la belle étoile est du dix-septième.

Tous ces témoins d’un autre âge évoquent à nos yeux et à notre esprit un temps qui n’est plus, et, l’imagination aidant, on se croirait revenu quelques siècles en arrière, à l’époque où cette vieille bourgade vivait sa vie la plus intense et la plus active.

Si, par la pensée, on se reporte à cette époque déjà lointaine et que l’on essaye de retracer la physionomie générale du village, on voit d’abord au centre de l’agglomération la place du Marché qui occupait l’espace compris entre la fontaine des Bancs, les Accourants, les bâtiments de la Coupe d’Or et le jardin du château de Chamberland. Tout autour de cette place sur laquelle débouchaient les voies qui mettaient en communication le village et les contrés avoisinantes, -voies nombreuses et fréquentées par les voyageurs de toute sorte et de tous pays, commerçants, pèlerins, troupes en déplacement,- tout autour de cette place, dis-je, s’élevaient, principalement du côté nord, les vastes hôtelleries de la Coupe d’Or, de l’Ecu de France, du Cheval Blanc, de Saint-Jacques, et, un peu en retrait, celle de La Rochelle, sans compter les nombreuses auberges de moindre importance ne comportant aucune désignation spéciale. Avec une telle abondance de refuges, on conçoit que les étrangers n’avaient pour s’héberger que l’embarras du choix.

Les principaux monuments qui attiraient ensuite le regard étaient la vieille forteresse dont la masse importante dominait les maisons voisine, puis la Commanderie des Templiers et son église; à quelques mètres de là, le château de Chamberland qui servait sans doute de résidence au Commandeur; le Château Vert dont on ne retrouve plus aucune trace; la maison de la Coupe d’Or accolée à l’hôtellerie du même nom; le château de Saugé et celui de la Corne ou Terre Douce; la maison de l’Etoile reconnaissable encore à la porte d’entrée de sa cour; et enfin la Tribune où selon toute vraisemblance, les habitants se réunissaient pour entendre la lecture des édits royaux et autres écrits les concernants.

Bagnault fut en outre le siège d’un régiment de milice bourgeoise dont j’ai parlé dans les pages précédentes.

Jusqu’à la Révolution, l’industrie des minots et des fouasses y fut florissante bien qu’elle eut commencé à décroître depuis près de deux siècles; la plupart des corps de métier s’y trouvaient représentés; les professions libérales comptaient deux notaires, un sergent royal, un huissier, non compris les juges et officiers des hautes justices.

De vieilles et honorables familles bourgeoises, dont certaines s’étaient anoblies, s’étaient fait des situations fort aisées et continuaient à exercer leur négoce.

Et pourtant, même aux jours où sa prospérité avait atteint son apogée, aux jours où son commerce était le plus florissant et lui valait un regain de vie et de mouvement, où sa population atteignait son maximum, où les voyageurs affluaient de toute part dans ses vastes hôtellerie, Bagnault n’eut jamais les honneurs d’être chef-lieu de paroisse. Malgré la dénomination flatteuse de « bourg de Bagnault » insérée par certains notaires dans le corps de leurs actes, cette localité est toujours restée un modeste village quoique plus populeux et plus important que ne nombreux chefs-lieux de paroisse. Elle dut uniquement à sa situation géographique et à la place privilégiée qu’elle au croisement des voies les plus fréquentées de la contrée de figurer honorablement sur certaines cartes anciennes de la généralité de Poitiers, notamment sur celle de Cassini.

Elle a été l’une des premières et des principales sources de richesse de la région mothaise, le centre primitif où a pris naissance et où il a acquis pendant plus de trois siècles un développement considérable, le commerce des grains et des farines.

En se disséminant dans les localités environnantes, à La Mothe, à Pamproux et même dans d’autres centres plus ou moins éloignés, en cherchant à augmenter leurs relations et leurs transactions commerciales, les industriels de Bagnault ont donné naissance à une sorte d’émigration qui s’est accélérée avec le temps au détriment de leur petite patrie d’origine. Le commerce à émigré avec eux.

On peut dire que la déchéance de ce village a eu pour point de départ les guerres religieuses qui ensanglantèrent notre contrée à partir de 1562 et ensuite les mesure de rigueur prises par le cardinal de Richelieu, par Louis XIV et par Louis XV, les envois réitérés de troupes dont la conduite licencieuse détermina le départ de plusieurs familles; les persécutions odieuses auxquelles fut soumise la population de l’époque; tout cela à provoqué un malaise tel que bon nombre des habitants sont allés chercher dans l’exil la paix et la liberté du culte qu’une administration mal conseillée leur refusait.

Les grands évènements de 1789 vinrent trop tard pour réparer le mal qui avait été fait. Ils apportèrent la liberté de conscience et la paix religieuse, mais ils furent inopérants pour ramener au foyer des ancêtres ceux qui s’étaient fait une nouvelle patrie dans leur pays d’adoption et pour rétablir les industries à jamais disparues.

Au siècle dernier, l’établissement de routes importantes, de voies ferrées, à l’écart desquelles on l’a toujours systématiquement tenu, lui ont porté le dernier coup, celui que l’on peut appeler le coup de grâce. Bien qu’on l’ait depuis quelques années gratifié d’une ligne de tramways départementaux, il subit désormais le sort réservé aux petites bourgades, il voit peu à peu décroître sa population et se modifier son aspect général.

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 * *

 Selon toute apparence, ce village doit à ses fontaines la renommée qu’il s’est acquise dans les environs. J’ai dit plus haut ce qui concernait chacune d’elles. Mais, outre sa renommée, il leur doit aussi vraisemblablement son nom.

D’après M. Longnon, le maître incontesté de la toponymie, le mot de Bagnault indiquerait un établissement balnéaire de l’époque gallo-romaine ce qui en reporterait l’origine au commencement de notre ère.

Évidemment, bien des siècles avant que les vainqueurs de la Gaule n’eussent pris possession de la contrée qui nous occupe, de lointains ancêtres avaient déjà foulé ces lieux. Divers instruments de l’époque préhistorique, tels que haches, grattoirs, percuteurs, nucleus et pointes de lances ou de flèches recueillis dans les terrains avoisinants, attestent le séjour, -ou tout au moins le passage,- de l’homme pendant les premiers âges de l’humanité. Ce sont, avec les tumuli, les dolmens, les seuls témoins qui nous restent d’une antique et primitive civilisation à jamais disparue et dont nous sommes loin d’avoir pénétré tous les secrets.

Toutefois, il est permis de supposer que quelques familles, peut-être détachées du centre de Bougon et dont l’imagination ne peut évoquer le nombre de siècles qui nous en sépare, il est à supposer, dis-je, que ces familles, séduites par le voisinage des eaux, par la disposition des lieux, se décidèrent à y fixer leurs primitives demeures. Mais je reviens en hâte à l’origine du mot Bagnault.

Au dire des spécialistes, il a la même étymologie que Bagneux, Baigneux, Bagnols, Bagnyuls, Bagnolet. C’est le mot latin balneolum, diminutif de balneum.

Le plus ancien titre qui, à ma connaissance en fasse mention, remonte au neuvième siècle, en 898. On y parle de la villa Bannogils, Banniogilum, cartulaire de l’abbaye de Saint-Maixent. (Archives historiques du Poitou, tome XVI, pages 21 et 59). Pendant les siècles qui suivirent, les rédacteurs de chartres latinisent le mot Bagnault de la manière suivante : En 917, Banolium (Manuscrits de dom Fonteneau à la bibliothèque publique de Poitiers, tome XXI, page 216); en 923, Bannogilum (Archives historiques du Poitou, tome XVI, pages 21 et 59); en 963, villa Banoli, in pago Briocinse in vicaria Exulduninse (Archives historiques du Poitou, tome XVI, page 43); en 976, Banolium (Archives historiques du Poitou, tome XVIII, page 480); en 992, Bainolius ( id, tome XVIII, page 510); en 1130, Bogno (Archives de la Vienne, Nouaillé V, pièce 173); en 1233, Bagneos (cartulaire de l’abbaye des Châtelliers, page 58; Baygnos, Baygneos (Chartes du prieuré de Fontblanche, page 47); en 1396, via Baygneyse (Archives V de la Vienne, Nouaillé, pièce 134); en 1408, Baigneoux (Grand-Gauthier. Archives historiques du Poitou, tome X); en 1409, Baignouze (Archives de Nouaillé, pièce 134); puis en 1526, il est écrit Baigneux; en 1572, Baigneau; en 1573, Baigneaux; et enfin, en 1621, Baignault.

J’arrête cette énumération déjà longue avec le regret de ne pouvoir être aussi affirmatif que M. Longnon et de ne pouvoir conclure qu’il faut chercher dans le mot bains l’origine de Bagnault. Les appellations Banolium, Banoli, Banolio, laissent bien deviner balneolum, Baneoli : bains. L’analogie des mots et la prononciation invitent à croire que là est bien la véritable origine de ce lieu ainsi que le dit Jules Richard, mais y eut-il des bains à Bagnault ? Toute la question est là. « L’eau y est très vive et très fraîche et les sources très abondantes, la Sèvre commence à porter bateau. Si ses belles eaux semblaient inviter aux ablutions, rien n’indique que le fait existait. » (Une promenade de La Mothe à Bagnault par Jules Richard).

Je passe outre aux conjonctures sur le nom de cette vieille localité, le souci de la vérité historique ne me permet pas d’élucider ce point si souvent discuté. Il faudrait, pour le tirer au clair, la science et l’érudition de feu le père de la Croix, si expert en pareille matière.

Peut-être quelque heureux chercheur aura-t-il un jour la bonne fortune d’exhumer du sol qui les recouvre, -si toutefois il en existe,- des restes permettant de fixer d’une manière à peu près précise l’origine de cette antique localité. Dès à présent, je lui souhaite ce succès de tout cœur et si, jusqu’à ce jour, aucune substruction de l’époque gallo-romaine n’a été mise à jour, on sait qu’elle a été l’une des plus fécondes et des plus riches en monuments de toute sorte.

 

Période du IX° au XIII° siècle

Cette période est entourée de profondes ténèbres. Jusqu’au quatorzième siècle, les documents écrits sont de toute rareté et il serait superflu de vouloir rechercher, pour un modeste village, le récit d’évènements dignes d’attention antérieurement à cette époque. Je ne puis que mentionner les quelques chartes que j’ai pu découvrir, toutes extraites des cartulaires des abbayes poitevines.

Par l’une d’elle, dont la date incertaine doit être placée en 650 selon dom Fonteneau et entre 898 et 923 selon Alfred Richard, Arnoul, abbé de Saint-Maixent, donne à un nommé Fausbert, à son frère et à ses enfants, deux quartes (4) de terre sises à Bagnault (5).

A noter que l’on est à cette époque en pleine période féodale, époque à laquelle la presque totalité de la terre se trouvait aux mains des grandes fondations laïques ou ecclésiastiques. La riche abbaye de Saint-Maixent notamment, grâce aux donations des rois de France et à celles de puissants seigneurs, possédait une immense étendue territorialité.

Une autre charte de 917 nous apprend qu'antérieurement à cette date, des contestations s’étaient élevées entre le curé d’Exoudun et l’abbaye de Nouaillé au sujet de la perception de dîmes prélevées dans l’étendue de la paroisse d’Exoudun, tant à Bagnault qu’en d’autres villages. Un jugement fut rendu en synode le 13 mai 917 qui condamnait le curé Doctramme à restituer les dîmes indûment perçues ainsi que je l’ai dit dans les pages précédentes.

En 963 ou 964, un habitant de Bagnault du nom de Rainier donne à l’abbaye de St-Maixent trois cours, des terres arables et des près, le tout situé à Bagnault « tres curtes et terra arabile et pratos in villa qui dicitur Banoli, in vicaria Exulduninse » (Archives historiques du Poitou, tome XVI, page 43).

Un nouveau don est consenti en faveur de la même abbaye le 7 décembre 976 par Richard et sa femme Gilberte. Il comportait, -sous certaines réserves qu’il me paraît inutile d’énumérer ici, - l’abandon d’une alleu (6) situé « in villa Banolio ».

L’approche de l’an mille ayant provoqué de nombreuses libéralités en faveur des établissements ecclésiastiques, Guillaume Fier à Bras, comte du Poitou, donne à son tour à l’abbaye de Saint-Maixent, par une charte datée du mois de décembre 992, un domaine qui avait appartenu à « Madelme le médecin », lequel domaine comprenait trois églises et quinze villas dont « la villa Bainolius » (Chartes de l’abbaye de Saint-Maixent par Alfred Richard, tome 1, page 77).

Je suis contraint d’avouer, avec regret, que mes recherches ont été infructueuses pour la période comprenant les onzième et douzième siècles.

De 1218 à 1233, un riche seigneur de la contrée, Hugues de Rochefort, seigneur d’Exoudun, donne à l’abbaye des Châtelliers de nombreux immeubles parmi lesquels figuraient le moulin de Roche, des prairies, des vignes et plusieurs terres assises auprès du village de Bagnault, au lieu-dit la Croix longue (Louis Duval. Cartulaire de l’abbaye des Châtelliers).

Par un autre acte en date du 24 avril 1292, Pierre Noël de « Baygnos » reconnaît devoir au prieuré de Fontblanche une rente annuelle de trois sous tournois d’aumône à prélever sur son hébergement de Bagnault (Babinet de Rencogne. Documents relatifs au prieuré de Fontblanche). Cette modique somme de trois sous tournoi représentait environ trente francs de notre monnaie actuelle et si l’on tient compte de la rareté du numéraire à l’époque qui nous occupe, on constatera que le don consenti par ledit Noël avait une valeur appréciable.

Pendant les siècles qui suivent, j’aurais pu retracer ici les faits particuliers concernant ce village, indiquer les seigneuries qu’il renfermait dans son sein et faire connaître leurs possesseurs successifs dont j’ai déjà parlé précédemment, je me contenterai de donner quelques détails sur les principaux monuments dont l’un des plus anciens est certainement la citadelle.

 

La citadelle ou forteresse. A quelques mètres de la Commanderie des Templiers, sur le sommet du coteau, s’élevait la citadelle dont l’origine remonte vraisemblablement à l’époque gallo-romaine.

Bâtie sur le promontoire au pied duquel se croisaient les principales artères qui reliaient le village aux centres avoisinants, j’estime qu’il y a corrélation entre l’établissement de ces voies et de la citadelle. Mettant à profit la disposition naturelle des lieux comme ils le faisaient un peu partout, tout porte à croire que les Romains établirent là cette forteresse qui dominait de haut le vieux carrefour de la Coupe d’Or, point de rencontre de deux voies importantes. Ce fut l’arx balneolum, la citadelle de Bagnault, de même qu’il y avait l’arx romana, la citadelle de Rome, sur le mont Tarpéien.

Réédifiée au cours des siècles suivants, peut-être aux environ de l’année 810, époque à laquelle Charlemagne prescrivit d’élever le long des rivières et dans tous les endroits où il le jugeait propice, des châteaux forts, des forteresses, des tours, pour arrêter le flot des invasions des normandes, il peut se faire que la venue des Normands à Saint-Maixent où ils pillèrent l’abbaye, à Melle où les attirait l’atelier monétaire, à La Mothe et vraisemblablement à Exoudun et à Bagnault, ait déterminé le reconstruction de cette forteresse placée au confluent de deux vallées. L’édit de 847, qui ordonnait la levée en masse des populations dès que la présence de l’ennemi était signalée, nous faisait connaître quels étaient, en pareil cas, les défenseurs de la forteresse et en quelles occasions ils devaient assurer cette défense.

Aucune relation écrite ne nous indique si les incursions de ces hardis aventuriers, venus des pays glacés du Nord, furent préjudiciables à la contrée de Bagnault ou si les défenseurs de la citadelle eurent à soutenir quelque attaque de ces forbans.

On peut encore admettre que cette construction, -ou cette reconstruction ? - eut lieu au moment où le sire de Lusignan, Hugues IX, dont le frère, Raoul, était seigneur d’Exoudun, La Mothe, Civray et Melle, créait parmi la population poitevine une effervescence considérable par suite de la révolte à main armée contre le Comte de Poitou et son frère Saint-Louis. Toute la contrée était alors hérissée de forteresses, de châteaux forts uniquement bâtis pour favoriser la résistance, en premier, contre les troupes royales, et au siècle suivant contre les anglais. C’est du reste l’époque, dit Monteil dans son histoire des Français, les divers états, « où toutes les provinces de France étaient fortifiées. En premier les villes seules eurent des forteresses, les bourgs ont ensuite voulu en avoir et certains villages eux-mêmes se sont fortifiés. »

La très grande majorité de ces forteresses fut rasée sous le ministère du Cardinal de Richelieu et celle de Bagnault n’échappa certainement pas à cette démolition générale. Ces massives constructions furent remplacées dans la suite par des habitations plus confortables et mieux appropriées aux goûts modernes; quelques-unes ont disparu pour toujours. Il s’en trouvait à Exoudun, à Bagnault, à Pétousse, à Pied des Vignes, la Marbaudière, à Brieuil, à Jassay, la Douhe, Bizeon, etc....

Mais revenons à notre citadelle dont seuls le nom et l’emplacement subsistent désormais. Rien n’a survécu de l’antique monument; en tombant, les derniers pans de murs ont enseveli sous leurs décombres tout le passé de ce vestige d’un autre âge. Malgré tout, on désigne toujours sous le nom de citadelle le lieu-dit où se profilaient ses hautes et épaisses murailles.

Deux documents écrits, - les seuls de ma collection où il soit parlé de cette construction, - la désignent sous le nom de forteresse. Il y est question d’une maison « assise au-dedans de la forteresse de Baignault près l’église dudit lieu, tenant d’une part au chemin tendant du four des postillons à la forge des Dardins, d’autre au chemin tendant du four à ban à la maison de André Baucheteaux (7 mai 1589).

En 1592, Pierre Broussard, laboureur à Loubigné, vend à Blaise Dardin, marchand maréchal à Bagnault « une maison assise audit Baignault, près l’église, vulgairement appelée la maison forteresse avec toutes ses dépendances tenant d’une part au chemin tendant de la maison antienne des Dardins au village de Brieuil à dextre, d’autre au frousties deshairs feu Thomas Mareschal, d’autre au chemin par lequel on va de ladite église à la maison des hoirs feu Pierre Geoffrion à main dextre. (Etude Pétreault à Pamproux)

 

La maison des oliviers. En face de l’ancienne chapelle des Templiers, sur la rive opposée des Accourants, s’élevait autrefois une haute construction qui devait servir, à l’origine, de lieu de résidence au Commandeur. Cette ancienne demeure portait, il y plusieurs siècles, le nom de « maison des oliviers », pieux souvenir de l’orient et de la montagne sanctifiée par la dernière veille et le sacrifice volontaire du fils de l’homme! Dit Jules Richard dans une plaquette éditée en 1851. En tout cas, nom qu’elle dût vraisemblablement emprunter au voisinage immédiat de la Commanderie des chevaliers du Temple qui, on le sait, avaient juré de se consacrer à la défense des lieux saints.

Cette qualification de maison des oliviers au fond de ce village ignoré n’est-elle pas exceptionnelle et tout à fait digne de remarque? N’évoque-t-elle pas en notre esprit un symbole, un souvenir se rattachant à la Terre Sacrée?

Les premiers chevaliers établis ici essayeraient-ils la culture de l’olivier dans ces lieux exposés au midi, à l’abri des vents froids de l’Est et du Nord? La nature pierreuse et brûlante en été des coteaux de la rive droite des Accourants permettrait de le supposer bien qu’il soit plus plausible d’admettre que les gardiens du temple avaient seulement déposé là un précieux débris enlevé aux Saints Lieux.

La maison des oliviers a disparu entre 1510 et 1525, et en ses lieu et place fur édifié le château de Champberland qui est devenu à son tour, depuis la Révolution, le logis de Bagnault. Seul un fragment de pierre sculptée provenant de la primitive demeure figure encore actuellement au-dessus de la porte d’entrée de la cour. Il a été recueilli et placé où il se trouve par des mains pieuses afin de le soustraire à toute nouvelle mutilation, à toute tentative de destruction. Je n’ose affirmer qu’au nombre des sculptures dont il est orné, on doive reconnaître un rameau d’olivier, mais la chose ne me paraît cependant pas invraisemblable.

Rebâtie à l’époque de la Renaissance, la maison des oliviers perdit son caractère et son aspect d’origine. Elle se modernisa et aujourd’hui encore quand on l’examine en détail, on y retrouve la facture des ornements les plus délicats de la Renaissance, ornements qui, malheureusement ont été martelés avec rage en 1793. Malgré tout, on y remarque encore les larges fenêtres à festons et à meneaux, la porte d’entrée avec ses pilastres ornés de moulures, son fronton affreusement mutilé, un large escalier en pierre et à vis donnant accès aux étages supérieurs, de vastes appartements avec alcôves, d’immenses cheminées, des caves voûtées, une ancienne oubliette et enfin deux fenêtres d’angle superposées et abritées sous un petit pavillon coiffé d’une poivrière. Les pilastres de la fenêtre la plus élevée étaient munis chacun d’une niche dans laquelle se trouvait une statuette aujourd’hui disparue.

Pour pénétrer dans la cour, un large portail à côté duquel une porte de dimensions ordinaires ornée de clous de l’époque à tête tétraèdre insensibles aux morsures de la rouille. Cette porte est également pourvue d’un heurtoir ciselé sur lequel figure une salamandre, la salamandre de François 1°.

Après avoir appartenu à François Laîné, riche marchand de Poitiers, dans la première moitié du XVIII°, ce château passa ensuite entre les mains de M. Charles Philippe Chabot, sieur de la Pigeonnerie et de Champberland, qui est mentionné comme habitant le château de Champberland avant le 29 septembre 1751. Ayant épousé sa cousine Marie Chabot ( des Chabot de Chaunay), il était, en 1746, fermier général des seigneuries de la Baronnière (Vançais) et de Butré (Lezay). Le 25 août de cette même année, il sous-afferme cette dernière seigneurie aux consorts Cotheron de Vançais à moitié de sous grains plus la somme de 150 livres, 2 canards, 2 oysons (oies), 2 chapons, 20 livres de lin et 20 livres de chénevin. Ce même jour, (29 septembre 1751), Pierre Bossebœuf, laboureur et sa femme, Marie Baudet, demeurant à la Ripaille, reconnaissent devoir à Charles Philippe Chabot, la somme de 590 livres, 10 sols qu’il leur a prêtés et le 30 avril 1759, Pierre Bonnet et Marie Archimbault, sa femme, se reconnaissent débiteurs d’une somme de 1002 livres, 15 sols envers le même.

Le 2 août 1766, Charles Philippe Chabot rendait aveu au comte de Lusignan, seigneur des Marais de Lezay pour le château de Champberland qui se trouvait compris dans la mouvance de la seigneurie de la Lande appartenant au comte et auquel il était dû de ce fait pour chaque fête de la Toussaint, 5 sols, 2 gelines et 4 deniers de cens et rentes.

A sa mort, Charles Philippe Chabot laissait trois filles :

1° Marguerite, née en 1746, mariée à son cousin germain, Jacques Daniel Chabot, sieur des Maisons-Neuves, avocat au siège royal de Niort.

2° Suzanne Elisabeth, née en 1748, qui épousa Jean Philippe David, sieur de la Gourauderie, et mourut au logis de Bagnault en 1838. Son mari et elle sont enterrés dans une des dépendances dudit logis, dans le jardin de la chapelle.

3° Marie qui éopousa Louis Charles Sardin, notaire à Exoudun dont j’ai déjà parlé.

Acquis en partie en 1821 par Pierre Rousseau, fermier général du Chaillou et en totalité quelques années plus tard. Le logis et ses dépendances ont appartenu à l’un de ses descendants jusqu’en 1926, date à laquelle le nouveau propriétaire en a été M. Barricault.

 

Le Château vert. Parmi les autres habitations de ce village qui méritent une mention spéciale, il me reste à signaler le château vert.

Disparu depuis plus d’un siècle, il était situé rue du Minage, à main droite, en allant de la fontaine des bancs vers le Breuil de Chenay.

Ce château, qui peut avoir eu au cours de son existence, ses jours de prospérité, ne comprenait plus, en 1766, que trois chambres basses avec grenier par dessus, plus les servitudes, cour, coursoires et jardin, le tout couvrant environ un quart de boisselée. Il était alors indivis entre Jean François Gendron et Jean Pelletreau, sieur du Pont, à titre d’héritiers de Jérémie Prioux dont ils savaient épousé les deux filles, Marie et Louise.

 

La maison de la Belle Étoile. Elle est située sur la route de Saint-Poupain à Couhé, anciennement rue de la Pigeonnerie, puis rue des Templiers au XIX° siècle. Elle se trouve à main gauche, non loin de l’emplacement occupé par l’ancienne citadelle.

Cette demeure date du dix-septième siècle ainsi que l’indique la porte d’entrée de la cour, laquelle voûtée en plein cintre à une clef de voûte décorée d’un écusson portant la date 1643.

Ladite maison conférait à son possesseur le titre honorifique de « sieur de la Belle Etoile. » Je trouve en effet à la date du 2 juillet 1667 que Mre Pierre Ochier, demeurant à Bagnault possédait au fief des Rémigères, en la paroisse de Chenay, une pièce de terre qu’il avait acquise du « sieur de la belle étoile ».

D’une autre part, Marguerite Bonneau, veuve de Léon Bellin, sieur de la Boutaudière, demeurant à Poitiers, vend, en 1685, à Pierre Guionnet, une portion de jardin « size en la rue de la pichonnerye dud. Baignault appellé le jardin de la Belle-Etoile. »

 

La Tribune. A l’angle formé par le dédoublement de la rue principale du village dont un tronçon se dirige, à droite vers Exoudun et La Mothe-Saint-Héray et à gauche vers la Lande et Fontblanche, s’élevait autrefois une maison dénommée « la Tribune ».

Je me suis demandé d’où pouvait provenir cette dénomination s’appliquant à une habitation qui n’offre rien de particulier. Etait-elle le lieu de résidence du crieur public, du « crie-huche », autrement dit de celui qui huchait les nouvelles et donnait lecture des édits royaux et autres actes de l’administration ? Cela peut être car Bagnault eut aux siècles passés ses « crie-huche » et le nom de l’un deux est venu jusqu’à nous.

Ce fonctionnaire de l’époque trouvait sans doute plus commode de grouper les habitants du village devant sa demeure pour leur donner lecture des actes les concernant au lieu de parcourir les différentes rues en criant à haute voix. De là, serait venu ce nom de tribune qui semble avoir été donné plutôt par dérision tant il est vrai que de ladite tribune partaient souvent des lectures fastidieuses, des paroles que la majorité des auditeurs était en général portée à désapprouver, que des flots d’éloquence.

 

Les Hôtelleries. Elles étaient nombreuses et bien achalandées autrefois à Bagnault. Cinq d’entre elles avaient droit à l’enseigne, tandis que les cabaretiers ne devaient avoir comme signe extérieur de leur commerce qu’un bouchon, une branche de lierre ou de houx, de cyprès ou même de choux, suivant les ordonnances. Les enseignes des hôtelleries consistaient le plus souvent en une plaque en tôle maintenue par un solide piton en fer et sur laquelle se voyait l’image de Saint-Jacques, patron des pèlerins, pour l’hôtellerie Saint-Jacques; l’image d’une coupe dorée pour celle de la coupe d’or; des armoiries de France pour celle de l’écu de France; un superbe cheval blanc pour celle du cheval blanc; et enfin, l’image d’une galère pour l’hôtellerie de la Rochelle.

Plusieurs ordonnances ont réglementé aux différentes époques l’exercice de la profession d’hôtelier, cabaretier ou aubergiste, je crois inutile de les rappeler ici.

L’hôtellerie de Saint-Jacques est l’une des plus anciennes du village. On la retrouve dans la plupart des localités situées sur une voie de pèlerinage et si Bagnault se trouvait un peu à l’écart du grand chemin de Saint-Jacques suivi par les pèlerins se rendant à Compostelle, en Espagne, devant le tombeau du célèbre thaumaturge, il fut néanmoins visité par un nombre important de ces pèlerins qu’attiraient les produits si appréciés de l’industrie bagnolaise.

L’hôtel de Saint-Jacques était tenu, en 1680, par Pierre Bonneau qui eut particulièrement à souffrir des dragonnades. Il eut pour successeur Jacques de la Badonnière, sieur de Champbourdon en 1703, François Bernard, sieur de la Grange, qui meurt en 1733 et dont les descendants continuèrent à tenir cet hôtel pendant plusieurs années.

Les persécutions religieuses de 1752 ayant provoqué la mise en mouvement des dragons, l’hôtel de Saint-Jacques fut occupé momentanément par une compagnie venue d’Orléans, laquelle laisse sur l’appui d’une fenêtre, au premier étage, une inscription relatant son passage. (Voir page 242)

Ce vieil hôtel est fermé depuis plus d’un siècle. Transformé d’abord en maison d’habitation, le voici maintenant à l’état de bâtiment de servitude.

L’hôtel du cheval blanc, en face la fontaine des bancs, était tenu en 1703 par Pierre Pereau.

L’hôtel de l’Ecu de France, accolé au précédent, appartenait à Daniel Rousseau, sieur de l’Ecu, qui institue pour ses héritiers Henry Brimacq et le sieur Douzil qui, à sa mort deviennent possesseurs dudit hôtel qu’ils vendent à Pierre Guionnet, marchand à Bagnault.

L’hôtel de la Rochelle appartenait en 1772 à Pierre Proust, meunier au moulin d’Isernais qui, le 30 mars de cette même année, l’afferme à Jean Varennes, marchand, moyennant la somme de 120 livres. Un état de lieux établi en cette occasion indique que les bâtiments étaient en très mauvais état.

Quant à l’hôtellerie de la Coupe d’Or qui se trouvait en face le carrefour de même nom, je n’ai sur elle et sur ses possesseurs aucun renseignement.

Les évènements particuliers concernant ce village ont été rapportés en grande partie dans les pages précédentes; je les ai en outre fait connaître avec détail dans ma monographie du village de Bagnault à laquelle on pourra se rapporter.

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(1) Les principales rues qui sillonnaient le village au cours des siècles précédents étaient désignées ainsi qu’il suit :

1° La grande rue ou chemin de la mer qui partait du carrefour de la Coupe d’Or, se continuait vers le Pontreau et de là dans la direction de Mougon et de la mer.

2° La rue de la Pigeonnerie partait du même carrefour et se dirigeait vers Chenay en empruntant le tracé actuel de la route de Saint-Pompain à Couhé.

3° La rue du Minage empruntait à partir du carrefour de la Coupe d’Or jusqu’à la sortie du village, l’ancien chemin romain qui suivait la vallée des Accourants et rejoignait, non loin de Bizon, l’ancienne voie romaine de Rom à la mer.

4° La rue du grand chemin ou de Loubigné qui porte de nos jours le nom de route de Bagnault à Loubigné.

5° La rue Paille qui est encore sous ce nom.

6° La rue des Marmaux rue transversales qui reliait la rue du Minage à celle du grand chemin.

7° La rue de La Rochelle allant de la Grand’Rue à celle de la Pigeonnerie.

Le 11 février 1833, le Conseil municipal, considérant que la plupart des anciens actes ou titres sont tellement obscures qu’il est parfois difficile et même impossible de reconnaître la propriété qui s’y réfère.

Qu’un inconvénient de cette nature trop ordinaire au sein des grandes populations agricoles doit évidemment cesser dans cette commune par la détermination et le numérotage des rues du bourg et de Bagnault.

Décide que les rues de Bagault porteront désormais les noms de : Grand’Rue, rue du Nord, des Aires, de Cossard, Petite Rue, rue des Templiers, du Banc, des Noyers et de l’Equerre.

Ces nouvelles dénominations ne supplantèrent point les anciennes qui continuèrent toujours à subsister.

(2) Au nombre des ces lieux-dits, je citerai au hasard, la Potanec, la Croix-Baudian, le pré et les champs de la Piteau, la Citadelle, la Jardin de la Chapelle, etc...

(3) On voit encore ces appuis en pierre à la maison appartenant autrefois aux époux Geoffret et à celle de Bonnet Aimé, maçon, située dans la Grand’Rue non loin de la fontaine des Bancs.

(4) Quarta, très ancienne mesure agraire valant deux Octava. On la trouve mentionnée le 30 décembre 889 « une quarta in villa Potente » (Cartulaire de l’abbaye de St-Hilaire), en 1136, dans le même cartulaire « trix quarteria serrae ad plantaudes vineas et sex quarteria pratorum. » Elle valait 6 ares.

(5) Cartas duas quae sunt villa Bannogilo. » (Alfred Richard. Cartulaire de l’abbaye de Saint-Maixent. Archives historiques du Poitou. tome XVI, page 20).

(6) Le mot alleu (alladium) nous reporte en pleine époque féodale. L’alleu comprenait généralement un domaine d’importance et d’étendue variables. Plusieurs seigneurs abandonnaient à leur vassaux, un ou plusieurs alleux à titre de récompense et suivant les services rendus. Non loin de Bagnault se trouve encore de nos jours une plaine dite la plaine des Alleux.


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